C’est agréable d’être au soleil et de pouvoir profiter un peu de ce calme, une petite pause bien méritée. Je suis resté debout toute la nuit pour superviser les urgences et je dois dire que je commence un peu à sentir la fatigue. Bien entendu, ce café que j’ai à la main va vraiment m’aider à continuer les quelques heures qu’il me reste à faire avant de rentrer chez moi pour dormir. C’est quand même une vie bien différente du reste du monde. Je vais terminer ma journée en début d’après-midi pour aller dans mon lit. Mais bon, c’est aussi ma passion, ce que j’aime faire.
Au loin, je peux entendre une sirène, signe qu’on connaît tous ici. Une ambulance qui n’est pas loin et qui va arriver ici, aux urgences. Je me lève du banc devant la porte des urgences et lance mon café dans une poubelle puis je me tiens prêt, devant la porte, pour prendre en charge le patient qui arrive.
L’ambulance s’arrête juste devant moi, un secouriste sort et m’explique la situation. Une jeune fille de quatorze ans qui a fait une grosse chute à vélo, en tombant sur la tête. Je ne vais pas perdre plus de temps et on se dirige à l’intérieur, pour s’installer dans le box n°2, que je commence à regarder un peu plus en détails.
Elle semble être consciente, mais un peu dans les vapes, la grosse plaie qu’elle a au niveau de la tête m’inquiète vraiment, mais ceci n’est pas spécialement mon domaine, donc je ne peux rien faire de plus hormis m’occuper du reste. Je me tourne vers une des aide-soignantes à côté de moi. “Vous pouvez biper la neuro pour moi s’il vous plaît, j’ai besoin d’une consultation dans le box deux.”
En attendant, je me concentre sur son bras, pour voir les dégâts que la chute a provoqué. Je dois savoir si elle s’est cassé quelque chose ou non, en attendant d’en savoir plus sur sa tête. J’espère juste tomber sur quelqu’un de la neuro avec qui je vais bien m’entendre, je ne connais pas encore tout le monde ici.
Les vacances étaient définitivement terminées. Il était temps pour moi de revenir à la réalité et de reprendre le travail. Je n'étais pas mécontente de revenir à l'hôpital puisque j'adorais mon métier mais la petite nostalgie que je ressentais en repensant à ces trois dernières semaines prenait légèrement le dessus sur l'envie de retrouver mon quotidien. J'avais tout fait pour me motiver, allant même reprendre le footing juste avant d'enquiller ma garde de 72h. On me disait souvent que j'étais folle de me fatiguer avant d'aller travailler mais pour moi, ce n'était pas de la fatigue au contraire, ce sport matinal me donnait encore plus de force pour affronter la journée et tout ce qui allait avec.
J'étais arrivée un peu en avance à l'hôpital et j'en avais profiter pour me poser sur le toit, là ou généralement personne ne venait. J'appréciais le calme avant la tempête que j'allais subir une fois que j'aurais accroché mon bipeur à ma ceinture. Revenir ici me rappelait tellement de souvenirs, tant de choses que j'avais complètement oublié pendant ces quelques semaines loin de tout. Je prenais une grande inspiration en m'infligeant une auto-motivation digne des stars du Rock avant de monter sur scène. « Allez Lou, t'as toujours rêvé de faire ça, inspire et fonce ! » Je me levais d'un bond et descendais vers le service ou j'exerçais depuis quelques mois maintenant. Soudain mon bipeur sonnait, je lançais un regard au fichier que j'avais en main avant de le délaisser pour regarder le dit bipeur. Les Urgences. Je fonçais rapidement sans réfléchir. Je trouvais une infirmière sur mon chemin lui demandant ou je devais aller et surtout pourquoi on m'avait appeler. J'entrais dans le boxe qu'elle m'indiquait. « Je suis là. » dis-je en m'adressant à l'équipe qui était présente. Je poussais involontairement un des internes et me stoppais net en voyant Luke face à moi. J'avais l'impression d'être dans un mauvais rêve ou tout simplement dans un rêve. Je ne pouvais nier que j'avais longtemps souhaité ouvrir ma porte sur lui un matin, souhaité qu'il change finalement d'avis et qu'il ne me laisse pas derrière. Je n'avais pas vraiment le temps de comprendre qu'un des internes m'interpellait pour m'expliquer ce qu'avait la patiente probablement en urgence vitale d'ailleurs.
Je suis tellement concentré dans mon examen qu’au moment où j’entends la porte qui s’ouvre, je ne reconnais même pas la voix de la femme qui vient d’entrer. Je me doute que ça doit être elle, celle de la neuro. Quand je relève la tête, puis passant sur le côté du brancard, je vois cette personne arriver devant moi. Et je dois dire que je ne m’attendais pas tout à une surprise comme celle-ci.
