Auden avait tout l’air d’être un sacré personnage. Et finalement à s’y reprendre, il se pourrait bien que le connard adoré du public, ce soit lui et pas Léo. Le meilleur peintre d’Australie, bah voyons. May ignore pourquoi ce casting en particulier avait attiré une flopée d’artiste et dieu sait qu’elle méprise les artistes. Ils sont toujours au dessus de tout et se prenne la tête pour pas grand-chose. Elle était curieuse et déjà agacée de rencontrer cet Auden. Elle avait senti à travers ses réponses qu’il s’était bien foutu d’elle et qu’il n’avait pas vraiment pris au sérieux le questionnaire. Et pour cause, May avait dans un premier temps refusé de le rencontrer mais c’est sa collègue qui avait mis en lumière son profil et avait dit à May de ne pas passer à côté de lui, au moins de le rencontrer. « Auden… » Qu’elle souffla déjà à John pour qu’il aille le chercher dans la salle d’attente des hommes.
John revient à peine deux minutes plus tard, bredouille. « Il est pas là. » et May s’énerverait presque à nouveau. « Vas voir chez les nanas. » si ca se reproduisait elle jetterait l’éponge. « Pas foutu d’avoir une bonne organisation… » elle souffla et la porte s’ouvrit, ce n’était pas John qui en sortait mais quelqu’un d’autre. « Auden ? » Elle lève les yeux. « J’arrive. » elle ressort de la salle pour aller voir John et lui dire que c’était bon. Il était sans doute allé aux toilettes ou on ne sait quoi mais il s’était pointé dans la salle. May retourne s’assoir en face de lui. « Je suis May Glitters, meilleure chasseuse de tête d’Australie. Alors comme ça, vous êtes vierge ? » les pieds dans l’plats, c’était sa façon de répondre au questionnaire qui n’avait pas fait mouche. Comme s’il avait voulu se payer sa tête. « Qu’est ce que l’émission représente pour vous ? Vous avez deux minutes pour me montrer que vous ne me faites pas perdre mon temps. Ni le vôtre. » parce qu’il avait sans doute des toiles à peindre pour gagner son pain.


@Auden Williams

Je suis prêt, entraîné comme un sportif professionnel. Enfin presque. Je suis juste resté devant la télé à moitié à poil en vidant le stock de pizzas du frigo et j’engueulais Itziar pour je ne sais plus trop quoi. Dans ma tête ça ressemble beaucoup à un entraînement ceci dit, il ne faut juste pas me demander pour quoi.

Pour me marier.

C’est drôle, ça, comme réponse. Drôle comme le fait qu’ils m’aient accepté moi et mon questionnaire digne d’un Amish. Ou n’importe quel coincé dans le genre, de ceux qui habitent très très loin de moi j’espère. J’espère juste qu’on ne va pas me demander de répondre à nouveau aux questions parce que je n’ai plus aucun souvenir des conneries que j’ai pu leur débiter, la faute du peu d’attention dont j’ai usé en remplissant le formulaire. J’y avais même posé ma tasse de café dessus, laissant une magnifique trace bien belle et bien ronde dans le coin. Oups. En y rependant j’aurais pu être plus original, leur dessiner mon portrait à la peinture. Merde. La prochaine fois que je m’inscris à une émission débile sans but aucun, je ferai ça. Si je n’oublie pas entre temps, je ferai ça. Promesse à moi même.

Je suis parti m’imprégner des lieux, ouvrir des portes avec écrit “accès interdit” (désolé mon anglais n’est pas très bon, oups), m’aventurer dans des couloirs avec écrit “passage interdit” en lettres de sang, écouter à l’intérieur de celles qui étaient entrouvertes, sourire comme un con pour paraître normal (spoiler alert : apparemment on me prend plutôt pour un psychopathe et on accélère le pas, cela ne fonctionne donc pas tellement), manger les derniers feuilletés à la saucisse juste pour voir la mine effarée du pauvre gars qui bavait devant sans pour autant oser le prendre et paraître impoli - poli-quoi ? En somme, je m’occupe comme je peux. Aucun d’eux n’a pensé à mettre une télévision dans la salle d’attente et si tel avait été le cas je leur aurait recommandé le meilleur épisode de T’choupi, c’est à dire celui dans lequel il cherche un champignon Raie des fesses (j’ai pas trop retenu le nom, mais quelques consonnes coincident). Le manque d’organisation ici est donc affligeant mais je me retiens d’être trop moi même quand vient mon tour de me jeter dans la gueule du loup.

