Cela faisait à peine dix minutes que je m'étais installé dans le canapé que la porte d'entrée de ma maisonnée s'ouvrait pour laisser apparaître la silhouette de ma cadette. « Hey Isy. » Je m'orientais de manière à lui faire face, positionnant mon bras sur le dossier du siège. « Hey sweetie. » Je la suivais du regard jusqu'à ce qu'elle prenne place à mes côtés. Je l'enlaçais précautionneusement contre moi, vigilant quant à ses blessures, mon bras derrière ses épaules, et l'écoutais m'annoncer que son médecin traitant ne lui avait pas offert le moindre feu vert pour reprendre ses activités sportives. Un rictus désolé étira mes lippes et alors que je déposais un baiser sur sa tempe visant à la consoler, je prononçais : « Encore un peu de patience, ça va venir. Et il vaut mieux attendre encore un peu que reprendre trop vite et finir en arrêt encore plus longtemps. » Parole d'aîné qui avait aussi eu son lot de côtes cassées par ses nombreuses années de pratique de football australien. En effet, papa Jensen m'avait inscrit au club de footie dès mes cinq ans. J'étais entré à l'université grâce à une bourse pour pratiquer cette discipline en laquelle je m'étais investi et avais sacrifié sans compter. Malheureusement, c'est aux portes des équipes professionnelles que j'avais été blessé bien trop sévèrement pour entrer dans ces ligues de haut niveau. Mon plan B était ainsi entré en jeu et je m'étais contenté de ma carrière d'infirmier - puis d'ambulancier pendant deux ans et demi -.

Je portais mon attention sur la télévision et entendais Oakley poursuivre : « Ça va toi sinon ? Tu as fait quoi ce matin ? » J'inspirais profondément avant de lui exposer : « J'ai été chez Ginny. Puis j'ai terminé de rénover ce meuble. » Je désignais du menton la table un peu égarée dans le salon. Je devais encore lui trouver un bon emplacement et comme à mon habitude lorsqu'il s'agissait de choix à réaliser : j'étais indécis.

Depuis plusieurs mois, j'avais décidé de mener un relooking intensif de ma demeure. J'avais acheté cette maison pour que Chloe, mon ex fiancée, et moi y vivions et y fondions une famille. Ces plans étant tombés à l'eau et avaient entraîné dans leur chute de violents maux chez moi, résultant notamment de ma tentative de suicide. J'avais entrepris, après avoir remonté laborieusement la pente, d'effacer tout ce qui me rappelait trop mon ex. Un travail titanesque sachant qu'on avait vécu cinq ans dans cette demeure et que Chloe avait était la maîtresse des lieux en matière de décoration et arrangement. Ginny m'aidait énormément à procurer un souffle qui me ressemblait à ma propriété, néanmoins, j'avançais à pas de fourmis. Aussi, il y avait des pièces dans la maison au sein desquelles je mettais que très rarement les pieds, les souvenirs beaucoup trop mauvais y persistant et n'étant pas prêt à les affronter encore aujourd'hui. « T'en penses quoi ? » J'interrogeais ma sœur sur le dit mobilier. Je n'étais pas un artisan de profession mais j'avais toujours été très manuel et touche à tout, comme notre père, si bien que je me débrouillais en usant de l'expérience que mon géniteur m'avait transmis à force de bricoler avec lui.

« Mais sinon, ouais, ça va. » J'étais soucieux par rapport à la situation de certains de mes proches - et même la mienne - mais rien ne me paraissait insurmontable. « Tu as des plans pour cet après-midi ? Ou tu veux faire de la rénovation avec moi ? » Je proposais avec humour. J'avais posé quelques journées de congé de manière à passer un maximum de temps avec ma sœur depuis qu'elle s'était installée à la maison, question de l'épauler autant qu'elle en avait besoin. De plus, j'avais aussi négocié mes plannings de sorte à travailler de jour plutôt que de nuit, m'étant dit que cela rassurerait Oakley d'avoir une présence à la maison le soir tombé.