Est-ce que c’est quelque chose qui va m’arriver chaque jour ici ? Depuis que j’ai commencé dans cet hôpital, il ne se passe pas un moment sans qu’il ne m’arrive quelque chose d’étrange, qui sort de l’ordinaire. Mais par contre, pour le coup, là cette situation, je ne l’avais pas du tout vu venir.
Sur le moment, je préfère rester professionnel, il faut dire que notre histoire ne doit pas entrer en compte quand on a un patient sur la table. “Bonjour, Docteur Ross, c’est pour moi la consult’ si vous pouvez regarder son crâne.” J’ai du mal à réfléchir, à garder mon calme, ce qui ne m’arrive que très rarement. Et pourquoi son idiot de frère ne m’a pas prévenu aussi…
Un des internes vient m’apporter les résultats d’analyse et la radio. Je peux voir directement qu’il faut l’amener au scanner pour avoir d’autres images, mais sa vie n’est pas en danger. Ce qui est une bonne chose, je vais pouvoir en profiter pour avoir des réponses à mes questions. “Toi et toi.” en désignant deux internes dans la pièce. “Amenez-la au scanner, on vous rejoint tout de suite.”
L’occasion parfaite pour me retrouver seul dans la pièce avec elle. Je ne sais même pas quoi dire ni même par où commencer. Et j’ai tellement du mal avec tout ça, les sentiments, me montrer vulnérable, ce n’est vraiment pas un atout. “Écoute Lou j’aurais peut-être du te le dire… je pensais que ton frère t’en avait parlé.”
Dernière édition par Luke Ross le Mer 9 Oct 2019 - 1:36, édité 1 fois
Luke était là, face à moi et j'avais encore du mal à réaliser ce qui m'arrivait. Pourtant, je ne devais pas perdre pied, ou pas tout de suite puisque cette femme avait clairement besoin qu'on s'occupe d'elle et non pas que je chipote sur mes sentiments. « Docteur Stevens. » répondis-je simplement avant de regarder le crane de la patiente. Il fallait que je me concentre fortement pour ne pas laisser mes pensées se mélanger. Bon sang Lou, t'es médecin, agis comme tel ! Je posais rapidement un diagnostic me tournant ensuite pour utiliser du gel nettoyant sur mes mains, comme par automatisme. Luke venait d'envoyer les internes au scanner avec la victime et je me retrouvais donc seule avec lui. C'était arrivé un million de fois auparavant mais sans savoir pourquoi j'en étais, actuellement, toute retournée. Notre dernière conversation remontait à quelques années maintenant mais je ne pouvais nier qu'il avait marqué ma vie à jamais, après tout, j'avais accepté de passer ma vie à ses côtés, ce n'était pas rien. « Peut-être... » soufflais-je avant d'avoir le courage de le regarder dans les yeux. « Il ne m'a rien dit mais lui aussi aurait du effectivement. » dis-je alors qu'autant l'un que l'autre était responsable de mon état actuel. La moindre des choses aurait été qu'ils m'en parlent, qu'ils prennent leur putain de téléphone pour m'avertir du retour de Luke. J'étais en colère contre mon frère mais je me contenais, exploser ici n'avait aucun intérêt. Si Luke n'avait pas changé, il aurait de toute façon pris sa défense. « Qu'est ce que tu fais ici Luke ? » Je ne pouvais pas croire qu'il était ici pour travailler, qu'il avait finalement quitté l'armée pour travailler dans un hôpital. A vrai dire, cela semblait être le cas mais ça me faisait atrocement mal de penser qu'il l'avait fait pour x ou y raisons mais que moi, je n'avais pas été une raison suffisante à l'époque.
Je le regardais replaçant nerveusement mes cheveux comme j'avais toujours eu l'habitude de le faire. Cet instant, totalement imprévu, me chamboulait et j'allais surement avoir besoin de trois cafés et d'une clope -alors que je ne fumais même pas- pour m'en remettre.
J’ai déjà eu l’occasion de vivre des situations bien pire que celle-ci. Et pourtant, je dois dire que je n’aime pas du tout la position dans laquelle je me trouve, simplement parce que je ne sais pas du tout quoi faire, je ne sais pas comment réagir, qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire. Surtout qu’elle doit m’en vouloir, avec mon choix, de partir loin d’elle. Je n’imagine même pas comment elle doit me détester. Alors me retrouver ici, dans le même endroit qu’elle, ce n’est pas facile.
