« Vous avez une rupture complète du tendon d’achille ». Si dans les oreilles d’une personne lambda cette phrase évoque déjà douleur et angoisse, dans ceux d’un danseur elle a l’effet d’un poignard dans le cœur. Toute de suite, notre cerveau se met en route, imaginant les pires scénarios dont celui de ne plus jamais pouvoir reprendre notre sport au bon niveau. Et pourtant, en vrai, c’est une des blessures qui font parties des plus bénignes que puisse avoir un danseur professionnel. Cette phrase ‘rupture du tendon d’Achille’ sonne 1000 fois plus grave que la blessure ne l’est réellement. Compte tenu de mon métier et de mes envies futures, le médecin m’a sincèrement conseillé l’opération ce que j’ai accepté bien rapidement, n’ayant pas envie d’être immobilisé pendant 6 semaines avec le pied dans le plâtre puis 3 mois dans une botte articulée et ensuite seulement commencer la rééducation. J’ai, malheureusement, assez d’expérience dans le domaine pour savoir que je ne m’en remettrais que difficilement d’une trop longue immobilisation. Du coup, l’opération est inévitable mais aura au moins l’avantage que les risques de re-rupture soient diminuées jusqu’à 5% voire plus bas.

Voilà ce qui me passe par la tête alors que je suis allongé là, sur le lit d’hôpital dans cette chambre, le regard posé sur mon pied qui ne ressemble strictement à rien. Gonflé, enflammé, bleu, jaune et difforme, il a été fixé dans un bandage de fortune assez serré pour que je ne risque pas de faire un mouvement qu’il ne faudrait pas faire. Car un faux mouvement et le muscle du mollet se rétractera totalement, rendant l’opération beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est réellement. Actuellement, le chirurgien parle d’une opération dite « minimale invasive » donc avec seulement 4 troue sur les côtés de la cheville et au niveau du mollet ce qui réduit beaucoup les risques d’infections. Si toutefois, le muscle n’est pas coopératif, je risque la cicatrice d’au moins vingt centimètres et donc tous les effets secondaires qui vont avec.

C’est pour ça que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Autant parce que le bandage maintient le pied dans une position très peu naturelle, qu’à cause des atroces douleurs mais surtout à cause du fait que j’ai réellement peur de faire ce faux mouvement qui me sera fatal. Lançant un coup d’œil vers la montre, je soupire doucement en voyant qu’elle n’indique que 13h et qu’il me reste encore plus de 3h à attendre. Et ce sans avoir le droit d’avaler quoique ce soit alors que le repas est servi dans les autres chambres.

Soupirant doucement, je me recouche à nouveau, posant ma tête dans les coussins et ferme yeux. Seulement quelques instants, car je suis très rapidement sorti de mes rêveries par la porte qui s’ouvre. Tournant la tête, mon regard se pose sur Oakley et je me redresse en arquant un sourcil « Okley !» m’exclamais-je en poussant légèrement sur mes mains pour me remettre dans une position plus confortable et moins avachit, alors que la danseuse s’avance vers moi, m’expliquant avoir entendu ce qui s’est passé avant de me tendre une boîte de pâtisserie et une bouteille de coca. J’observe le tout, l’attrape hésite sincèrement puis secoue la tête «C’est très gentil, mais l’opération est dans trois heures à peu près  » je soupire et me penche sur le côté pour poser le tout sur la table de chevet «et je ne peux rien- » je me tais subitement lorsqu’une douleur aigue traverse mon pied. Fermant les yeux, je sers les yeux puis souffle doucement en remettant mon pied dans une position antalgique. « Vivement l’opération, sérieusement» soupirais-je en me reculant à nouveau contre mon oreiller « Ne serait-ce que pour ne plus avoir cette peur du faux mouvements et risquer la plus grosse opération» je secoue doucement la tête puis repose mon regard sur Oakley et lui sourit « ça fait plaisir que tu sois là en tout cas ! Qui t’as dit où j’étais ?» demandais-je par pure curiosité «Et puis surtout, comment tu vas toi ? »

@Oakley Jensen

J’aime beaucoup Oakley. En plus d’être une très bonne danseuse, une partenaire du tonnerre et parfois une rivale, elle est surtout une amie pour qui j’ai un très grand respect. Malgré tout ce qui s’est passé dans sa vie, elle a toujours eu le cœur sur la main et j’ai toujours pu compter sur son soutient. Comme aujourd’hui, alors qu’elle débarque le lendemain de mon admission à l’hôpital et qu’elle s’excuse carrément de ne pas être venue plus tôt. Comment puis-je lui en vouloir, sérieusement ? Je secoue doucement la tête puis pince légèrement les lèvres lorsqu’elle se lance dans une tirade disant qu’elle ne me comprend que trop bien, qu’elle sait comment je me sens et tout. Et au final, je me rends compte qu’elle a faux sur toute la ligne car même si le temps va être long, je sais déjà maintenant que je ne vais pas en faire tout un plat et que je vais réussir à supporter sans trop de mal le fait de ne pas pouvoir danser.

