Cinq minutes. Voilà le temps qui est passé depuis que je me suis installé sur un des bancs de la salle et que j’ai commandé un chocolat chaud. Cinq minutes donc que la nervosité monte comme si j’allais monter sur scène dans les prochaines minutes bien que ce ne soit pas le cas. Plus ou moins. Si je suis ici c’est pour parler Théâtre avec Charles, donc ça concerne quand même pas mal ma passion. Mais peu importe. La raison de ma venue ici est très simple : j’ai trouvé le remplaçant parfait pour reprendre mon rôle dans la pièce que nous avons mis en scène.
Il s’agit, tout simplement, de Loan Severide. Ça fait plusieurs années que nous nous connaissons –du moins l’ais-je rencontré en Nouvelle Zélande lors d’un stage intensif de théâtre qui s’étendait sur plusieurs semaines- et nous nous sommes revu ici, à Brisbane, lors de mon premier concours de danse. Il faut dire ce qu’il en est : Loan est sans doute le rival le plus redoutable contre lequel je dois me battre. J’ai beau réussir à chaque fois à lui passer devant, mais ça ne se joue jamais à grand-chose. Parfois j’ai un peu pitié de lui et je serais presque tenté de refuser un rôle pour le lui laisser, mais en même temps je me dis qu’il serait sûrement sans pitié lui aussi s’il était à ma place alors je me refuse de lui laisser une quelconque chance.
Sauf maintenant. J’avais, ce matin, un nouveau rendez-vous avec mon chirurgien et, même s’il a accepté de remplacer le plâtre par une botte articulée qui me permet de marcher et commencer doucement la rééducation de ma cheville, il est resté sur sa décision d’il y a un mois : pas de sport avant au moins trois mois encore. Donc reprise de la danse dans plus ou moins quatre mois puis reprise de ma profession dans cinq ou six mois. Je sais aussi que, depuis mon accident le 1er octobre, Charles galère sincèrement à trouver un remplaçant. Il m’a assuré que ce ne sera que temporaire et dès que je pourrais remonter sur scène je retrouverais ma place, mais en attendant ils ont besoin de quelqu’un pour reprendre mon rôle. Et ça devient sincèrement urgent et critique, la prochaine date de spectacle étant fixé pour la semaine prochaine.
Alors j’ai décidé de ravalé ma fierté et j’ai tout fait pour que Loan et Charles se rencontrent. Je dois dire que c’était assez compliqué étant donné leur planning assez chargé –enfin surtout celui du metteur en scène- mais au final ils ont tous les deux accepté de venir ici à 15h30. Et si je suis aussi nerveux, c’est seulement parce que je n’ai aucune idée de comment ils vont réagir. J’imagine leur réaction autant positive que négative et ça me stress. D’autant plus que Loan et moi n’avons pas forcément l’habitude de se voir en dehors de la scène.
Hier soir, j’ai reçu un message de Clément Winchester me donnant un rendez-vous au Canvas afin de me dire quelque chose d’important. Quelque chose qu’il ne pouvait pas me dire par message. Autant dire que j’ai tout de suite accepté, mais que je n’ai rien dormi de la nuit. Il a été tellement mystérieux dans son message. Le genre de texto que personne n’aime recevoir. J’ai passé la nuit à me demander ce qu’il pouvait bien me vouloir. Je veux dire, on ne se connaît pas tant que cela. On se croise très souvent à des auditions et on échange quelques paroles, mais ce n’est jamais vraiment bien plus. Nous ne sommes pas amis. Juste deux connaissances qui bossent dans le même milieu. On pourrait même se considérer comme deux ennemis dans le fond. Il me pique toujours le premier rôle sans pitié. J’ai appris à le détester parfois, puis je l’oublie assez rapidement lorsque je vais le voir sur scène. Je veux dire, on ne se connaît pas tant que cela. C’est bien pour cela que je me demande pourquoi il veut me voir moi en particulier. Qu’est-ce qu’il a de si important à me dire ? Est-ce qu’il va m’annoncer qu’il a encore eu un premier rôle à ma place ? Je n’ai cessé de me poser tout un tas de questions toute la nuit et je n’ai pratiquement rien dormi.
