Quand Freya reçut le message de Jill, elle était en train de gueuler sur son frère (pour changer) qui l’a surprise d’un coup de poing bien placée dans la porte de leur salle de bain. Résultat, le précieux objet tactile lui glisse entre les mains et fait un vol plané dans les toilettes. For god fucking sake. Elle va se le faire, un de ces jours, celui-là, elle le jure sur sa propre tombe – parce qu’il parait qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Quand la brune sort de l’antre de l’hygiène et de la propreté (tout ce que leur appartement n’est pas), c’est pour balancer un bouquin à son jumeau qui avait ce fichu œil complètement abruti qui lui scie si bien (il faut l’avouer, il faut assumer son côté con quand on en a un). Heureusement le précieux objet indispensable pour survivre au troisième millénaire n’a été que secouer par son premier (et unique) bain de sa vie électronique.

Mais quand Jill lui confirme qu’elles peuvent du coup s’en trouver un autre, Freya eut un léger rire. Attrapant ses clés en faisant tourbillonner le trousseau autour de son doigt – les précieux clés, si précieuses qu’elles les choient avec tendresse et amour depuis quelques semaines – elle vérifie de son autre main qu’elle a bien son portefeuille sur elle (mais ça aussi, elles peuvent trouver ça sur place). Les boites de nuit, ce n’est pas trop son truc. La musique est forte, il y a trop de gens pour vous toucher, pour penser que vous voulez un coup dans les toilettes entre deux bandes son. Non seulement ce n’est pas son genre mais en plus, elle a un copain. Deux critères de taille pour rester sage avec autrui et leur passion dégueulasse.

Mais quand Freya repère (enfin) la tête de Jillian, elle se dit que des conneries vont quand même arriver durant cette soirée. Et qu’il n’y a pas besoin d’avoir du sexe pour que les ennuis arrivent. Mais c’est avec un large sourire qu’elle se dirige vers sa partenaire de crime, grommelant un peu au passage tout en jouant des coudes. « Hey ma B, comment ça va ? » Cette dernière finit par atterrir sèchement sur le bar, les bras sur le comptoir, comme si elle venait de traverser une horde de furie. « P’tin, ça pourrait aller mieux si les gens pouvaient genre disparaitre ! Et toi, darling ? »

« Il se passe que des merdes dans ma vie en ce moment ! Je suis contente de te voir ! Il se passe des trucs intéressants dans ta vie à toi ? » Jill commande une tournée et Freya la regarde déjà comme si elle était la putain de huitième merveille du monde. Et elle n’avait presque aucun alcool dans le sang. « Quels genres de merde ? Tu t’prends la tête ? Avec qui ? Est-ce que tu veux que j’aille péter des dents ? J’sais que j’ai pas l’air mais j’peux avoir d’la force quand je veux. » Oui, Doherty aime bien se prendre pour wonder woman de temps en temps. Surtout au bout du cinquième verre. Et puis, qui n’aimerait pas être wonder woman, sérieusement ? Les verres arrivent devant elles et Freya s’en empare d’un qu’elle engloutit cul sec. Il faut bien trouver un moyen d’accepter cette surpopulation dans un espace réduit le plus rapidement possible. « J’traine entre deux mondes. Un jour ça va et puis après, ça va plus. T’sais, on l’avait déjà évoqué. » Doherty tapote sa tempe. « Tourne toujours pas rond là d’dans. Mais bon… J’ai mon jumeau qui continue à m’rendre dingue, j’ai un gars sympa qui m’est tombé sur la gueule comme ça, j’travaille toujours avec mes morts… Oh, j’ai fait un petit road trip avec une copine. Et une autre. Enceinte. Qu’a perdu du sang en se baignant dans une rivière. J’te raconte pas la trouille de ma vie. » Les mots défilent presque déjà comme décousu mais elle s’en fiche, Jill devrait pouvoir suivre. Depuis le mois qu’elles se fréquentent – peut être pas de meilleure influence l’une comme l’autre – elles ont eu le temps de développer leur langage et surtout de trouver leur chemin ensemble. Et ce qui est sympa, c’est que ce n’est pas droit mais qu’elles y vont quand même. Et ça, ça rend la présence de Jill encore plus fun.

