| The less I know the better ☼ Allan |
| | (#)Lun 23 Sep 2019 - 7:23 | |
| Courir dans les nuages, c'était un truc merveilleusement facile à faire. Ça ne demandait aucun effort, pas beaucoup de réflexion. Tous les gens qui vivaient ici avait l'air très heureux de le faire, parfaitement adaptés à leur nouvel environnement. Je ne me souvenais plus du moment où les gens avaient commencé à habiter dans les nuages. Peut-être avions-nous toujours résidé dans ces amas de coton blanc. Toute la ville y retrouvait ses habitudes bruyantes, vrombissantes, tonitruantes. Les gens se rendaient au boulot comme ils avaient l'habitude de le faire. Moi, je me rendais à l'Université d'une manière tout à fait habituelle : en vélo. Nous ne prenions plus de notes en cours : tout semblait être parfaitement logique dès le départ. D'ailleurs, aujourd'hui, j'avais cours dans un amphithéâtre tout en longueur, pas plus épais qu'une petite pièce. Long comme un terrain de baseball, l'amphithéâtre accueillait de prestigieux élèves, comme Elvis Presley ou Bob Dylan. Je ne savais pas bien quelle matière nous allions étudier aujourd'hui, mais le professeur arborait une moustache assez imposante pour que le sujet paraisse extrêmement sérieux. Mais alors que notre professeur s'apprêtait à entamer le sujet du cours, une sonnerie assourdissante se fit entendre. Il sembla qu'elle venait de partout et de nul à la fois. Les mots des étudiants furent noyés dans cette sonnerie. Bientôt, je compris qu'elle ne se faisait pas entendre dans l'amphithéâtre. En réalité, elle venait de l'extérieur. Ou plus précisément, elle sortait de ma tête.
Je m'éveillai avec un étrange sentiment de confusion. Mon réveil n'indiquait pas une heure tardive. Les yeux encore embués de sommeil, je distinguai environ neuf heures. Mon cerveau s'attendit à arriver à nouveau dans l'amphithéâtre, mais je ne passai que la porte de ma chambre. On sonnait à ma porte. Sur un petit meuble de mon couloir, j'attrapai un carnet et un stylo. Je notais tous mes rêves, sans le détail. Une phrase me suffisait à me souvenir des images auxquelles j'avais été confronté la nuit même. En m'étirant, je passai dans le salon, attrapai une pomme sur le bar qui faisait office de liaison avec la cuisine ouverte. Mes yeux se posèrent un instant sur le canapé vide, sur lequel je jetai négligemment le carnet. La sonnerie se fit encore entendre. « J'arrive, j'arrive. » marmonnai-je avant de croquer dans la pomme que j'avais attrapé précédemment.
L'hiver touchait gentiment à sa fin. Tout semblait plus... gai. Et à la fois, tout ce qu'il s'était passé dans les semaines précédentes m'empêchait de dormir. Les cheveux encore en bataille, j'ouvris grand la porte pour me retrouver devant un homme brun. L'air qui remontait le long de l'escalier m'indiqua soudain que je me promenais torse-nu. Et c'était tant pis. Ce type venait de me tirer du lit, je pouvais l'accueillir comme j'en avais envie. « Si vous cherchez le voisin, il n'est pas là. Il rentrera d'ici... une heure, je dirais. » On sonnait parfois à ma porte pour venir le trouver, parce qu'il n'était jamais chez lui. « J'peux prendre votre nom, si vous voulez. Je lui dirai que vous êtes passé. », lançai-je en hochant la tête. Je croquai à nouveau dans la pomme pour réprimer un bâillement.
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Le petit @Clément Winchester désirait être mentionné, me semble-t-il.
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| | | | (#)Mar 24 Sep 2019 - 5:29 | |
| Bon bon bon. Il y a des jours, comme ça, où je me sens plein d'énergie, de joie et de bonne humeur. Des phases où je me sentirais presque d'envie d'aider mon Prochain - au moins, ça rachèterai un peu mon âme au diable, au moins de quoi éviter quelques années supplémentaires dans les chaudrons de l'Enfer, si tant est qu'il existe - et où je ne broncherai devant rien. Genre bonne pâte quoi.