« Arrête de te faire du souci comme ça. » Je relève la tête de ma tasse de café pour croiser le regard de mon père. Je n’ai pratiquement rien dit depuis que je suis arrivé dans sa cuisine pour prendre le petit-déjeuner comme d’habitude. Il sait que je dois retrouver Clément cet après-midi et cela semble le faire sourire. « Te moque pas pap’s. » Il ne peut s’empêcher de rire et viens me donner une deuxième tasse de café avant de poser sa main sur mon épaule. Je sais qu’il a raison. On ne sait vraiment pas ce qui va se passer, puis Clément m’avait assuré que ce n’était rien de grave dans le fond. Je dois arrêter de me faire des films et juste aller à ce rendez-vous. Advienne que pourra. Comme tous les matins, je finis par sortir les médicaments de mon père avant qu’il oublie de les prendre et lui souhaite une bonne journée. On a beau vivre dans une maison mitoyenne, on ne passe pas tout notre temps ensemble non plus. C’est vrai que je le colle un peu plus depuis que son rein ne va pas très bien, mais je sais aussi que mon père a besoin d’être tranquille. Je l’embrasse et finis par retourner chez moi.
Je suis allé courir pour me dépenser un peu, j’ai pris une longue douche et finalement, j’ai mis près d’une heure à choisir comment j’allais m’habiller. « Bordel c’est pas un date Loan ! » Oui, mais quand même… Je veux pas paraître négligé ou quoi. Et finalement avec tout ce cinéma, je pars avec cinq minutes de retard. Je me presse un peu et finis par passer la porte du Canvas à 15h35. Je repère tout de suite Clément de loin et m’approche de sa table. « Salut… » Je suis bien trop nerveux et m’assois rapidement en face de lui pour ne pas me balancer sur mes pieds comme un idiot. « Tout va bien ? » Je tente d’être un peu poli alors que je n’ai qu’une envie : savoir pourquoi il m’a convoqué ici. « Je peux savoir ce qui se passe ? »
Lorsque la porte s’ouvre et que Loan apparaît à l’encadrement, je sens mon cœur qui s’accélère subitement et ce sans réellement savoir pourquoi. La nouvelle que je souhaite lui annoncer est bonne, elle devrait lui faire plaisir, non ? Je ne veux pas non plus donner l’impression que je fais ça par pitié car ce n’est absolument pas le cas. Si je lui offre cette possibilité et que je propose Loan comme remplaçant, c’est par pur esprit professionnel. Je ne veux que le bien de la compagnie et je sais que le jeune danseur est un parfait atout. Je suis persuadé qu’il n’y a pas meilleur artiste que lui.
Alors, me détendant, je lui offre un sourire et me redresse lorsqu’il s’avance vers moi « Merci d’être venu» dis-je en l’observant s’asseoir. Il montre de très sincères signes de nervosité, si bien que je me demande réellement qui est le plus stressé de nous. Je pense que la réponse est évidente : lui. Car à peine ses fesses ont-elles touchées le siège qu’il me demande pourquoi je l’ai convié. «Parce que je … » commençais-je avant que je ne sois coupé par la porte qui s’ouvre à nouveau sur Charles. Sourire grandissant sur mes lèvres, je lève la main et fait signe au metteur en scène qui se dirige promptement vers nous. « Non, non Clément, reste assit» dit-il, son expression chaleureuse faisant écho à la mienne, et se penche légèrement vers moi pour une rapide étreinte en guise de salutation. «Charles, je te présente Loan » m’empressais-je de faire les présentations.
« Loan Severide» dit-il sur un ton Presque mystérieux avant de lui tendre la main «Tu étais merveilleux lors du dernier concours auquel tu as participé » assure-t-il en hochant la tête « la première place était amplement mérité» seulement parce que je n’y ai aps participé, ajoutais-je pour moi alors que Charles s’installe. «Vous avez déjà commandé ?» demande-t-il. Je lance un coup d’œil vers Loan puis hoche la tête «J’attend un cappucino donc prenez ce que vous voulez » aussitôt dit, aussitôt fait. « Bon alors Clément, pourquoi tu voulais me voir ?» il lorgne vers Loan « enfin, NOUS voir» se reprend-t-il, s’installant confortablement.