J’arbore mon meilleur sourire : le plus grand, le plus resplendissant, le plus faux. Elle se présente comme la meilleure chasseuse de tête d’Australie et j’analyse en silence. Ok. J’ai dû faire le coup du meilleur peintre d’Australie, alors. Elle a du répondant, me balance ma pseudo virginité au visage. Ma langue passe sur mes dents et cette fois ci mon sourire est bien réel, bien plus mesquin et calculateur. “Belle gueule, renommée, accent exotique, langue bien pendue.” Facile. Trop facile. “Histoire larmoyante en backup.” A éviter. Ou à imaginer. Ok, j’imaginerai sûrement. “Oh et vierge, oui, bien sûr.” Vierge d’au moins douze heures, je ne garantis pas pouvoir donner une aussi longue période de temps à la prochaine interview. “Prénom qu’on ne trouve pas deux fois.” Parce que si y’a trois John et six Mary, ça va être chiant au moment de former les couples. Je dis ça je dis rien. “Pour moi l'émission représente la chance de trouver l’amour de ma vie.” Ok, ouais, j’avais oublié de répondre à la première question et me suis concentrée sur la seconde. Mais là on est bons. J’ai répondu à tout tel le bon élève que je n’ai jamais été. Dix seconde sont passées et je n’ai insulté personne, ça doit vouloir dire que tout se passe bien. “C’est ça que vous entendiez par montrer ? Parce que si on parle de montrer montrer, il me reste encore une minute trente.” Et c’est sûrement à ce moment là que j’ai à jamais cramé ma couverture de jeune vierge effarouchée.

Deux minutes, ca ressemblait à un exercice, ce genre d’exposait qu’on demandait aux étudiants de tenir dans un temps impartie. Elle aurait attendu de lui qu’il ne soit plus capable de s’arrêter, elle était certaine qu’il allait adorer parler de lui, qu’il allait adorer s’écouter parler, se vanter et vendre ses mérites de meilleur peintre d’Australie. « Belle gueule, renommée, accent exotique, langue bien pendue » renommé ? May ne le connait pas, il dirait sans doute qu’il n’est renommé que chez les gens de la Haute, de ceux qui le méritent, de ceux qui s’intéressent, pas May en d’autres mots. « Histoire larmoyante en backup. » elle s’interdit de l’interrompre, elle veut voir jusqu’où il est capable d’aller. « Oh et vierge, oui, bien sûr. » bien sûr. Elle qui pensait qu’on couchait facilement chez les artistes. « Prénom qu’on ne trouve pas deux fois. » au moins, il serait pas obligé de se trouver un pseudonyme encore plus ridicule que son propre prénom, elle ne peut pas lui retirer ce point-là. « Pour moi l'émission représente la chance de trouver l’amour de ma vie. » elle lève les yeux au ciel, c’est plus fort qu’elle. « Max, allume la caméra s’il te plait. » elle le coupe, elle s’était interdit mais, elle se sent obligée, ne voulant pas louper une seule miette de ce casting, elle revisionnerait la vidéo pour voir à quel point il la prenait pour une idiote. « C’est ça que vous entendiez par montrer ? Parce que si on parle de montrer montrer, il me reste encore une minute trente. » elle gribouille sur la feuille devant elle, manquant de s’ennuyer. « Qu’est ce que ça fait d’avoir tant confiance en soit pour débarquer ici, pensant être au-dessus des autres ? Quel est le but de ce casting ? Quel est le but de participer à cette émission ? Je sais autant que toi que tout ce qui est écrit sur ce questionnaire, c’est du bullshit. Alors pourquoi ? J’t’ai dis que j’avais pas de temps à perdre. » elle se redresse, bien décidée à montrer qu’elle menait l’entretien et que des mecs comme lui, elle était pas à son premier, qu’elle était pas débutante et qu’elle connaissait bien son taf. A force, May pourrait presque prétendre à devenir psychologue. « Il te reste une minute trente. »

« Max, allume la caméra s’il te plait. »
Alexa play The Sound of Silence.

