One of these days the sky's gonna break, and everything will escape and I'll know. One of these days the mountains are gonna fall into the sea, and they'll know. 'Cause even though you left me here, I have nothing left to fear, these are only walls that hold me here. ☆☆☆
D’abord il avait transféré un email de sa boite professionnelle à sa boite personnelle, puis il avait éteint son ordinateur. Après ça il avait détaché le holster de sa ceinture et l’avait rangé dans l’un des tiroirs de son bureau, avant de verrouiller les deux et d’en glisser la clef dans la poche arrière de son jean. Il en était à rassembler la paperasse étalée çà et là sur son bureau lorsque Patton avait fait irruption, avec cet air de chien de garde dont on avait empiété sur les plates-bandes « T’as demandé à ce qu’on me retire le dossier Forbes ? » Dire qu’il avait presque espéré quitter le poste avant qu’elle ne l’apprenne. Pas flic pour rien, la blonde. « Ça te touche de trop près, fallait que je prenne une décision. » Evitant soigneusement le regard de son équipière – dont il était encore le supérieur hiérarchie pour, oh, approximativement dix minutes – il l’avait laissée vociférer « Ça te va bien de me dire ça. » sans commenter. Touché. Mais il restait encore celui des deux qui décidait, et il refusait de la laisser en roue-libre sur un tel dossier sans pouvoir la superviser. « Tu sais vraiment être un sale con, quand tu veux. » Soit, mais un sale con qui ne la laisserait pas gérer seule un crime homophobe. « Profite bien de tes deux semaines de tranquillité, dans ce cas. » Le ton tranchant, il avait enfilé son blouson et déposé en la faisant claquer sa pile de dossiers sur le bureau de Patton. Elle aurait largement de quoi s’occuper même sans l’affaire Forbes, et les deux semaines sembleraient bien plus longues pour lui que pour elle à n’en pas douter. Mais il récoltait la tempête du vent semé durant des semaines, c’était le jeu, et espérant juste que la colère de la jeune femme à son égard aurait diminué d’ici à son retour il avait ponctué d’un « Bon courage, Lieutenant. » volontairement solennel et quitté le bureau sans se retourner. Rasant les murs, ayant déjà rendu son arme, sa plaque et son brassard plus tôt dans l’après-midi, il avait quitté le poste de police sans un mot de plus pour qui que ce soit, attendant que l’agent d’accueil soit occupé pour ne pas croiser son regard, et serrant le volant de sa voiture à en faire blanchir ses doigts au moment de quitter le parking.
***
Son téléphone était éteint depuis ce moment-là. Le surlendemain, dimanche, Tarek était passé à l’improviste à l’appartement faute d’avoir obtenu une réponse à ses derniers SMS. Pris sur le fait d’un lendemain de cuite difficile, bouche pâteuse et regard vitreux en prime, Anwar avait prétexté le chargeur sur lequel il ne remettait pas la main, la longue semaine de travail, et autres excuses faciles et vaseuses. À la proposition de son fils de déjeuner ensemble un midi de la semaine il avait répondu évasivement, prétexté avoir pris quelques jours de vacances, assuré avoir mille choses à faire, et bien que ne semblant pas entièrement convaincu Tarek n’avait pas insisté et le reste du dimanche s’était passé sans encombre. La semaine avait repris son cours, les journées étaient devenues interminables et les soirées moroses – jeudi soir, et Anwar n’avait toujours pas rallumé son téléphone. Le lundi il avait vu Strange – ou plutôt Strange était venu à lui – et passé ses nerfs sur sa batterie toute la soirée. Le mardi il avait baladé quelques touristes sur son bateau et empoché quelques dollars, et passé ses nerfs sur sa batterie toute la soirée. Le mercredi il était allé voir Strange lui-même, et passé ses nerfs sur sa batterie toute la soirée. Le jeudi la batterie lui résonnait encore dans les oreilles, le café – noir, puis coupé au whisky – n’y avait rien changé, et après d’énièmes touristes trimballés dans la baie pour quelques dollars il était resté à quai, une bière descendue et une seconde à la main, les pieds qui pendaient dans le vide à la proue du bateau et l'œil fixant sans trop le voir le soleil qui se couchait sur la baie. « T’as demandé la permission au capitaine avant de monter à bord ? » Ayant entendu des pas sur le pont, il n’y avait reconnu ni celui de son fils, ni celui de Caelan – les deux visiteurs les plus fréquents du Borealis – et avait découvert Tad dans une surprise toute relative. En presque une semaine sa mise à pied avait eu largement le temps de faire trois fois le tour du commissariat ; Rien n’allait plus vite dans une administration que les commérages. « Y’a des bières au frais dans la cabine, fais comme chez toi. » Levant sa propre bière en direction du légiste pour appuyer son propos, il n’avait pas eu le courage de se lever pour l’accueillir ou le saluer, mais n’entendait pas le chasser pour autant. Il était content de voir Tad, en définitive ; Particulièrement en ayant conscience que sa venue faisait sans doute suite à des messages ou des appels restés sans réponse. Peut-être même pourrait-il grappiller des nouvelles de Patton auprès de lui … Avec six jours de recul, Anwar s’en voulait un peu de la manière dont il avait laissé la jeune femme, bien qu’il n’en admettrait jamais rien à la concernée. Qui au passage, ne s'était probablement pas gênée pour lui tailler un costard sur mesure en son absence.