Mais ça, c'était hier. Déjà, j'ai méga mal dormi la nuit dernière, c'est-à-dire pas plus de trente minutes, et ces quelques pauvres instants d'assoupissement, j'ai cauchemardé, me réveillant avec une véritable "terreur nocturne" comme ils disent les toubibs. Bref. Vous l'aurez compris, aujourd'hui, je suis plutôt dans une phase ronchon, un tantinet grognon et il semblerait que le bon Dieu ait mal dosé l'agacement en ce jour: je me sens de tempérament à botter des culs. Tiens, mais ça tombe bien, il y en a un en particulier que je dois me farcir ! Le pauvre, il ne sait encore même pas ce qui l'attend, il ne connaît ni ma tronche, ni ma voix, et encore moins mon lien avec lui-même. Ahah, la surprise matinale que je lui réserve, cherry on the cake. Je grogne en me levant du canapé dans lequel j'ai passé une partie de ma nuit, un bouquin à la main, un verre se remplissant de Bourbon à intervalles réguliers. Je ne tangue même pas, s'il-vous-plaît ! Je me sens même plutôt lucide en fait, et tant mieux. Je suis fou, mais pas suicidaire: hors de question de prendre le volant au-delà d'une certaine dose d'alcool absorbée en un laps de temps donné. Allez, direction la salle de bain: y a besoin de se préparer pour la petite fête que je vais me donner à coeur joie de lui organiser, à l'autre zigoto.
De qui je parle ? Enfin, à qui je pense ? Mais au petit copain de mon fils, bien sûr. Au départ, j'avais été enchanté que Clément se trouve enfin quelqu'un, mon coeur de papa fondant devant le SMS où il m'avouait à demi-mots sa relation avec un autre garçon, m'annonçant du même coup sa mise en couple et son coming-out homo. Ahah, qu'est-ce-que j'avais ri derrière mon écran tactile en imaginant sa tête de bébé stressé face à ma réaction. Bref, ce jour-là avait été un heureux temps. Mais j'ai vite déchanté: il y a quelques jours, le 9 septembre plus exactement, Clément a passé sa journée d'anniversaire avec moi. Oh, en famille, c'est toujours sympa bien entendu, surtout quand on a son vieux père prêt à sacrifier son duvet pour qu'il serve de punching-ball. Car cet anniversaire avait moins bien commencé qu'il l'aurait dû, et une raison à cela: Léo, le petit ami. Celui qui avait préféré passer sa journée avec sa bestfriend plutôt qu'avec son boyfriend, parce qu'ils partageaient la même date d'anniversaire. Je soupire sous l'eau chaude, perles brûlantes et transparentes qui s'écrasent sur ma peau et coulent le long de mes muscles bien entretenus pour mes cinquante-et-un ans. Le pire, c'est qu'il n'a même pas dû se rendre compte à quel point il avait blessé Clément, cet idiot. Et mon fils n'était pas mieux, ne lui ayant sûrement rien dit de ce qu'il avait sûr le coeur. Bande de gamins débiles. Bref, il est de mon rôle de remettre les pendules à l'heure, pour tout le monde. Pour le louveteau, c'est fait; au tour de son coup de coeur, maintenant.
...
Mais nooooon, je ne vais pas lui faire du mal, ni lui faire peur. Juste lui remonter les bretelles, dès notre première rencontre. J'aurais préféré que ça se passe autrement, mais hein. Quand on est con, on est con, et faut assumer le retour de bâton. En plus, ça tombe bien: je suis dans un pas trop bon jour, donc juste ce qu'il faut de renfrogné pour paraître sérieux à point dans ce que je dirai. Bref. Un jean casual enfilé, un simple tee-shirt gris (mais de qualité, on se refait pas), des baskets tout confort, une veste noire à col montant. Un coup de brosse dans les cheveux, un peu de parfum, dents brossées. Ok, je suis au moins potable. Go.
Je sonne, et j'attends. S'il y a bien une chose que j'ai appris avec les années, c'est la patience. Enfin, presque. C'est toujours mieux qu'à mes vingt ans quoi. Et j'ai tendance à oublier que tout le monde n'est pas insomniaque comme moi. Mais, alors que je commence à m'agacer des secondes qui défilent, la porte s'ouvre. Si vous cherchez le voisin, il n'est pas là. Il rentrera d'ici... une heure, je dirais. J'peux prendre votre nom, si vous voulez. Je lui dirai que vous êtes passé. Je regarde le jeune homme qui me fait face, avec un sourire mi-appréciateur (mais oh, pas trop hein, c'est le boy de mon fils quand même) mi-goguenard. Je pointe la plaque sur la porte d'entrée, sur laquelle le nom est affiché. Non, je veux bien voir Léo Ivywreath. C'est bien toi, non ? Je lui laisse à peine le temps de répondre que je m'immisce dans son appartement; il est trop surpris de mon acte pour réagir et me bloquer à l'entrée, je passe donc comme une lettre à la poste. J'avance un peu dans le couloir d'entrée, zyeute autour de moi. C'est sympa ici. Cosy. Je commente, l'air de rien, intéressé de voir dans quel environnement vit le copain de mon fils. Mais je ne laisse pas traîner le suspense trop longtemps; quoi que ça me fait bien rire de voir le gamin frétiller d'énervement comme de questionnement devant mon comportement. Arrivé vers le salon, lui sur mes talons, je réponds enfin à ses interrogations: Allan Winchester, le père de Clément. Enchanté. Ou pas, si tu fais du mal à mon fils à l'avenir. Mais soyons clean, soyons diplomate; le but n'est pas de se fâcher.
