Il faisait nuit noire depuis des heures désormais et Wren avait perdu toute notion de temps. Après la première tournée d'alcool et après le joint salvateur, il avait déjà commencé à perdre pied mais les verres s'étaient enchaînés et il n'avait plus tout à fait les yeux en face des trous au moment de s'extirper de son siège à côté du comptoir du pub de quartier. Il aurait bien voulu faire un petit tour du côté de la mer pour respirer l'air frais, une manière comme une autre de faire le point sur le déluge qui se déchaînait sur son crâne ces derniers temps mais même cela ne lui suffisait plus. Alors, il avait marché dans les ruelles sombres de Brisbane, son briquet à la main, s'amusant à l'actionner à intervalles régulières avec des yeux brillants. Doherty n'avait plus vraiment de contrôle sur lui-même depuis que son histoire avec Maze s'était tragiquement terminée et parce qu'elle lui avait dit que son nom de famille ne valait rien, il tenait absolument à lui donner raison, histoire de se dire que tout cela n'avait pas été vain. Alors, craquer maintenant, après tant d'années à retenir la noirceur au creux de son âme, c'était certainement la meilleure décision qu'il pouvait prendre, ses yeux verts d'eau portés vers la flamme orangée qui s'étalait sur ses traits. Il se contint pourtant, peut être parce que son regard se tourna vers sa gauche et il constata qu'il était devant un strip club. Il y avait toujours de quoi s'amuser dans cette ville alors, pourquoi pas entrer? Le pompier n'était plus à cela prêt, tenant fermement son briquet dans sa paume au moment où il avança vers la grande salle, regardant les quelques hommes jouer d'un regard lubrique envers des danseuses. Lui n'en fit rien, il voulait juste picoler un peu plus, tiens, voilà qui le calmerait. Il commanda un bon shot et finit par remarquer une silhouette qu'il connaissait bien. Une figure du passé, à nouveau. Le grand dadais s'avança d'une démarche assurée vers la petite brune qui devait certainement s'apprêter à quitter la boîte de nuit après une journée bien remplie. "Serait-ce Jillian McGrath que je croise, ici, après toutes ces années? Strip-teaseuse, hein? Je savais que tu filais un mauvais coton, brunette." Il lui fit un clin d'oeil, les taquineries avaient toujours été une part intégrante de leur relation, ça et les conneries qu'ils avaient pu faire derrière le lycée pendant leurs heures de permanence. "Tu veux boire un verre avec moi? En souvenir du bon vieux temps." Son poing tenait encore le petit objet, tout feu tout flamme et il savait que ce soir-là serait le soir de trop. Wren dépasserait la limite, enfin, irrémédiablement, un sourire aux lèvres dirigé vers Jill.

Evidemment, Wren avait perdu de vue toutes ses connaissances du lycée, ce qu'il considérait comme une réussite pour être honnête. Il avait bien changé depuis ce temps-là. Le jeune Doherty n'était qu'un dealer de rue, un gamin paumé qui n'avait aucun plan pour l'avenir et ce qu'il était devenu était bien loin de cette catégorie de personnes, du moins sur le papier. Wren s'était rangé lorsqu'il était entré dans sa vingtaine et éteindre les flammes était resté sa seule et unique passion depuis lors, peut être parce qu'il voulait cacher à tout prix le brasier cultivé au fond de lui. C'était le lot de tout bon pyromane qui se respectait, garder un jardin secret et y faire brûler tout ce qui s'y trouvait parce que la vue des braises le rendait heureux au delà de tout entendement. Wren n'était pas différent des autres, si on excluait peut être son petit côté masochiste puisque son métier faisait qu'il côtoyait les incendies à longueur de journée plutôt qu'à les provoquer. Cela avait été la suite logique à ses yeux, la seule manière qu'il avait eu de lutter contre ses instincts les plus morbides et jusque là, il s'en était plutôt bien sorti. La tentation était plus réduite avant qu'il ose se mettre en couple et que tout parte en vrille parce qu'il n'était pas un homme assez bien pour mériter ce genre d'amour. Alors, ce soir-là, les limites ne semblaient plus être de mise, ce qui était plutôt une aubaine quand on tombait sur une figure du passé aussi imposante que Jillian McGrath. Avec elle, Doherty avait tout