Attentionné, j'essayais de conforter Oakley quant à sa restriction médicale de ne s'adonner à aucune discipline sportive le temps que certaines de ses blessures guérissent. Je devinais à quel point ce repos imposé devait être pesant pour ma cadette, cette dernière ayant toujours été très active et les pratiques sportives occupant une grande part de sa vie. J'imaginais que se dépenser lui permettait de se sentir bien et que devoir limiter ses mouvements gagnait progressivement en ennui et désagrément. Cependant, comme je le lui indiquais, parfois, il était nécessaire de faire preuve de patience pour assurer son bien-être sur le long-terme et ne pas risquer de retomber à la case départ pour une double dose de malheur. « Je sais, je dois être patiente mais c’est juste long… » Je souris tendrement, compatissant et déposais un baiser sur ses cheveux. « Ça va venir. »

Oakley se cale davantage contre moi et je lui explique sommairement le déroulé de ma matinée. Je lui démontre le meuble sur lequel je travaille avant de solliciter son avis. « J’aime bien. Tu te débrouilles plutôt bien tu sais, mieux que moi ou Zep' ça c’est sur. » Je ris doucement, commentant : « Chacun ses forces et ses faiblesses. » En effet, chaque membre de la fratrie excellait ou réussissait dans des domaines parfois bien différents, ce qui enrichissait le groupe à mes yeux. Bien sûr, nous avions aussi des points communs, par exemple, Oakley et moi étions tous les deux athlétiques. « D’ailleurs… Tu comptes me raconter un jour ce qu’il se passe avec Ginny ? » Je fronçais doucement les sourcils, amusé par la tournure de la phrase de la vingtenaire. « Non parce que j’aimerais bien savoir quand même et puis je suis pas aveugle. » « Vraiment ? Et qu'est-ce que tu vois, comme ça ? » Je charrie, laissant s'écouler quelques secondes avant de sérieusement répondre à ma sœur. Je n'étais pas quelqu'un qui se confiait aisément sur les volets personnels de sa vie, j'étais secret même avec mes proches. Toutefois, ma relation avec Ginny ne relevait pas non plus du secret d'Etat et je savais que je pouvais faire confiance à Oakley pour lui en parler. « On se connaît depuis plusieurs années maintenant. Je l'ai embrassée en octobre dernier et depuis, on se fréquente... » La relation évoluait à son rythme, sans presse ni stress. Ça m'allait bien voire m'était essentiel, vu les finalités de ma histoire avec mon ex-fiancée.

« Mais sinon, ouais, ça va. » J'enchaînais, peu loquace sur mes états d'âme. Je n'avais rien contre répondre à des questions, mais je n'étais pas du genre à savoir monologuer pendant de longues minutes sur ce qui se tramait en moi. « Tant mieux alors. » Ma cadette se lève pour s'orienter vers la cuisine et je me concentre de nouveau sur le poste de télévision. Lorsqu'elle reprend place à mes côtés, je l'interroge sur ses plans pour la journée à venir. « Non, j’ai rien de prévu, on peut faire ce que tu veux. Tu sais que je peux t’aider quand tu veux. » Je souris doucement, avant de développer : « J'ai surtout envie de virer le meuble-là, j'en peux plus de le voir. » Je désigne le mobilier où repose la télévision, qui me remémore beaucoup trop souvent l'ancienne présence de mon ex-fiancée au sein de ma demeure. Je me souviens par la suite d'un message que j'avais reçu au cours de la matinée : « Zep' m'a envoyé un texto tout à l'heure, il aimerait passer ce week-end. Je lui ai pas encore répondu. » Bien que je ne refuserais jamais de voir mon frère, je ne voulais pas non plus précipiter les choses entre les jumeaux. Je pouvais proposer à mon cadet une soirée au bar, si Oakley avait besoin de temps avant pour reprendre contact avec lui.

Je souris sincèrement lorsque ma cadette approuve mes paroles comme quoi chaque membre de notre fratrie possédait ses forces comme ses faiblesses uniques. Nous avions tous des similitudes, évidemment, puisque nous avions été élevés de la même manière, dans le même environnement, avec les mêmes parents. Toutefois, nous avions également eu le loisir d'exploiter des passions différentes selon nos goûts distincts et de choisir des voies divergentes. Bien entendu, mes parents veillaient toujours à ce que nos choix ne nous causaient pas de préjudice, mais en somme, ils avaient des progénitures qui s'étaient investis dans plusieurs domaines, avec des priorités propres.

