sleepless nights.

TOMMY & DIMITRI.

L'une des habitudes qu'on prenait avec le temps quand on était le frère de deux malines comme Lena et Irina, qui savaient très bien se mettre à deux contre lui comme si la supériorité féminine n'était pas déjà actée depuis toujours dans leur famille, c'était de se méfier quand l'une d'elles lui proposait de rencontrer l'une de ses amies. Dimitri n'avait en soi rien contre l'idée au départ, même si cette histoire avec Noa ressurgie récemment et pour son plus grand étonnement semblait prouver que ce n'était jamais l'idée du siècle que de craquer sur l'une des amies de ses sœurs, il y avait aussi bien des avantages à se voir présenter une jolie fille avec qui faire connaissance quand on savait à quel point ses sœurs pouvaient être des entremetteuses pointilleuses dans ces cas-là. Seulement c'était le même manège depuis des années, comme si le fait qu'il soit l’aîné et n'ait toujours aucune alliance au doigt faisait de lui la cause désespérée pour qui tout le monde avait une pensée en priant ou chaque fois qu'une nouvelle année s'écoulait, et tout ça commençait un peu à l'épuiser. Il n'avait jamais aimé qu'on lui mette la pression, et ce qui était assez divertissant au départ commençait à devenir plus très amusant du tout, raison pour laquelle il les avait prévenu que c'était l'une des dernières fois qu'il se soumettait à leur petit stratagème, juste parce qu'il n'avait rien de mieux à faire ce soir et qu'il aimerait pouvoir tourner cette page pas très reluisante de sa vie de frère sur une note à peu près agréable. Mais pas tout seul, parce que si Dimitri était prêt à jouer le jeu de la rencontre dans un endroit que sa sœur aînée aurait encore choisi, il n'avait pas pour autant envie de répéter le même schéma que d'habitude et d'alimenter plus longtemps ce cercle vicieux. Rencontrer une fille et potentiellement terminer la soirée avec elle, c'était le meilleur moyen pour que l'histoire tourne court et qu'elle aille ensuite se plaindre à ses sœurs, et tout recommencerait parce qu'on l'accuserait d'avoir tout sabordé une fois de plus. Alors cette fois, il comptait se prouver par la même occasion qu'il valait un peu mieux que ces plans dragues à répétition, si tant est qu'il ait la moindre chance de s'en convaincre réellement. Toujours est-il que cette soirée était aussi et surtout une bonne excuse pour passer un peu de temps avec Tommy, qui vivait peut être à cinq minutes de chez lui mais avait en commun avec Dimitri de bosser à des horaires très variables et dans son cas y compris parfois de nuit. C'est aussi pour ça qu'il lui avait proposé cette virée, pour décompresser un peu autour d'un verre, parler de ce dont deux mecs aimaient généralement parler dans ces cas-là. Ça pouvait ressembler à un cadeau empoisonné sur le papier si on tenait compte de son date arrangé avec l'amie de sa sœur, mais c'était justement le meilleur moyen de s'assurer que cette soirée ne prendrait pas une autre tournure. Cap sur Fortitude Valley, donc. « Merci d'avoir accepté de m'accompagner ce soir. Tes sœurs aussi essaient de te brancher avec des copines à elles ? Les miennes deviennent carrément lourdes avec ça. » C'était à croire qu'il avait un genre de date de péremption inscrite en plein milieu du front et qui les incitait à lui arranger ces rencontres, ou bien c'était la manière qu'elles avaient trouvé de lui dire qu'elles s'inquiétaient pour la façon dont il était entrain de tourner, quand ça faisait pourtant un bon moment qu'il n'y avait plus eu d'officielle et que le fait qu'il n'en dise jamais beaucoup à ce sujet résumait toujours plus ou moins bien la question. Apparemment, il fallait absolument être casé pour se sentir bien dans ses pompes, à croire qu'il n'avait pas lu le manuel du bonheur jusqu'à la fin. Ou du tout, ce qui pourrait expliquer pas mal de choses. « Je suis sûr que c'est encore une avocate à qui on a vendu de moi une version idéalisée, du coup ça tournera probablement court et on pourra retourner à nos verres. » C'était autant une façon de rassurer Tommy que de se rassurer lui, qui n'avait pas spécialement envie non plus qu'on lui foute un gros complexe en lui parlant des heures de trucs que lui n'avait jamais étudié. A la rigueur, si ses sœurs tenaient tant à lui présenter des filles, elles pourraient en choisir avec qui il n'aurait pas de mal à tenir une vraie conversation enrichissante. « Et puis, avec un peu de chance c'est sur toi qu'elle va flasher. » Il ajouta dans un sourire en coin, comme si au fond c'était aussi l'une des raisons qui l'avaient poussé à sortir boire un coup avec Tommy. En réalité pas du tout, il était loin d'être aussi calculateur et il ne tendrait pas un piège à un si bon ami qu'il n'avait aucune envie de voir fuir à la fin de cette soirée, mais maintenant qu'il y pensait ce serait plutôt ironique que la fille avec qui il avait rendez-vous repère Tommy en premier. Et justement, c'est après avoir remonté la rue qu'ils approchèrent du bar où elle était censée attendre, entrant sans se poser plus de questions avant que l'envie ne lui passe et qu'il propose plutôt à Tommy de se faire un ciné. Ils étaient là, autant ne pas rester plantés devant la porte, d'autant plus qu'il y avait du monde pour un soir de semaine. Et de l'ambiance, pas comme dans certains endroits dans lesquels on lui avait déjà donné rendez-vous, peut être bien qu'au fond il avait tort de ne pas laisser sa chance à ce rendez-vous. « Qu'est-ce que tu bois ? C'est moi qui invite. » Tommy et lui s'installèrent au bar où pas mal de gens étaient déjà agglutinés, moment où Dimitri commença à balayer la salle du regard avec un peu de curiosité. Il n'était jamais venu ici et ça l'étonnait presque étant donné que pas mal de bars en ville pouvaient se vanter de l'avoir déjà eu comme client, Tommy en savait quelque chose. Et c'est au moment où il s'attarda un peu plus sur certains détails qu'il eut peut être le début d'une explication. A quelques mètres d'eux, lorsqu'un couple d'hommes s'embrassa et qu'un autre fit de même un peu plus loin dans le fond. En fait, plusieurs hommes flirtaient entre eux et plusieurs femmes entre elles, laissant Dimitri partagé entre la surprise et un soupçon de sentiment de trahison. Rien à voir avec l'endroit, des bars gay il en avait peut être déjà fréquenté sans s'en être rendu compte, mais ce bar c'est sa sœur qui l'avait choisi, soit disant parce qu'une fille l'y attendrait. « J'ai... comme l'impression que la fille viendra pas. » Il souffla à Tommy d'un air légèrement amusé, malgré tout, parce que c'était juste le genre de trucs que ses sœurs pouvaient faire quand elles ne le sentaient pas suffisamment emballé par un rendez-vous. Ce qui l'embarrassait un peu plus, c'était que Tommy se retrouve embarqué dans leurs bêtises, dommage collatéral de son propre plan pour échapper à tout ça. Finalement, il allait vraiment falloir mettre un terme au plus vite à ces histoires de rendez-vous arrangés. « Parce qu'à moins qu'on essaie de me faire passer un message, j'ai bien peur qu'on m'ait fait une blague. » C'était peut être bien la seule chose qu'on ne lui ait pas encore faite après tout, le faire venir dans un bar gay en attendant le moment où il se rendrait compte de la plaisanterie et voir quel récit il ferait ensuite de l'expérience. Eh bien, n'en déplaise à ses sœurs, il n'allait pas s'asseoir sur cette soirée simplement parce qu'aucun d'eux ne correspondait théoriquement au public concerné. C'était un bar, non ? Personne n'allait leur demander leur orientation sexuelle s'ils évitaient de trop se faire remarquer. Ils étaient deux, deux hétéros certes, mais ils étaient surtout venus là pour relâcher la pression et c'est ce qu'ils allaient faire. Ce qui n'empêcha pas Dimitri de tourner un regard un peu désolé vers Tommy qui n'avait signé pour rien de tout ça au départ.

