| louseph + history repeats itself |
| | (#)Mar 8 Oct 2019 - 23:14 | |
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L'armoire à glace et sa petite troupe de sbires ressemble à un gros pigeon entouré de sa cour. Il bombe son torse velu et gonfle son double goitre tandis que je m'incruste dans leur cercle du haut de mes trois cartons de pizza et demi. Ma nuque se tord afin de faire face à ce pseudo-alpha médiocre, et je croise les bras, déterminée. "Je cherche Joseph, tu sais où je peux le trouver ?" je demande, assez poliment pour que ma fermeté soit palliée par mon minois d'éternelle poupée de cire. Le troll se gratte la barbe, dans une intense réflexion feintée qui masque bien mal son regard baladeur le long de mes cuisses nues. "Keegan ?" Je roule des yeux. Il temporise, moi je n'ai pas de patience en stock pour son one man show."Non, Joseph le faux papa de Jésus." Les malabars gloussent ; leur rire galvanise contre cette pointe de crainte que j'avais d'eux jusqu'à présent, et je lève un peu plus le menton, attendant toujours l'information qui m'est dûe. "Elle mord toujours, la petiote !" Mes yeux roulent dans leurs orbites. Si je tire souvent profit d'une bouille comme la mienne dans un battement de cils innocent excusant toutes mes sales manies et grosses bêtises, il est loin d'être facile, au quotidien, d'avoir un faciès de vingt ans tout juste à bientôt trente-et-un. Être prise au sérieux, c'est un de mes combats quotidien, et je compte bien faire en sorte que ma petite entreprise change cela. "Alors, Joseph ?" je reprend, l'impatience brûlant la politesse au bord de mes lèvres. L'homme me jauge, à voir si je mérite son aide -elle est trognonne qu'il se dit sûrement, inoffensive, l'ancien petit animal de compagnie de Mitchell, drôle qu'elle foule toujours le pavé, sacré spectacle. Finalement, il hausse ses larges et lourdes épaules, faisant gigoter la naissance de ses seins de graisse comme un pudding abandonné au frigo. "Il traîne dans ce bar au coin de la quatrième et de la cinquième en ce moment. Tu devrais lui mettre la main dessus là-bas." qu'il lâche finalement à la rase motte comme si ça lui en coûtait douze briques et une demie bourse. Mais dans son immense bonté, il fait l'effort de lever un bras et de pointer vaguement la bonne direction -demi-tour puis à gauche si j'en crois l'angle droit de sa main. Alors je tourne les talons sans plus de cérémonie, sans un mot, encore moins un merci, estimant avoir déjà perdu assez de temps avec cette bande de rigolos. Et alors que j'arrive au bout de la ruelle, j'entends de loin ; "J'ai même pas droit à une branlette pour le tuyau?!" Puis des gloussements. Je lève un doigt fièrement par dessus mon épaule, disparaît à l'angle et laisse finalement un rictus amusé faire trembloter le pli de ma bouche. Sacré Vern.
Au coin de la quatrième et de la cinquième. Le panneau planté dans le bitume est là. Je suis là. Le bar est là. Si Joseph s'y trouve, nous serons décidément aussi bien alignés que des étoiles un foutu soir de Jupiter en Scorpion. Je pousse la porte, laissant un vent de musique forte s'échapper vers l'extérieur et souffler dans mes cheveux, frôlant mes oreilles comme si la mélodie et moi nous connaissions depuis un bail. Je suis sûrement déjà venue ici, j'ai peut-être joué là avec les Street Cats. Si cela avait été le cas et qu'ils nous avaient décemment payés, je m'en souviendrais probablement. Mes mains s'enfoncent dans les poches de mon bomber, mon regard glisse de crâne chauve en vieille casquette, de dreads qui schlinguent en man bun hipster. Jusqu'à la tignasse brune que je cherche en particulier. Il est au comptoir, comme si rien n'avait changé, comme si le temps s'était arrêté entre aujourd'hui et la dernière fois que nous nous sommes croisés. Je ravale un sourire, éclate une bulle de chewing-gum à la cerise dans un paf bien sonore. Une profonde inspiration, et je reprends ma marche de l'empowerment. Mon derrière atterrit sur la chaise haute à droite de Joseph, mon épaule le frôle en toute conscience. "Eh, belle gueule, je lance pour attirer son attention. Je te paie un verre ?"