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| | | | (#)Mer 25 Sep 2019 - 7:50 | |
| La pomme, ça m'aidait à me réveiller. Ça m'occupait les mains le temps de me faire couler un thé. Mais là, visiblement, avec le gus qui plantait devant chez moi, je n'allais pas pouvoir me boire un thé tranquille. « Non, je veux bien voir Léo Ivywreath. C'est bien toi, non ? » Je haussai un sourcils alors que ce dernier s'introduisit dans mon appartement. Je ravalai un 'on n'a pas élevé les cochons ensemble' grognon et suivis l'intrus du côté de mon salon. « Ouais mais non. C'est pas un moulin ici, on ne rentre pas comme on en a envie. » Socrate, petit chat brun pas vraiment du matin et qui faisait augmenter la moyenne du sommeil d'un chat jusqu'à presque 17 heures de dodo par jour, vint à la rencontre de l'intrus. Le matou se poste à plusieurs mètres de distance et retourna rapidement à son perchoir du côté du couloir, comme s'il venait d'être dérangé. Au moins, lui et moi, on se comprenait.
« C'est sympa ici. Cosy. » « Ouais. C'est encore mieux quand les gens préviennent qu'ils vont passer. » Se mettre à dos un inconnu n'était peut-être pas la meilleure manière de se sociabiliser, mais ce type l'avait un peu cherché. Ce dernier s'arrêta à l'entrée de mon salon. « Je dois d'argent à personne. Enfin je crois. Je ne crois pas vous avoir entendu décliner votre identité. » « Allan Winchester, le père de Clément. Enchanté. » Mon premier réflexe fut le battement de cils intempestif. Le père de Clément. Chez moi. Il y eut un blanc. Un silence brisé par le miaulement de Machiavel qui se réveillait visiblement, lui aussi, de plusieurs heures de sommeil. « Enchanté, je suppose. », m'entendis-je dire. Après un sourire maladroit qui s'apparentait plutôt à un rictus tendu, je passais dans le salon. J'attrapai mon hoodie jaune qui traînait là pour l'enfiler. L'air de la pièce semblait en effet avoir pris un sacré coup de froid.
Mais qu'est-ce qu'il fichait ici, le père de Clément ? Est-ce qu'il était arrivé un truc grave à mon brun ? « Pourquoi vous êtes ici ? Il est arrivé un truc à Clément ? » Pitié, pas de mauvaises nouvelles. Je cherchai mon téléphone des yeux dans la pièce, mais ne tombait que sur une paire de ciseaux laissée sur la table basse de mon salon. Au moins, si ce type avait un truc à me reprocher, je pouvais toujours me rabattre sur cette arme potentielle. Finir à l'hosto' m'avait rendu un peu stressé. Pas parano, mais vite anxieux une fois seul face à quelqu'un dont je ne connaissais pas les intentions. Cela passerait, pour sûr. Je savais comment tout cela fonctionnait. J'étudiais les mécanismes de la mémoire et du développement depuis des années. Pas parano. Ça allait passer. « Vous voulez un truc à boire ? Du thé, du café... » De quoi m'occuper les mains. Vite. Machiavel vint sentir notre invité. Le petit chat noir avait beaucoup plus d'audace et de courage que son colocataire Socrate. « Vous venez peut-être récupérer un trucs à Clément ? Il a peut-être laissé un pull ou deux. » Comment devait-on se comporter, en présence du père de celui ou celle qui partageait notre vie sur le moment ? Bien sûr, on m'avait déjà parlé des notions de 'belle-famille' et de tous les codes sociaux qui en découlaient. Mais là, c'était différent. Là, c'était la pratique. « Clément sait que vous êtes ici ? » Parce que si oui, il aurait pu prévenir. |
| | | | (#)Dim 29 Sep 2019 - 4:36 | |