Même son frère ne lui a rien dit. Je le reconnais bien là, il faut dire. Il devait savoir que j’allais la croiser, ou inversement. Il est chiant avec ça. Quand elle me pose sa question, je lève la tête, mais je n’arrive même pas à la regarder dans les yeux. En soit, je ne vais pas dire le contraire, je n’ai pas arrêté de m’en vouloir, de l’avoir abandonné comme ça. “Il s’est passé… quelque chose, durant ma mission.” Je ne sais même pas si je veux rentrer dans le détail, j’ai déjà du mal à vivre avec. “Je n’ai pas eu le choix, on m’a rapatrié au pays.”
Mais est-ce que je vais vraiment tout le raconter ? Je ne pense pas que ce soit le meilleur moment, quoi qu’il arrive. Surtout que nous avons une patiente qui va nous attendre. “Du coup, on m’a trouvé ce travail ici. J’ai commencé la semaine dernière. Ma sœur n’a pas arrêté de me dire que je devais prendre ça comme un nouveau départ. Puis tu la connais, difficile de dire non…” Parce que c’est une forte tête celle-la, difficile d’avoir raison. Mais c’est aussi pour ça que je l’aime ma sœur, vu qu’elle est toujours de bon conseil.
Se présenter comme deux étrangers, s'en était presque ridicule après tout ce que nous avions vécu. Je ne voulais pas me l'avouer mais je repensais souvent aux moments que j'avais passé avec Luke, principalement les bons d'ailleurs. J'aurais surement été une super scénariste de série pour ados, retraçant mon histoire d'amour avec une musique légèrement dramatique en fond. Les internes quittaient la salle et malgré le rush de la situation, il fallait être stupide pour ne pas voir que nous nous connaissions. Je le regardais mais Luke fuyait mon regard. Il était plus mal à l'aise que moi et si je n'avais jamais cherché à le rabaisser, savoir qu'il en était plus ou moins touché me rassurait. « Il aura donc fallu qu'ils te l'imposent pour que tu reviennes. » J'en avais gros sur le cœur, c'était un fait. « C'était grave ? » demandais-je ensuite parlant directement de ce qu'il s'était passé là bas pour que l'armée lui impose se revenir sur le sol Australien sans lui donner le choix. Malgré la colère que je ressentais, je ne souhaitais pas qu'il lui soit arrivé quelque chose de grave, ni à lui -même si de visu il semblait avoir tous ses membres- ni à son équipe.
Je l'écoutais alors que son retour chamboulait un peu toute ma vie. Etions-nous encore quelque chose l'un pour l'autre ? Je ne savais pas répondre à cette question ou du moins pas encore. Il était évident que rien ne pouvait plus être comme avant mais il m'était impossible d'envisager de devenir amie avec Luke, pas après ce qu'on avait partagé. « Elle a de la chance que tu ne saches rien lui refuser. » dis-je en cachant difficilement mon amertume. « On va travailler ensemble, ce n'était surement pas le nouveau départ que tu imaginais. » J'avais passé les deux dernières années à tenter de comprendre ce que j'avais fait de mal avant de réaliser que je ne pouvais lutter seule contre du vent. Luke avait pris sa décision, j'avais pris la mienne et je devais vivre avec même si cela m'avait brisé le cœur... Désormais, je devais accepter le fait de devoir recroiser l'homme avec qui j'avais imaginé finir ma vie, tous les jours.
Comment est-ce que je vais faire pour lui raconter tout ça… C’est un moment qui va rester graver à tout jamais dans ma mémoire. Je suis incapable de tout lui déballer d’un coup, c’est impossible. J’en fais encore des cauchemars la nuit, c’est quelque chose qui me hante, qui me rend… différent. Une version de moi que je n’aime pas. Peut-être que c’est une version qu’elle ne va pas aimer non plus. “Je… c’est difficile d’en parler Lou…” Je me tourne, dos à elle, car j’ai du mal à garder mon sang-froid. Mon poing tremble, je ne sais même pas pourquoi. Je laisse échapper un gros soupir, regarde dans la vitre en face de moi puis décide de me retourner vers elle. “Nous étions sept dans mon équipe au départ, c’était ma responsabilité… Nous sommes que trois à être rentré…” Je m’en veux, énormément, mais je ne vais pas le dire, je ne peux pas me montrer aussi faible que ça, pas devant elle.
Mais quand je la vois, en face de moi, tous ces souvenirs remontent. Une partie de moi voudrait juste que je m’approche d’elle pour la prendre dans mes bras, pour lui faire comprendre à quel point elle m’a manquée. Un geste que je ne peux pas faire. Je dois reprendre mes esprits, rapidement, car tout de suite, j’ai l’impression de perdre tous mes moyens et d’être incapable de bouger, de parler, figé sur place. “C’est de ma faute, tu sais… on m’a confié cette équipe et…” J’ai appris à habiter avec la honte, le chagrin et la culpabilité.