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| | | | (#)Mer 9 Oct 2019 - 22:50 | |
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Brisbane est endormie et la nuit est lancée depuis quelques heures déjà. Les lumières du bar son tamisées et la silhouette de tous les consommateurs d’alcool découpe le nuage de fumée qui s’élève dans les lieux. C’est un mélange de tabac et de cannabis qui aromatise l’air et Joseph s’accroche à la seconde odeur dans l’espoir de récupérer un peu des effets apaisants de cette drogue douce. Attablé au comptoir du barman, il sirote un verre de vodka – comme d’habitude – en observant les courbes des femmes – comme d’habitude. Des bourrasques de rire gras provenant d’une table voisine se fracassent contre les tympans du garçon qui se contente de cacher sa tête entre ses épaules pour se protéger de cette mélodie mal accordée assourdissante. Il jette parfois quelques regards à l’homme derrière le comptoir, l’air de dire « putain, ils se croient seuls au monde, ces types ». C’est justement cette complicité naissante entre les deux qui lui offre le privilège d’un second verre gratuit. Lorsqu’il le porte à ses lèvres, les yeux clos, pour profiter au maximum de la saveur de la boisson forte, un coup de vent effleure son bras. Il n’accorde pas d’importance à ce changement de température à sa droite mais, quand une voix féminine vient caresser sa joue, il pivote la tête vers sa nouvelle compagnie – et quelle compagnie ! Il la reconnait immédiatement comme si son visage avait été préservé dans les archives de son cerveau et, machinalement, Joseph se met à observer les alentours, le regard attentif et les sourcils froncés d’incertitude et c’est seulement lorsqu’il décide à mettre fin à sa recherche qu’il repose son attention sur la petite qu’il a rencontrée plusieurs années auparavant. Il n’a pas reconnu un seul membre du club dans le bar et Dieu sait que son cœur serait tombé dans le fond de son ventre s’il avait découvert les yeux perçants de Mitchell à travers la foule. Pourtant, la présence de cette femme embrase sa curiosité tellement puissamment qu’il en oublie la proposition qu’il aurait évidemment acceptée – on ne refuse pas un verre gratuit lorsqu’on n’a pas un sou dans sa poche. Sur un ton méfiant, presque désintéressé, parce qu’il craint de connaître la raison de sa visite, il marmonne sans la regarder : « Qu’est-ce que tu m’veux ? » Cinq années se sont écoulées sans qu’il ne remette la main dans le ventre du marché noir et, si cet univers lui manquait lorsque les barreaux de la prison lui dérobaient sa liberté, aujourd’hui il croit avoir réussi à bâtir un mur de brique solide entre lui et la criminalité. Il sait qu’il n’aura pas de seconde chance et que, s’il se fait prendre à nouveau par la justice, il ne s’en sortira pas sans écoper d’une peine encore plus longue. L’idée de retrouver sa cellule le hante encore à chaque fois qu’il se retrouve coincé au milieu des trop nombreux usagers des transports en commun. Il a besoin d’air, l’australien, et la prison l’empêchait de gonfler ses poumons assez pour que sa poitrine lui donne un air de montgolfière. Malgré le respect complet de la promesse qu’il s’est fait – celle de ne plus jamais se laisser emporter par la tentation du marché noir–, il est dans le fond du gouffre, Joseph, et une petite voix lui dit que la jeune femme à sa droite n’est pas là pour lui proposer une échelle. « J’t’assure que si tu m’dis rien d’intéressant, j’aurai aucun regret à te claquer la porte au nez. » qu’il ajoute avant de caler le fond de son verre sans grimacer. Il le repose fermement sur le comptoir, assez fort pour en faire vibrer le bois malgré son épaisseur. C’est un seul et unique avertissement : ne me fais pas perdre mon temps ou tu regretteras de m’avoir trop facilement trouvé.
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| | | | (#)Mer 18 Déc 2019 - 18:47 | |
| Il a l'air déjà rincé et d'humeur massacrante, le brun lové dans une étreinte passionnelle avec le comptoir du bar. Ce n'est pas son « Qu’est-ce que tu m’veux ? » qui me prouve le contraire. Je suppose que toute personne normalement constituée partirait donc du postulat que le moment est mal choisi pour aborder Joseph et abandonnerait cette quête pour une autre fois plus propice, néanmoins, n'ayant jamais vanté la sainteté de mon esprit, je poursuis sur ma lancée. "Te faire boire, on dirait. Et que tu écoutes." je réponds, armée d'une douce désinvolture ; le ton et le regard mielleux, la langue qui claque avec détermination. D'un geste de la main, je demande au barman de resservir le jeune homme, comme une offrande et une preuve de bonne foi, et de me donner un verre également au passage, lui, pour le courage. Car je sens que l'affaire qui m'amène ne sera pas si facilement menée que ce dont j'avais l'espoir en me lançant sur les traces de Keegan. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'une mauvaise graine d'un jour l'est pour toujours, si tant est que le vice coule dans droit dans les veines comme l'alcool dans celles de Joseph. « J’t’assure que si tu m’dis rien d’intéressant, j’aurai aucun regret à te claquer la porte au nez. » qu'il renchérit, incapable de me dissuader de lui faire ma proposition pour autant. Dans un appel au cessez-le-feu, mes mains inoffensives se lèvent ; "Oh, chill le chihuahua. Je viens en amie." Puis, maintenant que mon verre plein est apparu devant moi, abaisse mes dix doigts pour les poser de part et d'autre de ma boissin. "On dirait que t'en a besoin." Ça, ou de tirer un coup. Mais cela n'est certainement pas l'option que je compte lui suggérer ce soir, ayant dernièrement l'extravagante résolution de m'essayer à la monogamie de mon plein gré. Bien assez de choses se trament dans le dos de Finnley pour qu'il subisse en plus ma naturelle incapacité à garder les cuisses fermées à la moindre tentation ou dès lors que la situation m'est profitable. De tous mes secrets, toutes mes cachotteries, mes disparitions sans explications, je ne veux plus que mon affection fasse partie de la longue liste des doutes et autres soucis à alimenter dans sa tête rousse. Après une gorgée, je reprends ; "J'ai une proposition pour toi. Un job." Mon doigt inquisiteur l'empêche de me couper la parole avant même que l'idée ne lui passe par la tête. "Attends avant de m'envoyer chier." Je veux qu'il écoute, qu'il réunisse sa poignée de neurones et se taise quelques minutes, juste le temps pour moi d'avoir une chance d'être entendue. Qu'il grogne, aboie et peste après cela, peu importe. "Je sais que t'es hors circuit. Ça a pas dû être facile, la taulea, dis-je avec une