| Bridge over troubled water (ft. Marius) |
| | (#)Sam 28 Sep 2019 - 15:10 | |
| Bridge over troubled water Quinn Callahan & Marius Warren Fin Janvier 2018, 9:30 AM.Je récupère le dossier sur mon bureau et avant de sortir, annonce à mon équipe. « Je reviens dans une bonne demi-heure, ça ne sera sans doute pas très long. Croisons les doigts ! » Je quitte le laboratoire sous les sourires confiants de mes collaborateurs, et décide de prendre les escaliers pour rejoindre l’extérieur du CMS. Je traverse le hall d’entrée puis me retrouve rapidement dehors. Un peu plus loin, à environ deux cent mètres, se trouve mon point de chute : le bâtiment administratif de l’université, où l’on peut trouver tous les bureaux, du chancelier aux divers professeurs, en passant par les responsables de chaque département. Je me lance sans perdre une minute, profitant des doux rayons du soleil sur mon visage, appréciant l’activité foisonnante du campus alors que chaque participant(e) à cette ruche reprend ses marques après les vacances d’été. Je tiens fermement ma pochette regroupant tous les documents nécessaires à ma demande, espérant que la réponse de mes supérieurs sera positive. C’est la première année que je réclame un(e) second(e) assistant(e) de recherche. Par nécessité – j’aimerais réellement limiter les heures supplémentaires de tout le monde – mais aussi pour avoir l’opportunité de former un(e) autre étudiant(e) à son futur métier. J’aime bien trop le terrain et le côté recherche pour choisir la voie de l’enseignement, mais je reste très heureuse lorsque je peux transmettre mon expérience et mes connaissances aux plus jeunes qui partagent la même passion. J’ai donc pris une demi-journée entière la veille pour être sûre que rien ne manque à ma « candidature », mais une fois qu’elle sera déposée, ce ne sera plus de mon ressort. Il me faudra attendre le coup de fil qui m’annoncera la bonne ou mauvaise nouvelle, en fonction des dossiers qui auront été sélectionnés pour attribuer le budget de 2018. Il ne me faut pas plus de cinq minutes pour rejoindre ma destination que je connais par cœur, ayant foulé ces lieux la moitié de ma vie – littéralement. Une fois dans l’entrée, je bifurque vers l’aile droite et emprunte le couloir bondé d’étudiants venus chercher ou rendre leur propre paperasse pour régulariser leur situation, faire leurs choix de cours principaux ou secondaires, ou encore valider leur inscription tardive. En cours d’année scolaire, cet endroit est plus calme, mais alors que la rentrée bat son plein, c’est sans doute là où il y a le plus d’animation sur les 114 hectares de Saint Lucia, au centre de Brisbane. Malgré le remue-ménage, je ne peux m’empêcher de jeter un œil rapide au bureau de Marius au moment où je m’apprête à passer devant. Je m’attends à le trouver fermé, comme à chaque fois, et par conséquent, je m’attends donc aussi à en ressentir des émotions assez contradictoires : la tristesse, la nostalgie, la déception, la colère. Et pourtant, mon cœur rate un battement alors que je réalise qu’aujourd’hui, la porte est entrouverte. Ont-ils finalement décidé de mettre un autre professeur dans cette pièce inutilisée depuis deux longues années ? La curiosité est bien trop forte, et au lieu de continuer mon chemin, je m’approche et passe timidement la tête à l’intérieur. Il est de dos, en train de ranger des livres dans la bibliothèque, mais je le reconnaitrais entre mille. Après tout, lui et moi nous connaissons depuis longtemps. 2005 pour être précise, soit près de quinze ans. « Marius. » Je prononce dans un souffle, à peine assez fort pour qu’il l’entende. Il se retourne néanmoins et nos regards se croisent. Je reste bouche bée sans savoir quoi dire ou quoi faire. Entrer et lui demander des explications ? Entrer et lui mettre la raclée du siècle ? Ou refermer le bureau comme si je n’avais rien vu, parce qu’après tout, il n’a même pas prévenu de son retour, alors il ne mérite certainement pas mon attention ? Je devrais réagir, je le sais. Mais trop de choses, trop d’émotions se bousculent dans ma tête et je reste là, tétanisée par cette situation des plus inattendues. @Marius Warren |
| | | | (#)Sam 19 Oct 2019 - 21:25 | |
| Bridge over troubled water Fin Janvier 2018, 9:30 AM.Retour à Brisbane, tu ne pouvais pas nier le vivre un peu comme un retour à la case départ. Tu n’avais jamais voulu repartir en fait, pas vraiment mais il y a deux ans, tu ne voyais pas comment te sortir de cette situation autrement. Beth avait été déçue mais au final, tout le monde avait dû être soulagé que tu partes plutôt que tu n’envenimes la situation. Tommy avait récupéré Moïra, tu n’avais plus ta place dans son quotidien, il avait rendu cela clair. Deux ans plus tard, tu avais eu envie de rentrer, tu en avais même eu besoin. Quand tu avais repris contact avec l’Université du Queensland, ils n’avaient eu aucun problème avec ton retour t’assurant qu’ils seraient ravis de t’accueillir de nouveau dans l’équipe enseignante. Tu avais donc réglé les formalités avec l’Ecole des Beaux Arts de Paris et tu avais quitté le prestigieux établissement à la fin du premier semestre. Ta présence dans la capitale française n’était censée être que de quelques mois à la base mais tu n’avais pas rechigné quand on t’avait proposé un renouvellement. Cela faisait deux semaines que tu étais à Brisbane et tu ignorais toujours si c’était la bonne solution. Tu avais passé la plus grande partie de ton temps dans ton loft pour le nettoyer et le réaménager avec les affaires que tu avais envoyées de France et il était désormais habitable. La rentrée universitaire avait