Rapidement, mon esprit revient quand même au travail, car je suis ici avant tout pour sauver des gens et je pense que ce n’est pas le meilleur moment pour discuter de tout ceci avec elle. Après, est-ce que je vais avoir une autre occasion, je n’en sais rien… “Nous devrions peut-être retourner au travail, notre patiente doit être au scanner maintenant.” Je me dirige vers la porte et je l’attends pour me diriger sur place. Le fait d’être à côté d’elle, comme ça, marchant dans le couloir, l’air de rien, j’ai du mal. C’est impossible pour moi de faire comme si c’était une inconnue. Mais je dois faire un effort, car je ne peux pas me permettre de me laisser aller pour le moment.
Juste en voyant son regard, je comprenais que ce qu'il avait vécu était grave, très grave. Finalement je connaissais la réponse à ma question avant même qu'il ne me réponde. L'armée ne renvoyait pas ses troupes au pays pour rien, cela ne pouvait être du qu'à de sévères blessures voir des morts dans ses rangs. Cette pensée me glaçait le sang puisque j'avais toujours eu peur pour mon ex-fiancé et ce même après notre séparation... Si j'avais longtemps refusé de l'admettre à voix haute, il n'avait jamais réellement quitter ma tête.
Je fronçais les sourcils en le voyant se tourner, poings serrés. Je n'avais pas spécialement eu l'habitude de le voir ainsi mais je réalisais que la phrase "l'armée peut changer un homme" est plus que véridique finalement. Il soufflait et se retournait de nouveau face à moi. Je l'écoutais et secouais légèrement la tête. Je savais pertinemment ce qu'il ressentait actuellement, ce n'était pas faute d'avoir fait un long stage dans le service psychiatrique de l'établissement. Et psy ne voulait pas dire fous. « Luke... Tu sais très bien que c'est un risque que tes hommes ont pris en toute connaissance de cause, ce n'est pas ta faute. » Malgré ce que je pouvais ressentir, je ne pouvais pas l'accabler davantage ou rester simplement stoïque face à ses déclarations, après tout j'étais humaine. « Et tu te tortures depuis avec tout ça. » dis-je en continuant la phrase qu'il avait laissé en suspens. Je n'osais imaginer ce qu'il avait pu ressentir et ressentais encore. Peut-être étais-je égoïste de penser que ma peine de cœur était assez importante pour être prise en compte quand j'entendais tout ça. Clairement, nous n'avions pas les mêmes problèmes et j'étais presque sure que notre histoire relevait du passé pour lui. « Oui, allons-y... Si elle ne nous attend pas, les internes eux, ça doit être une autre histoire. » Je le suivais hors du boxe et la sensation de marcher avec lui dans cet hôpital ou j'avais passé 60% de mon temps ces deux dernières années était une sensation plus qu'étrange. J'avais encore du mal à me dire que Luke était de retour et que j'allais potentiellement le croiser tous les jours. « Tu as besoin de mon diagnostic post-scanner ? » demandais-je comme pour casser le blanc qui s'était installé entre les deux salles.
En marchant vers la salle du scanner, je repense à ce qu’elle vient de me dire. Dans un sens, je sais très bien qu’elle a raison, je ne vais pas dire le contraire. Puis j’ai déjà entendu ça tellement de fois depuis mon retour. La psy de l’armée, ma soeur et j’en passe. Je sais très bien que je ne suis pas moi-même et que j’ai l’impression qu’une partie de moi est manquante. Je ne suis même pas certain de pouvoir combler ce vide un jour, mais je garde un peu d’espoir, pour ne pas être totalement anéanti sans me préoccuper du reste. Elle l’a très bien dit, c’est de la torture, mais que je m’inflige.
Quand on arrive sur place, les clichés sont déjà prêts. De mon côté, je regarde ce qui m'intéresse et je peux voir qu’il n’y a rien du tout, hormis un gros bleu qui va disparaître avec le temps. Je regarde rapidement le scan de sa tête, qui pour moi, ne relève absolument rien qui demande une intervention chirurgicale. Mais je peux aussi me tromper, car ce n’est pas ma spécialité. Je me tourne vers Lou pour la laisser passer devant moi, pour qu’elle regarde l’ordinateur. “Pour moi il n’y a rien, je pense que c’est juste une petite coupure sur la tête. Mais oui tu dois quand même regarder, sait-on jamais, je t’ai demandé pour ça de toute façon.” Je suis quand même soulagé pour notre patiente, au moins, elle ne va pas passer au bloc et ça me laisse du temps devant moi du coup, pour faire une petite pause.
