| norasmine + i've got soul but i'm not a soldier |
| | (#)Dim 15 Sep 2019 - 21:49 | |
| I'VE GOT SOUL BUT I'M NOT A SOLDIER i wanna stand up, i wanna let go | |
Le soleil printannier commençait déjà à ponctuer la peau blanche de Norah de quelques tâches de rousseur. Il n'était pas inhabituel de voir les blouses blanches sortir quelques minutes de l'hôpital pour prendre l'air, sentir le souffle iodé venant des plages voisines. Que ce soit pour fumer une clope à l'entrée avec un patient qui devait rester accrocher aux perfusions accrochés sur la potence, ou de profiter d'une fenêtre ouverte en salle de peau, ou d'aller dehors, à l'arrière du bâtiment, où il y avait bien moins d'allées et venues de personnes extérieures. Assise sur le rebord d'un muret avec un interne qui était ce semestre dans le même service qu'elle, Norah se permettait de prendre un bol d'air frais. L'interne sortait de la poche de sa blouse cigarette et briquet. La fumée n'importunait pas sa collègue, et ce n'était certainement pas elle sur les méfaits de la cigarette sur le corps humain. "La réaction de sa femme était chelou, quand même." notait le futur médecin en laissant échapper de la fumée de sa bouche. L'officier Dunn était désormais bien réveillé, mais sa convalescence prenait beaucoup de temps. Le pauvre homme enchaînait les complications, supportant difficilement les diverses séquelles qui avaient suivi sa période de coma. Des imprévus, des complications, des schémas cliniques que l'on ne pouvait dessiner qu'une fois le patient conscient, bel et bien réveillé. "Je veux dire, à sa première visite, je comprenais. Le choc, ce genre de choses. Mais je sais pas... Enfin je sais pas, moi ma meuf sort d'un coma, je passerai mes journées à l'embrasser et à rester à côté d'elle." Il soulevait effectivement un point. Norah non plus, ne comprenait pas pourquoi l'épouse Dunn semblait si peu touchée par le réveil de son mari. L'infirmière était capable de se mettre à sa place. Et si c'était Frank, qui s'était réveillé ? Ca aurait très bien pu être Saït, dans l'ambulance le soir de la tempête. Si ça avait été lui, s'il avait été dans cette ambulance. Dans d'autres circonstances, quelques années plus tôt, ça aurait pu être Frank, dans ce lit, à s'en remettre petit à petit. Norah aurait passé ses journées avec lui, autant que possible. Il n'y aurait que Frank lui-même qui aurait su la convaincre de partir, de se reposer, de prendre soin des enfants. Avec l'appui des proches de la famille également. Elle ne resterait pas comme elle, quasi hermétique aux événements. "Elle n'a plus l'air très amoureuse." finit-elle par dire, avec un soupir de déception. "Ou peut-être qu'elle a peur de la suite. Regarde le nombre de personnes qui se sépare du conjoint après un accident, où ils finissent handicapés d'une manière ou d'une autre." "C'est vraiment quelqu'un de bien, pourtant." assura-t-elle, ayant eu l'occasion de discuter plus d'une fois avec lui. Il était gentil. "J'y retourne." finit par dire Norah après un très long moment de silence. Elle connaissait le policier par coeur, son dossier médical, elle le maîtrisait jusqu'au bout des doigts. Il semblait s'en remettre, seulement la réaction de son épouse lui faisait parfois serrer la mâchoire. Norah avait été tentée plus d'une fois de lui faire rendre compte de la chance qu'il avait d'être encore en vie, et qu'elle devrait profiter de cette opportunité là autant que possible plutôt que de rester de glace. Le policier souffrait déjà d'un sévère syndrome post-traumatique, ses nuits n'étaient pas des plus reposantes ces derniers temps. Il avait surtout besoin du soutien de la femme qu'il aimait et il ne l'avait malheureusement pas. Quelque chose ne va pas. se dit-elle en arpentant les couloirs de l'hôpital. Seulement, Norah ne se rendait pas compte de ce qui n'allait pas. Elle refusait encore plus de croire que c'était peut-être chez elle, que quelque chose n'allait pas. Ce surplus d'informations et de similitudes qu'elle ne digérait pas. Elle disait qu'elle gérait la situation, mais intérieurement, son subconscient était dans un état désastreux. Il encaissait tous les jours, à chaque fois que Norah prenait en charge ses patients, chaque jour. Ses pas la menèrent jusqu'au service de pédiatrie. Elle ne savait pas pourquoi. Norah croisait Molly, à qui elle n'échangeait que des salutations purement courtoises avec un hochement de tête et un très vague sourire. Molly ne la portait pas vraiment dans son coeur. Ses yeux bleus regardaient la présence lumineuse au-dessus de chaque porte de chambre pour tenter de voir où est-ce que son amie pouvait se trouver. Enfin Yasmine apparaissait. Elle s'approchait d'elle. Parfois, on se demandait comment Norah tenait le cap, comment elle faisait pour tenir le coup jusqu'à ces fameuses vacances dont elle n'avait même pas encore posé les dates alors qu'elle prévoyait de partir vers novembre. "Pourquoi est-ce qu'une épouse ne montre pas un semblant d'enthousiasme en voyant son mari enfin réveillé après une longue période de coma ?" lui demanda-t-elle de but en blanc. "Je veux dire, il est communiquant, même sourire alors qu'il a encore franchement mal avec ses fractures de côtes et son drain. Il a encore les jambes engourdis à cause de la fonte musculaire, mais il donne du sien." poursuivit-elle. "Et elle est... Elle est vraiment distante. Je comprends vraiment pas." Norah secoua négativement la tête, un brin agacé. Au fond, Norah ressentait certainement un peu de jalousie, parce que l'épouse en question avait la chance. Bien plus qu'elle. Et le tout se mêlait à un profond sentiment de colère et d'injustice, car elle ne savourait pas l'instant comme elle le devrait. Ce n'était pas normal. "Je lui ai même proposé l'intervention de la psychologue, parce qu'il y a un traumatisme pour elle aussi. Mais elle a refusé." Norah plaçait une mèche rebelle derrière son oreille et pris une profonde inspiration. Elle restait calme, impassible comme à son habitude. Quoiqu'il y avait ces quelques traits discrets qui traduisait sa perplexité, pour ceux qui savaient voir ses mimiques. "C'est bizarre, pas vrai ?" finit-elle par lui demander, afin d'avoir son avis. "Tu as le temps pour un café ? Je t'ai ramené des muffins poire-chocolat. J'ai réussi à en dérober quelques uns avant que Caelan et les enfants ne mangent tout."
