Un sourire de façade sur le visage, Leah observait la foule qui abondait au bar avec un mélange de plaisir et d’anxiété. Deux sentiments contradictoires qui s’expliquaient par le fait que si elle était ravie d’être ici, une partie d’elle jaugeait les personnes qui lui faisaient face afin de savoir s’il était là. Camden. Depuis quelques mois maintenant, le rêve s’était transformé en cauchemar et ce, sans que la face du monde ne soit au courant. Pour tout son entourage, la vie continuait telle qu’elle était mais pour Leah, tout s’écroulait. Depuis deux ans maintenant qu’elle partageait sa vie avec lui, ses amis et sa famille pensaient qu’elle était heureuse et épanouie dans sa relation. La brunette ne leur en voulait pas, après tout elle s’était découvert sur le tard un sacré potentiel d’actrice ; dommage qu’elle n’ait pas décelé ce talent plus tôt, son quotidien serait sans doute différent. C’était ici même qu’elle avait croisé son regard pour la première fois, qu’il avait commencé à montrer un intérêt incompréhensible pour elle. Leah n’en croyait effectivement pas ses yeux ; il était trop séduisant et trop intelligent que pour être attiré par elle. Et pourtant. Après l’avoir fait languir – plus parce que son patron ne voyait pas d’un très bon œil les relations avec les habitués que par réel besoin de le faire attendre – quelques temps, la brunette avait finalement cédé à ses avances. Une sacré erreur quand on voyait les conséquences deux années plus tard. Car si leur idylle l’avait envoyée tout droit au septième ciel pendant les premiers mois, la jeune femme avait rapidement déchanté en comprenant à qui elle avait réellement affaire ; un pervers narcissique doublé d’un type violent et possessif. Il faisait peu à peu le vide autour d’elle, prétextant qu’un tel ou un tel avait eu un regard ou une remarque déplacée à son égard, qu’il la voulait pour lui seul… Des paroles qu’on pouvait juger plaisantes au début mais qui prenaient rapidement des allures d’avertissements puis de menaces par la suite. Avant qu’elle ne comprenne ce qui lui arrivait, il était trop tard. A présent, elle était devenue cette femme qui prétextait que tout allait bien tout en portant des manches longues afin de camoufler les contusions. Cette femme maladroite qui tombait bien trop souvent dans les escaliers et qui savait remettre des épaules démises en un rien de temps. Cette femme qui parvenait à sourire par automatisme, à empêcher les larmes de couler de ses yeux quand on lui demandait comment elle allait. Cette femme qui s’obligeait à garder ses hurlements à l’intérieur tout en criant à qui voulait l’entendre qu’elle l’aimait. Voilà ce qu’elle était devenue. Et si au fond d’elle la brunette se battait encore, il ne lui restait plus grand-chose de ce qu’elle était réellement. L’ancienne Leah était roulée en boule dans un coin sombre de son esprit tandis que la nouvelle brillait d’une lueur terne, survivant jour après jour dans cette vie qui était désormais la sienne. La seule chose qu’elle n’avait pas encore perdu, c’était son travail. Elle savait pertinemment que sans ça, elle serait définitivement foutue et que seule une balle dans son crâne pourrait la sortir de cette misère. Alors elle avait trouvé toutes les excuses du monde pour conserver ce job de barmaid, ses seules heures de liberté avant de rentrer à reculons chez elle, dans cet appartement qu’elle partageait avec lui. Mais la plupart du temps, Camden était dans le coin, ne la perdant jamais totalement de vue. Il ne lui disait pas quand il prévoyait de débarquer, la laissant avec la boule au ventre d’être surprise entrain de sourire à un inconnu ou à discuter un peu trop près avec un de ses collègues. De tout façon, cela faisait bien longtemps qu’il avait cessé de chercher des excuses pour expliquer les coups qu’il lui portait. Rassurée de ne pas encore avoir croisé son regard vert glaçant, Leah reporta son attention sur une jeune femme qui venait de s’installer en face d’elle et qui semblait porter le poids du monde sur ses épaules ; rien que ça. Les traits tirés, elle avait un regard vide qui indiquait que quelque chose n’allait pas. La barmaid était douée avec les clients et sentait beaucoup les choses, et là elle ressentait la détresse émotionnelle de cette fille. S’approchant d’elle, elle l’interrogea du regard. « Je peux vous servir quelque chose ? Un remontant peut-être ? » Suggéra-t-elle avec un petit sourire en coin, cherchant à déclencher l’esquisse d’un sourire chez son interlocutrice.
Je ne dors pas beaucoup depuis quelques semaines, pourtant je suis tellement fatiguée. Mais j’ai la tête ailleurs, je suis préoccupée. Depuis quelques jours le procès de Jackson a commencé puisque ce trou du cul a braqué une banque et n’a pas été capable de le faire sans se faire prendre. Ça fait un an que je ne l’ai pas vu. Dès que je l’ai pu j’ai quitté Melbourne pour retourner à Brisbane. Pour m’éloigner de lui, m’éloigner de ma vie dont je ne suis pas fière. Toute la drogue, l’alcool, le sexe, l’argent facile, son influence, sa prestance. Il savait me parler, il savait les mots à employer pour me faire plonger avec lui dans chacun de ses plans foireux. Il était fort. Il était doué. Tellement doué. Il était beau, et ça, il le savait. Il en jouait avec moi. Il savait que sans lui, je n’étais rien. Rien du tout. Qu’une pauvre fille à la recherche de son identité. Mais je ne l’ai d’ailleurs toujours pas trouvée, mon identité. Je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas à quoi rime ma présence sur terre. Il était intelligent. Très intelligent, et malin aussi. Devant les autres il se comportait presque comme le petit-ami parfait, celui qui s’inquiétait pour sa copine et sa consommation excessive de drogue ou d’alcool. Alors qu’en fait c’est lui qui m’a vraiment fait plonger dans tout ça. Avant de le rencontrer j’arrivais encore à me contrôler. Mais dès qu’il a fait son apparition dans ma vie, tout a changé. Quand il s’est fait arrêter je n’ai pas tout de suite su comment réagir. Un mélange de peur, d’excitation et de soulagement. La peur parce que la vie sans lui est effrayante, ma vie a tourné autour de cet homme les dernières années de ma vie. De façon très toxique, je le sais. Mais je ne pouvais pas le quitter parce que je savais que si j’osais faire ça, les coups seraient encore plus violents. Alors je ne disais rien. Je subissais. Je lui souriais. Je souriais aux autres leur faisant croire que ces bleus étaient dû à une chute. Ou bien je disais que j’étais sévèrement anémiée ce qui expliquait mes bleus. Est-ce que les gens me croyaient ? Je n’en sais rien. Mais moi j’essayais de me persuader à chaque fois que ce n’était pas si grave et qu’il finirait par se calmer. Je le croyais. Même si je n’aurais jamais dû. Et le soulagement parce que j’avais l’impression que son arrestation était l’élément qui changerait ma vie. C’était fini. Il était en prison. Pour un braquage de banque. Alors sa peine sera certainement assez lourde. Et j’ai eu peur aussi parce que je ne savais pas à quoi aller ressembler ma vie à présent. J’avais rien. J’avais personne. J’étais seule. Seule avec mes bouteilles d’alcool et avec ces petits sachets remplis de poudre et de pilules qui m’aider à me sentir vivante. Mais tout ça s’est fini. L’alcool, la drogue. Je me suis sevrée. Clean depuis un an. C’est dur. Vraiment très dur. Parce que je dois réapprendre à vivre comme tout le monde. Sans toutes ces fantaisies pour m’aider à vivre. Je pensais que j’allais mieux. Je pensais que j’en avais fini avec toutes ces merdes. Cette envie d’un verre d’alcool. Juste un. Je peux me contrôler, non ? Juste un verre et après je rentre chez moi. J’ai peur. Peur que Jackson ne reste pas en prison très longtemps, qu’il me retrouve pour en finir avec moi. Parce que je suis foutue s’il me retrouve, je le sais. Vous pensez que c’est possible pour une addict sevrée depuis un an de se contenter de boire un verre ? Juste un. Et de rentrer chez soi, et continuer à vivre sa vie comme si rien ne s’était passé ? Peut-être que certains y arrivent mais moi je sais que si je bois un verre, je replonge. Alors est-ce que ça en vaut vraiment le coup ? Est-ce qu’il en vaut vraiment le coup ? Non. La réponse est assez simple. Mais pourquoi est-ce que c’est si dur ? Pourquoi est-ce que je serais prête à tuer pour un verre de vodka ? Parce que je suis faible très certainement. Comme il me le disait tout le temps. C’est de ma faute. Je suis nulle. Et j’ai besoin d’un verre de vodka pour me sentir vivante. Pathétique. Je pousse la porte de ce bar et une fois entrée, je m’arrête un instant. Un an que je n’ai pas mis les pieds dans ce genre d’endroit. C’est bruyant. Les gens rient, tout le monde est accompagné de leurs amis ou leur conjoint. Et moi j’avance, seule, vers le bar, essayant de me frayer un chemin. Tout le monde a un verre d’alcool entre les mains. Moi aussi j’en veux un. Et puis un deuxième, un troisième, un quatrième et ainsi de suite. Je m’assieds sur un tabouret libre face au bar. Et je pousse un long soupir, les coudes posés sur le bar et ma tête vient se nicher dans mes mains. Je ferme les yeux. « Je peux vous servir quelque chose ? Un remontant peut-être ? » Est-ce que je veux quelque chose ? Oh oui. Un remontant ? Putain, oui j’en veux un. Je me mords la lèvre inférieure et relève le regard vers la barmaid. « Un shot de vodka, s’il vous plaît. » Je lui demande, d’une petite voix presque honteuse. J’ai les larmes aux yeux. Je suis vulnérable et je m’apprête à fondre en larmes devant une parfaite inconnue. Oui je suis bel et bien pathétique. Je m’apprête à replonger après un an d’abstinence. Tout ça, tout ce travail, pour rien. Je la regarde faire, fixant la bouteille de vodka comme s’il s’agissait du Graal. « C’est assez marrant quand on sait que je m’apprête à replonger dans l’alcool à cause du même mec qui m’a fait plonger au début. » Je lui dis alors qu’un petit rire nerveux vient ponctuer la fin de ma phrase. Elle s’apprête à me donner ce verre et dès qu’il sera posé en face de moi, je vais le boire cul sec avant de lui en demander plusieurs autres jusqu’à ce que je sois tellement bourrée que je ne me souvienne même plus de mon prénom. On dirait que l’ancienne Rose est de retour.