« Eh bien …» je prends une profonde inspiration et me penche en avant « J’avais rendez-vous avec mon chir’ ce matin et il est resté sur sa décision : pas de danse pour encore au moins 4 mois» Je déglutis légèrement à la grimace de déception de Charles mais ne réagit pas d’avantage «Ce qui veux dire que les prochains spectacles seront annulé » dit-il en baissant le regard vers le café que lui apporte la serveuse. « Non» reprenais-je en secouant la tête «Au contraire, j’ai trouvé le parfait remplaçant » expliquais-je, souriant à la lueur s’espoir qui apparaît dans le regard du metteur en scène. «Il est là » je pose mon regard sur mon rival «Loan serait parfait pour reprendre mon rôle » mon ton est assuré tant je suis persuadé à 100% par ce que je dis.
Hier soir, j’ai reçu un message de Clément Winchester me donnant un rendez-vous au Canvas afin de me dire quelque chose d’important. Quelque chose qu’il ne pouvait me dire par message. Autant dire que j’ai tout de suite accepté, mais que je n’ai rien dormi de la nuit. Il a été tellement mystérieux dans son message. Le genre de texto que personne n’aime recevoir. J’ai passé la nuit à me demander ce qu’il pouvait bien me vouloir. Je veux dire, on ne se connaît pas tant que cela. On se croise très souvent à des auditions et on échange quelques paroles, mais ce n’est jamais vraiment bien plus. Nous ne sommes pas amis. Juste deux connaissances qui bossent dans le même milieu. Il pourrait m’annoncer n'importe quoi qui pourrait complètement anéantir ma carrière ou au contraire la rendre bien meilleure. J’essaye toujours de voir le côté positif des choses, mais aujourd’hui je suis particulièrement nerveux. Heureusement, Clément est déjà présent lorsque j’arrive au café et je ne vais pas avoir à attendre bien plus longtemps. Il me remercie d’être venu tandis que je lui serre la main et prends place en face de lui. Bizarrement, lui aussi semble nerveux et je n’aime pas trop cela. Je le presse un peu, mais il s’arrête bien rapidement, son regard ancré vers la porte du café. Je me retourne pour voir ce qu’il observe avec tant d’insistance et tombe nez à nez avec Charles Johnson. Merde alors. Je me lève rapidement et serre la main du metteur en scène, bien trop admiratif pour dire quoique ce soit. Qu’est-ce qu’il fait là ? « Enchanté. » dis-je presque timidement. Merde. Je rêve de bosser avec lui depuis des années et voilà qu’il se retrouve en face de moi. Reste calme Loan. Dur à dire lorsque l’homme me félicite pour mon dernier concours de danse. Je crois que j’ai subitement rougi jusqu’à la pointe des cheveux. « Merci monsieur. » dis-je alors timidement.
Je ne commande rien lorsque le serveur s’approche de notre table, non je veux d’abord savoir ce que je fais là avec eux. Heureusement, Charles relance la conversation en se tournant vers Clément. Il parle d’une blessure et c’est seulement maintenant que je réalise qu’il a le pied dans le plâtre. J’étais tellement stressé par ce rendez-vous que je n’ai même pas réalisé qu’il était blessé. Et il annonce : pas de danse pour lui pendant encore quatre mois. La pire nouvelle pour quelqu’un comme nous. Je grimace. « Je suis désolé, Clément. » Et je le suis réellement, je ne souhaite cela à personne même pas à mon pire ennemi. Et Charles semble sincèrement déçu d’avoir perdu son premier rôle. Il parle d’annuler tous les spectacles à venir et soudainement, j’envie leur relation. Jusqu’à ce que Clément propose que je sois celui qui le remplace. Un instant, j’ai la sensation de rêver complètement. « Tu… T’es sérieux ? » Je suis à deux doigts de me pincer violemment le bras pour être sûr que je suis bel et bien éveillé. Clément hoche la tête et Charles me regarde sans rien dire. « Je… Je… » Arrêter de bégayer serait déjà un bon départ. « Enfin, je veux dire… Ce serait un honneur ! » Véritablement. « Je… Je suis prêt à travailler vraiment dur. » dis-je tout en m’adressant à Charles. « Je vous assure monsieur. »
Je savais que ma petite surprise ferait son effet. Dire que je connaisse Loan serait mentir, je ne lui ai jamais réellement parlé –surtout par peur d’une éventuelle engueulade parce que malgré le fait que je le respecte beaucoup, il faut avouer que je suis toujours passé devant lui et que j’avais toujours peur qu’il pense que je le faisais exprès- mais je sais parfaitement à quel point il adore Charles. Il ne l’adule pas comme moi (qui serais capable de faire un autel pour lui et le considérer comme un dieu) mais le metteur en scène est très connu et précédé d’une grande renommée. Travailler avec lui et pour lui c’est s’assurer une carrière solide dans ce milieu et je ne comprendrais personne que ne souhaiterais pas jouer dans une de ses pièces.