| Je passe largement au-dessus des protestations du petit bonhomme qui semble outré par mon comportement. Comment ça, ça ne me plairait pas à moi non plus qu'on entre chez moi ? Bien sûr ! Sauf que moi, je réagirais. Je prendrai l'intrus par la peau du coup, et allez zou, dehors. Le gamin qui est à mes côtés ne semble pas assez sûr de lui pour réagir aussi promptement, ou alors il n'a aucun instinct. J'aurais pu le tuer trois fois depuis qu'il m'a ouvert sa porte, et tout ce qu'il fait, c'est me lorgner d'un regard suspicieux. D'ailleurs, il lâche même un 'enchanté', plus d'obligation qu'autre chose. C'est à cet instant que je surprends son regard sur la paire de ciseaux, qui traîne sur la table basse de son salon. Je le regarde, je regarde les ciseaux. Mon visage fait deux-trois allers-retours comme ça, avant que je n'éclate d'un rire bref. Pendant quelques secondes, je ris comme un damné, avant de me calmer. Ah ouais, il en est à ce point là de réflexe défensif, le gamin. Autant détendre direct l'atmosphère, car à ce rythme-là, on risque d'avoir une relation sacrément dérangée, lui et moi. Eh, je suis pas là pour t'agresser hein. Alors n'imagine même pas attraper ces ciseaux pour me planter, t'en auras pas besoin. Et de toute façon, je les aurais eu avant toi. Tout cinquantenaire que je suis, j'en mettrai ma main à couper au feu que j'ai deux fois plus de réflexes que ce minot dans la vingtaine, et trois fois plus de force, au moins. Déjà, la nature est injuste et cruelle, et de carrure, on ne se ressemble carrément pas. Lui, il est fluet et long, taillé pour la fuite. Je suis un peu plus ramassé et carré d'épaules, prêt au combat. A moins qu'il soit du genre nerveux qui surprend par ses actions, mais j'en doute. Enfin, ne jamais sous-estimer qui que ce soit. Bref, y a pas à dire, l'idée n'est clairement pas de se battre, et ce serait ridicule ne serait-ce que d'imaginer ce que ce serait, ou ce que ça donnerait.
D'ailleurs, mes paroles semblent le tranquilliser, car il me propose une boisson. Chouette, il est tôt en plus; rien de mieux qu'un p'tit kawa pour se mettre en forme. Je veux bien un café, s'il-te-plaît. Ouais, je peux être sacrément intrusif, mais j'en oublie pas les formules de politesse de base. Je souris lorsqu'un petit chat vient auprès de moi, me reniflant les pattes. Je suis plus chien que félin, mais j'aime toutes les bêtes. J'ai même pu caresser un lionceau une fois, en pleine savane. Le pauvre petit avait été abandonné par sa mère, qui avait dû le juger trop faible pour survivre. Alors je l'avais pris avec moi, et ramené à la réserve la plus proche. Aujourd'hui, c'est un gros matou qui s'appelle Mufasa, et qui est retourné à la vie quasi-sauvage dès qu'il avait été suffisamment fort pour se débrouiller seul. Il serait suivi toute sa vie grâce à une puce implantée. Me reconnaîtrait-il si on se voyait ? J'en sais rien. Ce qui est sûr, c'est que le Leo face à moi m'est plus hostile. Je caresse du plat de la main le chat couleur encre de Chine, qui me répond par un ronronnement. Sympa le minou. Jusque-là, j'ai ignoré les questions du jeune homme sur son petit-ami, qui est aussi - SURTOUT - mon fils. Mais la dernière est intéressante. Avec un sourire carnassier et des yeux pétillants d'amusement comme de sérieux, je réponds: Absolument pas. Il me tuerait s'il le savait. D'ailleurs, il le saura bien tôt ou tard. J'ai révisé mon testament ces dernières années ? Il va falloir que je vérifie. Mais j'attends que nos boissons soient servies pour en dire plus. Lorsque Léo me donne finalement mon café, je le remercie d'un signe de tête. Je bois une première gorgée, et reprends: Si je suis là, c'est parce qu'il fallait que je te parle. Je bois une deuxième gorgée. Tu ne t'en es peut-être même pas rendu compte - je le sais, j'ai fais plus ou moins la même connerie à vôtre âge - mais fait attention à comment tu agis avec Clément. J'observe sa réaction: il semble perdu. Ahah, Wolfy n'a pas dû lui en parler, à tous les coups. Quel enfant idiot quand il s'y met. M'enfin.
