(FORTITUDE VALLEY, CANVAS). C’est toujours la même routine, depuis quelques semaines. Et c’est loin de le déranger.
Il faut dire que Finnley n’a jamais été réfractaire à la routine, contrairement à un bon nombre d’individus de son âge, qui tendent à chercher une certaine excitation dans leur quotidien. Pas lui. Ce n’est pas qu’il en est réfractaire, c’est que ce n’est pas naturel pour lui. Il a toujours préféré l’aspect sécurisant d’un quotidien qui ne diffère pas d’un jour à l’autre, ou alors très peu. Il se lève, il se prépare, il s’occupe de Wernicke, il file au travail, il mange un sandwich pendant sa pause déjeuner, il reprend le travail, il rentre chez lui, il s’occupe de Wernicke, il file au Canvas, il boit un verre, se sent honteux, il en enchaîne d’autres pour éteindre sa conscience, il atteint cet état comateux qui lui fait tant de bien, il rentre chez lui, dort profondément, et se lève avec difficulté une fois que le cycle est terminé. Parfois, il change de bar, parfois il arrive à se convaincre qu’il peut supporter un cinéma, une sortie au musée, une soirée netflix. Ça dure un jour, parfois deux, exceptionnellement trois. Et souvent, il en revient au même point. Parce que c’est un besoin, et parce que c’est une routine. Et qu’elle est tout aussi sécurisante que celle qui l’a accompagné durant des années, lorsque ses moments de libre étaient accaparés par l’éducation de sa petite sœur. Alors, finalement, ça ne diffère pas vraiment, pas vrai ? Il n’y a pas d’avant et d’après comme son esprit tente de lui faire comprendre, n’est-ce pas ? Parce que tout va bien, et que son comportement n’est pas différent de celui qui a été le sien durant des années, seulement le départ de Bryn a nécessité qu’il se trouve d’autres moyens d’occuper son temps libre, et qu’il en a trouvé un diablement efficace. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de remplir les trous dans son agenda, mais surtout de se découvrir et de se faire du bien. Il apprécie ces verres, ils lui font du bien. On peut juger, on peut critiquer, mais il n’en demeure pas moins qu’il en a besoin. Que sans eux, il s’avère bien plus perdu qu’il ne veut l’admettre, et qu’ils sont cette béquille sur laquelle il peut s’appuyer pour tenter de trouver un sens à son quotidien maintenant que sa petite sœur vole de ses propres ailes et qu’il ne sait plus ce que cela fait de lui. Il a passé des années à mettre sa vie de côté pour lancer celle de sa sœur, et il est temps de s’octroyer un retour sur scène. Il a trouvé son side-kick idéal, c’est une façon de voir les choses qui est sécurisante. Et foutrement rassurante, surtout, plutôt que d’ouvrir les yeux.

Il espérait passer une bonne soirée. De celles qui sont souvent les siennes ; accoudée au bar, à goûter à une bière, un gin, un cocktail quelconque, parfois un shoot, de temps à autre un verre de vin, de faire danser les saveurs dans son palais jusqu’à plus soif, et à ne compter que sur la compagnie des verres vides devant lui plutôt que de supporter celle des autres, devenue bien trop agaçante pour lui. Il l’espérait, mais c’était avant que son entrée dans ce bar coïncide avec une énième crise de rage de Jet – qu’il connaît à force le côtoyer entre ses murs. Mais peut-on réellement prétendre connaître quelqu’un quand on le côtoie justement entre ses murs ? Il ne veut pas s’en mêler, dans un premier temps, laissant à Jeremiah l’exclusivité d’un domaine qu’il maîtrise bien mieux que lui. Finn n’a jamais été doué pour se battre, sa silhouette le présume, et sa maladresse en atteste. Souvent, c’est lorsqu’il veut frapper l’œil qu’il frappe la mâchoire, et vice-versa. Mais Jet a eu raison d’intervenir pour le peu qu’il a pu en voir, ce même Jet qui se retrouve désormais encerclé par deux amis du connard un peu trop insistant. Encore une fois, il hésite, parce qu’il sait qu’il ne fera pas le poids face à eux, Finn, et qu’il partira d’ici avec un nez fracassé ou une arcade explosée, ou peut-être même les deux ensemble s’il s’agit de son jour de chance. Alors il tente de se frayer un chemin pour convaincre Jeremiah de lâcher l’affaire avant que son infériorité numérique ne donne lieu à trop de conséquences. Mais il n’est pas assez rapide, et ce sont le patron aidé de quelques employés qui séparent les deux groupes ; en virant un du côté de l’entrée, et l’autre vers les arrières. Sans surprise, Jeremiah tente de s’opposer à cette décision, mais son état d’alcoolémie avancé ne l’aide pas à se faire entendre. Finn finit par le suivre, assure au patron et au serveur resté avec Jet qu’il s’occupe de le ramener à bon port, et finit par observer un instant celui qu’il considère presque comme un ami. Il s’est avéré un peu ridicule, là-dedans, et pour la première fois cela frappe Finn qu’il peut se montrer pareil lorsqu’il est à la place de Jet. Et pour la première fois depuis longtemps, il n’est plus aussi certain d’avoir besoin de ce verre. Tant mieux ; il s’est trouvé un nouvel objectif. Parce qu’il ne s’agit toujours que de ça, et d’objectif qu’il a besoin de suivre pour donner un certain sens dans sa vie, le problème réside lorsqu’il n’en a plus aucun. « Tiens, prends ça, pour ton nez. » Il finit par dire en s’approchant, en sortant un paquet de mouchoirs en papier de sa poche. « Allez, je te ramène. » Qu’il ajoute, sans savoir si c’est ce que veut Jeremiah ; pour cela il faudrait lui demander son avis, ce qu’il ne fait pas, se doutant de la réponse. Parce que la sienne aurait été la même.