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| | | | (#)Mer 18 Sep 2019 - 8:57 | |
| i've got soul but i'm not a soldier EXORDIUM. C'était jour de repos pour Yasmine. Comme souvent, et comme si elle ne passait pas déjà plus de la moitié de son temps sur son lieu de travail, elle avait décidé d'honorer ses engagements de bénévole en délaissant son service de prédilection – les urgences –, pour celui de pédiatrie où elle s'en donnait à cœur joie depuis le milieu de l'après-midi. Ayant besoin de se changer un peu les idées, elle avait préféré la compagnie d'un ou deux petits locataires du St-Vincent's plutôt que celle des adultes qui composaient son entourage ; ceux vers qui elle se seraient naturellement orientée travaillaient tous à cette heure de la journée de toute manière. En vérité, ça l'arrangeait. Elle voulait éviter les questions sur son examen passé récemment, et sur la façon dont elle gérait l'attente de ses résultats. Elle aurait pu rester dans son nouveau chez elle, mais elle avait établi, en jetant un regard rapide à son planning de ses derniers mois, qu'elle n'avait pas eu beaucoup de temps à accorder à ses petits pensionnaires préférés de pédiatrie. Une grosse erreur qu'elle avait eu tôt fait de corriger, passant de chambre en chambre en proposant son talent pour le récit avec une bonne humeur qui était sienne, et ce sourire plein de fossettes qui faisait des merveilles sur les enfants – et pas que sur eux, soit dit en passant "Moi aussi, j'aimerais bien pouvoir me mettre du vernis. Mais maman dit que c'est pour les grands et que c'est pas joli sur les petites-filles de toute façon." La voix fluette de la petite Sarah se fit entendre après de longues secondes où seule celle de Yasmine s'était fait entendre. Elle admirait, des étoiles pleins les yeux, les doigts soignés de l'infirmière qui lui faisait la lecture. Suivant la ligne qu'elle venait d'entamer du bout de l'index à l'ongle ni trop long, ni trop court, peint d'un jaune foncé qui faisait ressortir la couleur de sa peau hâlée, la jeune femme ne remarqua pas tout de suite qu'elle avait décroché de l'histoire – à ce stade du récit, Rapunzel n'avait pas encore comprit que le lâché de lanternes qui se déroulait tous les ans à la même heure, et qu'elle contemplait à coup sûr par la lucarne de sa prison dorée, lui était destiné. Dans un élan de courage impromptu, la gamine se permit de venir tâter du bout de ses petits doigts l'ongle costaud de la brunette. Dans un échange de sourires complices, cette dernière se cala plus confortablement contre la moitié de l'oreiller qu'elle avait accepté de lui céder, et lui dit dans un murmure bienveillant "T'es presque grande maintenant. Si j'étais toi, je redemanderais à maman." Elle attendit que Sarah lève la tête vers elle pour ajouter, plissant les yeux en tout-tout petit pour capter toute son attention "Si tu lui proposais que ce soit moi qui te le mette, ton vernis ? Je pourrais t'apporter toutes les couleurs que j'ai à la maison et on choisirait ensemble… qu'est-ce que t'en dis, ça te plairait ?" Elles étaient toutes pareilles, les mamans, à vouloir imposer leurs visions à leurs rejetons – même quand ces derniers étaient enfermés 24h/24h et 7/7jrs entre les quatre murs d'un hôpital, branchés à des machines bruyantes et effrayantes, leurs petits corps malmenés par des aiguilles et des drains "Tu crois vraiment qu'elle serait d'accord ? Je sais déjà quelle couleur j'aimerais que tu me mettes, devine !" Yasmine fit mine de réfléchir, tordant sa bouche dans une moue qu'elle laissa filer lorsqu'elle la prit de court en lui lançant enfin "Du rose, je parie !" Le gloussement que lâcha Sarah lui fit comprendre qu'elle avait raison – et ce n'était pas un fait extraordinaire quand 95% de ce qui se trouvait dans sa chambre était de cette couleur. Néanmoins, ça la fit rire elle aussi, et alors qu'elle jetait un regard furtif à sa montre pour vérifier qu'elle n'avait pas grignoté son temps imparti, elle ferma le livre qu'elle tenait dans les mains. En fait si – et c'était bien dommage étant donné qu'elles passaient un très bon moment –, son temps était écoulé. L'infirmière de jour ne tarderait pas à débouler pour lui administrer quelques soins, aussi ce fût dans un affaissement de ses lèvres charnues qu'elle dut lui annoncer la mauvaise nouvelle "Je vais devoir te laisser, ma belle. Mais redemande à maman, tu me diras sa réponse la prochaine fois que je passerai te voir, OK ?" Elle se leva avec délicatesse, puis elle lui tendit son poing et attendit qu'elle le percute avec le sien pour laisser un pschiiiit cocasse lui échapper en même temps que le rire éraillé qui accompagna son départ "On se voit bientôt, Sarah." Elle récupéra sa veste et son sac, puis elle lui lança un dernier baiser dans sa direction. On leur disait de ne pas s'attacher aux petits, mais Yasmine n'y était jamais vraiment parvenue. Pendant qu'elle quittait la chambre de Sarah avec son livre sous le bras, elle songea qu'il s'agissait peut-être de la dernière fois qu'elle la voyait en si bonne forme. C'était toujours si aléatoire avec les enfants, si sien qu'elle se demanda si elle n'aurait pas dû la prendre dans ses bras, même l'espace d'un court instant.
Un peu perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite Norah. Ce fût sa voix qui la ramena sur Terre "Bonjour à toi aussi, mon petit rayon de soleil !" lui fit-elle ironiquement, s'approchant du comptoir de l'accueil pour déposer son livre dessus, et rassembler ses pensées, juste le temps de faire le point sur ce que Norah était en train de lui raconter. Elle avait remarqué à quel point elle semblait obsédée par le cas de l'officier Dunn, et d'une certaine façon, ça avait tendance à l'obséder elle aussi. Tout comme la jeune femme, Yasmine connaissait son dossier sur le bout des doigts, ayant passé un nombre d'heures incalculables à vérifier ses constantes pour apaiser la conscience de l'infirmière qui se trouvait à ses côtés, et à qui elle adressa un rapide regard, avant de lui répondre avec plus de sérieux "Tu sais qu'on réagit tous différemment à ce genre de cas de figure, Norah. Elle refuse le suivi psychologique pour le moment, mais plus tu lui tendras la perche, plus elle sera prédisposée à la saisir… c'est peut-être de ça dont elle a besoin, elle ne le sait juste pas encore." Elle coinça une mèche de cheveux derrière son oreille, lançant un sourire à la dérobée à l'interne qui passait par-là en même temps qu'elle ajoutait à l'adresse de Norah "C'est bizarre, sans l'être. Tout le monde a besoin de temps dans cette histoire, c'est le genre de chamboulement qui demande plus que quelques jours de temps d'adaptation." Elle ne lui apprenait rien, mais elle jugea bon de le lui rappeler, simplement parce qu'elle avait la sensation que Norah avait tendance à manquer d'objectivité à ce sujet. Et cette perplexité qu'elle décelait sans arrêt sur son visage… ça ne lui disait rien qui vaille. Elle aussi avait besoin de temps pour se faire à l'idée que, malgré les similitudes avec sa propre histoire, elle ne devait pas se laisser trop atteindre. Si elle le pouvait, Yasmine l'aurait départie de cet effet-miroir qui la taraudait tant, juste pour qu'elle s'aperçoive qu'elle s'impliquait beaucoup trop dans tout ça, et que non, ce n'était pas sain "Attends, tu veux dire qu'ils étaient prêts à me dérober ma part sans aucune pitié ? Je suis déçue. Surtout par Julie, je croyais qu'elle m'aimait bien." laissa-t-elle échapper, poussant la porte du service d'un coup de hanche pour s'engouffrer dans la cage d'escaliers qui se remplie immédiatement de sa voix lorsqu'elle confirma que… "J'ai même le temps pour deux cafés et au moins trois muffins poire-chocolat – non, quatre. Un jour où l'autre, je ferais le décompte des calories que tu me forces à engloutir chaque semaine." Elle ne la forçait à engloutir rien du tout, Yasmine le faisait de gaieté de cœur. Mais c'était un moyen comme un autre de la forcer à se détendre ; se servir de ses kilos en trop, même s'ils étaient fictifs, ça lui semblait être un bon ressort comique à ce moment-là. Car en lui lançant un autre regard en descendant les premières marches de l'escalier, Yasmine s'aperçut qu'elle n'aimait pas du tout l'expression qu'elle lisait sur le visage de Norah.