eu lieu depuis déjà une semaine mais tu n’avais pas encore eu le temps de réinstaller correctement ton bureau. Il y avait eu des tonnes de papiers à remplir et un certain nombre de questions à régler avec l’administration et ton département pour que tu puisses reprendre des cours et des étudiants en thèse le plus rapidement possible. Pour l’instant, les étudiants étaient en semaine d’intégration, l’administration avait encore un peu de temps pour te donner ses directives. Et puis tu enseignais maintenant depuis assez longtemps pour pouvoir improviser un premier cours magistral. Tu avais ainsi décidé de prendre la matinée pour installer ton bureau qui n’avait pas bougé depuis ton départ. Tu y avais donc amené des cartons que tu avais déchargés de ta voiture profitant de l’horaire matinal et du peu de monde sur le campus. Tu avais décidé de laisser ta porte ouverte pendant ton installation pour pouvoir répondre à des étudiants s’ils avaient des questions ou simplement faire savoir aux plus anciens et curieux que tu étais de retour. Comme tu t’y étais attendu, quelques têtes vinrent te saluer alors que tu installais tranquillement ton bureau profitant de l’occasion pour mettre sur papier quelques idées de sujets que tu voulais exploiter dans tes prochains cours. Tu étais en train d’organiser ta bibliothèque avec les références en matière d’histoire de l’art et tes livres d’oeuvres favoris quand tu entendis ton prénom dans une voix que tu n’avais pas entendue depuis longtemps … « Marius. » Tu déposais le livre tranquillement sur l’étagère avant de te retourner. Tu savais déjà que cette voix appartenait à Quinn, te retourner te permet seulement de le confirmer et d’évaluer l’humeur de la jeune femme. Elle n’avait pas changé physiquement, c’était bien la même Quinn que tu avais laissé deux années plus tôt sans explication. Ayant passé le plus clair de ton temps enfermé dans ton loft, tu n’avais pas encore eu à affronter les conséquences de tes choix désastreux de l’époque mais tu n’allais pas tarder à le faire apparemment. Les émotions se succédaient sur le visage de la demoiselle sans qu’elle ne semble savoir sur laquelle s’arrêter. Tu avais disparu de la circulation sans donner de nouvelles et même si c’était nécessaire, même si tu avais toujours été un loup solitaire, cela n’excusait rien tu le savais. « Quinn. » Répondis-tu d’abord à la jeune femme. Que pouvais-tu dire ? Quelle était la meilleure chose à ajouter alors que tu savais que tu l’avais blessée ? Tu connaissais la jolie blonde depuis des années, plus de dix ans maintenant et vous aviez toujours été en bons termes. Quinn faisait partie des personnes qui avaient réussi à briser ta carapace et tu l’avais mal remerciée de l’aide et de l’écoute qu’elle t’avait offert tout au long de ces années. « Je … » Tu trébuches sur tes phrase, cela ne t’arrive pas souvent. Tu aimerais pouvoir dire ce qu’il faut, exactement la bonne phrase mais tu doutes qu’elle existe. « Surprise ? » Décidas-tu de dire ne pouvait plus supporter le silence qui s’installait, un silence fort peu caractéristique de la jeune femme habituellement. |
| | | | (#)Jeu 31 Oct 2019 - 16:38 | |
| Tous ceux qui me connaissent un minimum savent que le mot « indécise » ne me définit absolument pas et ne me définira jamais. Pire encore, il est absent de mon vocabulaire. Qu’il s’agisse de simples choix sans conséquences (mon prochain dîner, le modèle de ma voiture) ou des décisions les plus importantes d’une vie (mon quartier d’habitation, ma voie professionnelle), je sais toujours ce que je veux. Et par extension, je sais également ce que je ne veux pas. J’ai un avis tranché sur toutes les questions qui me concernent, sans même avoir besoin de réfléchir. Par exemple, aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne me suis pas imaginée une seule fois avec des enfants. Comme si le fait de ne pas vouloir être mère avait été une évidence dès le début. J’aurais pu me tromper. Pourtant, me voilà aujourd’hui, à presque trente-sept ans, célibataire, nullipare, et surtout, sans aucun regret. Les membres de ma famille s’accordent tous à dire que cela fait partie intégrante de ma personnalité : petite, je montrais déjà une assurance et une détermination sans faille. Mais il faut bien des exceptions pour confirmer les règles. Et en cet instant précis, je suis en train de me prendre l’une de ces exceptions en pleine face. Car Marius est là, devant moi, et je suis littéralement scotchée sur place, bel et bien indécise quant à la suite des événements. Je voudrais entrer et réclamer les explications que je mérite. La seconde suivante, j’aimerais lui coller la bonne baffe qu’ il mérite et repartir aussitôt sans me retourner. Mais la seconde d’après encore, j’aimerais me contenter de claquer la porte derrière moi, décidée à ne lui accorder aucune importance. Alors que la guerre fait rage dans mon esprit, Marius se retourne finalement pour me faire face, et nos regards se croisent. « Quinn. » Je garde le silence. Je ne sais toujours pas plus quelle direction prendre, même si entendre sa voix prononcer mon prénom après tout ce temps me fait l’effet d’un énième coup au cœur. « Je… » Mes doigts se crispent sur la poignée que je n’ai pas lâchée depuis mon arrivée. Quelle suite Marius choisira-t-il de donner à cette phrase ? A-t-il seulement conscience que les prochains mots qui sortiront de sa bouche détermineront ce fameux choix que je suis incapable de faire pour le moment ? « Surprise ? » Bien que mes yeux ne quittent pas l’homme que je considérais comme un ami par le passé, je suis quasiment sûre que mes jointures