Foule, gens, population, humains, masse. Elle étouffe alors qu’elle vient d’arriver. Mais c’est pas grave. Freya a retrouvé Jillian, elle a retrouvé sa sœur d’un autre temps (elle en est persuadée) et elle n’a plus qu’à lui coller aux basques toute la soirée pour ne pas se laisser envahir par l’océan de corps qui se trémousse et qui picole allègrement dans les quatre coins du club. Oh, des verres, oui, bonne idée ! C’est clair que l’alcool aide toujours, c’est bien connu. Mais, pardon ? Freya regarde avec un sourcil relevé et l’autre froncé (oui, elle sait le faire, croyez le ou non) tout en regardant le clin d’œil que lui adresse son amie. « Hein ? J’sais pas mais j’ai l’impression d’avoir loupé un épisode là… Tim genre, le mien ? » Il n’y a pas à dire, c’est une façon très claire de s’exprimer et encore plus de demander de précision. Comme si Jill sait quel Tim est le sien, il doit y en avoir un paquet à Brisbane, capitale et ville la plus peuplée de son Etat. Mais Freya n’a pas encore bu, alors elle a vu le clin d’œil, de ses propres yeux et même si elle n’est pas profileuse ni comportementaliste, elle sait ce que ça veut dire. Enfin, elle pense savoir. (Et franchement, dire que Tim est le sien, ça la rend quand même un peu fière… Idiote, mais fière.)

« Oh fuck, girl ! T’es sérieuse? Merde, et pourquoi ? Le brunch, le brunch… Rappelle moi déjà ? C’est si tendu qu’ça ? Ecoute, si jamais t’as b’soin de crécher quelque part, hésites pas à v’nir squatter chez moi, hein. » Ce n’est pas le luxe, l’appartement des Dohertys, c’est même carrément l’inverse mais au moins, Jill pourra ne pas subir la tension avec Bailey sans être foutue à la rue. C’est quelque chose qui fait tellement flipper Freya. Être sans logement, ne plus pouvoir payer le loyer, c’est une constante familiale il faut croire. Son père cumulait deux jobs, son aîné finissait par dealer, ils n’ont toujours connu que les galères et les fins de mois difficiles. Et la tendance ne va pas en s’améliorant. Il n’y pas un Doherty qui est destiné à un avenir prometteur, de toute façon.

Freya boit un shot puis un deuxième alors que Jill lui affirme qu’il doit bien y avoir des gens de la gente féminine à qui perdre des dents leur ferraient du bien. La blonde rigole légèrement tout en levant un verre. « Faut suivre l’odeur, j’pense. Ça se sent, la connerie, nan ? » Doherty finit le verre levé avant de se retourner pour s’accouder au bar et observer les gens. Elle sourit à Jill quand celle-ci lui confirme qu’elles devraient se mettre sur la même timezone de leurs cerveaux. « Mais on s’ra toujours synchro, darling, t’inquiètes pas ! » Elles n’ont pas vraiment plus approfondi le sujet depuis leur première rencontre mais Freya reste persuadée que Jill a quelque chose qui ne tourne pas rond aussi dans la tête, elle aussi.

Freya fait un doigt d’honneur à une fille qui la regarde de haut en bas alors que McGrath est en train de lui parler de son frère et autre. Elle passe la main dans ses cheveux tout en haussant les épaules. « J’sais pas, j’ai trop de bonté faut croire. Hey, c’était pas prévu, je savais même pas moi-même dans quoi je m’embarquais ! » Erin a déboulé un dimanche matin pour lui demander de faire son sac. C’est très étrange mais c’était terriblement palpitant. « Ah nan, j’te confirme que j’aurai bien aimé ne pas être là non plus. J’suis plutôt coriace mais j’ai tellement flippé, j’croyais qu’elle perdait sa gamine ou quelque chose comme ça. M’enfin, tout est bien qui finit bien, elle a accouché tranquillement quelques semaines plus tard. » Mais franchement, plus jamais elle ne veut revivre une telle situation. « Déjà, faut qu’on s’trouve quelqu’un ou quelque chose pour payer nos consos. On va pas tout payer, quand même. On est assez fauchées comme ça, hein. » Freya prend un nouveau shot et elle secoue la tête, la bouche s’enflammant tout d’un coup. « Après, j’sais pas… Tu veux faire quoi ? J’te préviens, j’monte pas sur la scène pour faire leur… Leur show là hein. » Elle désigne de la tête les hommes et les femmes de la boite qui se dandinent sur une estrade, sûrement pour donner l’ambiance. Freya et la danse, ça fait douze.