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| | | | (#)Ven 20 Sep 2019 - 0:29 | |
| I'VE GOT SOUL BUT I'M NOT A SOLDIER i wanna stand up, i wanna let go | |
Les sourcils de Norah ne manquaient pas de se froncer très légèrement lorsque son amie laissait comprendre qu'elle aurait largement préféré démarrer cette conversation pour un semblant de politesse. Mais à ce moment précis, pour elle, il n'y avait pas le temps pour un bonjour. Il fallait qu'elle lui explique le comportement de l'épouse Dunn, l'étrangeté de la situation. Ce n'était pas normal. Il fallait qu'elle explique la situation à Yasmine. Cette dernière était devenue malgré elle la personne à qui Norah se confiait le plus par rapport à ce patient, et elle se retrouvait parfois elle-même à veiller sur lui dans le simple but de rassurer Norah lorsqu'elle était chez elle. Le chef de service n'était pas franchement enthousiaste de cette méthode, mais il avait bien conscience que c'était l'une des seules options qui permettaient à sa collègue de rester loin de l'hôpital durant ses journées de repos et de l'empêcher de continuer à accumuler les heures supplémentaires. De semaine en semaine, Norah s'investissait de plus en plus. Elle avait eu l'occasion de discuter avec le patient, de faire sa connaissance. En plus du parallèle évident avec l'histoire de Frank –que Norah ne réalisait toujours pas–, il y avait désormais l'affect qui entrait en ligne de compte. En temps normal, la soignante aurait été parfaitement capable de gérer la situation, que l'investissement ne devienne pas trop personnelle, pas trop intime. Mais l'accumulation de fatigue, et le surplus de responsabilités qui reposait sur ses épaules depuis quelques années la rendait plus fragile. Et la brèche s'agrandissait de jour en jour. Norah était dans un état de grande vulnérabilité, et la première à se voiler totalement la face, c'était bien elle. Norah entendait très bien les paroles de son amie, un point de vue bien plus objectif et professionnel que le sien. "Je suis d'accord que chacun le vive différemment." Chacun gérait ses deuils, ses traumatismes, à sa façon. L'esprit était suffisamment bien aiguisé pour gérer lui-même ces chocs, utilisant divers mécanismes pour s'assurer de s'en sortir plus ou moins indemne. Pour ne pas perdre la raison et en venir à faire des actions indélébiles. Des mécanismes très singuliers et propres à chacun. Le monde ne tournerait pas rond si tout le monde réagissait de la même façon. "Mais... Je sais pas." dit-elle en fronçant légèrement les sourcils, par perplexité. "Il y a quelque chose. Il y a un truc." L'on disait parfois que les infirmières étaient dotées d'un sixième sens. Elles pouvaient voir l'état d'un patient, qui semblait cliniquement stable, et à finir par sortir lui, je le sens pas à force de l'observer. Et dans ces cas-là, la plupart du temps, le patient décompensait d'une façon ou d'une autre. Ou quand on devinait qu'un patient était en train de décéder, le phénomène était le même. Norah profitait de voir Yasmine pour lui proposer de manger un bout avec elle et parce qu'elle savait que c'était une offre qu'elle ne refuserait jamais. "Il faut croire que la gourmandise a pris le dessus pour cette fois-ci." dit-elle en suivant sa collègue dans la cage d'escaliers. "Je ne pensais pas que la recette là aurait autant de succès. C'était juste un essai." Norah adorait tenter de nouvelles recettes, qu'elle voyait dans un magazine ou dans des livres de recette qu'elle écumait quand elle se promenait à la bibliothèque, quand elle accompagnait Julie pour ses activités lecture. "Ca doit pas être plus de calories que ce que peut parfois cuisiner ta mère, non ?" rétorqua Norah avec une pointe d'amusement. Les pâtisseries maghrébines étaient à tomber mais elles étaient riches en sucre et en matière grasse. Le pire, c'est qu'une fois que l'on commençait à en manger, on en reprenait toujours et encore. Les deux jeunes femmes se dirigèrent vers la salle de pause du service de réanimation. Elles passaient devant les grandes vitres qui permettaient d'avoir un visuel permanent sur les patients et Norah ne put s'empêcher d'y jeter un coup d'oeil. L'épouse était toujours là, neutre, statique. Norah n'était pas certaine d'avoir perçu une once d'affection ou d'amour dans son regard. Mais Yasmine avait peut-être raison, peut-être que l'épouse gérait la situation comme elle le pouvait. Il n'était pourtant pas infirme. Plusieurs mois seraient nécessaires pour une convalescence optimale, il pourrait très certainement reprendre sa vie d'antan. L'impact psychologique était aussi à travailler, ce serait certainement le plus délicat à aborder. "Et puis toi, quoi que tu manges, tu restes fine comme tout." ajoutait-elle en sortant deux mugs d'un des placards pour les remplir de café. Elle tendit l'une des tasses à son amie avant de récupérer la boîte dans lequel elle avait mis les muffins qu'elle avait faite. "Fais-toi plaisir." dit-elle en faisant glisser la boîte sur la table en sa direction. Norah s'installa sur l'une des chaises et son regard se perdait quelques instants dans le vide. "Tu sais, j'ai... ce mauvais pressentiment." finit-elle par dire après un long moment de silence. Elle tapota le bout de son nez en fixant son amie. Le flair de l'infirmière, comme disait certains. "Sur le plan clinique, ça s'améliore, il y a pas photo, mais..." Ses bras se croisaient, pendant qu'elle secouait négativement la tête. Elle se pinçait légèrement les lèvres. "Andrew est déjà en train de voir pour les centres de convalescence et il a passé ces derniers jours à me dire que je devrais êre plus optimiste. C'est pas que je veux l'être, mais... Je te jure, Yas. C'est pas net." Norah passait une main sur son visage, tentant d'apaiser une conscience plus perturbée qu'elle ne l'admettrait un jour. "Je sais pas si c'est en rapport avec lui, ou elle, ou les deux." Mais Norah restait intimement convaincue que ce n'était pas terminé. "Il a déjà envie de revenir sur le terrain. Il me l'a dit, hier." dit-elle après avoir une gorgée de son café. "Il est persuadé que c'est comme le vélo. Que plus vite il reprendra, mieux ce sera." Une pratique vraie pour certaines choses, mais certainement pas pour ce cas-là. "A croire que tous les policiers sont de la même trempe." dit-elle en lâchant un léger rire à bouche fermée. Elle pensait à Anwar, et à Frank, bien évidemment. Mais faire cette comparaison ne lui permettait pas de faire le parallèle avec la façon dont son mari était décédé. C'était juste devant son nez, mais Norah ne voyait pas. "Est-ce que ces muffins valent les calories que tu comptes à chaque bouchée ?" finit-elle par demander à Yasmine, qui avait déjà bien entamé l'un des petits gâteaux.
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| | | | (#)Lun 23 Sep 2019 - 11:40 | |
| i've got soul but i'm not a soldier EXORDIUM. L'implication de Norah sur le cas de l'officier Dunn dépassait de beaucoup le cadre du professionnel. Yasmine l'avait pressentie à la seconde où leur collègue était venue la chercher en pleine garde pour tâcher de s'occuper de la jeune femme que personne n'avait réussi à convaincre d'aller se changer. Déjà sous le choc à ce moment-là, Norah avait donné le change en prétendant bien aller, mais Yasmine avait su rien qu'en la regardant que cette histoire finirait par se retourner contre elle. C'était beaucoup trop similaire à celle dans laquelle elle avait été projetée il y avait deux ans plus tôt, quand elle avait perdu Frank et que son monde s'était brusquement écroulé. Norah cherchait à réécrire la fin à laquelle on l'avait contrainte à l'époque, et ça passait par un acharnement manifeste à trouver des réponses à des questions qui n'avaient pas besoin d'être posées. Si on leur demandait d'être vigilants avec les proches de leurs patients autant qu'avec ces derniers, chacun s'imposait pourtant des limites pour préserver la dignité de ceux qui, certes ne supportaient pas les blessures et les traitements, mais devaient cependant se dépatouiller avec l'inquiétude paralysante de voir un être cher cloué sur un lit d'hôpital. Yasmine savait ce que ça faisait, elle l'avait vécue plusieurs fois à des degrés si intenses qu'elle s'était souvent demandée si elle en supporterait davantage. Hassan, son père… elle avait très souvent endossé le rôle de l'optimiste de service pour ne pas donner matière à quiconque de penser que les choses étaient plus préoccupantes qu'elles ne l'étaient, même si tout le monde restait conscient de la gravité des pathologies qui les avaient amenées jusqu'à l'hôpital. A certains moments, malgré ses sourires et ses traits d'humour, Yasmine soupçonnait que ceux pour qui elles priaient s'apercevaient que travailler dans le milieu médical lui faisait en vérité redouter l'inacceptable… pour autant, elle s'était toujours donné les moyens d'être près d'eux pour être certaine que les choses étaient bien faites et que leurs cas étaient traités avec tout le professionnalisme qu'ils méritaient – avec, elle l'admettait, un soupçon de privilège dont elle prenait l'entière responsabilité si qui que ce soit s'en apercevait. Elle laissait alors ses tourments sur le seuil de leur chambre, et réenfilait la mine solaire qui faisait sa réputation pour leur apporter un peu de chaleur, cloitrés dans les locaux impersonnel des services dans lesquels ils étaient admis. Elle passait du temps avec eux, même si ce n'était que pour leur apporter de quoi grignoter dans le dos de l'équipe de jour qui trouvait toujours à redire parce que c'était leur rôle, ou juste pour être là, à surveiller le moindre tressautement de sourcils pendant leurs siestes. C'était bien souvent dans ces cours laps de temps, pendant qu'ils se remettaient du poids de leurs douleurs et de leurs traitements, qu'elle se laissait aller à la réflexion intense, les yeux rivés sur leur visage à distance, et les jambes tressautant pour se décharger de l'angoisse qui pesait sur son cœur ; à cette période de sa vie, la petite Sarah aurait été effarée par l'état des ongles de nurse Khadji, rongés jusqu'au sang. Alors oui, elle comprenait l'opinion de Norah au sujet du comportement de l'épouse de l'officier Dunn. En réalité, si elle avait été confrontée à la jeune femme, sans doute qu'elle se serait tout autant inquiétée de la froideur avec laquelle elle accueillait les progrès de son époux. Mais encore une fois, elle était aussi très consciente qu'il fallait laisser le temps au temps. Elle ne prit pas la peine de se répéter néanmoins, remontant le service de réanimation en écoutant Norah avec les sourcils froncé – davantage à l'instant où elle la surprit en train de regarder par la vitre de la chambre de l'officier –, et d'une oreille un peu distraite. D'ailleurs, elle était tellement plongée dans sa réflexion immédiate qu'elle démontra un léger sursaut lorsqu'elle mentionna sa mère.