J’observe donc, sourire amusé sur les lèvres, comment Loan se met à rougir et bégayer, transpirant la nervosité, alors que Charles, lui, fait tout pour le mettre à l’aise. Je fini toutefois par reprendre la parole, avouant la raison pour laquelle j’ai décidé de leur donner rendez-vous ici. Lorsque je précise que je ne pourrais pas reprendre la danse avant 3 mois et que Loan me fait part de sa compassion j’avoue être un instant tenté de me taire et de ne pas continuer ma proposition. Il est peut-être sincère et ça me touche un peu, mais m’avouer vaincu pour le coup et céder ma place à mon rival n’est vraiment pas chose aisée. Toutefois, je réussi à me reprendre et indique à Charles, dont le regard se met à briller, que je ne vois personne d’autre que Loan pour reprendre mon rôle.
Cet aveux a l’effet d’une bombe sur le danseur qui ne sait plus où se mettre et commence à bégayer des choses telles que ‘t’es sérieux ?’ (non, je rigole HAHA c’est une blague je voulais juste te mettre devant le fait que tu ne vaux rien. HEHE) ou ‘je vais travailler dur’ (encore heureux, t’as pas intérêt à me décevoir) avant que Charles ne lève la main «Doucement » dit-il avec un sourire rassurant «Je dois dire que l’idée me plait bien » il me lance un coup d’œil « Comme dit, je t’ai déjà vu à l’œuvre et si Clément, un de nos meilleurs atouts, dis que tu es le remplaçant idéal, je pense que je peux le croire» je lui adresse un sourire reconnaissant «Et t’es sûr que ça te dérange pas Clément ? Non mais parce qu’on peut aussi reporter les spectacles et faire autre chose à la place et … » « non» le coupais-je en secouant la tête « Non, tu vas pas arrêter les spectacles pour moi !» m’insurgeais-je presque « Je pense sincèrement que Loan vaut mieux que …enfin tu sais, Joshua …» prononcer le nom de cette vermine m’arrache la bouche « Et puis …si on pouvait voir ensemble pour créer un petit rôle pour moi … pas forcément danser hein, mais genre, je sais pas …que je participe quand même au truc. Parce que bon, ne pas faire de danse ok c’est horrible, mais reste loin de la scène pendant trois mois ça me tuerais, je pense, littéralement» je pince les lèvres en une moue contrite.
J’ai la sensation de devoir me pincer plus d’une fois depuis que je me suis assis à cette table. Tout d’abord, parce que je me retrouve devant le célèbre metteur en scène qu’est Charles Johnson et surtout lorsque Clément finit par nous dire la raison de ce rendez-vous. Il ne pourra plus danser pendant plusieurs mois et pour ne pas faire annuler les spectacles, il propose que je le remplace. Comme ça, sans prévenir. Il aurait dû faire un petit warning sign, quelque chose, je sais pas. J’ai l’impression de manquer d’un air d’un seul coup. L’espace d’un instant, je me demande s’il est en train de se moquer de moi. Et je finis même par le demander à voix haute. Le jeune homme lève les yeux au ciel et je comprends que tout cela est bel et bien réel. Clément Winchester propose que je reprenne sa place. Merde… Moi qui le pensais un brin prétentieux et égoïste, je suis clairement en train de revoir mon jugement. Pris dans l’élan dans cette annonce, je m’emballe et commence à promettre monts et merveilles au metteur en scène. Je vais trop vite et trébuche presque sur mes mots, mais j’ai la sensation que si je ne saute pas sur l’occasion, je vais perdre à jamais ce rôle que l’on me promet. Charles finit par me couper la parole et je me tais en pleine phrase pour me redresser et l’écouter très attentivement. « Comme dit, je t’ai déjà vu à l’œuvre et si Clément, un de nos meilleurs atouts, dis que tu es le remplaçant idéal, je pense que je peux le croire. » Je me retiens vraiment de leur demander de me pincer le bras. « Ce serait un honneur. » J’ai besoin de quelques secondes pour réaliser, je crois. Tellement que je ne dis plus rien et laisse Clément et Charles parler entre eux. Je comprends tout de même que le jeune homme ne veut pas complètement abandonner la scène et soudainement mon cerveau se met à fonctionner à mille à l’heure. Je me rappelle de la pièce qu’ils ont mis en scène et soudainement une idée me viens. « T’as pas froid aux yeux Clément hein ? » Je vois bien qu’il est en très bonne condition physique malgré son pied dans le plâtre et je me doute qu’il soit capable de tout pour pouvoir rester sur le devant de la scène. « Parce que tu sais y a un des personnages là, Crutchie. Il a une béquille justement et… Enfin, tu pourrais le faire aisément non ? Comme ça, tu serais toujours dans le spectacle et sa chanson est plutôt cool en plus ! » dis-je en souriant et en parlant bien trop vite. « Enfin, je sais pas, je dis ça comme ça, mais je suis sûr qu’on peut l’adapter, non ? » demandais-je en tournant la tête vers Charles.