Il avait fallu que se présente à Tommy l’occasion de mettre le nez dehors un soir de semaine pour qu’il ne prenne réellement conscience de l’éternité depuis laquelle la situation ne s’était pas produite. Ou plutôt l’éternité depuis laquelle il n’en avait pas pris le temps, car si son manque de sociabilité ne facilitait pas les rencontres, certains collègues avaient déjà proposé sans que le brun ne donne jamais suite, avec toujours une bonne excuse pour ne pas avoir à admettre qu’il ne savait simplement plus comment se détendre. De quoi parlait-on avec ceux dont on ne pouvait pas encore dire qu'ils étaient des amis – et Tommy était de ces personnes qui estimaient qu'un collègue, aussi gentil soit-il, ne serait jamais un ami – et à quoi passait-on la soirée, quand on ne cédait plus ni aux sirènes du tabac ni à celles de l’alcool (du moins, plus autant) ? Rythmé par l’emploi du temps de sa fille plus que par ses propres occupations, le brun s’était enfermé dans une routine dont il ne faisait aucun effort pour se sortir, au grand damne il est vrai de ses deux sœurs, témoignant chacune leur impatience à ce sujet de manière plus ou moins subtile. Incapable d’envisager qu’elle puisse agir de son propre chef, il soupçonnait même Scarlett ou Elizabeth d’être à l’origine de la dernière lubie dans laquelle s’était illustrée Moïra : l’inscrire à son insu sur un site de rencontres et le laisser gérer seul les retombées indésirables qui en avaient suivi. Un sermon sur les dangers d’internet et un nouveau contrôle parental sur le seul ordinateur de l’appartement plus tard, Tommy espérait cette mésaventure derrière lui pour de bon ; Elle lui avait cela dit permis un cran de compassion supplémentaire lorsque Dimitri avait débarqué la gueule enfarinée pour lui demander un service pour le moins particulier. Tombé dans un traquenard du même acabit déployé par ses sœurs, le bougre se retrouvait obligé d’honorer un date dont il se serait visiblement bien passé, et pour lequel il comptait bien faire de Tommy son joker – ou sa sortie de secours. « Merci d'avoir accepté de m'accompagner ce soir. Tes sœurs aussi essaient de te brancher avec des copines à elles ? Les miennes deviennent carrément lourdes avec ça. » Enfonçant les mains dans les poches de son jean avec nonchalance, le père de famille avait laissé échappe un bref éclat de rire « Leurs copines ? Aucune chance. » Beth aurait bien trop peur qu’on découvre que chez les Warren tous n’incarnaient pas une réussite similaire à la sienne – encore que Tommy se demandait parfois si sa sœur aînée avait le temps d’entretenir de quelconques amitiés, bourreau de travail qu’elle était. Quant aux amies de Scarlett, elles n’étaient assurément pas faites pour son frère, et ça elle-même en avait sans doute conscience. « J’ai droit à une remarque ou deux de temps en temps. Mais rien qui ne surpasse ta situation, désolé. » Et finalement il avait haussé les épaules. Dans le fond ni l’une ni l’autre de ses sœurs n’insistaient jamais trop longtemps sur le sujet, même leur mère ne s’y risquait plus, chacune ayant amplement eu l’occasion de croiser le regard voilé du concerné chaque fois qu’il était vaguement question de « refaire sa vie » ou de « passer à autre chose » comme le voulaient les expressions. « Je suis sûr que c'est encore une avocate à qui on a vendu de moi une version idéalisée, du coup ça tournera probablement court et on pourra retourner à nos verres. » Jetant un regard circulaire aux alentours, l’ancien barman avait dodeliné la tête d’un air dubitatif « Je doute qu’une avocate aurait choisi ce coin-là pour un rendez-vous … Du moins l’idée que je me fais d’une avocate. » Coincée et sérieuse à mourir, donc. Parce que les préjugés marchaient dans les deux sens. « Et puis, avec un peu de chance c'est sur toi qu'elle va flasher. » Plus saugrenue qu’autre chose, la perspective avait arraché un nouvel éclat de rire à Tommy « Ouais, compte là-dessus, c’est ça. » Mais ils jouaient dans la même cour tous les deux, et ce n’était assurément pas celle des gars qui pêchaient tous les poissons de l’étang à la simple force de leur sourire ou de leur belle gueule. À moins que l’on aime le genre gauche et paumé, tignasse indisciplinée et ongles rongés en prime.

Arrivés à destination, les deux hommes s’étaient engouffré dans le bar sans y réfléchir à deux fois et s’étaient frayé un chemin jusqu’au comptoir du bar, bien plus bondé que ce à quoi Tommy avait fini par s’habituer au McTavish, principalement théâtre des habitués et des amateurs de retransmissions sportives. « Qu'est-ce que tu bois ? C'est moi qui invite. » Faisant mine de considérer la question quand bien même sa réponse à cette question était presque toujours la même, il s’était fendu d’un « Si c’est toi qui invite, alors. Coca ? » qui ne surprendrait personne tant la passion du brun pour les sodas n’était pas un secret. S’accoudant au comptoir pendant que son acolyte commandait, l’ancien barman avait jeté à la ronde un regard à mi-chemin entre habitude et curiosité, croisant un bref instant une paire d'yeux le fixant avec un brin d’insistance et l’obligeant à détourner le regard, un peu mal à l’aise. « Elle ressemble à quoi, ta Cendrillon ? » Et Tommy de continuer à fendre la foule du regard en attendant la description sommaire de l’heureuse élue, son attention détournée par les deux belles plantes bien trop occupées dans un coin du bar à comparer leurs amygdales pour avoir l’air d’attendre après Dimitri. À l’autre extrémité du comptoir, deux hommes conversaient à voix basse en échangeant regards langoureux et caresses sur la paume, et frappés tous les deux par la même épiphanie Tommy et Dimitri s’étaient regardés à nouveau « J'ai ... comme l'impression que la fille viendra pas. » Vague intuition pleinement partagée, en effet. « Ou alors elle aura envoyé son frère, elle aussi. » Hésitant entre s’en amuser et se sentir sincèrement désolé pour le forain, le barbu avait saisi son verre de soda et l’avait touillé machinalement à l’aide de sa paille – en inox, le barman en semblait particulièrement fier à la façon dont il l’avait ajoutée dedans après les glaçons – tandis que ce dernier reprenait « Parce qu'à moins qu'on essaie de me faire passer un message, j'ai bien peur qu'on m'ait fait une blague. » Et maintenant il en était certain, c’était bien plus de la déception que de l’amusement qui émanait de Dimitri, qui n’avait semble-t-il pas douté un seul instant des bonnes intentions de sa sœur, à défaut de s’y plier avec enthousiasme. « Vérifie l’adresse pour voir ? On s’est peut-être trompés. » Bien que Tommy, lui, se soit contenté de suivre le mouvement sans poser de question, sa propre connaissance de Fortitude Valley étant partie en fumée à la seconde où il avait réalisé que les vidéoclubs et autres salles d’arcades qui subsistaient encore dans le coin avant son expatriation avaient définitivement disparu depuis son retour. « Écoute, au moins tu échappes à l’interrogatoire de l’avocate. » Maigre consolation, s’il en fallait une. « Tes sœurs seraient du genre à faire ce genre de blagues ? » Il ne jugeait pas, il tentait simplement d’aiguiller Dimitri sur le fin mot véritable de cette histoire.

 

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TOMMY & DIMITRI.