sont en train de blanchir, et qu’il en faudrait peu pour que cette fouture poignée de porte me reste entre les mains. « Surprise ? » Je répète, outrée. Et là, je sais. Ça y est, ma décision est prise. Je fais quelques pas pour entrer dans le bureau et prends soin de refermer derrière moi. Nos retrouvailles n’ont pas besoin de témoin. « Tu te fous de moi ? » Je lui balance alors, glaciale. Si un regard pouvait tuer, il serait déjà six pieds sous terre. Mais ce serait trop facile, et je n’en ai pas fini avec lui. « Deux ans, Marius ! Deux putains d’années sans aucune nouvelle, et c’est tout ce que tu trouves à me dire ? » Trois secondes de silence. Puis, sans prévenir, ces yeux qui étaient prêts à lancer des éclairs un instant plus tôt commencent à se brouiller de larmes. Manifestement, mon émotivité excessive ne se sent pas de me laisser me débrouiller seule. Et comme à chaque fois qu’elle prend le dessus parce qu’on m’a blessée, elle attaque avec une force des plus brutales. « Tu sais quoi, Marius ? Tu mérites pas le bénéfice du doute que je songeais à t’accorder il y a encore vingt secondes. Et tu méritais pas mon amitié non plus. » J’assène en ravalant ma peine, avant de faire volte-face en direction de la sortie. @Marius Warren |
| | | | (#)Jeu 7 Nov 2019 - 10:50 | |
| Bridge over troubled water Il fallait avouer qu’il y avait une forme d’égoïsme dans les choix que tu avais faits en quittant Brisbane. Une fois installé à Paris et légèrement plus stable, tu aurais pu donner des nouvelles à ton entourage. Ces derniers te connaissaient assez bien pour se contenter de peu alors ils auraient compris que tu n’étais pas du genre à leur envoyer des nouvelles tous les jours. Mais tu ne l’avais pas fait. Tu avais eu besoin d’une coupure nette et précise avec l’Australie et tu n’avais pas entrepris cette coupure de la meilleure manière possible. Ton départ s’était organisé en quelques semaines, à peine un mois que tu avais traversé la tête baissée alors que la possibilité de revoir un jour Moïra semblait inexistante. Encore aujourd’hui, elle te semblait bien distante mais désormais tu voulais te battre. Pas pour récupérer sa garde mais pour pouvoir la voir de temps en temps. Après tout, tu avais joué un rôle important dans sa vie pendant près de deux ans, ton frère te devait bien ça non ? Non, tu ne devais rien attendre de Tommy, c’était la règle numéro un de votre relation. Et voilà qu’à ton retour à l’université, alors que tu te contentais d’organiser ton bureau et de la rendre plus personnel, tu te retrouvais face à Quinn, cette amie qui t’était chère encore aujourd’hui mais que tu avais négligée de manière outrancière ces dernières années. Les émotions contradictoires qui se dessinaient sur son visage ne te disaient rien qui vaillent et dès que tu eus prononcé les quelques mots qui sortirent de ta bouche, tu compris que ce n’était pas la bonne chose à dire. « Tu te fous de moi ? Deux ans, Marius ! Deux putains d’années sans aucune nouvelle, et c’est tout ce que tu trouves à me dire ? » Tu grimaçais légèrement à ces paroles. Non, ce n’était pas la meilleure chose à dire mais tu ne pouvais pas commencer par une explication détaillée, comme ça sans préambule. Ce n’était pas ton genre et tu détestais parler de toi. Toutefois, tu n’allais peut-être pas y couper cette fois … Tu avais pleins de choses à dire à Quinn, des explications à lui donner si elle voulait les entendre mais peut-être que tu avais passé ta chance si les larmes qui commençaient à monter dans ses yeux étaient une bonne indication. « Tu sais quoi, Marius ? Tu mérites pas le bénéfice du doute que je songeais à t’accorder il y a encore vingt secondes. Et tu méritais pas mon amitié non plus. » Il n’y a que la vérité qui peut faire aussi mal. Quinn a raison, tu ne mérites pas son amitié. Elle te l’avait toujours donnée sans aucune hésitation et tu lui en avais été très reconnaissant. Quinn, c’était cette amie qui comprenait ta passion pour ton travail, ton implication à l’université et auprès de tes élèves. Elle avait rapidement compris que tu n’aimais pas parler de toi et malgré ses taquineries quotidiennes, elle respectait tes réticences et était patiente quand il s’agissait de te laisser te confier même si des fois elle te poussait un peu. Mais tu en avais besoin alors tu ne pouvais pas vraiment lui en vouloir. Elle venait de passer la porte quand tu sortis de ta torpeur. Comme une tornade, elle était déjà dans le couloir quand tu sortis de ton bureau pour la rattraper. « Quinn ! Attend ! » Tu te lançais sur ses pas mais elle ne se retrouva pas. Désemparé, tu attrapais son poignet pour attirer son attention. Quand ton regard se posa de nouveau sur le sien et que cette fois les larmes de colère et de déception y étaient bien présentes, tu sentis ton coeur se serrer. Tu avais merdé et tu allais encore certainement merdé car tu n’avais jamais été très fort pour les relations interpersonnelles. « Je suis désolé. C’était … C’était idiot de ma part, excuse-moi. » Ajoutas-tu en lâchant doucement son poignet. Le problème était que tu ne savais pas quelles étaient les bonnes paroles à prononcer à cet instant. « Tu m’as manquée. Je suis content de voir que tu es toujours là. » Et tu étais sincère. Quinn avait été une forme de constante à l’université et tu lui en étais très reconnaissant. « Si tu veux bien m’accorder quelques minutes, maintenant ou plus tard, j’ai quelques explications à te donner si tu acceptes de les entendre. » Tu ne t’attendais pas à ce qu’elle te pardonne tout sur le champ et qu’elle accepte tes excuses en un claquement de doigts. Mais au moins, tu voulais t’expliquer. |