sincère compassion, non sans songer à tous les membres du Club qui s'y sont retrouvés par ma faute. C'est encore moins facile d'en sortir, j'imagine." Il me vient à l'esprit un parallèle entre les étroits mètres carrés d'une cellule, et ceux d'une chambre d'hôpital. Je me souviens parfaitement de ce que je ressentais à la sortie de ma dernière cure de désintoxication. La soif de liberté mêlée à l'angoisse, cette peur inspirée par la grande ville, la marée d'options s'offrant à moi. L'impression d'être submergée par l'agitation et le bruit, oppressée, perdue. J'ai cherché ma place dans cette société, j'ai essayé, la tête me tournant d'un trop plein d'oxygène, l'air toxique d'une civilisation au bord de l'implosion. "Le monde est soudainement… beaucoup trop grand." je souffle plus bas. Trop vaste, trop exigeant. Une quête d'acceptation impossible une fois l'étiquette collée sur le front ; comme je disais, la mauvaise graine. Le fruit pourri, la chair nécrosée. Pour avoir une place, il faut se la faire soi-même, c'est ce que j'ai appris. C'est ce que je compte appliquer. "Les gens comme nous, on croule pas sous les talents, si tu vois ce que je veux dire, je poursuis avec un rictus de connivence. On est bons dans un truc. C'est juste que c'est pas assez pour survivre dans le monde tel qu'il est. Ça ne rentre dans aucun moule proposé. Oh et puis, est-ce qu'on a vraiment envie de rentrer dans un moule, hm ?" C'est sûrement cette ambition qui me perd à chaque fois. La volonté d'être spéciale, hors norme, impossible à forcer dans un carcan d'obligations et de dogmes. Quoi de pire que les règlements ? Je chéris trop ma liberté, mais je veux un guide. Je veux être marginale, mais pas seule. Survivre mais avoir les pieds au bord du vide. Cracher sur le monde et l'avoir à mes pieds. Oui, je veux tout et son contraire. Et plus encore. "Ça te plait, toi la normalité, jusqu'à présent ?" je demande avant de reprendre un peu de vodka. Pas mon alcool de prédilection, mais je ne me suis pas attardée sur la carte face à la patience inexistante de Joseph. "En tout cas ça a pas l'air de te réussir." j'ajoute en désignant son propre verre, pas le premier, pas le dernier non plus. L'anesthésie générale appréciée de tous lorsque le poids de l'existence devient oppressant. Le poison dont on se délecte, en espérant ressentir moins, mourir un peu plus demain. "Moi, je m'emmerde, dis-je, catégorique. Et j'ai besoin de thunes." La question est : qui n'en a pas besoin ? Pour les études, un nouvel iPhone, suivre la tendance, être à la page, continuer de marcher au même pas que le reste du troupeau de peur de finir à l'arrière, le croupion croqué par les prédateurs. Pour mettre maman à l'abri du besoin, payer la maison de retraite qui coûte un rein tous les mois. Pour acheter cet appartement qui permettra enfin de faire plus de deux pas entre la cuisine et la chambre, et la déco qui va avec. Pour financer un hobby, pour assouvir un désir, une addiction. Pour bouffer, à l'occasion. "Honnêtement… ça me fait de la peine, te voir comme ça. T'étais bon dans ce que tu faisais. C'est vraiment du gâchis." Maintenant, je le vois venir. Où est-ce que tout ceci mène ? Qu'est-ce que je veux, concrètement ? Quel est ce job ? Déterminée, je pivote sur ma chaise en la direction de Joseph et force son regard à rencontrer le mien pour le sortir de la torpeur de cette pile de belles paroles. Les choses sérieuses, certes. "J'ai besoin d'aide, dis-je. Et je veux t'aider aussi, par la même occasion." N'a-t-il pas assez subi depuis sa sortie de prison ? Tout ce que le monde nous jette droit à la figure et qu'il faut encaisser. Tous les coups qui laissent des bleus, nous usent, nous rincent comme de vieilles guenilles. N'a-t-il pas l'impression d'être le paillasson sur lequel le reste de la société s'essuie les pieds ? Tout le monde a cette rage, au fond. Cette gorge sèche d'injustices et d'échecs face à des batailles impossibles à gagner. Cette énergie brute, ce souhait de batailler, l'esprit révolutionnaire. De prendre sa vie en main, et de lui faire valoir quelque chose. "Je monte un business. Pas vraiment du porte à porte de vente d'aspirateurs, tu vois. J'ai besoin de gens avec ton genre de talent." Outre les compliments, j'ai une autre carte dans ma manche qui devrait le persuader ; "Tu toucheras vingt pour cent de tes ventes."
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| | | | (#)Jeu 19 Déc 2019 - 0:03 | |
| Une petite femme qui agit comme un hamster : ça ne devrait pas être trop difficile pour Joseph de gérer cette intrusion dans cette soirée qu’il voulait passer seul. À moins qu’elle soit entrée dans ce bar accompagnée : c’est cette idée qui arrive à inquiéter le garçon qui ne devrait pourtant pas craindre de se faire déranger par une personne qui ne pourrait pas l’abattre d’un coup. Il a reconnu le visage de la jeune femme sans avoir besoin de trop l’analyser : ce faciès appartient au club et, si cela fait plusieurs mois que Joseph évite judicieusement de se faire remarquer par cette organisation illégale, ce soir il déteste savoir qu’il n’a suffi que d’un coup d’œil de la part d’une de ses membres pour le détacher de la foule. Alors, il joue le rôle du chien enragé auquel il ne faut pas déloger l’os au-dessous de sa patte et il se met sur la défensive, les muscles plus tendus qu’ils ne devraient l’être lorsque le goût de la vodka tapisse sa langue. « Te faire boire, on dirait. Et que tu écoutes. » Toujours occupé à scruter les alentours, il ne se laisse pas appâter par la énième consommation qui lui est servi et il ne fait que porter le verre à ses lèvres pour avaler le jus russe sans remercier la petite pour son cadeau probablement empoisonné. Pour rapidement la ramener sur Terre et pour lui éviter de rêver trop longtemps, il lui précise qu’il ne l’écoutera que si elle a quelque chose de véritablement intéressant à dire. Un gloussement gonfle sa poitrine quand elle le compare à un chien de petite taille et il secoue la tête de droite à gauche pour la faire changer d’avis : non, il n’a pas besoin d’amis – enfin, c’est ce qu’il croit. Du moins, il n’a pas besoin du club pour obtenir sa portion de tarte de l’amitié. « J’ai une proposition pour toi. Un job. » Joseph ne régit pas. Son visage reste aussi impassible que la roche et il déglutit en serrant ses doigts autour de son verre vide, ses jointures se teintant de blanc. « J’ai pas besoin d’job. » Un long soupire s’échappe par ses narines et il préfère détourner le regard vers ailleurs alors qu’elle lui demande d’attendre un peu pour entendre la proposition qu’elle a à lui faire. Mais, au fond de lui, le