Oakley évoque Ginny et derechef, mon cœur manque un battement. Bien entendu que j'aime la jeune femme, je l'aime si fort que ça me terrifie. Je redoute constamment ne pas être assez bien pour elle, de briser le peu de bonheur que j'arrive à façonner à ses côtés, grâce à sa présence. Je crains de la perdre, qu'elle rencontre un homme bien mieux que moi - ce qui ne serait absolument pas chose ardue à mes yeux. Et cet amour que je voue envers la McGrath, la jumelle l'a remarqué : « Que t’es amoureux. » Je lui adresse un léger sourire en coin en guise de réponse. Je ne vais pas mentir à la jeune femme qui statue présentement l'évidence. Puis je n'ai pas honte de porter l'artiste en mon cœur. « J'suis amoureux. » J'affirme donc, certes timoré, réservé. J'avais toujours été quelqu'un de secret, qui gardait ses sentiments pour lui, même avec mes proches. « Tu es heureux Isy ? Parce que c’est tout ce qui compte pour moi, tu sais, je veux juste que tu sois heureux et que tu fasses attention. » J'interprète toute la bienveillance de mon interlocutrice dans ses propos et lui en suis reconnaissant. Cependant, cette fois-ci, il est indispensable que je lui mente. Alors j'acquiesce, assure un « T'en fais pas pour moi, » parce que je suis incapable de clamer que je suis heureux. Être heureux n'est pas dans mes cordes, ça ne l'est plus depuis des années, et peut-être qu'un jour je pourrais clamer haut et fort que le bonheur m'éprend, mais chacune de mes journées depuis de longs mois se résume à lutter contre des idées noires issues d'une dépression sévère contre laquelle je suis médicamenté. Une fraude, voilà ce que je compose pour le moment, jusqu'à peut-être guérir, un jour, bien que je n'y crois plus vraiment. Alors je me dis simplement que chaque jour est une victoire, et quand les jours sont beaucoup trop difficiles à vivre, je les réduis à des heures, des minutes, des secondes. Ils finissent tous par passer, je parviens pour l'instant à les traverser sans nuire sérieusement à mes jours.

Le désir de renouveau me happe. Depuis quelques temps, j'envisage de changer l'allure de ma demeure afin d'en chasser les souvenirs de ma vie passée Chloe. Bien que mon ex sera toujours ancrée dans mon histoire, il n'en demeure que j'ai tourné la page et qu'elle n'a plus aucune place dans mon présent. J'apprécie l'offre que me tend Oakley par rapport au meuble dont je veux me débarrasser puis l'interroge : « T'es douée pour prendre des meubles en photo et les mettre sur un site de ventes ? » Parce que tant qu'à faire, comme elle le dit si bien, autant essayer d'en tirer un peu d'argent.

J'aborde par la suite le sujet de notre frère, renseigne ma sœur quant à la volonté du vingtenaire de me rencontrer ce week-end. Je remarque à quel point le sujet de son jumeau heurte la blonde et je l'enlace doucement, muni de compassion, alors qu'elle s'annonce hésitante par rapport à lui. « J’aimerais tellement le voir mais je… J’ai tellement peur qu’il me pardonne jamais. » Je dépose un baiser fraternel sur son front et questionne : « Tu penses vraiment qu'il en serait capable ? » Le choix revenait au Jensen, mais personnellement, je ne pensais pas que c'était le style de la maison. Nous avions après tout des valeurs familiales assez profondes. « Y'a qu'un moyen de le savoir, tu sais. » Le confronter. « Mais t'as tout le temps du monde pour ça. L'important c'est que t'ailles bien, tu prennes bien soin de toi, et rien ne presse. Puis tu sais, tu peux compter sur moi pour tout. » Elle était ici comme chez elle et si Oakley n'était pas prête à rencontrer le reste de la famille de suite, je respecterais son choix assurément sans l'inciter à faire quoi que ce soit qui ne lui semble pas idéal à son bien-être.