| | | | (#)Mer 13 Nov 2019 - 16:25 | |
| Je ne songe pas une seule seconde à claquer la porte dans mon dos alors que je quitte le bureau de Marius. Je sens mon corps trembler de rage autant que de peine. Je suis complètement désarçonnée par la tournure des événements. Je savais que nos retrouvailles (si elles devaient jamais avoir lieu) seraient difficiles compte tenu de la situation. Après tout, il avait quitté Brisbane du jour au lendemain, sans même me prévenir, et avait royalement ignoré toutes mes tentatives de SMS, appels et emails depuis. Pour autant, j’étais loin d’imaginer qu’elles seraient aussi expéditives. Ni qu’elles feraient aussi mal. Je viens tout juste de passer le seuil quand sa voix me parvient à nouveau. « Quinn ! Attend ! » Mais aujourd’hui, c’est à mon tour de l’ignorer. Marius a eu sa chance et l’a laissée passer. Il est trop tard pour revenir en arrière. Je continue donc à avancer, sans me retourner, sans un dernier regard pour lui. De ma seule main libre, l’autre tenant toujours le dossier que je devais déposer à mon chef de département, je m’acharne à essuyer les larmes qui roulent le long de mes joues. Je me sens soulagée d’avoir pu les retenir assez longtemps pour les dissimuler à Marius. Puisqu’il semble n’accorder aucune importance à notre amitié, il est hors de question que je le laisse voir à quel point sa réaction m’a blessée. Je ne pensais pas être capable de le haïr davantage, jusqu’au moment où la réalité me frappe de plein fouet : je me retrouve en pleurs dans un couloir bondé de monde. Vulnérable. Il me force à être vulnérable devant des dizaines d’inconnus, l’une des pires choses qui puissent m’arriver. Je baisse la tête, essayant de me fondre dans la masse, marchant droit devant en espérant ne pas me faire repérer par un collègue. Soudain, je sens qu’on m’attrape le poignet. Je fais volte-face, le regard noir, car je sais déjà à qui appartient cette main qui cherche à me retenir. Il plonge ses yeux dans les miens et à mesure qu’il réalise mon état, je peux voir la culpabilité s’installer sur les traits de son visage. « Je suis désolé. C’était … C’était idiot de ma part, excuse-moi. » Il me relâche doucement. Je prends bien soin de garder le silence. Il tient peut-être sincèrement à se racheter, mais je n’ai pas envie de lui faciliter la tâche. « Tu m’as manquée. Je suis content de voir que tu es toujours là. » Je suis touchée. Je ne lui laisse pas voir. « Si tu veux bien m’accorder quelques minutes, maintenant ou plus tard, j’ai quelques explications à te donner si tu acceptes de les entendre. » Je soutiens toujours son regard, impassible. Dans le fond pourtant, j’ai conscience du pas qu’il vient de faire dans ma direction. S’il se fichait si éperdument de moi, de nous, il serait resté bien à l’abri dans son bureau. Je soupire avant de hocher lentement la tête. « D’accord. » J’accepte dans un souffle. Je lui montre l’épais dossier qui m’accompagne et qui est, somme toute, la raison pour laquelle je me retrouve dans ce bâtiment. « Mais il faut que j’emmène ça avant. Et si tu tiens vraiment à ce que je t’écoute aussi ouvertement que possible, j’ai besoin de ces quelques minutes pour… calmer mes nerfs. » Je sèche une dernière fois ma joue d’un mouvement rapide, comme si cela suffisait à le rendre invisible aux yeux de Marius, et conclus. « Je te retrouve à ton bureau. » Je m’éloigne à nouveau de lui mais cette fois, aucune main ne vient se poser sur mon poignet pour me stopper et s’assurer que je viendrai bien. Car en dépit de tout, Marius me connaît depuis presque quinze ans. Il sait qu’il n’a pas besoin de remettre ma parole en doute et que d’ici dix minutes au plus tard, il aura tout le loisir de m’expliquer en long, en large et en travers les raisons pour lesquelles il a piétiné notre amitié ces vingt-quatre derniers mois. Une fois de retour, je constate que la porte est maintenant fermée et affiche une petite note d’absence. Sans dire un seul mot, Marius me prouve encore qu’il veut réellement arranger les choses, en s’assurant que personne ne viendra nous déranger pendant notre discussion. Je frappe doucement pour lui annoncer que je suis là. Je suis peut-être en colère, mais ce n’est pas une excuse pour manquer de politesse ni oublier les manières. J’entre vite, et referme aussitôt derrière moi. A l’époque, je serais allée m’affaler sur le sofa moelleux, ou sur l’un des fauteuils. Cet endroit était un peu devenu mon second bureau au fil du temps. Je ne sais plus combien de fois Marius et moi avons partagé des repas et des cafés ici, ou de simples conversations, à parler de nos vies respectives ou à refaire le monde en fonction notre humeur. Quand j’étais débordée, il m’arrivait de débarquer avec mon PC portable. Parce que même si je ne voulais pas prendre de retard sur mon boulot, il m’était tout aussi impensable de rater une seule occasion de partager du temps avec mon ami de longue date. Aujourd’hui pourtant, c’est comme si tout ça appartient à une autre vie. Et je reste debout, immobile et silencieuse face à Marius, avec la nette et désagréable impression d’être une inconnue venant de se perdre dans un lieu tout aussi étranger. @Marius Warren |
| | | | (#)Lun 25 Nov 2019 - 21:43 | |