Ce n'était définitivement pas le genre de soirée qu'il aurait spontanément proposé à Tommy si ses sœurs ne s'en étaient pas mêlées en décidant qu'il était à nouveau temps pour Dimitri de rencontrer l'une de leurs amies, mais ça restait bien plus agréable d'aborder ce rendez-vous en compagnie de son ami en faisant d'une pierre deux coups. Ça ressemblait sûrement à un traquenard sur le papier, seulement Dimitri avait d'ors et déjà décidé que cette soirée il la passerait bel et bien en compagnie du brun, reléguant au second plan cette histoire de « date arrangé » qui ne lui inspirait rien qui vaille. Que ses sœurs aient envie de le voir à nouveau heureux, au bras d'une fille avec qui il se sentirait comme au temps où sa vie sentimentale n'était pas un champ de ruines, ça ne pouvait que sensibiliser le frère qu'il était et lui donner envie de continuer à leur faire plaisir, quelque part, malgré tout. Mais dieu sait qu'il préférerait qu'elles se contentent d'amener leurs conversations sur ce terrain comme elles en avaient l'habitude, parce que ça il pouvait encore assez bien le gérer mais que ces rendez-vous orchestrés de la main de ses sœurs le mettaient de moins en moins à l'aise. Il n'était certes jamais le dernier non plus à se mêler de la vie de la plus jeune, mais jamais il n'irait l'attirer dans un bar pour qu'elle y rencontre un type à qui elle n'avait jamais adressé la parole avant. Ses sœurs devaient alors se figurer qu'il était largement capable de se défendre si le rendez-vous prenait une tournure déplaisante. Et, c'est vrai, l'espace de quelques heures il s'était demandé si Tommy aurait seulement envie de l'accompagner, quand les soirs qu'ils passaient à boire un coup chez l'un ou chez l'autre présentaient plus de charme que la perspective de jouer le jeu de ses sœurs dans un bar qu'ils n'avaient même pas pu choisir. Et pourtant, son ami avait accepté sans même négocier quoi que ce soit en retour. Il aurait du, après un service pareil Dimitri se serait senti tellement redevable qu'il aurait cédé quoi qu'il arrive. L'idée que Tommy soit un peu plus chanceux en ce qui concernait ses sœurs lui tira en tout cas un sourire amusé, un brin résigné aussi sans doute. « J'ai toujours su que ça me jouerait des tours d'être le seul garçon de la fratrie, je pensais juste que ça se calmerait avec les années. » Que ses sœurs auraient moins de temps à accorder à ces bêtises en grandissant, en ayant leur propre vie bien remplie, leurs propres préoccupations sentimentales, et d'autant plus depuis que le torchon brûlait de temps en temps entre elles. « Au moins toi t'avais de la compagnie du coté obscur et masculin de la force. » Il glissa à Tommy d'un air amusé, avant de se pincer les lèvres en croyant se rappeler que les rares fois où il s'était confié sur le sujet il avait laissé entendre que les rapports étaient loin d'être idylliques entre son frère aîné et lui. Peut être pas le genre de sujet à lancer s'il espérait garder une atmosphère détendue, donc, c'est pourquoi il enchaîna rapidement. « Un point pour toi, je suis sorti avec une avocate pendant trois ans et elle avait des goûts un peu moins ordinaires. C'est du vécu pour toi aussi ? » Il questionna en lui lançant un regard en coin, intrigué. Le bar choisi par ses sœurs semblait effectivement situé dans un coin qui à première vue paraissait trop populaire pour être le genre d'endroits que Tamsin aurait affectionné. Une pensée qui comme souvent fit flotter un parfum de mélancolie autour de lui, mais la suite lui tira bien vite un rire amusé face à l'évidence que Tommy refusait de croire à l'éventualité que son rancard puisse finalement plutôt flasher sur lui. Et ça se comprenait, il se trouvait déjà embarqué là-dedans malgré lui, sa dévotion était bien suffisante.

Le bar en question ne manquait finalement pas de cachet, mais de dehors déjà il était possible de voir qu'il était bel et bien aussi bondé que ce à quoi ils s'attendaient. Ce qui ne rendrait pas plus facile d'expédier cette rencontre s'il s'entendait à peine parler, et si tant est que la fille qu'il devait rencontrer arrivait à le distinguer parmi la foule. Désireux d'inviter Tommy comme pour le remercier d'avoir accepté de lui tenir compagnie, il arqua un sourcil amusé devant l'évidence qu'il risquait d'être plus sage que lui. A moins que. « D'habitude je suis pas si raisonnable, mais ce soir je crois que je vais te suivre. Je préfère avoir les idées claires si jamais on doit s'enfuir d'ici à toute vitesse. » Il confia dans un léger rire, avant d'accoster le barman pour passer commande. Deux cocas, ce n'était sûrement pas ce que les gens commandaient le plus et habituellement on ne pouvait pas dire qu'il aide à inverser les statistiques, mais ce n'était pas son foie qui irait se plaindre qu'il troque pour une fois un peu d'alcool contre un peu de sucre. Et mieux valait définitivement garder la tête froide, d'autant plus qu'il réalisa au moment où Tommy posa la question qu'il n'avait qu'une idée relativement vague de ce à quoi ressemblait la fille qu'il était censé retrouver. « Je crois qu'elle est blonde, assez grande d'après Irina. J'ai pas la moindre idée d'où elle a pu la rencontrer, mais si c'est une bombe atomique ça doit pas être le genre d'amie qu'elle invite souvent chez son mari et elle. » Tandis que son frère, par contre, pouvait bien se dévouer pour lui faire du gringue, ce n'était pas comme si sa sœur aînée ignorait en plus qu'il avait toujours eu une infime préférence pour les brunes. Subtile, et pas au point de n'avoir jamais craqué pour une femme aux cheveux clairs, mais elles avaient toujours eu un petit quelque chose en plus qu'en général il trouvait troublant. Mais blonde ou pas, il paraissait de plus en plus évident à mesure que leurs deux regards balayaient la salle que la fille en question avait peu de chances de se trouver dans les environs, parmi les couples d'hommes et de femmes qui autour d'eux laissaient de moins en moins de doute sur la particularité du bar où ils avaient mis les pieds. « Ou sera venue avec sa petite-amie. » Dimitri glissa dans un demi-sourire, à la fois amusé et un brin embarrassé, d'abord d'avoir manifestement atterri dans un endroit où on pourrait à juste titre considérer qu'il n'était pas tout à fait à sa place, et ensuite d'y avoir entraîné Tommy sans imaginer une seconde ce que ça cachait. « Tout ça c'est peut être bien qu'un vaste complot. Si c'est le cas, désolé de t'avoir embarqué là-dedans. » Et il l'était, malgré le fait qu'il tente de le prendre avec le sourire et comme la plaisanterie que ça avait tout l'air d'être en définitive, parce qu'à moins que ses sœurs se soient méprises elles aussi sur la clientèle de ce bar sur lequel elles étaient a priori censées s'être renseignées un minimum, il n'était pas difficile d'imaginer qu'on ait pu se jouer de lui. « Hm, non, c'est bien l'adresse que j'ai reçu par sms. Deux fois. » Il releva vers Tommy un regard un brin résigné après avoir pris le temps de vérifier dans ses messages, observant l'endroit comme s'il s'attendait presque à voir débarquer ses sœurs pour lui révéler la supercherie. Mais non, si elles avaient pris la peine de le conduire droit dans un piège, c'était sûrement pour mieux apprécier sa réaction lorsqu'il viendrait réclamer des explications. Mais pas de rencard, en effet, et ça ce n'était pas une mauvaise chose. « Ou la grande blonde est un grand blond qui attend dans son coin de venir nous accoster. » Il ironisa d'un ton à demi-sérieux, lorsque Tommy relativisa. « Je crois que c'est le genre d'idée qui aurait pu leur venir après trois verres de vins, et parce que j'y ai sûrement mis trop de mauvaise volonté à leur goût. » Ça, il le reconnaissait sans trop de mal, depuis que ses sœurs lui avaient parlé de ce rendez-vous il n'avait pas caché qu'il le ferait uniquement pour leur faire plaisir et enterrer cette histoire le plus vite possible. Il se pourrait qu'elles aient estimé qu'il n'avait pas fait assez d'efforts, quand pourtant il avait déjà pris sur lui plus d'une fois. « Je pourrais leur envoyer un message dès maintenant, mais je préfère qu'on profite plutôt d'être là. T'en dis quoi ? » Dimitri suggéra, loin de sous-entendre qu'ils en profiteraient comme les quelques couples plutôt tactiles qu'ils observaient autour d'eux, mais comme ils le feraient n'importe où ailleurs. « Tiens, tu m'as bien dit que t'étais barman y'a pas si longtemps ? Elles auraient au moins pu organiser leur coup dans ton ancien fief. On aurait peut être eu une réduction sur les consos. » A moins que ça ne marche pas comme ça, mais ça aurait au moins rendu cette soirée plus intéressante et un peu moins étrange s'il avait pu découvrir son ancien cadre de travail des yeux de Tommy.