Honnête, je confie à Oakley être amoureux de Ginny, tout en lui assurant de ne pas s'en faire pour moi. Je connais ma cadette, je sais qu'elle a à cœur le bien-être des membres de sa famille. De plus, elle sait à quel point je peux être sensible et dans quelle mesure je peux difficilement vivre certaines séparations. J'ai toujours été tolérant dans les choix de chacun, mais être déçu, trahi ou blessé par des gens que j'aime passait difficilement. Autant le terme de ma relation amoureuse avec Robin-Hope s'était effectué avec douceur, autant celui avec Chloe m'avait été dévastateur. Mais je préférais ne pas m'épancher sur ce sujet révolu, qui était encore très douloureux pour moi. Par ailleurs, il ne servait sans doute à rien de ressasser le passé de la sorte avec la jeune femme.

« Tu sais bien que je m’en fais toujours pour tout le monde. » Un sourire tendre se dessine sur mes traits. Je dépose un baiser affectueux sur le front d'Oakley avant de consentir : « C'est pour ça que je disais ça, même si tu risques de ne pas m'écouter. » Je lui adresse un clin d’œil complice et la sportive m'offre généreusement son aide pour la vente du meuble dont je veux me débarrasser. Je lui demande si elle sait s'y connaît un peu en photographie afin de mettre l'article en vente, étant personnellement très limité en la matière. Volontaire, mon interlocutrice se lève du canapé afin de capter l'image du mobilier sous plusieurs angles puis me montre les résultats. « Celle-là rend bien non ? » « Oui, je trouve aussi. Tu peux me l'envoyer s'il-te-plaît ? » Je vais chercher mon propre téléphone sur le comptoir de la cuisine puis reviens m'installer aux côtés de la Jensen. « J'vais le mettre sur le site maintenant. » Je commence à rédiger l'annonce puis y joint la photo prise par les bons soins d'Oakley. « Parfait, plus qu'à attendre. Merci de ton aide. » Je prononce, reconnaissant, en envoyant l'annonce. Le prix était plutôt sacrifié, j'avais bon espoir de recevoir des appels. Puis, le meuble en lui-même était en très bon état.

Je renseigne par la suite la vingtenaire sur la prise de contact de notre frère. Je perçois bien qu'évoquer son jumeau peine Oakley. Quand je lui demande si elle pense vraiment que le jeune homme puisse ne pas pardonner à sa propre sœur, celle-ci me confie croire que ce ne soit pas le cas, malgré le fait qu'elle ait causé de la peine aux Jensen. « Non, je crois pas… Mais je lui ai quand même fait du mal, comme à toi, à Hannah et à papa et maman. » Je conforte fraternellement Oakley en étreignant son bras, avant de répliquer : « Tu sais, on a tous des regrets et on est tous faillibles. Tu pensais agir pour le mieux à l'époque et aujourd'hui tu reconnais que tes choix ont pu faire du mal au reste du clan. Mais à mes yeux, tu as bien assez souffert de tout ça et l'important c'est que tu ailles bien. Puis on a toujours dit qu'on se serrait les coudes entre nous. Je pense pas que tu aies coupé les ponts avec nous de gaieté de cœur et par pure méchanceté. C'était juste les circonstances qui t'ont menée à le faire. Tu mérites qu'on efface tous ça pour qu'on se retrouve tous. » En d'autres mots, je défendrais toujours Oakley, même si les parents, Hannah ou Zeppelin voudraient lui en tenir rancœur. La situation était très complexe et la blonde avait largement assez payé pour ses choix. Aujourd'hui, elle se remettait d'une relation toxique et dangereuse, l'essentiel était de l'épauler pour qu'elle se reconstruise et retrouve le goût du bonheur. Tout le monde avait le droit à l'erreur, mais ne devrait pas en payer le prix éternellement, surtout que Oakley n'avait pas agi pour faire volontairement du mal à sa famille. Ma sœur m'assure réfléchir à mon offre d'en parler à son jumeau qui restait malgré tout maître de ses décisions et je hochais la tête, approuvant. « Oui… Je vais réfléchir. MercI Isy… » « J'suis là pour ça. J'suis pas votre grand frère pour rien. » Je prononce avec une touche de légèreté. Quoi qu'il advienne, Oakley était chez moi comme chez elle et elle pouvait compter sur mon soutien indéfectible.