Mon regard, qui aurait pu se faire dur, ne l'est absolument pas; à mon grand damn, moi qui ne suis pas du style à m'occuper d'autrui - mais mon fils, c'est ma vie - mes yeux sont surtout teintés d'inquiétude toute paternelle et de tristesse. Tu as blessé Clément, à son anniversaire. Mon fils est un idiot qui ne sait pas exprimer correctement ses sentiments. Sache qu'il a été vraiment touché par ton absence. Il vous avait prévenu toute une super journée, tout le truc. Je soupire, laisse au garçon le temps de gérer l'information. Je me doute que sa meilleure amie est importante, elle aussi, mais quand on décide de partager sa vie ou du moins des sentiments avec quelqu'un, on est présent pour lui, c'est la moindre des choses. Sinon, on ne se met pas ensemble. Je bois d'un trait le reste de mon café, qui, à l'italienne, tenait plus de l'espresso que du café allongé américain. Hmm, bonne dose de caféine et d'adrénaline dans les veines. Je n'ai pas plus envie que ça de m'immiscer dans votre relation; mais je ne supporterai pas de le ramasser à nouveau à la petite cuiller comme la semaine dernière. Je me rappelle encore de son état: bougon, grognon, frustré, triste. Tout ça contenu si fort qu'il en avait détruit mon sac de couchage pendant une session boxe improvisée, et une bonne discussion après. Ça m'avait fait de la peine de voir mon petit loup si triste, le jour de son anniversaire. Un louveteau et un lionceau: la paire ferait-elle bon ménage ?
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| | | | (#)Lun 30 Sep 2019 - 9:25 | |
| « Eh, je suis pas là pour t'agresser hein. Alors n'imagine même pas attraper ces ciseaux pour me planter, t'en auras pas besoin. » Je fis la moue, pas honteux mais plutôt coupable. Evidemment que j'aurais perdu contre un type pareil. Même avec des ciseaux. Et le risque de se blesser aurait été un peu trop grand. Mais ce type n'avait effectivement pas l'air de vouloir m'agresser, alors... Je lui laissais le bénéfice du doute, sans pour autant renoncer à la paire de ciseaux qui gisait là, non loin, provocatrice. Un appel au meurtre. Des 'et si j'attrapais les ciseaux' - appel du vide - plein la tête, je détaillais du regard Machiavel, qui vint au contact de l'intrus. Mon chat noir, sociable comme pas deux, émit d'abord le miaulement de la tentative de communication, puis un ronronnement, bien plus compréhensible. L'appel de l'amitié. Je levais presque les yeux au ciel devant sa naïveté. Visiblement, l'animal n'avait peur de rien ni de personne. Il aimait chiens, chats et êtres humains, sans distinctions. Le contraire de Socrate, qui avait totalement disparu de la surface de la planète. Le couard au pelage brun était probablement allé se planquer quelque part d'où il ne pouvait pas sentir ni les relents de l'intrusion, ni les effluves de mon inquiétude.
Je ne me détendis qu'au bout de quelques fastidieuses et interminables minutes. « Je veux bien un café, s'il-te-plaît. » Je n'étais pas un habitué des cafés. Pour sûr, les miens étaient plutôt dégueulasses. Je n'avais qu'une machine de circonstances. Du café de circonstances, aussi, parce que j'étais plutôt du genre à boire du thé. De quoi contenter mes potentiels invités aux goûts différents des miens. Je filais déjà vers la cuisine, jaugeant du regard le plan de travail impeccable sur lequel était disposé un étui à couteaux dont je ne me servais pratiquement jamais. En revenant avec l'unique café tiré de ma machine, j'appris que Clément n'était pas au courant que son père se trouvait dans mon salon. Un comble, donc, dont il ne manquerait pas d'entendre parler. Je vins caler mon dos contre la fenêtre, qui se trouvait juste à côté de la table basse où je venais de poser le café du père de Clément. « Si je suis là, c'est parce qu'il fallait que je te parle. Tu ne t'en es peut-être même pas rendu compte - je le sais, j'ai fais plus ou moins la même connerie à vôtre âge - mais fait attention à comment tu agis avec Clément. » Je haussai un sourcil et croisai les bras. Quoi, j'allais maintenant recevoir des remontrances quant à ma manière de me comporter avec mon propre petit ami ? Depuis quand les parents s'immisçaient-t-ils dans la vie sentimentales de leurs enfants âgés de plus de vingt ans ? Ma mère, assurément, aurait fait exactement la même chose. Sauf que Clément est un garçon. Et que, donc, elle se serait contentée de ne pas lui serrer la main, de le regarder de biais et de bégayer un maladroit 'je vous souhaite tout le bonheur du monde' avant d'aller renifler de tristesse dans le confessionnal où elle avait tant l'habitude d'aller. En toute hypocrite, elle aurait envoyé une carte de vœux pour Noël et une autre pour mon anniversaire, sans jamais prendre de nouvelles de Clément.