De là où il se tenait – et donc toutes proportions gardées – Tommy s’imaginait au fil des mentions qu’en avait fait le concerné la famille de Dimitri comme ce genre de famille soudée, où dont tous les membres se traitaient avec bienveillance et s’aimaient avec pudeur. Le genre de famille où les repas dominicaux n’étaient pas qu’une excuse pour régler ses comptes, et épuiser la quasi-totalité de son énergie ne pas s’écharper et risquer un fratricide. Peut-être – sans doute – se trompait-il, mais au pays des querelles familiales les familles des autres semblaient en réalité toujours mieux loties que la sienne, et lorsque Dimitri avait admis « J'ai toujours su que ça me jouerait des tours d'être le seul garçon de la fratrie, je pensais juste que ça se calmerait avec les années. » le brun lui avait offert un sourire compatissant mais point trop n’en faut. Un sourire que le « Au moins toi t'avais de la compagnie du côté obscur et masculin de la force. » ajouté dans la foulé avait fait vaciller un court instant, Tommy s’en sortant à ce sujet avec un marmonnement incompréhensible qui suffisait à faire entendre le peu de chance qu’il estimait être la sienne à devoir partager la même famille que Marius. Visiblement conscient d’avoir appuyé sur le mauvais bouton, le forain n’avait cependant pas insisté et préféré changer de sujet, revenant au sujet initial et donc à ce rencard arrangé dans lequel Tommy devait tenir le rôle de garde-fou – et là-dessus il comprenait, parfois pour avoir la paix il valait mieux faire mine d’accepter face à l’insistance de ses sœurs, quitte à solutionner le problème plus en aval. Ce que sœur ne savait pas, sœur ne pouvait pas s’en offusquer. « Un point pour toi, je suis sorti avec une avocate pendant trois ans et elle avait des goûts un peu moins ordinaires. C'est du vécu pour toi aussi ? » Grimaçant comme s’il s’agissait là de la pire des idées, Tommy avait secoué la tête avec vigueur « Nah, c’est juste le genre de gonzesses que fréquente ma sœur aînée depuis toujours. » Et vu le peu de temps que Beth semblait s’accorder pour vivre, il n’irait même pas jusqu’à les qualifier d’amies. « Mais quand même, trois ans ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Pour qu’il tienne aussi longtemps, ou pour que ça n’ait pas duré plus longtemps ; Tommy n’avait pas pris la peine de préciser, et Dimitri avait donc le choix de la piste qu’il préférait emprunter. Arrivant en tout cas à destination, les deux hommes s’étaient engouffrés dans le bar avec la sensation que le brouhaha y régnant leur avait été jeté à la figure un peu brusquement. Se frayant un chemin jusqu’au comptoir, le forain avait proposé de payer son coup, et sans tergiverser Tommy avait opté pour un soda – raisonnable dirait certains, absolument pas diraient ceux qui connaissaient l’addiction qu’avait le brun pour ces choses-là, et qui s’étonnaient que le bougre n’ait pas encore développé du diabète. « D'habitude je suis pas si raisonnable, mais ce soir je crois que je vais te suivre. Je préfère avoir les idées claires si jamais on doit s'enfuir d'ici à toute vitesse. » Un éclat de rire bon enfant avait échappé à Tommy, et s’accoudant au comptoir avec désinvolture il avait assuré « T’inquiètes, on prendra les petites rues et on se cachera dans les buissons. » avant de jeter un coup d’œil machinal aux alentours. Mais il n’avait pas la moindre idée de ce qu’ils étaient supposés chercher, aussi avait-il plutôt opté pour le fait de réclamer un peu plus de détails à propos du date de Monsieur. « Je crois qu'elle est blonde, assez grande d'après Irina. J'ai pas la moindre idée d'où elle a pu la rencontrer, mais si c'est une bombe atomique ça doit pas être le genre d'amie qu'elle invite souvent chez son mari et elle. » Grande et blonde, voilà qui ne faisait qu’ajouter une couche supplémentaire au cliché de l’avocate tel que Tommy se le représentait. « Son mari est du genre à avoir les yeux qui louchent et les mains baladeuses ? » Qui sait, peut-être que c’était parce qu’elle avait épousé un goujat qu’Irina souhaitait trouver un gentil garçon à sa blonde de copine. Toujours accoudé avec nonchalance, les deux bruns s’étaient en tout cas mis en quête de la mystérieuse grande blonde, leur expression se changeant au fil des secondes en une incertitude qu’ils peinaient à cacher, avant de finalement échanger un regard signifiant qu’ils avaient tous les deux compris. « Ou sera venue avec sa petite-amie. » n’était qu’une possibilité supplémentaire qui se serait substituée à merveille au rendez-vous initialement attendu, faisant conclure à Dimitri « Tout ça c'est peut être bien qu'un vaste complot. Si c'est le cas, désolé de t'avoir embarqué là-dedans. » tandis que Tommy tentait de son côté de se montrer un peu plus optimiste en tablant sur une simple erreur de lieu. « Arrête, tu pouvais pas savoir. » Sans se faire guère d’illusions, le forain avait pris la peine de vérifier l’adresse, mais devant son « Hm, non, c'est bien l'adresse que j'ai reçu par sms. Deux fois. » un brin dépité son ami avait été forcé de battre en retraite en affichant un sourire désolé, faute d’avoir une autre explication rationnelle à lui proposer pour le convaincre que sa sœur ne s’était pas moquée de lui. « Ou la grande blonde est un grand blond qui attend dans son coin de venir nous accoster. Je crois que c'est le genre d'idée qui aurait pu leur venir après trois verres de vins, et parce que j'y ai sûrement mis trop de mauvaise volonté à leur goût. » Et Tommy de ne pouvoir s’empêcher de rouler vaguement des yeux, parce qu’à bien y réfléchir il s’agissait du genre de farce douteuse dont sa cadette aurait pu se montrer capable un jour où elle aurait été lasse de se montrer compréhensive avec lui. « Je pourrais leur envoyer un message dès maintenant, mais je préfère qu'on profite plutôt d'être là. T'en dis quoi ? » Leurs verres de soda arrivés pile au bon moment, les deux hommes avaient remercié le barman en faisant mine de ne pas juger le regard qu’il avait coulé sur choix enfantin de consommation, et Tommy avait levé le sien pour trinquer « J’en dis que c’est peut-être la meilleure issue que j’imaginais à cette soirée. No offense. » Pas qu’il ne souhaitait pas à Dimitri de se trouver une femme bien s’il le désirait vraiment, mais dans l’immédiat il préférait l’idée d’une soirée entre potes, comme il ne s’en donnait que trop rarement l’occasion. « Tiens, tu m'as bien dit que t'étais barman y'a pas si longtemps ? Elles auraient au moins pu organiser leur coup dans ton ancien fief. On aurait peut-être eu une réduction sur les consos. » La notion de « pas si longtemps » dépendait un peu de tout à chacun, et Tommy ne serait en réalité pas surpris de débarquer au McTavish pour découvrir que la quasi-totalité du personnel lui était désormais inconnue, mais sans trop y réfléchir il avait argué « Au pire, la soirée n’est pas terminée. » et tant pis si traverser tout Brisbane jusqu’à Bayside juste pour siroter un second Coca n’aurait pas le moindre sens pratique. « Tu sais ce que je te suggère, pour tes sœurs ? Tu attends demain matin pour leur envoyer un message, et tu les remercies en leur assurant que la soirée s’est très bien passée. Rien que pour le plaisir d’imaginer leurs têtes quand elles le liront. » Et puis, il n’y avait pas de raisons qu’elles soient les seules à se marrer un peu dans cette histoire, si elles étaient effectivement coupables d’une mauvaise blague. « Elles t’en ont arrangé beaucoup, des rencards contre ton gré ? » Elles ne lui avaient sans doute pas mis le couteau sous la gorge, certes, mais arranger un rendez-vous pour mettre l’autre devant le fait accompli, cela foutait néanmoins un sacré coup à la notion de consentement et à la réciprocité.