Les yeux posés sur la jeune femme brune qui venait de s’assoir au bar, Leah cherchait à imaginer ce qu’elle pouvait bien avoir comme soucis pour se retrouver dans cet état. En apparence elle donnait le change, mais ses yeux étaient larmoyants et son regard un peu hagard, comme si elle venait d’apprendre une mauvaise nouvelle ou bien que quelque chose la tracassait. Leah s’était bien souvent retrouvée dans le même état, mais elle ignorait que son interlocutrice avait traversé ce qu’elle vivait elle-même en ce moment. Elle avait l’air perdu, fixant un point invisible devant elle comme si elle s’était assise là sans trop savoir pourquoi. Ça n’était pas la première fois que la brunette avait affaire à des clients en pleine mauvaise passe, et en général elle ne se permettait pas vraiment d’en faire état avec eux puisque de toute façon, il ne fallait pas bien longtemps avant qu’ils ne décident de s’épancher tout en descendant une bouteille. Elle n’aimait pas les voir se mettre mal avec l’alcool pour s’éviter de penser ou de ressentir leur tristesse, mais elle était toujours là pour discuter avec ceux qui en ressentaient le besoin. Un côté inattendu du métier qui lui plaisait assez, en tout cas lorsqu’elle avait l’impression d’avoir été de bon conseil. La jeune femme semblait hermétique à l’ambiance festive qui se dégageait du MacTavish et Leah s’approcha finalement d’elle afin de lui demander si elle avait besoin d’un remontant. Une question purement rhétorique quand on voyait la posture adoptée en cet instant par la brune mais que la barmaid se sentit bien obligée de poser depuis que son patron avait apposé une affiche sur le mur qui précisait que les consommations étaient obligatoires lorsqu’on décidait de s’attarder sur un des tabourets du bar. « Un shot de vodka, s’il vous plaît. » Leah croisa les yeux verts de son interlocutrice, y décelant un trouble qu’elle ne comprenait pas très bien. Elle mordillait sa lèvre inférieure avec nervosité – à moins que cela ne soit une tentative gênante de séduction - tandis que les larmes semblaient prêtes à sortir à la moindre occasion. Hésitante, la brune l’observa quelques secondes en se demandant s’il était déplacé ou non de lui demander ce qu’elle avait, mais décida que ça n’était pas vraiment sa place et qu’elle risquait de se faire rabrouer méchamment. Peut-être s’agissait-il d’une simple rupture et qu’il n’y avait pas à s’inquiéter après tout. Ceci dit, Leah avait le pressentiment qu’il s’agissait de plus que ça. Perdue dans ses pensées, elle se dirigea machinalement vers la bouteille de vodka puis s’empara d’un shot, commençant à y verser le liquide transparent sous le regard attentif de la jeune femme. « C’est assez marrant quand on sait que je m’apprête à replonger dans l’alcool à cause du même mec qui m’a fait plonger au début. » Les paroles de la brune arrivèrent à ses oreilles alors qu’elle terminait de remplir le verre et Leah suspendit presque immédiatement son geste, tournant la tête vers son interlocutrice alors que cette dernière était encore secouée d’un petit rire nerveux. Replonger dans l’alcool, hein ? Pas avec elle. Pas sans essayer de l’en dissuader en tout cas. Il n’y avait rien de drôle dans cette situation, et elle comprenait désormais la détresse qu’elle avait ressentie à l’instant où la jeune femme s’était installée à son bar. Elle était en proie à une lutte contre ses propres démons, et si Leah n’avait jamais eu à vivre ce genre de bataille intérieure, elle se doutait qu’un simple verre risquait de tout compromettre. « Vous êtes sobre depuis combien de temps ? » Demanda-t-elle en posant les mains sur le comptoir, laissant volontairement le verre de côté pour l’instant. Elle s’attendait à ce que la brune s’énerve, lui demande de s’occuper de ses affaires et de faire son travail, mais elle ne pouvait pas faire ça. « On peut discuter un peu si vous voulez. » Se risqua-t-elle à ajouter, plongeant ses yeux noisette dans ceux de la jeune femme afin d’appuyer sa phrase qui relevait davantage du sous-entendu, finalement. La proposition restait en suspens, comme une invitation silencieuse à choisir la voie de la sagesse en privilégiant la discussion plutôt que celle qui la pousserait à replonger dans ses vieux travers. Elle avait l’air jeune, trop jeune pour se foutre en l’air à cause d’un mec. Leah réalisa que cette pensée était plutôt ironique si l’on considérait sa propre situation, mais tout le monde savait qu’il était plus facile de prodiguer des conseils que de les suivre soi-même, pas vrai ? Comme dans un élan de conscience, son regard quitta brièvement celui de la jeune femme pour balayer rapidement la pièce histoire de s’assurer que Camden n’était pas arrivé entre temps. En général, elle ressentait assez vite son regard oppressant sur elle, mais ça n’était pas toujours le cas. Après quelques secondes, elle constata qu’il manquait à l’appel et c’est avec un air rassuré qu’elle se reconcentra sur son interlocutrice qui semblait toujours en plein combat contre elle-même. Leah ignorait les pensées qui devaient se bousculer dans son esprit, mais elle espérait que les mots qui sortiraient de sa bouche seraient ceux d’une personne prête à prendre le dessus sur ses envies.
Je suis nulle. Je suis qu’une merde. Je suis faible. La faiblesse incarnée. Je viens de mettre les pieds dans un bar. Putain. L’alcool coule à flot, tout le monde a un verre dans les mains, tout le monde rit, tout le monde sourit. Et puis il y a moi. Au bord du gouffre, sur le point de m’écrouler, à nouveau. Cette bonne conduite n’aura pas duré très longtemps. Comment est-ce que j’ai pu penser que j’y arriverais ? J’ai été conne. Mais oui de toute façon je suis conne. Très conne. Je suis qu’une bonne à rien comme il me le disait tout le temps. Rien ne va. J’étais tout doucement en train de remonter la pente et j’y ai vraiment cru. Naïvement. Mais pourtant. Me voilà, dans un bar mourant d’envie de commander un verre. Quelque chose de fort. Mais je sais qu’un verre en entraînera un autre, et puis un autre et encore un autre jusqu’à ce que je ne puisse plus rentrer chez moi, jusqu’à ce que je ne me souvienne même plus de mon adresse. Oui parce que j’étais comme ça à l’époque. Il n’y a pas encore si longtemps que ça. Le mélange de l’alcool et de la drogue c’était franchement pas beau à voir chez moi. La barmaid me demande si je veux quelque chose. Putain. Si elle savait à quel point je veux un remontant. Je lui demande un shot de vodka, et j’attends. Fixant la bouteille d’alcool qu’elle tient à présent dans ses mains. On pourrait prendre me prendre pour une cinglée parce que je vous jure que cette bouteille je la regarde de la même manière que Gollum regarde l’anneau. Je suis en pleine lutte contre moi-même. Je ressens tellement de sentiments contradictoires en ce moment-là. Il y a déjà la honte. Parce que je suis sur le point de rechuter dans cette addiction qui a bien failli signer mon arrêt de mort l’année dernière. Et je ressens aussi de la tristesse. Une putain de tristesse profonde qui ne me quitte pas depuis des années. Ces antidépresseurs que je prends devraient m’aider mais c’est pas le cas. Et je me sens vide aussi. Complètement vide. Je mène une vie vide de sens, mon existence n’a strictement aucune utilité. Si je meurs ce soir personne ne le remarquerait parce que je suis seule. Putain. Je suis seule. Comme je me sentais seule pendant mes années en foyer. J’allais mal. Tellement mal. C’est pour ça que je suis partie en couille quand je suis partie à Melbourne. J’en avais marre de me sentir toujours aussi mal, aussi triste. L’alcool et la drogue c’étaient des produits anesthésiants. Et ce soir à nouveau, j’ai mal. Alors c’est décidé, je vais boire. Comme une merde. Sans même savoir pourquoi je me mets à parler en confiant à la jeune femme derrière le bar que je suis sobre mais que je me sens bien décidée à replonger ce soir. Elle ne finit même par de remplir mon verre, elle le pose un peu plus loin et se retourne vers moi. J’aurais mieux fait de fermer ma gueule. Je fixe ce verre qui devrait être à moi, ce verre que j’aurais vidé en un quart de seconde. « Vous êtes sobre depuis combien de temps ? » Je suis même pas capable de la fermer et de replonger. Quand je vous dis que je suis bonne à rien. Je soupire et mon regard se pose sur mon interlocutrice. Que je sois sobre depuis six mois, un an ou dix ans ça change quoi ? Rien. Le résultat c’est le même : je suis nulle. « Un an. » Je lui réponds d’une petite voix, et mes mots sont accompagnés d’une larme qui coule le long de ma joue. Et merde. Je vais pas me mettre à chialer quand même, si ? Je me déteste. Je les yeux au ciel, énervée par mon comportement, énervée par cette soirée, par cette journée, cette semaine. Par ma vie, tout simplement. Je souffle et d’un geste de la main j’essuie cette larme, priant intérieurement qu’elle n’ait rien vu. « De toute façon ça change quoi ? Je suis qu’une merde, il avait raison. » Parce que c’est ce qu’il n’arrêtait pas de me le dire. Et c’était vrai à l’époque et c’est toujours le cas sinon je ne serais pas ici en ce moment-même à lutter contre mes propres démons. « On peut discuter un peu si vous voulez. » Je suis pas sûre de vouloir en parler, non. Mais en même temps j’ai pas envie de grand-chose ce soir. Enfin si j’ai envie de boire. Encore et encore. J’en crève d’envie et la tentation n’avait pas été aussi forte depuis bien longtemps. Je ne dis rien dans un premier temps mais je finis par relever le regard vers la brune et je la regarde un instant. Elle a l’air si gentille. Moi, à sa place je ne chercherais même pas à engager la conversation mais c’est certainement parce que je ne suis pas douée avec les gens. Non en fait c’est simplement parce que j’aime pas les gens et que je préfère m’en éloigner un maximum. Elle regarde au loin comme si elle cherchait quelqu’un du regard, je me retourne et je l’imite en scrutant la pièce du regard en quelques courtes secondes mais je reporte toute mon attention sur elle tout de suite après. « Y a pas grand-chose à dire, il y a pas encore si longtemps je passais tout mon temps à boire et à prendre tout ce qu’on me donnait. Mais j’ai fini par me reprendre en main. » Enfin, j’ai surtout fait une tentative de suicide par overdose et je me suis rendue compte que j’étais devenue un déchet, j’avais pitié de moi et je me détestais tellement. « J’en ai juste marre de toujours devoir lutter contre mes propres démons. Je suis fatiguée… » Et peut-être que ma vie ne vaut pas le coup pour que je me batte. J’ai plus envie de lutter. Mais pourquoi je lui dis tout ça ? Si j’ai besoin de parler j’ai mon psy pour ça. Et c’est à cette pauvre fille que je me confie. « J’suis désolée, je sais pas pourquoi je vous dis tout ça. » Surtout que des gens déprimés et alcooliques elle doit en voir tous les jours. Je suis pas la seule, ni la première qu’elle croise. Mais elle semble pourquoi vraiment intéressée par ce que je lui dis, et je pourrais même croire qu’il s’agit d’une personne digne de confiance.
