Mon sourire se fige à la seconde où c’est Savannah qui se dresse dans l’encamblure de la porte et pas n’importe lequel de mes voisins énervés. J’aurais préféré, peut être. Non pas que je n’aime pas ma famille, mais si j’ai quitté notre pays natal dans un premier lieu c’était bien pour aller vivre le plus loin possible d’elle. D’elles, parce que les soeurs se conjuguent au pluriel. "Bien le bonjour Monsieur Williams" Son sourire me fait automatiquement lever les yeux au ciel et souffler doucement, parce que sa voix qui vient titiller mes tympans prouve bien qu’elle n’est pas un mirage. Elle est vraiment venue toquer à ma porte avec ce faux sourire comme si on était la fratrie la plus soudée du monde, comme si elle n’avait jamais fuit dans un pays étranger ou arrêté de me parler alors que pour une fois je faisais des efforts. “Madame Williams.” Notre nom de famille de merde qui sonne pas du tout italien, heureusement au moins que l’accent chantant rattrape le tout sinon personne ne nous croirait jamais quand on parle de nos racines - ce qui reste assez rare, de toute façon. Je rigole seulement quand le premier gars quitte l’appartement et qu’il est suivi par Andy qui laisse une main trainer sur mes fesses avant de lancer un dernier clin d’oeil derrière le visage outré de ma soeur. Je sais que toute cette histoire me vaudra une séance d’explications, mais je sais encore plus que Savannah doit avoir l’esprit qui vrille et les insultes qui s’accumulent dans son esprit. Au moins nous auront ça en commun, donc. Je finis par ouvrir plus largement la porte et à la laisser entrer, mais c’est seulement pour éviter qu’elle s’enfuit cette fois. Peut être aussi que je suis curieux de savoir ce qu’elle pourrait avoir à me dire, elle qui paraît étrangement rayonnante pour un dimanche matin. Elle n’a pas dû passer une nuit aussi mouvementée que la mienne - cela expliquerait beaucoup de choses. "Je me disais que tu pourrais peut être avoir envie de prendre un petit déjeuner avec ta soeur préférée." Donc en plus je suis supposé lui prêter de mes précieuses céréales ? Bien. Très bien. Pas bien du tout. Il ne me reste plus que cinq paquets, je vais être obligé de faire ma sortie mensuelle à la superette plus tôt que prévu et je déteste ça. “Peste ou cholera, j’ai fait mon choix.” Elle est peste, l’autre soeur c’est cholera. Noms tirés au hasard pour ne pas qu’il y ait de jalouses. Entre celle dans la mode et celle qui fait ses petits dessins, je n’ai pas beaucoup d’espoir en elles. Et elles en moi. On se le rend bien et il ne faut pas croire que je suis le seul chat noir de la famille, on est tous très doués pour s’attirer les foudres du monde et de nos parents. “Où est Mathis ?” Qui garde Mathis. C’est ça ma question. La vraie question et la seule qui importe, parce que je compte pas lui demander si elle veut de la confiture de fraise ou de framboise - et ça n’a rien à voir avec le fait que je connaisse déjà la réponse, c’est seulement que je en compte pas partager ce genre de discussions avec ma soeur.

"Je vois qu'il y a des choses qui ne changent pas". ”Tu comptes cafter aux parents ? J’ai peur.” Ca aussi, ça ne changerait pas au moins. Je sais qu’elle n’a jamais été très enclin à mon type de vie, surtout qu’elle est celle qui a réussi à leurs yeux. Elle est la seule qui a été foutu de se marier et de pondre un gosse, alors pour la mama et tout le tralala qui va avec, c’est le mieux qu’un de ses enfants aurait pu faire. Elle a réussi là où tous les autres - nous - ont échoué, encore. A peine arrivée qu’elle me tape déjà sur le système et la porte se ferme lourdement derrière les deux hommes en même temps qu’on se dirige sans un mot vers la cuisine. Je lui lance son bol qui glisse sur la table en même temps que le paquet de céréales. Elle a de la chance de partager mon sang parce que sinon la liste des personnes à qui je pourrais prêter de ma précieuse nourriture est assez réduite. Très, très réduite. ”Lait au frigo.” Je suis pas son chevalier servant ni même son hôte, et c’est pas empiéter un peu plus sur ma vie privée qui va la déranger. Elle fait tout le temps ça. Les femmes font tout le temps ce genre de choses que je ne comprendrai jamais. ”T’es venue pour quoi Sav’ ? Tu comptes partir où cette fois ci ? Madagascar ? Portugal ? Sierra Leone ? Vas-y, balance. Fais moi rêver.” Autant entrer rapidement dans le vif du sujet. C’est ce que je fais en même temps que je prends une poignée de céréales à même le bol, mes yeux vissés dans ceux de ma petite soeur.