"Tu sais, j'ai arrêté de m'occuper de ma ligne une fois que je me suis aperçue que ma mère serait très capable de m'injecter de l'huile par intraveineuse pendant mon sommeil." Parce que malgré le très bon coup de fourchette de la jeune femme, connue et reconnue pour ne pas rater une occasion de se remplir l'estomac avec tout ce qui lui passait sous le nez, préférablement quand ça venait directement de l'assiette de quelqu'un d'autre parce que c'était toujours meilleur d'après elle, Fatima trouvait toujours qu'elle ne mangeait pas assez. En ce moment, elle avait un peu perdu l'appétit, ce n'était pas faux, mais elle ferait tout de même honneur aux dons de pâtissière de sa collègue ; elle s'arrêterait sans doute à une seule part, ne pouvant supporter de traîner un autre poids sur l'estomac autre que celui qu'elle portait depuis quelques jours déjà, et qui l'empêchait de considérer ses journées aussi sereinement qu'elle l'aurait souhaité. Brièvement, son attention se détourna sur la poche de sa veste qu'elle tenait à la main, elle est en sortie son téléphone portable qu'elle vérifia par habitude, non sans dévoiler une pointe de déception lorsqu'aucune notification lui sauta aux yeux. Elle l'éteignit très vite, puis relevant la tête pour sourire légèrement, elle le garda dans sa main. Après avoir déposé le reste de ses petites affaires dans un coin de la pièce, elle finit par s'installer à la table de la salle de pause. Yasmine dégagea son visage d'une mèche rebelle, et ne se jetant pas tout de suite sur les pâtisseries à qui elle jeta un œil rapide toutefois, elle commença, triturant les bords de son portable qu'elle avait posé à plat, juste devant elle "Et tu te dis pas qu'il est peut-être erroné, ce mauvais pressentiment ?" se risqua-t-elle à lui demander, suivant du regard le débit du café que la jeune femme lui servait dans un mug aux couleurs des Queenslands Reds. Sur ce coup-là, Yasmine se faisait l'avocate du Diable. Elle ne tenait pas à minimiser le ressenti de Norah, mais d'un autre côté, il fallait prendre en considération que son implication était… un peu malsaine. Elle ne pouvait pas lui dire de cette façon cependant, alors avec un semblant de précipitation, délaissant son téléphone pour mieux attraper son mug bouillant entre ses mains, elle ajouta "Je veux dire par là que tu passes beaucoup de temps avec lui ici, mais finalement, tu le connais pas en dehors des murs de l'hôpital. On est une passerelle dans la vie des gens, et sauf quand ça implique leur état de santé, on sait rarement ce qu'il se passe chez eux… peut-être qu'elle a de bonnes raisons de ne pas s'impliquer autant qu'on le ferait." Leur couple battait peut-être de l'aile, qu'en savaient-elles dans le fond ? Yasmine attrapa sa tasse par l'anse, et se mit à souffler sur son café en croisant le regard de Norah. Elle le soutint quelques instants, sondant ce qu'elle réussissait à déceler de là où elle se trouvait. C'était si compliqué comme situation, si cruel aussi dans le fond… suspendant son geste, le bord de sa tasse très près de ses lèvres, elle haussa un sourcils, trouvant ça particulièrement ironique qu'elle soit celle qui se désole de l'envie de l'officier Dunn de reprendre le travail alors qu'il était toujours dans un sale état. Aussi, elle ne pouvait pas prétendre qu'elle avait tort : elle connaissait un ou deux membres de la police qui ne se laisseraient pas intimider par une longue convalescence, et elle était persuadée qu'Edgerton en faisait partie. Comme pour chasser cette conclusion qui la fit pincer les lèvres si fort qu'elles blanchirent, elle se hâta de lui dire "C'est toi qui dis ça alors qu'il ne t'a pas fallu bien longtemps avant de revenir bosser quand …" Elle n'explicita pas, Norah savait de quoi elle parlait. Lorsqu'elle laissa échapper cette observation, Yasmine se dit qu'elle aurait dut repousser son retour au travail de quelques temps, car en fin de compte, son deuil n'était pas complet – la façon dont elle envisageait le cas qui la taraudait mériterait qu'elle consulte, c'était une certitude qui la fit prendre une longue pause. Recommençant à doucement souffler sur son café brûlant, en tendant sa main libre vers le premier muffin qu'elle trouva, et qu'elle émietta pour en avaler une bouchée délicieuse, Yasmine resta silencieuse. L'expression sur son visage suffisait à répondre à la question de sa collègue, mais ça avait beau être succulent, ça ne la détourna pas de ce qui lui remplissait la tête, et dont elle tacha de se départir en lui demandant, presque timidement "Tu penses pas que tu devrais lever le pied avec ce patient ? Je sais que je te l'ai déjà conseillé plus d'une fois depuis qu'il a été admis ici, mais Norah…" Elle pencha la tête sur le côté, redressant la tasse qu'elle avait posé à côté de son muffin en essayant de capter son regard une nouvelle fois. Comme la jeune femme l'avait fait quelques seconds plus tôt, Yasmine leva alors l'index pour venir se tapoter le bout du nez et elle conclut, dans un murmure et une œillade aussi insistante que bienveillante "J'ai un mauvais pressentiment, moi aussi."