Freya la regarde avec une expression perplexe puis étonnée avant de froncer des sourcils. Ce que lui raconte Jill, c’est genre complètement dingue, pas vrai ? Dans quel monde deux personnes aussi différents que Jill et Tim se connaissent ? Et apparemment, la brune en face d’elle semble bien fière – d’elle-même ou de Tim, pour le coup, Freya ne serait pas trop dire. Non, cette dernière n’a pas encore bu une goutte et déjà, il y a un court-circuit dans sa tête. « Wow, okay, je m’attendais pas à ça. Limite j’ai les fesses qui m’en tombent. » Et les bras, oui, aussi. Le monde est drôlement fichu, parfois. (T’as même pas idée.) Mais Freya finit par retrouver un petit sourire timide qui s’agrandit alors que Jill la bouscule gentiment. « Il a bien écouté le message, en tout cas. J’comprends mieux pourquoi il m’a pas laissé l’éviter si t’es derrière le pep talk ! Mais ouais, clairement, il est tout à moi, maintenant. Grâce à toi ? » Une interrogation sincère alors qu’elle se prend un nouveau shoot à se foutre entre les lèvres. L’impulse est donc venue de Jill – ce qui veut dire que Tim lui a parlé d’elle en amont. Franchement, ça ne parait rien mais savoir que le jeune homme est visiblement allé demander conseils auprès d’une amie pour l’atteindre, ça lui gonfle son petit cœur un peu plus. Et elle en avait bien besoin. Quand il lui a confié qu’il allait à la première échographie de son gamin, on ne peut pas dire que Freya en a été forcément réjoui. Mais c’était dans le contrat et elle l’a accepté (presque) sans broncher.

Est-ce que c’est pour ça qu’elle juge avoir mérité sa soirée après avoir passé la journée à planter furieusement (malgré elle, elle essaie de se dire) sa pioche dans la terre au cimetière ? Il y a sûrement un effet de cause, c’est sûr.

Jill finit par la distraire en lui racontant tout le récit avec sa famille et le fameux Bailey. A vrai dire, elle a le temps de boire deux mini verres le temps du discours – et un autre pour essayer de comprendre. Freya eut un léger sifflement, visiblement impressionnée. « P’tain, meuf, tu m’avais parlé de cette histoire de pari mais t’as fait fort, quand même ! J’crois que t’as bien mérité une pause, hein. Ce soir, demain, dans dix jours, quand tu veux. J’veux savoir lequel entre toi et mon twin tiendra 48h sans hurler. » Doherty rigole en pensant au caractère de la McGrath face à celui de Tobias. Heureusement qu’elle pourra toujours se réfugier chez Tim si la tension devient trop palpable. Mais en vrai, ça serait tellement drôle. « Mais du coup… Tu l’aimes aussi ou pas ? » La question interdite. A vrai dire, elle ignore si c’est la vraie question dont elle veut avoir la réponse. Parce que son propre meilleur ami l’a foutu au pied du mur comme ça, il y a quelques mois, et que c’est finalement la réaction de Jill qu’elle veut connaitre plus qu’autre chose. Leurs vies ne sont qu’un ramassis d’erreurs et de faux pas, il faut croire. Subir tout ça à deux, c’est quand même bien plus fun.

Freya eut un signe de mea culpa en joignant ses deux mains ensemble. « Right, right, j’avais zappé. On va t’en trouver un qui t’plait. De téléphone, hein, pas de gars. Ou de fille. Ou autre. Pas d’discrimination. » Elle lui jette un petit regard de coin sous-entendu avant de prendre une nouvelle gorgée. Okay, c’est le verre qui lui fallait, la tête tangue déjà. Ses phalanges se serrent autour du petit shoot, ses yeux se ferment avec une force inouïe alors qu’elle essaie de reposer ses pieds au sol. Façon de parler puisque ses talons sont bien sur le sol mal lavé de la boîte. Freya finit par reposer ses yeux sur Jill et elle secoue mollement la tête. Elles seront synchros, toujours, elles se comprennent sans en parler. Doherty ne sait toujours pas ce qu’a McGrath mais à vrai dire, elle ne cherche pas vraiment à savoir. Pas que ça ne l’intéresse pas. Mais parce qu’elles ont autre chose à faire, d’autres chats à fouetter et que, justement, elles font tous pour oublier leurs conditions mentales respectives. Il y a un accord tactique entre elles. Comme la règle numéro un du fight club : interdit de parler du fight club. Leur fight club, il est dans leur tête et il reste là où il est. On sait que c’est là mais on n’y touche pas, on n’y accorde pas plus d’importance qu’il ne faut. Et c’est très bien comme ça.

Aguicher quelqu’un. Alors qu’elle sort avec Tim. Ça lui pose un problème de conscience, là. Même si son cerveau qui commence à tanguer lui demande de la foutre au placard, sa conscience. Qui a besoin d’une conscience dans ces moments-là ? Freya n’est pas censée en avoir. (Mais c’est Tim. Ce qu’il ne sera pas ne l’achèvera pas.)  Doherty passe la main à la racine de ses cheveux pour les ébouriffer – comme si ça peut t’aider à trouver la solution parfaite sans que personne ne soit compromis. Elle finit deux shoots pour célébrer son accord sur la dernière phrase de son amie. « T’as raison, totalement. Par contre, si j’danse, pour le coup, il faudra que tu m’montres car j’sais pas faire ça, moi. » La jeune femme regarde Jill d’un œil brillant. « Encore pire s’il faut aguicher. » Parce qu’étrangement, séduire dans un club juste pour le fun, Freya ne sait pas faire. De ce côté-là, elle a beaucoup plus de retenu que Jill, qui semble bien plus à l’aise avec tout ça. Elle est dans son univers, après tout.