| Bridge over troubled water Tu n’avais jamais été très doué avec les relations et interactions sociales. Solitaire dans l’âme, tu avais toujours été très maladroit avec les autres ce qui t’avait souvent entrainé dans des situations improbables. Et quand Tommy était sorti de prison et revenu à Brisbane, tu n’avais vu que ta douleur, que ta peine et tu n’avais pris en compte personne d’autres. Il était encore difficile pour toi aujourd’hui de comprendre que des gens étaient attachés à toi et que tes actions pouvaient avoir un impact sur leur vie, pouvaient les blesser. Cela serait évident pour beaucoup de personnes mais ce n’était pas ton cas. Tu pouvais tout à fait comprendre que Quinn t’en veuille, elle en avait tous les droits. Et pour une fois, c’était à toi de faire un pas vers elle, à toi de chercher à t’expliquer. Est-ce que tes explications seraient suffisantes ? Peut-être pas. Mais au moins tu auras essayé te Quinn pourra décider si elle accepte de te pardonner et de te laisser une nouvelle chance. Une chose était sûre et certaine, si tu perdais l’amitié de Quinn, ta vie à l’université allait être bien plus morose. Parce que même si tu ne le montrais pas, tu t’étais attaché à ses visites dans ton bureau à toutes heures. A son installation dans ton canapé, aux papiers qu’elle laissait trainer en les oubliant un soir et en passant les chercher le lendemain. Quinn était depuis des années cette alliée à l’université, cette amie qui arrivait à te faire sourire même dans les moments les plus difficiles que tu avais traversés. Alors tu lui devais bien ça, tu lui devais d’essayer. Tu la rattrapais donc dans le couloir, légèrement essoufflé car tu n’es ni un sportif, ni un coureur mais elle s’arrête et c’est le plus important. Tu lui demandes de te laisser une chance de t’expliquer, maintenant ou plus tard si elle n’a pas le temps. Tu ne veux pas la forcer ou la brusquer non plus. Elle te regarde un long moment sans rien dire avant de prendre sa décision et de te dire : « D’accord. » Tu laisses échapper un soupir de soulagement. Tu n’avais même pas fait attention mais tu retenais ta respiration depuis que tu avais fini de parler. « Mais il faut que j’emmène ça avant. Et si tu tiens vraiment à ce que je t’écoute aussi ouvertement que possible, j’ai besoin de ces quelques minutes pour… calmer mes nerfs. Je te retrouve à ton bureau. » Tu hoches la tête. Là tout de suite, tu prends ce qu’elle désire t’offrir, tu ne vas pas faire le difficile en plus. « Prend le temps qu’il te faut, je t’attends. » Lui répondis-tu avant de la regarder s’éloigner dans le couloir. Tu prends le temps de revenir dans ton bureau et une fois la porte refermée derrière toi, tu t’appuies dessus avant de soupirer. Passant une main sur ton visage, tu secoues la tête avant de te reprendre. Tu savais que le retour aux sources n’allait pas être de tout repos. Dans des moments comme celui-ci, tu souhaites presque être resté à Paris où tu avais réussi à te former un entourage qui n’attendait de toi pas plus que ce que tu étais prêt à offrir. Et puis il y avait Margot … Mais tu chassais bien vite cette pensée de ton esprit. Margot appartenait à un autre et depuis la mort de sa fille, elle semblait prendre de moins en moins de plaisir à discuter avec toi. Attrapant un morceau de papier, tu griffonnais dessus que tu n’étais pas dans ton bureau. Manière simple mais efficace d’éviter toute interruption. A part si vous leviez le ton et que des élèves ou professeurs passaient par là, ils allaient certainement se demander ce qui se passait. Une fois le mot sur la porte tu t’installais dans la chaise de ton bureau et tu fermais les yeux quelques instants pour reprendre des forces. Tu savais que la discussion qui se préparait allait être difficile alors tu allais en avoir besoin. Et puis des petits coups furent frappés à la porte et tu te redressais en ouvrant les yeux pour voir Quinn passer le pas de la porte. Une fois la porte refermée derrière elle, Quinn s’appuie dessus et ne bouge pas. Tu attends quelques secondes mais elle ne dit pas un mot. Son regard parle pour elle pourtant et tu retiens un soupir alors que tu comprends que c’est à toi de te lancer. « Il y a deux ans, quelques semaines avant que je parte, mon frère cadet est revenu à Brisbane et a récupéré sa fille. Moïra a disparu de ma vie aussi soudainement qu’elle y était entrée et mon frère refusait que je les approche à tous les deux. » Tu fermes les yeux en soupirant. Ce sont des souvenirs que tu préférais oublier. Ton frère n’était pas le seul fautif dans cette situation, c’était toi qui l’avais créée un peu aussi mais ce n’était pas le sujet. « Je … Ca a été difficile à avaler parce que Moïra était devenue ma vie pendant près de deux ans et je pouvais sentir les premiers signes de la dépression revenir à grand pas. Alors quand l’Ecole des Beaux Arts a appelé, j’ai sauté sur l’occasion. » Tu savais déjà ce que Quinn allait te dire. Elle pouvait comprendre que tu partes mais couper les liens avec tout le monde n’était pas nécessaire. Tu l’avais déjà entendu et tu pouvais comprendre ce raisonnement mais toi, tu avais besoin de tout couper. « Je suis parti deux semaines plus tard comme un voleur, sans prévenir personne. Seule ma soeur a eu droit à un texto et c’est la seule personne que j’ai contacté pendant deux ans. » Tu n’étais bien entendu pas rentré au bercail pour les fêtes de fin d’année et toutes les autres occasions qui s’étaient présentées. « Cela n’excuse sans doute rien mais j’avais besoin de me couper complètement de ma vie à Brisbane. De me prouver que je pouvais avoir une vie correcte si je me battais assez fort pour l’obtenir. » Dis-tu presque dans un murmure. Tu avais toujours été une personne complexe et tu en avais dit plus à Quinn en quelques minutes que tu en avais dit à la plupart des gens depuis ta naissance. Mais c’était le prix à payer. Aller au-delà des limites pour ne pas voir Quinn elle aussi disparaître à jamais de ta vie.