J'écoutais papa Winchester et ses complaintes le visage plutôt fermé et les bras croisés. Mach' vint se frotter contre mes jambes. « Tu as blessé Clément, à son anniversaire. Mon fils est un idiot qui ne sait pas exprimer correctement ses sentiments. Sache qu'il a été vraiment touché par ton absence. Il vous avait prévenu toute une super journée, tout le truc. » Je cillai, me baissai soudain pour attraper le chat noir entre mes bras. Je ne savais pas qu'il avait prévu quoi que ce soit. Il ne m'avait rien dit. Bien sûr, que cela avait dû le blesser. J'aurais dû faire autrement. Le rejoindre le soir, par exemple. Nous aurions au moins passé la soirée tous les deux. Mais Charlie traversait des choses visiblement très compliquées... et Charlie's Day, c'était Charlie's Day. Le monde pouvait exploser vingt-quatre heures plus tard que je passerais la ma dernière journée sur Terre avec elle. « Il n'a rien dit. » me contentai-je de souligner. Mais moi, l'évident pro' du couple - quelle ironie - j'aurais peut-être dû savoir que cela se faisait autrement, lorsqu'on avait quelqu'un dans notre vie. Quelqu'un à célébrer. Il était super immense, mon problème. Charlie et Clément ne pouvaient-ils pas être nés à des jours différents de l'année ? Non, bien sûr. Ils s'insupportaient et en plus de ça, ils me faisaient faire des nœuds de cerveau pas possibles. Machiavel manifesta son désir de descendre de mes bras. Une fois au sol, il fila en courant du côté du couloir, probablement pour aller embêter un peu son colocataire félin.
« Je n'ai pas plus envie que ça de m'immiscer dans votre relation; mais je ne supporterai pas de le ramasser à nouveau à la petite cuiller comme la semaine dernière. » « Qu'est-ce qu'il s'est passé, la semaine dernière ? » interrogeai-je, marchant presque sur les mots de mon aîné avec les miens. Oui, j'étais soucieux. C'était normal, non ? « Et c'est une menace ? Ecoutez, je ne sais pas trop ce que je peux vous dire à part que je crois être assez grand pour planifier mes journées de manière... indépendante. Et Clément est assez grand pour régler ses problèmes. Seul. » Un peu trop appuyé, le dernier mot. « J'irai parler à Clément. Et je ne veux plus que vous rentriez chez moi à l'improviste. » Mon ton, sec, restait pourtant pondéré. J'espérais m'être montré assez clair. Peut-être trop. Mais je détestais que l'on me dise quoi faire, quoi penser, comment me comporter. J'eus soudain la très désagréable sensation de me retrouver devant mon père, à qui j'avais adressé la parole en face pour la dernière fois il y avait environ neuf ans. Et la sensation ne me plaisait absolument pas. L'air m'était d'ailleurs devenu un peu moins respirable. Un peu plus compact. |
| | | | (#)Mar 1 Oct 2019 - 6:29 | |
| Je grimace lorsque l'amertume du café, bien trop prononcée pour être signe de qualité - c'est plutôt l'inverse pour le coup - atteint mes papilles. Nop, celui-ci doit définitivement un buveur de thé plutôt qu'un consommateur de la boisson noire. Moi, j'aime les deux; j'ai jamais compris la guéguerre que se livraient les amateurs de ces breuvages, qui n'ont de commun que le fait de se boire chaud. Et encore, plus ça va et plus on invente des versions froides, alors ! Mais j'ai appris, y a longtemps, à pas gâcher; alors je bois cet ersatz sans me plaindre plus. Je commence alors à parler, je raconte à Léo qu'il a blessé mon fils, raison de ma venue aussi matinale jusqu'à son appartement. Longtemps, il reste silencieux, et je me demande s'il va finir par décocher un mot. C'est flippant, sérieux; on dirait un lion tapi dans les hautes herbes, prêt à bondir sur sa proie. Enfin, ce serait troublant si ce n'était pas qu'un lionceau même pas capable de faire ses crocs sur un bébé zèbre. Mais soudainement, il me demande ce qu'il s'est passé. Ah, tout de même ! Je sens mon estime pour lui remonter en flèche: il s'intéresse à ce que je lui dis, et bien plus que ça, il se sent concerné par l'état de Clément. Au fond, c'est bien tout ce qui m'importe. Qu'il retourne à mon fils autant d'amour que celui-ci lui porte. Je soupire, me rappelant la sale gueule de mon louveteau tout d'abord, puis celle de mon sac de couchage perdu dans un buisson épineux après une belle séance de boxe. Vu qu'il était seul, il m'a accompagné pour un trek de plusieurs jours. J'ai bien vu qu'il n'allait pas bien: ronchon et même agressif. Alors je l'ai poussé dans ses retranchements - par le sport j'entends - pour lui