Depuis que la brune s’était installée en face d’elle au bar, Leah avait ressenti toute sa détresse ; difficile de faire autrement avec ses grands yeux embués de larmes. Il y avait un tas de possibilités pour qu’elle se retrouve dans un bar dans cet état, pourtant cela semblait sérieux, elle n’aurait su dire pourquoi. Une intuition, sans doute. On venait rarement noyer son chagrin dans l’alcool en étant seul si les raisons n’étaient pas graves ou importantes, en tout cas c’est le raisonnement que la brunette avait depuis le temps qu’elle bossait ici. Ca ne faisait pas si longtemps, mais le métier de barmaid lui collait à la peau depuis qu’elle avait décidé de laisser tomber l’université. Une décision qu’elle ne regrettait pas, bien trop heureuse d’évoluer dans un milieu lui permettant de faire des rencontres et de faire la fête quand elle en avait envie. Enfin, c’était le cas avant Camden. Elle n’aurait su dire la dernière fois où elle avait eu l’opportunité de sortir avec des amies, ou même la dernière fois qu’elle avait parlé tout court à une de ses copines de sortie. Le brun avait fait le vide autour d’elle à une vitesse affolante, et Leah se demandait encore comment elle avait fait pour se montrer aussi naïve à son égard. Après tout, on aurait aisément pu croire qu’à notre époque, les jeunes femmes étaient suffisamment au courant des histoires des autres que pour ne plus tomber dans le panneau…. Un constat affligeant qui la mettait au trente-sixième dessous dès qu’elle y pensait. Des femmes battues, il y en avait eu et il y en aurait toujours, c’était comme ça. Cette pensée la traversa avec effroi, réalisant le terme qu’elle venait d’employer pour se qualifier elle-même ; une femme battue. Voilà à quoi elle en était réduite. Pourtant, si son entourage devait expliquer à quoi ressemblait le tempérament de Leah Baumann, on entendrait des adjectifs la qualifiant de « forte » ou encore de « bornée ». Pas vraiment le genre qui collait avec l’image qu’elle reflétait aujourd’hui, perdant peu à peu la confiance qu’elle avait acquise au fil des années jusqu’à devenir l’ombre d’elle-même. Son travail était tout ce qui la raccrochait à la vie, et elle ne pouvait même pas s’imaginer une seconde se retrouver sans ça, sans ces quelques heures de liberté loin de lui. Elle était douée, elle le savait. Il ne s’agissait pas d’un travail qui nécessitait énormément de compétences, mais elle n’avait jamais éprouvé la moindre difficulté à trouver du boulot. Et le MacTavish était le premier établissement correct et réputé qui l’engageait, elle ne voulait pas gâcher ça. Elle s’impliquait donc énormément, faisant en sorte de rendre chaque client content – que ça soit en terme de consommation ou simplement de conversation. Soit l’un, soit l’autre. La jeune femme qui lui faisait face avait l’air d’avoir besoin des deux, mais au moment de la servir, elle lui avoua être sur le point de mettre fin à une période de sobriété. Si ça n’était aucunement les affaires de la brunette, elle ne put cependant s’empêcher de mettre le hola à son geste en laissant le verre de côté pour l’instant, espérant peut-être pouvoir la faire changer d’avis. Avec prudence, elle lui demanda depuis combien de temps elle était sobre, cherchant à lui faire prendre conscience elle-même de cette durée – peut-être que ça lui permettrait d’éviter de replonger après tout. Sa question généra un soupir chez la jeune femme, laissant Leah croire qu’elle allait se faire rabrouer. « Un an. » Un an, c’était déjà beaucoup et aux yeux de Leah, le plus dur avait sans doute été fait. Elle s’était sevrée du manque, il ne lui restait plus qu’à prendre le dessus sur ses idées noires et sur son envie de se laisser aller à un remède qui n’en était pas un ; la bataille de l’esprit. Tout ça était purement théorique dans l’esprit de la brune car après tout, elle ne s’était jamais retrouvée dans une situation de dépendance. Mais elle se doutait que ça devait être à peu près pareil pour tout le monde, et également pour son interlocutrice. Sa poitrine se serra un peu lorsqu’elle aperçu la larme couler le long de la joue de la brune, comprenant à quel point elle devait se sentir mal en ce moment. Leah se pencha un peu plus dans sa direction, histoire de lui montrer qu’elle était là pour l’écouter si besoin. « De toute façon ça change quoi ? Je suis qu’une merde, il avait raison. » Il ? Les paroles de la jeune femme firent écho à ce qu’elle entendait à longueur de temps avec Camden, et un frisson lui parcouru l’échine. « Je suis sûre qu’il ne vaut pas la peine de jeter un an de sobriété à la poubelle… » Se risqua-t-elle à dire, sans trop savoir où elle mettait les pieds. « Et faut pas dire ça. » Ajouta-t-elle, sachant pertinemment qu’elle-même commençait à avoir la même impression d’inutilité que son interlocutrice ; pourtant il semblait plus facile de donner des conseils aux autres que de les suivre soi-même. Un sourire attentif sur le visage, elle lui proposa d’en discuter, espérant trouver des arguments l’empêchant de lui servir ce fameux verre. « Y a pas grand-chose à dire, il y a pas encore si longtemps je passais tout mon temps à boire et à prendre tout ce qu’on me donnait. Mais j’ai fini par me reprendre en main. J’en ai juste marre de toujours devoir lutter contre mes propres démons. Je suis fatiguée… » Leah plissa légèrement les lèvres, écoutant avec attention ce que la brune avait à lui confier, ravie qu’elle se laisse aller à quelques paroles. « J’suis désolée, je sais pas pourquoi je vous dis tout ça. » La barmaid esquissa un petit sourire en haussant les épaules. « Il paraît que je suis douée pour écouter. » Elle fronça le nez avant de plonger son regard dans celui de l’inconnue qui lui faisait face. « Vous vous appelez comment ? » Quitte à se lancer dans ce genre de discussion, autant faire connaissance au minimum. « Moi c’est Leah. Vous savez quoi, vous n’avez rien de la femme que vous décrivez… » Elle haussa un sourcil, appuyant ses deux coudes sur le comptoir pour être sûre de bien couvrir le brouhaha de la pièce. « … J’ose pas imaginer ce que vous traversez, mais je sais aussi que si vous avez eu la volonté de vous en sortir y a un an d’ici, elle est toujours là. Même si c’est pas facile, faut garder en tête ce que vous déjà accompli. » Elle parlait d’un sujet qu’elle ne maîtrisait pas, mais elle avait vraiment envie que cette fille sorte du bar la tête haute, fière de ne pas avoir cédé à ses envies destructrices.
Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me pousse à parler à cette femme. Certainement parce que j’en ai besoin et que ce soir je me sens plus seule que jamais. J’ai personne à qui me confier, personne ne peut comprendre ce que je suis en train de vivre actuellement. Et le plus déprimant c’est que je ne noircis même pas le tableau. Je suis une alcoolique sobre depuis un an sur le point de replonger. Et tant pis pour tous les efforts que j’ai pu faire cette dernière année, tant pis pour tout le travail et toute l’énergie que j’ai fournie réussir à passer une putain d’année sans boire une goutte d’alcool. Parce que ce soir j’en ai envie. Ce soir j’en ai besoin. Et je suis encore une fois en train de prouver à tout le monde que je suis faible. Extrêmement faible. Dans tous les cas une personne forte ne se retrouve pas à devenir alcoolique et toxicomane à un moment de sa vie. Mais j’ai eu une vie de merde, une mère schizophrène internée à mes huit ans, un père inconnu au bataillon, des années à être baladée de foyer en foyer, un abus sexuel à mes quinze ans et il a fallu que je tombe amoureuse du pire enfoiré de la terre. Mais le pire dans tout ça, c’est que je l’aimais presque autant qu’il me faisait peur. Alors je le laissais faire et je ne l’ai jamais quitté. Et vous savez ce qui est encore pire ? C’est que je suis persuadée que s’il ne s’était pas fait arrêter je serais encore à Melbourne avec lui à me dire qu’il finira par changer, à me dire que je ne peux pas le quitter. Voilà c’est pour toutes ces raisons que je suis faible. Mais ça, je peux pas lui dire. Elle me propose de discuter de mes problèmes. La pauvre si elle savait dans quoi elle s’engageait. Ma vie entière est un problème, mon existence est un problème à laquelle il n’y a aucune solution. Donc oui, ce soir j’ai envie de boire. Et tant pis pour cette année de sobriété. De toute façon je savais très bien que le jour de ma rechute arriverait un jour ou l’autre, je pense que j’espérais surtout qu’il arriverait un peu plus tard. « Je suis sûre qu’il ne vaut pas la peine de jeter un an de sobriété à la poubelle… Et faut pas dire ça. » Elle marque un point, je sais qu’il ne vaut pas la peine. Je sais que je devrais être plus forte pour ne pas le laisser me pourrir la vie même quand il est en prison. Mais que voulez-vous je suis la faiblesse incarnée. Mon regard glisse sur ce verre que j’ai commandé. Je suis nulle. Je regarde toutes les bouteilles d’alcool posées derrière le comptoir. La tentation est forte, tellement forte. « Il paraît que je suis douée pour écouter. » Je souffle et la regarde à nouveau. Je confirme elle est douée pour écouter. En tant que barmaid elle a dû entendre au moins une centaine d’histoires comme la mienne, écouter les gens et faire comme si elle était intéressée par leurs problèmes. « Vous devriez songer à devenir psy. » Je lui dis. C’est ma façon à moi de lui confirmer ses dires, oui elle sait écouter les autres. Après si elle se montre aussi gentille et attentive avec tous les clients, j’en ai aucune idée. Je baisse les yeux, comme le fait une petite fille qui vient de faire une connerie et qui est sur le point de se faire engueuler par ses parents. Mais moi c’est parce que j’ai honte que je baisse les yeux. Honte de moi. Honte de mon addiction. Honte de ne pas être capable de lutter contre mes propres démons. « Vous vous appelez comment ? » Je me mords la lèvre inférieure un court instant et je relève les yeux vers elle. « Rosalie. Mais appelez-moi Rose. » Personne ne m’appelle Rosalie, je déteste ce prénom. Quoique Rose c’est pas non plus la folie, mais c’est déjà mieux que mon vrai prénom. « Moi c’est Leah. Vous savez quoi, vous n’avez rien de la femme que vous décrivez… » Leah, c’est un beau prénom ça. J’aime bien. Elle appuie ses coudes sur le comptoir et reprend la parole. « … J’ose pas imaginer ce que vous traversez, mais je sais aussi que si vous avez eu la volonté de vous en sortir y a un an d’ici, elle est toujours là. Même si c’est pas facile, faut garder en tête ce que vous déjà accompli. » Un petit rire ironique s’échappe d’entre mes lèvres alors que je balaye la pièce du regard observant toutes ces personnes autour de moi. Ils semblent tous s’amuser, tant mieux pour eux, au moins il y en a quelques-uns qui passent un bon moment. « Mais j’ai rien accompli c’est ça le problème. J’ai vingt-huit ans et j’ai rien fait de ma vie, c’est pitoyable. » Et je ne dis même pas ça pour m’apitoyer sur mon sort c’est la stricte vérité. « Vous me connaissez pas, mais je suis faible. Parce que même là, la seule chose à laquelle je pense c’est boire, encore et encore. » À nouveau, je baisse les yeux tout en me pinçant les lèvres. « Je mérite tout ce qu’il m’arrive. » Je murmure cette dernière phrase, je me parle à moi-même et je ne veux pas forcément qu’elle entende ça. Par pure politesse elle me dira certainement que ce n’est pas vrai et que personne ne mérite une chose pareille. « Est-ce que je peux te tutoyer ? » Je lui demande en plongeant mon regard dans le sien. « Pourquoi est-ce que t’es aussi sympa avec moi ? » Question qui peut paraître étrange mais qui me semble légitime. Les gens ne sont pas gentils parce qu’ils ont envie de l’être, ils ont toujours une idée derrière la tête. Ou j’ai peut-être une image bien trop négative de la vie et des personnes qui m’entourent ?