Dernière édition par Marius Warren le Sam 4 Jan 2020 - 19:02, édité 2 fois |
| | | | (#)Lun 2 Déc 2019 - 19:28 | |
| Je referme doucement la porte derrière moi pour venir appuyer mon dos contre le vieux bois dont le vernis s’écaille par endroits. Le campus complet a bien plus d’années que Marius et moi réunis. Malgré le souhait du chancelier de maintenir tous les différents bâtiments en forme, il faut une main-d’œuvre impressionnante (et un budget tout aussi prodigieux) pour s’assurer que le moindre recoin de Saint Lucia soit restauré et donc présentable. A mes yeux, l’université du Queensland n’a pourtant rien à envier aux fameuses Ivy Leagues ou autres facs prisées des divers pays du monde. La qualité d’un lieu d’éducation – supérieure ou non – ne s’arrête pas au paraître et donc, aux portes fatiguées par le temps (entre autres). Au contraire. Je préfère même être en mesure de voir les marques du temps sur un endroit, comme autant de témoignages des fabuleuses histoires dont il a été témoin. Si ce bureau en particulier pouvait parler, il raconterait les nombreux professeurs et élèves qui ont franchi son seuil. Et, plus récemment, il dirait combien Marius et moi nous sommes exclamés, amusés, entraidés ou même enflammés au cours de nos discussions. Parler de tout et de rien, refaire le monde, c’était notre quotidien, ou presque. Voilà pourquoi cette pièce a un tel effet sur moi. Pourquoi j’étais incapable de passer devant sans jeter un coup d’œil ces deux dernières années. Et pourquoi, en cet instant précis, elle me donne juste envie d’éclater en sanglots. Parce qu’elle nous a vécus, Marius et moi. Les inséparables du campus depuis 2005. Elle est imprégnée de cette amitié à laquelle je tenais tellement et qui m’a été violemment arrachée, sans que je ne puisse rien faire pour la retenir. Je garde le silence sans même m’en rendre compte, plongée dans ces instants nostalgiques, mais aussi et surtout remplis d’amertume. Mon regard vient finalement se fondre dans celui du responsable. C’est à lui de faire un pas dans ma direction. Moi, j’ai tenu parole. Je suis venue, je me tiens devant lui. Compte tenu des circonstances, il n’aurait aucun droit de me réclamer davantage. Alors, sans plus attendre, il me donne enfin les explications que j’attends depuis de longs mois. « Il y a deux ans, quelques semaines avant que je parte, mon frère aîné est revenu à Brisbane et a récupéré sa fille. Moïra a disparu de ma vie aussi soudainement qu’elle y était entrée et mon frère refusait que je les approche à tous les deux. » Il ferme les yeux, et pousse un soupir à fendre l’âme. A fendre son âme d’oncle meurtri. Et merde. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Je ne m’attendais pas à ça. Pas du tout. Je continue d’écouter Marius sans l’interrompre et j’apprends que tous ses proches à l’exception de sa sœur aînée ont eu droit au même traitement que moi. Égoïstement peut-être, j’imaginais être la seule à ne pas avoir eu de ses nouvelles. Comme si notre amitié ne comptait pas pour lui, que son déménagement en France lui avait donné l’opportunité de se débarrasser de moi une bonne fois pour toutes. Avec le recul, je réalise à quel point cela semble puéril. A ma décharge, j’ai souffert de son silence. Et quand le cœur parle, il ignore parfois toute raison… Je tique quand il évoque des signes de dépression. Je me souviens, il y a une dizaine d’années, d’une période où il n’était pas au mieux de sa forme. J’ai fait mon maximum pour essayer de lui changer les idées sans me montrer trop invasive, et au final, je n’ai jamais su pourquoi il allait moins bien que d’habitude. Je pensais qu’il vivait une période compliquée, sans plus. Puis les choses se sont tassées d’elles-mêmes. Le mot dépression ne m’avait pas traversé l’esprit. De toute évidence, je me trompais lourdement. « […] De me prouver que je pouvais avoir une vie correcte si je me battais assez fort pour l’obtenir. » Et là, tout de suite, ce sont ses mots qui me font mal. L’incompréhension se lit sur mon visage alors que je plonge mes yeux dans ceux de Marius. Je secoue la tête, perdue. Que veut-il dire par-là ? Ce que sa phrase sous-entend me donne l’impression de recevoir un coup en pleine poitrine. Je me sens soudainement coupable. Suis-je vraiment passée à côté de tant de choses, alors que je voyais Marius presque toutes les semaines, avant ? Avais-je été une si piètre amie pour lui ? Ma colère fond comme neige au soleil. Il avait perdu Moïra, la prunelle de ses yeux. Et je sais à quelles terribles conséquences une dépression peut mener. Alors, s’il a ressenti le besoin de couper les ponts avec tout le monde, qui suis-je pour remettre ce choix en question ? Un choix qui, dans le fond, n’en avait pas été un. Alors oui, il aurait dû me prévenir. Je ne pouvais pas deviner ce qu’il traversait, et s’il m’avait envoyé un simple SMS pour me dire de ne plus le contacter, qu’il reviendrait de lui-même quand il serait prêt, je crois que cela m’aurait suffi. Je pourrais le lui faire remarquer, mais ce n’est pas la peine. Il en a conscience. Je ne suis certainement pas la première (ni la dernière) avec qui il vit des retrouvailles compliquées. Je décide de laisser les reproches aux autres. Parce qu’aujourd’hui, il a fait un pas vers moi, un vrai pas. Il aurait pu ne parler que de Moïra, ou trouver une autre excuse. Au lieu de ça, il a délibérément choisi de se confier un petit peu plus. Je lui serai à jamais reconnaissante de cet effort, et de cette confiance qu’il vient de placer en moi. Je me fais alors la promesse de ne plus le décevoir. Je quitte enfin la porte et me rapproche de Marius. Une fois à sa hauteur, mes bras se lèvent pour se placer autour de son cou et l’attirer doucement. Mon cœur bat la chamade. Deux minutes plus tôt, j’étais prête à lui hurler dessus et maintenant, j’ai simplement envie de le serrer contre moi pour lui montrer que je l’ai entendu et que désormais, je veux mettre cette histoire derrière nous. « Je n’avais aucune idée de tout ça. » J’avoue