Proposer à mon plus grand rival de reprendre mon rôle est bien plus difficile que je ne le pensais. Et pourtant, en voyant la joie sur le visage de ce dernier ainsi que la motivation soudaine qui émane de tout son être me confirme l’idée que c’était la bonne décision. Une des plus difficiles que j’ai du prendre, mais la bonne tout de même. Baissant le regard, je les laisse échanger quelques instants et essaie de reprendre mes esprits, me disant que ce n’est qu’une mauvaise passe et que dans trois mois je pourrais reprendre mon rôle.
Lorsque Charles me demande si je suis vraiment sûr de ma décision, je suis, un instant, tenté de répondre par la vérité : non, je ne suis pas sûr du tout. Mais ne serait-ce pas extrêmement égoïste de ma part ? Priver les autres comédiens de la scène et de cette pièce pour laquelle nous avons travaillé longtemps et durement ces derniers mois ? Alors, affichant un sourire entendu, j’hoche la tête et lui donne la réponse qu’il souhaitais avoir : oui, je suis sûr de ma proposition. Je ne peux, toutefois, pas m’empêcher d’ajouter que si je pouvais avoir un petit rôle dans la pièce, je ne dirais pas non.
Mais, alors que Charles était sur le point de répondre, c’est Loan qui prend la parole et sa proposition est plus qu’alléchante. Même le metteur en scène semble emballer par l’idée de pouvoir ajouter le personnage de Crutchie dans la pièce. « C’est vrai que je n’y avais pas penser …» dit-il en hochant doucement la tête « Etant donné que le casting pour ce personnage n’était pas concluante, j’ai tout simplement réécrit la pièce sans lui mais …» il m’observe de haut en bas et croise les bras « J’dois avouer que c’est une très bonne idée» il lance un coup d’œil complice à Loan avant de sourire « je suis sûr que Clément serait très bon dans ce rôle, tu penses pas ?» lui demande-t-il avant de se tourner vers moi, reprenant son sérieux « Par contre, je ne veux pas que tu force de trop et je veux que tu fasses ça seulement si tu t’en sens capable, ok ? On va voir ensemble comment on va gérer ça mais il faut que tu me donnes ta parole que tu ne te surestimeras pas. Ok ?»
«Oui, oui, bien sûr » assurais-je en hochant vivement la tête « mais enfin …comme dit, je ne pense pas que jouer et chanter sera trop dur pour moi. Et danser … ouais, j’en parlerais avec le chirurgien quand je le reverrais la semaine prochaine. Mais tant que je ne fais pas des saltos ou d’autres enchaînements de ce genre, je ne risque pas grand-chose.» j’hausse les épaules « mais on verra bien tout ça ensemble» concluais-je en adressant un sourire gratifiant à Charles.