garçon sait qu’aucun des mots qu’elle dira pourront l’intéresser : de toute façon, il se ferait violemment punir par les manthas s’il prenait la mauvaise décision d’aider le club d’une manière ou d’une autre. Il est fidèle, beaucoup trop, même. Sa nouvelle compagnie indésirable essaye de l’attraper dans son filet en usant d’une compassion qu’il juge fausse et il marmonne un juron à son encontre lorsqu’elle mentionne la difficulté qu’il a dû éprouver en prison et à sa sortie. Certes, les choses n’ont pas été faciles mais il a fait partie des quelques chanceux qui se font attendre à la porte de sortie : Deborah était là pour le prendre dans ses bras et pour l’accompagner dans les paysages encore verts de Brisbane. Elle est justement la raison pour laquelle Joseph a renoncé à la promesse qu’il a faite à Alec lorsque ce dernier a accepté de lui présenter les principaux éléments qui forment le club à condition qu’il les rejoigne le jour où son incarcération ne serait plus que vague souvenir. « Le monde est soudainement… beaucoup trop grand. » Il aimerait l’insulter, pousser son tabouret avec son talon pour la faire tomber à la renverse mais il apprécie de l’entendre s’enfoncer dans ses paroles dignes d’un psychologue : s’il peut puiser un peu de plaisir dans cette discussion aussi vide que l’espace, pourquoi pas (elle est vide parce qu’il ne croit pas une seule seconde qu’elle est réellement empathique vis-à-vis de lui). Alors, il la laisse continuer en esquissant un sourire sarcastique qu’il cache avec son verre et ses doigts. « est-ce qu’on a vraiment envie de rentrer dans un moule, hm ? » Bon, là il ne peut pas s’empêcher de laisser une connerie s’échapper de ses lèvres : « En effet, j’suis pas un gâteau. » Il est aveuglé par une fausse impression : il ne pourra jamais la prendre au sérieux s’il continue de penser que cette jeune femme appartient encore au club. « La normalité ? Tu crois vraiment que ma vie est devenue normale ? » Il lute tous les jours contre son addiction, ne dort presque pas, ne mange que des sandwichs aux œufs ou au poulet (il arrive quelques fois à en trouver au jambon, quand c’est son jour de chance), et il est payé pour faire semblant d’être baraqué. Une vie tout à fait normale. Yep. « Réponds pas, j’ai pas envie d’savoir ton avis. J’ai pas l’impression qu’tu me connais réellement, comme j’te connais pas moi non plus. Tu pourrais t’appeler Albert et j’serais pas surpris. » Il lève le doigt pour faire signe au barman de lui verser une autre dose de son liquide préféré, ne comptant plus le nombre de consommations qu’il a prises, plutôt désireux d’oublier la soirée. « Moi je m’emmerde et j’ai besoin de thunes. » Il hoche la tête en haussant les sourcils, faussement intéressé par cette révélation qui n’en est pas vraiment une. Il est prêt à simplement se lever pour trouver un coin plus tranquille mais elle l’arrête sans le savoir en lui lançant un compliment qui ne devrait pas en être un pour une personne qui souhaite respecter la loi. Il était bon pour vendre de la poudre magique. La mâchoire de Joseph se crispe, ainsi que ses poings, et il fixe un peu trop longtemps la table en tentant de balayer de sa tête les images qui défilent dans sa mémoire : les soirées pizza avec ses potes, la joint qui se glisse de lèvres en lèvres, les mauvaises vannes balancées en même temps que les oreillers. Les manthas lui manquent plus que tout mais jamais il ne l’admettrait à voix haute. C’est son petit secret à lui seul. « J’ai besoin d’aide et je veux t’aider aussi, par la même occasion. » Ses poumons se gonflent et il pose enfin ses yeux sur son interlocutrice. Des yeux humides de colère mais aussi de nostalgie. Sans plus attendre, la jeune femme étale les modalités sur la table sans attendre l’avis du concerné mais ce dernier secoue vivement la tête et soulève la main pour l’arrêter. L’argent ne l’a jamais intéressé, ce n’est pas comme ça qu’elle arrivera à le convaincre de faire une connerie. « Va te faire foutre. Je vous l’ai déjà dit : je ne joindrai pas votre stupide gang. » Et il baisse le ton de sa voix pour se faire plus discret : « J’ai un honneur à préserver. Et j’préfère garder mes deux jambes. J’ai pas l’impression que tu sais c’que ça représente de trahir les manthas. » Discrètement, il mime avec ses doigts un couteau posé contre sa gorge et il souffle, coup final : « J’te recommande maintenant d’aller sucer un autre mec. » |
| | | | (#)Mar 31 Déc 2019 - 0:21 | |
| Tout le monde a besoin d’un job. Ces verres ne vont pas se payer tout seuls, l’appartement qu’il loue peut-être en ville non plus. Et tous les à côtés… Joseph peut bien le nier, l’argent plaît, l’argent sent bon, l’argent facile encore plus. S’il se donnait la peine d’écouter, de me donner quelques minutes comme je le lui ai demandé, il se rendrait compte que la proposition est intéressante. L’idéologie est là, pour sûr. La liberté et le vice, le frisson du danger donne la sensation d’être un peu plus en vie, le plaisir de sévir de là où le reste de la société préfère détourner le regard. Mais c’est à peine s’il me jauge du coin de l’oeil, le brun, et les mots de mon monologue s’envolent d’une oreille à l’autre sans écho dans son crâne vide. C’est presque s’il me tourne en dérision. Je ne sais pas s’il mord toutes les mains tendues ou si c’est uniquement ma tête qui ne lui revient pas. Pourtant, comme il dit, on ne se connait pas vraiment. Moi, j’ai eu le temps de m’informer sur les gens qui sont sur le marché actuellement. Des indépendants, comme qui dirait, ou des jeunes retraités de ce milieu. Tout ce qui n’est pas sous le joug du Club de près ou de loin, et donc, tous ceux qui seraient libres et intéressés par mon projet. Joseph était sur la liste. Mais de la belle époque, il ne semble pas se souvenir de moi. C’est certainement pour cette raison qu’il ne m’a pas encore foutue à la porte en faisant pleuvoir les jurons. Les traîtres sont rarement les bienvenus. « J’ai un honneur à préserver. Et j’préfère garder mes deux jambes. J’ai pas l’impression que tu sais c’que ça représente de trahir les manthas. » Définitivement, si Keegan savait qui je suis, il saurait également que j’en connais un rayon en trahisons et représailles. J’entretiens le mystère en ma faveur. « J’te recommande maintenant d’aller sucer un autre mec. » Je le toise, pas plus dégoûtée par la perspective de tailler une pipe à quelqu’un d’autre que par l’hypothèse de lui en avoir soit disant taillée une à lui. Je suis aux abois dans le cadre de ce recrutement, mais pas désespérée. “Très classe.” je crache en lui offrant mon majeur. Ce type est une foutue perte de temps.