Voilà donc qu’elle m’annonce que c’était seulement l’entraînement et que j’ai donné mon plus beau sourire (le plus faux, le plus insupportable) pour absolument rien du tout.  Bah tiens. Et après on dit que c’est moi qui me fous de la gueule du monde, mais il faut aussi dire qu’il me le rend très bien quand même. C’est vrai que je me contrebalance totalement de cette émission mais il faut dire qu’elle n’a pas franchement l’air intéressé par tout ce que je raconte non plus - alors que j’ai donné tout mon coeur dans cette description. Elle vient de piquer mon ego, l’autre, l’inconnue, la fille qui a donné un nom que j’ai pas écouté. Tout le monde sait que vaut mieux pas toucher à mon ego parce qu’après ça va seulement escalader, être de pire en pire. Ma langue claque contre mon palais et les hostilités sont lancées.

« Qu’est ce que ça fait d’avoir tant confiance en soit pour débarquer ici, pensant être au-dessus des autres ? »
“C’est pas mal, vous devriez essayer.” “Vous” correspondant à tout le monde, à tous ceux qui pourraient regarder cet enregistrement, au reste de l’humanité toute entière. Que dis-je, au reste des mortels, de tous ceux qui pétrissent et qui m’ennuient. “Mon anglais n’est pas excellent mais …” Là vous voyez bien que je suis humble, que je sais que j’ai quand même un ou deux défauts qui traînent. Bon, juste un en fait. C’est déjà bien, un. ”faut utiliser le verbe savoir. Pas croire. Je me sais au dessus des autres.” Même moi je commence à me trouver exécrable et si je passe la phase des castings il va vraiment falloir que je commence à croire en une entité supérieure qui ne soit pas moi.

« Quel est le but de ce casting ? »
”Le buffet à volonté. Je rêve, là. C’est elle qui me dit de venir à un casting et qui me demande ensuite l’intérêt de tout cela. Comme si j’avais le temps de faire son travail.

« Quel est le but de participer à cette émission ? »
”Trouver l’amour.” Auden, disque rayé, bloqué sur le même mensonge encore et encore. Rien de bien intéressant, je m’en suis déjà lassé. J’ai besoin de renouveau, pas de ça.

« Je sais autant que toi que tout ce qui est écrit sur ce questionnaire, c’est du bullshit. »
Oh. Alors on en est là, à savoir lequel de nous deux tiendra sa connerie de mensonge le plus longtemps. Je ne cherche pas l’amour et elle ne cherche pas à faire matcher des inconnus. Elle veut de l’audimat, je veux m’occuper un temps. ”On a le droit aux gros mots ?” Je questionne, semi sérieux, semi connard arrogant. Un quart sérieux, trois quart connard arrogant plutôt.

« Alors pourquoi ? J’t’ai dis que j’avais pas de temps à perdre. Il te reste une minute trente. » Elle capte mon attention pendant une seconde, à se la jouer bossy, à tenter de me prendre à mon propre jeu et me faire taire pendant un temps au moins. Il te reste une minute trente Auden, le temps tourne Auden, magne toi Auden. Je dis rien, seul mon sourire se fait encore un peu plus grand. Mes coudes se rapprochent de la table, glisse en sa direction avec tout le reste de mon corps. Un face à face. Je veux rester dans l’émission seulement pour la rendre folle, pour faire de sa vie un enfer. C’est devenu mon nouveau but. ”Il vous faut un antagoniste. Y’en a toujours un, même dans Master Chef. Et c’est là où j’interviens parce que je suis un incroyable gentleman.” J’entends s’étouffer Ginny peu importe là où elle se trouve en ce moment. ”Une minute.”