Il est sérieux. Il ne plaisante pas. Clément est réellement sérieux, il a pensé à moi pour le rôle, pour prendre sa place. Je n’ose pas imaginer à quel point cela doit être dur pour lui de devoir en arriver là. Tout de suite, je me dis que je vais devoir tout faire pour l’inclure au maximum dans le spectacle, notamment en ce qui concerne les répétitions. Je ne veux pas qu’il se sente mis de côté, loin de là. J’ai parfaitement conscience du sacrifice qu’il est en train de faire et je lui en serais éternellement reconnaissant. Tellement que je cherche immédiatement un moyen de pouvoir l’intégrer de manière concrète au spectacle. Je laisse Clément discuter avec Charles tandis que je me creuse les méninges. Je ne connais pas par cœur la pièce qu’ils ont mise en scène. C’est quelque chose d’ancien qui tournait à Broadway, il y a de cela quelques années, je n’ai dû la voir qu’une seule fois. Pourtant, je suis persuadé de me souvenir d’un personnage avec une béquille. Quelque chose qui pourrait vraiment correspondre à Clément. Je ne connais pas vraiment sa situation physique, je ne sais pas s’il pourrait réellement faire, mais je ne veux pas garder ma réflexion pour moi et la partage aux deux hommes en face de moi. Charles semble intéresser par ma proposition et cela me fait sourire. Au moins, je ne passe pas immédiatement pour un idiot. Le metteur en scène me demande même directement mon avis et je me sens rougir de la tête aux pieds. « Je… » Je ne veux pas juger la performance du jeune homme, mais surtout, je ne voudrais pas passer pour un fan hystérique. « Enfin, Clément serait bon dans n’importe quel rôle non ? » Je le pense sincèrement dans le fond. Il a eu tous les rôles pour lesquels j’ai auditionné, c’est forcément qu’il est bon en tout, non ? Bien entendu, Charles veut s’assurer que son meilleur élément puisse en être capable sans se blesser et sans jamais pousser son corps à bout. Je vois dans le regard du danseur qu’il aimerait en être capable, qu’il donnera tout ce qu’il a du moment ou il aura le feu vert de son médecin. Je suis persuadé que l’on va pouvoir faire quelque chose d’intéressant ensemble. « En attendant, je vais avoir besoin de toi de toute façon. » dis-je de manière un peu timide. « Pour les répétitions et tout ça, je veux dire. » ajoutais-je pour pas qu’il y est de confusion. « Qu’on parle du personnage et tout ça. » Je lui souris un peu et bois une gorgée de mon café. « Puis si tu fais Crutchie, on aura une chanson ensemble, je crois. » Et ça, ce serait le rêve de ma vie même si je ne vais pas lui avouer tout de suite. Je remarque que les tasses de deux hommes face à moi sont vide et je me redresse quelque peu. « Je vous offre quelque chose ? Pour vous remercier. »
Je souffle doucement lorsque Loan évoque le personnage de la pièce que Charles a effacé de notre version. Il est vrai que ce rôle serait parfait pour moi, il n'a pas réellement de pas de danse mais il chante et il joue et c'est tout ce que je demande. Toutefois, l'introduire dans la pièce que nous connaissons tous déjà demandera un énorme travail de réécriture puis un nouveau travail de jeu et de mise en scène. Ce ne sera pas facile mais je sais qu'avec Charles aux commandes nous y arriveront.
Souriant doucement, reconnaissant envers les deux hommes, je fini mon café et puis baisse le regard, rougissant presque lorsque Loan affirme que je serais bon dans n'importe quel rôle. Depuis le temps que je suis comédien j'avoue que je suis du genre caméléon à être à l'aise avec tous les rôles que l'ont puisse me proposer, mais qu'on me le dise comme ça, de façon direct, me fait toujours assez bizarre. Va falloir que je m'y habitue, je pense.
Prenant une profonde inspiration, je me passe une main sur le front puis relève mon regard vers les deux hommes «On fait comme ça du coup ? » J'attends leur confirmation puis hoche la tête et me redresse «Parfait. Charles, tu me dis si t'as besoin d'aide pour la réécriture, j'ai aucun impératif et je suis totalement dispo tout le temps » assurais-je, attrapant mes béquilles avant de me tourner vers mon rival qui sera dorénavant mon partenaire de scène « Loan, on se revoit demain. Soit pas en retard » un sourire en coin et un ton presque amusé adoucissent considérablement le côté droit de mes paroles.
Sans un mot de plus, je me lève et passe encore au comptoir pour payer ma consommation avant de sortir. En laissant les deux hommes derrière moi, l'impression de faire la plus grande erreur de ma vie grandit encore plus en moi et je remercie le ciel et la terre que mon appartement n'est pas loin et qu'en plus Sybbie et Moana sont présentent. Sans quoi Cian m'aurait sans doute à nouveau retrouvé en crise de panique dans une ruelle adjacente.
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