tenté, entre deux ébats, à voler des conneries à droite à gauche, faire les quatre cents coups, une amitié unique dans un monde qui était loin du leur. Ils ne s'étaient plus contactés depuis que la brune avait quitté le lycée et Wren n'avait pas réellement cherché à la retrouver, c'était le cours de la vie après tout. Voilà que le destin les faisait se recroiser bien plus tard alors que le pompier filait un mauvais coton, son briquet fermement ancré dans sa main, comme on s'accrochait à une bouée de sauvetage. "Celui-là même! Je vais te surprendre mais non, je suis plus dealer... Je suis pompier, je me suis rangé, j'ai même jamais fait de prison, il fallait qu'un de nous fasse des efforts pour s'intégrer mais bon, nos instincts reprennent toujours le dessus de toute manière." Il lui fit un clin d'oeil alors qu'il l'invitait à boire un verre pour fêter leurs retrouvailles car il fallait le dire, l'alcool avait été un de leurs plus fidèles alliés dans le temps. "Je te reconnais bien là, t'as pas changé, toujours faire rincer les autres, hein? Mais avec plaisir! Alors tu deviens quoi en dehors de ce métier à la hauteur de Jill McGrath?" Les verres arrivaient devant eux et Wren posa son briquet devant lui, le faisant tourner sur le bois du comptoir. Il avait déjà beaucoup trop bu pour que son cerveau reste sain jusqu'au bout de la nuit qui s'annonçait.

Ce comportement autodestructeur, Wren le partageait avec Jill, c'était certainement ce qui les avait rapprochés au lycée d'ailleurs. Avec leur facilité à dépasser les limites du raisonnable, qu'ils se côtoient était comme devenu un évidence avec le temps et ils avaient beau être jeunes à cette époque, cela ne les avait pas empêchés de faire toujours plus fort, plus grand et plus fou. Ils avaient couché ensemble alors qu'ils sortaient à peine de l'enfance et ils avaient bien souvent recommencé, surtout lorsqu'ils étaient sous l'emprise de substances illicites car il n'y avait plus aucune notion de contrôle dans ces moments là. C'était avec Jillian que Wren avait appris qu'il était capable du pire et c'était toujours avec elle également que ses pulsions les plus dévastatrices revenaient au galop. On ne pouvait pas dire qu'ils avaient eu une bonne influence l'un sur l'autre mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'ils avaient arrêté de se voir pour autant. Non, ce ne fut que le départ de la jeune McGrath qui sonna le glas de cette amitié étrange qui devait donner le froid dans le dos au reste de leurs camarades. Doherty n'était plus cet adolescent que la brune avait connu mais à l'inverse, le jeune homme constatait qu'elle n'avait pas changé tant que cela de son côté. Apparemment, elle continuait encore à jouer avec les limites, s'amuser avec le sexe, l'alcool et la drogue comme si elle avait encore dix sept ans et que faire les pires choix possibles lui apporterait une quelconque satisfaction et vu son état d'esprit actuel, Wren ne pouvait que donner raison à cette façon de penser, un comble. "Je te le montrerai p'tet à l'occasion pour que tu puisses juges toi-même... Un score d'un sur deux, c'est déjà mieux que rien." Effectivement, Wren n'avait jamais totalement sombré. Il avait chancelé mais s'était toujours rattrapé à une rampe quelconque pour mieux sauter quelques mètres plus loin. Toujours jouer avec son équilibre, sans se douter qu'un rien pourrait le faire exploser, du jour au lendemain mais il n'était qu'humain après tout, même si ses faiblesses étaient bien plus dangereuses que d'autres personnes autour de lui. "Non, vraiment, t'as pas changé pour un sou, au moins c'est rassurant! Coucher, se droguer, boire, se faire jeter à la rue, du grand McGrath que j'aime!" Il avait été ainsi également et il aurait pu dire qu'il le regrettait, en d'autres circonstances peut être mais là, Wren n'en avait pas l'envie. "Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de toi, dis?" Il posa son briquet, son regard s'y fixant pourtant au moment de boire son verre d'une traite parce qu'il n'était pas là pour rien, clairement. "Sombrer dans la folie comme au bon vieux temps, peut être?" Doherty avait le cerveau suffisamment arrosé pour cela en tout cas et la pénombre l'attirait. Ardemment.