Quelques secondes qui suivent, les deux jeunes femmes sont en plein milieu de la piste. La musique est forte, Freya a le cœur qui est rythmé au son vibrant que lâchent les enceintes mises à pleine puissance. Doherty suit le rythme autour d’elle, elle regarde Jill en riant, l’alcool faisant office du boost dont elle a besoin pour lui donner les ailes. Se défouler un peu, sortir de sa zone de confort, oublier encore et toujours. Laisser Jill se dandiner contre elle, lui montrer les gestes osés à faire, rigoler un peu plus, avoir le rouge au visage – le bruit, la foule, l’ambiance, la danse. Alors qu’elle lève les bras en l’air tout en sautillant sur place – elle commence à avoir mal aux jambes – Freya s’approche de Jill pour lui hurler « J’crois qu’y a deux types là-bas ! ». La jeune femme montre du menton les deux hommes plus loin, hors de la piste, qui ont l’air de faire leur sélection sur leurs proies de la soirée. Comme si la piste n'est qu'une carte en 4D. Elle leur foutrait bien son pied entre les jambes mais elles ont besoin de tune – et d’un téléphone. Alors Freya leur sourit gentiment et fait un signe de la main dont l’un – le brun – lui répond en retour. « Yep, j’crois qu’on a une touche, là ! »

Le monde est vraiment bizarrement fait. Il y a deux mois que la tempête McGrath est entrée dans sa vie et voilà qu’elle joue déjà les entremetteuses dans ses relations amoureuses. Freya ne manquera jamais de marquer le coup, d’en parler sûrement à Tim à l’occasion. Est-ce qu’il y a d’autres gens de son entourage qu’ils ont en commun ? Voilà qui pourrait être drôle de vérifier éventuellement. Mais pour l’instant, Freya sourit avec amusement en voyant la réaction d’hilarité de Jill et secoue la tête face à son propos. «  Joli p’tit cul, hein ? » dit-elle avec un clin d’œil soutenu avant de rire à son tour. La jeune femme se mord la lèvre et lève un verre alors que Jillian lui affirme qu’elle les voyait bien ensemble. C’est maintenant une réalité, aussi surprenant et assez irréaliste que cela soit. Elle ignore un peu dans quoi elle s’est embarquée, et surtout dans quoi elle a embarqué Tim. Avec tous ses bagages, tous ses défauts, tous ses faux pas, Freya sait qu’elle n’est pas un cadeau. Et pourtant, Decastel a réussi à effacer ses doutes et ses aprioris. Il est arrivé comme un boulet de canon et… Merci Jill, apparemment, pour ça. Un nouveau Tim qu’elle espère ne pas briser.

Les yeux bruns de Freya se baladent sur la foule devant elle, sur l’ambiance lascive des corps habitués à la vie nocturne. Elle tend l’oreille pour pouvoir entendre son amie à travers tout le boucan qui résonne dans la boîte. «  Y a moyen, vous risquez de vous étriper au bout de deux heures mais franchement, j’suis prête à prendre le risque. » La suédoise imagine tellement la scène et elle s’en marre d’avance. Parce qu’elle commence à un peu alcoolisée mais surtout parce que c’est vraiment une image absolument extraordinaire. Voir son jumeau se faire rabattre son clapet par quelqu’un est un vœu et un espoir qu’un jour elle espère être témoin. Peut-être que Jillian est exactement la personne qu’elle a besoin pour ça. Freya finit par porter ses yeux sur son amie pour la voir baisser la tête et lui affirmer qu’elle a apparemment retourné les sentiments du jeune homme. Freya se pince les lèvres. «  C’est souvent comme ça qu’ça s’passe. Bon, j’propose une soirée sans parler d’mecs, de cœurs et de sentiments ! » La jeune femme trinque à ça. Elle n’a plus envie de penser à tout ça pour l’instant. Elle a besoin de se défouler, là, elle a la tête qui commence à partir en vrille, elle le sent venir depuis plusieurs jours et Jill est la parfaite distraction pour mettre tout en veille.
Jill repose tous ses espoirs pour son futur téléphone et leurs futures proies sur elle et ça au moins, Freya connait son sujet. Elle maîtrise l’art de dégoter les meilleurs plans – ou en tout cas, ce qu’elle pense être les meilleurs plans. «  J’suis plus branchée mecs mais j’ai testé les meufs cet été. Deux d’un seul coup, j’ai frappé fort. » Elle ne se sent pas de préciser qu’elles étaient toutes les trois sous alcool et drogue. Mais en tout cas, même avec le tout mélangé, la suédoise en garde des brides mémorables dans sa cabosse. Jill décrète des mecs donc des mecs seront les victimes de leurs crocs et leurs griffes acérés. Elles n’ont aucune pitié, Jill et Freya. Elles s’amusent, elles jouent, elles se laissent aller. Elles s’en fichent des conséquences, de leurs actes, de leurs gestes, de leurs paroles. A chaque fois qu’elles sont ensemble, il y a quelque chose de grisant qui s’opère, une liberté complète et le sentiment de pouvoir tout faire. Sans devoir faire preuve de retenu, sans prendre de gant, sans avoir la peur d’être jugée.