« Oh tu sais Oakley, j’ai toujours le théâtre sur lequel je peux me concentrer pour l’instant» dis-je sur un ton léger, haussant les épaules «Et puis j’ai toujours une jambe, un tronc et deux bras totalement fonctionnels et je peux donc assez facilement trouver des exercices pour ne pas trop perdre musculairement parlant » expliquais-je, me disant quand même, dans le fond, que je m’avance peut-être un peu trop. Je ne suis même pas encore opéré que je pense déjà à ce que je peux faire plus tard. « Donc au final …je dis pas que ça me fait plaisir hein, au contraire, je trouve ça genre vraiment chiant, mais c’est pas comme si je pouvais plus du tout bouger » je grimace, repensant malgré moi au moment où je me suis réveillé à l’hôpital il y a presque 11 mois de ça, que je me suis rendu compte que je ne pouvais plus bouger et que cet état à durer trois semaines.

Secouant la tête pour chasser ces pensées négatives, je reporte mon attention sur Oakley qui pose le paquet de gâteaux sur ma table de chevet –je me fais la promesse de tous les manger lorsque je reviendrais dans ma chambre ce soir !- et lui sourit en lui disant que ça me fait plaisir de la voir. Ce même sourire trouve son écho sur les lèvres de la jeune danseuse qui m’avoue que c’est Alexa qui l’a appelé après que je sois parti avec l’ambulance. «C’est bien son genre à Alexa » souriais-je avant de lui demander comme elle va, elle. Sa réponse ne m’étonne guère. A vrai dire, après ce qu’il s’est passé entre elle et son ex copain, je me doute fortement que le moral de la jeune femme n’est pas toujours au beau fixe. « je vois» dis-je doucement « Enfin oui, t’as raison, vas-y doucement et tranquillement. Personne ne t’oblige à aller bien tout de suite après tout ça» assurais-je en me poussant sur mes mains pour me redresser dans le lit « y aura toujours des jours avec et des jours sans. Tant que tu te laisse pas dépasser par les évènements et les pensées négatives, ça devrait aller» je lui souris avec douceur puis me recouche contre l’oreiller, gardant mon regard posé sur la jeune femme.

@Oakley Jensen

J’arque un sourcil lorsqu’Oakley me dit qu’on pourra faire des choses ensemble plus tard, qu’elle doit faire attention pour sa reprise et me demande si elle se rend réellement compte à qui elle dit cela. Est-elle au courant que je vais me faire opérer ? Que je devrais oublier le sport dans un premier temps et que les étirements sont bien les derniers de mes soucis ? Je ne réponds rien, me contente de sourire et essaie de changer de sujet mais Oakley retombe toujours sur son cas à elle. Et tout à coup je sais exactement comme Ambroise s’est senti alors qu’il avait apprit avoir été infecté par une maladie incurable et que moi j’étais là, devant lui, à avoir des pensées égoïstes et à ne penser qu’à moi. C’est un sentiment presque humiliant. Et ça me met mal à l’aise. Je me doute bien que mon amie ne pense pas à mal, mais qu’elle me parle de ses problèmes alors que je ne suis clairement pas au mieux de ma forme m’emmerde clairement.

Mais je la laisse parler, pensant que, peut-être elle arrêtera de se morfondre –parce que clairement, je n’aurais pas la force de la soutenir aujourd’hui. Elle fini par dire que tout ce qui compte c’est qu’elle va bien et je me dis qu’heureusement je ne sors pas cette phrase de son contexte, avant de me parler de son grand frère. Je dévie le regard, retient de rouler des yeux et me redresse pour m’installer correctement. C’est là que, enfin, Oakley m’accorde un peu plus d’attention.

« J’ai juste besoin que tu arrêtes de me parler de tes problèmes » dis-je en reposant mon regard sur mon amie «Ce n’est pas contre toi et je comprend vraiment que tout cette situation avec David t’as traumatisé et te travail encore maintenant mais je …c’est pas le moment d’en parler. Vraiment pas. » je secoue la tête « Si tu étais venue me parler hier ou la semaine dernière de tout ça, je t’aurais accueillit les bras ouverts mais là …non, juste non. J’ai pas besoin d’entendre tes jérémiades alors que je vais me faire opéré dans moins d’une heure et que je peux dire adieu à la danse pour les prochains mois» je soupire doucement et me passe une main sur le visage « Donc si tu veux parler de tes problèmes trouves-toi quelqu’un d’autre, un psychologue, ou va voir ton frère. Mais moi je ne suis pas en mesure de te soutenir. Pas aujourd’hui en tout cas. J’ai clairement pas la tête à ça» je me tais et fixe mon regard sur la jeune femme, scrutant ses réactions.

@Oakley Jensen