 

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TOMMY & DIMITRI.

Si leurs familles n'étaient pas toujours le sujet de prédilection que Tommy et lui choisissaient d'aborder quand ils se retrouvaient autour d'un verre, d'une pizza ou devant un de ces films qu'on n'assumait de regarder qu'avec un bon pote dont on savait qu'il ne jugerait pas nos goûts plus ou moins inavouables, Dimitri avait compris au fil de leurs échanges que sa fratrie et celle de Tommy avaient en commun de ne pas toujours avoir respiré la pleine entente. Pour autant, là où ses sœurs étaient bien forcées de mettre leurs différends sur la table lorsqu'elles étaient réunies parfois malgré elles par l'un de ces repas que ses parents organisaient pour s'assurer que la cohésion familiale ne se dissiperait pas davantage avec le temps, du coté du frère et des sœurs de Tommy les choses paraissaient plus compliquées, et les non-dits plus nombreux. Dimitri n'avait encore que peu d'éléments pour juger et ne s'y risquerait de toute façon pas, mais il comprit au moment où il mentionna l’aîné de son ami que c'était probablement la façon plus directe de mettre les deux pieds dans le plat. Il allait donc laisser le sujet de coté et opter pour quelque chose d'un peu plus sûr, n'ayant aucune envie d’embarrasser ou contrarier Tommy – et encore moins ce soir alors que la situation était déjà suffisamment particulière comme ça. Après tout, on n'avait pas idée de proposer à son pote de l'accompagner à un rendez-vous avec une fille qu'on n'avait même encore jamais vu, mais c'était bien la seule condition à laquelle il avait accepté de venir. Et de toute évidence, si lui gardait un souvenir encore assez douloureux de sa relation avec une avocate, Tommy lui semblait avoir quelques aprioris sur les femmes de ce milieu, il est vrai parfois aussi impitoyables face à un homme que face à un témoin. « Oh, longue histoire. C'est par sa cousine qu'on s'est connus, et avec elle que j'ai failli vivre quelque chose au départ. Mais ça n'a pas abouti à grand chose, et puis sans le vouloir elle nous a plus ou moins présentés. C'était aussi bizarre que ça en a l'air. » Un sourire légèrement amusé, un brin nostalgique aussi, étira le coin de ses lèvres tandis qu'il ajouta. « J'irais pas jusqu'à dire que c'était le coup de foudre, mais pas loin. » Le coup de foudre n'était pas un sentiment qu'il associerait totalement à sa rencontre avec Tamsin simplement parce qu'il avait d'abord eu des remords à éprouver autant d'attirance pour la cousine de la fille qu'il avait plus ou moins commencé à fréquenter à l'époque. Mais une fois que ses barrières s'en étaient allées, il en était tombé fou amoureux, comme d'une évidence qui lui avait rendu une partie de lui-même qu'il n'avait jamais vraiment su qu'il cherchait. Hélas, la chute avait été toute aussi soudaine. « Quant à la raison pour laquelle ça s'est terminé... c'est une question que je me pose encore aujourd'hui, à vrai dire. Un matin elle était simplement partie, envolée, sans une explication. » Autant dire qu'en plus d'avoir souffert de l'avoir vu sortir de sa vie au moment où il s'y attendait probablement le moins, l'absence d'explications avait enfoncé le clou et lui n'avait pas tardé à perdre pied. « Même dans les films, il me semble qu'on a toujours au moins droit à une bonne grosse dernière dispute. Mais là, rien. » Dimitri haussa les épaules, résigné et encore un brin remué à ce sujet même après quatre ans, et parce que quelque part une partie de lui aurait toujours ce besoin de réponses tant qu'il ne saurait pas ce qui s'était passé dans la tête de Tamsin ce matin-là. C'était compliqué, de se reconstruire et d'aller de l'avant quand on se posait encore autant de questions. D'où la raison pour laquelle il se méfiait aujourd'hui davantage des relations amoureuses, et plus particulièrement de ce genre de rendez-vous arrangés qui ne lui inspiraient rien de bon quand il était déjà difficile de rencontrer la bonne personne sans qu'on nous force la main. Leur entrée dans le bar fut l'occasion de changer à nouveau de sujet pour quelque chose de plus confortable, et c'est une fois face au barman qu'ils commandèrent chacun un soda, l'occasion pour Dimitri de prendre exemple sur Tommy. « Tant qu'on n'oublie pas de payer nos consos. Et même si ce serait assez drôle, que mes sœurs nous retrouvent contre toute attente au commissariat. » Il s'amusa, imaginant d'ici la tête que feraient Lena et Irina si cette soirée se terminait sur cette note, et alors qu'elles ne devaient pas l'imaginer suffisamment contrariant pour avoir invité un ami à la passer avec lui. Ils n'avaient pas trop de deux paires d'yeux pour sonder l'intérieur du bar à la recherche de son rancard, sa description étant plutôt approximative. « J'en sais trop rien, ça m'étonnerait à vrai dire. A moi il m'a toujours fait plutôt bonne impression même si on échange moins qu'à une époque. Mais il supporte les variations d'humeur de ma sœur depuis des années et pour ça il mérite une médaille. » L'idée fit naître un sourire sur les lèvres de Dimitri, qui ce soir plus que n'importe quel autre pouvait bien oser un mot taquin à l'égard d'Irina, qui n'était pas connue pour être un cadeau du fait de son tempérament et de la fermeté dont elle pouvait faire preuve. Et cette pensée paraissait sans doute d'autant plus pardonnable à présent que Tommy et lui s'étaient rendus compte, après une rapide analyse des lieux, qu'ils n'étaient sûrement pas au bon endroit s'ils espéraient croiser une grande blonde potentiellement intéressée par l'idée d'un rendez-vous. Car ici, les femmes appréciaient davantage la compagnie d'autres femmes, et il en allait de même du coté des hommes qui flirtaient entre eux sous le regard légèrement éberlué des deux seuls types de tout le bar à n'être pas vraiment entrés ici avec ce genre d'idées en tête. Pour autant, il fallait bien l'avouer, la scène était aussi drôle qu'elle était déroutante, ce qui n'empêchait pas Dimitri de s'en vouloir d'avoir embarqué Tommy là-dedans. Après tout, ce n'était déjà pas tout à fait la soirée idéale sur le papier, mais maintenant tout prenait une dimension plus saugrenue encore. Non pas qu'il en faille aussi peu pour le troubler, mais l'idée que ses sœurs aient potentiellement tout manigancé pour le piéger le faisait quand même rire jaune, au fond. Tommy de son coté ne semblait pas contre l'idée de profiter malgré tout de cette soirée et du fait d'être ici – ce bar ne manquait pas d'ambiance, autant apprécier l'expérience – et Dimitri s'en trouvait rassuré. « T'inquiète pas, j'ai conscience que tout est sûrement préférable à ce qui était prévu au départ. Même pour moi, à vrai dire. Je vais pas me plaindre d'échapper à la corvée qui m'attendait, on aurait sûrement moins ri. » Pour peu qu'on se méprenne sur les raisons de leur venue ici et les accoste, ça pourrait même faire de sacrés souvenirs à ressasser ensuite entre deux éclats de rire lorsque cette soirée serait derrière eux, mais même au-delà de ça l'idée d'une soirée avec un bon ami prévalait largement sur celle d'un rendez-vous arrangé pour lequel il n'était pas vraiment d'humeur. « Je suis sûr que t'imaginais tout sauf ça quand t'as fait garder Moïra, cela dit. » Dimitri retrouva un sourire plus attendri, buvant une première gorgée de son soda après que le barman les ait servi, et affichant une pointe de surprise lorsqu'il oublia l'espace d'une seconde que ce n'était pas de l'alcool qu'il ingurgiterait contrairement à d'habitude. Et c'était assurément une bonne chose, tout son corps n'irait pas dire le contraire. Il se rappela par la même occasion de ce que Tommy lui avait confié au sujet de son ancien boulot, émettant un rire silencieux à sa remarque. « Tu remets souvent les pieds là où tu bossais, ou l'endroit risque aussi d'avoir changé de clientèle à ton grand étonnement ? » C'est sur le ton de la taquinerie qu'il avait repris la parole, et parce qu'ils pouvaient bien rire de la situation et du fait que leur présence dans un bar gay soit sans doute une (quasi) première pour l'un comme pour l'autre. Et finalement, la suite l'amusa de plus belle, cette idée évoquée par Tommy ressemblait fort à une vengeance en règle, plutôt légitime compte tenu de la hauteur de l'affront. « Tu sais quoi ? C'est diabolique, et exactement ce qu'il me faut pour les prendre à leur propre jeu. Irina a même de la chance que je sois pas assez sadique pour lui faire croire que j'ai croisé son mari sur le lieu du rendez-vous. » Sinon, cataclysme assuré, il ne fallait pas oublier qu'ici les hommes mariés ne faisaient sans doute pas seulement que tromper l'ennui. Non, quand même, il n'irait pas jusque là parce qu'il avait bien trop conscience de ce que ça pourrait déclencher juste pour une simple plaisanterie, ne tenant pas à ce que ça lui retombe à nouveau dessus. L'idée de Tommy était plus sûre, et ses sœurs retiendraient suffisamment la leçon. « Un certain nombre. Mais c'est un peu ma faute, j'ai pas su dire stop quand il aurait fallu et je crois que l'état actuel de ma vie sentimentale n'a pas aidé à les raisonner. » Au fond, Dimitri savait bien que ses sœurs faisaient ça parce qu'elles aimeraient qu'il rencontre quelqu'un, c'était simplement la méthode qui lui posait problème. « A croire qu'il faut forcément se trouver quelqu'un pour être épanoui. On n'est pas bien, là, entre potes célibataires, seuls hétéros à siroter un coca dans un bar gay ? » Il lui lança une œillade amusée, forcé d'avouer que c'était le genre de soirées dont on se rappelait. Même si dit comme ça, forcément, l'initiative de ses sœurs pouvait presque se comprendre.