Je termine mon verre cul sec, décidée à ne pas être prise pour une abrutie plus longtemps. J’ai d’autres personnes à voir qui montreront sans doute plus d’intérêt que lui pour l’affaire. Et s’il passe à côté des thunes qui sont à la clé, c’est son problème, pas le mien. “T’sais quoi ? T’as raison, je reprends, ma patience arrivée à bout en un rien de temps. T’as pas besoin de job, et j’ai peut-être finalement pas besoin d’un salopard de déchet dans ton genre.” Joseph montre les crocs depuis mon arrivée et j’ai tenté la manière douce. Néanmoins, je sais moi aussi grogner et faire les yeux noirs, et si c’est le seul langage qu’il comprenne, alors c’est celui que je peut adopter pour lui rentrer les choses dans le crâne. “Tu gâches ta loyauté pour un gang qui appartient au passé. Ils sont finis, les Manthas. La moitié est derrière les barreaux, et c’qui reste baisse son froc devant le Club.” Sale fin pour l’un des rares concurrents qui tenait la route. L’organisation de Strange a de plus en plus des allures d’avalanche prête à déferler sur Brisbane. Il a toujours été beaucoup trop simple de se fournir en coke dans cette ville, mais plus la machine du Club prend de l’ampleur, plus la poudre a l’odeur de la pourriture de son leader. “Alors si t’as encore peur des Manthas, c’est que t’es pire fiotte que ce dont t’as l’air.” je lâche, prête à partir. Mais entre temps, quelque chose a changé dans le regard de Joseph. La colère est toujours là, la pointe d’agacement à mon égard aussi. Et autre chose, qui me retient, qui m’intrigue. C’est dans ce regard que je trouve mon second levier stratégique afin de le faire accepter. “Tu savais pas, hein ?” Je me calme en un rien de temps et repose mes fesses sur le tabouret du bar. Sa famille s’est dissoute. S’il y a quelque chose que je connais bien, c’est la sensation de soudainement perdre ses repères. Keegan est hors circuit, mais cela n’efface pas le temps passé avec les Manthas. “Ecoute, je souffle tout bas, prête à abattre une nouvelle carte, j’entends bien me venger de Mitchell. Tu pourrais venger tes amis.” L’argument de l’argent n’a pas fait son effet, soit. Je respecte les personnes qui ne se laissent pas acheter aussi facilement, c’est au pire un manque de pragmatisme et, au mieux, une preuve de loyauté. Joseph m’a prouvé en quelques instants que cette vertu est importante à ses yeux ; il ne me restait plus qu’à la lui secouer sous le nez dans l’espoir que l’appel de la vengeance fasse son petit effet.
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| | | | (#)Mar 31 Déc 2019 - 3:15 | |
| « Très classe. » elle répond en levant son majeur pour le pointer en sa direction. Il l’observe du coin de l’œil jouer son numéro de cirque et un minuscule sourire amusé trahit le sérieux qu’il essaye de maintenir. Ça l’a toujours amusé les femmes qui ne se gênent pas pour faire preuve de vulgarité lorsqu’il le faut. Cependant, ce n’est pas avec ce genre de geste qu’elle arrivera à le convaincre d’accepter son offre – une offre tellement vague et imprécise, de toute façon. « Toi aussi. » il répond avant de simplement pivoter la tête vers l’avant pour fixer là où la jeune femme ne se trouve pas, certain d’avoir gagné la partie et qu’elle le laissera dorénavant seul avec sa boisson. Justement, elle semble se raviser parce qu’elle termine sa consommation d’une traite, probablement pour ne pas en gaspiller une seule goutte. Il se croit débarrasser de cette présence intrusive jusqu’à ce que sa voix s’élève à nouveau pour venir agresser ses tympans. Une nouvelle fois, le garçon serre les poings et soupire en affichant un air épuisé. « T’as pas besoin de job, et j’ai peut-être finalement pas besoin d’un salopard de déchet dans ton genre. » Il fronce les sourcils et se pince les lèvres, pensif : ouais, c’est bien la première fois qu’on le traite de ce nom. Le terme salopard lui a déjà été collé sur le front mais jamais il n’a été mélangé au second terme; déchet. Salopard de déchet. Ça ne sonne pas très bien, la combinaison n’est pas harmonieuse. Dommage. Occupé à critiquer mentalement la mauvaise insulte qu’elle vient de lui souffler, Joseph ne capte pas le sens des mots de la prochaine phrase de la jeune femme, du moins, pas avant qu’elle ne prétende que la moitié de ses anciens potes baissent leur froc devant le Club. Rapidement, comme happé par la foudre, il plonge son regard sévère dans le sien et observe attentivement ses pupilles pour lire plus loin que ses mots, à la recherche de la lueur qui trahit un mensonge. Autour de lui, les chaises semblent grincer, les tables semblent s’écrouler, des lambeaux de tapisserie frisent jusqu’au sol. Il se sent plongé dans l’obscurité et seules deux iris noisettes l’empêchent de succomber à l’appel de la noirceur. Le petit hamster ajoute une seconde couche de glaçage sur le gâteau et il se secoue enfin les puces pour détacher son regard du sien. Il fixe ses doigts accrochés à son verre et a l’impression de ne plus pouvoir les déplier. Lui et la salle ne font qu’un : le tabouret n’est plus qu’une extension de lui et le comptoir s’est approprié ses coudes pour ce qui semble l’éternité. « Tu savais pas, hein ? » Il reste muet et, comme la mer, il ne fait que tanguer au-dessus du sol. Des poissons nagent et vrillent dans ses tripes, sa gorge s’est nouée et l’empêche de réagir avec la dignité dont il devrait faire preuve. Mais il n’a rien à prouver, Joseph. Son but n’a jamais été de paraître puissant et invincible devant les autres. Alors ses yeux s’humidifient et il renifle, incapable de supporter le poids