Leah fut surprise de ne pas se manger un mur en réponse à sa tentative d’en apprendre plus sur cette femme, sur ce qui la mettait dans un tel état. Après tout, qui était-elle pour ne pas la servir sous prétexte qu’elle était prête à jeter à la poubelle une année de sobriété ? Personne. D’ailleurs, son patron lui mettrait probablement un blâme s’il apprenait qu’elle faisait l’exact inverse de ce qu’elle était supposée faire ; pousser à la consommation. Cependant, la brunette ne pouvait ignorer les signaux qui émanaient de cette cliente, et il aurait été inhumain – à ses yeux – de prétendre n’avoir rien vu et de lui donner satisfaction en sachant pertinemment que ce verre serait le premier pas vers la spirale infernale de l’alcoolisme. Cette femme souffrait d’une maladie, et il était bien normal de lui venir en aide si cela était possible. Personne n’avait dit qu’il était facile d’arrêter, même après un an. La brunette n’y connaissait pas grand-chose en addiction, mais ce dont elle était sûre, c’est que ce verre serait définitivement le début du non-retour. Et il était tout simplement hors de question que ça soit elle qui le lui serve, il lui faudrait changer de bar si elle voulait boire. Le regard de la jeune femme ne quittait pas le verre qui était à côté de Leah, et cette dernière cru un instant qu’elle allait la voir sauter par-dessus le bar pour l’attraper et le vider cul-sec. Mais elle n’en fit rien, se contentant de lui répondre de manière évasive en lui expliquant que son désarroi était directement lié à un homme. Une pensée fugace traversa Leah qui ne put s’empêcher de se dire que les hommes apportaient davantage de peine que de positif ; où alors cette fille et elle n’avaient juste vraiment pas eu de chance. Encouragée par les premières réponses de la brune, la barmaid s’avança en disant qu’aucun type ne valait la peine de se mettre dans un tel état, surtout quand on voyait la tendance qu’elle avait à se rabaisser. Mais qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver ? Désireuse de ne pas trop laisser le ton de la conversation devenir tragique, Leah laissa un petit sourire étirer le coin de ses lèvres en précisant qu’elle avait la réputation de quelqu’un qui savait écouter ; véridique. Le regard des deux jeunes femmes se croisa, et l’inconnue délaissa les bouteilles pour reporter son attention sur elle. « Vous devriez songer à devenir psy. » Un petit rire s’échappa des lèvres de la brune ; ça n’était pas la première fois qu’on le lui disait. « Il paraît oui. » Répondit-elle en attrapant deux bouteilles de soda qu’elle vida dans deux verres destinés à elle-même et à la jeune femme ; elle avait refusé de lui servir de l’alcool, autant l’aider à étancher sa soif même si elle risquait de lui réclamer du rhum pour aller avec. « Mais j’ai raté ma chance. » Expliqua-t-elle en faisant référence aux études qu’elle avait ruinées en préférant les sorties aux longues soirées studieuses. Elle haussa les épaules avec un petit air fataliste avant de pousser le verre de soda en direction de la brunette, l’air de rien, tout en lui demandant comment elle s’appelait – c’était toujours plus pratique quand on se lançait dans une discussion de cette ampleur. « Rosalie. Mais appelez-moi Rose. » C’était joli comme prénom, ça lui allait plutôt bien. Ceci dit, elle avait décliné son identité avec un air qui indiquait qu’elle n’était pas forcément du même avis, ce qui poussa Leah à garder son compliment pour elle et à se présenter à son tour avant de se lancer dans un petit laïus improvisé destiné à lui faire prendre conscience de ce qu’elle risquait de perdre en succombant à la tentation de boire ce verre. « Mais j’ai rien accompli c’est ça le problème. J’ai vingt-huit ans et j’ai rien fait de ma vie, c’est pitoyable. » Rose accompagna sa réponse d’un rire plein d’ironie qui fit légèrement grimacer Leah et toutes ses bonnes intentions ; cette fille n’avait vraiment aucune estime d’elle-même, c’était triste. « Vous me connaissez pas, mais je suis faible. Parce que même là, la seule chose à laquelle je pense c’est boire, encore et encore. Je mérite tout ce qu’il m’arrive. » La fin de se phrase avait été presque chuchotée, mais c’était sans compter l’ouïe parfaitement entraînée de Leah qui avait l’habitude de tenir des discussions par-dessus le chaos qui régnait dans les bars. « Pour moi, tenir un an sans rien boire, c’est pas être faible. Y a un tas de gens qui arrive même pas à tenir deux jours, alors à yeux c’est déjà énorme d’en être arrivé là. Alors oui, je vous connais peut-être pas, mais je suis certaine qu’il y a plus de force en vous que vous ne le pensez. » Elle plongea son regard dans le sien, fronçant légèrement les sourcils. « Et personne mérite de se sentir comme ça. Vous avez pas quelqu’un à appeler quand vous êtes sur le point de craquer comme ça ? Un parrain ? » Un an de sobriété exigeait souvent d’avoir été à des réunions, mais Leah ignorait si c’était le cas de son interlocutrice. Si elle pouvait l’aider à contacter quelqu’un qui aurait plus d’impact qu’elle, elle le ferait. « Est-ce que je peux te tutoyer ? » La brunette hocha la tête sans la quitter du regard, contente que cet échange se déroule de cette manière et non pas par des hurlements lui demandant de lui servir à boire. Elle aurait eu bien du mal à s’expliquer avec son patron. « Pourquoi est-ce que t’es aussi sympa avec moi ? » Elle semblait sincèrement interloquée, et Leah se demanda qui elle avait bien pu rencontrer dans sa vie pour ne pas comprendre que quelqu’un s’intéresse à elle alors qu’elle était littéralement en larmes. « J’ai pas pour habitude de tourner le dos aux gens qui vont mal… Et je continue de penser qu’un jour, si je suis dans la même situation, quelqu’un sera là pour moi aussi. » Elle esquissa un nouveau sourire en haussant les épaules. « Et puis les enfoirés, ça me connaît. » Ajouta-t-elle, parlant de Camden en dépit du fait qu’elle était toujours avec lui à subir ses coups et sa violence, jour après jour. En parler comme si c’était du passé l’apaisait et lui offrait une parenthèse hors de cette vie qui était la sienne ; semée de cris, de reproches et de côtes brisées. Un avenir peu brillant se dessinait devant elle, et elle ne parvenait pas à le regarder en face, préférant agir comme si cette situation n’était pas la sienne.
Sans que je ne comprenne comment ni pourquoi, me voilà en train de pleurer sur mon sort devant une parfaite inconnue. Pitoyable. Je suis pitoyable. Elle a commencé à me poser des questions, à savoir depuis quand je suis sobre et heureusement qu’elle ne me demande pas comment j’en suis arrivée à boire parce que ce soir je n’ai pas la force de mentir. Ce soir je n’arrive pas à faire comme si tout allait bien, ce soir je laisse tomber mes barrières. Celles de la jeune femme sans cœur qui se fout de tout et tout le monde, celle de la jeune femme qui avance dans la vie comme si elle n’avait pas vécu un véritable enfer ces dernières années. Comme si je n’étais pas déjà brisée par la vie. Ce soir je n’ai plus la force nécessaire pour lutter contre mes propres démons, pour lutter contres mes addictions. Je m’écroule en demandant à la barmaid un shot de vodka. Parce que j’en ai envie, parce que j’en ai besoin. Parce que rester sobre c’est un combat quotidien. Parce que ce soir, je n’ai pas la force de mener ce combat alors j’ai envie que cette soirée soit comme une parenthèse dans mon combat. Mais je sais que cette parenthèse risque de devenir interminable si je faiblis. La jeune femme m’écoute sans broncher, et le pire ? C’est qu’elle semble vraiment intéressée par ce que je lui dis. Raison pour laquelle je lui dis qu’elle aurait pu être psychologue, et j’en sais quelque chose parce que je suis en ce moment en train d’entamer ma dernière année d’étude pour exercer ce métier plus tard. « Il paraît oui. » Elle attrape deux cannettes de soda qu’elle vide dans deux verres différents. Je la regarde faire. Dans ce soda il n’y a pas d’alcool, mais je vais devoir m’en contenter. Un bref coup d’œil au verre de vodka encore aux côtés de la jeune femme, je reporte mon attention sur elle dès que je l’entends prendre à nouveau la parole. « Mais j’ai raté ma chance. » Elle hausse les épaules en poussant un des deux verres de soda vers moi. Je lui offre un petit sourire en guise de remerciement – parce que oui je suis encore capable de sourire. – « Il n’est jamais trop tard pour reprendre ses études. » Il faut de la volonté. Beaucoup de volonté, ça c’est sûr. Moi je l’ai bien fait. Il y a un an en revenant ici j’ai repris mes études de psychologie. Il me manquait deux ans pour pouvoir enfin terminer mon cursus et maintenant je suis en plein dedans. J’en apprends un peu plus sur elle, elle s’appelle Leah. C’est un joli prénom, mais je ne suis pas du genre à faire beaucoup de compliments alors je garde ça en tête. Et en retour je me dévoile un peu plus à elle en lui expliquant à quel point ma vie est vide d’intérêt. C’est la triste vérité et pourtant j’aimerais vraiment avoir le retourneur de temps d’Hermione Granger et faire un bond dans le temps jusqu’à ce que ma vie ne m’échappe complètement. « Pour moi, tenir un an sans rien boire, c’est pas être faible. Y a un tas de gens qui arrive même pas à tenir deux jours, alors à yeux c’est déjà énorme d’en être arrivé là. Alors oui, je vous connais peut-être pas, mais je suis certaine qu’il y a plus de force en vous que vous ne le pensez. Et personne mérite de se sentir comme ça. Vous avez pas quelqu’un à appeler quand vous êtes sur le point de craquer comme ça ? Un parrain ? Un an sans boire c’est énorme elle a raison. C’est dur. C’est vraiment pas facile tous les jours et pourtant jusqu’à aujourd’hui j’avais pourtant assez bien réussi à m’en sortir. Enfin, façon de parler parce que les premiers mois ont été vraiment très difficiles. Je hausse doucement les épaules avant de relever le regard vers Leah. « Si, si j’ai un parrain mais c’est un con. Je peux pas le voir. » Oui bon, je suis chiante je le sais. Mais c’est vrai. J’ai un parrain qu’on m’a présenté aux Alcooliques Anonymes, mais le courant ne passe pas très bien entre nous. En même c’est moi certainement en partie de ma faute. Il essaie d’être présent pour moi et de m’aider comme il le peut mais je passe mon temps à l’envoyer chier. Parce que je suis comme ça, j’ai un caractère de merde, je suis chiante mais c’est tout, je l’assume totalement. « J’ai pas pour habitude de tourner le dos aux gens qui vont mal… Et je continue de penser qu’un jour, si je suis dans la même situation, quelqu’un sera là pour moi aussi. Et puis les enfoirés, ça me connaît. » Elle n’a pas pour habitude de tourner le dos aux gens quand ils vont mal, alors elle les écoute et leur apporte son aide. Et je crois que pour la première fois depuis bien trop longtemps je viens de rencontrer quelqu’un de foncièrement gentille qui se soucie des autres. L’altruisme, c’est rare de nos jours et les personnes qui ont fait parties de ma vie ces dernières années avaient tendance à m’enfoncer plutôt qu’à m’écouter. « T’as déjà eu des problèmes avec un mec ? » Mais c’est sur cette toute dernière information que j’ai décidé de rebondir. Parce que ça m’intrigue. Les enfoirés, ça me connait. Une fille aussi gentille qu’elle serait déjà tombée sur un connard qui lui aurait brisé le cœur ? « Les mecs c’est tous les mêmes de toute façon… » Enfin j’espère que tous les hommes ne sont pas capables de toutes les horreurs que Jackson m’a fait subir. Et à cet instant présent je suis bien loin d’imaginer ce que vit Leah en ce moment. Je prends mon verre de soda dans un léger soupir, je me lève pour trinquer avec elle. « À nos problèmes, et à nos emmerdes. » En général quand on trinque c’est pour célébrer un événement joyeux, des retrouvailles ou une autre connerie dans ce genre. Mais là ce soir j’ai un peu de mal à faire ressortir les éléments positifs de ma vie.