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| | | | (#)Mar 24 Sep 2019 - 23:53 | |
| I'VE GOT SOUL BUT I'M NOT A SOLDIER i wanna stand up, i wanna let go | |
L'empathie était une qualité qui devait être dosée à une quantité très exacte pour ne pas se retrouver sur une pente glissade. Si l'on cherchait à bien trop se protéger, l'entourage pourrait croire que l'on soit sans émotion, pire qu'une armoire à glace, où certaines situations ne semblaient pas affecter outre mesure. Ou, à son contraire, où l'on réceptionnait et encaissait totalement toutes les sensations transmises et verbalisées par les autres. Le personnel soignant se devait de trouver ce juste milieu, mais il y avait des situations qui les faisaient parfois virer d'un côté ou de l'autre. Le tout était de savoir se rattraper au bon moment, avant d'atteindre un point de non retour. Le plus difficile était bien de le faire réaliser aux personnes qui refusaient de l'admettre et Norah en était un parfait exemple. Butée comme elle était, elle restait focalisée sur son métier sans comprendre combien la situation de Dunn, et de son épouse qui ne semblait pas réaliser la chance qu'elle avait de voir son mari toujours en vie au vue de son état clinique, et son esprit faisait un véritable blocage sur la parallèle évidente. Ca sautait aux yeux de toutes les personnes qui la connaissaient. Tout le monde, sauf elle. Si Caelan le savait, il prendrait certainement les devants en l'éloignant du patient, c'était évident. Il semblerait que Yasmine se soit décidée à s'attribuer cette lourde tâche également, jonglant entre les discussions culinaires et un sujet bien plus fâcheuse. La mère Khadji devait être comme beaucoup de mamans : les enfants avaient toujours trop la peau sur les os, il fallait à tout prix les nourrir. Et elle ne semblait pas y aller de main morte, vu les commentaires que Yasmine laissaient sortir de sa bouche. Norah s'en amusait bien. Les deux belles infirmières arrivaient donc dans la salle de pause de réanimation, où les gourmandises cuisinées par la brune n'avaient pas encore été laminé par ses collègues – une chance, en soi. Les salles de pause dans les hôpitaux, c'était un véritable triangle des Bermudes lorsqu'il s'agissait de nourriture. Son café au lait réchauffant ses doigts, elle regardait Yasmine rapidement consulter son téléphone portable pour ensuite le ranger à nouveau dans la poche de sa tenue. A croire qu'elle attendait un message de quelqu'un. "Peut-être. Je suis pas la science infuse non plus." admit Norah avec un certain sérieux. Son visage s'était renfermé, elle sentait bien que Yasmine cherchait à la titiller. "Mais ça, seul le temps nous le dira. Me dis pas que tu n'as jamais eu de sensations pareilles." C'était viscéral, inexplicable. Et souvent, elles voyaient juste. Les médecins se voulaient être de grands optimistes et certains ne voulaient pas se fier à l'intuition de leurs collègue, parfois à raison. Et parfois pas. Norah lâchait un long soupir. "Tu devrais rester ne serait-ce qu'une heure à l'observer, je pense que tu arriverais à te faire ton idée." Il fallait le voir pour comprendre, en gros. Au fond, peut-être que Yasmine avait raison. Mais pour en être sûre, elle se demandait s'il ne valait pas mieux que la jeune femme constate de ses propres yeux avant de venir à ses propres conclusions. "Lui, il en est toujours éperdument amoureux, en tout cas. Sa femme, c'est l'un de ses principaux sujets de conversation, avec son métier." lui racontait Norah. Elle ne restait pas murée dans son silence quand elle était en chambre. Et souvent, les patients appréciaient parler de la pluie et du beau temps, d'autres s'intéressaient à la vie de ceux qui les soignaient. Ca leur faisait oublier la maladie, d'une certaine manière. Ca leur permettait de penser un peu à autre chose que la raison de leur présence à l'hôpital. Entendant que Dunn souhaitait reprendre au plus vite son poste, Yasmine fit rapidement la comparaison avec sa collègue, rappelant un moment compliqué à vivre pour beaucoup. Quelques jours après la mort de Frank, Norah était retournée au travail comme si de rien n'était, faisant un immense déni. Elle avait juste besoin de lancer un regard à son amie pour qu'elle ne termine pas sa phrase. "Ce n'était pas tout à fait les mêmes circonstances." se permit-elle de rétorquer. Encore à ce jour, Norah peinait à réaliser ce qu'il s'était passé, le jour où elle s'était présentée au travail. Il y avait encore des moments où, elle se disait que ce jour-là, Frank était effectivement encore en vie. Chaque étape de son deuil lui faisait traîner la patte, et il semblerait qu'elle ne parvienne pas à mettre les étapes déjà franchies totalement derrière elle. La désapprobation de Yasmine crevait les yeux par ce silence qu'elle laissait traîner en longueur. Norah ne manquait pas de lâcher un long soupir avant de boire une gorgée de son café. "Et il se place où, ton mauvais pressentiment ?" lui demanda-t-elle dans le plus grand des sérieux. Norah n'était pas la plus expressive qui soit, mais l'on devinait une pointe de froideur et d'agacement. "Tu veux que je fasse quoi Yasmine ? Je suis assignée à ce service, je suis à temps plein et le service n'est pas au complet. Donc quoi que je fasse, qu'importe la plage horaire que j'ai, je serai toujours menée à m'occuper de lui. Que même si je le voulais, on ne le pourrait pas." Les heures supplémentaires aux urgences, c'était pour arrondir les fins de mois. Norah ne pouvait pas se permettre, sur un caprice, de ne plus venir ou de demander d'aller ailleurs. C'était son service, la réa, elle ne se voyait pas exercer dans un service de médecine dont elle ne connaissait pas la spécialité avec détail. L'avantage de la réanimation était qu'elle voyait un peu de tout, dans les phases aiguës et une fois stable, les patients étaient mutés dans des services car ils ne nécessitaient pas une surveillance aussi accrue que le jour de leur admission. Norah soutint le regard de son amie sans trop de peine, imposant par la suite, à son tour, un long moment de silence. "Et même si on ne tenait pas compte de tout l'aspect logistique, je..." Elle déposait sa tasse sur la table devant elle et croisait ses jambes. "Je peux pas. Que ce soit... financièrement, ou par pure conscience professionnelle. J'ai pas la prétention de dire que je suis indispensable au service, loin de là." Yasmine le savait mieux que personne, dès que son amie n'était pas des murs de l'hôpital, elle pensait à lui, elle espérait qu'il ne décompense. La forcer à l'en éloigner n'était pas la bonne solution. L'inviter à continuer à le prendre en charge non plus. Il n'y avait pas de meilleure solution, il fallait simplement choisir la moins pire. "Je n'aurai la conscience tranquille que lorsqu'il repartira d'ici sur ses deux jambes." Et pas les pieds d'abord. Cela pourrait prendre des semaines, des jours, des mois. Dunn n'avait pas encore conscience qu'il ne pourrait pas reporter l'uniforme avant un certain moment, car le syndrome post traumatique commençait déjà à pointer le bout de son nez, se manifestant par des nuits particulièrement agitées. "Je vais bien, Yas. Lui, non." ajoutait Norah. Les ça va, les je vais bien, allaient bon train, qu'importe la tournure de la conversation. Jamais Norah n'admettrait franchement qu'elle était effectivement fatiguée. Que ce n'était pas qu'au niveau du travail, qu'elle devrait se permettre de lâcher prise. Et, le risque était que si elle lâchait un peu prise au niveau du travail, par exemple, c'était que tout le reste lui revienne de plein fouet, comme une immense vague qui parviendrait à la noyer. En somme, soit ça passe, soit ça casse. "Tu as du en voir passer aussi, des patients dont tu tenais à t'occuper. Et que si jamais il ne se trouvait pas dans ton secteur, tu aimais prendre de ses nouvelles. Enfin moi, c'est mon cas. Je sais que parfois j'intimide les étudiants parce que j'ai l'air froide, je suis pas insensible non plus." ironisa-t-elle, avec un rire nerveux. Juste savoir comment le patient allait, savoir comment les choses avançaient. Norah était devenue moins demandeuse en matière de nouvelles ces derniers temps, comme son état était encore plutôt stable. Néanmoins, toujours ce mauvais pressentiment. Elle ne savait pas quoi, ni comment, ni quand, ni où. Mais c'était une évidence. "Alors, ce muffin poire-chocolat ?" finit-elle par demander en indiquant d'un signe de tête le bout de gâteau que son amie avait.
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| | | | (#)Lun 30 Sep 2019 - 17:31 | |
| i've got soul but i'm not a soldier EXORDIUM. Après sa première bouchée, Yasmine ne toucha plus au muffin qu'elle avait émietté. Il était succulent pourtant, sauf qu'il ne passait pas bien, chatouillant le nœud qui lui serrait l'estomac depuis des jours. Elle prit une gorgée de café en pensant soulager cette impression qui lui tordait le ventre, les yeux accrochés à ceux de Norah qu'elle sentait agacée par ce qu'elle lui disait à ce moment-là. Non, sa collègue n'était pas particulièrement expansive sur la manière dont elle gérait ses émotions, mais à force de la côtoyer, la jeune femme avait fini par lister les petits détails qui la menaient à penser que quelque chose n'allait pas et ici, il lui semblait malheureusement qu'elle était complète, cette fameuse liste. A cet instant-ci, elle n'était pas dans une position facile, Yasmine. Elle avait tendance à toujours se placer du côté de la neutralité pour ne pas donner l'impression de chercher à envenimer les choses. Même quand elle se risquait à dévoiler le fond de sa pensée, il y avait toujours un moment où elle ne pouvait s'empêcher de vouloir alléger l'atmosphère. Il y avait des fois où ça fonctionnait mieux que d'autre, et où elle réussissait à désamorcer la bombe sans trop avoir à faire d'effort, portée par sa bonne volonté à ce que la paix soit préservée, soucieuse d'évoluer dans un environnement départi de toute rancœur ou d'animosité ; à d'autres, elle lui explosait sans délai à la figure, et elle en pâtissait encore des jours et des jours après, vivant avec le poids de son échec sur la conscience, pas toujours douée pour exprimer ce qu'elle ressentait, elle non plus. C'était son état d'esprit en ce moment. Elle n'aimait pas rentrer en conflit avec qui que ce soit, surtout pas si elle savait que son avis était basé sur des observations comme c'était le cas avec Norah. Seulement, sa patience en avait pris un coup au cours de ces derniers jours, et son humeur opérait des changements significatifs tout au long de la journée. Ça avait à voir avec tout un tas de choses – une en particulier, et qui se matérialisait sous la forme d'un ex-petit-ami qu'elle avait envoyé sur les roses de la façon la plus agressive qui soit – qui ne concernaient pas l'hôpital, mais qui influaient nettement sur sa façon d'envisager ses gardes, la tête constamment ailleurs, et l'esprit anesthésié par le manque de sommeil qu'elle traînait depuis plus d'un an désormais ; sans y penser réellement, elle tâtonna près de son téléphone pour vérifier s'il n'avait pas sonné. Oui, sa patience s'effritait. Yasmine le ressentait aussi nettement qu'un changement de température, et sans doute était-ce pour cette raison que ça l'agaçait elle aussi de constater à quel point Norah se mettait des œillères à propos de l'officier Dunn. Le déni était le pire des états, ce n'était pas elle qui dirait le contraire.