Mettons cela sur le compte d’une pudeur commune ou simplement de la volonté de ne pas polluer leurs échanges avec des sujets tant épineux que douloureux, reste que jusqu’à présent Dimitri et Tommy ne s’étaient jamais aventurés sur la pente du rapport qu’ils entretenaient l’un et l’autre avec les femmes, et sur ce qui faisait aujourd’hui d’eux deux célibataires peu enclins à sortir de leur condition malgré l’injonction à la normalité qui les voudrait probablement mariés et heureux en ménage (au moins en apparence). Parce qu’il y avait accordé du crédit à l’époque où sa vie lui semblait être faite de bonheurs sans nuages, Tommy ne se sentait ni le droit ni l’envie de cracher sur le cliché du bonheur à deux, mais malgré cela il se trouvait surpris en apprenant que Dimitri avait partagé la vie de la même femme durant trois ans – trois ans cela pouvait paraitre peu, mais en même temps c’était une éternité. « Oh, longue histoire. C'est par sa cousine qu'on s'est connus, et avec elle que j'ai failli vivre quelque chose au départ. Mais ça n'a pas abouti à grand-chose, et puis sans le vouloir elle nous a plus ou moins présentés. C'était aussi bizarre que ça en a l'air. » S’armant d’un sourire que l’on devinait songeur, le forain avait marqué une pause, comme une hésitation inconsciente avant d’admettre « J'irais pas jusqu'à dire que c'était le coup de foudre, mais pas loin. » et bien qu’il ait tâché de ne rien en laisser paraître Tommy avait senti son cœur se serrer un peu – car si le début de l’histoire attendrissait, elle s’était inscrite dans un autre cliché, moins heureux celui-là. L’amour dure trois ans, parait-il, et sans jouer de suspens son ami avait poussé l’histoire jusqu’à son épilogue, expliquant presque avec résignation « Quant à la raison pour laquelle ça s'est terminé... c'est une question que je me pose encore aujourd'hui, à vrai dire. Un matin elle était simplement partie, envolée, sans une explication. » et laissant malgré lui Tommy sur sa faim. Comment ça, sans explication ? On ne quittait pas tout sans raison du jour au lendemain, cela n’avait pas de sens … « Rien du tout ? » n’avait-il alors pas pu s’empêcher de demander, presque à se dire que Dimitri gardait volontairement une information pour la fin. Mais non. « Même dans les films, il me semble qu'on a toujours au moins droit à une bonne grosse dernière dispute. Mais là, rien. » Haussant vaguement les épaules, le forain avait tenté de faire bonne figure mais sans réussir à tromper son monde. « Désolé, je n’aurais pas dû être aussi curieux … » N’avait de son côté pas pu s’empêcher de marmonner Tommy, se sentant un peu bête d’avoir posé la question en premier lieu. Mais comment était-ce possible ? Comment pouvait-on se lever un matin et ne plus aimer quelqu’un, comme ça, d’un coup ? Et pourquoi Dimitri n’avait-il pas essayé d’en savoir plus, de la retrouver ? Il aurait aimé poser la question, mais s’en était empêché, préférant ne pas verser une dose de sel supplémentaire sur les plaies du brun. Ils avaient de toute manière atteint le bar, dans un entrain certes modéré mais avec au moins la volonté de prendre un verre et d’en profiter – la dulcinée supposée les rejoindre devenant presque un prétexte, finalement. Tommy avait de toute façon accepté son rôle de caution dans le cas où il conviendrait de freiner des quatre fers et d’amorcer une fuite. « Tant qu'on n'oublie pas de payer nos consos. Et même si ce serait assez drôle, que mes sœurs nous retrouvent contre toute attente au commissariat. » Faisant mine d’en rire, quand bien même l’idée de devoir appeler l’une de ses propres sœurs à la rescousse pour le sortir de dégrisement tenait plus du scénario catastrophe que de la blague potache dans son cas, il avait buté sur le sous-entendu vaguement fait par Dimitri à propos de son beau-frère et préféré rebondir là-dessus pour noyer le poisson. « J'en sais trop rien, ça m'étonnerait à vrai dire. » avait alors aussitôt préféré rectifier le concerné, pour ne pas envoyer de signaux erronés. « A moi il m'a toujours fait plutôt bonne impression même si on échange moins qu'à une époque. Mais il supporte les variations d'humeur de ma sœur depuis des années et pour ça il mérite une médaille. » Ouch. Mais s’en amusant sans grande peine, Tommy s’était surpris à dodeliner la tête pour finalement ajouter à son tour « Et il n’a pas un frère que je pourrai présenter à ma carriériste de sœur, à tout hasard ? » sans se sentir coupable la moindre seconde de tacler Elizabeth sans qu’elle ne le sache. Après tout, elle ne se gênait pas pour mettre son nez dans sa propre vie sentimentale (ou plutôt l’absence de celle-ci) alors cela lui semblait être de bonne guerre.