C’était un invité plutôt inattendu qui était venu interrompre la partie de jeu qui devait décider qui de Romy ou Tad allaient venir à bout du tas de vaisselle qui était venu s’entasser depuis quatre jours dans la cuisine. La compétition allait de bon train entre les deux colocataires quand ils avaient été interrompus par Tarek, dont l’air grave indiquait à Tad que c’était un de ces moments où il devait s’arrêter de jouer comme un gosse pour traiter d’un sujet plus important. Premièrement en voyant le jeune adulte débarquer, Tad avait automatiquement pensé qu’il était arrivé quelque chose à Anwar et son premier réflexe avait été de se rassurer que la conduite quelque peu sportive du policier ne lui avait pas été fatale. Non pas que ça l’étonnerait dans le fond mais quitte à recevoir ce type d’annonce, il préfèrerait que son cerveau ne soit pas à cinquante pourcent inquiet et concentré sur la partie de Mario qui déciderait du sort de cette vaisselle. Comprenant qu’il ne pourrait de toute façon pas poursuivre pendant que Tarek attendrait, il s’était décidé à déclarer forfait, expliquant à Romy qu’il s’occuperait de l’évier pendant qu’il discuterait avec le fils de son ami sur la raison de sa venue. Si Tad avait toujours eu une bonne relation avec le gamin, ils n’en étaient pas à se rendre visite sans qu’il y’ait une raison derrière. Une raison qu’il n’allait pas ignorer longtemps.
Après avoir été mis au courant pas Tarek du comportement quelques peu suspicieux de son ami, Tad avait entrepris de collecter les morceaux manquants qui expliquerait une situation qu’il ne voit pas. Il avait pris cette décision après plusieurs texto restés sans réponse invitant le concerné à prendre une bière, bien que du coup, ça ne soit pas sûr qu’il s’agisse d’une bonne idée mais quitte à boire quand même, autant être accompagné. Il avait attendu le mardi pour se rendre au bureau, à l’étage des inspecteurs plus précisément, pour s’enquérir de la situation. On ne lui avait pas rapporté la mise à pieds d’Anwar. Tad avait eu ses propres dossiers à gérer et n’étant pas du genre à écouter les ragots, il était passé complètement à côté. Patton s’était donc fait une joie que de viser son sac face à un Tad qui n’allait pas lui donner toutes les clés d’information mais dont la ride d’inquiétude commençait à prendre une place prédominante sur son front. Son entretien avec sa collègue terminé, il marmonne brièvement qu’il ira aux nouvelles et qu’il l’informera de ce qu’il se passe. Prenant de l’avance sur les questions entourant l’absence de réponse téléphonique, Tad anticipe prétextant un voyage en mer.
« T’as demandé la permission au capitaine avant de monter à bord ? » entend-il en arrivant dans la cabine après s’être finalement décidé à prendre le taureau par les cornes concernant la situation. Attendre encore une semaine que la mise à pieds d’Anwar se termine consisterait à noyer le poisson et saisir l’occasion de faire l’autruche comme si rien ne s’était passé et se désister serait laisser à Tarek la pression que d’avoir à gérer son père seul, ce qui est, aux yeux de Tad, une bien trop grande responsabilité pour un garçon de vingt ans. Il avait donc décidé d’aller juger de la situation seul auprès du principal concerné. « J’ai demandé, le capitaine a visiblement perdu son téléphone. » dit-il de son ton déconneur, conscient que ce serait un très mauvais mouvement que de démarrer cette conversation par quelque chose qui pourrait avoir des airs de reproches. « Y’a des bières au frais dans la cabine, fais comme chez toi. » Il hoche la tête, ne souhaitant pas rejoindre son pote dans sa consommation, Tad prend néanmoins la confiance de s’installer pour démarrer la conversation. Après tout, l’invitation à faire comme chez lui avait été lancée. « Plus tard. » dit-il avant de reprendre plus posément. « Alors, c’est ici que tu te caches. J’aurais dû le deviner. » Et le dire à Patton, vu que cette dernière avait confessé une tentative de visite mais si la jeune femme n’était pas au courant que le Boréalis était le refuge, peut-être valait-il mieux que cette visite ne se fasse. « J’ai parlé à Patton. Tu veux m’en dire plus ? » Parce qu’en les inquiétudes du fils et la colères de la coéquipière, tout restait bien flou dans la tête de Tad sorti de la conviction qu’un truc cloche.
Il ne s’y était sans doute pas autant attendu, à prendre la mesure de la place qu’occupait son travail dans son quotidien de cette manière-là. Anwar travaillait beaucoup, il était de cette poignée de flics tombés dans la marmite totalement par hasard mais qui désormais ne s’imaginaient plus pouvoir faire autre chose de leur vie, et n’avoir désormais plus que son perroquet avec qui partager son toit l’avait entraîné à ne plus tant compter ses heures, pas tant parce qu’il se pensait indispensable mais parce qu’il se sentait plus utile au commissariat que chez lui. Il se moquait gentiment de ceux qui n’avaient pas le temps pour un verre après le service, ou qui trainaient un peu les pieds en mentionnant le vide-grenier ou le déjeuner chez les beaux-parents qui les attendaient durant le week-end, mais la vérité c’est qu’il les jalousait un peu. Mais lui au moins n’avait à se justifier auprès de personne pour ne pas être au travail cette semaine, pas de bobonne à qui expliquer qu’il ne prenait pas la direction du commissariat chaque matin depuis une semaine, et s’il fallait chercher du positif à la situation le brun estimait pouvoir au moins compter là-dessus – triste constat, mais qui compensait un peu celui de tourner en rond comme un lion dans sa cage, en prenant conscience que sans son boulot il ne savait simplement pas comment occuper ses dix doigts. Même son voilier, d’ordinaire refuge de tous ses maux, ne parvenait pas à compenser le sentiment qu’il aurait préféré être ailleurs, et bien que faisant planer le spectre d’une conversation qu’il n’avait pas envie d’avoir, l’arrivée inopinée de Tad s’était imposée comme le premier rayon de soleil d’une journée passablement morose ; À dix-huit heures passées, mieux valait tard que jamais. « J’ai demandé, le capitaine a visiblement perdu son téléphone. » Touché. Pas dans de suffisamment bonnes dispositions pour servir un mensonge élaboré à un Tad qui n’en goberait de toute façon que la moitié, le brun s’était simplement fendu d’un « Quelle tête en l’air, ce capitaine. » dont l’amusement sonnait vaguement las, avant de s’autoriser une gorgée de bière et d’inviter son ami à se servir dans le minuscule frigo de la cabine s’il en souhaitait une aussi. « Plus tard. » avait néanmoins décliné celui-ci, Anwar n’y voyant de son côté qu’une bonne excuse pour en ramener deux lorsqu’il irait en chercher une autre pour lui – il dormirait sans doute là ce soir, cela règlerait le problème de l’alcoolémie au volant. Et puis, le flottement du bateau l’aiderait à dormir. « Alors, c’est ici que tu te caches. J’aurais dû le deviner. » S’empêchant d’enfoncer une porte ouverte en faisant remarquer qu’il avait bien fini par le deviner, puisqu’il était là, il avait menti « Je ne me cache pas. » mais avec tellement peu d’aplomb que lui-même n’y croyait pas en s’entendant le dire. Il était trop las pour les mensonges, finalement. Raison pour laquelle il ne s’était pas fatigué non plus à feindre la surprise lorsque Tad avait ajouté « J’ai parlé à Patton. Tu veux m’en dire plus ? » et dévoilé ainsi le véritable motif de sa visite. Ou ce qui lui servait d’excuse à le faire, du moins. Ramenant une jambe vers lui tandis que l’autre continuait de pendre au-dessus de l’eau, l’inspecteur avait ironisé « Je lui manque déjà, c’est ça ? Je le savais. » et fait signe au légiste de venir s’asseoir à côté de lui. Au fond pas besoin d’une bière pour profiter du coucher de soleil, et le brun n’avait pas véritablement envie de se remettre debout pour se mettre à sa hauteur. « Elle est de mauvais poil parce que j’ai transféré le dossier sur lequel on bossait à une autre équipe. Ça lui passera. » Du moins il l’espérait, que cela lui passerait ; Mais malgré son caractère Patton était une femme intelligente, trop pour ne pas voir qu’il n’avait pas agi ainsi dans l’unique but de la contrarier. « Elle prenait ça trop à cœur, je pouvais pas la laisser gérer en roue libre sans que je sois là pour veiller à ce que ça ne dérape pas. » Et puis c’était lui le plus gradé, c’était lui qui décidait, que cela lui plaise ou non. De déblatérer sur sa collègue avait en tout cas l’avantage, aux yeux d’Anwar, de concentrer la conversation sur la conséquence du problème et non sur sa cause : S’il n’avait pas été mis à pied en premier lieu, il n’aurait pas eu à retirer le pain de la bouche de Patton par précaution. Et enfin de compte la blonde ne devenait plus qu’un dommage collatéral de ses erreurs à lui ; Rien d’étonnant donc au fait qu’elle soit allée plaider sa cause auprès de Tad, qu’elle aurait peut-être même réussi à convaincre qu’il serait de bon ton pour le brun de s’excuser à son retour. Et aux yeux d'Anwar s'excuser revenait à admettre avoir fait une erreur, hors il estimait avoir pris la bonne décision.
Une fois n’est pas coutume, Tad avait cherché la façon dont il pourrait aborder le sujet avec Anwar. Si l’italien avait compris depuis plusieurs mois qu’il y’avait quelque chose qui ne tournait pas chez son ami, il avait mis ça sur le compte du temporaire et des hauts et des bas que tout un chacun connait. Maintenant que Tarek a tiré le signal d’alarme, il s’inquiète un poil plus de la situation bien qu’à vrai dire, il n’en comprenne pas encore les tenants et aboutissants et avancent un peu à tâtons ne sachant pas trop ce qui est légitime dans ce qu’il a entendu et ce qui tient plus du discours plein d’émotivité de quelqu’un qui s’inquiète pour un proche. Ainsi, Tad s’était décidé à prendre le taureau par les cornes en allant voir sur le bateau du policier s’il y’était. Ce n’est pas dit qu’il se dégonfle, mais on admirera l’effort. « Quelle tête en l’air, ce capitaine. » lui sert-il au moment où Tad pointe son absence de réponse à tout tentative de contact, il sent bien la pointe d’humour placé pour masquer autre chose mais ne répond rien. Il n’est jamais trop doué pour ces missions qui demandent des pincettes mais tant qu’il retient qu’il ne doit pas mettre les pieds dans le plat, tout n’est pas perdu. Parler de Tarek tout de suite serait un mauvais mouvement alors Tad commence doucement, avec Patton, celle qu’il n’est pas bizarre qu’il l’ait vu vu qu’elle bosse dans le même bâtiment que lui. « Je lui manque déjà, c’est ça ? Je le savais. » Tad s’avance pour s’asseoir à côté de lui. Il glisse ses mains bien profondément dans ses poches tandis qu’il explique la situation, enfin, la version de la situation qu’il a dû s’entrainer à dire pour maintenir les formes. A y penser, Tad ne peut s’empêcher de se dire qu’il reste sacrément con. « Elle est de mauvais poil parce que j’ai transféré le dossier sur lequel on bossait à une autre équipe. Ça lui passera. » C’est vrai. Mais, c’était pas de ça dont il voulait parlé mais plutôt de cette mise à pieds dont il n’avait pas été mis au courant et dont par conséquent, il ignorait les motifs et ce qui peut bien se passer dans la tête d’Anwar. « Elle prenait ça trop à cœur, je pouvais pas la laisser gérer en roue libre sans que je sois là pour veiller à ce que ça ne dérape pas. » Il ne dit rien, pas surpris pour un sou par ce comportement qui pourrait être vu comme protecteur d’un côté mais un poil trop contrôlant d’un autre. Ça, il n’avait pas d’opinion à fournir, c’était à lui et Patton de définir les limites de ce qui est acceptable pour l’un et l’autre dans leur relation de travail. Etrangement, la jeune femme n’avait pas passé tout le temps de leur conversation à se plaindre de s’être vu retiré son enquête. Elle avait fourni d’autres motifs d’inquiétude (que Tad ne peut pas communiquer sinon elle le cuit) et avait que brièvement survolé cette histoire d’affaire. « Ce n’est pas de ça dont on a parlé. Elle est fière comme un coq mais pas stupide. » répond Tad, parce qu’il n’aurait pas la patience d’écouter Anwar parler pendant une heure de sa décision sage comme pour maquiller les évènements l’ayant amené à devoir la prendre. Il tente de rester focus parce qu’il ne veut pas non plus se faire balader. « Je parlais de ta mise à pieds. » dit-il franchement, en espérant un peu plus de résultats.
Une chose était certaine, Anwar se sentait bien plus à son aise dans un interrogatoire lorsqu’il était à la place de celui qui posait les questions, et quand bien même le cadre du soleil couchant était bien plus apaisant que les murs gris et froids des salles d’interrogatoire du commissariat, reste que se retrouver à la place de celui dont on tâchait de tirer les vers du nez n’était pas agréable. Tad avait beaucoup de qualités, mais ce n’était pas un bon menteur – au fond c’en était sans doute une aussi, de qualité – et sa façon de marcher sur des œufs manquait trop de finesse pour qu’Anwar ne le voit pas arriver à des kilomètres avec ses questions qui en amenaient d’autres. Il avait beau s’évertuer à répondre en contournant l’essentiel, il savait bien que Tad n’avait pas fait tout ce chemin pour le laisser éternellement jouer au plus malin. Et s’il ne lui serait pas venu à l’idée de le contredire lorsque le rouquin avait rétorqué « Ce n’est pas de ça dont on a parlé. Elle est fière comme un coq mais pas stupide. » en parlant de Patton, qui était beaucoup de choses mais tout sauf stupide en effet, le brun avait laissé échapper un soupir résigné lorsque son ami avait ajouté « Je parlais de ta mise à pieds. » comme on retirait son jouet à un enfant après lui avoir demandé plusieurs fois de cesser de faire du bruit avec. Ses lèvres s’étirant en un sourire teinté d’amertume, le policier avait à nouveau porté la bouteille de bière à ses lèvres comme s’il espérait trouver quoi répondre entre les bulles et le houblon. « La fameuse. » Se laissant aller à l’ironie, il avait cependant abandonné rapidement le mauvais esprit, conscient qu’il ne pouvait pas échapper éternellement à la discussion et malgré tout reconnaissant à Tad de s’être donné la peine de venir jusqu’ici pour éclaircir le mystère quand rien ne l’y obligeait. « C’est pas la première fois que le proviseur me colle une retenue, va. Je m’en remettrai. » Il avait beau tenter d’en plaisanter, c’était bien la première fois que l’on trouvait à redire sur sa manière de faire son travail en revanche, et quand bien même Anwar estimait avoir agi en son âme et conscience, se faire taper sur les doigts n’était jamais plaisant. « J’ai mis mon nez là où on m’avait demandé de ne pas le faire, le chef m’a mis à pied pour ne pas perdre la face. C’est rien de palpitant. » Et surtout il le referait sans hésiter, car pire que de perdre la face il y avait ne pas tenir une promesse, et le policier tentait tant bien que mal de tenir la sienne en agissant comme il le faisait. Mais difficile de faire valoir sa bonne foi sans raconter toute l’histoire, et cette histoire-là Anwar ne pouvait la raconter ni à Tad, ni à personne d’autre.
Terminant cul sec le fond de sa bouteille, le brun avait laissé passer quelques secondes avant de se remettre – difficilement – debout, titubant une seconde ou deux avant de retrouver son équilibre et disparaissant dans la cabine pour en ressortir l’instant d’après avec une nouvelle bière. Il dormirait là et renonçait à conduire pour rentrer chez lui, promis. Pinçant ses lèvres avec hésitation, le policier était resté immobile durant plusieurs secondes et avait finalement porté la main à la poche arrière de son jean pour en extirper son portefeuille, avant de retourner s’asseoir aux côtés de Tad. Posant sa bouteille à côté de lui, il avait fouillé dans le portefeuille le temps d’en sortir un cliché qu’il avait tendu au légiste, qui y verrait potentiellement quelque chose de plus éloquent que la masse informe que le commun des mortels distinguait sur une échographie, même pas assez vieille pour qu'on y distingue un il ou un elle. « Ça, on peut dire que j’ai un sens du timing déplorable. » Ainsi qu’un don certain pour que les tuiles lui tombent toutes en même temps sur le coin du nez, telle une rafale d’imprévus dont sa mise à pied n’était au bout du compte que la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. « J’en ai parlé à personne au bureau, alors … » Alors il comptait sur Tad pour tenir sa langue, mais au fond il précisait plus par principe que par réelle crainte que son ami n’aille vendre la mèche au premier venu.
Ce n’est pas un rôle que Tad aime à se donner que celui d’enfoncer les portes fermées de ceux qui aiment à garder un jardin secret. Les perches qu’il tend à Anwar pour aborder ce qui le tracasse ne sont pas saisies et face au policier qui tente d’éluder le sujet en attirant l’attention de Tad ailleurs, il ne tarde pas à mettre les pieds dans le plat sans même chercher à digresser ailleurs pour revenir à la raison de sa visite. Tarek avait senti que quelque chose n’allait pas et il s’était imposé comme d’un devoir de rassurer le garçon, ou faute de, de ne pas le laisser seul dans la gestion d’un père qui semble fin prêt à gérer sa crise de la quarantaine. Maintenant que la puce avait été apportée à son oreille, il comptait faire au moins quelque chose cette fois. Il ne voulait pas se retrouver à apprendre une seconde fois au détour de quelques bières qu’un autre de ses amis avait tenté de mettre fin à ses jours. Tad ne gèrerait pas la culpabilité de ne pas l’avoir vu deux fois de suite. « La fameuse. » Oui, celle qui suscitait de l’incompréhension chez plusieurs personnes puisqu’encore inexpliquée à ses yeux. Ce n’était pas le genre d’Anwar que de commettre des impers pouvant réduire à néant une de ses enquêtes. « C’est pas la première fois que le proviseur me colle une retenue, va. Je m’en remettrai. » Cela n’empêche pas Tad de lui offrir son plus grand regards dubitatif, ce qui semble amener Anwar à ajouter. « J’ai mis mon nez là où on m’avait demandé de ne pas le faire, le chef m’a mis à pied pour ne pas perdre la face. C’est rien de palpitant. » Il dirait l’inverse mais ne sait pas s’il doit insister. L’inconfort est là et le but de sa démarche n’est pas de fermer Anwar ou d’être trop curieux voir invasif. « Tu sais, ça fait un moment que je me dis que tu n’as pas l’air bien. » avoue finalement Tad, se disant que même si Anwar ne veut pas tout dire, cela se perçoit qu’il y’a quelque chose et que ça dure. Il avait déjà semé un indice, cette fois où ils avaient abordé la question de l’écriture et du groupe mais là, l’anguille sous roche se confirme. « Je m’inquiète pour toi vieux ! » termine Tad, toujours dans un souci de respect de sa zone de confort mais tout en tenant à lui faire savoir sa présence.
Le silence finit par régner, ponctué du son d’un Anwar qui titube pour s’enfoncer un peu plus dans la grisaille. Tad l’observe chercher sa bière, l’ouvrir et s’installer à ses côtés. Ce silence, c’est peut-être ce qu’il faut à Anwar pour trouver le courage d’ouvrir la bouche et verbaliser ce qui le tracasse. Il observe tranquillement ses doigts qui cherchent l’intérieur de son portefeuille et saisit l’objet que le policier lui tend peu après : une échographie qui provoque une moue d’incompréhension chez lui. C’était peut-être la dernière à laquelle il s’attendait. « Ça, on peut dire que j’ai un sens du timing déplorable. » Est-ce que ça voulait dire qu’il allait être papa ? A nouveau ? Il en tombe des nues, ne sachant pas comment cela est arrivé. (Enfin, d’un point de vue circonstanciel, la partie physiologique, il connait. ) « J’en ai parlé à personne au bureau, alors … » Et visiblement pas à Tarek qui s’il l’avait su, lui en aurait touché un mot lors de leur conversation. C’est bien trop gros pour ne pas être mentionné et en y pensant, il réalise la raison qui fait que personne ne sache encore vraiment. « J’imagine que ce n’est pas un signe de réconciliation avec ta femme ? » Non, parce que sinon, il se serait déjà jeté à l’eau. Telle est la blague qu’il se retient de faire, se doutant que ce n’est peut-être pas le moment. « Tu comptes faire quoi ? » Et là, il s’étonne de le trouver si calme là où lui serait en panique.
Est-ce qu’il ne se fourvoyait pas en prenant ainsi le parti d’un petit sacrifice pour (croyait-il) une cause plus grande ? Anwar était tombé dans la marmite de la police totalement par hasard, il n’était pas de ces flics arrivés là par vocation, pétris d’un idéalisme qui se cassait souvent la figure face à la réalité du terrain. Il aurait pu devenir totalement autre-chose mais il était devenu inspecteur de police, et il s’était toujours efforcé de faire son travail du mieux qu’il pouvait, conscient d’avoir eu la chance de côtoyer des collègues qui avaient pu être des modèles, des exemples à suivre ; Des amis aussi, parfois. Et il y en avait un parmi ceux-là qui cochait toutes les cases, un qui attendait que lui soit rendue une justice après laquelle Anwar se retrouvait à courir de la plus drôle des manières, mettant à mal des états de service jusque-là irréprochables et des principes qu’il avait pourtant à cœur … Mais à circonstance exceptionnelles, décisions exceptionnelles, sans doute. C’était tout cela qui se bousculait dans sa tête depuis des semaines, des mois, c’était à cela que s’ajoutait désormais le sourire carnassier de Mitchell, avec en filigrane des pleurs de bébé terminant de faire perdre tout sens commun à la situation dans laquelle le brun se retrouvait empêtré. Rien d’étonnant alors à ce que le « Tu sais, ça fait un moment que je me dis que tu n’as pas l’air bien. » de Tad lui ait arraché un sourire amer. Il aurait aimé être comme Tad, se laisser sans cesse porter par le courant et ne s’inquiéter de rien ; Mais ce n’était qu’une façade au fond, personne ne pouvait se targuer de n’avoir aucune raison de s’inquiéter, Tad était simplement doué pour faire croire le contraire, et qu’il admette « Je m’inquiète pour toi vieux ! » n’était probablement que le sommet d’un iceberg qu’Anwar n’était pas le seul à alourdir. « Il faut pas. » lui avait-il alors assuré en étirant un sourire fatigué, soupçonnant que la discussion qu’il disait avoir eu avec Patton ne soit finalement qu’une excuse pour mettre sur le tapis quelque chose qu’il pensait depuis plus longtemps. « C’est ce boulot, parfois ça me … » Il ne savait même pas, parfois ça lui pesait, c’était sans doute l’idée. Mais il ne voulait pas se porter la poisse en l’admettant à voix-haute, parce que ce boulot il l’aimait, aussi. « C’est un peu une sale période, c’est tout. L’enquête sur la mort de Frank n’avance pas, celle que j’ai retiré à Patton était un vrai merdier … » Haussant les épaules, il avait adopté un air faussement détaché et fini par prétendre « Mais j’ai deux semaines de vacances forcées devant moi alors qui sait, ça me fera peut-être du bien. » tout en sachant très bien que ce serait tout le contraire. Ce n’était pas des vacances, et le fait que Strange ait mis les pieds sur ce bateau pas plus tard que l’avant-veille prouvait que les choses n’étaient pas amenées à s’arranger.
Le blanc dans la conversation lui semblant être la meilleure des excuses pour palier à sa bière vide, Anwar avait disparu un instant pour aller s’en chercher une autre – la troisième. Ou était-ce la quatrième ? C’était en tout cas celle qui l’avait persuadé de se délier un peu la langue, à propos de son autre tracas majeur faute de pouvoir évoquer Mitchell, pour tout un tas de raisons plus ou moins légitimes. La grossesse de Lene aurait été un chamboulement et une source de questionnements en pagaille pour le brun, peu importe quand elle était tombée … Mais qu’elle tombe maintenant, alors qu’il était aux prises avec d’autres tracas de nature à mettre sans-dessus-dessous ses certitudes, rajoutait à son impression que tout, absolument tout foutait le camp de la pire des façons. Observant un instant le cliché d’échographie que son comparse lui avait tendu, estimant qu’il valait mieux que n’importe quelle explication maladroite, Tad avait laissé passer quelques secondes avant de reprendre la parole, armé de son pragmatisme habituel. « J’imagine que ce n’est pas un signe de réconciliation avec ta femme ? » Ce n’était probablement pas le but, mais la remarque avait malgré tout arraché à Anwar un bref éclat de rire. « Qui sait, je vais peut-être y venir à ce divorce, tout compte fait. » Il hasardait cela sans en avoir la moindre idée en réalité, si le divorce en question n’avait pas encore eu lieu il était temps qu’il cesse de faire croire que ce n’était que du fait de Madame. « Tu comptes faire quoi ? » Poussant un long soupir en guise de réponse, il s’était autorisé une gorgée de bière et avait haussé les épaules, fixant sans vraiment le voir le voilier qui glissait un peu plus loin dans l’embouchure. « Transformer l’ancienne chambre de Tarek en nursery et espérer qu’il ne décidera pas de me renier au passage ? » Il ironisait comme pour se persuader qu’il exagérait, mais une partie de lui ne pouvait s’empêcher de susurrer Et si ? et la conséquence tenait dans le fait qu’il n’avait toujours pas trouvé le courage nécessaire pour mettre son fils au courant. « Je lui en ai pas encore parlé. Mais je voudrais d’abord le faire avant de prévenir sa mère. » Question de priorités, car Tarek était selon lui plus concerné par la chose que sa femme, qui au bout du compte pourrait continuer de faire ce qu’elle faisait actuellement : continuer de lui en vouloir pour ne pas avoir voulu l’héberger à son retour en ville, et ne lui donner des nouvelles que les jours où elle était bien lunés (rarement). « C’est une amie de Lou. La mère. La demi-portion avec le caractère de pitbull, celle qui bosse avec Lili. » Il passait du coq à l’âne, mais comme ses pensées. Il y aurait fort à dire sur les goûts d’Anwar en matière de femmes si l’on comparait le caractère de Lene à celui de celle qu’il avait épousé … Mais là n’était pas le sujet. « Enfin « amie » … je sais pas si on peut encore dire ça. Lou a littéralement pété un câble quand elle lui a annoncé – tu la connais. » Aussi peu raisonnable qu’elle était immature, et ayant préféré se regarder le nombril en s’offusquant des conséquences que cette nouvelle aurait sur elle plutôt que sur Lene et lui. Soit. « Je serais pas étonné qu’elle me cherche un remplaçant d’ici à ce qu’Alfie puisse reprendre le clavier. Je compte pas m’accrocher si c’est le cas. » Car les Street Cats c’était d’abord leur bébé à elle et à Tad, Alfie et lui n’étaient que des pièces rapportées au même titre que l’avaient été Elio et Jack – et ni l’un ni l’autre n’étaient plus là, alors Anwar ne se faisait guère d’illusions, même si l’idée lui serrait le cœur. Au bout du compte il n’était pas si loin de la vérité lorsqu’il avait partagé ses doutes à propos de son avenir dans le groupe à Tad, l’année précédente.