Étant donné que notre travail ici est terminé et qu’ils n’ont plus besoin de nous, je sors de la pièce, Lou qui me suit juste derrière, tout ça dans un silence très difficile à supporter, une situation qui semble un peu tendu. Elle marche, à côté de moi et il n’y a rien, aucun mot, aucun regard. Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai eu cette réaction sur le moment, mais je ne voulais pas continuer comme ça. Il faut qu’on discute dès maintenant, tant que c’est sur le feu. Je viens attraper son bras avec ma main, sans rien dire, tout en ouvrant une porte qui se trouve sur ma droite. En soit, je ne lui laisse pas vraiment le choix et je l’entraîne avec moi à l’intérieur. Un espace de stockage, pour notre matériel. Je regarde rapidement dans la pièce, pour m’assurer que nous sommes seul, puis je reviens vers elle. “Désolé pour… ça.” J’avoue que j’aurais peut-être dû la prévenir avant. “Je pense qu’il faut vraiment qu’on discute, Lou. Je sais bien qu’aucun de nous deux ne s’attendait à cette situation…”
Je connaissais Luke et même si deux ans nous séparait maintenant, je savais qu'il n'avait pas changé du tout au tout. Bien sur, on avait tous les deux évolués dans un sens comme dans l'autre mais il y avait certaines choses qu'on ne pouvait changer et ces choses faisaient de nous ce qu'on était depuis toujours. Il avait du se faire aider à son retour, entendre des milliers de fois ce que je venais de lui dire. Cela dit, je l'avais exprimé avec sincérité et peut-être que venant d'une personne pas totalement -voir pas du tout- inconnue, ça pouvait avoir un impact plus important. Je ne pouvais pas en être sure mais je devinais à ses expressions de visage que mes paroles n'étaient pas totalement veines. Le silence qui régnait entre nous était étrange. Je détestais cette situation et j'avais envie d'aller m'enfermer dans un trou de souris pour être honnête. Je tâchais de garder la face devant les internes puisque je n'avais pas envie de leur donner de quoi parler. Je savais pertinemment que la vie des titulaires était un de leurs sujets de conversations favoris, après tout j'étais passée par là moi aussi même si je ne m'étais jamais intéressée de près aux potins sur mes supérieurs. « Effectivement, rien à signaler niveau neurologique, elle aura mal au crâne quelques jours mais ça passera. » répondis-je après avoir analyser le scanner.
Mon travail était terminé et je laissais le dossier à l'interne qui allait se charger d'emmener la patiente dans une chambre ou elle serait, une nouvelle fois, prise en charge. Je sortais, toujours dans un silence terrible et alors que j'allais continuer ma route ne sachant absolument pas si j'allais revoir ou reparler à Luke tout de suite, je sentais sa main se poser sur mon bras. Je tournais la tête pour le regarder mais il m'attirait vers une petite pièce de stockage. Je me laissais faire n'ayant pas vraiment de quoi résister puisque clairement je ne faisais pas le poids même si j'essayais. Il vérifiait que nous étions seul et c'était préférable puisque se trouver face à deux collègues s'envoyant en l'air aurait été gênant. Luke s'excusait mais au fond ce n'était pas nécessaire, j'aurais surement plus mal pris qu'il me laisse partir plutôt qu'il me retienne. « Ça c'est sur, je ne m'attendais pas à te revoir ici... Pas en tant que titulaire et pas à Brisbane non plus. » J'avais toujours pensé que même si sa mission se terminait, il esquiverait sa ville natale. « Je ne sais pas ce qu'on peut en dire Luke, le temps est passé mais ça reste compliqué... » Peut-être avait il des choses à me dire qui allait m'aider à m'ouvrir davantage. J'avais, au fond, des tonnes de choses à lui dire mais j'avais peur de ne pas savoir les exprimer sans que ma peine ne prenne le dessus sur le reste.
Est-ce que je vais vraiment réussir à faire mon travail sans être distrait par sa présence ? C’est une question qui traîne dans ma tête depuis plusieurs minutes. Je ne sais même pas quoi penser de ça. Si je dis que ça ne me fait pas plaisir de la voir, je suis un menteur, car c’est bien le cas. Même si c’est bien trop difficile. Je ne sais même pas ce qu’elle peut penser de tout ça elle. “C’est un peu pareil pour moi, tu sais. Je ne m’attendais pas à te retrouver ici. C’est… difficile.” Je ne vais pas le cacher, puis de toute façon, je n’ai jamais pu lui mentir. Elle le sait très bien, elle peut lire en moi comme dans un livre ouvert.