La brune qui lui faisait semblait reprendre un peu contenance maintenant qu’elles avaient commencé à discuter et Leah était ravie de constater que son regard se portait davantage sur elle que sur le shot de vodka mis sur le côté. Elle y jetait encore des coups d’œil fréquents mais elle se concentrait vraiment sur leur conversation et la jeune femme se sentit encouragée par cet intérêt qu’elle lui portait. Après tout, elle aurait aussi bien pu faire face à un mur. Soulagée que ça ne soit pas le cas et que cette femme ait décidé de lui parler, Leah chercha à lui ouvrir les yeux sur le chemin déjà parcouru et non pas sur ce qu’il lui restait à faire pour devenir totalement sobre et parvenir à vaincre ses addictions avec un peu plus de facilité. Après quelques secondes de silence, la brune pointa le fait qu’elle aurait aisément pu devenir psychologue si elle l’avait voulu, une remarque qui fit sourire Leah car ça n’était pas la première fois qu’on le lui disait. A croire qu’elle avait réellement raté sa vocation. Amusée, elle lui répondit tout en lui expliquant brièvement que sa chance était passée ; un fait qui ne la dérangeait pas plus que ça dans la mesure où elle s’épanouissait dans ce qu’elle faisait aujourd’hui. Être barmaid était une profession qui exigeait d’être toujours occupé et d’avoir un bon contact avec la clientèle, des qualités que Leah savait qu’elle avait et qui lui conférait le peu de confiance qu’elle avait en elle. Haussant les épaules avec nonchalance, elle avança les verres de soda en direction de son interlocutrice afin de la désaltérer d’une façon qui n’impliquait pas le moindre gramme d’alcool – ce qui ne sembla pas lui plaire au vu de l’énième regard qu’elle jeta en direction du verre que Leah avait éloigné. Cependant, elle accepta le soda et replongea son regard dans celui de la barmaid avec un petit sourire, le premier depuis qu’elle s’était assise au bar : quel progrès. « Il n’est jamais trop tard pour reprendre ses études. » Leah balaya ses paroles dans un petit rire. Elle n’avait jamais aimé ça, trop investie dans les fêtes étudiantes et autres sorties plutôt que sur un quelconque avenir incertain. Elle n’avait jamais totalement su vers quoi se diriger, ce qui n’avait pas aidé son manque d’investissement en la matière, la poussant finalement à abandonner la vie étudiante au profit de celle du travail. « C’est sûr, mais j’aime ma vie telle qu’elle est. » Répondit-elle en esquissant à son tour un sourire, bien que celui-ci ne soit teinté d’une pointe de tristesse tandis que ses pensées se dirigeaient vers Camden et son aura pesante qui planait tout autour d’elle, même en son absence. Bien décidée à oublier ses propres soucis en aidant la brune à pallier aux siens, Leah se présenta avant de reprendre la parole sur le parcours du combattant dont Rosalie lui avait fait part. Un an de sobriété, c’était déjà énorme et il fallait qu’elle s’en rende compte avant de replonger aussi facilement, pour un instant de faiblesse. Inquiète, elle lui demanda si elle n’avait pas une personne à appeler dans des cas comme celui-ci, persuadée qu’un parrain ou une marraine serait plus qualifiée qu’elle pour trouver les mots justes qui l’empêcheraient de faire une grosse bêtise qu’elle regretterait sans nul doute le lendemain. « Si, si j’ai un parrain mais c’est un con. Je peux pas le voir. » Elle releva le menton dans sa direction dans un petit haussement d’épaule, déclarant ainsi que son parrain n’était finalement peut-être pas la personne la plus adéquate à appeler. Bon, elles se passeraient de lui. « Bon, disons que je suis ta marraine de substitution pour la soirée alors. Qu’est-ce que je suis supposée dire pour t’empêcher de faire une connerie ? » Lui demanda-t-elle avec une lueur amusée, l’obligeant ainsi à se mettre dans la position de conseillère alors même qu’elle était celle qui en avait besoin. Rosalie avait l’air sincèrement étonnée de la voir s’impliquer autant sans la connaître et Leah lui expliqua brièvement pourquoi elle agissait ainsi, même si elle n’était poussée par aucune réelle motivation. Elle ne pouvait tout simplement pas s’empêcher de venir en aide aux gens quand elle en avait la possibilité, elle était comme ça. « T’as déjà eu des problèmes avec un mec ? » Demanda la brune, rebondissant ainsi sur la dernière partie de la phrase de Leah. Une information donnée spontanément et qu’elle regretta aussitôt, même si elle n’en montra rien. Hochant la tête, elle décida de prétendre que sa situation actuelle appartenait au passé – et il était bien dommage que ça ne soit pas le cas. « Oui, tu sais… Les tromperies, les mensonges, le besoin de tout contrôler… » Se risqua-t-elle à dire sans pouvoir s’empêcher de relever les yeux vers la foule, culpabilisant immédiatement de parler ainsi de Camden. « Les mecs c’est tous les mêmes de toute façon… À nos problèmes, et à nos emmerdes. » Lança Rosalie dans un soupir tout en se relevant légèrement de son tabouret afin de trinquer avec elle, ce que Leah fit dans un petit rire avant de descendre quelques gorgées de son soda. Elle jeta un œil amusé à la brune, cherchant à sonder son état d’esprit, à voir si elle se sentait un petit peu mieux. « Si tu veux discuter plus en détails de tes emmerdes, sache que j’ai toute la soirée à t’accorder. » Ajouta-t-elle dans un léger sourire, tâtant le terrain avec l’appréhension de gâcher ce qu’elle était parvenue à établie avec cette cliente pas comme les autres.
Reprendre ses études plusieurs années après les avoir arrêtées je sais que c’est loin d’être simple, parce que moi aussi je l’ai fait. Surtout quand entre temps on a vécu une vie de débauche comme moi. Retourner sur les bancs de la fac après avoir passé les dernières années de ma vie à boire ou me droguer, je pense que c’est la chose la plus difficile que j’ai faite. Enfin non, la chose la plus compliquée est et sera toujours avoir arrêté l’alcool et les drogues. Ça c’était dur. Et encore le mot est faible, je n’étais pas sûre de réussir à m’en sortir et pourtant, je suis là dans un bar à deux doigts de replonger après une année de sobriété. C’est ce que j’appelle la faiblesse à l’état pur, vous pensez pas ? « C’est sûr, mais j’aime ma vie telle qu’elle est. » Je ne vois absolument aucune joie dans son sourire. il est triste, voire peut-être mélancolique. C’est pas le sourire d’une femme heureuse et épanouie ça. Clairement pas. Mais en même temps je me vois mal lui faire remarquer qu’elle n’est pas la meilleure actrice du monde, on ne se connait pas et j’ai pas envie de me montrer trop intrusive dans sa vie alors je me contente d’hocher doucement la tête. Elle n’est pas aussi heureuse qu’elle le prétend et je la sens même quelque fois un peu ailleurs. Peut-être même préoccupée ou inquiète par autre chose. Leah semble sincèrement intéressée et j’ai vraiment l’impression qu’elle a envie de m’aider, ce que j’ai un peu de mal à comprendre. On ne se connait pas mais pourtant, cette inconnue est intéressée par mes emmerdes et veut m’apporter son aide comme elle le peut, à son niveau. Elle me le prouve en me demandant si je n’avais pas un parrain à appeler dans les moments de faiblesse. « Bon, disons que je suis ta marraine de substitution pour la soirée alors. Qu’est-ce que je suis supposée dire pour t’empêcher de faire une connerie ? » Je réfléchis, mais je ne sais pas quoi lui répondre. Je commence par hausser les épaules dans un premier temps et puis je reprends la parole. « Je sais pas trop… Je t’avoue que je me suis jamais trouvée dans cette situation. » Depuis que je suis sortie de rehab bien sûr que oui j’ai déjà eu envie ou besoin de boire. Aujourd’hui j’ai envie de boire mais ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Par contre, je n’ai jamais été à deux doigts de replonger. C’est une grande première dont je me serais pourtant bien passé. Mais je vois que je ne suis pas la seule à avoir des problèmes, Leah semble elle aussi préoccupée par un mec. « Oui, tu sais… Les tromperies, les mensonges, le besoin de tout contrôler… » Je grimace. Bah tiens. Un mec, des tromperies, des mensonges. Quand je vous dis que les hommes sont tous des connards égocentriques et manipulateurs. « Sérieusement ? Un mec a osé te tromper ? » Je lui demande, arquant un sourcil. Leah, c’est une belle femme je ne comprends pas comment un mec pourrait avoir envie d’aller voir ailleurs. En plus elle est gentille et altruiste. Parce que clairement moi à sa place, je ne m’intéresserais pas à ce point aux problèmes d’une cliente. Est-ce que ça me fait passer pour une garce sans cœur ? Peut-être, mais ça m’est égal. Et surtout je sais que c’est assez atypique pour une future psychologue de ne pas s’intéresser aux problèmes des autres, sauf que justement, je vais y consacrer ma vie et être payée pour ça alors pendant mes jours de repos je compte bien redevenir la Rosalie égoïste et chiante que je suis. Bien sûr que je m’intéresse sincèrement aux emmerdes de certaines personnes de mon entourage mais elles sont peu nombreuses. Je m’attache difficilement et très peu de personnes. Ça m’empêche de souffrir et d’être encore une fois trop déçue. « Quoiqu’il en soit te laisse pas faire par ce mec. J’espère que tu le vois plus. Ce genre de gars, ça me connait et vaut mieux s’en éloigner au plus vite. » Je dis ça maintenant, avec du recul. Parce qu’il y a un an et demi quand j’étais encore avec Jackson je n’étais pas du même avis. Mais j’étais aveuglée par l’amour et l’affection que j’avais pour lui, et il était très fort dans le domaine de la manipulation. Et quand je me rends compte que j’ai eu des sentiments pour lui je me pose tout un tas de questions. Comment est-ce que j’ai pu aimer un homme pareil ? Parce qu’au début il était pas comme ça. Au début ça se passait bien. Et je pense que c’est ça qui m’a poussé à rester avec lui aussi longtemps. Parce que je m’attachais à ce passé, à ces quelques mois du début de notre relation où il me respectait. C’est juste après que je propose de trinquer à nos problèmes de mec, à toutes nos emmerdes. « Si tu veux discuter plus en détails de tes emmerdes, sache que j’ai toute la soirée à t’accorder. » Je grimace légèrement avant de faire bouger ma bouche de droite à gauche, preuve de ma réflexion à ce moment. « Je suis restée sept ans avec ce mec. Je sais même pas ce que je lui trouvais. Enfin si. Il avait de l’argent, du pouvoir, il était beau. Très beau, plus vieux aussi. Et il s’intéressait à moi, du moins je croyais qu’il s’intéressait à moi. Disons qu’il était pas honnête, il me manquait trop souvent de respect et c’était un très bon manipulateur. » Ce que je ne lui dis pas c’est cet homme était mon dealeur, et que par manque de respect je veux dire qu’il était violent verbalement et physiquement aussi. Mais justement, puisqu’il était charmant et bon manipulateur je lui pardonnais tout.