Reste qu’au jeu des défauts que possédaient leurs frères et sœurs respectifs, les deux cadettes de Dimitri semblaient également posséder un sens de l’humour un brin particulier, derrière lequel cacher la petite leçon qu’elles semblaient avoir décidé de donner à leur aîné. Tommy quant à lui ne semblait au bout du compte pas mécontent de s’en tirer à si bon compte, en gagnant un verre de soda sans se retrouver à tenir la chandelle dans le cas où l’avocate imaginaire s’était contre toute attente avérée être l’âme-sœur de son ami. « T'inquiète pas, j'ai conscience que tout est sûrement préférable à ce qui était prévu au départ. Même pour moi, à vrai dire. Je vais pas me plaindre d'échapper à la corvée qui m'attendait, on aurait sûrement moins ri. » L’un des deux aurait moins ri du moins, l’autre l’aurait peut-être fait, auquel cas la soirée se serait avérée être une réussite et les deux sœurs Horowitz n’auraient pas hérité aussi sec de la casquette d’horrible comploteuses. « Je suis sûr que t'imaginais tout sauf ça quand t'as fait garder Moïra, cela dit. » Ça, il ne pouvait pas nier … Mais l’imprévu n’étant pas pour lui déplaire, Tommy avait affiché un sourire amusé et bu une gorgée de son verre avant de répondre « En tout cas y’en a une pour qui ça ne change rien, tout ce qui lui importait c’était une excuse pour passer la soirée chez sa tante et engloutir un pot de glace en guise de dîner, c’est limite si ce n’est pas elle qui m’a poussée hors de l’appartement en prétextant que j’allais être en retard. » Alors elle s’émouvrait bien peu de savoir que le programme de son père ait été chamboulé, dès lors qu’il rentrait suffisamment tard pour que la Ben&Jerry’s soit engloutie jusqu’à la dernière goutte. Dimitri et lui auraient même le temps d’aller s’échouer dans un autre bar si l’ambiance de celui-là s’avérait devenir trop gênante pour eux … Tommy ne garantissait pas d’être à l’aise si l’un deux devait essuyer les avances d’un habitué des lieux. « Tu remets souvent les pieds là où tu bossais, ou l'endroit risque aussi d'avoir changé de clientèle à ton grand étonnement ? » Étonnement Tommy ne s’était pas vraiment posé la question jusqu’à présent et la question de Dimitri l’avait pris un peu au dépourvu, trahissant ainsi le temps depuis lequel il n’avait pas poussé la porte du McTavish. « J’y suis encore jamais retourné pour tout t’avouer … » Dodelinant la tête, incertain, il avait repris après une courte pause « Je crois que j’avais besoin d’une vraie coupure, là j’y bossais pendant deux ans mais avant mon expatriation j’y bossais déjà depuis plusieurs années … Ça fait beaucoup de temps passé derrière ce comptoir. » Beaucoup de temps, et des derniers mois à se sentir coupable de vouloir voir autre chose, d’avoir envie de changement, quand Callum McTavish n’avait pas hésité à lui tendre la main et à lui refaire confiance malgré son casier judiciaire. « Faudrait que je retourne y faire un tour à l’occasion. La bière y est bonne, j’en sais quelque chose. » A nouveau le brun s’était targué d’un sourire, récupérant son verre et y faisant tourner les glaçons quelques instants avant de boire à nouveau.

Et puis lui était finalement venue une idée, un moyen gentillet de rendre la monnaie de leur pièce aux deux sœurs de Dimitri et de rire un peu à leurs dépens comme elles avaient voulu rire à ceux du forain. « Tu sais quoi ? C'est diabolique, et exactement ce qu'il me faut pour les prendre à leur propre jeu. Irina a même de la chance que je sois pas assez sadique pour lui faire croire que j'ai croisé son mari sur le lieu du rendez-vous. » Parait-il que c’était dans la capacité à se compléter dans les âneries que l’on reconnaissait ceux qui pouvaient devenir des amis – si tel était le cas Dimitri et Tommy étaient sur la bonne pente pour devenir inséparables. Assez pour que l’idée du brun ne fasse glousser le Warren, paille dans la bouche. « Là, j’aurais limite payé pour voir sa tête quand tu lui aurais annoncé. » Il n’avait peut-être jamais rencontré la dénommée Irina, mais cela ne l'aurait probablement pas empêché de trouver sa réaction à mourir de rire. Car tout cela au fond semblait n’être que le dernier acte d’une comédie qui durait depuis déjà un moment, une machine bien huilée dans laquelle Dimitri s’était, de son propre aveu, plus ou moins laissé entraîner « Un certain nombre. Mais c'est un peu ma faute, j'ai pas su dire stop quand il aurait fallu et je crois que l'état actuel de ma vie sentimentale n'a pas aidé à les raisonner. A croire qu'il faut forcément se trouver quelqu'un pour être épanoui. On n'est pas bien, là, entre potes célibataires, seuls hétéros à siroter un coca dans un bar gay ? » En réponse à cela, Tommy avait levé son verre pour trinquer une seconde fois avec Dimitri, préférant s’en amuser plutôt que de s’attarder trop profondément sur le pathos de leur situation à tous les deux. « J’ai droit plus ou moins au même refrain, si ça te peut rassurer. » Pas que cela ait quoi que ce soit de rassurant en réalité, mais on se sentait toujours un peu mieux de ne pas se savoir seul … Tommy se sentait presque mieux de savoir que cette lubie n’était pas spéciale à ses sœurs, en tout cas. « La vérité c’est que même si j’en avais envie je ne sais pas si j’aurais le moindre temps à accorder à quelqu’un … Le temps passe déjà tellement vite. » Tellement vite que sa fille avait déjà dix ans, tellement vite que bientôt viendrait ce temps où elle n’aurait plus besoin de lui, où elle le trouverait trop envahissant, trop vieux, trop ringard, et le temps qu’il aurait à consacrer à une femme c’était du temps en moins à consacrer à Moïra tant qu’elle lui en donnait encore l’occasion. « Enfin, si ça se trouve tes sœurs voient ça comme leur baroud d’honneur … Elles se marrent un coup et elles lâchent l’affaire ? Ton calvaire touche peut-être à sa fin. » Drôle de façon d’admettre à leur frère qu’elles le laissaient tranquille et acceptaient qu’il se montre désespérant – à leurs yeux – mais pourquoi pas ?

 

sleepless nights.

TOMMY & DIMITRI.