Effectivement, avec ce qu’elle vient de dire, ce n’est pas difficile d’être d’accord. La situation est vraiment compliquée et je ne sais pas trop quoi dire ou quoi faire pour améliorer ça. Je passe rapidement mes mains sur mon visage pour cacher un peu l’émotion qui me submerge. Je n’aime pas montrer ce côté de moi. Ma faiblesse. Surtout avec elle. Mais je ne peux pas faire autrement que de lui dire la vérité. Peut-être que ça va empirer la situation, je ne sais pas, mais au moins, je peux être totalement franc avec elle. “Tu sais très bien comment je suis Lou, je n’ai pas tellement changé depuis le temps. Et je sais que tu dois te poser des questions, que tu voudrais savoir des choses.” Je pourrais bien entendu répondre à chacune de ses questions si jamais elle veut savoir quelque chose.
Mais maintenant, il est temps de sortir toute ma franchise. De lui dire ce que je pense, ce que j’ai sur le cœur. “Je… je ne sais pas vraiment si c’est le bon moment pour te dire ce genre de choses mais je pense que j’ai quand même besoin que ça sorte.” Je me pose sur un bureau qui se trouve contre le mur, prenant mon courage à deux mains pour continuer. “Durant tout ce temps, ou je me suis retrouvé sur le terrain, en sachant très bien qu’au moment ou je rentre, tu n’allais pas être là, c’était difficile. À chaque instant, tu étais dans mes pensées. Et je m’en suis voulu tellement de fois d’être reparti une fois de plus, de t’avoir laissé. Mais je ne peux pas changer le passé Lou…”
Avant tout ça, me retrouver dans une salle de moins de 9m2 avec Luke m'aurait énormément amusé. Actuellement, ce n'était pas réellement le cas, j'étais plus mal à l'aise qu'autre chose ne sachant pas comment gérer la vague d'émotions qui me submergeait depuis quelques minutes. J'avais en face de moi le seul homme que j'avais aimé et que j'aimais encore -ne nous voilons pas la face- et que je détestais en même temps. Je lui en voulais tellement de m'avoir laissé que ma frustration prenait presque le dessus sur le reste. Je savais pertinemment que ce n'était pas bien mais j'étais blessée. « C'est difficile parce que tu n'as pas envie d'être là ou parce que me revoir n'était pas dans tes plans ? » demandais-je en essayant de ne pas trembler. Je n'avais jamais été du genre drama queen à faire des crises à Luke pour un oui ou pour un non. D'ailleurs, notre relation, malgré quelques disputes de couple basiques, avait toujours été saine et basée sur la confiance et l'échange. Il avait tout balayé d'un revers de main et je ne pouvais pas oublier puisque ça me hantait depuis deux ans. Deux longues années.
Je le regardais alors qu'il passait ses mains sur son visage. Il n'était pas bien. Je connaissais ses réactions, des mimiques et tout ce qui le caractérisait. « Je savais comment tu étais Luke, nuance. Parce que je n'aurais jamais pensé que l'homme que j'allais épouser me laisse derrière lui sans se retourner. Oui j'ai des questions mais je ne sais pas si toi, tu as les réponses. » Je le regardais, ne le quittant pas des yeux parce que je savais que si je le faisais, je ne pourrais alors plus le regarder à nouveau. Je n'étais pas spécialement forte, pas face à lui en tout cas mais je tentais de donner le change. Je l'écoutais alors que le bon moment était surement passé depuis longtemps mais mieux vaut tard que jamais, du moins c'était ce qu'on disait. Je fermais les yeux quelques secondes lorsque il me disait avoir pensé à moi et je détournais légèrement la tête alors que mes yeux s'embuaient. « C'est toi qui a décidé que je ne serai plus là... » J'aurais pu l'être encore si il n'avait pas choisi l'armée au détriment de notre histoire. « Tu avais deux ans pour revenir Luke, deux années pour ne pas faire qu'y penser mais tu ne l'as pas fait. Tu n'as rien fait, pas un mot, pas une lettre, rien... » Je ne retenais plus mes larmes, s'en était bien trop pour moi. « Non, on ne peut pas... » J'essuyais ma joue en tentant de reprendre un semi contrôle mais c'était une mission difficile. Je pouvais tenir le choc sur beaucoup de points, la médecine, la perte d'un patient, le manque de sommeil... Mais mon plus grand point faible était Luke et ce que je ressentais pour lui. Des sentiments que j'avais voulu faire disparaître mais qui n'avait jamais voulu partir.