de ce qui ressemble dangereusement à une vérité. La famille qu’il s’est construite en quinze ans s’est envolée comme si elle n’avait jamais existé. Il n’avait pas vu aucun de ses potes depuis quatre ans mais il s’imaginait encore être de la partie lorsque tout le monde décidait de se lancer dans une nuit d’« expérimentations scientifiques » avec la marchandise ou lorsque, les huit garçons attablés, l’argent des efforts était distribué. « Écoute. » Il secoue inconsciemment la tête comme si l’entièreté de son corps voulait refuser de tendre l’oreille. « J’entends bien de me venger de Mitchell. Je pourrais venger tes amis. » Ce n’est que maintenant qu’il se rend compte de toute la tension dans sa mâchoire : cette dernière se met à brûler et il entrouvre enfin les lèvres pour laisser une bouffée d’air s’échapper. « Te venger de Mitch ? T’es sûre que t’as bien réfléchi à ton plan ? » L’homme étant complètement déboussolé, son visage se contracte en une moue sceptique. « Pourquoi tu ferais ça ? T’es l’une des leurs. C’est toi qui s’fera couper la gorge si tu l’trahis. » Décidément, Joseph a manqué plusieurs trains mais l’explication est simple : il n’a pas cherché à s’informer quant à son ancien business à sa sortie de prison. Il pensait pouvoir définitivement mettre un trait sur la personne qu’il a déjà été et ne plus jamais croiser le reflet d’un criminel en s’arrêtant devant un miroir. C’est bien pour cette raison qu’il n’a jamais recontacté Alec alors que celui-ci attendait éperdument son appel pour prouver à Mitchell qu’il avait réussi à convaincre un ennemi de se joindre à eux. « Ne le prends pas mal, mais j’pense qu’il faudrait que t’entraînes davantage ton esprit logique si tu veux pas crever aussi jeune. » |
| | | | (#)Lun 20 Jan 2020 - 19:18 | |
| Convaincre Joseph d'être de la partie était supposé se dérouler bien plus facilement que cela n'est actuellement le cas. Il fait de la résistance face à chacun de mes arguments, à un point où je commence sérieusement à me demander si je ne perds pas mon temps avec lui, s'il en vaut la peine, ou si je devrais plutôt me tourner vers un autre Mantha aux abois. Concrètement, je n'ai pas de temps à perdre. Je monte ma milice personnelle de dealers, et dans cette entreprise, j'ai besoin de véritables mercenaires qui ne posent pas de questions. Des gens que l'argent ou la vengeance suffisent à motiver. La disparition de son ancien gang semble assez toucher Joseph pour que j'espère que tourner le couteau dans la plaie en lui indiquant le coupable lui fasse monter à la tête des envies de revanche. J'appuie où ça fait mal, soulignant l'humiliation de ses amis, leur retournement de veste, l'hégémonie du Club. Tout ce qui est susceptible de titiller le côté sombre d'un homme, réveiller son orgueil. « Te venger de Mitch ? T’es sûre que t’as bien réfléchi à ton plan ? » Je comprends que s'attaquer au grand patron puisse sembler insensé. Pour ma part, cet espoir de vengeance est tout ce qui me pousse à me lever le matin. La peur m'a trop longtemps clouée au lit, la boule au ventre, méfiante de la moindre ombre à travers la fenêtre de ma chambre. Et j'y crois dur comme fer, assez pour que tout mon visage, mon regard, traduisent cette inébranlable détermination. "La fiabilité du plan, c'est pas tes oignons. Mais si ça peut te rassurer, ça tient debout, c'est solide, et ça va marcher." Même la personne la plus suicidaire dirait exactement la même chose. Cependant, je ne compte pas dévoiler les détails de mes manoeuvres à qui que ce soit. Qu'ils vendent de la drogue, c'est tout ce que j'attends d'eux. Le reste est entre moi et Mitchell. « Pourquoi tu ferais ça ? T’es l’une des leurs. C’est toi qui s’fera couper la gorge si tu l’trahis. Ne le prends pas mal, mais j’pense qu’il faudrait que t’entraînes davantage ton esprit logique si tu veux pas crever aussi jeune. » Un rire m'échappe. Jeune ? J'ai dépassé les trente ans, c'est bien plus que ce que j'ai jamais espéré atteindre un jour. Depuis cet anniversaire, je me sens en sursis. Mais j'ai véritablement cessé de vivre normalement depuis la sortie de prison de Strange. "Ah ! Ça n'arrivera pas, crois-moi. J'ai dépassé le statut de traître depuis un bail." Maintenant, je suis l'ennemi public numéro un. Je suis sûrement devenue trop à l'aise avec cette condition qui est la mienne depuis que j'ai décrété qu'il était temps d'inverser le rapport de force. "Ça fait des années qu'il me court après, et je suis toujours là." J'ai conscience d'être le point faible de Mitchell, et par déduction, celui du Club. Et c'est mon plus gros avantage. "Mitchell ne me fait plus peur, et il est grand temps de lui rendre la monnaie de sa pièce." Sa colossale mainmise sur le trafic de drogue de la ville est injuste, cette espèce de tyrannie sous couvert d'environnement familial est un mensonge, un leurre. Leur puissance est un mirage alimenté par la peur de ceux qui ne savent pas quels sont leurs points faibles. Le jugement de Mitchell est corrompu par sa haine envers moi. La confiance de son frère est ébranlée. Les rangs se grossissent de personnes soumises par la contrainte. C'est le moment ou jamais de frapper pour faire mal. S'ils ont tué dans l'œuf tous mes espoirs de rédemption, alors c'est tout ce qu'il me reste. "On va le toucher au cœur, en commençant par son business. Lui voler sa clientèle sera un jeu d'enfant." Quand le flot de dollars sera moindre, ils commenceront à se bouffer les uns les autres. La confiance en Mitchell s'étiolera. Il ne restera plus qu'un petit coup à donner dans la fourmilière.