Ils étaient devenus adultes, du moins sur le papier mais à l'intérieur, c'était très loin d'être quelque chose de clair, net et précis. Quand on les voyait ainsi, rire de tout, dans la plus pure insouciance, on ne pouvait que se demander comment ils avaient pu se forger. A la dure, dans les deux cas. Wren avait été un dealer et Jill en était restée une, en plus d'être partie vers le strip-tease pour avoir un gagne-pain. Doherty avait l'air d'être sorti de l'enfer que pouvait être la rue et pourtant, il était le premier à y retourner quand quelque chose le tracassait, voire pire, le brisait. S'il était là ce soir, dans cette boîte de nuit d'un autre genre, c'était pour cette raison en premier lieu. Il ne se sentait parfaitement lui-même que dans les endroits qui mettaient en avant le vice et quoi de mieux pour cela que de voir des femmes nues se déhancher pour des gros pervers? Wren n'était pas tellement intéressé par la danse, il était plutôt porté par l'appel du briquet qui traînait encore au creux de son main et il sentait que ce soir-là serait le fameux soir, celui où sa résistance se ferait la malle parce qu'il était plus que temps qu'il arrête de lutter contre l'évidence. Il n'était pas tout à fait normal, son cerveau n'était pas connecté comme celui des autres et il avait besoin de la présence de McGrath pour se rassurer sur ce fait... Ils étaient deux dans ce cas, depuis le lycée. "On verra bien, McGrath... Dis que j'étais moche et mal foutu avant aussi, non mais oh!" Il lui fit un clin d'oeil pour lui prouver que tout cela n'était qu'elle belle plaisanterie. Wren avait conscience que ce métier lui avait apporté un petit lot d'avantages, notamment en termes de musculature et il était quelque peu heureux que Jillian s'en aperçoive. Après plus de dix ans, c'était parfaitement logique cela dit, elle aussi avait pris quelques formes et il appréciait, forcément. "Mais la relever jusqu'à quand? Pas longtemps, sûrement." Non, il n'était pas venu là pour apparaître comme l'homme bien sous tous rapports, celui qui ne dépasserait aucune limite. Au contraire, après le verre qu'il venait de boire en un temps record, Doherty prouvait qu'il était prêt à faire tout et surtout, n'importe quoi. La jeune femme avait l'air d'être prête à le suivre vu comment elle avait enchaîné par la suite. "Tu fais bien d'assumer, cette vie te va parfaitement au teint en tout cas." Il lui fit un sourire en voyant son regard se poser sur le fameux briquet et bien vite, la proposition de fumer arrivait sur le tapis. Comme au bon vieux temps. Aucune limite, aucun contrôle, juste du fun et mettre la ville à feu et à sang. "C'est proposé si gentiment, qui je serais pour refuser ça? Et t'en fais pas pour ça... On est deux. On change pas." Il était venu lui murmurer ces quelques mots à l'oreille car Wren se considérait comme un poison pour son entourage, au même titre que Jillian pour le sien et bien vite, il l'entraîna par le bras pour qu'ils sortent de ce lieu bondé et se retrouver dans la ruelle juste à côté de la boîte. "J'espère que t'as ramené de la bonne. Je veux planer, McGrath." Et il sortit son briquet, fin prêt à faire brûler cette flamme au fond de ses pupilles verts d'eau. Et se laisser consumer par elle. Enfin.