Je me demande vraiment comment je peux faire pour améliorer cette situation. Car oui, c’est évident, maintenant que je la vois en face de moi. Même plus qu’une évidence. J’ai sûrement fait la plus grosse erreur de ma vie en la laissant, car même maintenant, même après toute cette histoire, j’ai juste besoin de plonger mon regard dans celui de la brune pour comprendre que c’est elle, avec qui je veux passer le reste de ma vie. Que c’était le bon choix, de lui demander sa main. Mais j’ai aussi l’impression que tout ceci est derrière, tout ça, car je n’ai pas eu l’esprit assez clair sur le moment pour prendre la bonne décision. “Non, aucun des deux. C’est difficile parce que le simple fait de t’avoir là, en face de moi, me renvoie l’équivalent d’une grosse claque dans la gueule, tellement je me sens idiot d’avoir pris cette décision.”
En la traînant ici, avec moi, dans cette petite pièce, je ne pensais vraiment pas que cette conversation allait prendre cette direction. Pour autant, je voulais lui dire ce que je pense, mais cela va bien plus loin que ça. “Tu as raison, tu le sais très bien, je ne peux pas dire le contraire. Je ne suis pas du tout fier d’avoir fait ce choix. C’est vrai qu'au fond, je ne sais pas du tout si je vais avoir les réponses que tu voudrais entendre, mais je suis quand même prêt à essayer, si tu le veux.” Il faut arrêter avec les faux-semblants, je n’ai jamais pu lui mentir, lui cacher quelque chose. Je ne joue pas avec elle et je ne l’ai jamais fait. Je le sais, au fond de moi, que je suis prêt à tout pour elle. “Et c’est une décision que je regrette, tu peux me croire…”
Si dans ma tête, je pensais vraiment que la conversation ne pourrait pas devenir plus difficile qu’elle ne l’ai tout de suite, il faut le dire, je me suis trompé en beauté. Le simple fait de voir les larmes qui coulent me déchire le cœur et c’est normal, pas seulement parce que je l’aime, mais surtout parce que je sais que c’est de ma faute. “Tu semblais être pourtant clair, au moment ou je devais choisir entre toi et l’armée. C’est vrai que je n’ai pas fait le bon choix, mais comment est-ce que j’aurais pu me rattraper après ça ? Au moment même où je suis sorti de la maison, je savais que j’allais regretter ce que je venais de faire.” Quand je la regarde, essuyant ses joues, voulant reprendre le contrôle, mais sans pour autant arriver à le faire, de mon côté, je dois dire que ça m’a fait totalement craquer. Je pouvais tellement sentir toute cette émotion m’envahir petit à petit, jusqu’à me rendre mal. En fait, j’ai l’impression d’être une horrible personne. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’avoir ce geste envers elle. Je sais très bien qu’entre nous, ce n’est clairement pas la joie, mais je ne peux pas supporter plus longtemps cette tristesse qui est en train de l’emporter. Je me rapproche d’elle et sans rien dire, je viens la prendre dans mes bras. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais pour moi, c’était la meilleure chose à faire. “Je suis vraiment désolé d’être celui qui t’a fait autant souffrir” dans un murmure, au creux de son oreille.
Contrairement aux films à l'eau de rose que je regardais parfois, je ne me posais pas la question de comment Luke et moi en étions arrivés là. Je savais parfaitement ce qui était arrivé, nos chemins avaient pris deux routes diamétralement opposées et nous n'avions pas réussi à nous en sortir. Au fond, j'avais trouvé la décision de Luke atrocement égoïste et ce qui m'avait littéralement brisée était probablement de réaliser qu'il aimait plus sa vie là bas qu'auprès de moi. Je me souvenais avoir pleuré pendant des jours et ne plus savoir d'ou provenait la force de lâcher ce flot de larmes. Parfois, je m'étais trouvée débile de réagir ainsi mais voir son monde, son avenir et son quotidien s'écrouler en quelques secondes n'était pas la chose la plus facile à vivre. Je défiais quiconque d'en rester stoïque.