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| | | | (#)Jeu 30 Jan 2020 - 2:30 | |
| Il n’a plus l’impression d’appartenir à ce monde-là. La seule trace de son passé qui le suit encore aujourd’hui est son addiction à cette poudre qu’il s’est trop souvent collé contre les narines quand il ne se rendait pas encore compte de son emprise. Les manthas ne sont plus, ses poches sont à nouveau vides et il n’a plus besoin de coudre ses lèvres ensemble et de fermer les yeux devant une injustice commise par sa propre famille parce que cette dernière s’est envolée en fumée. Bien qu’il soit bouleversé par la nouvelle que vient de lui apprendre la jeune femme convaincue de pouvoir le recruter dans son plan foireux, il ravale rapidement sa colère et se cache derrière un visage à nouveau impassible, quoique blême. "La fiabilité du plan, c'est pas tes oignons. Mais si ça peut te rassurer, ça tient debout, c'est solide, et ça va marcher." Un gloussement sarcastique soulève sa poitrine et il fait claquer sa langue contre son palais, désespéré de réaliser qu’elle n’a pas appris sa leçon. Il ne suffit pas seulement d’une promesse douteuse pour embarquer Joseph à bord d’un navire tanguant. Il tente alors de récolter davantage d’informations en l’interrogeant quant aux raisons de cette volonté qu’elle a de confronter Mitch. "Ah ! Ça n'arrivera pas, crois-moi. J'ai dépassé le statut de traître depuis un bail. Ça fait des années qu'il me court après, et je suis toujours là." Les histoires du Club n’ont pas toutes atteint les manthas. Cependant, Joseph se souvient d’une rumeur, d’un ouïs dire concernant une femme prénommée Lou qui aurait posé une bombe au milieu de sa bande. Il ne connait pas les détails de cette histoire et il n’a pas eu le temps de tous les récolter avant d’être séparé du monde réel, derrière les barreaux. Et, il a rencontré Alec : le frère de Mitchell, celui qui a pu l’informer davantage quant à la situation du club en échange d’une promesse. Celle de les rejoindre à sa sortie. « Une traîtresse ? J’savais pas que le Club avait autant de chiens déloyaux. Ça devait pas être la joie de bosser pour eux si t’as senti le besoin d’te rebeller. Mitch ne remplissait pas vos gamelles tous les jours ? » Il ricane légèrement et porte son verre à ses lèvres avant de se rendre compte qu’il est vide. Un soupir s’échappe de ses narines et il le repose lourdement sur le comptoir pour attirer l’attention du barman. "Mitchell ne me fait plus peur, et il est grand temps de lui rendre la monnaie de sa pièce." Il a l’impression d’être confronté à des histoires de famille qu’il ne peut comprendre. Il aurait envie de lui répéter une énième fois que ses problèmes personnels ne l’intéressent pas mais il lui laisse une dernière chance de le convaincre qu’il ne ferait pas une bêtise en acceptant de se joindre à son groupe – si s’en est réellement un, peut-être qu’il est le seul sur sa liste de proies à appâter. Au fond, ce serait presque flatteur pour lui d’apprendre qu’il est l’homme de la situation (bien qu’il doute fortement qu’il est l’un des derniers choix disponibles car les autres ont été assez futés pour refuser son offre louche). "On va le toucher au cœur, en commençant par son business. Lui voler sa clientèle sera un jeu d'enfant." Il hausse un sourcil devant l’emploi de ce pronom. « "On ? " Tu viens d’assumer que je faisais partie du coup ? » Irrité, il passe sa main dans sa barbe et marmonne derrière sa main : « Écoute, ma petite, laisse-moi respirer un peu, t’es en train d’me voler tout mon oxygène. » Il scrute le bar une dernière fois, toujours pour s’assurer que le chihuahua agressif n’est pas venu accompagné, et il soupire fortement. « J’ai pas d’réponse à t’donner. L’argent ne m’intéresse pas, ni le prestige, ni la vengeance. Si j’te recontacte, c’est pas pour les raisons qui motivent la plupart des mecs comme moi. » À ces mots, il lui tend son portable déverrouillé afin qu’elle allonge sa petite liste de contacts. « Et j’veux signer aucun contrat. J’te vendrai jamais mon âme, surtout pas dans de telles conditions, parc’que j’te fais pas confiance, et rentre-toi bien ça dans l’crâne : tu seras jamais ma patronne. » |
| | | | (#)Sam 8 Fév 2020 - 0:18 | |
| « Une traîtresse ? » Ce mot claque trop souvent à côté de mes oreilles. Si j’y prêtais attention, je l’entendrais si souvent que je finirais par douter de mon vrai nom. Et ce n’est pas seulement une traîtresse : c’est la traîtresse. Celle qui a réussi à mettre Mitchell à l’ombre pendant un an. Celle qui a véritablement mis à mal l’organisation. L’ironie veut que ce soit moi, celle qui leur souhaitait ce sort le moins au monde, qui en fut à l’origine. Enfin, personne ne veut l’entendre. « J’savais pas que le Club avait autant de chiens déloyaux. Ça devait pas être la joie de bosser pour eux si t’as senti le besoin d’te rebeller. Mitch ne remplissait pas vos gamelles tous les jours ? » Mon regard se durcit, mon poil se hérisse. Les restes de réflexes de membre de cette