Retrouver l'insouciance de l'adolescence, juste le temps d'une nuit, retourner des années en arrière. Wren pouvait redevenir le dealer de l'époque et Jillian, sa camarade d'infortune. A eux deux, ils pouvaient mettre la ville à feu et à sang parce que c'était la chose qu'ils faisaient le mieux à cette époque. Souvent fourrés ensemble, à échafauder des plans atroces pour emmerder leurs professeurs ou leurs voisins de classe, personne n'était à l'abri avec eux. Lorsqu'ils n'avaient plus de cible, ils se détruisaient le cerveau avec des produits illicites, un peu d'alcool et finissaient par s'offrir leur corps mutuellement pour mixer tous les plaisirs de ce monde. Puis, la vie les avait séparés, Wren avait choisi un chemin plus sage et il avait eu l'air de ne pas vouloir le dévier, pas ces dernières années en tout cas. Il avait passé un temps fou à se construire, à devenir ce pompier bien sous tous rapports, un homme qui ne craquerait pas sous la pression et qui ne se laisserait pas aller à ses vices les plus infâmes. Retrouver la jeune McGrath, c'était s'avouer vaincu face à tout cela, juste abdiquer et se laisser aller à cette intense folie qui était en lui depuis toujours. "Content d'apprendre que j'ai été un bon fantasme à assouvir pour toi, mes muscles te remercient de tant de considération... T'es pas mal non plus, je te rassure." Elle n'avait pas vraiment changé, si on excluait le fait qu'elle était devenue strip teaseuse mais là encore, c'était peut être tout à fait indiqué pour quelqu'un comme Jillian McGrath. Elle n'avait jamais apprécié prendre la route de la sagesse et de la routine alors, il l'avait bien imaginée se trémousser autour d'une barre de pole dance pour chauffer des vieux gars bien tristes. Wren, lui, était venu pour autre chose, le briquet devant lui étant une preuve supplémentaire qu'il était prêt à sombrer sans bouée de sauvetage. Pas cette fois. "C'était tout à fait ce que j'avais en tête. Je me rends compte qu'on se fait chier dans une vie rangée, rajoute un peu de piment à mon existence, McGrath." Il allait vendre son âme au diable, une nouvelle fois et cette fois, leregretterait-il? Wren avait trop vécu ces derniers temps et il n'avait plus la force de lutter contre les évidences, au moins, Jill le comprendrait et elle ne le jugerait pas, peut être même qu'elle l'aiderait. C'était en tout cas ce qu'elle laissait présager en entamant son verre avec beaucoup de volonté. "Oh, tu sais, ça a toujours été bordélique chez les Doherty. On va dire que ça reste dans la même veine. Je me suis fait larguer parce que je suis un taré mais ça te fait pas peur, toi, ça..." Clairement pas, elle était aussi déjantée que lui. Elle avait une autre maladie que le feu mais le résultat était le même, bien sûr. "Je crois que t'as jamais été aussi sage qu'en disant un truc pareil, ouais." Et il avalait son verre, prêt à en découdre en voyant que Jill en faisait de même. Dehors, il faisait plus frais mais le joint qui était de sortie réchaufferait leur coeur, c'était tout ce qui importait. Wren alluma le fagot en le tendant à Jill, ne fermant pas son briquet pour autant, son regard se tournant vers les poubelles juste à côté d'eux. Allait-il franchir le pas, là, maintenant? Peut être bien puisqu'il s'approcha des sacs, son regard dans le vague, laissant la flamme consumer le plastique une petite seconde, cette sensation grisante creusant ses entrailles. Il souriait, il planait et il n'avait encore rien fumé.