"Je t'ai pas dit de faire un caprice et de déserter le service pour ne pas avoir à t'occuper de lui." précisa-t-elle, rompant le contact visuel avec la jeune femme pour resserrer ses mains autour de son mug de café, et se repositionner plus confortablement sur son siège en se redressant tout doucement. Elle tacha de contrôler sa voix, se raclant la gorge avant de reprendre avec un calme qui lui était propre "J'essaye juste de te faire comprendre que t'es beaucoup trop impliquée dans cette histoire." Autant mettre de vrais mots sur ce qu'elle pensait de tout ça, même si elle ne ferait que creuser sa propre tombe. Yasmine sentait dans le fond qu'émettre son avis sur la question sèmerait les graines de la discorde entre elle et sa collègue – une collègue qu'elle respectait et pour qui elle avait de l'admiration et de l'affection qui plus est. Mais il fallait que quelqu'un s'y colle et ce n'étaient sûrement pas les autres membres de l'équipe qui se le permettrait… parce que subir les foudres de nurse Lindley, c'était tendre vers le mauvais côté de la force et se faire coller une étiquette difficile à retirer. Elle avala sa salive chargé de café, puis secouant très légèrement la tête, elle abattit doucement la tranche de sa gauche sur la table lisse pour mieux appuyer son discours. Yasmine reprit "Et pas seulement sur le point de vue médical, Norah. On peut s'inquiéter de la réaction de la famille, mais faire des suppositions sur leur état d'esprit, c'est dépasser une limite qui pourrait te causer des problèmes, et pas qu'auprès de la direction." Elle tut les suppositions qu'elle se faisait intérieurement sur l'état dans lequel se retrouverait Norah si jamais l'officier Dunn s'enfonçait de nouveau. Ça pouvait encore arriver, car malgré ce qu'elle prétendait en faisait appel à son éternel optimisme, Yasmine avait conscience qu'il était loin d'être sorti d'affaire. Aussi, comment réagirait Norah si son état empirait du jour au lendemain ? Mal, elle n'avait aucun doute à ce sujet "Non – non, tu ne vas pas bien." finit-elle par lâcher par à-coup, comme éprouvé par cette conversation ; elle garda beaucoup de douceur dans sa façon de s'exprimer, néanmoins. Qu'est-ce qui lui permettait de l'affirmer avec autant de certitude ? Probablement l’idée qu'elle se reconnaissait dans l'attitude de la jeune femme. Surtout dans cette manière de chanter à qui voulait bien l'entendre que tout allait bien dans le meilleur des mondes, alors que sa posture n'était plus la même et que sa façon d'envisager son métier n'était motivé que par une seule chose : l'état de ce patient qui lui rappelait l'une des personnes les plus importantes à ses yeux, et dont elle n'avait pas réussi à faire le deuil. Ce n'était pas son rôle de se lancer dans des séances de psychanalyses de comptoir, mais elle avait toujours été assidue aux cours de ce type lors de sa formation. Elle en avait retenu que la projection était dangereuse, beaucoup trop pour qu'elle réponde à l'envie de sa collègue de faire comme si de rien n'était, comme si elle n'avait rien remarqué. "Ça nous arrive à tous, le problème n'est pas là." Bien sûr qu'elle s'était inquiétée pour des patients, bien sûr qu'elle s'était personnellement occupée du suivi de quelques-uns d'entre eux ; elle était même sortie avec un homme qu'elle avait soigné, et à l'hôpital, tout le monde le savait. Alors elle était plutôt mal placée pour juger, seulement son état d'esprit n'en avait pas pâti à cette époque-là : Edge n'était pas arrivé mourant aux urgences. Elle ne s'était pas entichée de lui pour des raisons aussi nébuleuses que celles de Norah à l'encontre de l'officier Dunn. Elle soupira. Elle n'avait pas envie de penser à ça maintenant. Yasmine fronça les sourcils, les yeux s'agitant de droite à gauche tandis qu'elle fixait un point légèrement au-dessus de la tête de Norah "Personne n'a jamais prétendu que t'étais insensible. On devient pas infirmière sans un minimum d'empathie… là, je crois juste que t'en as un peu trop et qu'il faudrait que t'en parle à quelqu'un d'habilité pour t'aider à gérer… à gérer…" Elle eut du mal à continuer sa phrase. Elle savait que ce qu'elle lui dirait la ferait passer pour la vilaine de l'histoire, pour celle qui mettait sciemment les pieds dans le plat, même si c'était pour une raison louable. Restait que de nouveau en l'espace de quelques jours, elle se plaçait en antagoniste pour prononcer des vérités qui dérangeaient, et dont le poids viendrait s'ajouter à celui qui la faisait de plus en plus couler. Brièvement, elle repensa à Edge qui lui avait dit qu'elle s'attendait toujours à ce qu'on lui pardonne ses grandes envolées de sincérité et qu'on la rassure à ce sujet ; c'était encore sensible, assez pour qu'elle se demande si elle devait s'excuser tout de suite et attendre que Norah accepte sa démonstration de bonne foi, histoire de confirmer le train de pensées du jeune homme dont elle n'avait plus aucune nouvelle. Puis finalement, elle marqua une pause plus longue. Un autre soupir souleva sa poitrine quand elle se lança enfin, les yeux se baissant pour affronter ceux de Norah. Ce fût presque dans un murmure qu'elle reprit "Que t'en parle à quelqu'un d'habilité pour t'aider à gérer les ressemblances entre Dunn et Frank. Parce que c'est ça le problème, Norah." Graduellement, elle relâcha sa respiration, ce qui le hachura et la rendit plus bruyante qu'elle l'aurait souhaitée. Repoussant soudainement son mug de café et le muffin qu'elle avait à peine entamé un peu plus loin sur la table, ce fût dans un bref haussement de sourcils que Yasmine lui répondit alors d'une toute petite voix "J'ai pas très faim en fait. Les autres feront sans doute de meilleurs juges que moi pour aujourd'hui." Le je suis désolée qu'elle avait au bord des lèvres, elle ne le laissa pas échapper, mais il transparaissait dans l'œillade furtive qu'elle accorda de nouveau à la jeune femme.