Comme toujours lorsque le sujet de conversation glissait sur elle, Leah utilisait sa parade en arborant un sourire presque automatique qui surgissait sans qu’elle n’ait même pas à y penser. Un réflexe quasi instinctif qui la poussait à donner cette image de bonheur à la face du monde alors qu’en son for intérieur, tout s’écroulait. Mais Camden n’avait pas mis beaucoup de temps avant de proférer des menaces à l’encontre de ses proches, lui promettant de son regard froid et dur qu’il n’hésiterait pas à tuer quiconque s’imaginerait pouvoir lui venir en aide, ou ne serait-ce qu’essayer de la sortir de là. Des menaces que Leah avait pris très à cœur sans même s’interroger un instant sur les probabilités de réussite que le brun aurait face à ses trois frères. Il était parvenu à l’écraser, à lui faire croire qu’il était tout-puissant alors qu’elle n’était rien, sauf un moucheron qu’il pourrait écrabouiller d’un claquement de doigt s’il en avait envie. La peur et l’effroi avaient pris le pas sur ce qu’il restait d’amour entre eux – s’il y en avait même déjà eu – et les frissons que ressentait Leah à son contact n’étaient désormais dû qu’au dégoût qu’elle avait pour lui. Certaines femmes restaient parce qu’elles avaient encore des sentiments pour l’homme derrière la bête, pour celui qu’il avait été avant que tout n’aille de travers, ou l’homme qu’il était encore entre deux crises et quelques côtes cassées. Ça n’était pas le cas de la brune qui avait déjà ouvert les yeux sur celui qu’elle avait choisi comme partenaire de vie, elle était tout simplement piégée et trop effrayée pour faire quoique ce soit. La simple idée qu’il s’en prenne à sa famille avait suffit à la réduire au silence et à subir les conséquences du malheureux choix qu’elle avait fait en jetant son dévolu sur cet homme. Elle devenait peu à peu l’ombre d’elle-même mais continuait à briller en société, à donner le change en espérant que tout le monde avalerait ses mensonges et ses excuses de plus en plus maladroites pour expliquer les contusions qui apparaissaient de façon ponctuelle sur son corps frêle qu’elle avait de plus en plus tendance à camoufler, même au bar. Surtout au bar. Le regard d’un client était désormais une raison absolument valable pour qu’elle se fasse insulter et qu’une gifle ne vienne rougir sa joue ; parfois un coup de poing s’il avait trop bu ou qu’il avait passé une mauvaise journée. Le regard que Leah portait sur l’assemblée qui lui faisait face était teinté d’appréhension, et elle ne cessait d’espérer qu’il ait d’autres plans pour la soirée que celui qui consistait à venir la surveiller elle. Peut-être une autre femme ramassée dans un autre bar, auquel cas elle risquait d’être tranquille pour une bonne partie de la nuit, peut-être au lendemain même. Si elle avait pensé un jour espérer que son compagnon ne passe la nuit dans un autre lit, elle aurait ri aux éclats. Mais aujourd’hui, cette perspective lui donnait envie de pleurer de soulagement – les choses changeaient. Décidée à éloigner les pensées qui la taraudaient, Leah se concentra sur Rosalie et les problèmes de boisson que cette dernière avait, tentant vainement de combattre l’envie qui la poussait à commander de l’alcool alors qu’elle était sobre depuis plus d’un an maintenant. Cherchant à l’aider mais démunie face à cette addiction qu’elle connaissait mal, la brunette tentait de l’amener à trouver des réponses par elle-même en se mettant dans le rôle d’un parrain – celui de son interlocutrice n’étant pas des plus utile apparemment. « Je sais pas trop… Je t’avoue que je me suis jamais trouvée dans cette situation. » D’accord. Une moue étira les lèvres de la barmaid qui ne savait plus quoi dire pour apporter son aide d’une manière ou d’une autre à la jeune femme, si ce n’est en l’empêchant de boire tant qu’elle serait entre ces quatre murs et en lui changeant les idées jusqu’à ce que son envie passe. Pas sûr que ça fonctionne, mais pour l’instant elle n’avait pas sauté par-dessus le bar pour s’emparer du shot qui était toujours là et dont Leah songeait sérieusement à se débarrasser pour l’ôter de la vue de la brune. « Moi non plus. » Elle esquissa un début de sourire avant de tapoter les doigts de sa main sur le comptoir, réfléchissant à ce qu’elle pourrait dire ou faire. « Si tu veux je te raccompagnerai à la fin de mon service… Histoire d’être sûre que tu t’arrêtes pas dans un autre bar après. Et je partirai que quand tu seras sûre de pas craquer ce soir. » Lui proposa-t-elle, à court d’argument ou d’idée pour empêcher Rosalie de commettre une connerie comme celle-là. Autant d’efforts en une soirée pour qu’elle craque le lendemain peut-être, mais ainsi, Leah serait certaine d’avoir fait son maximum pour elle. « Sérieusement ? Un mec a osé te tromper ? » Elle avait l’air sincèrement étonnée par cette information, et Leah haussa simplement les épaules en hochant la tête alors que ses pensées vaquaient une nouvelle fois en direction de Camden et du souvenir de ses ex-copains d’université ; elle n’avait jamais vraiment touché le gros lot. « Oui, et pas qu’un mec. Tu sais j’ai pas le profil de la femme fatale, au cas où tu ne l’auras pas remarqué. » Elle éclata de rire, un rire qui sonnait faux même si depuis longtemps Leah usait du second degré pour parler de sa silhouette fluette et de sa petite taille ; les complexes avaient la vie dure et ses partenaires de vie n’avait pas fait grand-chose pour améliorer sa confiance en elle, que du contraire même. « Quoiqu’il en soit te laisse pas faire par ce mec. J’espère que tu le vois plus. Ce genre de gars, ça me connait et vaut mieux s’en éloigner au plus vite. » Leah hocha la tête, hésitant à avouer qu’elle était actuellement dans la situation exposée à Rosalie, mais elle s’abstint au dernier moment. La discussion ne tournait pas autour d’elle aujourd’hui, et rien de bon ne ressortirait de discuter de sa relation avec Camden à quelqu’un. Personne ne saurait la sortir de là, personne. Elle était coincée, destinée à payer les conséquences de sa connerie et de sa naïveté jusqu’à ce qu’elle prenne le mauvais coup de trop. Ou qu’elle trouve le courage de le tuer avant, ce qui n’arriverait jamais ; elle n’aurait jamais le dessus sur lui, c’était impossible. « Non t’as raison, j’espère que tu suis tes propres conseils toi aussi. » Elle lui adressa un clin d’œil avant de siroter quelques gorgées de sa boisson, déjouant subtilement la question de Rosalie sans avoir à lui mentir totalement – car elle exécrait le mensonge. Elle lui proposa de discuter davantage de sa situation, constatant qu’il n’y avait de toute façon pas foule au MacTavish ce soir et qu’elle devait bien l’avouer, elle appréciait beaucoup cette fille. « Je suis restée sept ans avec ce mec. Je sais même pas ce que je lui trouvais. Enfin si. Il avait de l’argent, du pouvoir, il était beau. Très beau, plus vieux aussi. Et il s’intéressait à moi, du moins je croyais qu’il s’intéressait à moi. Disons qu’il était pas honnête, il me manquait trop souvent de respect et c’était un très bon manipulateur. » Après une longue grimace, la jeune femme se décida à lui parler un peu plus en détail de cet homme qui la mettait dans tous ses états, et il n’y avait qu’une chose à dire : ses paroles faisaient écho à ce que Leah avait traversé avec Camden à ses débuts. Avant qu’il ne change, ou plutôt, avant qu’il ne montre réellement qui il était. « Et il s’est passé quoi ? Tu as rompu avec lui à présent ? » Demanda-t-elle, curieuse de comprendre l’influence qu’il avait encore sur elle si leur histoire appartenait au passé comme avait l’air de le sous-entendre Rosalie en employant l’imparfait pour parler de leur relation.