Son histoire avec Tamsin, une longue histoire ? C'était le moins qu'on puisse dire, et pourtant Dimitri n'avait pas prévu d'entrer dans les détails face à un Tommy probablement pas impatient de l'entendre conter les rebondissements de sa vie amoureuse. Mais parce qu'ils étaient ici à cause de lui et parce que son ami avait consenti à l'accompagner à un rendez-vous pourtant tout sauf enthousiasmant, il lui devait bien une version un peu plus détaillée que celle qu'il servirait à un inconnu qui lui demanderait pourquoi, à son âge, il n'avait toujours ni bague au doigt ni siège auto. Et puis, Tommy devait sûrement se douter que si ses sœurs n'avaient rien trouvé de mieux que ce rencart organisé pour mettre sur son chemin une représente du sexe opposé, c'était entre autres parce que son historique sentimental n'avait rien de très glorieux. Alors il entama son récit, avec heureusement un recul différent de l'époque où Tamsin était sortie de sa vie, événement après lequel il avait eu beaucoup de mal à remonter la pente. Parce qu'outre la rupture, c'était d'être tombé de haut sans l'avoir vu venir qui avait été le plus compliqué à encaisser. Se retrouver seul du jour au lendemain, quand dans un coin de notre tête on commençait doucement à faire des projets, c'était littéralement une douche froide. « La seule chose qu'elle a laissé, c'est un mot dans lequel elle demandait pardon. A l'époque ça a soulevé d'autant plus de questions, alors j'ai retourné ça trente-six fois dans ma tête mais tout ce que j'arrivais à faire c'était à me reprocher d'avoir eu le sommeil lourd, ce matin-là. » Réflexion stupide, pour quelqu'un qui avait mis du temps à se résigner lorsqu'aucune explication n'était venue apporter un semblant de sens à cette situation. Il n'avait pas pu retenir la femme qu'il aimait et n'avait jamais su pourquoi elle était partie, ce qui l'avait laissé face à un mur de questions plus insupportables les unes que les autres. Partie pour un autre homme, pour une femme qui sait, parce qu'elle était en danger ou parce qu'elle ne l'aimait simplement plus... « T'excuse pas. C'est pas si souvent que je me sens assez à l'aise pour raconter toute l'histoire. Et mes sœurs préfèrent sûrement que je te la raconte à toi plutôt qu'à la fille que je suis censé retrouver. » Il précisa, un léger sourire aux lèvres, songeant qu'il était de toute façon inconcevable qu'il se confie à ce sujet à quelqu'un qu'il verrait pour la première fois. Non pas que la carte du type traumatisé ne soit pas intéressante à jouer pour la faire fuir, mais il n'était pas prêt à tout. Tommy et lui commandèrent alors un soda assurément plus raisonnable que ce qu'il prenait habituellement, et Dimitri se surprit à évoquer son beau-frère qu'habituellement il mentionnait très peu. Et pour cause, ils n'avaient pas tant d’atomes crochus que ça, bien que le mari d'Irina soit quelqu'un de sympathique et – il osait du moins l'espérer – de droit. « Si, je suis même quasiment sûr qu'il en a plusieurs. Sa famille a un peu des airs de Clan Kennedy, je serais pas surpris que les parents comptent sur le fait que les enfants passeront leur vie à s'entre-tuer pour hériter de l'empire familial. » Ce qu'il n'avait vraiment découvert que lorsque sa sœur avait épousé l'un d'entre eux, dont les valeurs familiales semblaient bien loin des leurs. « Alors quelque chose me dit que tu préférerais encore savoir ta sœur mariée à son boulot qu'à ce genre de type. A moins que ce soit vraiment critique ? » Peut être, après tout il semblait y avoir certaines similitudes entre sa sœur et Irina, ce qui prêtait presque à sourire étant donné que Tommy et lui se ressemblaient aussi sur plusieurs points. Ce n'était pas un hasard si c'était à lui qu'il avait proposé de l'accompagner ce soir.

En tout cas, s'il y avait bien une chose qu'il ne pouvait pas enlever à ses sœurs, c'était leur sens de la plaisanterie et un certain talent pour rendre une situation complètement cocasse. Pour sûr que ni Tommy ni lui n'aurait pensé que ce rendez-vous trouverait cette tournure, mais le bon coté des choses était assurément qu'il n'aurait pas à subir d'interrogatoire de la part d'une inconnue. Et s'il avait craint l'espace d'un instant que Tommy regrette d'avoir fait garder sa fille, sa précision arracha à Dimitri un sourire attendri. « Je vois, pour elle c'était donc quoi qu'il arrive le programme parfait. Et elle a dix ans, c'est bien ça ? Est-ce que j'ai raison de penser que les filles de notre entourage sont beaucoup trop malignes pour notre bien ? » S'il eut un sourire, Dimitri n'en était pas moins convaincu que Tommy et lui ne pouvaient rien contre leur redoutable capacité à comploter, calculer et arriver à leurs fins sans qu'ils n'aient même le temps de réagir. Et même si au fond, Tommy devait largement y trouver son compte dans l'idée de faire plaisir à sa fille, qui finalement réagissait sûrement comme n'importe quelle enfant devant un pot de glace. Et parce que sa curiosité était piquée maintenant qu'il se rappelait que Tommy avait bossé dans un bar en ville, il creusa la question sans savoir si son ami aimait en parler. Une ancienne expérience professionnelle, c'était parfois un sujet sensible, et visiblement cette histoire était un peu compliquée. « Je comprends, après tout ce temps j'imagine que tu devais plus pouvoir voir le comptoir et les clients en peinture. Sauf s'ils donnaient de bons pourboires. » Un air à nouveau amusé pour marquer la plaisanterie, Dimitri fut néanmoins légèrement surpris que Tommy  n'ait pas encore eu l'occasion de retourner sur place. « Et t'as pas l'air d'un type qui se satisfait de travailler éternellement au même endroit, à faire les mêmes choses. » C'était une observation amicale, peut être inspirée par le fait que Dimitri se rangeait lui-même dans cette catégorie, ceux qui finissaient par tourner comme des lions en cage, en dépit du fait qu'il n'ait pas vraiment eu le choix lorsqu'il avait repris l'affaire de son père. « Mais si tu cherches un jour quelqu'un pour t'y accompagner et t'assurer que la bière n'a pas perdu en qualité, n'hésite pas. » Et appuyant sa proposant d'un clin d’œil amical, Dimitri songea que ce serait aussi l'occasion de remettre ça, un soir où cette fois il n'aurait pas cédé aux envies de ses sœurs, et de se montrer un peu moins raisonnable ce coup-ci.

Et tandis que l'idée de Tommy lui avait tiré un tel rire qu'à coté d'eux un couple d'hommes s'était retourné pour leur lancer un regard curieux, Dimitri songea à un plan de vengeance plus diabolique encore, mais qu'il veillerait à ne pas appliquer s'il ne voulait pas risquer de se mettre sa sœur à dos pour le reste de ses jours. « Et bien immortalisé la mienne dans ton esprit avant, j'espère, parce que connaissant ma sœur la plaisanterie ne l'aurait pas vraiment amusée. » Disons que s'il avait été assez convaincant pour qu'elle le croit, il aurait été forcé de désamorcer la bombe avant qu'Irina n'écharpe son mari, ce qui lui aurait probablement valu d'y laisser lui-même quelques plumes. Il pouvait alors sans doute s'estimer heureux que son beau-frère ne soit pas connu pour fréquenter ce genre d'endroits. Et finalement, entendre de la bouche de Tommy qu'il n'était pas le seul à considérer qu'il faille forcément fréquenter quelqu'un pour se dire heureux le rassurait, plus qu'il ne voulut le montrer. Ses sœurs lui rabattaient tellement les oreilles que Dimitri en arrivait le plus souvent à esquiver les questions qui portaient sur sa situation. Et il le savait, dans le cas de Tommy c'était d'autant plus particulier qu'il avait été marié, était veuf et père. « C'est vrai, et dans ton cas tu peux même te targuer d'avoir l'amour de ta fille, c'est plus précieux que n'importe quoi d'autre. » Il en était non seulement convaincu, mais aussi attendri et forcé de reconnaître qu'il enviait Tommy sur ce point-là, son désir d'enfant étant enfoui en lui depuis des années mais néanmoins bien là. « Cela dit, peut être qu'un jour c'est elle qui en viendra à souhaiter que tu refasses ta vie. Quand elle sera en âge de prendre son indépendance et que l'idée de savoir son père seul lui fera de la peine. T'y penses, parfois ? » A ce que ce soit peut être un jour sa fille qui chercherait à mettre une femme sur sa route pour qu'il retrouve le bonheur. Dimitri ne voulait pas se montrer indiscret ou maladroit, il supposait juste qu'une enfant qui grandit pense de moins en moins à garder son père rien que pour elle et aspire de plus en plus à le voir heureux avec quelqu'un. « Sincèrement, j'espère. J'ai pas l'intention de passer une année de plus à jouer le jeu juste parce qu'elles aimeraient que je trouve quelqu'un. Avec le nombre de femmes que je croise tous les jours au parc, si j'avais du avoir le coup de foudre ce serait déjà arrivé. » Il avait beau plaisanter, et même s'il se contentait le plus souvent de leur vendre une place pour son attraction, Dimitri croyait bien plus aux rencontres hasardeuses et naturelles qu'aux rendez-vous arrangés comme ce soir. « N'hésite pas à passer au stand avec ta fille quand tu veux, d'ailleurs. Ça va sans dire mais je fais pas payer les amis. Encore moins ceux qui m'accompagnent dans de telles galères. » Si ça se passait effectivement de précision quand on connaissait Dimitri et son sens de l'amitié, ce n'était jamais qu'une nouvelle occasion de souligner en revanche celui de Tommy, qui ne l'avait pas laissé tomber même quand la situation était devenue définitivement sordide, et c'était peu dire.