Elle teste mes limites et sait que je déteste ça, mais parce qu’on partage le même sang elle se croit capable de faire des choses aussi stupides que ça. C’est en partie vrai. Ca m’empêche au moins de me battre avec elle, entre autre. Parce que si elle n’avait pas été de mon sang et avait gardé cette grande gueule il y a bien longtemps que j’en serais venu aux poings puisqu’il est connu de tous que la patience n’est pas quelque chose que je connais. Avec Savannah je me contente de vouloir sa mort sans jamais rien dire, parce que je n’oublie pas qu’elle traîne un mini-elle qui n’a rien demandé derrière elle et qu’il est hors de question de créer des victimes collatérales. ”Mathis répondrait avec des gazouillis et James des insultes. Donc non, ça ira.” Ca veut dire que je la crois, ou qu’à défaut de la croire je n’ai tout simplement pas envie de perdre encore plus mon temps dans ce sujet-impasse là. On a ce merveilleux don de pouvoir se disputer sur n’importe quel sujet du monde, testé et approuvé depuis plus de trente ans et même par delà les océans. Tout ça pour dire que répondre par un “non, je te crois” aurait été bien trop simple.
”C’est mignon que tu continues à croire que je vais me pointer à Noël.” Après tout cela doit faire à peine vingt cinq ans que je n’ai pas passé les fêtes en famille, mais ce n’est sûrement pas encore assez pour elle. Tant qu’elle reçoit toute l’attention des parents elle devient aveugle envers le reste du monde alors cela doit beaucoup jouer dans la balance. Mes dents viennent bloquer l’intérieur de mes joues et les serrer plus que de raison en même temps que ma soeur prend peu à peu possession de ma cuisine. Heureusement qu’il n’y a pas Itziar, bordel. ”Tu rentres chez eux pour les fêtes ?” J’attaque à mon tour, pris d’une curiosité soudaine sortie de je ne sais où. Comme si j’en avais quelque chose à faire de ce que faisait ma soeur, aujourd’hui ou pour n’importe quelle fête. Il est aussi à noter que les parents pourraient quand même découvrir l’Australie maintenant que toute leur progéniture y vit. Ca fait du quatre et demi contre deux ; mais faut croire que la maison dans laquelle tout le monde a grandi compte pour dix. Ils ont toujours donné beaucoup trop d’importance aux objets, aux reliques, aux souvenirs du passé qui les gardent enchaîné. Et, bien sûr, esprit de contradiction oblige, j’ai toujours détesté ça.
Mon loft devient un moulin et je lâche un rire faux en même temps que mes yeux se lèvent au ciel. Fuck you, Savannah. Elle est celle qui choisit de revenir dans ma vie et la même personne qui la juge sans même attendre la minute réglementaire. Fuck you. ”Les festivités se passent le soir ici, comme tu peux le constater. T’as raté les meilleurs à quelques heures près, dommage.” Fierté d’Auden ravalée, mon épée s’abat dans le vide. Parce que madame vaut bien mieux que tout ça, parce que madame a un enfant et est quelqu’un de bien (si on omet la partie où elle devient le fuyarde en cavale). Je traîne une chaise haute de l’autre côté du comptoir pour qu’on continue de se faire face, mais tout en respectant la distance de sécurité obligatoire. Question de survie. Au cas où j’ai encore un peu plus envie de la tuer et d’en venir aux mains, elle se doit d’avoir une seconde d’avance pour fuir et ne jamais revenir. Ô que ce serait une bonne idée, ça. Je reprends la suite de sa phrase, celle qui fait de Savannah la petit soeur qui s’inquiète pour son grand frère à la vie un peu trop débridée, un peu trop joyeuse, un peu trop atypique, un peu trop sans mariage ni enfant ni même petite amie. La mauvaise vie, en somme. Bouhou. ”Tu ne toucheras pas de parts d’héritage supplémentaires parce que je sais utiliser des capotes. Désolé Sav.” Même s’il est de toute façon un fait connu de tous que Savannah est la préférée et qu’elle doit avoir droit à 90% de l’héritage, lesquelles parts auxquelles on ajoute 7% pour tout le quartier et le reste revient aux deux derniers de la fratrie que tout le monde a un peu oublié. J’aimerais trouver une raison à cela mais aucune ne me vient à l’esprit. Elle a toujours été la préférée, d’aussi loin que je m’en souvienne.
Chacune de ses nouvelles paroles est une nouvelle pique qu’elle m’envoie et un pas de plus qu’elle fait vers la sortie manu militari de mon chez moi. ”Les gens normaux préviennent avant de débarquer, généralement.” Un genre “hey salut grand frère, ça fait longtemps qu’on s’est pas vus, je peux passer cette semaine ? :):):)” pas un “hey tu sais enfiler une capote au moins ?” balancé au petit matin. Ceci dit elle sait que la seconde option est la seule dans laquelle je lui aurais ouvert ma porte et pas fermé à double tour. Mais quand même. Elle n’a aucune raison valable de venir me voir et elle sait que je ne suis pas le genre de personne qui s’épanche sur ses souvenirs d’enfance pendant des heures. ”Mais vu que c’est toi j’imagine que tout le monde t’a déjà pardonné.” Nouveau sourire presque naturel, presque sincère, presque fraternel. ”Les parents t’envoient pour que je leur rembourse 2 Lire empruntés pour acheter des bonbons ? Parce que désolé j’ai que des billets de cent dollars sur moi, là.” Je pose enfin mon cul sur cette putain de chaise et vient reprendre le paquet de cérales près de moi pour venir piocher ces mets divins à même le sachet. Ce qui va sûrement dégoûter Savannah. Ce que j’apprendrai à Mathis à faire, aussi.