Ce qui agaçait May par-dessus tout ? Qu’elle se rendrait compte au fur et à mesure que cette émission allait avoir besoin d’une gueule comme celle d’Auden, qu’il avait sans doute raison sur certains points et que son arrogance allait payer. Elle allait devoir user de stratégie pour que sa candidature soit retenue mais que pour autant, il puisse rabaisser son caquet et se sentir bien moins à l’aise dans ses pompes qu’il ne l’était actuellement. Un sacré défit pour May car elle avait l’impression que rien ne pouvait arrêter la tempête Auden. Qu’avec toute son énergie, elle pourrait difficilement lui faire perdre l’équilibre, mais s’il y a du challenge, May adore ça, elle allait alors se prendre au jeu, en espérant que ce ne soit pas elle qui perde à la fin.
Il prend le temps de répondre question après question, May se retrouvant totalement désabusée par chaque de ses réponses. Elle n’en était pas à son premier coup d’essai, elle avait passé des dizaines, des centaines mêmes de casting, en ayant vu défiler des candidats sous son nez, mais Auden sortait vraiment. Il se savait au-dessus des autres, comme il disait. « Tu es au-dessus des autres, par ton arrogance et la médiocrité de tes réponses, j’avoue que pour le coup, on a un sacré niveau. » elle se lance dans une partie de Ping Pong où elle sait très bien qu’il aura réponse à tout et surtout, tous les deux voudront avoir le dernier mot. « Il vous faut un antagoniste. Y’en a toujours un, même dans Master Chef. Et c’est là où j’interviens parce que je suis un incroyable gentleman. » et c’est la que c’est grinçant, il connait les rouages, et la télé-réalité n’a plus vraiment de secret pour personne, vingt ans après les premiers show à la loft story. « Là où j’interviens, c’est que vous vous croyez tous , pardon, vous vous savez tous antagonistes et indispensables. Et le dernier mot, je l’ai. Je choisi qui participe, je choisi qui dégage. T’es pas convainquant pour le moment, tu m’donne rien, que du vent. » elle veut l’piquer, elle en veut plus, c’est trop simple jusqu’à maintenant. « Ta belle gueule suffit pas à participer à un show. J’veux savoir c’que t’apporte à l’émission, pourquoi les téléspectateurs voudront regarder le prochain épisode quand tu seras dedans. Pourquoi ils changeront pas de chaine. Une minute.»

J’aurais jamais cru dire ça, vraiment, mais là, en ce moment, dans cette pièce qui pue la transpiration et le renfermé ; je m’amuse comme un dingue. On se lance des piques, on esquive même pas, on se contente d’essayer de viser à peu près et tout simplement lancer plus fort. Encore et encore. Et ça m’amuse, ça fait un bien fou. Ça fait que je peux dire tout ce que j’ai envie parce que je me moque des possibles conséquences de mes actes et de mes paroles, si jamais il y en a réellement - ce qui n’est sûrement pas là. J’oublie même que je suis possiblement filmé, j’oublie absolument tout. « Tu es au-dessus des autres, par ton arrogance et la médiocrité de tes réponses, j’avoue que pour le coup, on a un sacré niveau. » Ce qu’elle sait pas c’est que cette phrase ça correspond au meilleur compliment du monde à mes yeux. Ce qu’elle sait pas c’est que, gamin, j’ai jamais demandé à être au dessus pour une raison ou pour une autre, mais seulement être et rester au dessus du reste des autres, du commun des mortels, de tous ceux qui sont d’un ennui à mourir. Ce qu’elle ne sait pas non plus c’est qu’entre mon enfance et aujourd’hui, absolument rien n’a changé à ce niveau là. Peu importe la raison pour laquelle on parle de moi tant que c’est le cas. Peu importe la raison pour laquelle je suis plus élevé que les autres tant que c’est le cas. Le sourire toujours plus grand sur mon visage montre bien mon état de pensée actuel. « Là où j’interviens, c’est que vous vous croyez tous , pardon, vous vous savez tous antagonistes et indispensables. Et le dernier mot, je l’ai. Je choisi qui participe, je choisi qui dégage. T’es pas convainquant pour le moment, tu m’donne rien, que du vent. » Comme si ça allait suffire pour me faire vaciller, pour que je me défile, pour que je remette quoi que ce soit en cause. Absolument pas. Bien au contraire. Elle n’a pas eu le manuel, elle, ça se voit bien. Elle croit piquer mais elle ne fait que me doper avec une substance toujours plus forte. Ma langue claque contre mon palais et mes yeux toisent les siens. A la surprise générale, je ne dis rien. Absolument rien, même pas quand je me repose sur le fond de la chaise et que j’étends mes jambes. « Ta belle gueule suffit pas à participer à un show. J’veux savoir c’que t’apporte à l’émission, pourquoi les téléspectateurs voudront regarder le prochain épisode quand tu seras dedans. Pourquoi ils changeront pas de chaîne. Une minute.» Et moi je voudrais savoir pourquoi elle aurait le droit d’avoir mes réponses alors que j’ai déjà renvoyé chez eux des journalistes pour bien moins. Moi je voudrais savoir pourquoi elle croit réellement qu’il y a un rapport de force entre nous deux et qu’elle est celle qui le domine ; pourquoi elle croit cette connerie aussi erronée que stupide. Mes phalanges craquent une à une en même temps que je jette un regard sur ma montre tout en soupirant. Effet de style, parce que la mienne n’affiche absolument pas les secondes qui défilent. Mais quand j’estime avoir vu bouger la grande aiguille, quand j’estime l’avoir laissé mijoter assez longtemps, quand j’estime que j’ai enfin gagné la partie mes yeux retournent se plonger dans les siens. Mon sourire, là, est assez hautain pour que j’ai moi même envie de me frapper au visage. ”Oups, on dirait que le temps est écoulé.” Et tu vas faire quoi, là, May Glitters ?