dans un souffle. « Je comprends maintenant. » Je me recule de quelques centimètres pour pouvoir le regarder. « Je suis désolée. Pour Moïra, et pour… pour tout le reste. » Je ne sais pas jusqu’où Marius est prêt à se livrer. « Je vais te le dire une bonne fois pour toutes, d’accord ? Ce que tu en feras, ça n’appartient qu’à toi. » Et j’espère qu’il saisira toute la sincérité de mes mots. « Toi et moi, on se voyait surtout ici, sur le campus. Cafés, déjeuners, même dîners quand on faisait des heures supp’… Je crois qu’on a abordé tous les sujets du monde mais en presque quinze ans, on s’est jamais vraiment confiés l’un à l’autre. Pour autant, ça ne m’a pas empêché de te considérer comme un ami. Un ami proche. » Je laisse passer une courte seconde de silence avant d’en venir au fait. « Alors sache juste que je suis là. Si t’en as besoin. Et si tu le veux. »Dix ans plus tôt, j’étais restée discrète de peur de me montrer trop insistante. Déjà à l’époque, Marius aurait peut-être aimé savoir qu’il pouvait compter sur moi. Je refuse de faire la même erreur aujourd’hui. La décision de me mettre complètement dans la confidence ou non reste sienne, et je la respecterai quelle qu’elle soit. Mais au moins désormais, il sait ce que lui et notre amitié représentent à mes yeux. @Marius Warren |
| | | | (#)Sam 18 Jan 2020 - 12:14 | |
| Bridge over troubled water La troublante vérité c’est que peu de personnes te connaissent. Tu n’as jamais été quelqu’un de très expansif mais tu l’étais plus quand tu étais jeune. Du moins, tu n’avais pas peur de te confier, de donner à d’autres des armes qui pouvaient se retourner contre toi. Et puis il y avait eu Alice et à partir de là, tout avait changé. Garder tout le monde à bout de bras, ne surtout pas trop donner de soi parce qu’on finit toujours par être déçu ou décevoir de toute manière. C’était une manière cynique de voir les choses mais tu n’arrivais pas à les voir autrement. Tu essayais pourtant de faire des efforts avec certaines personnes parce qu’elles étaient dans ta vie depuis assez longtemps et parce qu’elles t’avaient supportées toutes ces années. C’était le cas de Quinn que tu connaissais depuis très longtemps et qui t’avait toujours accepté comme tu étais sans te demander de changer. Un fait rare dans ton entourage où tu ne t’étais jamais senti à ta place et où tu avais l’impression de devoir changer pour être apprécié. Quinn avait certainement dû faire des compromis pour que votre amitié fonctionne toutes ces années et aujourd’hui, alors que sa colère était au maximum, c’était à toi de lui montrer à quel point elle était importante pour toi. Contrairement à beaucoup, pour faire cela tu n’avais pas besoin d’en faire des tonnes. Tu n’avais jamais été dans le démonstratif avec de grandes effusions et des contacts physiques. Non, à la place tu avais décidé d’expliquer à Quinn pourquoi tu étais parti et pourquoi tu avais coupé les ponts avec tout le monde. Peut-être qu’elle ne comprendrait pas, c’était possible mais au moins tu lui auras donné toutes les clés en main. Quand elle passe de nouveau la porte de ton bureau, elle semble légèrement calmée mais tu vois dans sa posture qu’elle est encore sur la réserve. Tu ne lui en veux pas mais en même temps, tu es heureux que ces retrouvailles puissent avoir lieu dans ton bureau qui avait abrité un grand nombre des moments que vous aviez passés ensemble au fil des années. Quinn est silencieuse alors tu sais qu’il ne te reste qu’une chose à faire, parler. Elle ne te coupe pas et tu lui en es très reconnaissante. Elle te laisse lui conter la triste histoire du retour de ton frère à Brisbane, de la disparition soudaine de Moïra dans ta vie et ton départ en France pour te sauver de toi-même. La seule personne à qui tu as avoué être en dépression était ta soeur Elizabeth. C’est la seule personne avec qui tu en as parlé jusqu’à aujourd’hui. Et encore, tu es incapable de réellement nommer ce mal qu’il ne t’est pas toujours évident de garder loin de toi. Tu te doutes qu’aux périodes de ta vie où tu as traversé des moments difficiles, des personnes qui t’ont côtoyées n’ont pas été dupes et se sont douté de ce qui se passait mais tu n’en as jamais parlé et on ne t’en a jamais parlé ce qui te convient parfaitement. Une fois ton récit terminé, tu laissais le temps à Quinn de digérer tes paroles car cela doit être une des rares occasions où tu as autant parlé sans t’arrêter en sa présence. Tu vois ses traits se détendre petit à petit et se transformer. Tu prends cela comme un signe positif mais tu refuses de crier victoire trop tôt, de penser que la situation se résoudra facilement parce que tu doutes que cela soit le cas. Tu as l’habitude à ce que la vie te jette un obstacle après l’autre sur ta route et tu ne vois pas pourquoi cela changerait. Quinn quitte la porte dont elle ne s’était pas détachée pour s’approcher de toi et contre toute attente, elle passe ses bras autour de ton cou pour te serrer contre elle. Tu réfrènes le mouvement de recul qui te vient naturellement car tu n’es pas habitué à ce que l’on te touche ainsi, sans prévenir. Mais finalement, tu laisses tes bras se poser autour de sa taille pour retourner cette étreinte. « Je n’avais aucune idée de tout ça. Je comprends maintenant. Je suis désolée. Pour Moïra, et pour… pour tout le reste. Je vais te le dire une bonne fois pour toutes, d’accord ? Ce que tu en feras, ça n’appartient qu’à toi. Toi et moi, on se voyait surtout ici, sur le campus. Cafés, déjeuners, même dîners quand on faisait des heures supp’… Je crois qu’on a abordé tous les sujets du monde mais en presque quinze ans, on s’est jamais vraiment confiés l’un à l’autre. Pour autant, ça ne m’a pas empêché de te considérer comme un ami. Un ami proche. Alors sache juste que je suis là. Si t’en as besoin. Et si tu le veux. » Tu sens ta gorge se serrer à ses paroles. Désormais les yeux de Quinn sont plongés dans les tiens et tu comprends ce qu’elle est en train de te dire. Tu comprends où elle veut en venir mais