Pour le coup, le maître devient l’élève tandis que l’inverse s’opère. Danser, ce n’est pas si compliqué. Mais vient la partie où le contact visuel avec deux types s’opèrent et là, c’est autre chose. Jill lui glisse les rouages à opérer pour les mettre dans leurs poches – si Jill est la façade souriante et séductrice captant leur attention, Freya sera la main qui se glissera tranquillement dans la poche pour y récolter son dû. Mais d’abord, il faut que les gars déboursent quelques billets colorés et leur paient quelques tournées pour être sûr de ne pas avoir perdu leur soirée. La suédoise grimace avant de secouer fébrilement la tête « T'es prête B ? » Oui (non) prête (pas du tout). Jill veut les faire danser avant de les embarquer sur une table. Ce qu’ils font. A peine dix minutes parce que Freya n’a pas assez bu pour ce genre de conneries. McGrath semble capter ses appels à l’aide silencieux. Et là, la phrase magique tombe. « Non mais c'est bon, on a une table au coin VIP déjà. » Elle ne peut déjà pas les piffrer mais elles ont des objectifs à remplir ce soir. Alors il faudra ce qu’il faut pour les ôter de la liste. Même si elle n’aime pas, même si ça lui fout un problème de conscience énorme. Comme si elle n’en fait pas déjà assez comme ça. Et si Jill raconte tout à Tim ? Si en faites elle la surveille pour lui faire un rapport le lendemain ? Pour tester sa fidélité ou une connerie comme ça ? Purée, Freya sent ses membres réclamer leur dose d’éthanol avant qu’elle se tape la tête contre le mur face à ces pensées qui tournent. Il faut les faire taire, il faut qu’elles dégagent le plus rapidement possible. « Ma proposition drogue tient toujours ! » La suédoise tourne la tête brusquement vers Jill. Oui ! (Non, putain, t’as promis à Quinn !) La main tendue, fébrile, ça peut aider. «  Fais tourner. » Ce n’est même plus une demande mais une nécessité, un ordre. C’est la deuxième fois qu’elle retombe mais ce soir, elle s’en fout. Il faut faire taire, il faut apaiser, il faut faire crever son mal intérieur qui prend le dessus. Freya a l’impression d’être la fichue adolescente qu’elle était, à quémander, prête à offrir son âme, ses parents, ses frères pour une maigre dose. C’est tellement mauvais, c’est dangereux, mais elle est conne et elle n’a pas de résistance. Ses doigts frémissent comme si le manque se fait déjà ressentir – et ce n’est pas qu’une sensation, elle a littéralement les veines qui palpitent d’impatience. Jill lui fourre un sachet dans les mains et Freya ne regarde même pas ce qu’il contient que c’est déjà renversé sur sa langue, pétillant comme du sel.

«  On vole celui qu’aura la meilleure came. Au pire, on peut les voler les deux et choisir plus tard. J’pense que tu pourrais les distraire pendant que je m’occupe de leurs poches. T’sais, ils ont une table VIP, c’est un peu privé, tu peux leur faire un peu ton show, nan ? » Elle a vu un show sous les demandes de John et Jillian. Et manque de bol, c’était le meilleur ami de Tim. What a fucking small world. Freya ne demande pas à Jill de se désaper mais au moins de se dandiner comme elle sait le faire. « Mais d’abord, on picole. Ça va aider à les endormir. Mais j’t’avoue que ça me fait chier de me laisser peloter par un type qui pense pouvoir tirer son coup. » Parce que non, ce soir – ou même le petit matin, ça dépend à quelle heure elles sortent – c’est chez Tim qu’elle ira mourir en paix après une nuit trop arrosée.
Le groupe arrive dans le fameux coin VIP et comme prévu, c’est plus fermé mais avec une vue imprenable sur la scène et la piste de danse. La musique y est presque encore plus forte et le sol semble trembler sous leurs pieds. Le brun lui attrape la main et c’est avec une grimace qu’elle tente de dissimuler que Freya atterrie sur ses jambes assises. « Bon alors, on vous paie un coup ? » La suédoise penche la tête tout en secouant la tête. «  C’est votre technique pour baiser des meufs, ça, hein ? Les faire boire ?, elle jette un coup d’œil vers Jill,  Vous avez d’la chance qu’on apprécie l’alcool, (entre d'autres activités) elle trace des dessins sur l’épaule du brun,  Surtout s’il est fort. Du genre à vous faire tenir toute la nuit. » Elle ose faire des sous-entendus alors qu’elle a juste envie de lui dire de dégager sa main de sa hanche. Freya commence à se sentir un peu plus détendu alors que l’autre type, le blond, revient après avoir commandé une tournée avec un sourire de coin « Vous inquiétez pas, les filles, on a de quoi tenir l’endurance toute la nuit. »