La soirée semble prendre une tournure inattendue. Il y a encore vingt minutes j’étais prête à jeter un an de sobriété à la poubelle et maintenant je suis en train de faire connaissance avec celle qui m’a empêché de replonger. Et je pense que rien que pour ça, Leah vient de gagner ma sympathie et ma reconnaissance éternelle. Parce que je vous assure que ma sympathie – sincère – tout le monde n’arrive pas à la gagner. Je suis cette femme qui a beaucoup trop souffert, blasée par la vie et les dizaines de déception auxquelles j’ai déjà dû faire face. Mais c’est comme ça. Dans la vie il y a des gens qui ont réussi à bien s’en sortir dès le début, souvent c’est ceux qui ont eu le droit à une stabilité familiales. Un père, une mère, des grands-parents. Enfin une famille, une vraie quoi. Et puis il y a ceux qui enchaînent les emmerdes, les coups bas. Je reviens de loin, j’étais au fond du trou il y a encore un peu plus d’un an. Je pensais que ma vie n’avait plus aucun sens – de toute façon, a-t-elle déjà réellement eu un véritable sens ? – Mais aujourd’hui j’ai repris la fin de mes études, je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool – merci Leah – et je n’ai touché à aucune drogue. Honnêtement j’étais pas sûre d’y arriver, mais pourtant je l’ai fait. Même si un an en soit, c’est pas grand-chose, pour moi c’est beaucoup. Et j’ai l’impression d’être tombée sur la barmaid la plus gentille du monde. Même si je suis sûre que son patron n’apprécierait pas de savoir qu’elle a refusé de servir une cliente. Elle a bien fait,, elle m’a empêché de faire une énorme connerie. « Moi non plus. Si tu veux je te raccompagnerai à la fin de mon service… Histoire d’être sûre que tu t’arrêtes pas dans un autre bar après. Et je partirai que quand tu seras sûre de pas craquer ce soir. » Encore une fois je me demande pourquoi elle est si gentille avec moi, j’ai beaucoup de mal à le comprendre. Donc les personnes sympas sans arrière-pensée ça existe vraiment ? Et si je vous dis que je crois que c’est la première fois de ma vie que j’en rencontre vous allez certainement vous dire que ma vie est pitoyable. Mais pourtant c’est le cas. « T’es aussi gentille avec tous les clients ? » Moi, je suis pas habituée à ce qu’on ait vraiment envie de m’aider. Quasiment toutes les personnes que j’ai laissées entrer dans ma vie ont pris un malin plaisir à m’enfoncer et à jouer avec moi. C’est pour ça que j’ai décidé de ne plus faire confiance à personne. C’est plus simple. Ça me permet de ne pas souffrir comme ça. « Oui, et pas qu’un mec. Tu sais j’ai pas le profil de la femme fatale, au cas où tu ne l’auras pas remarqué. » Son rire sonne faux. Est-ce qu’elle aussi manque de confiance en elle ? Est-ce que les hommes et leur putain d’infidélité a fini par la briser ? Peut-être qu’on se ressemble plus qu’elle ne peut le penser. ’Pas qu’un mec.’ Elle a été trompée plusieurs fois et par des hommes différents. De toute façon tous les hommes pensent avec leur pénis à la place de leur cerveau c’est bien connu. « Chaque homme qui a été infidèle mériterait la castration. » Moi, dans l’abus ? Peut-être un peu oui ? « Mais dans ce cas je pense qu’il ne resterait plus beaucoup d’hommes non-castrés sur terre. » Je grimace doucement avant de rire à ma propre réflexion. On en est là. J’arrive à en rire au moins c’est déjà ça. Même si Jackson m’a brisé, même s’il m’a manipulé et s’il s’est joué de moi je parviens maintenant à me détacher de cette situation et à en rire parce qu’il est hors de question que je verse une seule larme pour ce connard. J’ai assez pleuré pour lui. À cause de lui. J’ai envie de lui prouver que malgré son passage destructeur dans ma vie je me suis relevée et maintenant je vais mieux. Je suis une femme forte et indépendante, je n’ai besoin de personne pour avancer dans la vie. Enfin sauf peut-être de Leah, pour m’éviter de replonger dans l’alcool. « Non t’as raison, j’espère que tu suis tes propres conseils toi aussi. » C’est simple, maintenant je fuis les hommes. Il y en a très peu qui font partis de mon entourage proche parce qu’ils me dégoutent tous plus l’un que l’autre. Donc je ne sais pas si on peut dire que je suis mes propres conseils. Mais je fais tout comme. Je lui réponds avec un simple sourire avant d’apporter mon verre de soda à mes lèvres pour en boire quelques gorgées. Je lui parle brièvement de ma relation avec Jackson sans entrer dans les détails. Je ne lui dis pas qu’il me frappait ou bien qu’il m’a obligé à continuer la prostitution, ni même qu’il prenait une partie de l’argent que je touchais quand c’était lui qui me présentait un nouveau client. Je ne lui dis rien de tout ça tout simplement parce que je n’en parle pas. Jamais. À personne. « Et il s’est passé quoi ? Tu as rompu avec lui à présent ? » Si seulement. Si seulement j’avais eu le courage de rompre avec lui peut-être que je n’en serais pas là aujourd’hui. « Il est en prison. J’en ai profité pour partir. » Le pire c’est que s’il est en prison aujourd’hui ce n’est même pas pour payer pour toutes les horreurs qu’il m’a fait subir. « C’était vraiment pas quelqu’un de bien. » Mais paradoxalement son côté bad boy c’est ce qui m’a tout de suite plu chez lui. Si j’avais su qu’il était un enfoiré macho, qui se croit supérieur aux femmes jamais je ne serais tombée amoureuse de lui.
L’air qu’arborait Rosalie était moins sombre au fur et à mesure de leur conversation, ce qui rassura quelque peu la brune qui commençait à croire qu’elle avait peut-être réussi à faire mouche auprès de cette cliente pas très loquace et à l’allure angoissée. Un comportement qu’elle comprenait mieux maintenant qu’elle savait que la brune livrait un combat intérieur contre ses démons, luttant contre l’envie de commander à boire et de jeter à la poubelle tout ce qu’elle avait accompli en tenant pendant un an. L’attitude de Leah était désintéressée, uniquement poussée par l’envie d’aider les gens qui l’entouraient si elle le pouvait. Car après tout, si sa propre vie était un cauchemar vivant, ça ne voulait pas dire qu’elle devait laisser celle des autres le devenir aussi. Elle ne connaissait pas la jeune femme il y a de ça quelques minutes, mais l’impression de pouvoir faire quelque chose pour elle lui avait taraudé l’esprit à l’instant même où elle lui avait avoué mettre fin à une sobriété d’un an en commandant ce fameux verre. C’était la raison pour laquelle elle avait refusé de la servir – au risque de le payer très cher si ça s’apprenait – et également celle qui la poussait maintenant à lui proposer de servir de chaperon pour le reste de la soirée, ou du moins jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle. Un risque calculé, car si Camden se rendait compte qu’elle avait pris du retard sans une bonne explication, elle allait en prendre pour son grade. Ceci étant dit, il cherchait de moins en moins de raisons de se défouler sur elle et la perspective d’empêcher Rosalie de faire une erreur la motivait bien plus que de rentrer chez elle pour le retrouver, même si les conséquences pourraient vite s’avérer désastreuses. « T’es aussi gentille avec tous les clients ? » La question de la brunette était sincère tant son regard était teinté d’incompréhension, comme si jamais personne ne lui avait apporté son aide auparavant. Si tel était le cas, Leah comprenait sans peine qu’elle se retrouve dans une situation comme celle-ci. Il était important d’être bien entouré lorsqu’on combattait ses propres démons et qu’on luttait pour rester à la surface, pour ne pas sombrer une fois pour toute. Amusée, la barmaid secoua la tête dans un petit rire tout en jouant avec le verre de soda qu’elle s’était servi au préalable. « Non pas du tout, mais tu m’as vraiment donné envie de t’aider. Si toutefois tu acceptes mon aide, bien entendu. » Répondit-elle dans un petit haussement d’épaule, esquissant un sourire dans la direction de son interlocutrice. La majorité de sa clientèle était des types complètement beurrés qui venaient au bar en quête d’une âme esseulée dont ils pourraient profiter pour la soirée, ou encore de jeunes venus pour passer une soirée à descendre des pintes sans s’inquiéter des conséquences du lendemain. Bien entendu, quelques clients tels que Rosalie venaient parfois égayer la soirée de Leah qui ne crachait jamais sur une conversation solide, tant que Camden ne traînait pas dans le coin – évidemment. En parlant de lui, la brunette s’aventura à délivrer des informations un brin plus personnelles à la jeune femme en lui expliquant avoir été trompée à maintes reprises, justifiant ces actions par ce physique qu’elle ne jugeait pas toujours à la hauteur des attentes de ses compagnons du moment. Une façon à elle de trouver une explication à l’inexcusable, mettant en lumière ses angoisses et son manque de confiance en elle en se remémorant les femmes qui avaient pris sa place au fil des années. Elle laissa échapper un petit rire, comme pour évacuer ces paroles qui venaient de franchir la barrière de ses lèvres et qui étaient sans doute trop personnelles pour être confiées à une inconnue dans un bar. Mais Rosalie avait fait de même en lui expliquant son addiction, et peut-être qu’elle pouvait se laisser aller à discuter avec elle sans s’interroger sans cesse. « Chaque homme qui a été infidèle mériterait la castration. » Tout à fait d’accord. « Mais dans ce cas je pense qu’il ne resterait plus beaucoup d’hommes non-castrés sur terre. » Sans blague. Leah éclata une nouvelle fois de rire, hochant la tête face à la fatalité énoncée par son interlocutrice. « C’est clair. Je regrette de ne pas être intéressée par les femmes, je pense que ça m’aurait évité bien des soucis. » Plaisanta-t-elle en fronçant le nez, persuadée que si les femmes devaient vivre leurs propres drama dans leurs relations, elles avaient sans doute plus de respect l’une pour l’autre que dans un couple hétéro, ou du moins c’était ce que la brunette pensait. La conversation prenait une tournure légèrement plus détendue et elle pouvait sentir que Rosalie était moins crispée que lorsqu’elle avait posé ses fesses sur le tabouret du bar ; un bon début donc. La jeune femme l’interrogea à son tour sur son histoire passée avec cet homme qu’elle avait évoqué, espérant qu’en parler ne perturberait pas trop la brune. « Il est en prison. J’en ai profité pour partir. » Leah ne s’était pas attendu à ça, mais si cette information la surpris quelque peu, elle n’en montra rien.« C’était vraiment pas quelqu’un de bien. » Les lèvres de la barmaid se mirent à trembler légèrement, s’imaginant un instant pouvoir dire la même chose de Camden un jour : « Il est en prison, j’ai pu partir. C’était pas quelqu’un de bien. » Oui, ces mots auraient tout aussi bien pu être prononcés par la brunette, dans une autre vie. Elle pencha la tête sur le côté, se demandant ce que Rosalie avait bien pu subir avec ce type avant de retrouver sa liberté. L’envie de lui partager son propre calvaire la taraudait, persuadée que son histoire ferait peut-être écho à celle de la brunette qui lui faisait face. Mais comme toujours, elle s’en empêcha, trop effrayée de ce que ça pourrait déclencher. « C’est donc… Une bonne chose ? Je suppose. » Avoir son copain en prison n’avait rien de glorieux d’habitude, mais elle percevait le soulagement dans la voix de son interlocutrice. Le soulagement, et l’appréhension aussi. Il fallait qu’elle rebondisse sans lui, ça ne devait pas être simple d’envisager la suite lorsqu’on devenait seule du jour au lendemain.