S'ils finissaient ailleurs qu'au poste ce soir-là, ce serait très certainement un miracle. Lorsque Jillian et Wren traînaient dans la même région, il était rarissime que les événements se passent sans encombre. Ces deux-là ne connaissaient aucune limite, ils l'avaient déjà prouvé à maintes reprises au cours de leur adolescence et même si on aurait pu penser qu'avec l'âge adulte atteint, ils se seraient considérablement améliorés, on ne pouvait pas plus se tromper. Certes, pendant un temps, Doherty avait choisi une route classique, évitant les encombres d'antan mais il n'avait plus tellement envie de faire attention aux principes et aux valeurs de la société à l'heure actuelle. Maintenant qu'on l'avait jeté parce qu'il était né dans une famille maudite, à quoi bon garder sa tête vers la lumière? Le pompier n'en voyait pas l'intérêt pour le moment, et de toute façon, il était entré dans le club avec la ferme intention de déraper au cours de cette nuit et lorsque quelque chose lui trottait dans le crâne, il n'y avait pas vraiment de moyens pour le stopper. Alors, il en était là, à raviver un feu ancien autant avec Jill qu'avec ses problèmes de pyromanie jusque là terrés au fond de lui. "Tu me flattes, McGrath. Non, c'est vrai, j'espère avoir la chance de voir ça un jour." Ce n'était pas spécialement l'objectif de la soirée: ils e devaient plutôt de faire disparaître la moindre convenance, se lancer à corps perdu dans des objectifs risqués, se perdre, se tuer, peu importait du moment que Wren pouvait ressentir quelque chose. En compagnie de Jillian, c'était toujours le cas et il ne put que lui faire un clin d'oeil lorsqu'elle lui annonça qu'elle n'attendait que cela, le dévergonder comme dans le temps. Il lui souriait encore lorsqu'elle continua et qu'ils se retrouvèrent dehors à partager un fagot drogué à souhait, les yeux de Wren rivés sur des poubelles logés là. Son briquet en main, il n'avait pu que s'approcher et laisser son côté noir s'exprimer... Allumer le plastique et sentir l'odeur caractéristique puis les quelques flammes qui naissaient, un rictus sauvage naissant sur son visage. "Tout cramer, c'est le seul plan de ma vie. Ma seule raison d'exister. Essaye, tu verras." Il lui tendit le briquet en échange de la drogue qui s'apposa à ses lèvres et une sensation d'extase grandissait au fond de son coeur quand il voyait le résultat de son acte. Enfin, il avait lâché les chevaux. Enfin, il avait succombé et il n'en reviendrait jamais. Pas cette fois.

Elle ne devait pas se rendre compte que Wren perdait totalement le contrôle, qu'un simple geste pouvait être aussi dangereux pour la survie de l'humanité. Cela faisait des années qu'il résistait, des années qu'il ne répondait pas à l'appel de la mort au fond de lui, de ce démon implacable que son géniteur avait dû lui transmettre et ce soir, il n'y avait plus de raison, plus de limite, aucune envie de continuer sur cette lancée de la volonté ou de la résistance. Doherty avait bien trop attendu pour cette récompense, ce moment béni où il pourrait toucher du doigt la meilleure sensation du monde. L'invincibilité, la puissance sacrée, cette pensée qu'il ne pouvait pas mourir, que tout était sien, que ce monde pourrait disparaître de ses mains et si l'idée aurait dû lui paraître atroce, ce n'était pas du tout le cas. Wren voyait plutôt cela comme un cadeau parce qu'il les méprisait tous, ces gens affables qui ne montraient rien, pourquoi les laisser vivre? C'était eux qui jetaient des centaines de poubelles dans les rues et qui invitaient gaiement Wren à s'en servir comme d'un punching-ball. C'était également de leur faute s'il était comme ça, s'il était fou et qu'il aimait ça. "Si c'est gratuit, je compte rester sage alors." Belles conneries. Son briquet était activé à de multiples reprises et faire