faire sortir ce qu'il avait sur le coeur. Autant dire que je suis heureux que mon sac de couchage ait servi de punching-ball, et pas moi. Nouvelle grimace presque douloureuse, témoin de ma sincérité. Ouep, carrément que j'étais content d'avoir eu de quoi lui proposer un défouloir; sinon, il aurait fini par me sauter dessus, ça ne fait aucun doute. Vu l'état dans lequel Clément l'avait mis avant même de le jeter, de rage, dans un buisson, mes côtes n'auraient clairement pas apprécié. Et j'ai beau savoir me défendre sans aucun souci, mon fils peut se montrer particulièrement enragé sous le coup de la colère. Tout ce que j'espère, en prenant la peine de raconter tout ça à Léo, c'est qu'il réalise à quel point il a pu toucher, même involontairement, son petit-ami.
Ouh, mais c'est qu'il miaule, Simba ! Je m'étais pas attendu à une telle riposte, alors même qu'il venait de sincèrement s'inquiéter pour mon fils. En fait, j'avais même imaginé, dans mes rêves les plus fous, qu'il s'excuserait pour son comportement - merde, on délaisse pas son mec ou sa nana pour un ou une amie, sauf cas d'extrême urgence, et fêter un anniversaire n'en est pas un - ou tout du moins qu'il en prendrait cas et qu'il promettrait de faire plus attention à l'avenir. Il me demande si c'est une menace. Ouh, c'est qu'il est bien sur la défense, le petit bonhomme ! Eh, je me suis pas ramené avec un flingue aux dernières nouvelles; ça aurait pu en plus, j'ai une belle collection de Winchester chez moi - ouais je sais, je suis génial - mais non, je suis venu en mec civilisé, ou presque. Franchement, je suis même plutôt fier de moi et de mon self-control ! A leur âge, ça aurait sûrement pas été la même chanson. Comme quoi je suis bien comme un excellent vin, je me bonifie avec l'âge: j'en deviens même plus sage. Je réponds du tac au tac à son idiote question: Absolument pas. Un simple constat. Nan mais je suis pas un dingue non plus, je ne le menace pas de quoi que ce soit ! Je ne viendrai pas le tabasser si ça se passait mal avec mon gamin. Par contre, si je dois ramasser mon fils toutes les deux semaines dans un état d'épave (car après tout, ils ne sont ensemble que depuis peu de temps, alors ça promet), je risque de pas apprécier. Et ça peut aussi bien se traduire par un simple soutien et une épaule sur laquelle pleurer pour Clément, que par une engueulade avec lui, ou encore par une volonté très appuyée de ma part de les séparer. Disons que je ne forcerai mon fils à rien, mais qu'il ne vienne plus par la suite chouiner dans mes bottes lorsque son petit copain lui fera des misères; je veux bien écouter, compatir, mais s'il faut se montrer plus dur pour lui montrer qu'il se trompe de voie (si ça devient le cas, je ne présume de pas grand-chose pour l'instant), alors je le ferai.
Le gamin ajoute que Clément peut se débrouiller seul. Désolé d’être un père inquiet, que je lui réponds avec un regard un peu plus dur et cynique. Avec ce p'tit, on a vécu énormément, bien plus que la majorité des parents et enfants. On a survécu a un putain de Tsunami. On a cru mourir, on a cru chacun que l’autre était mort. On s’est retrouvés. J’ai perdu Stephan, Clément a perdu son frère. Alors désolé d’être excessif, mais c’est plus fort que moi. Je DOIS protéger mon louveteau. Il enchaîne aussi, d'un ton bien sec, qu'il ne veut plus que je vienne à l'improviste. Ahah. Petit rigolo. Tu crois vraiment que j'ai que ça à faire, de venir toquer à la porte de n'importe qui ? Y a bien que pour mon louveteau que je fais ça, et ce même si je sais que je vais me faire engueuler d'ici au mieux quelques jours, au pire quelques heures. Quand il aura été mis au courant, quoi, ce qui ne saurait tarder vu la tête de cette tête brune effarouchée qui me fait face. Je renifle, l’air un peu dédaigneux j’avoue, mais ce n’est que réponse appropriée à son ton sec. T’en fais pas, je reviendrai pas. Je me relève et m’avance dans le couloir ; je ralentis la cadence une seconde. Tiens, ce tableau là, il me dit un truc… je réfléchis à haute voix. Mais je saurais pas dire quoi. Tant pis. Allez, je vais aller me payer un café digne de ce nom ; entre ma courte nuit, cette discussion houleuse et son truc de mauvaise qualité, je commence à avoir mal au crâne. D’un simple signe de main, sans me retourner, je le salue. Il semble pas spécialement vouloir m’avoir plus longtemps dans la place, alors je vais pas prendre la peine de lui dire au revoir en face, merci bien.