@"Jeremiah Etish"

La réserve de Finn n’est plus à prouver, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, le rouquin a toujours été de ceux qui se contentent souvent d’observer, qui économisent leurs mots, qui font de leur mieux pour ne pas se retrouver sur le devant de la scène. Quiconque le côtoie de près ou de loin peut confirmer cette impression sur lui, et c’est une qualité qu’on lui admire autant qu’un défaut qu’on lui reproche que cette timidité exacerbée est presque ridicule du haut de ses trente-deux ans. C’est peut-être la raison pour laquelle il a naïvement toujours cru que même lorsqu’il n’est pas dans son état normal, il reste ce type presque sur la défensive qui arrive très bien à se faire oublier. Qu’il soit seulement fatigué ou carrément bourré, il ne lui est jamais apparu possible qu’il puisse être différent. S’il a conscience que l’alcool l’aide à lever la barrière de son inhibition et le rendre ainsi plus à l’aise avec autrui ou dans certaines situations qu’il aurait fuies en temps normal, il n’a jamais songé à d’autres changements qu’une assurance factice et plus grand facilité sociale. Mais tomber sur Jet à peine la porte du bar franchi remet tout en question. Même si Finn pense (naïvement, encore une fois) qu’il n’est bourré qu’une à deux fois par mois (alors qu’il serait plus question de compter les points de façon hebdomadaire), il réalise que l’état de celui qu’il commence à considérer est relativement pitoyable et qu’il n’a probablement rien à lui envier. Est-ce qu’il est réellement ainsi ? Est-ce qu’il perd tout contrôle de lui-même au point d’avoir l’air si ridicule ? Il se persuade que non en songeant au fait qu’il n’est jamais impliqué dans des bagarres (rectification : rarement), mais il se dit aussi qu’il a toujours fini en cellule de dégrisement sans que le motif soit valable, alors il n’est plus certain que son avis soit réellement valable. Et chaque parole prononcée par Jet le met de plus en plus mal à l’aise. Ce n’est pas tant pour ce dernier qu’il est gêné que pour lui-même. On pourrait croire qu’il s’agit de la première étape vers la réalisation du problème et une envie de guérir, la vérité c’est qu’il se noiera à nouveau l’alcool dès que le besoin sera trop grand pour être supporté, et qu’il oubliera toute pensée ayant pu traverser son esprit ce soir en anesthésiant ses idées avec efficacité. « On peut dire ça, oui. » Il confirme avec un mince sourire les propos de Jet. Oui, à déterminer, il le considère comme un ami. Mais une amitié bien particulière, de celles qui ne peuvent dépasser les murs d’un bar, et qui ne deviendront jamais concrètes. Ce n’est pas pour autant que c’est une amitié moins importante ; dans le contexte, elle est essentielle à Finn. Pour autant, il est suffisamment raisonnable pour faire une entorse et décréter que ce soir, ce n’est pas autour d’un verre qu’ils se retrouveront, Jet en ayant déjà bien assez profité. C’est chez lui qu’il faut le ramener avant qu’il ne finisse par se faire tuer par quelqu’un avec son comportement, alors qu’il tient à peine sur ses jambes. Nouveau constat, nouveau soupçon de gêne. « Sois raisonnable, Jet. » Qu’il soupire alors que ce dernier l’attrape par le cou. Comme s’il était bien placé pour faire la leçon. « T’as assez bu. » Il constate par la suite, tandis qu’il repositionne ses pieds pour garder l’équilibre alors que Jeremiah le bouscule. « J’ai pas envie de boire. » Foutaises. Il ne pense qu’à ça, tout le temps, et même s’il arrive à s’en convaincre, ce n’est pas la vérité. « J’étais seulement de passage, je suis plutôt bien tombé, je crois. » Il poursuit, avec un léger sourire, qui disparaît toutefois rapidement alors que Jet lui montre le contenu de ses poches. « Non, ça ira. Ranges-moi ça. » Il ordonne presque d’un ton plus froid alors qu’il reprend son calme par la suite, réalisant que ça ne sert à rien de s’énerver : Jet n’est pas dans son état normal, et ne se souviendra probablement pas de ça demain. « Parce qu’il y a rien d’intéressant à dire. » Il se contente de répondre alors qu’il relève le regard vers son comparse. « Tu habites où ? » Qu’il finit par demander, alors qu’intérieurement, il songe à la galère que ce sera de ramener ce dernier, et de faire en sorte qu’un taxi veuille bien d’eux. Dans le pire des cas, il peut tenter de le ramener chez lui jusqu’à ce qu’il soit en mesure de trouver son chemin. Il n’habite pas loin, et Jet ne sera sûrement pas choqué par l’état de son appartement. Pour autant, là encore il s’agit d’une limite que le rouquin n’est pas encore prêt à franchir avec Jet, ou uniquement en cas de force majeure.