brûler le premier sac poubelle avait empli l'air d'une vieille odeur de plastique immonde mais Wren avait apprécié, apparemment. Son sourire ne pouvait pas le cacher, encore moins le regard qu'il lança à Jillian après cela parce qu'elle allait participer à la fête, bien évidemment. "Pourquoi je suis pompier à ton avis? Pour me tenter constamment, c'est une manière comme une autre de jouer de cette poésie, tu vois." Il s'était contenu pourtant, suffisamment longtemps pour que la sensation se transforme en feu d'artifices au fond de son âme à ce moment là parce que McGrath avait attrapé le briquet et avait mis le feu à un autre sac sous ses yeux électrisés. Le plaisir était beau, intense et putain, il en redemandait parce que les flammes grimpaient, happées par l'appel de l'oxygène dans cet air tardif. "On se sent invincible. C'est le meilleur spectacle, j'aurais vraiment dû m'exprimer avant, laisser cette partie de moi faire ce qu'elle veut... Tout cramer. Et aimer ça." C'était la première fois qu'il osait le dire à haute voix mais c'était la réalité, ses yeux fixés sur le brasier qui s'étendait sous leurs yeux. Ils n'allaient pas pouvoir rester très longtemps dans le coin puisque l'alerte finirait par être donnée mais Wren essayait d'en profiter un maximum avant l'extinction des feux. Avant les remords.

Il avait perdu le contrôle des événements, plus maître de son corps, encore moins de ses pensées, Wren était en train de défaillir. Après trente années de lutte, voilà qu'il se révélait plus faible que jamais, fort incapable de résister à l'appel de ses pulsions les plus rudimentaires. Le feu avait fini par gagner, lui qui avait pensé pouvoir le tenir à distance jusqu'à ses derniers jours en jouant les super héros avec ses camarades pompiers. Le suédois s'était définitivement fourvoyé car c'était un évidence qu'il allait craquer, que le brasier ne pourrait que le régaler une fois qu'il l'aurait laissé gagner. Il disait adieu à toute raison, là, au détour d'une ruelle, en compagnie d'une de ses plus vieilles amis, pas du tout honteux d'humer l'air chaud du plastique brûlant. Tout était en train de se terminer, surtout sa vie comme elle était jusque là. Il n'y aurait plus jamais de Wren Doherty soucieux des autres, de sa famille, de ses choix et de ce qu'il pouvait faire pour détruire la vie des gens qu'il aimait. Il était devenu cet égoïste qui se laissait porter par les éléments autour de lui, par cet air frais qu'il rêvait de réchauffer jusqu'à brûler toute une cité parce qu'il en avait le pouvoir. Il avait suffi d'un rien et voilà qu'il souriait sans s'arrêter, osant regarder Jillian par intermittence puisqu'elle participait de son plein gré à cette petite fête qui n'aurait pas dû en être une, au contraire même. "Si j'étais pyromane, j'aurais cramé toute la ville déjà, tu penses pas?" Il ne l'avait pas fait, pas encore en tout cas et il osait le dire avec ce sourire vicieux collé à ses lippes parce qu'il savait très bien de quoi il était capable lorsque toute maîtrise lui échappait. De tout, bordel, de tout et ce n'était pas Jill qui allait le refréner, il le savait très bien. "Je suis juste comme ça. Pourquoi il faudrait une explication? Je l'ai pas fait jusque là parce que je pouvais résister mais je sais pas, j'en ai marre de faire semblant. Le monde mérite que ça après tout, non? De cramer et de plus rien laisser derrière lui." Il était un criminel de haute volée et il méritait d'y passer en même temps que les flammes qui vibraient derrière ses prunelles vertes si vives. Il osa regarder Jillian en refermant le briquet et le cachant de nouveau sous sa veste, entraînant la jeune femme de l'autre côté de la rue parce que les secours arriveraient vite et ils ne devaient pas être mêlés à tout cela. Pyromanie totale, incontrôlable, mort dans l'âme.