Les verres arrivent et Freya, innocente et sentant (enfin) ses muscles relâcher la pression, relâche la tête en arrière tout en se berçant par la musique, la main allant agripper pour recueillir l’objet avec le liquide précieux. «  A une soirée de collaboration intrigante ! » Elle fait un léger clin d’œil vers Jill avant de demander «  C’est vous qu’offrez, pas vrai les mecs ? » « Bien sûr, tu nous prends pour qui ? » Pour des suces merde mais ça, ça reste dans la tête. Alcool et téléphone avant, les objectifs, ne pas les perdre de vue. Alors Freya fait exactement ce que Jill lui a dit : elle glousse et le regarde comme une enfant de trois ans devant son cadeau le plus attendu. Elle est légèrement alcoolisée et déjà défoncée par ce que son amie lui a donné, ça passera crème, n’est-ce pas ?

Jillian est la bonne personne pour se distraire le temps d’une soirée. Freya n’avait pas le moral au beau fixe ces derniers temps et le pire c’est qu’elle en fait pâtir Tim. Et ça la ronge, ça la bouffe, comme à chaque fois qu’elle fait subir aux personnes qu’elle aime ce qu’il se passe dans sa tête. Elle pourrait en parler à Jillian, qui semble pouvoir la comprendre mieux que personne. Elle pourrait mais elle ne veut pas. Quand elles se voient, un poids se libère, les épaules qui s’allègent considérablement. Alors non, on n’en parle pas parce qu’elles ont autre chose de plus intéressant et palpitant à faire. « Chez les Doherty, on fait jamais les choses à moitié. C’est une expérience en tout cas. On était stones mais t’inquiètes, les sensations sont encore là. » Freya en glousse de plaisir quand elle repense par flashback à cette soirée – cette nuit plutôt.

Jillian semble d’accord avec son plan, comment elle peut dire le contraire de toute façon ? Il suffirait même de glisser une de ces pilules dans leurs verres de faux princes charmants et byebye, elles seraient débarrassées en moins de temps qu’il ne faut le dire. Mais il faut avouer que c’est moins drôle, moins fun et moins grisant. Et les deux filles, elles aiment l’adrénaline, le danger, la palpitation de savoir si le coup va être magique ou si elles vont se planter. Mais non, B&B ne se plantent jamais, elles maîtrisent, elles gèrent. Freya a appris à être plus en confiance avec Jill à ses côtés, partageant avec plaisir l’une et l’autre leurs savoirs et leurs qualités respectifs. Certains verraient là deux filles qui cherchent les emmerdes et… Ils n’auraient pas tort. Elles fouillent pour rechercher ce que l’humain peut faire de plus moche parce que ça les éclate. Elles se poussent à l’extrême, elles s’entrainent mutuellement dans des galères mais tant qu’elles en rient, rien ne peut leur arriver, n’est-ce pas ? « Ouais, okay, c’est moi, nan, c’est nous qui gérons. J’aime bien tes pep talks, décidément. » Et au pire, elles ont toujours l’échappatoire d’un coup là où ça fait mal si elles ont un problème. C’est bien trop facile de les mettre KO, les mecs, surtout ceux de ce genre-là. Freya rigole quand Jill lui propose une autre tactique, celle de crier au viol. Okay, oui, ça peut toujours fonctionner, si la musique n’était pas aussi assourdissante.