Je le regardais, en écoutant attentivement ses paroles. J'avais espéré pouvoir comprendre sa décision depuis deux ans et maintenant que j'en avais la possibilité, je ne voulais pas rater une seconde de ce qui sortait de sa bouche. « Pourtant tu avais l'air de l'assumer, cette décision, pendant ces années. » Je n'avais pas eu de retour de son mal-être depuis son départ et je m'étais imaginée, des millions de fois, que j'étais la seule à souffrir de notre séparation. Après tout, lui avait fait un choix et entre les deux, il avait décidé que son épanouissement n'était pas au Australie. « J'ai peur qu'elles me fassent plus de mal qu'autre chose mais je dois prendre le risque, je ne peux plus rester comme ça... » Je ne précisais pas ce que le comme ça voulait dire même si ça me semblait assez clair. Pour avancer, j'avais besoin de comprendre même si je n'étais pas sure d'y arriver... Je n'aurais jamais choisi la médecine au détriment de Luke et je n'aurais jamais préféré aller me battre et peut-être mourir que de rester à ses côtés. « C'est facile de regretter une fois que c'est fait... » Les deux années de silence avait été douloureuse et j'avais envie de lui dire que j'étais passée à autre chose, que j'étais fiancée, heureuse, amoureuse, mais cela aurait été le plus gros mensonge de ma vie. J'étais bloquée dans le passé et je revivais son départ toutes les nuits. « Bien sur que je l'étais parce que je crois que je n'ai pensé qu'une demi seconde que tu pourrais choisir l'armée. Choisir de partir à l'autre bout du monde en risquant ta vie plutôt que de te marier avec moi. Si tu étais si malheureux Luke, tu aurais du me le dire ! Au moment ou tu es sorti de cette maison, tu avais juste à te retourner, juste ça et j'oubliais tout... » Les larmes avaient pris possession de mon visage et malgré l'effort surhumain que j'avais fait jusque là, allant même jusqu'à tenter de les essuyer, c'était devenu inutile. La douleur de revivre tout ça était trop intense et même si entendre ses regrets était plus plaisant que d'entendre qu'il assumait totalement ses actes, cela restait douloureux. Il se rapprochait de moi et me prenait dans ses bras, d'une étreinte forte et rassurant. Je ne pouvais le repousser, à vrai dire j'avais littéralement besoin de ses bras. Je tentais de me calmer et le serrais contre mon corps sans réfléchir plus loin juste pour apprécier ce qui m'avait tant manqué. Son souffle à mon oreille se terminait en frisson dans tout mon corps et je relevais doucement la tête pour plonger mon regard dans le sien. « Je te déteste. » Bien sur, je n'en pensais pas à un mot. D'ailleurs dans ces trois mots était caché un énorme sentiment d'amour... Puisque pour être autant blessé par quelqu'un, il fallait l'aimer de tout son être et de toute son âme et c'était totalement le cas. Je ne le détestais pas, je détestais le fait de l'aimer encore plus fort qu'avant son départ.
J’ai comme l’impression qu’elle est moi, on est resté bloqué à ce moment, ou j’ai pris la décision de détruire notre couple. Ce n’était pas du tout ce que je voulais, loin de là, car je le sais pertinemment que Lou est la femme de ma vie, j’en suis certain. Est-ce que je pensais que malgré son ultimatum, on aurait pu réussir à surmonter cette épreuve ? Bien sûr que oui, mais peut-être que cela ne venait que de moi, en fin de compte. “L’assumer ? Je n’en suis pas certain. J’ai surtout envie de dire que cette décision m’a bouffé intérieurement.” Depuis mon départ, il ne s’est pas passé un jour sans que je regrette de l’avoir abandonné. Mais comme elle le dit si bien, ce n’est pas possible de refaire le passé. Mon unique chance maintenant est de me concentrer sur le présent. “Je ne te force à rien, tu le sais bien. Mais si tu as besoin de savoir des choses, je peux le comprendre.”
Être malheureux avec elle ? Impossible, vraiment. Depuis le jour de notre rencontre, je ne peux pas me passer d’elle. J’ai passé les meilleurs moments de ma vie à ses côtés, comment est-ce que j’aurais pu me sentir mal à ses côtés ? Mais c’est normal qu’elle se pose la question après tout. “Tu sais très bien que ce n’est pas le cas. Tu es ce qui m’est arrivé de mieux dans ma vie et je le pense toujours. Ma décision, c’était égoïste de ma part, de ne penser qu’à moi. Tu es la meilleure partie de moi, je te l’ai déjà dit et je pourrais te le redire chaque jour.”
J’avoue quand même être un peu surpris, mais pas tellement non plus. C’est vrai qu’elle aurait pu réagir autrement, au moment où je la prends dans mes bras. Elle aurait très bien pu me repousser, ne pas vouloir de moi si proche d’elle. Mais j’ai très bien compris que c’était le contraire, quand j’ai senti son corps se serrer encore plus contre le mien. Depuis deux ans, je n’ai rêvé que de ça, de pouvoir la prendre à nouveau dans mes bras. Dans ses yeux, je commence à me perdre, à entrevoir la lumière qui pourrait faire disparaître cette noirceur qui me consume depuis l’armée. Et avec cette petite pique qu’elle m’envoie, c’est un sourire qui vient s’afficher sur mon visage. “Menteuse.” tout en essuyant ses larmes avec mon pouce, qui passe délicatement sur sa peau.
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