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| | | | (#)Dim 6 Oct 2019 - 20:59 | |
| I'VE GOT SOUL BUT I'M NOT A SOLDIER i wanna stand up, i wanna let go | |
Le regard de Norah, devenu de plus en plus glacial au fur et à mesure que la brune lui parlait, la fixait sans même se donner la peine de cligner des yeux. Même si Yasmine semblait vouloir échapper à ce qu'elle pourrait y lire. Elle redoutait peut-être sa réaction, ou elle ne voulait pas se confronter à ce qu'elle pourrait lire dans cette paire d'yeux bleus une fois qu'elle aurait mis Norah devant le fait accompli. On ignorait d'où lui était venu l'idée de porter ce rôle très compliqué que de lui faire comprendre une évidence si frappante que l'on se demandait pourquoi est-ce que Norah ne s'en rendait pas compte elle-même. Beaucoup d'efforts lui étaient demandés pour rester calme. L'affection qu'elle avait pour sa collègue devait certainement beaucoup l'aider à traverser cette épreuve qui s'annonçait difficile pour tout le monde. Chacune des paroles de la Khadji résonnait comme un écho dans l'esprit essoré et dépourvu de ressources complémentaires de Norah. Elle pointait du doigt ce qui n'allait pas, ce qui rendait sa relation avec l'officier de police on ne peut plus malsaine, devenue même autodestructrice dans l'infirmière car le patient lui, se remettait et lui donnait toute sa confiance. Policiers et infirmiers avaient un profond respect pour l'un l'autre, deux corps de métier au service de l'humain, chacun se doutant bien des difficultés rencontrés au quotidien. En soit, Dunn était le patient idéal. Malgré ses nombreuses plaies, sa condition, sa rémission qui prenait du temps, il ne manquait pas de bravoure en encaissant beaucoup et en faisant au mieux pour se remettre. Il en avait de la volonté, c'en était certain, sinon il n'aurait jamais survécu à ces dernières semaines. Les lèvres pincées, Norah s'efforçait au mieux de donner l'apparence que cette conversation ne l'impactait pas, alors que c'était tout le contraire. Quand Yasmine affirmait que son amie était loin de bien se porter, Norah rétorquait quasi immédiatement par un bien faible. "Si, je vais bien." avec une voix sensiblement tremblante, qui pouvait être déroutant pour des personnes qui ne l'avaient jamais vu en situation de faiblesse. Apparemment, Yasmine ne se laissait plus berner par ce mensonge que sa collègue maintenait depuis bientôt trois ans. D'autres se disaient que le meilleur moyen était de faire semblant d'y croire alors qu'ils savaient très bien qu'un jour, plus rien n'allait aller. "Ca n'empêche pas certains de continuer à croire que je le suis. Insensible." précisa-t-elle. Du moins, c'était le cas des collègues qui la côtoyaient pas au quotidien. Le fait que Norah était en mesure de gérer une situation urgente de la même façon qu'elle allait voir un patient qui se portait bien. Certains admiraient son calme olympien en toute circonstances, d'autres la jugeaient trop froides et insensibles. L'expression de Norah changeait progressivement lorsque Yasmine tentait de lui faire comprendre qu'elle aurait peut-être besoin d'un professionnel pour gérer la situation, pour mettre en avant ce qui était évident. "Frank est mort." répondit Norah froidement, le regard devenu désormais impassible. "Le patient, lui, est bel et bien en vie. Le mec est un véritable miraculé et le véritable problème, c'est que personne ne semble le réaliser, pas même les premiers concernés." L'investissement affectif de Norah était au premier rang. Yasmine n'était pas fière non plus de tenir ainsi tête à Norah. Ses paroles étaient peut-être trop crues, trop déplacées. "Frank n'a rien à voir avec lui. Frank..." Etait parfait. Du moins, il l'était aux yeux de son épouse, et ce malgré les quelques défauts qui le caractérisaient spécifiquement et les tensions qu'il pouvait y avoir au sein du couple. Norah l'avait toujours aimé, chaque seconde. Il était fort probable que depuis sa disparition, elle se soit mise à l'idéaliser, bien qu'elle se souvenait de chacune de ses disputes, autant que tous les beaux moments passés à ses côtés. "Tu me vois sérieusement aller consulter un psy ?" lui demanda-t-elle alors, ayant enfin parvenu retrouvé un tant soit peu de contenance. Pourtant, au fond, elle en aurait bien grand besoin mais Norah n'avait jamais été des plus loquaces, ni du genre à étaler ses problèmes à longueur de temps, persuadée qu'on finirait par la prendre pour une véritable drama queen. Le psychologue en face d'elle s'arracherait les cheveux avant de parvenir à briser la glace et d'obtenir, enfin, quelques brides d'information sur le ressenti de la jeune femme. La pousser à la confidence n'avait jamais eu rien de bon, c'était quand elle le voulait bien, et à ce moment-là, si Norah constatait que son interlocuteur semblait peu réceptif, jamais elle n'irait en discuter davantage. Elle gardait bien trop de choses pour elle et pensait que c'était le meilleur moyen de le gérer, à tort. Yasmine ne voulait que bien faire, elle ne cherchait qu'à faire en sorte que son amie en sorte le moins blessée possible par cette situation. C'était tout un ensemble. La carapace n'était pas brisée mais la belle brune avait déjà ouvert quelques fentes bien présentes, s'agrandissant de jour en jour à force de fatigue, de quotidien chargé, de situations mentales loin d'être gérées. "J'apprécie que tu te soucies autant de moi, mais j'ai pas besoin d'aller déballer ma vie vautrée dans une méridienne avec une boîte de mouchoirs en mains." Norah avait énoncé tous les clichés possibles que pouvaient concernant une séance de psychothérapie. Déblatérer sur sa vie sur une durée impartie n'avait rien de tentant à ses yeux. Elle continuait à faire un blocage total à ce sujet, à admettre ce que Yasmine venait de dire à voix haute. Et de toute façon, jamais Norah ne trouverait le temps de faire cette thérapie (elle ne le voulait pas, et ne le pouvait pas.) "Garde le muffin pour plus tard. Il y en a bien assez pour les autres." dit-elle après un long moment de silence particulièrement lourd. Norah finit par se lever de sa chaise et posait sa tasse encore à moitié pleine sur l'un des plans de travail de la salle de pause. Yasmine pourrait croire qu'elle faisait toujours face à un mur, mais la vérité était que tout s'effondrait, derrière ce mur. "Je dois y retourner de toute façon, j'ai des antibiotiques à préparer." Et c'était peut-être pour le mieux, afin de ne pas envenimer une conversation qui avait déjà jeté un froid sur une amitié solide. La jeune femme restait statique un moment. Pourquoi refuser l'aide proposée alors qu'il était certain que Norah n'allait pas bien ? Tout simplement parce qu'elle était trop indépendante et trop fière pour admettre qu'elle n'avait pas à porter tout le poids de ses responsabilités toute seule, qu'elle avait le droit de craquer et de reconnaître qu'elle se tuait à la tâche, au détriment d'un état psychologique au bord du précipice. "Frank n'a jamais eu l'occasion d'avoir été hospitalisé. L'ambulance n'a même pas pu arriver sur place à temps." finit-elle par souffler à voix basse, s'agissant de détails dont très peu de personnes en avaient la connaissance. S'il n'y avait pas eu la tempête, il aurait eu ses chances, comme tout le monde. Là, on ne l'avait pas épargné, on ne lui avait pas laissé la moindre opportunité que de se voir mourir sous le regard démuni de son coéquipier, qui lui tentait tant bien que mal de comprimer les plaies sanguinolentes dans l'espoir de le maintenir en vie. "Le patient ne ressemble en rien à Frank, dans la mesure où à lui, on lui a donné sa chance pour qu'il survive et que son co-équipier n'avait pas eu à aller voir son épouse pour lui annoncer la nouvelle." ajouta-t-elle avec une gorge bien serrée. Anwar vivait au quotidien avec le poids de la disparition de Frank, trouvant le moyen de sentir coupable sur de très nombreux points. "Et il n'aurait pas du être au boulot la nuit-là. Le patient, si." Norah parvenait à trouver toutes les différences possibles entre Dunn et son époux afin de s'éloigner autant que possible des similitudes évidentes. D'ailleurs, Norah jurerait avoir déjà le coéquipier de Dunn quelque part. Les policiers et les brigades avaient beau être nombreuses, les flics restaient soudés entre eux. Peut-être l'avait-elle déjà croisé par hasard au commissariat. Les veuves des policiers étaient loin d'être négligés par les vestes bleues, c'était certain. Surtout lorsque le tueur n'avait toujours pas été mis sous les verrous. "Julie se réjouissait tellement de fêter Halloween avec nous." Pour une fois qu'ils avaient une soirée en commun. Aidan était encore un peu petit pour en profiter pleinement. Tournant toujours le dos à Yasmine, ses yeux finissaient par se lever en direction de la porte toujours ouverte, où elle avait un tout petit visuel de la chambre de son patient. "Ce qui me dérange c'est qu'ils ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont. Enfin lui... Aura certainement un sacré PTSD, c'est déjà le cas d'ailleurs. Mais les autres..." Norah laissa échapper un soupir démuni. "Il faut qu'ils comprennent qu'ils doivent saisir la chance qu'on leur a offerte."