« T'es un puits sans fond toi ! » La jeune Doherty arque un sourcil avant de prendre un énième verre, la tête qui tourne un peu trop déjà, observant Jill faire son manège avec l’autre type. Elle leur propose un show, son compagnon à elle la regarde et Freya hausse les épaules alors que son amie le rassure en lui affirmant qu’elles partagent tout. La suédoise a un léger sourire en gobant le liquide du verre. « Tu peux regarder, j’tâcherai de garder ma jalousie pour moi » qu’elle murmure au type à côté d’elle. Un jeu, c’est un jeu, putain. Freya ravale ses commentaires acerbes qui menacent de tomber de ses lèvres avant de se relever maladroitement. Oui, l’éthanol, la drogue, l’adrénaline tout ça, ça tape fort. « Vais juste au p’tit coin, ça descend vite ces trucs. » Basique mais efficace pour s’échapper. Elle aurait presque envie d’envoyer un message à Tim pour lui dire à quel point elle est désolée mais franchement, c’est ridicule. Si jamais Tim vient à apprendre un tiers de ce qu’elle fiche avec Jill… Elle n’ose même pas imaginer sa réaction.
Quand elle revient, Jill est en train de se déhancher avec passion et les deux gars n’ont d’yeux que pour elle. Freya passe son pouce entre ses dents, se rongeant furtivement l’ongle. Elle passe près d’une veste abandonnée par l’un d’entre eux ; elle palpe légèrement, touchant en toute innocence les bosses de poches garnies. Des clés apparemment, un porte feuille intéressant, mais le téléphone… Pas d’objet plat et fin sous le toucher. Elle soupire légèrement en pensant que ça aurait pu être simple mais non. Un des types lève la tête vers elle et Freya sourit, pour l’amadouer. Il n’a pas l’air aussi happé que son pote, ses yeux sur elle avec appétit ou… méfiance ? Ça ne l’arrange pas. « Un verre ? Le show te plait pas ? » Le type prend le verre qu’elle lui tend avant de hausser les épaules. « Les strips, c’est plus son délire que le mien. Je préfère faire connaissance de façon plus… spirituelle. » Qu’est-ce qu’il lui chante, là ? Depuis quand un type en chaleur n’apprécie pas un stiptease ? « Vraiment ? Ma copine te plait pas, c’est ça ? » Freya se penche en avant, les mains sur les cuisses du jeune homme pour remonter subtilement vers ses poches, n’oubliant pas son objectif. « Oh si, ta copine est très jolie mais…. » « Mais ? » Il passe une main à son cou pour la rapprocher. « Mais t’es encore plus jolie qu’elle. » Shit. Téléphone dans la poche, il va l’embrasser, ce n’est pas ce qu’elle veut. Alors elle dérive la tête, tourne pour qu’il embrasse sa joue au final et a un léger rire. « J’suis pas aussi facile à avoir, mon grand. » Freya pose ses mains sur ses flancs pour l’inciter à se lever. Parce que ça sera plus facile pour prendre le téléphone. Et elle se colle à lui tout en l’entrainant un peu plus loin. Elle jette un regard à Jill par-dessus l’épaule de son compagnon en lui désignant la veste du type avec elle ; pour le coup, elle le voit d’ici le téléphone de l’autre type. C’est le moment ou jamais pour l’élève de montrer ce qu’elle a appris et retenu.
Doherty coince son propre compagnon près d’un mur et se met à le palper avec délicatesse. Il n’est pas aussi bourré qu’elle l’aurait voulu mais tant pis. Elle ne veut pas continuer ce jeu plus longtemps. Et le type qui la touche, qui la caresse, ça lui donne envie de vomir. La jeune femme se met donc à lui embrasser le cou parce que merde, c’est la seule chose dont elle est capable de faire là. Elle fait en sorte que ses mains soient partout à la fois, sur son torse, ses bras, ses cheveux, ses cuisses. Juste de quoi le perdre un peu, l’attiser beaucoup et lui faire oublier que dans quelques minutes, elle aura son fichu téléphone entre les doigts.
Et ça ne manque pas. Freya l’attrape et le glisse dans la poche de sa veste tout en s’éloignant du type. Il a l’air frustré mais elle n’a pas une once de regret, bien au contraire. Elle devra prendre au moins dix douches pour essuyer tout ça. « Tu vas chercher d’autres verres ? J’suis sûre que ma copine voudra s’abreuver après l’effort de sa danse là bas. » Elle papillonne des yeux. « Okay. Mais tu t’éloignes pas, hein. » « J’oserai pas. » Le type lui caresse de nouveau la joue, elle en frémit (de dégoût) et il se tire. Freya se précipite vers la veste où le porte-monnaie traîne, regardant dedans avant que le compagnon de Jill détourne son regard vers elle – pas assez discrète ? « Hey, tu fais quoi là ? »

Et merde. Elle lève la tête d’un œil alarmé, son regard sur l’homme puis sur Jill en mode ‘‘sos !’’ parce que là, ça ne sent pas bon. Et quand l’autre type revient, accompagnée d’une serveuse et de leurs verres, il s’exclame encore plus fort. « Tu fous quoi avec mon fric dans tes mains là ?! » Okay, ça pue clairement du cul et elles doivent se tirer. Pronto.