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| | | | (#)Lun 7 Oct 2019 - 8:13 | |
| « Vu qu'il était seul, il m'a accompagné pour un trek de plusieurs jours. J'ai bien vu qu'il n'allait pas bien: ronchon et même agressif. Alors je l'ai poussé dans ses retranchements - par le sport j'entends - pour lui faire sortir ce qu'il avait sur le cœur. Autant dire que je suis heureux que mon sac de couchage ait servi de punching-ball, et pas moi. » Clément n'avait rien montré de sa tristesse. Il n'avait manifesté ni colère, ni peine. Rien. Il m'avait même souhaité de passer une bonne journée en compagnie de Charlie. Qu'est-ce qui aurait pu semer le doute, alors ? Rien ne me semblait anormal. Charlie passait avant toutes les autres personnes de cette foutue planète. Et de toute manière, je n'avais pas à justifier mes actes devant un papa en colère. « Il a de la chance de vous avoir. » Ces mots avaient franchis mes dents de manière presque machinale. Je croisai les bras en hochant la tête, la mine un peu perplexe. Mon père ne m'envoyait faire ce genre d'activité qu'avec des groupes sélectionnés par ses soins. Ma mère avait toujours insisté pour que je participe à ce genre de trucs. Des 'groupes de sociabilisation', qu'elle appelait ça. Moi, je les avait renommé en 'groupes intégristes' ou 'groupe d'ennui mortel'.
Les propos du père de Clément ressemblaient à s'y méprendre à des menaces. Je zieutais les ciseaux du coin de l’œil, certain d'être assez rapide pour les attraper si la situation venait à dégénérer. Heureusement, le géniteur de mon petit ami n'avait pas l'air trop agressif. Je ne plaçais cependant pas trop d'espoirs dans mes compétences - nouvellement acquises grâce à Cian - de combat rapproché face à un homme de sa stature. « Absolument pas. Un simple constat. » Je haussai les épaules. Un constat qu'un père n'avait pas à faire auprès du petit ami de son adulte de fils. Je ne répliquai pourtant pas.
Nous arrivions enfin à la fin de cette discussion. Mon interlocuteur termina son café - qu'il détestait visiblement - et se mit sur le départ. Tant mieux. Je sentais que la discussion devenait de plus en plus électrique. Nous étions lancés sur un versant dangereux auquel je n'avais aucune envie de me confronter. J'enjoignis le père de Clément à ne pas revenir. De toute manière, j'allais probablement changer les serrures pour en faire installer des renforcées. Entre John et le père de Clément, ma tête avait soudain l'air mise à prix. Quelqu'un voulait assurément ma mort. « T’en fais pas, je reviendrai pas. » Je retins un 'parfait' qui n'aurait fait qu'envenimer la situation et me dirigeai déjà vers la sortie afin d'y guider mon invité surprise. Mon aîné fut plus rapide. Je n'eus pas le temps de lui dire au revoir que ce dernier était déjà parti. Avant, il s'arrêta pour observer une oeuvre. Son temps d'arrêt fit battre mon sang plus fort, jusque dans mes oreilles. Il me sembla que le rouge m'était monté aux joues.
Et puis, aussi vite qu'il était venu, Winchester père s'en était allé. Je refermai la porte derrière lui dans un soupir plus que soulagé. Je restais assis contre la porte de longues minutes, à réfléchir à ce qu'il venait de se passer. Rien ne me vint en tête, c'était le vide absolu. Dans un éclat de lucidité, je me levai pourtant pour attraper mon téléphone. Mes doigts pianotèrent seuls un message destiné à Clément. J'avais désespérément besoin d'explications. FIN |
| | | | | | | | The less I know the better ☼ Allan |
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