« Je pense souvent à toi. » L'affirmation clame sur des intonations d'ordre, de vérité générale. « Pourquoi? » J'entends, à travers les tambours battants de mon cœur qui résonnent jusqu'à mes tympans. Mon regard l'a quittée, s'est détaché d'elle non sans peine, pour étudier précautionneusement toutes les issues qui nous entourent, quand le tumulte gronde périlleusement à l'extérieur de l'infirmerie. Mes lèvres se pincent, se scellent, le pessimisme m'étreint. « C'est pas volontaire, » je justifie, incapable de lui formuler une raison que j'assumerais totalement. Cet état léthargique, je le méprise. Ce besoin d'elle, je l'abhorre. Je la hais d'induire en moi un tel cataclysme, un effet si dévastateur. Et pourtant, je ne désire toujours que des secondes supplémentaires à ses côtés. Mes doigts terminent leur ouvrage sur son visage de porcelaine et je programme la suite, notre fuite.

« Jamais plus que quelques minutes. » pour qu'elle reprenne ses moyens. J'inspire profondément, les dégâts se multiplient aux alentours. Mes prunelles ne cessent de lire et relire le cadran de ma montre, j'avale des vitamines machinalement, nerveusement. Puis la porte retient des coups sauvages avant de se mouvoir contre ses gonds.

Mes sourcils se froncent, son double apparaît. « Elle vient avec nous. » « Non. » Je rétorque derechef, catégorique, main portée à ma ceinture, prêt à me battre. L'autre ne fait que fixer son reflet, discréditant tout en ma présence - même ma dangerosité. « Tu suis si tu veux, mais elle, elle vient. » Sa main se referme avec force sur le poignet de la clone, j'observe la pâleur du sang privé sur la région s'y inviter. « Elle reste avec moi. » Je tranche, sévère, impitoyable, dégainant mon arme pour viser à bout portant, sans cérémonie aucune ni optique de négociation, celle que je considère comme une ennemie.

La munition a-t-elle atteint sa cible ?

Les pièces de puzzle se mettent les unes à côté des autres, mais même si elle arrivait à mémoriser leur position elle ne s'en rappellerait plus dans une poignée de secondes. Ne reste que des sensations qu'elle ne s'explique pas, sensations qui finissent toujours par la blesser, par la laisser pantoise, vide. Elle ne scrute qu'un peu plus le visage du médecin, ne tente qu'un peu mieux de comprendre, elle qui analyse et elle qui décode, déchiffre, quand rien ne fait de sens et que pourtant il lui répond des mots et des phrases et des émotions qu'elle arriverait à comprendre si elle les entendait vraiment. Sûrement.

« C'est pas volontaire, » ç'aurait dû lui faire l'effet d'une claque violente, d'une douche froide, mais elle ne ressent rien Ginny, elle ne ressent rien depuis si longtemps que seules les migraines lui permettent de s'accrocher à la vie telle qu'elle la connaît. Ses mains s'occupent d'effacer les dernières traces de son mal-être et elle fixe le vide, récite mentalement dans l'ordre et dans le désordre des faits et des images, des couleurs et des chiffres, elle se raccroche à ce qu'elle connaît pour ne pas laisser les sensations des doigts chauds du brun sur sa peau glacée la ramener à un ici et à un maintenant qu'elle n'assimilera jamais.

Puis, y'a des coups de feu, y'a des coups à la porte, y'a des coups tout court et elle est déjà à bout de souffle la clone, elle l'est surtout lorsqu'elle tombe nez à nez avec elle-même. « Non. » elle flirte avec l'inconscience, elle perd pied la mécano elle se rattrape à lui entre son refus catégorique « Elle reste avec moi. » et son arme qu'il dégaine. Elle a à peine le temps de voir la cible évitée qu'elle sent ses paupières se fermer, son corps entier se braquer.

« Tu fais encore le malin, c'est sur elle qu'on tire. » qu'ils menacent, les arrivants, avant de les attraper l'un l'autre par le bras pour les traîner vers Dieu sait où, pour Dieu sait quoi. Elle ne se réveillera que des heures plus tard, allongée dans un SAS qui évidemment la suffoque, caméras et lumières braquées sur sa silhouette désarticulée. Son regard ne cherche que le médecin, désespérément, et elle le trouve au fond de la pièce, amoché, luttant contre qui veut bien lui laisser la moindre chance de respirer.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé? » elle s'oublie Ginny, elle s'oublie toujours, et surtout pour lui.

Le corps de la clone devient de plus en plus lourd contre mon flanc, ma poigne ferme refuse de la laisser m'être dérobée. Son énergie la quitte, sa force l'abandonne ; poupée désorientée, désarticulée ; paupières closes sur des pupilles qui trépignent d'inconscience ; fatidique résultat de notre dimension contemporaine, doté de cette incapacité à la réciprocité de mon propre univers, narguant et ridiculisant mes rêves opposés au dessein de ma profession. Ma main libre pointe avec virulence mon arme contre le reflet indésirable, soldat buté, corps brûlé par son passé. La balle part, le drone au-dessus de ma tête s'agite, le robot trésaille, et lorsque j'étais persuadé avoir percé mon adversaire, c'est un échec cuisant qui est constaté.

« Tu fais encore le malin, c'est sur elle qu'on tire. » Comme si la bienveillance et la miséricorde existaient réellement. Je souffle et s'en suit une lutte acharnée de laquelle s'extraira des milliers de minuscules trous noirs dansant devant mes yeux, jusqu'à ce que le chaos ne règne, impérial. J'en épouserai le désir d'oublier la couleur du sang, tant l'avoir vu couler. Je convoiterai la surdité pour gommer de ma mémoire ces déchirants cris, épouvantables lamentations, symphonies de fracassantes destructions. Les couleurs s'apaiseront bientôt, achèveront de se mêler dans une masse brutale d'odieuse vilenie ; il était indéniable que tout possédait une fin.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé? » Sa voix m'est distante, discordante, provenant d'une poignée de mètres qui semblent des multitudes de kilomètres. Je ne sens plus la dureté des surfaces froides sur lesquelles reposent mon corps mutilé, meurtri. Chaque respiration compose une sinistre saccade vers la finalité. J'inspire pour envisager la fin car les mots n'existent plus quand les maux sont souverains.

La clone n'obtiendra pour réponse que mon ultime souffle.