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| | | | (#)Mer 16 Oct 2019 - 15:31 | |
| i've got soul but i'm not a soldier EXORDIUM. "Que je te vois ou non aller consulter, c'est pas ce qui te décideras à pousser la porte d'un cabinet de thérapie de toute façon." Bien qu'elle tachait de rester douce et affable, choisissant soigneusement ses mots pour ne pas heurter davantage sa collègue, on sentait tout de même de la lassitude dans le ton qu'emprunta Yasmine pour brièvement l'interrompre. Dans ses petits souliers, tassée sur l'assise de son siège qui lui parut soudain très inconfortable, elle préféra délaisser son muffin poire-chocolat plutôt que d'imposer davantage de pression à son estomac déjà mal en point. Qu'importe ce qu'elle dirait à la jeune femme, elle savait de toute façon que cette dernière nierait en bloc la véritable portée de ce qu'elle ressentait à propos de tout ça – une certaine forme d'injustice dans le fond, un effet miroir-inversé très malsain qui pourtant reflétait parfaitement le tableau qu'elle aurait dû vivre si Frank avait pu atteindre l'hôpital à temps et être sauvé. Yasmine savait que trop bien qu'elle se voilait la face, et pour cause. Si leurs places avaient été échangées, elle aurait agi exactement de la même façon que sa collègue. En fait, elle agissait déjà de cette façon, claironnant face à qui voulait bien l'entendre que tout allait pour le mieux, qu'elle était revenue plus aguerrie et volontaire de son séjour en Afrique… alors que plus les jours passaient, plus elle avait l'impression d'être devenue une affreuse hypocrite. Et l'hypocrisie ne s'arrêtait pas qu'à la façon qu'elle avait de minimiser les signaux qui traduisaient son trouble de l'anxiété, car les conseils qu'elle répandaient au sujet de Norah et de son bien-être mental en était aussi une autre forme qui la brûla le long de la trachée et qui lui donna brusquement la nausée – elle avait bien fait de ne pas se forcer à manger davantage. Elle, elle avait été contrainte à la thérapie avant de reprendre le travail, et sitôt qu'il avait été décidé qu'elle était apte à reprendre son poste, elle s'était peu à peu montrée réfractaire à l'idée de continuer ses séances avec le psychiatre qui l'avait reçu pour cette évaluation forcée. Ils ne s'étaient pas bien entendus, simplement parce qu'il avait su bien faire son travail et mettre le doigt sur ce qui ne tournait pas rond chez elle ; sur son besoin vital de s'occuper des autres, prenant à cœur de remettre de l'ordre dans leurs vies à eux plutôt que d'admettre qu'elle avait besoin de prendre du temps pour remettre de l'ordre dans ses pensées à elle. Elle ne l'avait jamais fait. A la place, elle avait enchaîné les heures de travail, se complaisant dans ses angoisses pour ne pas avoir à affronter le fond du problème – cette inutilité qu'elle redoutait, rentrée bien au chaud entre les quatre murs de cet hôpital qui l'avait couvé dès ses débuts de stagiaire timide, mais avec de l'avenir tant elle était douée pour ce qu'elle faisait. Elle avait accueilli ses insomnies les bras ouverts parce qu'elles lui donnaient la possibilité de ne pas s'appesantir sur ce qui lui tournait dans la tête une fois plongée dans l'obscurité ; elle avait fini par occuper ses très longues nuits en potassant son examen d'entrée à l'école de médecine, convaincue que ça lui serait salutaire d'envisager un projet aussi gigantesque que celui-ci. Ça ne l'était pas vraiment, malgré son envie grandissante de réussite et sa motivation… et elle faisait avec, donnant le change lorsqu'il s'agissait de prétendre qu'elle gérait son retour sur le sol Australien comme tout le reste : assez habilement pour qu'on ne s'aperçoive jamais qu'elle n'allait pas bien, elle non plus.
Ses doutes à propos de son avis qui ne trouverait pas justice aux yeux de Norah, cette dernière prit la peine de le partager de vive voix. Non, elle n'avait pas besoin de consulter un thérapeute, et alors qu'elle enchaînait les clichés sur la question avec une certaine ironie qui l'aurait fait rire à un autre moment, mais qui eut juste le don de la faire soupirer doucement sur l'instant, Yasmine ravala sa nausée. Elle se hissa de sa chaise pour se lever, récupéra son téléphone portable qu'elle serra fermement dans le creux de sa main et haussa les épaules en même temps que la jeune femme lui tournait le dos "Je veux pas que tu crois que je porte un mauvais jugement sur sa ta façon de gérer la situation. J'essaye juste de t'aider à prendre du recul sur tout ça… je m'inquiète pour toi." fit-elle sans savoir quoi ajouter d'autre. Elle avait déjà l'impression d'endosser – encore une fois, et ce avec un volontariat à la limite du masochisme – le mauvais rôle… alors désormais, limiter les dégâts lui semblait plus approprié. Et c'est ce qu'elle fit, timidement, tête baissée et petite voix soumise en prime "Je le sais. Je sais tout ça." ajouta-t-elle lorsqu'elle lui rappela le déroulé de cette nuit où Frank était décédé. Retranchée dans ses pensées immédiates, Yasmine se lassa encore un peu plus, se sentant étrangement prise au piège par les arguments de Norah. Si elle n'avait pas été aussi soucieuse de préserver la jeune femme, elle aurait poussé ses réflexions au grand-jour en lui disant ouvertement que c'était ça le problème en vérité. Cette possibilité que Frank avait lui aussi eut une chance de s'en sortir, c'était ce qui la forçait presque à s'investir de cette manière ; Norah savait que les auspices avaient penché en la faveur de l'officier Dunn en se basant sur rien d'autre comme critère que sur le hasard. Le sentiment d'injustice qu'elle couvait à propos de tout ça c'était si prégnant qu'elle ne pouvait s'empêcher de se mettre à la place de son épouse amorphe, à peine touchée par les progrès de son cher et tendre. Elle si elle avait eu la chance d'avoir toujours son mari à ses côtés, elle aurait su s'en contenter, elle l'aurait aidé à reprendre pieds, d'où cette impression étrange qu'elle avait à propos du comportement de cette bonne femme qui restait tapie dans la chambre de son époux sans démontrer plus d'enthousiasme face à sa rémission… sauf que Yasmine n'avait pas le droit de lui dire tout ça. Aussi passa-t-elle sa langue sur ses dents du haut en arquant un sourcil et en hochant la tête, car pas assez têtue pour tenir tête à l'une de ses collègues qu'elle appréciait sans doute le plus, elle jugea qu'elle avait déjà suffisamment outre-passé ses droits. Faisant preuve de cette retenue inculquée par ses propres parents lorsqu'il s'agissait de battre en retraite par mansuétude, elle lui rappela simplement "Ils le comprendront… avec le temps." Comme Norah avait dut comprendre avec le temps que la probabilité était une joueuse cruelle. C'était terrible, mais c'était comme ça "Je vais y aller." l'informa-t-elle ensuite, et pendant une fraction de secondes, elle hésita à faire ne serait-ce qu'un pas dans sa direction. Et puis finalement, fatiguée de se contenir plus qu'à son tour, elle s'approcha d'elle pour la prendre dans ses bras. Quand elle se recula pour regarder son visage qu'elle prit entre ses deux mains, et que ses yeux croisèrent les siens, débordant d'excuses prononcées silencieusement, elle lui dit tout bas "On se voit bientôt, mais fais attention à toi, OK ? " Elle aurait pu lui faire promettre, vraiment. Dresser son petit doigt dans l'espace qui les séparait, et la contraindre à la regarder droit dans les yeux pour que ce soit validé par le conseil restreint de la pinky promise – qui ne comptait qu'elle, d'ailleurs. Mais en la regardant une toute dernière fois après lui avoir planté un baiser sur la pommette, elle sut que tous ses arguments étaient passés au travers de la carapace craquelée de l'infirmière Leckie ; et qu'en plus, elle avait peut-être très subtilement fêlé la confiance qu'elle lui accordait depuis qu'elles s'étaient mises à travailler ensemble… juste parce qu'elle avait osé lui faire part de son inquiétude.
rp terminé. |
| | | | | | | | norasmine + i've got soul but i'm not a soldier |
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