Elle est gentille et j’ai presque du mal à comprendre pourquoi et comment elle peut l’être sans qu’elle ne puisse rien en retirer pour elle. Parce qu’au fond on agit tous assez égoïstement, non ? Aider quelqu’un d’accord, mais il faut que ça ait un véritable intérêt pour moi. Peut-être que je ne suis qu’une connasse égoïste après tout c’est complètement possible aussi. Mais je le suis je sais qu’au moins la moitié de la population est comme moi sur ce point-là. On pense tous à notre gueule avant de ne penser à qui que ce soit d’autre et en soit c’est normal. On vit pour soi-même et pas pour les autres non ? Sinon à quoi bon vivre ? J’ai déjà beaucoup de mal à trouver un véritable sens à ma vie alors je n’imagine pas si je devais me mettre à apprécier et aider les autres sans rien pouvoir avoir en retour. Je sais que mon raisonnement peut paraître en inadéquation totale avec le métier que j’ai décidé de faire ; psychologue. En général les personnes qui travaillent dans le médical ou paramédical c’est parce qu’ils ont envie d’aider les gens. Mais sachez que moi ce n’est absolument pas le cas. Je fais ce métier totalement égoïstement tout simplement parce qu’essayer de comprendre comment fonctionne l’esprit des personnes qui m’entourent me passionne. Je ne fais pas spécialement ça pour me sentir utile et encore moins par envie d’aider mon prochain. Est-ce que cette pensée me fait passer pour la pire des salopes ? Et peut-être même la psychologue la moins humaine au monde ? Peut-être, mais je dois bien vous avouer que je m’en fiche un peu. « Non pas du tout, mais tu m’as vraiment donné envie de t’aider. Si toutefois tu acceptes mon aide, bien entendu. » Est-ce j’accepte son aide ? J’ai beaucoup de mal à accepter le fait que je puisse avoir besoin d’aide de temps en temps. Sûrement par fierté, parce que ça me met dans une position de faiblesse et que je n’aime pas ça. J’aime pas me montrer faible et j’ai toujours envie de montrer que je suis forte, ou du moins que je peux l’être et que je n’ai besoin de personne pour avancer. Sauf que ce soir, c’est différent. Ce soir sans Leah, j’aurais déjà descendu plusieurs shots de vodka et j’aurais replongé dans cet enfer. Alors peut-être que je vais accepter de mettre ma fierté de côté. Pour une fois. « Je pense que pour une fois je vais accepter ton aide. » Ou tout simplement, accepter de l’aide. Mais je ne le dirai pas deux fois, parce que j’ai quand même ma fierté et mon égo que j’aimerais préserver. Je suis vraiment contente d’être tombée sur quelqu’un comme Leah ce soir mais ça non plus je ne lui dirai pas. Parce que je suis persuadée que plus de la moitié des barmen n’auraient pas prêté attention à moi et m’auraient servi mon verre d’alcool. Je suis contente d’avoir résisté et sans elle je n’aurais sûrement pas résisté bien longtemps. Surtout que nous semblons avoir plus en commun qu’il n'y paraît. Toutes les deux nous n’avons que très peu de confiance envers la gente masculine. Ces hommes qui ne pensent qu’avec leur pénis et qui sont tous persuadés d’être supérieurs à tous, qui font tout pour nous rabaisser et nous faire sentir comme la dernière des merdes. C’est dur. Voilà pourquoi j’ai décidé de laisser les hommes de côté. « C’est clair. Je regrette de ne pas être intéressée par les femmes, je pense que ça m’aurait évité bien des soucis. » Je souris à sa réflexion. Moi j’aime les deux. J’aime les hommes, j’aimes les femmes aussi. Mais la seule relation à long terme que j’ai menée était avec un homme, je ne suis jamais tombée amoureuse d’une femme. J’hausse les épaules, un petit sourire taquin aux lèvres avant d’apporter mon verre de soda jusqu’à mes lèvres. « Tu devrais essayer, c’est pas mal aussi. » C’est même plus que pas mal. La plupart des hommes avec qui j’ai couché pensaient à leur plaisir avant de penser au mien, certains étaient même persuadés d’être très doués alors qu’ils étaient vraiment, vraiment loin de l’être. Alors que les femmes avec qui j’ai eu des relations d’un soir étaient généralement plus douces, plus à l’écoute. Bien que j’aie toujours plus d’expérience avec les hommes qu’avec les femmes. La conversation se redirige vers Jack, mon ex. J’aimerais parler d’autre chose, de tout. N’importe quoi. Mais elle me questionne et sans que je ne sache vraiment pourquoi je réponds à ses questions. Parce qu’encore une fois, elle semble réellement intéressée et il y a comme un quelque chose qui me dit que je peux me confier à elle. Je ne sais pas pourquoi mais Leah me semble être une personne de confiance. « C’est donc… Une bonne chose ? Je suppose. » J’acquiesce. Oh que oui c’est une bonne chose. Se confier sans non plus trop en dire. Je n’ai pas franchement envie de lui dire que je me suis retrouvée prisonnière d’une relation toxique et malsaine avec celui qui autrefois m’a fait non seulement plonger dans l’alcool mais aussi et surtout dans la drogue. Je n’ai pas envie de lui dire que cet homme m’a poussé à continuer la prostitution parce que je le cite « ça rapporte » qu’il me présentait régulièrement des nouveaux clients friqués et qu’il gardait pour lui une partie de l’argent que je gagnais. Je ne lui dis pas non plus qu’il me frappait régulièrement et qu’il se montrait également violent verbalement. Au final je ne lui dis pas grand- chose parce qu’elle reste une totale inconnue à mes yeux qui certes, me semble être une personne de confiance mais moi ma confiance, je ne la donne pas facilement. « C’est une bonne chose, oui. » Je conclue tout en terminant d’une traite mon verre de soda que je repose sur le bar sur lequel je suis accoudé maintenant. Je me pince les lèvres alors que mes yeux se reposent une demi-seconde sur les nombreuses bouteilles d’alcool derrière Leah. Je pourrais facilement me pencher pour attraper n’importe quelle bouteille et boire. Je pourrais. Et j’en ai encore envie. Mais il faut que je me remémore les raisons pour lesquelles j’ai décidé de reprendre ma vie en main. C’est ce que je fais, je détourne du regard le pose sur les personnes autour de moi qui viennent de commander un verre à Leah. Je la laisse faire son travail, je ne la dérange pas et ce n’est que quand ces personnes sont parties que je reprends la parole. « Tu finis à quelle heure ? » Je lui demande en reposant mes yeux sur elle. Toujours travailler de nuit, ça ne doit pas franchement être facile et je suis persuadé que son connard de copain doit utiliser ça comme excuse pour ses tromperies apparemment trop fréquentes.
Leah avait ressenti instinctivement un élan de sympathie pour cette brune même si elle n’aurait su expliquer d’où il lui venait. Peut-être était-ce regard qu’elle avait en prenant place au bar ou bien les choses qu’elle avait fini par lui avouer au fil de leur conversation. Dans tous les cas le résultat était là et la jeune barmaid avait envie de faire ce qu’elle pouvait pour l’aider à traverser cette mauvaise passe, au moins pour ce soir. Car après tout, elles ne se reverraient peut-être plus après ça, mais la jeune femme avait envie de croire que de ne pas sombrer aujourd’hui lui permettrait de tenir encore plus facilement sur le long terme. Rosalie lui semblait dubitative face à cette générosité dont elle faisait preuve et la brunette tenta de la rassurer à ce sujet ; c’était inné chez elle. Elle ne pouvait s’empêcher de se diriger vers les personnes qui semblaient vivre des moments difficiles et se rendait disponible pour parler ou filer un coup de main si ça lui était possible. Elle était comme ça. C’était probablement ce besoin de se sentir utile qui l’avait poussée à se diriger vers un boulot qui la poussait au dialogue avec les clients ; barmaid était la solution de repli pour ceux qui n’avaient pas eu l’opportunité de faire des études de psychologie. C’était avec cette pensée que Leah prenait ses services, amusée de cette pointe de mauvaise foi qui la poussait à se persuader que ce n’était pas elle-même qui avait gâché son potentiel en faisant trop la fête au lieu d’étudier. D’autant qu’elle n’avait jamais pris le chemin de cette orientation-là lorsqu’elle était allée à l’université, se dirigeant vers l’option prometteuse de l’économie et de la politique alors qu’elle n’avait pas la moindre affinité avec cette branche ; une belle erreur qu’elle ne regrettait pas. Pas vraiment. Elle aimait ce qu’elle faisait, en dépit du fait qu’elle commençait doucement à s’interroger sur ses perspectives d’avenir. Ou si elle en avait un d’ailleurs. Une voix lui soufflait que si elle restait avec Camden, elle ne serait bientôt plus là pour continuer à servir des bières en arborant un sourire éclatant à ses clients les plus fidèles, c’était un fait certain. Mais Leah continuait d’ignorer cette voix, cherchant à se persuader que les choses finiraient par changer un jour ou l’autre, si elle s’appliquait à ne pas le mettre en rogne. Elle ne parviendrait peut-être pas à se sauver elle-même mais quelque chose la poussait à tenter de le faire pour les autres, à commencer par la brune qui lui faisait face à qui commençait à se confier à elle. « Je pense que pour une fois je vais accepter ton aide. » Un sourire éclaira le visage de la barmaid qui hocha la tête dans sa direction, ravie qu’elle accepte son aide et ne lui renvoie pas sa proposition en pleine face. Après tout, elle lui avait refusé son alcool et maintenant elle se proposait comme marraine de substitution pour la soirée, autant dire qu’elle s’avançait peut-être un peu. Mais la jeune femme ne semblait pas de son avis et accueillait sa proposition avec un léger sourire même s’il devait lui en coûter d’accepter ce genre de chose venant de la part de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas encore quelques heures auparavant. « Cool. » Elle fronça le nez avec des yeux rieurs, sachant qu’il ne servait à rien de s’étendre davantage sur le sujet. D’ailleurs, celui-ci dériva quelque peu sur leurs déboires communs avec le sexe opposé, ce à quoi Leah rétorqua qu’elle regrettait son manque d’intérêt pour les femmes. Elle n’avait jamais essayé mais n’en avait jamais ressenti l’envie non plus, ce qui la poussait à croire qu’elle était à cent pour cent pour les hommes même si elle aurait préféré le contraire à ce stade. « Tu devrais essayer, c’est pas mal aussi. » Une lumière amusée dansait dans les prunelles de son interlocutrice et la brunette comprit immédiatement que Rosalie n’avait pas l’air d’avoir son problème. Ahah. Loin de se démonter, Leah laissa s’échapper un petit rire avant de hausser les épaules, ravie que la conversation se détende enfin et que la jeune femme puisse penser à autre chose qu’à la vodka qui la narguait depuis qu’elle avait posé ses fesses au bar. « J’y penserai un jour. » Lança-t-elle avec un petit clin d’œil. « Mais je suis sûre qu’il n’y a pas que de bons côtés non plus, les filles sont des emmerdeuses nées. » Elle grimaça en montrant ses dents, sachant pertinemment que ses propres déboires en amitié au long de sa vie avec la gente féminine y était peut-être pour quelque chose dans cette affirmation. La conversation glissa une nouvelle fois sur son ex-compagnon et Rosalie acquiesça à la question de Leah qui tâtonnait à ce sujet sans trop savoir si elle devait se réjouir ou pas pour elle. « C’est une bonne chose, oui. » Bon, c’était déjà ça. Elle lui adressa un énième sourire avant de la délaisser le temps de s’occuper d’autres clients qui commençaient à s’amonceler au bar. Lorsque cette salve fut passée, Rosalie reprit la parole avec un air interrogateur sur le visage. « Tu finis à quelle heure ? » Leah releva le nez en direction de la grande horloge qui trônait sur le mur, une espèce d’antiquité dont le patron était extrêmement fier puisqu’il jugeait bon de l’accrocher là en dépit du fait qu’elle jure avec le reste de la décoration. « D’ici une bonne heure. Après ça je te raccompagne chez toi si ça te va, histoire d’être sûre que tout va bien pour toi. Et si ça ne te dérange pas d’attendre, évidemment. » Ça allait de soi, d’autant que de rester encore une heure supplémentaire dans ce lieu empreint de tentation n’était pas forcément le meilleur calcul après réflexion, mais si elles continuaient de discuter ça devrait bien se passer. En théorie. En cet instant, ses pensées étaient dirigées vers Rosalie et la perspective qu'elle survive à cette soirée sans replonger, sans se soucier une seule seconde que Camden risquait de débarquer à tout instant ou encore de l'attendre de pied ferme à l'appartement s'il ne la voyait pas rentrer dans le temps imparti qu'elle était supposée mettre après son shift. Car oui, il avait calculé son temps de trajet... On en était là.