Ce n’est pas une charmante réunion de famille, c’est un face à face muet entre deux personnes qui ont pour malheur de partager le même sang. Cela n’a rien à voir, les apparences sont trompeuses et assassines. "Mathis a du bien grandir depuis la dernière fois que tu l'as vu, il pourrait te surprendre. " Continue de remuer le couteau dans la plaie Savannah, et je continuerai à faire comme si de rien n’était. On est si doués à ce jeu là ; on s’entraîne depuis tant de temps, tant d’années. La gentille et frêle petite soeur, le grand frère aussi émotif qu’une porte de prison. Quel beau tableau, j’aurais réellement pu le peindre. "Et puis James ne te déteste pas." Cette fois ci je n’arrive pas à garder pour moi un simple souffle faisant office de rire. Certes, James ne me déteste pas ; mais il aurait sûrement été heureux d’avoir n’importe qui d’autre en tant que beau frère. Ou aucun beau frère tout court. Tout comme j’aurais aimé que la famille par extension ne comprenne pas le père de l’enfant de Ginny. Cela ne fait que prouver une nouvelle fois que nous ne choisissons pas notre destin. Et que la vie est une stronza. Alors je me la joue grand frère à peu près normal pour quelques minutes encore, ne dis rien et la regarde manger mes céréales. Elle n’a aucune idée de l’honneur que je lui fait, elle ne sait pas que personne ne mange chez moi et encore moins ma propre nourriture. Elle ne sait pas que les mots que j’ai pour elle sont les plus doux que je puisse trouver. Tout ce qu’elle sait faire c’est critiquer et se plaindre, parce que certaines choses ne changent jamais et j’ai appris à ne plus être déçu de rien.