elle n’a pas besoin d’insister ainsi. Tu la considères déjà comme une amie proche, tu es simplement incapable de le lui montrer correctement. Ce n’est pas parce que tu n’as pas confiance en elle que tu ne t’es jamais confié, c’est parce que tu ne te confies jamais que tu ne l’as pas fait avec elle. « Ce n’est pas de ta faute, c’est de la mienne par contre. Mon frère a ses raisons pour avoir agit comme il l’a fait. J’aurais préféré que les choses se passent autrement. » Dis-tu en haussant les épaules et en sentant ta voix reprendre un peu de sa prestance. Tu n’es pas quelqu’un d’émotif de nature mais tu as été touché par les mots de Quinn. « Ne le prend pas personnellement, je te considère comme une amie proche également. C’est juste que je ne me confie pas, j’affronter la vie seul depuis quarante-trois ans, c’est une mauvaise habitude. » Lui dis-tu avec un sourire timide sur les lèvres. Tu avais appris à faire de ta solitude un compagnon fidèle de ton existence mais cela te pesait des fois. « Si tu as le temps, on peut aller grignoter quelque chose et tu me raconteras ce que tu as fait ces deux dernières années. J’ai quelques anecdotes sur mon séjour en France si cela t’intéresse. » Lui proposas-tu. Si Quinn voulait bien te pardonner, il était temps de laisser cette deuxième chance se construire et tu voulais pour une fois y mettre réellement du tient. |
| | | | (#)Lun 27 Jan 2020 - 17:39 | |
| Je mets tout mon cœur et toute ma sincérité dans ces mots prononcés doucement, tendrement même. Je ne ressens plus aucune colère, plus aucune amertume face à la situation. Je comprends désormais que Marius n’a pas voulu couper les ponts avec ses proches – bien au contraire. Il a agi pour son propre bien, dans son seul intérêt : car abandonner son quotidien à Brisbane avait été son unique moyen de ne pas se laisser anéantir par le désespoir lorsque Moïra lui avait été arrachée. S’il avait eu une autre possibilité pour se reconstruire, sans doute n’aurait-il pas pris le premier avion direction Paris, sans en informer sa famille et ses amis au préalable. Je le serre dans mes bras, heureuse de le retrouver enfin, de mettre une explication sur cette douleur sourde qui m’assaillait, entre autres, à chaque fois que je passais devant la porte de son bureau qui restait désespérément vide. Peu habitué à une telle proximité entre nous, je sens tout d’abord la raideur de Marius face à ce geste sorti de nulle part. Mais il se laisse finalement aller, heureux comme moi que la glace soit enfin brisée. Lorsque je me détache de lui, il hausse les épaules et achève le court silence. « Ce n’est pas de ta faute, c’est de la mienne par contre. Mon frère a ses raisons pour avoir agit comme il l’a fait. J’aurais préféré que les choses se passent autrement. » Même si je ne connais pas Marius aussi bien que je le voudrais, je ne suis pas d’accord avec lui. Qu’est-ce qui pourrait justifier un tel comportement de la part de son frère ? Il aurait fallu que Marius mette la vie de Moïra en danger pour cela, et pour être honnête, je le conçois assez mal. Je me garde toutefois de partager mon opinion sur un événement qui ne me regarde en rien, et me contente de plonger un regard bienveillant dans le sien, où il pourra lire tout mon soutien. Une ombre de sourire étire ses lèvres et il reprend. « Ne le prend pas personnellement, je te considère comme une amie proche également. C’est juste que je ne me confie pas, j’affronte la vie seul depuis quarante-trois ans, c’est une mauvaise habitude. » Ses aveux me touchent. S’il sait maintenant combien notre amitié compte pour moi, je peux en dire autant désormais, et cette réciprocité me fait un bien fou. Elle me prouve que lui comme moi sommes prêts à mettre cette histoire de côté pour repartir sur de bonnes bases. J’esquisse le même sourire que le sien, mais plus marqué et un peu plus malicieux. « Je comprends. Mais tu sais, il n’est jamais trop tard pour changer les habitudes ! » « Si tu as le temps, on peut aller grignoter quelque chose et tu me raconteras ce que tu as fait ces deux dernières années. J’ai quelques anecdotes sur mon séjour en France si cela t’intéresse. » Je n’ai pas besoin de réfléchir avant de donner ma réponse. « Oui, bien sûr que je veux entendre toutes tes anecdotes ! Fais-moi rêver ! » Je m’exclame dans un Français à couper au couteau (mes restes scolaires ne sont décidément plus aussi frais qu’avant). « On mange un morceau sur le campus ou tu préfères rejoindre un petit restaurant en-dehors ? » Je le questionne alors. Ce sera sa décision, en fonction de son propre emploi du temps, puisqu’en ce qui me concerne, être chef d’équipe a certains avantages dont celui d’aménager mes horaires. Si je reviens plus tard au CMS en début d’après-midi, je peux aisément quitter le bureau plus tard aussi. Par ailleurs, cela me fait penser que je dois, malgré tout, prévenir mon équipe. « Je te laisse réfléchir le temps d’appeler le labo, pour qu’ils ne m’attendent pas. »Je m’éloigne de quelques pas, récupère mon portable dans la poche de mon Jeans et entreprend de passer un coup de fil rapide à Carolyn. Nous n’avions pas spécialement prévu de déjeuner tous ensemble ce midi, mais en partant tout à l’heure, je leur avais promis un retour d’ici une trentaine de minutes. Je sais qu’ils ne se seraient pas posé de question face à mon absence, se doutant d’une rencontre fortuite au détour d’un couloir (le campus étant grand et plein de monde, surtout lors de la rentrée). Toutefois, cela ne m’empêche pas de les avertir par politesse. La conversation avec Carolyn ne dure pas plus d’une minute et très vite, je me tourne à nouveau vers Marius tout en rangeant mon téléphone, puis reviens près de lui. « Alors, quel est le verdict ? » On ira où il voudra. Tout ce dont j’ai envie, c’est de me retrouver avec lui, de l’entendre me raconter ce qu’il a vécu en France avec engouement mais surtout, avec ce rire qui m’a tant manqué durant deux ans. @Marius Warren |
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