fameuse famille dont personne n’a le droit de parler en mal en ma présence. J’étais l’une des plus loyales. Je ne me suis pas rebellée. Je n’ai jamais voulu ce qui est arrivé. Et Joseph ferait mieux de fermer son clapet avec ses métaphores animalières. “Fais gaffe, je mords.” que je siffle en réponse à son rire. Si j’ai décidé de m’en prendre à Mitchell, ce n’est pas de planter mes crocs dans un bout de cul de petit dealer retraité qui me fera peur. L’arracher à ses grands airs d’ermite en exil commence à me courir sérieusement sur le haricot, et je manque d’idées pour le rallier à ma cause. Il n’est sensible à strictement rien. C’est à se demander s’il y a quoi que ce soit d’encore vivant dans cette carcasse qui prend la poussière au bar. Une partie de moi continue à croire que insister est une mauvaise idée. Joseph est loin, très loin de son âge d’or chez les Manthas. Il est sûrement rouillé, et son compas moral s’est laissé influencer par le système carcéral. Je me bats pour restaurer une antiquité comme les chineurs des émissions de téléréalité entre onze et treize heures. « "On ? " Tu viens d’assumer que je faisais partie du coup ? » Et présomptueux par dessus le marché. Lorsque l’on m’a rencardée à propos de Keegan, je m’attendais définitivement à mieux. “Je parlais de moi et de ceux qui sont déjà dans le coup. Va pas déjà te croire indispensable.” Parce que je n’ai pas besoin de lui. Comme il l’a remarqué, le Club s’est mis à dos pas mal de monde au fil des années, les déserteurs ne sont pas aussi peu nombreux qu’ils veulent l’admettre, et recruter parmi ceux-là sera facile comme d'appâter un enfant à l’arrière d’un van avec une sucette. « Écoute, ma petite, laisse-moi respirer un peu, t’es en train d’me voler tout mon oxygène. » Je n’en aurais pas besoin s’il n’était pas aussi borné. Il faut être un idiot pour refuser mon offre, mais visiblement mère nature n’attribue pas toutes les qualités à une personne, et à choisir entre l’apparence et le caractère, pour Joseph, son choix fut tout indiqué. “M’appelle pas “ma petite” ou tu vas littéralement manquer d’oxygène une fois que j’aurais collé ta face dans la cuvette des chiottes.” Je ne laisse pas mon âge, ma taille ou le sexisme ordinaire me piétiner en toutes circonstances. Si Joseph doit l’apprendre par la manière forte, je saurais lui faire une clé de bras en un éclair pour que la douleur imprime la leçon dans son crâne : on ne me sous-estime pas, jamais. « J’ai pas d’réponse à t’donner, qu’il lâche finalement, loin d’être à la hauteur de mes attentes pour cette entrevue. L’argent ne m’intéresse pas, ni le prestige, ni la vengeance. Si j’te recontacte, c’est pas pour les raisons qui motivent la plupart des mecs comme moi. » Mon regard fait un cent-quatre-vingt degrés complet. “Pas même pour mes beaux yeux ? Quelle déception.” j’ironise. Ce sera forcément l’argent, ou le prestige, ou la vengeance, à la fin. Voire les trois. Mais ce n’est pas mon problème qu’il ne l’assume pas et qu’il préfère se la jouer cowboy cynique tant qu’il vient grossir les rangs. « Et j’veux signer aucun contrat. J’te vendrai jamais mon âme, surtout pas dans de telles conditions, parc’que j’te fais pas confiance, et rentre-toi bien ça dans l’crâne : tu seras jamais ma patronne. » J’affiche enfin un sourire satisfait et lui retourne bien volontiers sa précédente répartie droit dans les dents comme un magnifique home run ; “Tu viens d’assumer que tu fais partie du coup ?” Qu’il se rassure, le chihuahua, je ne lui fais pas confiance non plus. J’ai peut-être l’air d’avoir douze ans, mais je sais parfaitement dans quel milieu j’évolue, et ce n’est pas le genre de décors où les zozios font cui-cui au rythme des pioches des sept nains. Ce que Joseph ne réalise pas, c’est que s’il travaille pour moi, qu’il le veuille ou non je serais celle qui pose les conditions, et ses exigences iront se faire cuire un oeuf. J’apporte une opportunité en or sur un plateau, je suis généreuse, mais pas stupide. Et s’il n’en veut pas, quelqu’un d’autre acceptera, et il ne faudra pas venir pleurer dans mes jupons après. Mais je pars du principe que la partie est gagnée. J’attrape donc le téléphone de Joseph et, plutôt que d’y enregistrer mon numéro dans son répertoire, je compose mon numéro, me bipe, raccroche et efface aussitôt son historique. J’aurais son numéro en appel manqué, mais lui n’aura pas le mien tant qu’il ne sera pas des nôtres. “Oh, et c’est moi qui te recontacte, pas toi.” dis-je en lui rendant l’appareil. Et puisqu’il doit cogiter sa réponse, je décide se laisser Monsieur se remuer les méninges jusqu’à arriver à la conclusion logique depuis le départ : l’argent, c’est utile, et la vengeance, ça a quand même bon goût. Je quitte ma chaise, prête à l’abandonner à sa réflexion, et pour au revoir, je lui glisse avant de tourner les talons ; “Jm’appelle Lou, pour info. Et merci pour le verre.” |
| | | | | | | | louseph + history repeats itself |
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