« Les Doherty ? Tu t'appelles Freya Doherty ? » Elle n’a pas vraiment le temps de réagir mais ouais, c’est vrai que Jillian n’avait pas eu son identité complète jusqu’à maintenant. Freya avait complètement zappé mais bon, à ce stade des choses, elles ne sont plus à ça près. Cependant, pourquoi Jillian a l’air d’être aussi surprise, ça sera une question pour une autre fois. « Mais je veux bien te croire, je n'ai que des bons souvenirs quand je pense à mes plans à trois ! » La jeune femme rigole légèrement et finit son verre. Ouais, ça sera une question pour plus tard.

Des longues minutes plus tard, elles ne rigolent plus les deux filles. Elles ont abusé, elles ont tiré sur la corde, elles se sont bien amusées mais là, ça tourne au vinaigre. Elles ont peut-être trop pris la confiance, l’alcool et la petite pilule prise n’ayant pas aidés à les ramener sur terre, bien au contraire. Freya pourrait d’ailleurs se taper la tête contre le sol qu’elle aurait l’impression de planer ailleurs. C’est pour ça que les cris autour d’elle percutent sa boite crânienne violemment et elle n’a pas l’air de percuter tout de suite ce qu’il se passe. C’est Jill qui semble le mieux prendre en considération la merde dans laquelle elles sont, jusqu’au cou apparemment. La suédoise semble se réveiller quand son amie la prend par le poignet et, est-ce qu’elle essaie de la faire courir, là ? Oui, putain d’instinct de survie, ou de fuite plutôt, magne toi. Mais non, il y a un mur à glace qui apparait devant elles et Freya percute Jill qui s’est arrêtée net. Un deux trois… Sa copine fout un coup de pied là où il faut et le mur à glace grimace tout en se pliant en deux. Freya pourrait presque glousser devant la facilité qu’une petite nana peut abattre un si grand type mais Jill est déjà en train de l’entrainer dans les couloirs de néon de la boite – la sortie, elle est où, depuis quand c’est un labyrinthe bordel ? « B qu'est ce qu'on fait ? » Elle ne sait pas, B bis. Elle est paumée, les lumières font mal à la tête et elle a le cœur au bord des lèvres. La course et ce qu’elle a ingurgité, ça ne fait pas un bon mélange, bordel. « Je… J’sais pas, p’tain, merde, fait chier, on est mal, B, on est très, très… Très mal. » Freya regarde à droite puis à gauche avant de passer la main dans ses cheveux. Des ombres accourent et cette fois, c’est la suédoise qui prend la main de son amie pour la tirer. « En tout cas, faut qu’on se tire d’ici ! » Sans dec, Sherlock, sûrement que Jill n’y aurait pas pensé toute seule. Mais elle est où, cette putain de sortie ? « Elles sont là ! » Les deux types tiennent mieux qu’elles visiblement car ils les ont rattrapés. L’un attrape Freya par l’épaule ; cette dernière se retourne et lui fourre son poing dans la tronche. Cri de rage, sang qui jailli, il est furax « You fucking bitch ! C’est comme ça que vous remerciez notre hospitalité ? » « Va t’la foutre là où j’pense ton hospitalité de merde ! » Il se tient le pif parce qu’il reste le plus lucide des deux. « Vous allez rester ici et attendre sagement les flics. Croyez-moi, vous allez passer un sale quart d’heure. J’vais vous pourrir, toi et ta copine. » Freya s’approche en le toisant. « Ah ouais ? Pas si on s’tire avant. » Ce qu’elle compte bien faire avec que la meute rapplique. « Ils sont déjà en route, fucking whore. » Freya se jette en avant sur lui et l’attaque furieusement à coup de gifle et de griffes et de poids alors qu’il rigole, le con. Elle ne répond plus de rien, sa tête est perdue dans un univers parallèle et franchement, si personne ne l’arrête, si personne n’intervient, la suédoise ne fera qu’une bouchée de ce putain de type qui rigole un peu plus. « C’est ça, donne moi d’autres raisons de te saigner chez les flics, on va rigoler. » Merde merde merde, elle se laisse piéger. Alors elle crie, elle tape une dernière fois et se relève. Elle n’a plus rien de mignon chez elle, elle est complètement hargneuse, une vraie furie de bataille. Freya prend le poignet de Jill et finit par se mettre de nouveau à courir vers la sortie qui est là, au bout, proche, à porter de main.

Mais encore une fois, deux corps s’imposent sur leur parcours.
Des corps en uniforme, taser et flingues à la ceinture.
Shit.