"Merci pour ta confiance en tout cas...Je pensais que t'étais le plus apte à comprendre que les gens pouvaient changer." Mes yeux marrons rencontrent le bleu des siens - encore une chose que la nature lui a offert à elle et pas au reste de la fratrie. Je cherche vainement de comprendre ce qu’elle entend par là, remonte aussi loin dans me souvenirs que mon esprit me le permet. Je ne vois pas ce dont elle parle, tant pour elle que pour moi. Nos caractères se sont seulement affirmés avec le temps et avec l’âge, nous étions déjà des nous en puissance quand on se rendait à l’école ensemble, qu’elle rejoignait tout son groupe de copines et que je cherchais seulement contre qui j’allais me battre aujourd’hui. ”Et toi tu as toujours eu un penchant pour les causes perdues.” Savannah, douce Savannah qui a encore trop d’espoir pour notre famille, qui croit toujours qu’il y a un espoir. Savannah qui cherche toujours une lumière pour la guider dans l’obscurité, qui oublie que même son ombre l’abandonne dans ces moments là. "Je pensais que ça aurait pu faire plaisir à Maman..." La déception s’entend dans ses mots et se voit dans son regard. Elle tente la voie de la persuasion, celle qui consiste à se remémorer les moments passés en famille y a de ça plusieurs décennies. Nous avons grandi heureux sans jamais manquer de rien mais cela ne fait pas de nous une famille heureuse pour autant. ”Ouais, elle s’ra contente de te voir.” Je n’en dirai pas autant pour moi, mais au moins a-t-elle toujours eu un lien avec la plus grande des soeurs. La première mini elle, la première à laquelle elle pouvait faire des couettes et donner des robes. Quelle joie.

"Hmm je sais pas...J'aurais peut être la chance d'avoir Mathis avec moi pour l'occasion alors..." Merde. Elle sort la corde sensible, la seule chose qui pourrait me faire changer d’avis. ”Je viendrai peut être.” Je murmure à peine, feins soudainement d’avoir quelque chose d’extrêmement important à aller regarder dans les placards de la cuisine derrière elle. Ok, sujet suivant. On passe. Je prendrai mes billets plus tard, quand j’aurai acheté ma seule bouteille d’alcool de l’année et que je n’en aurai surtout parlé à personne.

Heureusement que ma petite soeur est toujours là quand il s’agit d’essayer de me rendre mal à l’aise. Elle ne mâche pas ses mots et c’est au moins une chose pour laquelle je l’estime. "Oh oui, quel dommage. Moi qui rêvait de te voir dans une orgie" ”J’peux te passer des liens, si c’est que ça.” Mon sourire en coin revient en même temps que ma réponse qui ne fait aucun sens. Je sais que là, exactement là, elle va avoir son air outré comme à chaque fois que je disais quelque chose qu’il ne fallait surtout pas exprimer à voix haute à l’église. “Pas dans la maison de Dieu, Auden !” que notre mère criait autant qu’elle murmurait dans mon oreille, ce qui ne me donnait envie que de recommencer et faire pire la semaine suivante.

"C'est vrai...Mais depuis combien de temps considères-tu que nous sommes ces gens normaux Auden?" ”Depuis … Attend laisse moi réfléchir … Oh, oui. Jamais.” Les répliques s’enchainent avec une aisance déconcertante et presque ennuyante. Tu m’avais habitué à mieux, Savannah. A des sujets plus épineux, à des sujets qui piquaient davantage au coeur, qui brûlaient, qui faisaient mal. Ce genre de sujets que personne d’autre que la fratrie pouvait connaître. La fratrie et Ginny, bien sûr. "Je peux savoir comment tu méprises tout le monde? Je veux bien admettre qu'on a pas la meilleure famille du monde, mais visiblement tu t'entêtes à ne plus vouloir en faire parti..." Nous voilà donc repartis dans une leçon de morale dont seuls les Williams ont le secret, hein. Mes yeux roulent vers le ciel, j’expire tout l’air de mes poumons et bien plus encore. "Depuis quand est ce que tu t’intéresses à ce que je fais de ma vie ? Ca ne touche pas la tienne, t’as rien à craindre. Ca pullule dans le coin les Williams, personne fait le lien entre nous." Tu ne crains rien, petite soeur. Nous évoluons dans des domaines différentes avec des personnes différentes. On ne fait pas de dîner entre amis, on ne rencontre pas d'italiens parce qu'on manque notre accent chantant. On ne parle pas du pays, on ne parle pas de la famille. Ce sont des choses dont on ne parle jamais mais qui sont évidentes. Nous ne sommes plus des gamins. "Et Mathis ? T'as des nouvelles ? A part pour les fêtes." Hey Sav', dis moi que t'as pas encore tout foutu en l'air avec mon neveu.

On est une famille. Ca me tue de l’admettre, ça me brûle la gorge alors que je n’ai rien dit à voix haute ; pourtant c’est la vérité. Même moi ne pourrais pas nier une telle chose parce que le fait est qu’on a vécu ensemble, qu’on a grandi ensemble. On a partagé bien trop de repas, bien trop d’anniversaires, bien trop de blagues pas drôles de papa pour lesquelles maman nous forçait à rigoler pour ne pas qu’il se vexe. Et on le faisait, parce qu’on était tous plus ou moins obéissants (et si un devait ne pas obéir, ça aurait été moi, seulement moi). C’est dans ce contexte là qu’on a appris à se connaître, à se supporter, à s’apprécier plus ou moins malgré les divergences d’esprit et les différences d’âge. Plus de dix ans séparent l’aîné de Savannah, c’est sans doute beaucoup trop. J’ai toujours pensé que c’était beaucoup trop, que Raphael était déjà bien plus âgé que moi. Ca m’enrageait qu’il puisse simplement lever ses mains et me confisquer mon carnet à dessin seulement grâce à son avantage physique, à sa taille que je n’avais pas encore. Stronzo. Son surnom officiel depuis que j’ai appris à parler.
Tout ça pour dire que même si je n’en ai jamais rien eu à faire d’apprendre à connaître ma famille, c’est quand même le cas. Et je la vois, Savannah, qui se pince doucement les lèvres, qui dévie son regard. Elle ne veut pas retourner en Italie seule et au fond, je la comprends. A sa place non plus je ne serais pas retourné sur nos terres natales sans une issue de secours, aussi insupportable soit-elle.

"Cool. On ajoutera tes petites vidéos sur ma page perso, histoire d'augmenter le nombre de vue." Ses tentatives pour me déstabiliser sont les mêmes depuis toujours, et depuis toujours elles n’ont toujours aucun effet sur moi. C’est presque mignon, au fond, qu’elle ait trouvé le moyen de ne jamais s’en lasser. ”Tu vois qu’on arrive à de bonnes choses ensemble.” Quand on ne veut pas se tuer l’un l’autre, quand on ne veut pas tuer le premier ou le troisième membre de la famille (quand ce n’est pas les parents).

Ce n’est que lorsqu’elle parle de Mathis que je dis moins de conneries, que j’écoute ne serait-ce un minimum ce qu’elle dit. Parce que ça m’intéresse. C’est la seule chose qu’elle puisse dire qui m’intéresse, alors autant qu’elle en profite parce que rapidement elle sera venue à bout des nouvelles informations qu’elle peut me partager. J’entends pour James, j’entends pour leur garde. Mon regard toise le sien, j’attends qu’elle ait fini pour lui prendre de ses céréales et les mâcher pendant un trop long moment. ”Tu vas essayer de reprendre sa garde complète ?” Ca brûle mes lèvres, ça devrait en être de même pour les siennes aussi. Elle prend la situation avec un calme qui m’étonne autant qu’il m’ennuie. A mon sens elle devrait davantage se battre pour la chair de sa chair et même si je ne déteste pas tant James qu’on pourrait le croire, ma soeur passe en première dans l’ordre des priorités. ”L’autre frère ? L’autre soeur ? Ils viennent aux réjouissances ? Ou t’es pas encore partie faire du racolage chez eux et je suis ton crash test ?” Celui qui est de toute façon voué à l’échec, que s’il refuse ça n’en sera que plus élémentaire. ”Je viendrai si tu as la garde de Mathis, hors de question qu’il supporte ses grands parents tout seul.” Est ce qu’il parle italien, au moins ? Est ce qu’il comprendra un seul des mots qui sortiront de leur bouche, eux qui ne perdront pas de leur précieux temps de gens respectable pour jouer au cliché de la famiglia italienne parfaite et soudée.

Savannah Williams a écrit:

Auden & Savannah

Auden est de loin le plus insupportable de la famille et étrangement, c'est pourtant à chaque fois auprès de lui que je viens me reporter lorsqu'il s'agit devoir mettre de l'ordre de la famille et obtenir un point de vu. Non pas qu'il soit une oreille attentive, et d’ôté de conseil précieux, mais qu'il en soit, je suis parfois forcée de lui donner raison. Enfin, de comprendre la logique qu'il souhaite imposer à toute la famille : Diviser pour mieux régner. Ce n'est clairement pas la même vision de la vie que j'ai, et ce n'est certainement pas celle que je souhaite inculquer à mon fils, mais il va de soi que la famille Williams n'a jamais vraiment été de tout repos, et ce, depuis la plus tendre enfance. Nous ne pouvons pourtant pas dire que nous avions été malheureux, bien au contraire. Quoiqu'il en soit, chaque petit soldat parvenait à vouloir faire entendre à ses frères et sœurs de sang que ses problèmes était bien plus importants, et nous amenait finalement à développer des caractères déjà bien forgés par la mentalité italienne. Nous avions tous plus ou moins du mal avec la religion qui faisait partie intégrante de la famille, mais bien évidemment que c'était surtout un besoin primordial pour ma mère que d'effacer et pardonner le caractère parfois puéril, égoïste et irresponsable de chacun dont avait hérité chacun de ses enfants. Par pitié que Mathis en soit épargné...

Mes échanges avec Auden se ressemblent étrangement. Si l'évolution physique a, forte heureusement, fait son travail, nous n'en restons pas moins de vrai gamin, capable de rabaisser l'autre sans éprouver aucun sentiment de culpabilité. Si mes parents venaient à entendre cette conversation sur une commune page pornographique qui pourrait voir le jour, mettant en scène les différentes expérimentations de leurs enfants chéris, ils soupireraient, priant le bon dieu pour qu'une fois de plus, il veuille bien se montrer clément. ”Tu vois qu’on arrive à de bonnes choses ensemble.” Je balance ma tête négativement, visiblement lassée et déçue de ne pouvoir le toucher avec mes paroles. Le sujet "Mathis" semble trouver bien plus d’intérêt auprès de mon aîné, bien trop d’intérêt d'ailleurs. Bien que je sois revenue depuis un bon moment, j'ai toujours ce sentiment d'être jugé, comme si dans un moment de folie je m'apprêtais à tout quitter une fois de plus. Mais je ne le ferais pas. Et je suis ravie que James soit parvenu à combler mon absence auprès de ce petit trésor durant ces trois premières années. ”Tu vas essayer de reprendre sa garde complète ?” Je fronce les sourcils, interloqué qu'il puisse avoir une telle pensée. "Bien sûr que non!" avouais-je, provoquant sûrement un manque de compréhension de sa part. Je soupire finalement, prenant un court instant pour approfondir le sujet. "Il s'est occupé de lui lorsque moi je n'en étais pas capable. Il a d'ailleurs fait de lui un p'tit garçon exceptionnel...Il a accepté que je puisse retrouver ma place auprès de lui" Je marque une légère pause. "Bon okay, non sans m'épargner quelques fois" soulignais-je à juste titre " Je n'vais quand même pas lui arracher la garde et risquais de provoquer un déchirement chez Mathis. Je me bats chaque jour pour tenter de me faire pardonner mes erreurs, ce n'est clairement pas pour le pousser à me détester en me montrant égoïste".Mathis, du haut de ses autres ans n'avaient pas encore eu le loisir de me faire réellement payer mon absence, mais je mettais fort à parier que cela arriverait un jour, surtout si je venais à me mettre au travers de sa relation complice avec son père.Ma cuillère glisse dans le fond de mon bol, relevant ce silence qu'il m'impose comme un reproche. Je relève le regard dans le sien. "Tu crois que je devrais le faire?" Pensait-il seulement que j'étais à la hauteur pour savoir assumer ce rôle de mère auquel j'ai manqué durant des années.

