Hannah mâchait machinalement une banane tout en planchant sur le rapport qu’elle était supposée rendre dans les heures qui suivaient. La partie administrative de ce métier était sans aucun doute ce qui la saoulait le plus, mais elle savait aussi que ces rapports étaient absolument nécessaires en cas d’erreur médicale ou de dégradation de l’état d’un patient pour des raisons inexpliquées. C’était pour cela que même si elle n’avait qu’une seule hâte, celle de rejoindre les urgences le plus rapidement possible, elle se donnait à fond dans cette tâche comme pour n’importe quelle autre aux côtés plus exaltants. Elle était sur la fin de sa résidence, et tout le monde savait déjà que la psy était sa prochaine destination pour son fellowship. En effet, si jusqu’à présent le médecin avait du faire ses dents dans plusieurs disciplines afin d’obtenir les diplômes qui lui étaient nécessaires, elle arrivait enfin sur la dernière ligne droite de ces longues années d’étude ; cinq années à ne pratiquer que ce pour quoi elle avait commencé à étudier en premier lieu, à savoir la psychanalyse. Sa chance résidait dans le fait qu’elle était déjà régulièrement appelée sur les cas psys, son intérêt pour le domaine n’étant un secret d’état pour personne, et surtout pas pour les médecins pratiquant déjà à l’hôpital. Hannah savait ce qu’elle voulait et se donnait les moyens d’y parvenir, elle avait donc tout fait pour se rendre indispensable auprès des personnes qu’elle serait amenée à appeler « collègues » dans quelques années. Il commençait à se faire tard, mais la brunette n’avait jamais fait très attentions aux horaires et surtout, avait déjà compris depuis longtemps qu’il était tout bonnement impossible de devenir un bon médecin en calculant ses heures de travail à la minute près – et encore, certains essayaient tout de même. La jeune femme se laissa tomber contre le dossier de sa chaise en s’étirant, se demandant si elle n’allait pas faire une sieste rapide dans l’une des chambres prévues à cet effet pour le personnel soignant. Personne ne l’attendait chez elle, et elle restait persuadée que les cas les plus intéressants faisaient leur apparition entre 22h et 6h du matin – une analyse qu’elle avait peaufinée avec le temps et qui était réellement basée sur des statistiques qu’elle s’était amusée à faire un soir. Parce que oui, pour Hannah Whitemore, les statistiques c’était amusant. On ne la referait pas. Se craquant les doigts, elle posa son regard sur son téléphone d’où l’on pouvait voir le fond d’écran s’illuminer à cause d’une notification. Ses yeux se perdirent sur la photo qui s'affichait en arrière-plan; un souvenir d'une journée qui datait de peu avant le départ de Lucia pour Sydney. On y voyait les trois soeurs entrain de grimacer tout en se prenant un fou rire phénoménal. La photo en elle-même était complètement ratée, mais pour la jeune femme, elle représentait le meilleur moment de ces quelques heures passées ensemble. Un sourire triste au coin des lèvres, elle sursauta lorsqu'elle entendit le biper accroché à sa ceinture sonner. Le bruit la sortit de ses pensées, et elle jeta un oeil au petit appareil dont le code affiché lui demandait de se rendre aux urgences aussi rapidement que possible. Enfin, un peu d'action. La brunette sauta sur ses deux pieds, attacha rapidement ses cheveux en un chignon approximatif et se dirigea à toute vitesse vers l'étage des urgences où elle était attendue. Difficile de savoir ce qui l'attendait sur place, le service était réduit à cette heure-ci car le changement d'équipe n'allait pas tarder à s'effectuer, et une bonne partie d'entre eux était sur un trauma sévère en salle d'opération depuis cinq bonnes heures. Une fois sur place, elle fut alpaguée par un des infirmiers qui semblait attendre son arrivée. "Docteur Whitemore!" Un air soulagé sur le visage, il s'approcha d'elle en lui tendant un café - un des nombreux avantages à être en fin de parcours médical, même s'il lui restait encore cinq ans de spécialisation. Elle s'empara du café avec gratitude, même si son air restait aussi sérieux que d'habitude. "Merci. Alors, il se passe quoi?" Lui demanda-t-elle en laissant son regard dériver sur l'énorme pièce qui accueillait les patients, ne voyant rien de particulier à signaler. "C'est le docteur Hurley qui m'envoie. Un cas psy, apparemment ça vous intéresse, je..." La brune leva la main pour le couper, soudainement enthousiaste à l'idée de la suite des évènements. Le docteur Hurley était le psychanalyste le plus reconnu de l'hôpital, et il était rare qu'il daigne la faire venir sur des cas puisqu'il était bien trop tôt pour ça - en théorie. "Ils sont où? Venez, on commence à marcher..." Lâcha-t-elle en s'avançant vers le couloir où devait vraisemblablement se trouver le Docteur Hurley et son patient. Le jeune homme lui emboita le pas en balbutiant, sans doute surpris par l'esprit vif du médecin. "Je... Hum. Caleb Anderson, 28 ans. Il a... Pété les plombs." Hannah s'interrompit de marcher d'un seul coup, le fusillant du regard. "Monsieur Taylor, est-ce que la psy vous intéresse?" Elle plongea ses yeux bleu dans ceux de son interlocuteur, sans ciller une seule seconde; torturer les petits jeunes était son activité favorite, après la pratique de la médecine bien entendu. "Je... Euh... Oui." Elle haussa un sourcil en croisant les bras. "Est-ce que vous pensez que Freud a déjà employé le terme de "pétage de plomb" dans ses écrits, Monsieur Taylor?" Elle avait bien du mal à retenir un sourire, mais l'occasion était trop belle. Cet étudiant commençait à peine et n'avait probablement jamais lu le moindre essai, raison pour laquelle elle citait Freud en dépit du fait qu'il ne soit qu'un précurseur de la psychanalyse; les choses avaient bien évoluées depuis, heureusement. "No... Non. Désolé." Elle laissa quelques secondes s'écouler pour le suspens, avant de lui tourner le dos et de pousser la porte, le laissant en plan tout en se demandant s'il avait réussi à se sortir du pétrin, ou non. Elle retrouva son sérieux à l'instant même où la porte se referma derrière elle, restant immédiatement en retrait en tant que l'observatrice silencieuse qu'elle était. Le jeune homme étendu sur le lit était en larmes, secoué de tremblements et ne semblait pas vouloir se calmer, ni même expliquer ce qui lui arrivait. Lentement, elle lança un regard interrogateur à un autre médecin présent à ses côtés. "Caleb Anderson. Apparemment, il a complètement déraillé dans un lieu public, j'ai pas les détails..." Elle se mordit la lèvre en hochant la tête. "Whitemore. Vous avez pris connaissance du dossier? Vous allez venir avec moi, on le sort des urgences pour le mettre dans une chambre, il a besoin de tranquillité." Hannah se mordit la joue intérieurement, sachant que le Docteur Hurley ne plaisantait pas et qu'elle avait intérêt à être au taquet sur cette histoire, même s'il ne s'agissait que d'assistance. Lentement, elle s'approcha du jeune homme et lui adressa un sourire. "On va vous emmener dans un endroit plus calme." Lui lança-t-elle, ce qui signifiait en d'autre mot qu'il allait passer la nuit sous surveillance, au cas où il aurait d'éventuelles envies suicidaires - on ne sait jamais.
Je suis fatigué. Ça fait maintenant deux mois que je ne dors plus, j’en ai marre. Ce soir je devais partir travailler mais je n’y suis même pas allé. À quoi bon de toute façon ? Pourquoi moi est-ce que je suis encore ici et pas elle ? Deux mois. Deux putains de mois. Huit semaines. Et j’ai bien trop mal à la tête pour compter le nombre de jours, d’heures de minutes et de secondes que j’ai passé sans elle. Elle est morte. Je l’ai tué. Ça fait deux mois. Et tout le monde me dit que la douleur va finir par s’atténuer avec le temps mais c’est tout le contraire. C’est de pire en pire. Pourquoi j’ai de plus en plus mal ? Au début c’était comme si elle était partie quelques semaines dans sa famille en France. Mais là, deux mois. C’est long. Jamais on a été séparés aussi longtemps. J’ai l’impression que je suis en train de couler, de m’enfoncer, de m’étouffer. Et ce soir la douleur est encore plus forte. Si j’étais encore à l’hôpital ils me demanderaient de noter ma douleur sur une échelle de zéro à dix. La pire question du monde ça, ils le savent les infirmiers ? Que cette question est énervante ? Une douleur, ça ne se note pas. C’est n’importe quoi. Surtout que dix, c’est même pas suffisant pour que vous compreniez à quel point j’ai mal. C’est injuste. La vie est injuste. Mais non, c’est de ma faute. Tout est de ma faute. Putain, je l’ai tué. Elle, elle était assise à côté de moi, à moitié endormie. C’est moi qui conduisais alors pourquoi c’est elle qui est morte ? J’aurais dû mourir à sa place, ou avec elle. Ce sont les mots qui ne quittent pas mon esprit depuis ces deux derniers mois ; tout est de ta faute, t’aurais dû mourir à sa place. Aujourd’hui, c’était censé être notre mariage. Il est 22h30, et normalement elle aurait dû être ma femme et on serait à Paris en train de célébrer notre union, notre amour avec nos familles et nos amis. C’était comme ça que ça devait se passer. Mais à la place, je suis tout seul assis dans un bar, je viens de finir mon je ne sais combientième de verre d’alcool. J’ai arrêté de compter depuis un moment déjà. Mais au moins, je suis sorti et je ne suis pas resté enfermé chez moi. Romy devrait être contente, non ? J’avais pas d’alcool chez moi alors je suis sorti. Parce que j’ai besoin de m’occuper l’esprit. J’ai besoin d’oublier. J’ai éteins mon portable parce que j’ai pas envie qu’on me fasse chier. Ce matin mes parents m’ont déjà appelé, et je les ai envoyé chier comme jamais. Les pauvres. Ils ne méritent pas ça. Ils ne méritent pas d’un fils qui n’est même pas capable de leur parler convenablement. Mais ils m’appellent simplement parce qu’ils ont pitié de moi. Ce matin ils se sont levés et ils se sont sûrement dit ‘prenons des nouvelles de notre fils, il aurait dû se marier aujourd’hui s’il n’avait pas tué sa fiancée.’ Et ça m’énerve. Alors j’ai préféré l’éteindre pour éviter d’autres appels de ce genre de ma cousine ou même de ma sœur. Tout ça, ça part d’une bonne intention de leur part, je le sais. Mais ça m’énerve. Je crois que ça faisait longtemps que j’avais pas autant bu. Mais aujourd’hui, c’est exceptionnel. Aujourd’hui je vais mal. Bien plus mal qu’hier et demain ça n’ira pas en s’arrangeant. Non, la douleur ne diminue pas avec les semaines, ni avec les mois. C’est de pire en pire. C’est des conneries ce qu’on nous dit. Je ne vis plus depuis qu’elle n’est plus là et une partie de moi est définitivement morte avec elle. Je n’arrive même plus à me regarder dans un miroir, je ne supporte plus cet appartement dans lequel on vivait ensemble. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul. Mais je l’ai mérité. C’est bien fait pour moi. Je l’ai mérité. J’ai mal à la tête. J’en peux plus. Mes pensées se bousculent et je suis incapable de penser correctement. Je ne sais pas si c’est l’alcool mais j’ai l’impression que ma tête va exploser. Bah qu’elle explose, au moins je crèverais et mes souffrances auront enfin une fin. C’est tout ce que je demande moi, arrêter de souffrir. Mais comment est-ce que je peux arrêter de souffrir avec ce que j’ai fait ? J’ai perdu la femme de ma vie, je l’ai tué. Je suis nul. Une merde. Une grosse merde. Je ne la méritais pas de toute façon. Je bois d’une traite le nouveau verre que le barman me donne et je lui en redemande un autre. Je ne vais pas tenir très longtemps si je continue à boire à cette cadence. Un énième verre d’alcool posé devant moi, je le regarde. Je le fixe. Et sans même savoir pourquoi, je prends mon verre mais pas pour le boire. Je le jette au sol, et tous les verres vides posés sur le bar y sont passés. Ensuite je me suis mis à hurler sur toutes les personnes qui ont essayé de m’approcher pour me calmer, et puis je me suis mis à trembler, des tremblements que je n’arrivais pas à contrôler. Et j’ai fini par pleurer. Première fois que je pleure vraiment depuis son départ. Pas une seule larme n’avait coulée avant. Parce que je me sentais vide. Complètement vide. Mort. Mort de l’intérieur. Et voilà comment j’ai atterri aux urgences. Parce que j’ai jeté au sol je ne sais combien de verres, j’ai hurlé sur des personnes qui ont essayé de m’aider. Je viens de péter les plombs. Ça y est je suis officiellement devenu fou. J’ai déraillé. Et le pire c’est que j’avais l’impression de ne pas pouvoir me contrôler. J’avais besoin de casser tous ces verres, j’avais besoin d’hurler sur une dizaine de personnes, j’avais besoin d’entrer dans une crise de larmes incontrôlées. En fait, il fallait que j’évacue ma colère, ma tristesse, ma frustration, ma rage. Parce que tout ça, ça fait deux mois que je le garde pour moi. Et j’en peux plus. Je suis fatigué. Je suis tellement fatigué. J’ai un mal de crâne horrible. Je meurs de chaud. Et je tremble encore. Je continue à crier pour rien. Je suis énervé. J’en peux plus c’est tout. Je crois que je suis arrivé à bout de tout ce que je pouvais supporter. C’est la fin. Plusieurs médecins – ou infirmiers honnêtement j’en sais rien je suis pas en état de savoir faire la différence – sont venus pour me poser des questions, mais moi je ne leurs réponds pas. Je me contente de leur gueuler dessus. Je n’ai pas l’impression que c’est vraiment moi qui agis. Et pourtant, c’est bel et bien moi qui viens de s’asseoir sur ce lit d’hôpital, mes deux mains dans mes cheveux je ferme les yeux pour essayer de me calmer. J’ai mal à la tête. J’ai chaud. Je suis fatigué. Je suis tellement fatigué. J’ai la tête qui tourne, mais ça, je sais que c’est à cause de l’alcool. Une voix féminine me sort de mes pensées. "On va vous emmener dans un endroit plus calme." J’ouvre les yeux et lentement, je tourne la tête vers la jeune femme. « Vous êtes qui ? » Je lui demande. J’ai ma main qui tremble, je suis nerveux et tout ce bruit et ce mouvement ne m’aident pas à me calmer. Je soupire et je ferme à nouveau les yeux l’espace de quelques secondes. Trop de bruit, trop de monde autour de moi. C’est en train de me rendre fou. Plus que je ne le suis déjà, apparemment. Je finis par acquiescer d’un signe de tête. Je renifle et je m’assieds sur le bord du lit. Putain, j’ai la tête qui tourne. Je souffle d’autant plus quand un soignant s’approche de moi pour m’aider à me lever. « C’est bon, ça va lâchez-moi. Je sais encore me lever tout seul. » Mon ton est froid et très sec. Chose qui ne me ressemble pourtant tellement pas. Je me lève, doucement. Je crève de chaud, c’est moi qui déraille ou il fait super chaud dans cet hôpital de merde ? Je regarde la jeune femme en blouse blanche. « C’est bon, je vous suis. » Je ne tremble plus vraiment, mais quelques larmes coulent le long de mes joues et je n’arrive pas à contrôler ça. Pourtant j’aimerais bien. J’aime pas pleurer, je me sens con. Doucement, je suis la jeune femme qui est accompagnée d’un homme plus âgé – lui pour le coup il a une tête de médecin. – J’ai toujours les pensées en vrac j’arrive pas à y mettre un ordre. J’arrive même pas à penser correctement en fait. Je suis en train de devenir fou, c’est tout.
Hannah n’avait pas encore eu beaucoup l’occasion de beaucoup pratiquer mais le fait était que c’était vers elle que le psychiatre s’était tourné pour l’accompagner sur ce cas, et elle en était ravie. Bien souvent le malheur des uns faisait le bonheur des autres, et si la brune était vraiment désolée pour cet homme, elle était ravie d’y voir une opportunité d’apprendre aux côtés d’un médecin qui avait sa réputation. Ce dernier lui expliqua qu’ils allaient déplacer le patient, et si dans des cas comme celui-ci on avait tendance à les placer directement à l’isolement, le fait que le jeune homme se soit déjà calmé en partie allait probablement lui éviter de passer par cette étape. Le seul problème résidait dans le mutisme qu’il se bornait à conserver, mais il venait d’arriver donc il n’était pas encore temps de s’inquiéter. La brunette s’avança donc vers lui afin de le prévenir qu’ils allaient le déplacer, et eut pour la première fois une réaction de sa part. Il ouvrit doucement les yeux, tournant la tête dans sa direction. « Vous êtes qui ? » Waouw. Il sentait l’alcool, et pas qu’un peu. Il allait falloir le mettre sous perfusion, le temps que l’alcool ne parte de son organisme. Ça avait dû être le déclencheur de sa décompensation, il fallait juste comprendre à quoi cette crise était due. « Je suis le Docteur Whitemore. Mais vous pouvez m’appeler Hannah, c’est comme vous voulez. » Elle lui adressa un sourire avant de faire un signe de tête en direction de son supérieur. « Je vais vous accompagner avec le Docteur Hurley. » Elle s’éloigna quelque peu de lit afin de laisser les infirmiers venir faire leur travail, qui consistait normalement à déplacer le lit sur lequel Caleb se trouvait. Cependant, ce dernier en décida autrement et s’assit sur le rebord du lit en reniflant un peu, comme s’il cherchait à reprendre ses esprits. Hannah esquissa un geste dans sa direction mais fut prise de rapidité par un des aides-soignants présents dans la pièce qui voulu venir en aide au brun qui l’envoya paître avec sécheresse. « C’est bon, ça va lâchez-moi. Je sais encore me lever tout seul. » La jeune femme l’observa se lever, soucieuse de son état – car au-delà du fait qu’il était en pleine crise, il était aussi bien alcoolisé. Les larmes aux yeux, certaines coulant le long de ses joues, le brun se releva péniblement et se tourna vers elle. « C’est bon, je vous suis. » La brunette jeta un œil à son supérieur histoire de vérifier qu’il était bien d’accord avec cette façon peu orthodoxe de procéder, et elle finit par hocher la tête en se dirigeant vers la porte, ouvrant celle-ci suffisamment large pour que le jeune homme ne se mange pas un mur ou le chambranle. « Est-ce que vous voulez que je prenne une chaise roulante ? On a quelques étages à faire et je m’en voudrais que vous vous fassiez mal en tombant. » Lança-t-elle avec prudence, lui laissant l’opportunité de refuser même s’il était clair qu’au vu de son état, elle aurait préféré qu’il arrête de marcher sur le champ. Ensemble, ils se dirigèrent vers l’étage de la psy où Caleb allait être pris en charge. La première chose à faire était de savoir s’il représentait ou non un danger pour lui-même. A priori il n’avait attaqué personne, mais ses gestes avaient été relativement violents, et il y avait eu de la casse. « Quelqu’un a porté plainte ? » Demanda-t-elle à son supérieur en analysant le dossier, ne voyant rien à ce sujet. La façon de procéder ne différait pas, si ce n’est d’un point de vue administratif et également sur la durée du séjour du patient à l’hôpital. Si une plainte avait été enregistrée, un juge allait devoir statuer sur son sort et en attendant, il allait rester en examen ici. Hannah lança un regard interrogateur vers le Docteur Hurley qui lui fit un geste qui signifiait qu’il n’était pas beaucoup plus avancé qu’elle. Après quelques minutes, ils arrivèrent à une chambre libre où Caleb allait pouvoir rester. Elle le laissa s’y installer, retrouvant son supérieur dans le couloir où il l’attendait en discutant avec des infirmières pour leur donner ses directives. « Hannah, il faut que je retourne voir ce qu’il en est pour Monsieur Anderson, j’ignore si la justice sera ou non impliquée. Et je viens d’être rappelé aux urgences. Je vous laisse avec lui, essayez de savoir ce qui a provoqué cette crise, faites-le parler si possible. Le plus important est d’écarter tout danger ; vérifiez ses antécédents, s’il montre des signes de dépression ou autre. J’attends un rapport complet de votre part Whitemore, ne me décevez pas. » Et sur ces paroles il s’en alla, laissant la brune pantoise face à cette marque de confiance inattendue. Elle tourna ensuite la tête en direction de la chambre où résidait désormais Caleb, et prenant une grande inspiration, elle s’y dirigea avec un petit sourire posé sur les lèvres. « On va venir vous poser une perfusion pour vous aider à vous calmer un peu et pour pallier aux… effets de l’alcool. » Lança-t-elle en s’avançant vers lui, plongeant son regard dans le sien pour y trouver quelque chose qui pourrait l’aider. Elle y lisait de la détresse, du désespoir aussi… Se mordant la lèvre, elle tira une chaise pour s’installer auprès de lui avec des mouvements calculés. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Vous voulez en parler ? » La brunette ne coupait pas le contact visuel, cherchant à lui faire comprendre qu’elle était là et qu’elle ne comptait pas partir avant d’être sure qu’il se sentait un peu mieux. Qu’elle était là pour lui.
Je ne sais même pas ce que je fous là. Je ne suis pas malade, je vais bien alors pourquoi est-ce qu’on m’a emmené aux ici ? Surtout que la dernière fois que j’étais aux urgences ma fiancée est morte et c’était il a simplement deux mois. Deux mois c’est long mais en même temps c’est rien du tout. J’ai l’impression que c’était hier et je revois le chirurgien entrer dans ma chambre pour m’annoncer le décès de LV. Et je m’en souviens sans vraiment m’en souvenir parce que je n’ai pas la moindre idée de tout ce qu’il m’a dit. Je n’arrivais pas à l’écouter, un peu comme si mon cerveau s’était mis en « off » et depuis il a complètement cessé de fonctionner. Je peux passer des journées entières dans mon lit sans sortir, sans manger, sans avoir envie de quoique ce soit parce que je n’ai même pas la force de me lever. J’en ai pas la force psychologiquement mais physiquement non plus, j’ai l’impression d’être complètement vidé de mes forces et j’ai la sensation que je ne vais jamais m’en sortir. Je ne remonterai jamais la pente. Mais tout est de ma faute. C’est bien fait pour moi. Parce que je l’ai tué et je ne mérite rien de mieux. J’envoie chier toutes les personnes qui s’approchent de moi, dont la jeune femme en blouse blanche qui s’avance vers moi. « Je suis le Docteur Whitemore. Mais vous pouvez m’appeler Hannah, c’est comme vous voulez. Je vais vous accompagner avec le Docteur Hurley. » Je suis son regard et je regarde brièvement le médecin qu’elle me désigne. J’accepte de les suivre mais il est tout simplement hors de question qu’ils déplacent mon lit pour me faire me faire transférer dans un autre service. Et c’est ce que j’essaie de leur faire comprendre en m’asseyant au bord du lit. Un aide-soignant veut m’aider à me lever, mais je l’envoie chier. Je n’ai pas envie d’être ici, j’ai juste envie de rentrer chez moi. Enfin, est-ce que je veux vraiment rentrer chez moi ? Retourner dans notre appartement, là où on vivait tous les deux. Il y a quelques semaines j’ai réuni toutes ses affaires dans des cartons que je stock dans un box, mais cet appartement est bourré de souvenirs beaucoup trop douloureux. Enfin, en soit ce sont des souvenirs heureux que j’ai avec elle mais son absence transforme tout moment passé à ses côtés comme une douleur insoutenable. Je commence à marcher sans trop me presser parce que j’ai la tête qui tourne. Encore. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que c’est à cause de l’alcool. Sûrement. « Est-ce que vous voulez que je prenne une chaise roulante ? On a quelques étages à faire et je m’en voudrais que vous vous fassiez mal en tombant. » Je regarde la jeune femme – enfin le Docteur Whitemore – et je secoue négativement la tête. Soit je marche, soit je ne bouge pas d’ici. « Non, je préfère marcher. » Et je ne sais pas pourquoi je refuse la chaise roulante, peut-être que c’est ridicule de ma part mais tant que je suis encore capable de marcher je n’ai pas envie qu’on me traite comme un handicapé. Je vais bien. Je ne suis pas malade. Tout va bien. Qu’on me laisse tranquille s’il vous plait et j’espère très sincèrement qu’ils ne vont pas me garder trop longtemps je n’ai pas envie d’avoir à justifier une absence au restaurant ni même à ma famille. Je suis les deux médecins sans broncher, même si la tentation de faire demi-tour et partir est forte. Surtout quand je lève les yeux pour voir écrit sur un panneau « Unité psychiatrique ». Sérieusement ? Je suis fou c’est ça leur explication ? Je lâche un lourd soupir, mais encore une fois je ne parle pas je ne dis rien je me contente d’avancer dans le silence et d’entrer dans la chambre qu’ils m’indiquent. Je regarde tout autour de moi, la chambre n’est pas très grande mais elle est triste, y a pas grand-chose dedans. Je m’assieds dans le lit et j’attends. Le regard perdu dans le vide, j’ai toujours les mains qui tremblent ce qui a tendance à me rendre complètement fou. Il y a une demi-heure j’étais énervé et maintenant je me sens complètement vidé de mon énergie. J’ai mal à la tête, je suis fatigué et je meurs de chaud. Je me demande ce que me dirait LV si elle me voyait dans cet état, beaucoup trop alcoolisé, péter un câble dans un bar sans raison apparente et maintenant je suis assis sur un lit d’hôpital dans le service de psychiatrie, incapable de réfléchir ou de parler correctement. Je fais pitié à voir, c’est ce qu’elle me dirait. Et c’est certainement ce qu’elle doit se dire si elle peut me voir de là où elle est. Le Docteur Whitemore entre dans ma chambre pour m’annoncer la suite des événements pour moi. « On va venir vous poser une perfusion pour vous aider à vous calmer un peu et pour pallier aux… effets de l’alcool. » Je la regarde un court instant, elle prend une chaise pour s’installer. Mais je romps très vite le contact visuel et je regarde ailleurs, acquiesçant d’un signe de tête pour lui montrer que je l’ai bien entendu. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Vous voulez en parler ? » Je ne peux même pas répondre à sa première question parce que je n’ai moi-même pas la réponse. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé je ne sais pas pourquoi j’ai agis de la sorte. J’avais juste besoin d’évacuer ma colère je pense. « Non. » Je lui réponds d’un ton assez froid et distant et je ne la regarde toujours pas. Je n’ai pas envie d’en parler, je n’ai pas envie de parler du fait que la mort de ma fiancée me bouffe toujours un peu plus chaque jour et que je me sens complètement démuni sans elle ici. Une infirmière toque et entre dans la chambre avec tout un tas de matériel, une perfusion et de quoi me poser un cathéter. Je la vois jeter un regard au médecin pour savoir si elle pouvait se permettre de faire son soin tout de suite et je suppose qu’elle lui a donné son feu vert parce qu’elle pose tout son matériel sur l’adaptable. Elle se présente à moi et je pense qu’elle m’explique ce qu’elle s’apprête à faire. Je l’écoute à moitié parce que j’ai juste l’impression que mon corps est présent mais mon esprit est complètement ailleurs. Je fuis le regard de tout le monde, celui du médecin et celui de l’infirmière qui est en train de s’occuper de moi. Je la laisse faire ses soins sans rien dire et quelques minutes plus tard elle m’indique qu’elle a terminé. Instinctivement je regarde le cathéter posé dans ma veine et je suis du regard les tubulures menant à la poche de perfusion. Je soupire en fermant les yeux un instant. J’essaie de reprendre mes esprits et une fois l’infirmière partie, je regarde enfin la docteure installée en face de moi. « Je sais pas ce qu’il s’est passé tout à l’heure. J’en ai aucune idée. » La première phrase complète que je fais depuis que je suis arrivé aux urgences. Mais une nouvelle fois, je romps le contact visuel et mon regard se baisse sur mes mains, je joue nerveusement avec mes doigts et je reste silencieux une poignée de secondes avant de reprendre la parole. « Vous avez déjà tué quelqu’un ? » Mes yeux restent bloqués sur mes doigts et je finis par relever le regard vers elle. « Enfin, est-ce que vous avez déjà été responsable de la mort de quelqu’un ? Moi oui. » Je prends une grande inspiration et je tourne à nouveau la tête incapable de maintenir un contact visuel trop longtemps. Ça y est je suis officiellement fou. Je soupire – oui encore une fois – et je pose une main sur mon front, mes yeux fixent les draps de mon lit. « J’ai mal à la tête. » Je finis par lui dire et quelques larmes roulent le long de mes joues. Je déteste ça. Je n’aime pas pleurer parce que ça m’oblige à montrer mes faiblesses aux autres.
Hannah sentait toute la détresse de l’homme qui lui faisait face dans ce lit, mais qui s’obstinait pourtant à s’enfermer dans un espèce de mutisme et d’éviter tout contact visuel avec le personnel soignant. Les quelques paroles prononcées étaient teintées d’agressivité, signe que sa crise n’était pas totalement sous contrôle. Consciente que le peu de détails présents dans le dossier n’allait pas vraiment l’aider, la brune se contenta de suivre le protocole en accompagnant le Docteur Hurley pour déplacer le patient vers l’unité psychiatrique où elle travaillait désormais. Elle était là pour observer plus que pour agir, même si ses longues années de médecine et de résidence lui permettaient de prendre des décisions en son âme et conscience. Le côté purement pratique et médical de la psychiatrie qui consistait à pouvoir administrer des médicaments à un patient était quelque chose qu’elle maîtrisait déjà, elle désirait maintenant se former à l’aspect psychologique de ce métier qu’elle désirait pratiquer d’ici cinq ans. Elle lisait tant qu’elle le pouvait, s’avançant un maximum sur le programme de son internat afin de pouvoir pallier aux futures lacunes qui se présenteraient forcément à elle en avançant dans son cursus, cette dernière étape qui la séparait d’un diplôme à son nom l’annonçant comme docteur en psychiatrie. En attendant, elle se contentait d’être présente sur des cas comme celui-ci. Le brun ayant fait comprendre qu’il était en parfait état de marche, ils empruntèrent le chemin qui menait à l’unité psychiatrique. Cet endroit était quelques étages plus haut, et la démarche titubante du jeune homme inquiétait Hannah qui ne put s’empêcher de lui proposer l’usage d’une chaise roulante – au risque de se faire rembarrer comme ses collègues avant elle. « Non, je préfère marcher. » Lança-t-il en secouant vigoureusement la tête, continuant de la suivre en ayant brièvement croisé son regard. Retenant un soupir, la brunette le suivit avec prudence tout en jetant une œillade inquiète en direction de son formateur. Celui-ci ne disait rien mais elle savait qu’il étudiait ses moindres faits et gestes ainsi que toutes les réactions qu’elle avait depuis qu’elle était entrée dans la chambre du patient. Et le fait que ce dernier se montre réfractaire à ses suggestions n’était pas vraiment pour la rassurer sur son évaluation future. Ils arrivèrent jusqu’à l’unité sans encombre et sans incident – dieu merci – et le brun intégra sa chambre sans faire d’histoire. Hannah fut surprise de se faire abandonner par le Docteur Hurley qui lui confia le patient en lui demandant d’établir le contact préliminaire avant de disparaître à grandes enjambées vers des affaires plus pressantes. Elle retourna donc auprès de Caleb et s’installa auprès de lui en lui expliquant brièvement qu’on allait venir lui poser une perfusion pour qu’il se sente mieux et prévenir une déshydratation. Un mince sourire sur les lèvres, elle lui demanda ce qu’il s’était passé au bar, histoire de voir s’il voulait en parler. Un question fermée qui impliqua une réponse plutôt directe : « Non. » Première erreur. Le ton du brun était froid et il s’obstinait à fuir le contact visuel pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas. L’esprit d’Hannah fonctionnait à plein régime, cherchant comment établir une communication entre eux. Il fallait qu’il se sente en confiance, qu’il comprenne que l’environnement dans lequel il était désormais était dépourvu de jugement, qu’il était libre d’exprimer le fond de sa pensée ; quelle qu’elle soit. La brunette se mordit la lèvre avant d’ouvrir la bouche pour refaire une tentative ; tentative avortée par l’arrivée de l’infirmière qui devait s’occuper de poser le cathéter. Celle-ci lança un regard interrogateur au médecin qui lui indiqua d’un signe de tête qu’elle pouvait y aller. L’infirmière s’avança donc vers Caleb, lui expliquant tous les gestes qu’elle s’apprêtait à faire pour qu’il ne soit pas surpris ou qu’il ait une réaction un peu trop vive lorsqu’elle le toucherait. Pendant ce temps, Hannah observait le jeune homme avec attention. Il n’a pas l’air d’écouter, le regard perdu dans le vide et sans la moindre réaction lorsque la petite blonde attrapa son bras pour faire ce qu’elle avait à faire. Elle quitta finalement la pièce tandis que la brunette la remerciait d’un signe de tête, pas vraiment encline de rompre le silence présent dans la pièce. « Je sais pas ce qu’il s’est passé tout à l’heure. J’en ai aucune idée. » Caleb avait reposé son regard sur elle, répondant à la question qu’elle lui avait posé quelques minutes auparavant. Surprise, elle conserva toutefois un air neutre tout en l’observant calmement, laissant quelques secondes passer afin de le laisser s’exprimer s’il s’en sentait capable. « Vous avez déjà tué quelqu’un ? » D’accord. Elle ne l’avait pas vu venir celle-là. Décidant que conserver le silence était pour l’instant la technique ayant le mieux fonctionné jusqu’à présent, elle ne répondit pas immédiatement, laissant simplement son regard se poser sur les gestes empreints de nervosité dont le brun était saisi. « Enfin, est-ce que vous avez déjà été responsable de la mort de quelqu’un ? Moi oui. » Hannah savait qu’il n’était pas question d’elle ici, et qu’elle n’était pas supposée répondre à ce genre de question. Mais peut-être qu’une réponse l’aiderait à se confier davantage, même si elle restait plutôt évasive. « On a parfois des morts sur la conscience quand on est médecin, oui. » Lança-t-elle lentement, même si elle savait qu’aucun de ces décès n’étaient dû à une erreur médicale de sa part. Simplement, il n’était pas toujours facile d’accepter de voir tous ces corps sans vie quitter la pièce où on avait tenté de les sauver, même s’il était trop tard. On se sentait impuissant, on regrettait de ne pas avoir été capable de faire plus. « Pourquoi vous vous considérez responsable de la mort de quelqu’un ? » Demanda-t-elle ensuite, cherchant à comprendre où il voulait en venir. Le brun tourna la tête en soupirant, évitant une nouvelle fois son regard pour le fixer vers un point droit devant lui avant de poser sa main sur son front en fermant les yeux. « J’ai mal à la tête. » Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues et une moue étira quelque peu le visage neutre d’Hannah qui n’était malheureusement pas encore complètement assez entraînée pour ne pas montrer ses émotions. « Je vais vous donner quelque chose pour vous soulager. » Lança-t-elle en se levant pour se diriger vers une des armoires afin d’y prendre un anti-douleur qu’elle pourrait lui donner en plus de la perfusion qui s’écoulait déjà dans son organisme.
Je ne comprends rien à ce qui est en train de se passer. Il y a un peu plus d’une heure j’étais en train de boire dans un bar et maintenant me voilà à l’hôpital. Non, même pire ; je viens d’arriver dans le service de psychiatrie. Et ce n’est clairement pas comme ça que j’imaginais ce genre de service. