"I WALKED THE STREETS ALL DAY, RUNNING WITH THE THIEVES. ‘CAUSE YOU LEFT ME IN THE HALLWAY, GIVE ME SOME MORE. JUST TAKE THE PAIN AWAY. JUST LET ME KNOW I’LL BE AT THE DOOR, AT THE DOOR, HOPING YOU’LL COME AROUND. JUST LET ME KNOW I’LL BE ON THE FLOOR, ON THE FLOOR, MAYBE WE’LL WORK IT OUT. GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER…► HARRY STYLES, MEET ME IN THE HALLWAY."
→ On dit souvent que quand tout est trop parfait, il faut se méfier et redoubler de vigilance. Les sentiments doucereux de béatitude que nous ressentons et qui nous font vibrer, s’apparentent à la partie immergée de l’iceberg, celle que nous ne tarderons pas à heurter avant de sombrer nous est encore inconnue. Quelle vision bien fataliste des choses, à laquelle je refuse effrontément de croire car depuis cette nuit où nos corps frissonnants se sont découverts au milieu des draps froissés, je me sens habité par un sentiment extatique de bonheur et je n’ai nulle idée de l’obscurcir avec de sombres pensées. Pourtant, je les vois danser et tournoyer au-dessus de notre idylle, les ombres au tableau. Elles sont dans tes regards fuyants, dans cette gêne pesante qui alourdit brusquement nos cœurs, dans ces hésitations derrière lesquelles transparaissent la honte. Ce que tu ne me dis pas, Primrose, me préserve. J’ignore à quoi m’attendre mais je renonce à éclaircir la part d’obscurité en toi, celle qui ne m’explique pas ces multiples rendez-vous, celle qui dévie les conversations malhabilement, celle qui semble parfois trop affolée et sur la défensive… Mordre avant d’être mordue, c’est un petit peu ce qui te caractérise et c’est ce qui m’a plu instantanément chez toi. Pourtant aujourd’hui, ce réflexe presqu’inné chez toi me questionne et m’insécurise. Peut-être qu’il nous faut un peu plus de temps, peut-être que les confidences viendront et qu’alors, tout s’éclairera. Et, en preux chevalier, je balaierai tes doutes dans le creux de mes bras… J’ai envie d’y croire, qu’y a-t-il de mal à ça ? Garçon un peu trop rêveur qui pourtant ne croit en rien et surtout pas en l’amour. Garçon un peu perdu qui erre et déambule, qui avance de rencontres en rencontres et qui donne trop d’importance à ce qui n’en a pas. Garçon un peu las, qui se démène au creux d’une tempête depuis toujours et qui ne sait comment en sortir définitivement. Garçon fatigué, qui a envie de rêver, même s’il sait, oh il sait, que ce n’est pas une bonne idée… Ce n’est pas une bonne idée, Primrose, n’est-ce pas ? Regarde-moi, regarde-moi et dis-moi que j’ai tort… Ne me fuis pas, comme tu le fais si souvent. Et lorsque tu t’échappes, c’est le vide qui revient à la charge, je ne suis plus qu’un amas d’os et de chairs, qu’un banal humain en errance qui hésite, vacille et se déséquilibre. Tant de sujets dont nous n’osons pas parler. Tant de tabous alors que tout vient à peine de commencer. Là où un jeune couple est désireux de tout apprendre, de tout connaître ; toi et moi nous efforçons de ne pas trop en dire, de fuir, de garder cette part de mystère et d’ombre… Je me dis que le temps déliera nos langues autrement que dans l’intimité d’une chambre, je me dis avec espoir même si je le sais insensé, que les vérités finiront par être exposées et qu’elles nous soulageront.
Quel idiot j’ai été ! Abruti effronté qui pense avec mépris que rien ne peut le foudroyer et que les colères divines peuvent être évitées. Ce que tu ne m’as pas dit, Primrose, me tue aujourd’hui. Car c’est une balle en plein cœur que je viens de recevoir, le sang noir et épais s’écoule et dégouline de la plaie tandis que mes yeux ne me servent plus qu’à pleurer. Tout s’est effondré brutalement, comme un château de cartes et il aura suffi d’un simple coup de vent pour tout anéantir ; de quelques photos prises au hasard d’un coin de rue, à la sortie d’un hôtel, dans de grands restaurants, toutes te montrant au bras d’un ou plusieurs de ces richissimes gros bonnets de la société. Et je suis, effondré, sur le bas-côté en train de réaliser, un peu comme le capitaine du Titanic en 1912, que l’iceberg est immense, que je viens de le heurter de plein fouet et que je n’en sortirais pas indemne. Ce n’est pas la satisfaction peinte sur le visage de ces connards lorsqu’ils m’ont vu chuter brutalement, ce ne sont pas mes poings qui sont entrés violemment en collision avec leurs faciès horripilants, ce n’est pas la course que je viens d’effectuer et qui me rends tout essoufflé ; non, ce ne sont pas toutes ces choses qui me détruisent à cet instant, mais bel et bien mon cœur brisé, qui ne s’était jamais réellement réparé d’une précédente rupture bien trop rapide et douloureuse. Il suinte et il crache, l’écœurant organe abîmé, celui qui bat le tempo avec douleur et frappe, frappe, frappe contre mon torse rudement. Je suis assis au sol, au fond de cette impasse et mes doigts s’attardent sur le flyer de l’évènement auquel on m’a persuadé de me rendre, pour ‘éclaircir mes doutes’. Tu crois que je peux faire ça, Primrose ? Te déranger en plein travail ? Est-ce que tu mérites une telle considération de ma part, putain ? Tu ne mérites rien, tu ne mérites rien, tu ne mérites rien. Rien, rien, rien d’autre à part le vide. Le vide, putain, je ne le laisserai pas m’engloutir par ta faute ! Le vide ne m’entrainera pas à nouveau dans le tourbillon du désespoir duquel il sera si dur de sortir. Alors je me relève, et c’est la colère qui m’aide à ne pas flancher, la colère qui fait courir le sang dans mes veines, la colère qui résulte de ma peine incommensurable. Tu crois que je peux faire ça Primrose ? Venir parader à ton gala de charité ? Je vais faire tâche au milieu de tous ces connards, tu ne crois pas ? Je vais faire tâche, Prim, ouais…
La portière de ma Holdem claque furieusement, le bruit retentit dans les rues silencieuses, à quelques pâtés de maison du musée d’art moderne où se tient un gala de charité en faveur de… J’ai oublié. Et je n’en ai rien à foutre. Peu sensibles aux causes humanitaires, persuadé que c’est une nouvelle façon pourrie d’extorquer du fric, je ne retiens pas ces choses-là et de toute évidence, ma cause à moi est aujourd’hui, bien loin de celle des grands penseurs du genre humain. Mes pas sont pressés, j’en suis à ma cinquième cigarette en moins d’un quart d’heure et je m’intoxique grandement les poumons à grosses bouffées de dioxyde de carbone nocif. Faut bien crever de quelque chose un jour, non ? Pas d’amour, on ne crève jamais d’amour. L’amour ce n’est qu’une putain de mascarade, la torture suprême qui lie deux âmes, les imbrique parfaitement pour les scinder brutalement par la suite, en commettant le plus de dégâts possible. L’amour, c’est une putain de merde ouais ! Arrivé au bout de la rue, je m’arrête et sonde la foule du regard. Alors, t’es où chérie ? A quel bras vais-je te voir suspendue comme une fleur, parfaitement apprêtée, le sourire de surface étirant tes lèvres et ton regard plein de malice qui glisse sur les hôtes. Est-ce que tu repères les plus gros poissons quand tu t’ennuies ? Tu les attires comment ? En papillonnant des cils ? En ondulant des hanches et en ralentissant consciemment le pas ? Langueur, frotti-frotta et le tour est joué ? Je crache sur le sol, mes pensées sont pleines de haine et mon regard est noir. Mon allure n’est pas des plus élégantes par ailleurs, j’ai l’haleine enfumée, mes yeux bleus sont rougis tout autour des paupières à cause des larmes qui m’ont brûlé la rétine, mes mains sont tremblantes et sales avec un peu de sang dessus… Pas le mien, le mien il s’écoule du cœur et se répand tout autour, il s’évapore et disparait dans l’atmosphère. Ce que tu ne m’as pas dit, Primrose, est en train de me faire crever. T’es où chérie? Il est où ton visage de poupée ? Montre-toi… Crève-moi le cœur, qu’on en finisse avec cette attente insupportable !
Et brusquement, l’espoir cruel qui me maintenait la tête hors de l’eau, haletant, suffoquant mais croyant encore malgré tout, cet espoir éclate au moment où elle m’apparaît. Ses longues jambes fines s’étirent hors de la voiture de luxe, avant de se faire recouvrir du voile long et élégant de la robe satinée qui lui moule le corps, sa poitrine délicate est mise en avant par un décolleté ravissant et son visage apparaît, toujours parfait, ses yeux de biche aux longs cils qui papillonnent et ses lèvres pulpeuses dont la moue boudeuse conquit tous les cœurs. Primrose Anderson, escort-girl. Primrose Anderson, responsable de mon cœur qui heurte lourdement la chaussée et éclabousse. Je tire avec force sur la cigarette entre mes lèvres, et mon regard foudroyant transperce la foule amassée sur le trottoir. J’avance alors, sans réfléchir davantage, et c’est la colère qui me porte car je ne sens plus mes jambes, ni mon corps. Je ne sais à quelle injonction il répond, sinon à celle de la haine qui sillonne mes veines. Anderson. Putain de merde ! Je me fraie un chemin facilement, anguille parmi les requins et ma main se pose fermement sur son bras avant que je ne la retourne vers moi pour la confronter. Surprise, chérie ! Je me suis invité à ta petite fête privée. Tu n’es pas content de me voir ? Je ne dis rien, mes lèvres sont scellées mais mes yeux, eux, la dévisagent avec colère. Qu’est-ce que tu fais, Prim ? Qu’est-ce que tu fais putain de bordel de merde ? C’est quoi ce cirque ? Dis-moi que ce n’est pas vrai, dis-moi que c’est un coup monté, dis-moi que je me suis trompé et que cet homme, c’est ton papa. Putain, dis-moi quelque chose ! Je deviens fou là. Et je serre mes doigts sur sa peau, avant de la relâcher brusquement et de déclarer, entre mes dents serrés – On dégage de là tout de suite, ou je te jure que je te fous la honte de ta vie.
Je devrais être la plus heureuse des femmes, je devrais savourer chaque jour cette relation naissance qui me procure un bonheur que je n’ai jamais ressenti auparavant, je devrais passer mes journées à appeler mes copines pour leur raconter à quel point Abel est merveilleux et ô combien je suis chanceuse de l’avoir dans ma vie. C’est ce que feraient toutes les filles, non ? C’est comme ça que tout le monde se comporte au début d’une relation, n’est-ce pas ? J’ai toujours trouvé affreusement niais les jeunes couples qui affichaient sans chercher à le dissimuler leur bonheur parfait et le petit nuage rose sur lequel ils se sont installés, peut-être provisoirement, mais au moins ils en profitent. Aujourd’hui, je ne partage plus vraiment le même sentiment, au contraire, je les jalouse, je voudrais l’avoir moi aussi ce petit nuage rose, je voudrais pouvoir faire preuve de cette insouciance qui me manque cruellement, j’aimerais n’avoir à me soucier de rien d’autre que de notre histoire et de la manière dont nous avançons ensemble. J’ai appris il y a bien longtemps que rien n’était vraiment simple dans la vie que j’avais choisi et je fais face une nouvelle fois à des difficultés que je n’avais pas envisagées auparavant, parce que je dois trouver des excuses pour remplir les missions confiées par Raelyn sans éveiller les soupçons d’Abel, parce que je fuis certains rendez-vous pour en assurer d’autres beaucoup moins agréable mais aussi plus lucratifs et utiles pour le remboursement de ces dettes que je ne parviens pas à éponger et que je dois m’assurer de ne jamais trop lâcher prise pour ne pas risquer de commettre un impair lors de nos conversations. Je suis constamment sur la défensive, inquiète, prête à trouver une parade au cas-où il se rapprocherait trop de mon secret. Malgré tout, j’aime passer du temps avec lui, il m’apaise, me fait sourire, rire même et m’apprend que je peux voir au-delà de la vie que je mène, au-delà de toutes ces contraintes qui rythment mon quotidien. Maintenant, ma tête ne repasse pas en boucle les missions que je dois accomplir et tout ce que j’ai à faire, il arrive à s’insinuer dans mon esprit, à distiller au cours de la journée des souvenirs heureux qui me font sourire bêtement comme une adolescente amoureuse. Je revois son rire communicatif, l’accent chantant de sa voix lorsqu’il me parle, sa peau lisse contre mon corps, la chaleur des mains qu’il pose sur moi ou encore la douceur de ses lèvres sur les miennes. Pendant quelques minutes, je vis dans cette bulle de bonheur qui me semble indestructible jusqu’à ce que la réalité me rattrape, dure, frappante, exténuante même, à certains moments et je dois y faire face, parce que je n’ai pas le choix, parce que cette réalité m’accompagne au quotidien et que je n’ai aucun moyen de m’y soustraire. D’ailleurs, est-ce que je le veux réellement ? Tout ceci, c’est ma vie, Abel, c’est ma jolie parenthèse jusqu’à ce qu’il finisse par m’abandonner comme tous les autres. Ce que je fais de ma vie, personne ne pourra jamais me l’enlever, je suis maitresse de mon destin et m’abandonner dans les bras d’un homme qui pourrait me briser le cœur ne ferait que me desservir. J’aime à penser que je suis restée cette femme indépendante capable de faire des choix – mauvais, certes, la plupart du temps – et de les assumer jusqu’au bout, mais en réalité, je le sais, que mon cœur finira par être brisé. Je peux essayer de me mentir, de me faire croire que je n’aime pas cet homme, qu’il ne représente rien pour moi, qu’il est juste une passade et que son départ ne m’affectera pas, mais je l’ai dans la peau déjà, son absence crée un vide, sa présence me redonne le sourire et fait rosir mes joues. Est-ce que c’est ça l’amour ? Être heureuse en ayant peur que ça s’arrêter ? S’abandonner en étant certaine que c’est une erreur ? Profiter des moments à deux en sachant pertinemment que mon secret ne permettra pas à cette relation de durer éternellement ? Je n’ai pas de réponse à toutes ces questions, tout ce que je peux faire c’est continuer à livrer les combats intérieurs qui m’obnubilent depuis qu’Abel est entrée dans ma vie, je fais un pas en avant, deux en arrière, pour ensuite faire de nouveau dix pas vers lui. Je me livre puis me renferme en une fraction seconde, une phrase, un mot ou même un regard peuvent me paniquer suffisamment pour que je redevienne la jeune femme fragile et apeurée du début. Je fais de mon mieux pour être à la hauteur, je fais de mon mieux pour le rendre heureux, je fais de mon mieux pour que nous ayons droit à cette bulle de bonheur le plus longtemps possible. Malgré tout, je sais que nos heures sont comptées et je frissonne en imaginant les conséquences futures de son explosion.
Ce soir, je n’ai pas le temps de me poser toutes ces questions. Accoudées à mon bureau, dans la petite chambre que j’occupe dans le loft de mon frère, je finis d’ajuster mes boucles d’oreille en potassant ma fiche sur l’artiste qui sera présenté au gala de charité de ce soir. Deux papiers à l’écriture manuscrite sont posés devant moi, l’un présente ce jeune peintre talentueux dont le succès est grandissant depuis ces trois dernières années, l’autre évoque la vie de l’homme d’affaires respecté – respectable est moins sûr – que je vais accompagner ce soir et auprès duquel je suis censée récupérer des informations importantes. J’ai été briefée par Raelyn en personne, c’est donc que la mission doit être importante, mais ça ne me fait pas peur. Jusque-là, je ne l’ai jamais déçue et je n’ai pas l’intention de commencer aujourd’hui. Je ferme les yeux et n’ai aucun mal à visualiser l’intégralité du contenu de mes fiches dans ma tête. Je suis prête. La boucle de mes escarpins à talons est nouée et ces derniers sont recouverts par le bas de la robe longue et fluide que j’ai sélectionné avec soin en fonction de l’événement. Mon maquillage a été étudié avec minutie tout comme ma coiffure et l’image que me renvoie le miroir de l’entrée est satisfaisante. Caleb n’est pas là ce qui est un véritable soulagement, ça me fait un mensonge de moins à lui inventer sur la nature de la soirée qui m’attend. Un petit sac en bandoulière suffisamment grand pour contenir mon téléphone, un peu de maquillage et une carte de crédit vient compléter ma tenue et je m’assure que mon décolleté est bien mis en valeur avant de claquer la porte dans la nuit noire, hélant un taxi pour me rendre à l’adresse de l’hôtel qui m’a été communiquée. Tout se déroule à merveille, je ne suis pas en retard et c’est avec un sourire assuré et les yeux pétillants d’excitation que je me retrouve assise dans une voiture hors de prix en direction du musée d’art moderne qui abrite la soirée où nous nous rendons. L’homme qui m’accompagne est de taille moyenne mais d’une carrure suffisamment impressionnante pour le rendre imposant, il parle vite ce qui témoigne d’une certaine nervosité mais semble se détendre au fur et à mesure que nous conversons et qu’il se rend compte que mon professionnalisme ne risque pas de le mettre dans l’embarras. De mon côté, je suis détendue et sereine, signe que je m’habitue sans doute un peu trop à ces bains de foule mondains où je finis par me sentir parfaitement dans mon élément. La voiture ralentit et le chauffeur vient nous ouvrir la portière, laissant mon rendez-vous du soir sortir le premier et me tendre gracieusement une main pour m’aider à sortir du véhicule. Mon sourire ne faiblit pas alors que je le remercie pour son geste d’un signe de tête et prend connaissance du décor qui m’entoure. Le musée est magnifique avec les lumières qui le mettent en valeur dans la pénombre et la foule qui se presse sur le trottoir, discutant avec enthousiasme de la soirée à venir, me donne envie de les rejoindre et de montrer l’étendue de mes talents. Bien entendu, je ne me méprends pas sur l’objectif de cette soirée, je suis ici pour travailler et non pas pour m’amuser et je ne compte pas faillir à ma tâche.
Mes yeux sont brusquement attirés par une silhouette à l’allure moins élégante que celles des personnes présentes et qui se dirige droit vers moi. Mon regard met du temps à assimiler cette information pourtant évidente et à l’envoyer jusqu’à mon cerveau qui refuse quant à lui d’analyser la scène qui se déroule devant mes yeux. Seule la main qui s’agrippe fermement à mon bras me permet de ne pas rester figée, trop surprise par ce que je viens de voir pour réellement réaliser ce qui est en train de se produire. De la stupeur, je passe à la panique, une panique violente, qui me noue l’estomac, m’empêche de prononcer le moindre mot et rend mes yeux brillants. Je dévisage Abel et la panique grandit encore lorsque je me rends compte de la colère, ou plutôt même de la haine, qui semble l’habiter. Jamais je n’ai vu son regard aussi dur. Jamais je n’ai vu en lui cette envie de fracasser tout ce qui pourrait se dresser sur son passage. Jamais je n’aurais pu penser qu’il puisse se mettre dans un tel état de rage. Son attitude me fait peur, parce que je sais que sa colère a pris le dessus sur sa raison, j’ai conscience que rien ni personne ne pourrait le faire reculer et que s’il est là, devant moi, ce soir, c’est parce qu’il sait. L’angoisse contracte encore davantage mon estomac alors que nous nous affrontons du regard, lui haineux, moi apeurée et complètement déboussolée. C’est trop tôt. C’est beaucoup trop tôt. Je n’ai pas eu le temps de préparer ce que je pourrais lui dire. Je n’ai pas eu le temps de graver dans ma mémoire tous les instants magiques que nous pourrions vivre tous les deux. Je n’ai pas eu le temps de l’aimer autant que je le voudrais. Je n’ai pas eu le temps de lui prouver que j’en valais la peine. Ses doigts s’enfoncent dans ma peau, marquant cette dernière sans que je n’esquisse le moindre mouvement de recul. J’ai mal, mais ce n’est pas physiquement que je souffre, comment pourrais-je accorder de l’importance à cette douleur alors que je suis en train de partir en morceaux à l’intérieur ? Tout ce que je redoutais va arriver maintenant et je ne me sens pas assez forte pour encaisser tout ça. Abel prononce une seule phrase et mon regard jongle entre l’homme qui m’attend, toujours à côté de la portière, et celui qui compte tellement pour moi et qui a besoin que je le suive maintenant, tout de suite. « Je… » Je quoi ? Je ne peux pas le suivre ? Je dois rester ici ? Je dois accomplir la tâche qui m’a été confiée ? J’ai d’autres priorités que de gérer la haine que tu éprouves à mon égard ? Il y a tellement de choses que je pourrais dire mais aucune d’entre elles ne me parait appropriée, sans doute parce qu’aucune ne l’est vraiment, en réalité. Ce que je voudrais, c’est le suivre, lui expliquer, trouver un moyen de le garder auprès de moi, mais ce que je dois faire est tout autre, parce que je me suis préparée pendant de longues heures pour que cette soirée soit réussie et je me dois d’aller jusqu’au bout. « Pas maintenant. » Je couine, la voix mal assurée et le regard effrayé d’une biche devant un chasseur. « Je t’en prie. » Mon ton se fait suppliant, ma voix n’est que murmure alors que je lance des coups d’œil inquiets à l’homme qui patiente – plus étonné qu’agacé – à moins de deux mètres de deux moi. « Je n’ai pas le droit... » Ma voix se brise, je m’arrête en plein milieu de ma phrase autant parce que je ne sais pas quoi ajouter que parce que j’ai peur d’éclater en sanglots si je continuer à parler. « Tu ne comprends pas. » Il ne comprend pas mais comment le pourrait-il ? Je ne lui ai rien expliqué, je ne l’ai pas mis en garde, je ne lui ai pas avoué ce que je fais de ma vie, je n’ai pas été honnête et je mérite ce qui est en train de m’arrive. La honte de ta vie. Il m’a juré de gâcher cette soirée si je venais pas avec lui et pourtant je reste figée, incapable de renoncer volontairement à ce travail. Toute couleur a quitté mon visage et je m’appuie d’une main sur la voiture de peur que mes jambes décident de me lâcher. Tout cela est un véritable cauchemar.
"I WALKED THE STREETS ALL DAY, RUNNING WITH THE THIEVES. ‘CAUSE YOU LEFT ME IN THE HALLWAY, GIVE ME SOME MORE. JUST TAKE THE PAIN AWAY. JUST LET ME KNOW I’LL BE AT THE DOOR, AT THE DOOR, HOPING YOU’LL COME AROUND. JUST LET ME KNOW I’LL BE ON THE FLOOR, ON THE FLOOR, MAYBE WE’LL WORK IT OUT. GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER…► HARRY STYLES, MEET ME IN THE HALLWAY."
→ Elle piétine mon cœur, Anderson. Elle l’écrase sous le talon aiguille de sa chaussure vernie et le laisse se vider de son amour. Mon cœur se trouve sur la chaussée, émietté, déchiqueté, éventré, il n’est plus rien. Rien de plus qu’une ombre, qu’un organe sans vie qui bat mollement et sans conviction. Le sang pulse à mes tempes et je relâche son bras, laissant une marque rougie sur sa peau, là où mes doigts se sont enfoncés il y a quelques secondes à peine. Son regard de biche s’affole en comprenant qu’elle n’a pas d’issue, que je suis bien là devant elle à lui réclamer des comptes, à l’interroger sur ses activités illégales, activités qu’elle m’a honteusement caché… Dis-moi, Primrose, tu pensais réellement que je ne découvrirais pas ton métier ? Pute de luxe, c’est quelque chose ! C’est comme ça que tu arrives à te payer ta garde-robe de princesse ? Tu fais ça pour quoi ? L’argent ? Le luxe ? Ça te plaît de te faire tripoter par des gros dégueulasses ? Comment tu fais pour te regarder dans un miroir après ça ? C’est la colère qui alimente mes sombres pensées, et elle distille son venin qui s’extirpe par tous les pores de ma peau. Excédé, je suis à la limite de disjoncter et elle devrait me prendre au mot, oui, elle devrait. Car je suis réellement sur le point de faire un beau scandale en pleine rue. Et je ne suis pas du genre à avoir peur du regard des autres. Habitué des scandales, souvent relatés dans la presse d’ailleurs, je ne suis plus à ça près. Bonne ou mauvaise publicité, tant qu’on parle de moi je gagne du blé (c’est ce que je me disais avant, désormais je n’en ai plus rien à cirer). – Je… Pas maintenant. Sa petite voix fluette qui d’ordinaire caresse ma peau pour la recouvrir d’agréable frisson m’écorche cette fois—ci comme les piquants d’une rose. – Je t’en prie. Je n’ai pas le droit… A son ton et à son regard, je pourrais céder. Je pourrais, par amour pour elle, laisser tomber et partir loin pour enterrer ma peine. Parce qu’à cet instant, elle a l’air apeurée, Primrose. Son visage s’est décomposé et elle n’a plus rien de la jeune femme assurée qui descendait tout en souplesse de la grosse berline luxueuse en confiance et qui affichait un air conquérant. Volatilisée, la confiance. Envolée, l’assurance. Il ne lui reste plus qu’un regard suppliant, des lèvres rouges et délicates pincées dans une moue triste, et un visage crispé, dans l’expectative de me voir m’éloigner – sûrement. Mais c’est mal me connaître que de penser que je suis capable de tourner les talons aussi simplement que ça. J’ai trop de fierté mal placée, et je suis habitué à hurler quand on m’accule, à me débattre quand on me blesse et à rendre coup pour coup. Gamin survolté qui a dû se battre toute son enfance pour réussir à se faire entendre. Gamin trop souvent laissé de côté, à qui on a trop souvent demander de la fermer, trop compliqué, trop excité, trop énervé. Gamin qu’on a refusé d’écouter et qui sera désormais toujours insécurisé. C’est moi, je suis constitué ainsi, je refuse de courber l’échine, de tendre le bâton pour me faire battre. Et si je cours malheureusement bien trop souvent vers le désastre, c’est pour pouvoir hurler l’injustice, crier à plein poumons à quel point cette vie me tue et me fait mal. J’ai mal, Primrose, tu comprends ? J’ai mal et j’ai besoin de le crier ce mal. – Tu ne comprends pas. Toi non plus, apparemment. Ces mots sont blessants, ils me heurtent violemment tant leur rejet est puissant. Je ne comprends pas. Mais tu ne m’as jamais rien expliqué, Primrose ! Alors comment pourrais-je comprendre ? Tu ne veux pas que je comprenne ! Sinon, tu n’aurais pas agi ainsi, en me cachant tout ça, n’est-ce pas ? Tu penses que je ne suis pas en capacité de comprendre, alors tu prends les décisions à ma place. Tu en sais quoi de tout ce que je peux encaisser, en vérité ? T’es qui pour décider à ma place, Primrose ? Tu veux voir ce que ça fait d’être impuissant ? Tu veux voir ce que ça fait d’être dépossédé de ses moyens ? Un sourire mauvais s’étire sur mon visage alors que je répète : - Je ne comprends pas… Je recule d’un ou deux pas, et un rire un peu fou s’échappe de mes lèvres alors que je la fixe, le regard brouillé par les larmes. – Moi je ne comprends pas ! Et soudain, ma main se pose sur l’homme d’affaire qui l’accompagnait et je l’interpelle brusquement – Vous comprenez quelque chose vous ? – Jeune homme, s’il vous plait ! – Vous comprenez que c’est une pute au moins, n’est-ce pas ? Vous avez prévu de vous la taper ensuite ? Elle vous prend combien ? Beaucoup ? C’est une sacrée suceuse, pas vrai ? Une putain de vampire ouais ! Et je hurle, ça y est. Tu vois, Primrose, il ne m’en fallait pas beaucoup pour me pousser à ça. – Jeune homme, reprenez votre calme, voyons ! Ce n’est pas un endroit pour ça ! Je relâche l’homme et m’avance vers Anderson, le regard lançant des éclairs. – Tu préfères rester là et t’envoyer des mecs qui ont de la thune, c’est ça ? Tu préfères ça que d’être avec moi ? T’as pas le droit ? J’EMMERDE LE DROIT OK ? J’étudie le droit et ça putain ! Ça ! C’est ILLEGAL ! Vous êtes tous des enculés, sales riches qui dépensent leurs frics salement par derrière et font des dons par devant ! C’est pour quoi votre cause ? Pour alimenter les maisons closes bandes de connards ? La sécurité arrive, deux gros bras viennent vers nous et me saisissent par les bras. – Tu vas aller faire ta crise ailleurs, toi. Et toi aussi, on ne veut plus vous voir par ici ! Gentimment – un peu molestement – nous sommes entrainés rapidement à l’écart de la foule scandalisée par les propos que je viens te tenir. Pas de doutes qu’il y aura des photos dans la presse demain de ma magnifique intervention. Pas de doutes que Primrose en sera affectée d’une façon ou d’une autre. Mais j’en ai rien à foutre ! Car j’ai le droit d’exprimer ma peine et elle est immense. J’ai besoin de hurler, Prim. Maintenant, tu le sais.
Je suis figée, tétanisée et complètement paralysée par la peur alors que je vois Abel s’avancer, le regard brillant de colère. Sa détermination m’effraie, sa haine me terrifie et pire encore c’est ce dont il est réellement capable que je crains, parce que je sais ce qu’il peut me faire, je sais quel pouvoir il a sur moi et je sais que mon cœur peut se briser en mille morceaux, blessé par de simples paroles de sa part. Je ne voulais pas m’attacher à lui, je voulais éviter à tout prix qu’il ait une place dans ma vie parce qu’il ne devait en aucun cas avoir cette emprise sur moi. J’ai échoué, totalement échoué et alors qu’il prend la parole, l’air déterminé et avec une froideur que je ne lui connais pas, je me sens affreusement mal et je suis totalement incapable de réfléchir correctement et de prendre une décision, bonne ou mauvaise. Alors je bégaye, je tente de le repousser, j’essaie de mettre un terme à cette altercation inévitable qui n’a pas encore commencé. Mes arguments sont pauvres voire inexistants, mon attitude ne me permet pas de cacher mon angoisse. Envolée la femme forte et pleine d’assurance qui est montée dans cette voiture quelques minutes auparavant, disparue la Primrose qui pensait pouvoir conquérir le monde grâce à un battement de cils et une robe un peu moulante. Je pensais briller, je croyais pouvoir être au centre de l’attention grâce à mes recherches poussées et ma capacité à jouer de mes charmes mais jamais je n’aurais pu imaginer que ce seraient des regards outrés et étonnés qui se tourneraient dans ma direction et que les gens me dévisageraient en chuchotant et en me montrant du doigts. Pourtant, c’est exactement ce qu’il se passe alors qu’Abel explose, rebondissant sur mes mots comme s’ils avaient eu pour simple effet de dégoupiller la grenade déjà sur le point d’exploser. Je pâlis encore davantage sous mon maquillage impeccable et je suis obligée de m’appuyer contre la carrosserie de la voiture pour ne pas flancher. En temps normal, j’aurais fui, parce que c’est toujours ce que je fais lorsque je dois affronter une situation compliquée mais aujourd’hui, je n’ai pas cette possibilité. Je suis acculée, prise au piège, mon regard va de mon rendez-vous du soir au Abel furieux qui est en train de me glisser entre les doigts et je suis incapable de savoir quelle attitude adopter. Je tente de l’apaiser, murmurant des paroles presque inaudibles et avec une conviction inexistante. « Arrête, s’il te plait. » C’est trop tard, je le sais, personne ne peut arrêter Abel, pas moi, pas l’homme qui m’accompagne et qui tente vainement de le canaliser avec un ton calme et ferme dissimulant la frayeur que je peux pourtant lire dans son regard. Toutes mes pensées se bousculent dans mon esprit, ma mission, ce rendez-vous important, la fureur de Raelyn, les conséquences qui vont me retomber dessus, les problèmes que je vais avoir. Pourtant, ces pensées me paraissent bien insignifiantes en comparaison de la peur de perdre Abel qui me noue l’estomac et m’empêche de réfléchir correctement.
Les larmes roulent sur ses joues et je fais un mouvement vers lui alors qu’il s’époumone de plus belle. Il s’avance vers moi, lâchant l’homme que j’entends soupirer bruyamment, comme soulagé d’être libre avec son visage intact. Je soutiens son regard alors qu’il prétend que je préfère mon travail à sa présence, j’ouvre la bouche pour rétorquer mais aucun son ne sort, il ne me laisse de toute façon pas la possibilité de répondre, préférant lâcher tout ce qu’il a sur le cœur. Chacune de ses paroles s’enfonce dans mon cœur comme un coup de couteau, il veut me faire mal et il y arrive parfaitement bien parce qu’il sait comment me toucher, il me connait assez pour pouvoir me piétiner. Je l’ai laissé entrevoir la vraie Primrose, je me suis laissé aller avec lui, j’ai lâché prise et maintenant il a le pouvoir de me briser aussi facilement qu’une bouteille de verre lâchée au sol. Des mains nous saisissent pour nous écarter de la foule, nous renvoyant sans ménagement comme si nous n’étions que deux trouble-fêtes pas à leur place dans cet événement mondain. Je ne tente même pas de me débattre alors que je vois tout mes efforts acharnés pour réussir ce travail partir en fumée en une fraction de seconde. La foule sort de mon champ de vision et bientôt il ne reste plus que nous deux, une femme fragile et perdue face à un homme bouillonnant de colère et incapable de se contrôler. L’air frais me fait frissonner et ma robe trop habillée me rend presque ridicule dans cette rue mal éclairée où je ne devrais pas me trouver. Je relève la tête pour dévisager Abel, silencieusement, pendant une fraction de seconde. J’aimerais tout lui expliquer, j’aimerais qu’il comprenne, j’aimerais qu’il m’accorde le bénéfice du doute, qu’il se rende compte que je n’ai pas réellement le choix, qu’il réalise à quel point il compte pour moi et que ce travail n’est justement rien de plus que ce qui me fait vivre. Les arguments se bousculent dans ma tête, les émotions aussi et finalement c’est la colère qui finit par prendre le dessus sur la déception parce qu’il m’est sûrement plus facile de laisser la rage prendre le dessus sur la douleur et qu’elle a toujours été ma meilleure arme pour combattre la déception. Mes poings se serrent, mes ongles s’enfoncent dans les paumes de mes mains, je tremble toujours mais cette fois-ci c’est la colère et plus la peur qui m’envahit et me fait perdre le contrôle à mon tour. Je me jette sur lui. Mes poings martèlent son torse alors que je hurle dans la fraicheur du soir. « TU N’AVAIS PAS LE DROIT. » Mes coups redoublent d’intensité et mon souffle se raccourcit alors que je m’épuise sans grand succès, certainement incapable de provoquer la même douleur que celle qu’il a pu me faire ressentir quelques instants plus tôt. « T’ES VRAIMENT QU’UN GROS CON !» Je continue, hurlant ma déception et mon désarroi, incapable de l’exprimer autrement qu’en m’en prenant à celui qui vient certainement de tout détruire, de me détruire. « REFLECHIS UN PEU, PUTAIN ! » Mes coups faiblissent puis cessent, me laissant totalement essoufflée et mes bras retombent mollement le long de mon corps. « T’as même pas essayé… » Je reprends alors, plus doucement cette fois. « T’as même pas essayé et maintenant tu vas m’abandonner comme tous les autres. » Je relève mon regard bleuté vers lui, les yeux brillants, tentant tant bien que mal de conserver la même fermeté. « Alors qu’est-ce que t’attends ? Dégage ! » Tout gâcher avant qu’il n’y parvienne, me blesser avant qu’il ne me blesse, voilà la stratégique que j’adopte ce soir alors qu’elle m’a prouvé par le passé qu’elle ne me réussissait pas. Je n’apprends pas de mes erreurs.
"I WALKED THE STREETS ALL DAY, RUNNING WITH THE THIEVES. ‘CAUSE YOU LEFT ME IN THE HALLWAY, GIVE ME SOME MORE. JUST TAKE THE PAIN AWAY. JUST LET ME KNOW I’LL BE AT THE DOOR, AT THE DOOR, HOPING YOU’LL COME AROUND. JUST LET ME KNOW I’LL BE ON THE FLOOR, ON THE FLOOR, MAYBE WE’LL WORK IT OUT. GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER…► HARRY STYLES, MEET ME IN THE HALLWAY."
→ Excédé, le souffle court et les poings serrés, je suis en pleine crise de nerf, ou de folie, je ne sais pas. Je n’ai plus rien à perdre de toute façon car tu m’as déjà tout arraché, Primrose. Est-ce qu’en prenant la décision pour moi, tu as inclus le fait que tu me déchirerais le cœur ? T’étais consciente que je te l’avais confié ? T’étais consciente du trésor que j’avais remis entre tes mains ? J’aurai dû être plus méfiant, j’aurai dû t’éviter, ne pas tomber dans ton piège, ne pas être intrigué, ne pas vouloir abaisser toutes tes barrières pour te toucher plus profondément encore. Stupide. Idiot. Fou. J’ai toujours couru vers le précipice, comme un taré, sans réfléchir. Le grand saut. Le saut dans le vide, celui où je m’éclate la tronche gravement et où je n’en ressors pas indemne. Souffrir pour exister, quelle belle connerie ! Le molosse de la sécurité nous amène à l’écart et je me détache de son emprise dès que je le peux, donnant un coup de coude violent vers l’arrière. Qu’il me lâche ! Ça ne m’a pas soulagé de crier, ça ne m’a pas fait du bien de lui ruiner sa soirée, je suis toujours aussi profondément meurtri et je sais que la douleur ne s’en ira pas de sitôt. Il va falloir se reconstruire, prendre le temps de le faire et j’ignore si j’en ai la force mais j’essaierai (pour Morgane, évidemment). Il me manquera toujours un bout de moi, un bout déchiré, un bout envolé, un bout arraché par les ongles de la sulfureuse Primrose Anderson. Je respire difficilement, mes pieds pataugent un instant dans une large flaque d’eau avant de grimper sur le trottoir. Je m’appuie, la main posée à plat contre le tronc d’un arbre, à l’entrée du parc face au musée. Certaines personnes nous regardent encore, scandalisées. Je les emmerde. Je les emmerde tellement ! Si c’est la souffrance et la douleur que vous admirez : regardez bien, bande de vautours ! Je n’ai pas honte de souffrir, moi. Je n’ai pas honte de crier qu’elle m’a brisé le cœur Primrose, je n’ai pas honte de hurler ma déception, mon impuissance face au choc. Je n’ai pas honte car je l’aime, et je m’en rends compte alors que mon cœur s’écrase misérablement sur le sol australien. Putain de merde, n’avait-on pas dit : plus jamais ? Cette sensation horrible, d’avoir le cœur qui se serre si fortement qu’il devient difficile de respirer, sentir l’oppression vous lier pied et poing, vous empêcher de réfléchir rationnellement car la douleur occulte tout. Elle compresse le cœur, bloque l’esprit et les pensées et tout ce qu’il reste, c’est la rage qu’elle provoque. Car c’est pas humain de souffrir autant. C’est pas humain d’avoir autant mal. J’ai envie de m’arracher le cœur, de le balancer aux ordures et de partir loin, très loin de cet organe qui me tue au lieu de me faire vivre.
Et soudain, alors que je suis là, en train de difficilement reprendre mon souffle et de suffoquer, les larmes aux yeux, la bouche ouverte et sèche laissant échapper des bruits étouffés ; elle se jette sur moi. Il n’y a aucune douceur dans notre échange. Il n’y a plus que de la douleur et de la violence. Voilà pourquoi ses poings se mettent à frapper intensément mon torse, et je me surprends à vouloir qu’elle frappe plus fort. Plus fort, Primrose, plus fort. Défonce-moi le cœur, achève-le putain ! Pourquoi je respire encore merde ! TUE-LE ! – TU N’AVAIS PAS LE DROIT. Pas le droit de quoi ? Je ne comprends pas de quoi elle parle, mon attention étant totalement troublée par les petits points qui s’écrasent de plus en plus lourdement sur mon torse. – T’ES VRAIMENT QU’UN GROS CON ! J’ai envie de rire et de hurler en même temps. T’as raison, Primrose, je ne suis qu’un gros con qui ne comprends rien. J’aurai dû anticiper tout ça, j’aurai dû comprendre dans tes silences que tu allais me briser en mille morceaux et t’en foutre royalement. – REFLECHIS UN PEU PUTAIN ! Ses coups baissent en intensité, elle lâche prise, la biche acculée, la sauvageonne blessée. Elle lâche prise car elle aussi, aujourd’hui, elle a perdu. Et je n’en tire aucune satisfaction, ni aucun plaisir. – T’as même pas essayé… T’as même pas essayé et maintenant tu vas m’abandonner comme tous les autres. Et, alors que la résignation commençait à s’installer, c’est l’incompréhension qui survient et balaie tout. Comment ça je n’ai pas essayé ? De quoi parles-tu ? – Alors qu’est-ce que t’attends ? Dégage ! La violence de ces mots me frappe à nouveau, mais je ne fuis jamais l’affrontement et elle le sait très bien. – Va te faire foutre, Prim. Oh non, merde, ça c’est ce que tu comptais faire hein ? Acerbe, la remarque piquante fait mouche et le venin se répand tout autour. C’est la haine qui parle désormais. La haine, créée par la douleur et la violence de la perte. – J’ai pas essayé quoi hein ? J’ai pas essayé quoi ? Et je m’approche, réduis l’espace entre nous, mon torse se colle au sien et mon visage s’abaisse pour presque coller sa peau de porcelaine. Mon regard haineux se plante dans le sien, provocateur. – T’as pas capté que t’es celle qui a foutu le bordel là ? Le gros con, c’est moi. Mais la pute, c’est bien toi ! Et mes dents se serrent alors que je la fixe avec l’envie brutale de la frapper, de détruire ce beau visage qui m’ait donné de voir, ce beau visage qui a hanté mes jours et mes nuits et donné tant de plaisir. Comme à tant d’autres. PUTAIN ! Je fais volte-face, mon poing s’écrase contre l’écorce rugueuse de l’arbre. Une fois, deux fois, et j’arrête de compter. J’arrête de compter mais je suis en pleurs et ma main est en sang lorsque je m’arrête. Je me tourne de nouveau vers elle et pointe un doigt accusateur vers elle en disant – C’est TOI qui n’a pas essayé ! C’est TOI qui a décidé que je ne pouvais pas comprendre ! Toi et toi seule putain ! Toi toute seule Prim ! Et tout ce que tu mérites c’est de finir seule bordel de merde ! Et ça me détruis de dire ça parce que tout ce que je voudrais, c’est la serrer dans mes bras, oublier tout ça, faire comme si ça n’existais pas. Mais c’est impossible, n’est-ce pas ? On ne peut pas masquer ce qui nous déplait et ne regarde que ce qui nous arrange. C’est dommage. J’aimerai bien, juste pour une fois. Juste pour cette fois.
Tout détruire, c’est ce que je fais de mieux, parce que je préfère être à l’origine de mes défaites plutôt que de les subir. C’est pour cette raison que je me contente d’anticiper ce qui va évidemment se produire maintenant qu’Abel sait qui je suis réellement au lieu de tenter de m’expliquer et de sauver ce qui peut encore l’être. A quoi bon ? Il a son opinion à mon sujet, je le dégoûte, il me déteste, il s’en veut de m’avoir accordé du temps et même de l’intérêt, ça se voit, ça se sent. Comment pourrais-je l’en blâmer ? Je fais bien attention d’éviter les miroirs par peur de l’image que mon reflet pourrait me renvoyer, parfois. Je ne suis pas à l’aise avec tous mes choix même si je prétends le contraire mais j’ai besoin de me protéger, j’ai besoin de me préserver de cette douleur sourde qui menace de m’envahir au moment où je déciderais de baisser les armes et de laisser mon cœur parler, prenant le dessus sur cette colère sur laquelle j’ai choisi de me concentrer par peur de cette souffrance immense que j’ai tant redoutée. Il ne sait pas à quel point je l’aime. Il ne sait pas à quel point j’ai peur de le perdre, mais ce ne sont pas des vérités qu’il doit connaitre, au contraire, je refuse de me sentir vulnérable, je refuse de lui donner un pouvoir sur moi que j’ai toujours refusé de laisser à quiconque. Je n’ai besoin de personne, je suis toujours cette forte, indépendante, capable de s’occuper d’elle-même sans le moindre soutien qu’il soit familial, amical ou amoureux. Je m’en sortirais s’il n’est pas là, parce qu’après tout, il était écrit à l’avance qu’entre nous, ce serait éphémère, je le savais, n’est-ce pas ? Il ne sera qu’une parenthèse dans ma vie, rien de plus et lorsque je la refermerais, je ne ressentirais plus rien, ce sera comme s’il n’avait jamais existé. Comme j’aimerais que ces pensées soient réalistes, j’adorerais pouvoir être aussi forte que je le prétends mais je suis loin de l’être, en réalité et c’est bien mon cœur qui se brise en mille morceaux devant les larmes d’Abel et ce regard mi-haineux mi-déçu que je ne lui connais pas. Je voulais tellement être à la hauteur pour lui, j’ai toujours craint de le décevoir et mes pires craintes viennent de devenir réalité. Je me déteste. De toutes mes forces. Je voudrais hurler toute ma détresse, extérioriser ma peine, mais je n’en suis pas capable alors c’est sur lui que je me jette, laissant mes poings frapper son torse de toutes mes forces jusqu’à ce que je m’épuise parce qu’il est plus facile de rejeter sur lui tout ce que je n’arrive pas à exprimer avec des mots. Je crie en le frappant, je prononce des mots que je ne pense même pas, je veux le pousser à me laisser tomber, je veux le pousser à m’abandonner, je veux mettre un terme à ce moment que je ne me sens pas capable d’affronter parce que l’issue en est de toute façon fatale et qu’il n’est pas utile de retarder plus longtemps l’inévitable. Qu’est-ce que tu attends, Abel, pars, tu meurs d’envie.
Contre toute attente, il reste là, malgré tout, figé devant moi sans un mouvement dans ma direction mais sans esquisser le moindre geste de recul. Je le dévisage, haletante, épuisée par l’effort que je viens physique que je viens de fournir et encore davantage par les efforts que je dois faire pour contenir toutes les émotions qui se bousculent en moi et qui ne demandent qu’à sortir d’un seul coup, tel un tsunami capable de tout détruire sur son passage. Mais si Abel n’a pas l’intention de partir, je comprends vite que c’est simplement pour me balancer tout ce qu’il a sur le cœur et non pour tenter de rétablir le dialogue. Comment le pourrait-il de toute façon ? J’ai refusé ce dialogue maintes et maintes fois, je n’ai pas été capable de lui dire la vérité lorsque les occasions se sont présentées, j’ai préféré repousser ce moment qui serait l’élément déclencheur de la fin de ce nous auquel je tiens tant, mais j’ai eu tort parce que le fait qu’il découvre tout par lui-même rend les choses encore plus dures. Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard alors qu’il tente de me blesser, en prononçant pourtant une simple vérité à laquelle je n’aurais pu qu’acquiescer. Bien sûr que c’est dans le lit de cet homme que ma soirée se serait terminé et oui c’est exactement ce que je cherchais. C’est ça ce que tu veux que je te dise Abel ? Tu veux que je t’avoue que lorsque nous ne sommes pas ensemble, mon objectif est de donner du plaisir à ces hommes riches qui me récompensent par les jolis cadeaux qu’ils m’offrent et les informations précieuses que je communique au Club ? Parce que c’est la vérité, la seule et unique putain de vérité. Et alors ? Je suis toujours la même fille, celle qu’il a voulu séduire, celle avec qui il a passé tant de temps, celle qui se blottit contre lui sous les draps, cherchant à parcourir chaque centimètre carré de sa peau du bout des doigts. Je n’ai pas changé. J’aimerais tellement être capable de le lui faire entendre, j’aimerais avoir le courage de le retenir. Il s’approche de moi et j’ai un mouvement de recul, persuadé que je vais recevoir son poing dans le visage, mais il se retient, serrant les dents alors qu’il me crache en pleine figure tout ce qu’il a sur le cœur, me rabaissant à ma simple profession comme si j’en étais réduite à ce terme qui semble si dégoutant lorsqu’il sort de sa bouche. C’est finalement l’arbre le long du trottoir qui prend ce coup qu’il a eu tant de mal à retenir et me sort enfin de ma torpeur alors que je me précipite pour le retenir, attrapant son bras pour le tirer en arrière. « Arrête ! Arrête ! » Je hurle. Une lumière s’allume dans un appartement donnant sur la rue et la fenêtre s’ouvre laissant apparaitre la tête d’un résident curieux d’assister à ce tapage nocturne. Abel fait volte-face et je le lâche instantanément et recule de trois pas, effrayée à l’idée qu’il retourne sa violence contre moi. Il n’en fait rien, se contentant de reprendre ses reproches, toujours plus dures, avec cette haine qui semble grandir au lieu de s’apaiser au fur et à mesure que les secondes s’écoulent. « ARRÊTE ! » Je hurle de nouveau, touchée, impuissante, blessée par l’homme que j’aime plus que je l’ai jamais été auparavant par quiconque. « Arrête. » Je murmure cette fois, le corps tremblant sous les sanglots que je n’arrive plus à retenir. Les larmes roulent sur mes joues, achevant de ruiner mon apparence de poupée parfaite en faisant dégouliner le mascara sous mes yeux. Je m’effondre sous ses yeux malgré tous mes efforts pour ne rien laisser paraitre, parce que c’est trop dur, parce que je n’en peux plus. Je tente de me reprendre, laissant s’écouler les secondes alors que je me force à avoir une respiration normale et lorsque je relève la tête, j’essuie les mes joues d’un revers de main et m’oblige à lui faire face. « J’ai essayé de te prévenir. » Je murmure de nouveau, ma belle assurance s’étant définitivement envolée alors que je laisse enfin transparaitre toute cette vulnérabilité que je ne voulais pas montrer. La vérité, je la connais, je suis tout simplement indéfendable et aucun argument ne pourra justifier ce que je viens de lui infliger, j’en ai pleinement conscience. « Je n’ai pas réussi parce que j’avais trop peur de te perdre. » Je me force à soutenir son regard, attendant simplement le bon moment pour fuir et laisser derrière moi ce que j’ai perdu. Vas-y Abel, dis-moi que c’est irréparable et que les choses ne seront plus jamais comme avant, rends-moi ma liberté.
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→ Elle aimerait bien que j’arrête de crier, que j’arrête de faire mon ‘cinéma’ et d’ameuter tout le quartier, que j’arrête de lui cracher ma détresse en plein visage, ma détresse et ma colère entremêlées qui se déversent rageusement depuis ma bouche. Regarde-moi, Prim, regarde ce que tu m’as fait. Tu crois que je pleure souvent pour les nanas ? Tu crois que je me mets souvent dans de tels états ? Humilié, profondément blessé, tu m’as mis à terre. Et je me relève difficilement, je m’accroche à la rage, à mon besoin incessant de lutter malgré toute la violence des coups que je reçois car je suis fait de cet acabit-là, de celui qui, même à terre, même désarticulé, même à l’article de la mort, ne renoncera jamais et se révoltera jusqu’à livrer son dernier souffle. J’suis un genre d’acharné, de mec qui vit pour crever à petit feu, d’insupportable et robuste insecte qui emmerde tout l’monde. Je t’emmerde, Prim, dis-moi ? Il s’est passé quoi dans ta tête quand t’as commencé à comprendre qu’il y avait un truc entre nous ? Parce qu’il y avait bien un truc entre nous, non ? Tu ne m’as jamais demandé de fric à moi, n’est-ce pas ? T’en voulais pas de mon fric ? Non, tu voulais que je t’aime pour toi, mais je n’ai aimé que ton ombre en réalité. J’ai aimé celle que tu as bien voulu me montrer, j’ai aimé l’image dorée et lisse que tu donnes de toi en appât, j’ai aimé celle qui avait l’air en sécurité dans mes bras… Mais tu ne l’étais pas, n’est-ce pas ? T’étais pas en sécurité dans mes bras. Je ne suis pas assez bien pour t’inspirer la confiance, c’est ça ? Et puis putain, c’est quoi la confiance en réalité hein ? Je savais qu’il y avait une zone d’ombre, quelque chose de secret, de mystérieux et c’est principalement ce qui m’a attiré d’ailleurs – je ne peux pas mentir. Toujours attiré par le noir, toujours prêt à se jeter dans le néant, toujours prêt à crever, à chaque instant. La délivrance ne vient pas pour autant. La colère et la douleur s’écoulent de mon cœur tout comme le noir sur ses joues, à la belle poupée de porcelaine. Et elle n’est pas fière, la jolie poupée bien apprêtée au maquillage ruiné, elle est descendue brutalement de son piédestal. Tu voulais briller ce soir Prim, t’as réussi car tes yeux brillent plus que jamais maintenant. Ce sont tes yeux qui brillent comme des milliers d’étoiles de déception, des étoiles de douleur, des étoiles qui meurent perdues dans la galaxie de ton âme. – J’ai essayé de te prévenir. Je n’ai pas réussi parce que j’avais trop peur de te perdre. Je l’observe, sans trop savoir comment réagir à cette annonce qui n’a rien d’une véritable révélation. C’est une excuse pathétique que tu me sors là, tu t’en rends compte, non ? – Quand ? Que je demande durement. – T’as essayé quand ? Avant ou après notre première nuit ? T’as vraiment essayé Prim ou t’as juste été trop lâche pour me le dire, trop lâche pour arrêter de me mentir, trop lâche... - Avant ou après que t’aies des sentiments pour moi ? A supposer que t’en aies. Je sais pas si c’est une façon de traiter les gens qu’on aime en vrai alors… Dans un geste nerveux mais calculé, je glisse ma main vers la poche arrière de mon jean, là où se trouve mon portefeuille. J’ignore s’il est bien rempli mais j’ai toujours du cash sur moi alors on va dire que ça tombe bien. – Je sais pas si tu préviens tous tes clients de tes activités nocturnes, j’espère pour eux car je sais ce que ça fait d’être déçu sur le sujet. Mon regard lance des éclairs au moment même où je tends une liasse de billets vers elle. – Prends-les, j’ordonne d’une voix autoritaire. – Prends-les ! Je ne sais pas combien je lui tends et je m’en fous. J’ai pris tous les billets que j’avais et ces derniers représentent notre relation désormais. J’imagine que j’ai été une sacrée perte, de temps et d’argent, au final. Je m’agace devant son hésitation et hurle : - PRENDS LES ! Des larmes de glace franchissent la barrière de mes paupières et viennent fendre mes joues alors que je la fixe durement, en tremblant. Allez, prends ces billets Prim, prends-les et assume qui tu es. Brise-moi définitivement, que je n’ai jamais envie de revenir vers toi.
Je crois sincèrement que je ne me suis jamais sentie aussi mal de toute ma vie. J’ai l’impression de me noyer sous ses yeux, de me débattre tant bien que mal pour regagner la surface et qu’à chaque fois que je pense pouvoir m’en sortir, il appuie sur ma tête pour me maintenir sous l’eau. Je suffoque, je bois la tasse, je sens mes poumons se remplir d’eau et c’est affreux, c’est douloureux, aussi bien mentalement que physiquement. J’ai envie de crier, de pleurer, de le secouer, mais également de lui dire combien je regrette, à quel point je tiens à lui et que j’aurais aimé que les choses soient différentes. Je veux qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me promette que ça va s’arranger, qu’il me fasse comprendre que ça ne changera rien et qu’il ne compte pas me lâcher. Evidemment, ça n’arrivera pas, la haine dans ses yeux me prouve. Tout ce qu’il voit en me regardant en ce moment c’est le dégoût que lui inspire les nuits que nous avons passées ensemble alors qu’il ignorait que quelques jours voire quelques heures plus tard, c’est dans le lit d’un autre que je me trouvais, minaudant pour obtenir de plus gros pourboires et usant de mes charmes pour avoir ce que je voulais. Comment lui expliquer que ça n’a jamais eu d’importance pour moi ? Que c’est juste mon métier et que je n’en tire aucune émotion ni aucun plaisir ? Il a l’impression que je l’ai trahi et je l’ai peut-être fait en réalité. Mon frère avait raison, si je lui avais dit avant, j’aurais pris le risque de le perdre, mais en ne disant rien j’ai pris le risque qu’il découvre toute la vérité par lui-même et que le résultat soit encore pire que prévu. Je savais qu’Abel allait me briser le cœur, je l’ai su à partir du moment où en fermant la porte de mon immeuble après lui avoir souhaité bonne nuit, j’ai eu l’envie folle de rouvrir la porte pour lui demander de rester avec moi. J’ai tellement peur de le perdre et c’est exactement ce qui est en train de se produire. Il reste là, devant moi, à demander des explications qu’il n’aura pas parce que je suis incapable de les lui fournir et j’ai autant envie de mettre un terme à cette conversation qui ne nous apporte que de la douleur que de la poursuivre éternellement pour qu’il ne me tourne pas le dos. S’il s’en va ce soir, j’ignore si nos routes se recroiseront un jour. Je ne peux pas le perdre, j’ai besoin de lui, terriblement besoin de lui. C’est la première fois que je laisse un homme entrer dans la vie, la première fois que je m’autorise à lâcher prise et la première fois que je me laisse guider par mes sentiments. Je ne l’ai jamais fait auparavant par peur de souffrir ou parce que je n’étais pas assez téméraire pour me lancer. Abel ne m’a jamais laissée avoir peur, il a cru en l’histoire que nous pouvions construire, plus je le repoussais et plus il s’accrochait, pour quel résultat, finalement ? Je viens de réduire à néant tous ses efforts, de lui prouver qu’il a eu tort de croire en moi, en nous et que je ne suis malheureusement pas celle qu’il croyait.
La princesse est tombée de son piédestal et devant mon apparent désarroi, il ne flanche pas, pas une demi-seconde, restant de marbre, la colère bien visible dans ses yeux encore brillants de larmes alors que je m’effondre, littéralement, accablée sous le poids de cette immense tristesse que j’aurais tant voulu réussir à dissimuler. Je déteste me montrer aussi vulnérable, avoir cette impression d’être une petite chose fragile qu’il pourrait anéantir en une seule phrase. Je dois affronter ma réalité et putain comme ça fait mal, parce que cette fois, je ne peux pas juste mettre une couverture pour recouvrir le miroir qui me renvoie un reflet que je n’ai pas envie d’affronter, cette fois-ci, mon miroir, c’est le garçon dont je suis tombée amoureuse, celui qui est en train de briser mon cœur tout comme j’ai brisé le sien. « Avant. » Je murmure, sans même être certaine qu’il ait entendu parce qu’il enchaine rapidement, doutant de mes sentiments ce qui est certainement le pire qu’il puisse faire. Certes, je ne lui ai jamais dit réellement que je l’aimais, je ne suis même pas certaine d’en être capable mais c’est le cas, vraiment et je veux croire qu’il en a conscience au fond de lui et que seule la colère le pousse à renier tout ce que nous avons vécu. Je ne lui ai pas menti, je ne lui ai tout simplement pas tout dit et tout ce que j’ai fait, tout ce que nous avons vécu, tout cela était parfaitement réel. Je ne me suis jamais sentie autant moi-même que lorsque j’étais avec lui, il me fait voir la vie différemment et me fait envisager l’avenir d’une toute autre façon. J’aimerais qu’il s’en rende compte, j’aimerais avoir les bons mots pour lui faire comprendre à quel point je tiens à lui et à quel point j’ai besoin qu’il reste dans ma vie, mais à quoi bon ? Je ne crois pas qu’il soit possible de faire retomber la rage qui l’anime, tout ce que je peux faire, c’est encaisser les coups, tant bien que mal, mes pleurs redoublant d’intensité alors qu’il sort son portefeuille. Mes yeux s’écarquillent sous le coup de la surprise alors qu’un « non ! » s’échappe de mes lèvres lorsque je comprends ce qu’il veut faire. Evidemment, ça ne l’arrête pas, je crois que rien ne peut l’arrêter. Il tend une liasse de billets vers moi et mon regard passe de sa main à son visage. Je ne bouge pas d’un millimètre. C’est vraiment ce qu’il croit ? Qu’il a été un client parmi tant d’autres ? Que je n’ai agi que par envie de profiter de son argent ? Mon cœur déjà brisé achève d’éclater en milliers de petits morceaux et lorsqu’il me hurle encore une fois de prendre les billets, je ne suis capable que de secouer la tête en signe de négation pendant de longues secondes avant d’être en état de prendre la parole. « J’en veux pas de ton fric, arrête ! » Mes mots sont noyés dans les larmes, ma voix est hachée et je ne suis plus capable de dissimuler ma détresse. Je tente tant bien que mal de contrôler mes sanglots pour m’expliquer davantage et ce n’est qu’au prix d’un effort intense que j’y arrive plus ou moins. « Tu n’as jamais été comme eux… Jamais. » Et il ne le sera jamais, parce qu’il compte réellement pour moi, parce que mon attachement pour lui est véritable tout comme la souffrance que je ressens en voyant le fossé se creuser entre nous. « Je ne sais pas comment tu l’as découvert ou ce que tu as découvert, mais je peux t’expliquer… Je veux t’expliquer, tu ne sais pas… » Ma voix se brise de nouveau. Non, il ne sait pas, il ne sait pas parce que je ne lui ai rien dit, parce que je ne lui ai pas laissé une chance de m’accepter malgré le fardeau que je porte et c’est entièrement ma faute si on en est là. Je fais un pas vers lui, réduisant légèrement l’espace entre nous sans oser m’approcher davantage. « Pardon. » Mon regard croise le sien et je sais qu’il ne m’accordera pas son pardon, sa colère est trop intense. « S’il-te-plait… » Ne m’abandonne pas, ne me laisse pas tomber, ne m’en veux pas trop… Je ne sais pas vraiment quoi lui dire, tout ce que je sais, c’est que je suis en train de le perdre et je n’arrive pas à l’accepter. J’ai essayé de me convaincre que ce n’était pas grave mais la réalité m’a rattrapée plus vite que prévu. « … Ne pars pas. » Je me déteste d’être inapte à exprimer ce que je ressens, de ne pas trouver les bons mots pour le faire rester auprès de moi, d’être trop fière pour extérioriser mes sentiments et mes émotions, préférant me cacher sous cette carapace qui n’a pas lieu d’être. Je voudrais figer le temps pour le rembobiner, réparer les erreurs que j’ai commises et lui prouver que je suis cette fille bien qu’il a pu voir jusqu’à ce qu’il découvre une autre facette de moi. Les cartes sont entre ses mains à présent et malgré la situation désastreuse, je me raccroche à cette microscopique lueur d’espoir que je n’arrive pas à abandonner. S’il te plait, Abel.
"I WALKED THE STREETS ALL DAY, RUNNING WITH THE THIEVES. ‘CAUSE YOU LEFT ME IN THE HALLWAY, GIVE ME SOME MORE. JUST TAKE THE PAIN AWAY. JUST LET ME KNOW I’LL BE AT THE DOOR, AT THE DOOR, HOPING YOU’LL COME AROUND. JUST LET ME KNOW I’LL BE ON THE FLOOR, ON THE FLOOR, MAYBE WE’LL WORK IT OUT. GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER, GOTTA GET BETTER…► HARRY STYLES, MEET ME IN THE HALLWAY."
→ Tout ça ne rime à rien car j’ai beau déverser ma rage, j’ai beau lui cracher ma haine et ma déception au visage, ça ne change absolument rien à cette douleur qui serre mon cœur et l’étouffe férocement. – Avant. Elle murmure, Primrose mais je ne comprends pas ce que cela signifie car j’ai déjà oublié ma question. La fureur qui m’anime voile ma conscience et obstrue tout le reste, je ne fais que déverser toute la souffrance qu’elle m’a infligé, en vrac, dans tous les sens, sans aucune direction, ni volonté. Peut-être que je veux lui faire mal, peut-être que je veux qu’elle souffre… Ouais, je veux qu’elle souffre, j’veux qu’elle se ramasse, j’veux qu’elle comprenne qu’à trop jouer sur tous les tableaux elle s’est brûlée les ailes, j’veux qu’elle ait mal au cœur tout comme moi j’ai mal. L’amour ça finit toujours mal, pas vrai ? Je le savais, putain, je le savais ! Dès le départ, je le savais et j’ai foncé, tête baissé, comme l’abruti fini que je peux être parfois – tout le temps- et je me hais, je me hais mais je sais, je sais car je me connais… Je suis comme ça, à vouloir souffrir, à vouloir avoir mal. Car la souffrance ne fait que me confirmer que je n’ai pas ma place ici, que je suis un rejeton non désiré et que je ne peux aspirer à rien d’autre que des petits moments fugaces de bonheur, qui aussitôt vécus s’évanouissent au loin… Et comme toujours, alors que je plonge, alors que le noir et le trouble m’envahissent, la petite tête adorable de Morgane m’apparaît. Je me sens soudain égoïste de penser tout ça, de m’apitoyer sur mon sort, de souffrir avec autant d’envie, de sombrer alors qu’elle compte sur moi. J’ai pas le droit de sombrer, j’ai pas le droit de tout lâcher… Alors je fais quoi ? T’as une solution à mon dilemme, Prim ? Si tu savais… Putain mais tu ne sais pas. Est-ce que t’aurais fui ? Je n’aurai jamais de réponse à cette question, n’est-ce pas ? T’as aucune idée de toutes les questions qui m’ont traversé à tes côtés, aucune idée de tous les projets que je commençais à chérir lentement dans mon cœur, de toutes les envies de normalité que tu éveillais chez moi. Putain, sans parler de la belle baraque avec piscine, du chien et de la belle-famille à Noël, je nous ai imaginés heureux. Tu m’apportais une stabilité émotionnelle sécurisante, et sans même le savoir tu me comblais tant. Savoir que j’étais important, que je comptais, que tu aimais passer du temps avec moi… C’était suffisant, tu sais ? C’était suffisant mais c’était un leurre. Un putain de leurre. Car tu t’envoyais des mecs dans mon dos, tu sortais et paradais au bras de connard plein de frics. Et pour quoi ? Pour un peu de fric ? Pour l’appât du gain ? Jamais je ne t’aurais pensé aussi vénale… Le pire, c’est que je t’aurais filé tout mon fric, fini comme je suis. Mon fric, t’en as pas voulu. Pourquoi ? Pourquoi hein ? – J’en veux pas de ton fric, arrête ! Il vaut autant qu’un autre mon fric pourtant. Il a été gagné honnêtement lui au moins, je ne me suis pas fait de fric sur le dos de pauvres gens ou sur la misère de ce monde. Peux-tu en dire autant de ceux qui te baisent, Primrose ? Ils baisent la société aussi et tu joues leur jeu, tu leur offres ton corps et tu te mets à disposition comme un vulgaire objet… - Tu n’as jamais été comme eux… Jamais. Je m’arrête dans mon geste, laisse les billets tomber au sol sans n’en avoir rien à faire. Qu’ils pourrissent là, avec un peu de chance ils serviront à une personne dans le besoin. Moi, je n’en ai pas besoin. On n’achète pas l’amour, ni l’affection des gens, je le sais que trop bien. Et si je n’ai jamais été comme eux, pourquoi as-tu choisi de me faire autant de mal hein ? On ne blesse que ceux qu’on aime, c’est ça l’idée ? C’est une putain d’idée de tordu qui fait chier ça ! – Je ne sais pas comment tu l’as découvert ou ce que tu as découvert, mais je peux t’expliquer… Je veux t’expliquer, tu ne sais pas… Est-ce que ça changera vraiment quelque chose ? Que tu m’expliques ? Que je te dise comment je l’ai découvert ? Comment on m’a balancé les photos au visage en se foutant de ma gueule ? Comment je me suis senti humilié, comment j’ai eu envie de buter ce sale connard ? ça n’a aucune importance tout ça, le mal est fait, il est là et il gangrène putain. Je secoue la tête, dépité, épuisé. Je n’en veux pas de tes explications, je ne veux pas de ton regard larmoyant, je ne veux plus de tout ça. J’ai le cœur effrité, il n’est plus que poussière désormais. – Pardon. S’il te plait… Ne pars pas. Mon regard affronte le sien, et le silence s’installe entre nous. Il y a une barrière invisible qui nous sépare à présent, une barrière que je n’ai plus aucune envie de franchir, une barrière qui nous protège l’un de l’autre peut-être et finalement, c’est sûrement mieux comme ça. T’es une étrangère pour moi, Primrose. T’es pas celle que je crois, t’es pas celle que j’aime, non. Et j’vais partir. Bien sûr que je vais partir. – C’est trop tard, Prim… Tout est fini. Les mots si durs, sont prononcés officiellement. C’est une rupture. Et les larmes s’assèchent, mon regard devient plus dur car c’est avec un certain soulagement que j’accueille cette nouvelle étape de notre relation. C’est terminé. Tu ne peux plus me faire souffrir, t’en as plus le droit. T’as peut-être brisé mon cœur, tu t’es peut-être octroyé ce droit-là mais j’vais continuer à vivre et loin de toi c’est le mieux. Mes mains s’enfoncent dans mes poches, je suis résolu et ma décision est prise. Je n’ai rien à ajouter alors je tourne les talons, je détourne mon regard du sien, des larmes qui glissent sur ses joues rondes, de ses yeux de biches qui me font toujours fondre, de son visage enfantin que j’aime tant et qui a nourri tant de rêves et d’aspirations. Je m’éloigne, d’un pas lent et mesuré, comme pour m’assurer que je prends la bonne décision. Je n’ai pas le choix. Tu m’as menti, tu m’as trompé et ce ne sont pas des bases saines pour une relation. Si je n’ai aucune envie de me protéger moi, j’ai le devoir de protéger ma fille et, elle est indissociable de moi. Peut-être que j’ai grandi, finalement. Peut-être que j’suis un adulte maintenant. J’en sais foutrement rien. Je ne crois pas vraiment, car la douleur qui m’assaille me fait tellement mal qu’elle m’entraîne droit vers tous mes travers… Et si les enfers m’appellent, je ne résiste pas.