Les fêtes viennent à être évoqué, et la possibilité de voir le petit clan se réunir ne semble pas enjouer Auden, bien au contraire... ”L’autre frère ? L’autre soeur ? Ils viennent aux réjouissances ? Ou t’es pas encore partie faire du racolage chez eux et je suis ton crash test ?” Un instant de flottement pour réfléchir à ma réponse. Entre Saül qui se jetait corps et âme dans son travail, et avec lequel je n'avais pas eu l'occasion de réellement prendre contact depuis mon retour ici, et Jenna, que je fuyais autant que la peste au vu de nos derniers échanges, on peut dire qu'effectivement, Auden était le seul qui parviendrait à réunir la famille. Tellement exigeant et égocentrique, que si lui acceptait, les autres finiraient par abdiquer. "Je voulais juste m'assurer que tu serais bien là pour égayer le repas avec des blagues douteuses lors du repas avant de lancer officiellement l'invitation. ”Je viendrai si tu as la garde de Mathis, hors de question qu’il supporte ses grands parents tout seul.” Je roule des yeux. "Ne sois pas si dur, ce sont les seuls membres de cette famille capable d'exprimer de l'attachement sans en chopper de l'urticaire." Comme chaque fois, il serait parsemé de baisers par sa grand-père, et aurait le droit à être trimballé partout tel un trophée au côté de notre père. "Mais j'suis ravie que t'acceptes!" lui lançais-je avec un sourire qui a coup sûr le fera ruminer. Je délaisse mon bol, que j'ai quelque peu négligé, faut dire que niveau petit-dej, ca vendait pas du rêve. "Merci pour le petit dej....J'vais me lancer à la conquête des deux autres désormais." lui lançais-je en quittant ma chaise. "Réserves ton billet d'avion Williams, et n'oublies pas d'amener un joli pull avec une tête de cerf dessus" m'amusais-je en venant tapoter un instant son épaule en guise de signe de salutation. Je me dirige vers la porte, tout en lui lançant un "a presto", levant la main sans même prendre la peine de me tourner vers lui. Ah, la famille...

nightgaunt

La voilà qui s’offusque, Savannah, à peine j’évoque la possibilité pour elle d’avoir la garde pleine et entière de son fils. J’avais été franc avec elle, pour une fois, n’avais même pas aucune arrière pensée pour accompagner ma question et elle me regarde comme si je venais d’insulter sa mère - notre mère. Une moue apparaît sur mon visage et par question d’habitude, je ne laisse rien d’autre transparaître. Elle me fait la liste de toutes les raisons pour lesquelles elle ne demandera pas la garde complète de Mathis et je l’écoute en silence, chose qui étonne tout le monde et moi le premier. Quand vient (enfin) mon tour de donner mon avis, j’hausse les épaules avec désinvolture. ”Fais ce qui est le mieux pour lui.” Je jure que si jamais elle sort à nouveau de sa vie elle devra retourner bien plus que de simples explications à James et une lettre d’excuse. Elle a une place importante dans la vie de son fils et il est temps pour elle de l’assumer pleinement en plus de s’assurer de la garder. Mes doigts tapotent le plan de travail de bois et mes yeux la toisent sans douceur aucune. Elle sait tout ce que je pense de cette situation, pour avoir eu affaire à moi un bon millier de fois.

Et le sujet de conversation change, de Mathis on en vient à parler à Mathis en Italie. La différence entre les deux est de poids, tout mon corps regrette déjà d’avoir accepté la proposition à demi mots. Elle a encore le doux espoir de tous nous réunir à Noël autour d’un feux et d’un sapin décoré à outrance mais la vérité c’est que lorsque tous les Williams sont réunis à moins de 1000 kilomètres les uns des autres, vous pouvez être certains que tout finira par mal tourner. Loi de Murphy oblige, notre famille en est le parfait exemple, lequel ne connaît aucune exception à la règle. Elle a encore cet espoir fou de retrouvailles avec la larme à l’oeil et même moi n’arrive pas à lui ôter cet espoir.
Elle devrait le savoir, pourtant, depuis le temps, que nous ne faisons jamais rien comme les familles normales. Maintenant qu’elle a su me convaincre (même si je reste intimement persuadé que seul Mathis a réussit cet exploit, au fond), il est certain que les deux autres suivront sans sourciller. Si même Auden y va, alors eux suivront aussi. Jenna sera heureuse de revoir la famille, Saül sera heureux de leur montrer à quel point les affaires marchent si bien, cette année. Rien que d’y penser j’ai déjà envie de lui coller mon poing dans la figure, à ce vieux frère qui doit avoir le visage ridé par les années. ”Arrivederci.” Savannah repart aussitôt, je lui fais un simple signe de la main alors qu’elle connaît très bien la sortie.

Et merde.
Je vais en Italie.