 Il lui reste une minute, puisqu’il veut s’amuser à compter le temps et qu’il a pas l’air d’être touché par les remarques que May lui envoie. Il pu tellement la confiance en lui que ça en devient gerbant. Ce mec est tout ce que May ne peut pas supporter et elle est le sait déjà : jamais cet Auden ne participera à son émission. Jamais il ne sera retenu pour Mariés au premier regard. Elle ne le quitte pas des yeux et alors qu’elle lui pose ses dernières questions, il ne semble pas avoir envie d’y répondre. Est-ce qu’il va réellement laisser cette dernière minute s’écouler après avoir fait craquer ses phalanges avec un dédain et provocation ? Il fixe sa montre, regardant le temps passer jusqu’à ce que sonne le gong, la minute venait de passer. Une longue minute pour May. « Oups, on dirait que le temps est écoulé. » Elle lança un regard au caméraman derrière eux. «  tu peux couper la caméra. » elle se retourne à nouveau vers Auden. « c’est bon, tu peux partir, on a plus rien à se dire. » qu’il dégage s’il estime perdre son temps ici. « J’ai encore une dizaine de personnes à voir, s’ils sont tous aussi stériles que toi, ca va m’faciliter la tâche. Plus vite c’est terminé, plus vite je serai tranquille moi aussi. » May se lève, sort de la salle sans daigner se retourner sur son candidat, elle avait besoin d’une pause après ce phénomène. Elle n’était pas aux bouts de ses peines et elle le savait bien. Mais elle n’allait pas se laisser emmerder par un connard pareil. Auden Williams, avait besoin d’attirer l’attention sur lui ? Ce n’est pas May qui allait lui offrir ce plaisir-là. Elle tata ses poches à la recherche de son paquet de cigarette et d’un briquet mais elle avait tout laissé à l’intérieur de la salle. Elle y retourne alors, pensant qu’il avait quitté les lieux mais il était toujours à l’intérieur. « t’as besoin d’un plan pour trouver la porte de sortie ? »  Elle lui indique, pointant du doigt la porte par laquelle il était entré et alla récupérer son sac. Elle s’assurera qu’il sorte de là avant d’aller prendre l’air. Or de question qu’il mette son nez dans des documents qui ne le regardait pas.

« Noah, non attends!.. » la porte s’ouvre sur celle qui à mon sens – à voir son regard excédé, sa démarche qui l’est toute autant – vient de terminer le casting d’un Auden dans toute sa splendeur. Elle est dans sa tête, elle est dans sa bulle quand elle passe devant nous, qu’on s’efface de son passage le plus rapidement possible. Noah qui profite de mon inattention pour se faufiler entre les chaises et entrer là d’où la dame est partie un peu plus tôt.

Auden est en train de ramasser ses affaires et arbore un air que je ne lui connais que trop bien, lui qui se moque de tout, lui qui se moque tout le temps. Lui qui a passé toute la semaine à se vanter d’avoir réussi à se gratter un mariage friqué sur un plateau, la femme de sa vie triée sur le volet, pas le moindre effort à faire, juste à sourire à la caméra et à dire ce que le peuple veut entendre. Le casting était à Spring Hill, on avait manqué l’autobus pour aller faire des courses Noah et moi, Auden a proposé de nous y déposer après son rendez-vous – et de nous utiliser à foison pour pratiquer son speech de mari parfait encore et encore devant public, jusqu’à ce que nos oreilles en saignent – et on en est là.

Ma silhouette s’appuie dans l’embrasure de la porte, mes bras se croisent sur eux-mêmes, mon sourire est pas aussi acide que le sien, mais il est quand même un tout petit peu. « Alors, t’es déjà marié? » bien sûr que non, bien sûr que ça s’est mal terminé, bien sûr qu’elle est partie parce qu’il l’a énervée, et que lui s’apprête à filer en éclair pour aller embêter qui que ce soit d’autre sur son chemin. « C’est une vraie? C’comme celles qu’ils utilisent pour la télé et les films, c’est ça?! » mais Noah en a décidé autrement, quand il rush la caméra et le matériel qui l’entoure, son regard rivé sur le micro attaché et les différentes lentilles, son index qui pointe avant d’entreprendre de grimper sur une chaise pour appuyer sur tous les boutons à disposition.

J’esquisse un pas pour retenir la chaise qui chambranle sous son poids, pas tant dangereusement mais suffisamment pour que je le remarque. « t’as besoin d’un plan pour trouver la porte de sortie ? » et la voix sèche, directe, qui résonne dans mon dos, qui me surprend dans mon mouvement. Juste le temps de voir qu’Auden s’est rapproché de Noah, qu’il lui a évité une pseudo-chute au passage. « On part, je pensais que c’était fini, on attendait dans le hall parce qu’il commençait à faire chaud dans sa voiture, et la sécurité nous a dit qu’on devait rester dans le couloir de gauche pour ne pas croiser aucun autre candidat, mais Noah s’est faufilé dans celui de droite et on m’a autorisée à aller le chercher et je devais filer tout de suite après mais il a entendu Auden rire et il voulait le voir et, et… » « Juste cinq secondes de plus, j’ai rien enregistré encore! » Noah borné round 2 (ou 3, ou 4, ou 1000, j’ai oublié?) qui n’en fait maintenant qu’à sa tête dans mon dos, Williams qui apparemment ne fait rien pour l’en empêcher non plus.

Merde, le jeu est déjà terminé. Ça passe décidément bien trop vite, une minute. Moi qui m’amusais comme un petit fou, dans cette salle trop petite, mal éclairée et dépourvue de toute chaleur. Typiquement le genre d’endroits que je fréquente en temps normal. « Tu peux couper la caméra. » Ouh, suspens, roulements de tambours, que va-t-il se passer ? Est ce que cette discussion va enfin devenir intéressante ? Je trépigne d’impatience à l’idée d’avoir une réponse à mes questions. « C’est bon, tu peux partir, on a plus rien à se dire. » Moi qui voulais lui demander à son tour ce qu’elle pensait du Kamasutra, je suis plus que déçu. J’avais encore un millier de questions pour elle à défaut qu’elle puisse en avoir pour moi. « J’ai encore une dizaine de personnes à voir, s’ils sont tous aussi stériles que toi, ca va m’faciliter la tâche. Plus vite c’est terminé, plus vite je serai tranquille moi aussi. » J’espère vraiment être stérile, ça serait une bonne nouvelle ça. Ca m’éviterait une crise cardiaque si jamais un mini moi passe la porte de l’atelier un jour, un test adn fièrement agrippé entre ses doigts. Quel cauchemar. Ah, ouais, elle me parle. Mes yeux roulent, je souffle longuement. Ca m’ennuie autant qu’elle, toute cette histoire. Je pensais qu’il y aurait plus d’actions, qu’on reviendrait plus sur les sujets délicats. ”Ciao.” La politesse est de mise, l’ironie livrée avec le tout. Un sourire étire mes lèvres, mes doigts bougent en vague pour lui souhaiter une bonne continuation - ou tout ce qu’elle pourrait comme signification à mes mots. Ce n’est pas comme si j’en pense quoi que ce soit, de toute façon.

A la blonde au fort potentiel mais franchement ennuyante fait place une petite tornade et une mère exaspérée. Un nom que je connais, une voix que je reconnaîtrais entre mille. Ginny ne perd pas une seule seconde pour déjà se moquer de moi et là, exactement là, vous voyez qu’elle me rend la vie bien plus difficile que sa face d’ange ne pourrait le laisser imaginer. Mais tant pis, parce que je suis dans un ces jours dans lesquels j’ai tout simplement décidé de l’ignorer. Je ne prends pas la peine de lui demander comment est ce qu’elle a pu arriver ici alors qu’elle était supposée faire des courses - elle n’a pas repris de café, du coup, je parie. Peu importe. J’ai un sourire en coin face à Noah qui a déjà mis la pièce en bazar alors qu’il vient d’arriver, qu’il se la joue cascadeur à monter sur une chaise dans un équilibre instable. J’abandonne un instant mes affaires et contourne la table pour venir lui tenir le dossier pour qu’il ne tombe pas. ”Pour sûr qu’elle est vraie. C’est la même qu’ils ont utilisé pour tous les films que t’aimes.” Même si la plupart des films qu’ils aiment sont des dessins animés mais ça compte quand même, ça rentre dans le lot. De toute façon il ne m’écoute pas vraiment, on touche aux boutons ensemble, la lumière rouge se rallume, je le soulève en le prenant sous les bras pour qu’il puisse lui même poser ses doigts collants sur la caméra et le micro. Il fait tout ce que je rêvais de faire depuis que je suis rentré dans la pièce et il est le premier à me faire décrocher un véritable sourire, ici. « T’as besoin d’un plan pour trouver la porte de sortie ? » Je roule des yeux, ma tête en archi gros plan qui s’affiche dans le retour de la caméra. ”Karaba la sorcière est de retour.” Au moins, avec Noah, on a les mêmes références. On se comprend. « Karaba la sorcière est de retour ! » Il répète sans même essayer de chuchoter et je me pince les lèvres pour ne pas rire. Ginny va avoir ma peau, mais moi je le trouve franchement drôle, encore plus quand il lève aussi les yeux au ciel comme un pro.

La peintre est plus formelle, comme à son habitude, et elle se perd dans ses excuses. A mes yeux elle perd bien trop de son temps et de sa salive dans toute cette histoire. Je décroche au bout de quelques secondes, n’essaye même pas de reprendre le fil lorsque mon nom est cité ; j’ai encore moins de patience que n’en a jamais eu son fils. Il tente une dernière fois de gagner quelques précieuses secondes mais je court-circuite le tout, appréhende déjà que la blonde n’utilise son manque total de compassion pour s’adresser à lui. Je me suis promis de m’en tenir à une seule bagarre par semaine. ”Allez bonhomme, je te prendrai une caméra pour Noël si tu veux.” Je ferai des vlogs. A l’atelier. Ca va les rendre fou. Ca sera génial. On forme une team d’enfer - c’est le cas de le dire. Il se retrouve sur mon épaule, reste dans les airs quelques instants et je le repose devant sa mère avant qu’il n’ait la bonne idée de vomir. ”De toute façon on en avait terminé, hm ?”

En revenant dans la salle, May n’avait pas tout de suite remarquée que derrière la porte se trouvait une gamin haut comme trois pommes et une femme, en compagnie d’Auden. May ne comprenait pas bien ce qu’il se passait et pourquoi on laisser un enfant jouer avec la caméra – matériel professionnel et non pas jouer de famille qui se prête de main en main pour filmer les premiers pas de son môme. – « Karaba la sorcière est de retour. » ravie d’avoir marqué à ce point Auden, May prend le compliment avec plaisir. « Karaba la sorcière est de retour ! » Alors que le regard de May suffit à être culpabilisant et accusateur, cette jeune femme se confond en excuse comme si elle était prête à se liquéfier sur place. « On part, je pensais que c’était fini, on attendait dans le hall parce qu’il commençait à faire chaud dans sa voiture, et la sécurité nous a dit qu’on devait rester dans le couloir de gauche pour ne pas croiser aucun autre candidat, mais Noah s’est faufilé dans celui de droite et on m’a autorisée à aller le chercher et je devais filer tout de suite après mais il a entendu Auden rire et il voulait le voir et, et… » et il se permet de foutre ses doigts gras, sales et avec sans doutes de la morve séchée sur l’optique d’une caméra hors de prix ? « Je comprends mieux… » la Glitters jeta un œil vers Auden. « Si tu m’avais expliqué tout de suite que tu avais une auxiliaire de vie qui t’accompagnait partout, j’aurai compris plus rapidement pourquoi il te manquait des cases. » sans doute surtout agacée par l’attitude d’Auden durant cet interview plus que par la présence de cette jeune femme et de l’enfant, mais ce combo autour d’Auden lui suffisait à être désagréable. « Allez bonhomme, je te prendrai une caméra pour Noël si tu veux. » May plantée comme un piquet devant la porte de sortie, elle n’attendait qu’une chose : que cette salle redevienne une salle de casting et non un terrain de jeu pour enfant : Auden compris dedans. « De toute façon on en avait terminé, hm ? » elle poussa cette porte pour l’ouvrir un peu plus, permettant alors à ces trois personnes de quitter les lieux sans même avoir à se bousculer. « Depuis dix minutes. Si on peut considérer qu’on ait même commencé à un moment. » parce que pour elle, tout ça n’avait été que du vent. « Prenez soin de lui, j’ai l’impression qu’il est en carence affective et ça le rend particulièrement con. » d’où ce besoin de se revaloriser et de se penser au-dessus de tous, compensation d’une attention dont il n’avait jamais bénéficié étant gamin.

”Pour sûr qu’elle est vraie. C’est la même qu’ils ont utilisé pour tous les films que t’aimes.” et il l'encourage le pire, Auden qui le laisse faire, Noah qui appuie sur tout ce qu'il trouve. Je jure que Williams lui pointe même quelques fois du bout de l'index où il fera le plus de dommages s'il pèse, changeant les lentilles, passant ses doigts baveux sur tous les points de vue au passage. ”Karaba la sorcière est de retour.” mes sourcils se froncent, le sursaut de surprise fait le reste. « Karaba la sorcière est de retour ! » Noah en rajoute, et je pouffe de rire d'entendre la voix cristalline de mon fils tomber dans le piège, cache mon éclat de rire dans la manche de mon pull en tentant de racheter la scène d'un « Les gars... » pas autoritaire ni menaçant du tout.

« Je comprends mieux… Si tu m’avais expliqué tout de suite que tu avais une auxiliaire de vie qui t’accompagnait partout, j’aurai compris plus rapidement pourquoi il te manquait des cases. » « Je l'accompagne pas partout. » je justifie, la voix qui boude, la mine aussi. Mes explications, elle n'en a rien fait, et le traitement du silence doublé de son talent à m'ignorer ne font que me rendre encore plus mal à l'aise, encore plus apte à fuir d'ici dès que je le pourrai. Mes rires ne montent plus, le coup d'oeil que je vrille à Auden mais surtout Noah grimpé sur ses épaules suffit à ce qu'on soit tous sur notre départ. Du moins, me suffit à moi. ”Allez bonhomme, je te prendrai une caméra pour Noël si tu veux.” j'ai oublié si Noah croyait encore au Père Noël ou non, c'est flou avec un gamin aussi vif d'esprit que lui, à force on perd le fil. ”De toute façon on en avait terminé, hm ?” et je sors de mes pensées pour prendre le relais, et glisser mes doigts entre ceux du garçon fraîchement posé au sol, livré sous mes yeux.

La blonde reprend la parole, elle veut avoir le dernier mot, Auden m'étonne de le lui laisser. « Depuis dix minutes. Si on peut considérer qu’on ait même commencé à un moment. » et la voilà qui daigne se tourner vers moi, je demandais pas tant d'honneurs. « Prenez soin de lui, j’ai l’impression qu’il est en carence affective et ça le rend particulièrement con. » « Il est pas si pire que ça. » certains jours précis, à certaines périodes fixes, certaines secondes seulement, quand les astres sont alignés, qu'il a mangé ses coco pops et que son épisode préféré de T'choupi joue en boucle.

« Tremblez d'effroi! Tremblez de joie! Elle approche, elle est là! » que je finis par chuchoter à l'intention de notre trio, à la seconde où on a quitté la salle des castings. « Elle est là : KARABA! » définitivement, Noah n'a jamais appris la discrétion.