« Raisonnable c'est pas dans mon vocabulaire ! On est pas encore assez vieux pour se soucier d'être raisonnable, alleeeeeez suis moi, on va s'éclater... » Et il essaie de le réprimer, le sourire qui tente de se frayer un chemin sur son visage. Mais ce n’est pas parce qu’il trouve cela drôle ; non, le constate s’avère assez triste. Et il se sent ridicule, Finn, d’accorder du crédit aux propos d’un type bourré, qui fait de la philosophie de comptoir sans même s’en rendre compte. Toutefois, le rouquin ne peut pas nier qu’en quelques mots, Jet est parvenu à toucher un point sensible, alors même que Finn ne se sentait pas assez proche de son camarade de bar pour qu’il puisse avoir cet effet-là. « Je suis déjà vieux dans ma tête. » Qu’il rétorque. Il s’agit d’une vérité universelle, même Lou l’a rapidement chambré sur ce point, avant même que leur relation ne prenne une dimension plus intime. Et il ne peut pas nier qu’il a parfois l’impression d’avoir le double de son âge, tant il s’impose des règles auxquelles il ne devrait même pas penser à son âge. Mais c’est ainsi qu’il agit depuis son plus jeune âge, depuis qu’il s’est retrouvé avec une petite sœur à sa charge, et que ne pas se soucier d’être raisonnable et de s’éclater n’était pas dans ses priorités. Ce n’est que depuis peu qu’il en a envie. Il en a vraiment envie, et c’est peut-être pour ça que les propos de Jeremiah résonnent autant en lui et qu’il émet un bref soupire en réalisant que sa volonté s’effrite déjà, et qu’il n’a pas fallu attendre plus d’une minute. Mais il veut s’en convaincre ; il peut résister, il doit se raccrocher à l’image que Jet lui renvoie, même s’il ne le désirait pas il y a encore quelques minutes. Il peut prétendre qu’il n’a aucune envie de boire ; et c’est très exactement ce qu’il fait. Mais il oublie à qui il s’adresse, et que Jeremiah est celui avec lequel il a toujours envie de boire, il s’est tiré une balle dans le pied au moment où il a sorti cette excuse. C’est ce qu’il comprend à l’entente du rire de son ami, loin d’être discret, qui accentue le malaise de Finn. Et la diminution de sa volonté. « Tu me connais mal. » Il se contente de souligner, alors qu’il passe une main sur son visage. Qu’est-ce qu’il risque, au fond ? Jeremiah ne se souviendra pas de cette soirée le lendemain, il ne sera pas là pour se vanter d’être parvenu à convaincre Finn de baisser sa garde. Et puis, est-ce si grave ? Il s’est prouvé qu’il était capable d’ouvrir les yeux, c’est déjà beaucoup, et suffisant pour ce soir. Commencer à comprendre qu’on a un problème est une grande étape, ce n’est pas comme s’il était dans le déni. Non, il réalise les choses, alors pourquoi est-ce qu’il ne peut simplement pas décider de les réaliser plutôt demain ? « Non, laisse tomber. » Qu’il tente de résister encore, alors que Jeremiah passe à l’étape supérieure en sortant de sa poche ce qu’il comprend être la drogue. Mais hors de question que Finnley touche à cela, c’est une limite qu’il ne se sent pas prêt à franchir. Même adolescent, il a mis des années à accepter de tirer une latte sur un joint. Mais à l’époque, il avait la responsabilité de sa sœur. Qu’est-ce qu’il, aujourd’hui, dans le fond ? Plus grand-chose, ce qui veut surtout dire qu’il n’a plus grand-chose à perdre. Mais le rouquin persiste et signe ; il a suffisamment été confronté dans son travail à des addicts pour ne pas vouloir en devenir un (how ironic). « Ce que tu ne connais pas ne peut pas te manquer. » Il se contente de répondre, parce qu’il s’en fiche bien de savoir ce qu’il loupe, vu qu’il ne l’a jamais testé. « Et moi, je t’assure que non. » Il répète, non pas pour mettre un terme à la conversation, mais parce qu’il en est persuadé. Rien ni personne ne lui a laissé croire qu’il pouvait être intéressant, et il a bien conscience de ne pas avoir grand-chose de pertinent ou de fascinant à raconter. « Du coup, je te dépose à la prochaine poubelle sur la droite ? » Il demande à Jet, alors que, finalement, un bref sourire apparaît sur ses lèvres lorsqu’il compte sur Finn pour établir un programme. « J’en sais rien, moi, c’est pas moi qui a promis la meilleure soirée de sa vie à l’autre. » Ce n’est donc pas à lui de proposer des idées, non ; il est le suiveur. Mais après tout, cela a été son rôle d’aussi loin qu’il s’en souvienne, et il lui plaît bien. Quant à savoir s’il s’agit d’une invitation détournée pour que Jeremiah présente les plans de cette fameuse soirée, Finnley dira que non ; qu’il s’agit uniquement de curiosité.

J'essaie de l'emmener avec moi, de me trouver un partenaire de débauche pour la soirée. Mais il lutte Finn, il trouve à chaque argument une nouvelle excuse. Mais je vais être patient, je sens qu'il va craquer, qu'il peut craquer. Alors je continue de parler, je continue d'essayer de le convaincre. Je comprends pas pourquoi il lutte, il sait très bien qu'on peut passer une bonne soirée, et pourtant, il me demande où j'habite. Comme si j'allais lui donner mon adresse pour qu'il me ramène chez moi alors que cette soirée vient tout juste de commencer. « T'es plus jeune que moi, ça devrait être moi qui devrais te faire la morale ! » Je souris, comme si j'étais capable de faire la morale à qui que ce soit dans cet état. « Quoi tu veux pas t'amuser ? » C'est vrai que je connais mal Finn, que c'est juste un partenaire de soirée de plus, mais on passe de bonnes soirées en général. Apparemment, ce soir, il a décidé qu'il voulait être raisonnable, et qu'est ce que c'était ennuyeux.

Je propose de la drogue, peut-être que ça pourrait le détendre un peu. Et je suis tellement rempli de bonté que je pourrais lui offrir sa première dose. Mais la drogue ne l'intéresse apparemment pas. Tant pis. On restera sur l'alcool. Mais je ne laisse pas tomber l'idée de passer la soirée avec lui. « Pourquoi tu penses que t'es inintéressant ? » et pourquoi je pose ce genre de questions ? Je suis bourré, ça m'excuse non ? Ma langue est bien trop déliée, et cet effet va certainement s'amplifier avec le nombre de verres que je vais continuer à boire. Je lui dis aussi que je n'ai pas de maison, pas d'endroit où dormir. Ce qui est faux bien évidemment, mais j'ai juste envie de rester dehors, il est trop tôt pour rentrer. Bien trop tôt. Alors mon cerveau fume, je réfléchis beaucoup aux endroits dans lesquels on pourrait passer la meilleure des soirées. Je titube un peu dans les rues, mais je surveille Finn du coin de l'oeil, histoire qu'il ne décide pas de s'échapper. « Oui dépose moi et surtout te retourne pas, comme ça je pourrais te suivre chez toi sans que tu me remarque pour prendre possession de ton canapé ! » Et je hoche la tête en riant un peu.

Et, oh... Il ne dit plus non à la soirée, il attend mes propositions. Je me remets à réfléchir pendant quelques minutes. Et là, révélation. « T'aimes les groupes de musiques ? Les concerts ? » J'avais entendu parler d'un groupe sympa de Brisbane qui se produisait dans un des bars que je connaissais bien. Je continue d'avancer, et on se retrouve devant le bar en question. Il est rempli, c'est que le concert doit vraiment valoir le coup. Et en plus, je vais pouvoir voir si le groupe serait intéressé pour que j'organise leurs soirées, c'est mon boulot après tout. « Allez on rentre ! Pas d'excuses possibles ! »

« T'es plus jeune que moi, ça devrait être moi qui devrais te faire la morale ! » Il esquisse un faux sourire, Finnley, se contente de hausser les épaules en silence parce qu’il l’a mentionné : il est déjà vieux dans sa tête, ses raisonnements s’approchent plus d’un retraité en bout de course qu’au trentenaire en pleine force de l’âge qu’il est censé être. Au-delà de cela, si leçon de moral il devait y avoir, ce n’est probablement pas auprès de Jeremiah qu’il voudrait l’obtenir, ce dernier ne lui semblant pas être la personne la plus adéquate pour assumer ce rôle. Si Finn s’est toujours voulu trop raisonnable – et qu’il essaie désespérément de l’être ce soir – Jeremiah est son opposé, et il ne lui a jamais semblé bien rationnel, comme ce soir tend à le prouver. Loin de s’en plaindre, c’est une différence qui a scellé leur amitié de comptoir, et qui achève de lier celle-ci alors que, petit à petit, le rouquin baisse sa garde et se laisse tenter par la proposition de Jeremiah, s’autopersuade qu’il s’agit là d’une excellente idée alors qu’au fond, il sait pertinemment que c’est tout l’inverse. Mais est-ce qu’il s’en souviendra suffisamment le lendemain matin pour se flageller d’avoir accepté de passer la soirée avec Jeremiah comme il se flagelle à cet instant de ne serait-ce qu’envisager de le faire ? La réponse est évidente et même l’invitation de son ami à tenter la drogue pour la première fois ne lui permet pas d’affirmer sa volonté de quitter les lieux. Pas qu’il hésite un seul instant, le non formulé est catégorique et il ne compte pas revenir en arrière. S’il a su céder à l’alcool ces derniers temps, c’est principalement parce qu’il agit dans la légalité ; et que Finn, sous influence ou non, reste malgré tout lui-même concernant son incapacité à franchir les limites. Ça ne l’a jamais intéressé, ça ne l’intéressera probablement jamais et c’est en partie la raison pour laquelle il est aussi inintéressant : parce qu’il n’est jamais sorti de sa zone de confort, n’a jamais ressenti le besoin de le faire et que, le plus souvent, cela lui donne le rôle d’un individu trop banal, trop ennuyeux. « Parce que c’est un fait. » Il répond vaguement à la question de Jeremiah en haussant les épaules avant de poursuivre ; « regarde, depuis tout à l’heure à part jouer au rabat-joie, il n’y a rien d’intéressant qui sort de ma bouche. » Il poursuit avec un léger sourire. Il ne s’en offusque pas Finn, il a souvent été catalogué comme insipide d’aussi loin qu’il s’en souvienne : c’est déjà ce qui lui a coûté sa relation avec sa sœur, par le fait qu’il n’avait pas le charisme nécessaire pour rivaliser avec elle lors des auditions que leur mère leur faisait courir quand ils tenaient à peine debout. Il s’y est habitué avec le temps, au point de se présenter de la sorte sans remettre en question ce qui lui apparaît comme une certitude. « Tu devras te battre avec le chien pour ça, j’espère que t’en as conscience. » Il s’amuse par la suite à la mention du canapé dont Jeremiah pourrait disposer. Et le constat est assez triste quand il y pense, une vie qui se résume à traîner dans les bars pour retourner dans un appart’ qui n’est animé que par la présence d’un vieux chien mourant. C’est le dernier élément qui le convainc d’accepter la soirée que lui propose Jeremiah. Et à l’entente du programme qui lui est proposé, il en vient à se dire qu’il est stupide d’avoir autant hésité, un concert dans un bar n’amène pas forcément à la gueule de bois tant crainte, pas vrai ? Acquiesçant avec un fin sourire, il se laisse embarquer jusqu’au bar en question. « De toute façon, c’est trop tard pour en chercher de nouvelles. » Il souligne avec un fin sourire, tandis qu’il peine à circuler dans ce bar plein à craquer. « Par contre, t’éviteras de te faire égaliser le nez par un autre mec, hein, quitte à ce que tu m’aies vendu une bonne soirée, autant que j’en profite jusqu’au bout. » Il hausse légèrement la voix de façon à ce que Jet l’entende parmi la foule, laissant échapper un léger rire. Il pourrait lui demander comment se porte son nez, mais il se doute que Jeremiah à d’autres préoccupations alors qu’ils arrivent déjà au bar. « Tu connais le groupe ou c’est parce que t’as déjà joué ici ? » Parce qu’il lui semble, entre des dizaines de shots et autant de gueuless de bois que les capacités de musicien de Jet ont été évoquées, avant de laisser place à une conversation probablement hautement philosophique sur le sens de la vie en vue de l’état dans lequel ils arrivent à se mettre volontairement. Mais pas ce soir, non, voyons.

J’ai déjà bien trop bu alors que Finnley a l’air encore sobre. Ca c’est frustrant, en temps normal, on se bourre la gueule en même temps. Je tangue, je ris pour rien, mais surtout, mon objectif est de passer la soirée avec le jeune roux. J’arrive toujours à le convaincre, c’est facile, et c’est vraiment amusant à chaque fois que je le vois céder. “Je trouve pas.” Il n’est pas inintéressant quand il a bu quelques verres. “Si y’a quelque chose d’intéressant qui est sorti.” Je ris et je tente de marcher droit, j’espère que le trajet va me faire décuver un peu pour pouvoir enchainer les shots avec Finn. “Tu m’as fait comprendre qu’on passerait la soirée ensemble ça c’est intéressant !” Mon clin d’oeil que j’envoie alors qu’on continue de marcher jusqu’au bar en question.

Je pourrais envisager l’idée d’aller squatter chez lui si je suis trop bourré pour retrouver mon appartement, et sa remarque me fait rire à gorge déployée. “Je suis prêt à tout pour un bout de canapé.” Je hoche la tête faussement sérieux, j’aime bien les chiens, je ne pense pas que son chien voudrait me virer du canapé. Mais on en est pas encore là. Pour l’instant, on a encore tout une longue soirée qui nous attend, et il n’a pas l’air de vouloir me faire faux bon. Je suis ravi, on va bien s’amuser. J’ai entendu parler d’une soirée musicale, un groupe qui passe dans un bar que je connais bien. Un bar dans lequel j’ai déjà joué plusieurs fois, mais ce soir, c’est pas moi la vedette. “C’est pas une bonne soirée si y’a pas au moins une bagarre.” Je grogne un peu en me rapprochant du bar et en faisant attention à ce qu’il me suive. Il aurait rapidement pu se faire emporter par la foule vu sa carrure. Il m’a suivi et je me retrouve à commander deux bières pour commencer, ça m’aidera à décuver un peu. “Je connais un membre du groupe” ou du moins je l’ai connu il y a quelques années. J’ai été le dealeur de Lou pendant quelques temps, et on s’est perdu de vu. Mais j’ai reconnu son visage quand j’ai vu des photos, et son prénom aussi, bien qu’il soit assez commun. “Et je joue souvent ici, ils bookent souvent des chanteurs peu connus.” Et j’en fais encore partie malheureusement. Peut-être qu’un jour ça changera, je garde espoir en tout cas. “C’est les street cats tu les connais peut-être.”

Si Finnley n’est pas réputé pour sa confiance en lui, il n’est pas non plus enfermé dans un schéma de dévalorisation constante : il constate des faits, c’est tout et celui qui consiste à souligner qu’il n’est guère intéressant ne vise pas à obtenir la pitié de Jet (il s’adresserait de toute évidence à la mauvaise cible), ni à concrétiser un désamour de lui-même, non, il n’y a pas de message sous-jacent à cette réflexion hormis le fait qu’elle est véridique. Par conséquent, il n’attend pas réellement de réponse de la part de son camarade, pourtant c’est bien l’assurance du contraire qui s’échappe des lèvres de Jeremiah et encore une fois, si Finn ne cherche pas à être rassuré car il vit très bien avec ce constat, il affiche malgré tout un sourire pincé. « T’es bourré, je suis pas certain que tu puisses vraiment faire de distinctions en ce moment. » Entre l’intéressant et l’inintéressant, entre les bonnes et les mauvaises idées – comme le fait de réussir à convaincre Finnley de le suivre dans ses aventures nocturnes qui lui apparaît comme étant dans la première catégorie alors qu’il s’agit en réalité de la seconde. Mais il est trop tard pour reculer, le pacte est signé et Finn ne peut plus se dérober – de toute évidence, il n’en a plus envie alors qu’il suit aveuglément Jeremiah, conscient que la soirée ne tournera probablement pas à leur avantage. Et dans le fond, c’est très exactement ce qu’il recherche et si dans ses envies d’oublier son quotidien Finn tend à être seul, il doit reconnaître que, parfois, la compagnie des autres est bénéfique et que celle de Jet appartient à cette catégorie. Il le regrettera le lendemain, mais sur le moment, c’est l’assurance d’un bon moment et c’est ce qu’il veut. Personne ne peut lui en vouloir d’avoir envie de profiter de sa soirée, pas vrai ? De s’autoriser une pause bien méritée dans ce quotidien lourd, n’est-ce pas ?  

« Ah ouais, à ce point. » Qu’il s’amuse à commenter à la réflexion de Jet ; et en réalité la bataille contre Wernicke ne sera pas difficile, ce chien étant un sale traître qui apprécie toute présence humaine et qui n’aura donc aucun mal à partager son bien avec Jeremiah si cela implique d’avoir le droit à des flatteries. « J’ai pas tout à fait la même conception de ce qu’est une « bonne soirée », mais je pense que je t’apprends rien vu ma carrure. » Vaut mieux en rire, pas vrai ? Mais il est certain que terminer par une bagarre n’est pas une idée qui lui convient, compte tenu du fait qu’il y a fort à parier qu’il finisse KO rapidement. Il a déjà donné des coups, il n’est pas incapable de se battre, mais la nature est ce qu’elle est malgré toutes ses capacités ou l’adrénaline dans ses veines, il ne peut pas vraiment rivaliser face à des types qui font deux fois son épaisseur. Ayant parvenu à rejoindre le bar, il laisse Jeremiah passer commande – dans un dernier espoir de se déculpabiliser – tandis qu’il l’interroge sur ce qui s’en vient concernant cette soirée. Bières et musique, cela lui semble être un bon duo et même le plus réfractaire des individus ne s’y opposerait pas. Pourquoi il a essayé, déjà ? « Ça fait longtemps que je t’ai pas vu jouer, d’ailleurs. » Il commente, plus pour lui-même que son ami, mais il est vrai qu’il a déjà assiste à quelques shows de Jeremiah et qu’il les a apprécié, ce constat le convaincant de remettre cela. Mais pour ça, il faudrait qu’il s’intéresse au programme, ce qu’il ne fait pas assez. C’est ce qu’il constate à l’annonce du groupe en question et que Finn se mord la lèvre. Il suit la carrière de Lou à distance, vient souvent la voir, mais ne retient pas vraiment la date de leurs shows puisque ceux-ci sont assez aléatoires. Mais pourquoi est-ce qu’il se sent mal ? Ce n’est pas comme s’il était bourré – et là, il prend conscience que, finalement, cette soirée ne sera pas autant synonyme de liberté qu’il ne l’aurait cru, puisqu’il se doit de maintenir bonne figure si Lou est là ce soir. Comme quoi, il aurait dû en rester à sa première idée et laisser Jeremiah à son sort. « Oui, je viens souvent les voir. » Qu’il se justifie avant de reprendre. « Je connais leur chanteuse, elle est incroyable. » Est-ce qu’il est biaisé ? Parfaitement. Mais il s’en fiche bien, même s’il ne précise pas la nature de ses liens avec la petite brune. « C’est elle que tu connais, toi aussi ? » Qu’il l’interroge, parce qu’il ne serait pas étonné ; Lou a son caractère, mais elle parvient aussi à établir des contacts avec les autres avec une facilité qui l’a toujours perturbée – parce qu’il est loin d’avoir les mêmes capacités. Et lorsque Jeremiah répond par l’affirmative, il se permet une autre interrogation. « Comment vous vous êtes connus ? » Et c’est une question purement formelle, en aucun cas le petit ami (peut-il vraiment se désigner ainsi ?) qui ferait une crise de jalousie. Seulement, le monde est petit et il ne s’en surprend même pas.

Je tiens à peine debout, je sens que mon nez a arrêté de saigner et l’alcool anesthésie la douleur au moins pour ce soir. L’alcool annihile toujours tout, c’est certainement pour ça que je passe une bonne partie de mes soirée dans les bars. Je fais comme si c’était pour chercher de nouvelles salles et de nouveaux artistes. Mais c’est surtout pour goûter à toutes les bières que les bars de Brisbane peuvent proposer. Je les connais déjà toute par coeur depuis des années. “J’ai raison.” Et je resterai sur ça. J’ai raison sur beaucoup de choses, et encore plus sur ça. Il est cool Finn, s’il ne l’était pas je ne perdrais pas du temps à l’emmener boire avec moi.

Je ris pour un rien, et je sais que j’ai déjà beaucoup trop bu. Mais, maintenant que j’ai un partenaire de soirée, ça ne fait que commencer. Il va falloir que je décuve rapidement pour être sûr de ne pas être dans un pire état que Finn. Il sait qu’il sortira de ce bar complètement bourré, et on sera deux à tanguer au beau milieu des rues de Brisbane pendant la nuit. Ca finit toujours comme ça quand il accepte de me suivre. On ne peut pas dire qu’il soit difficile à convaincre. “La carrure ça veut rien dire.” Même si je sais qu’en le frappant une seule fois je pourrais le mettre KO pour des semaines. Il a l’air tellement fragile le roux que ça en est impressionnant. “Si tu prenais des cours de boxe t’aurais plus ce problème.” Ce n’est pas la première fois que je lui propose de m’accompagner pendant un entraînement, et cette fois encore il dira sûrement non. Pourtant je lui proposerai de nouveau de m’accompagner quand on se rencontrera pendant une prochaine soirée. “Il suffit de demander.” Même dans cet état et avec 3 grammes d’alcool dans chaque bras je suis capable de jouer et de chanter comme un dieu. Un jour, je serai connu, je le sais.

Il connait les street cats et je fronce les sourcils. Il parle de la chanteuse et les yeux du roux brillent un peu trop pour que ce soit anodin. Je commande une nouvelle tournée de bière et pousse légèrement Finn par l’épaule. “Ouais incroyable.” Je n’ai connu Lou que comme étant la gamine à qui je vendais de la drogue quand j’étais bien plus jeune. Elle a bien grandi aujourd’hui, et on a pas perdu contact. C’est une des rares personne que je côtoie encore et qui me connait depuis de nombreuses années. Je hoche la tête, je connais Lou mais je ne compte pas lui dire comment ni pourquoi. C’est illégal, et c’est entre nous. Finn a l’air bien trop sage et fragile pour que je le mette au courant de ce genre de choses. “On était ado et on s’est rencontré pendant quelques soirées.” Il n’aura rien de plus, même si je suis complètement bourré et ailleurs dans ma tête. J’ai qu’une hâte, entendre le groupe se produire et le faire à mon tour quand ils seront descendus de scène. “Et toi ?”

Il hausse les épaules face à l’affirmation de Jeremiah quant au fait d’avoir raison ; s’il veut le croire, grand bien lui fasse. Il n’avait pas besoin d’être rassuré sur la question, ainsi il ne renchérit pas sur celle-ci. Finn est à l’aise dans ses pompes, ou presque. Le problème réside plus dans la tournure que prend sa vie que sur lui-même ; il n’apprécie guère cette impression de ne pas savoir ce qui serait susceptible de donner une nouvelle impulsion à sa vie, mais il est à l’aise avec la manière dont il ne se donne pas de moyens de le découvrir. Sa personnalité est ce qu’elle est et Finn ne cherche pas à obtenir une certaine validation sociale ; à l’inverse il se veut presque antisocial malgré son envie de cocher les petites cases du parfait petit cliché ayant un job, une famille et une jolie maison. Quoi qu’il en soit, face à Jet il cherche peut-être à se déculpabiliser quant à sa consommation d’alcool qui prendra l’ascenseur dans les heures qui suivent, mais certainement pas à être rassuré sur sa personnalité avec laquelle il cohabite très bien, merci pour lui. Néanmoins, il n’est pas insensible au geste de Jet et un fin sourire se dessine sur ses lèvres, tandis que cela ne fait que confirmer la bonne décision d’avoir suivi son ami dans ce bar ; après tout rares sont ceux qui insistent autant pour passer la soirée avec lui et en ce sens, il lui doit bien ça. Alors il met son attitude de rabat-joie habituel (presque) de côté. Au point où, à l’énième proposition de Jet de l’accompagner dans une salle de sport, il se veut moins réfractaire qu’à son habitude. « Il en faudra beaucoup, de cours. » Qu’il s’amuse avec un léger rire, un peu plus détendu. Oh, évidemment, il en faudrait pour n’importe quel nouveau ; pour lui il lui semble qu’il faudra en outre prévoir de véritables séances de rattrapages : la dernière fois qu’il a fait du sport autre que de la marche, cela remonte au lycée et autant dire qu’il n’en garde pas de merveilleux souvenirs. « Un jour, peut-être. » Il hausse les épaules, l’opposition est moins ferme que d’ordinaire et une voie semble s’être ouverte. Il faut dire que Finnley a conscience qu’il devient urgent de se trouver de nouveaux hobbies pour ne pas laisser la seule consommation d’alcool en devenir le principal. C’est donc un loisir qu’il s’apprêtait à poursuivre ce soir ; avant de découvrir que Lou est sur scène et qu’il n’aura la possibilité de se laisser aller comme il le prévoyait en arrivant ici. Lou qui s’avère être une connaissance commune des deux hommes comme Finn ne tarde pas à le découvrir. Bien évidemment, son avis sur la chanteuse est complètement biaisé, mais il ne le détaillera pas tant qu’il ne sera pas invité à le faire et la manière dont Jet tente de le pousser à la confidence en commandant à nouveau et en poussant son épaule lui fait comprendre qu’il ne pourra rester muet bien longtemps sur le sujet. « Ah oui, ça fait un bail. » Qu’il commente, plus pour lui-même que pour Jet, s’apprêtant à poser une question avant que ce soit finalement à lui de répondre à l’une d’entre elles. « À l’hôpital. » Il se contente de répondre, hésitant un instant quant à savoir si Lou fait de son séjour entre les murs du St-Vincent un secret ou non, mais il part du principe que si Jet la côtoie depuis des années et qu’il n’a pas détaillé les circonstances exactes de leur rencontre, il peut se permettre de dire la vérité plutôt que de se cacher derrière un mensonge qui viserait à préserver la jeune femme. « On se voit régulièrement, depuis. » Il avoue à demi-mot, avant de recevoir une seconde bière dans laquelle il trempe rapidement ses lèvres avant de relever le regard vers Jet. « Elle était comment, ado ? » Il s’ose à questionner, dans la retenue. Ce n’est pas qu’il veut enquêter sur la jeune femme. S’il s’agit de curiosité, elle n’est pas mal placée, c’est le genre de questions qu’il aurait demandé à n’importe qui ayant côtoyé un de ses proches une période où il n’était pas dans leur vie. Une envie de partager des souvenirs, de rires à propos d’eux, de s’outrer gentiment, de dénoter de certains changements et, dans un sens, de rendre accessible l’insaisissable Lou Aberline. « Et d’ailleurs, t’étais comment, ado ? » Un sourire se dessine sur ses lèvres, en fin de compte des nombreuses soirées partagées dans des états seconds, jamais il n’a vraiment été question d’en apprendre plus sur l’un et l’autre alors qu’ils ont partagé bien des choses, pourtant.

Je ne suis qu’à moitié conscient, et, pourtant, je pense que je vais encore boire comme un trou jusqu’à la fin de la nuit. Je finirai même peut-être vraiment par squatter le canapé de Finnley qui a décidé, de son plein gré ou non, de me suivre dans un nouveau bar ce soir. Un que j’aime particulièrement puisqu’il produit beaucoup de groupes que j’aime bien à Brisbane. Et, ce soir, je sais qu’un groupe joue. On s’installe au bar et il continue de râler. « Il en faudra beaucoup, de cours. » “Viens en faire un avec moi déjà tu verras ça te fera du bien.” Je veux qu’il se mette en tête qu’on est pas obligé de se retrouver seulement quand on est tous les deux complètement bourrés. Je pourrais aussi lui apprendre à frapper sur les gens qu’il n’aime pas ou qui le cherchent un peu trop. « Un jour, peut-être. » Comme toujours il repousse, et je grogne. Je sens que je ne le verrai jamais sur un ring de boxe le roux, et pourtant, je suis persuadé que ça pourrait être très amusant. Pour lui comme pour moi.

On s’installe et le groupe commence à jouer, je comprends que le jeune homme connait déjà des membres du groupe. Il connait Lou, et moi aussi. Mais je ne pense pas qu’il soit au courant de son passé peu glorieux. Alors je reste vague, et je garde mes yeux posés sur les musiciens qui se débrouillent plus que bien. « Ah oui, ça fait un bail. » C’est le moins qu’on puisse dire, ça fait des années que je connais la jeune femme, et aussi des années qu’on a pas eu de discussion parce que je ne garde que rarement contact avec mes clients. “Encore plus longtemps que ça.” Et je pouffe de rire en plongeant mes lèvres dans ma bière. Ou un autre alcool, je ne sais même plus qu’est ce qui peut bien entrer dans mon corps. « On se voit régulièrement, depuis. » “Oh je vois !” et mon sourire de con s’agrandit encore quand je commence à comprendre qu’il se trame peut-être quelque chose entre eux. « Elle était comment, ado ? » La question à cent balles, celle à laquelle je ne peux pas vraiment répondre sans savoir ce que je peux dire. “Fêtarde !” Comme tous les ados non ? “Elle était souvent dehors et ça nous arrivait de trainer ensemble !” Je continue d’être vague, je ne mens pas, je garde seulement une partie de la vérité pour moi. « Et d’ailleurs, t’étais comment, ado ? » “Peu recommandable” quelque chose qui n’a pas changé avec les années. “J’étais exactement comme maintenant en fait !” et je pouffe de rire. “Et toi ?” il faut bien retourner la question.

Si l’insistance de Jet ne le surprend plus, la manière dont celle-ci est dirigée se veut, elle, étonnante. Son ami s’est toujours moqué plus ou moins gentiment de lui et c’est ainsi qu’il a interprété son invitation, mais Jet ne lâche pas l’affaire et le rouquin l’observe avec un certain étonnement. Il pourrait presque être touché par l’entêtement dont fait preuve le brun, s’il était dans d’autres dispositions et qu’il voyait l’offre pour ce qu’elle est : une invitation à se côtoyer dans d’autres circonstances. Mais ces circonstances ne sont pas envisagées par un Finn qui a encore besoin d’avoir un certain contrôle sur celui qu’il devient en franchissant la porte d’un bar et qui ne peut se mêler à celui qu’il prétend être au quotidien. L’une et l’autre de ces facettes ne peuvent se croiser ; par conséquent Jeremiah ne peut guère être un ami une fois le soleil levé, sans quoi le conflit d’intérêt que cela représente serait bien trop contraignant pour Finnley. Mais la question ne pose plus alors qu’il refuse – gentiment – une nouvelle fois l’invitation de Jet. Il se justifie avec son manque flagrant d’endurance ou de capacité physique, pour autant l’idée est balayée mais demeure dans un coin de sa tête, sans qu’il ne sache réellement la raison.

D’autant plus que la boxe est bien vite oubliée alors que son attention se porte sur cette scène et le groupe qui s’apprête à monter sur celle-ci dont il connaît (trop) bien la chanteuse. Un point commun avec Jet pour lequel Lou n’est pas une inconnue, loin de là même puisqu’ils se connaissent depuis bien plus longtemps que le rouquin avec celle qui est sa petite-amie non officielle. Imitant le jeune homme, Finn se concentre sur son verre alors qu’il ne peut s’empêcher de se demander la nature du lien qui les unit – pas qu’il soit jaloux, simplement curieux. De son côté, il reste relativement évasif concernant la jeune femme, même si ses quelques mots en disent long. Un sourire de la part de Finn pour acquiescer, tandis qu’il reprend la parole pour s’oser à questionner son ami sur leur connaissance commune. « Quelle surprise. » Il s’amuse, ne s’étonnant guère que la petite brune ait déjà un goût prononcé pour la fête à cette époque. « T’abuses, je te trouve recommandable. » La nuit, surtout ; son avis diffère le jour venu, mais il ne le précise pas. Quand la question lui est retournée, il met quelques instants avant de répondre : « Pas très dégourdi et casanier. » Il rit à son tour, portant l’alcool à ses lèvres avant de se calquer sur les mots de son ami. « Comme maintenant, en fait. » Comme quoi, tous ne changent pas avec l’âge et le constat est plutôt difficile pour le rouquin. C’est ce qui le motive à commander une nouvelle tournée, tandis que les lumières s’abaissent pour laisser placer au groupe promis. Et bientôt les verres cessent de défiler le temps de la présence de Lou ; mais ils seront très vite rattrapés dès lors qu’elle ne sera plus sur scène, dès lors que cette soirée en reviendra à l’essentiel, à savoir Jeremiah et lui.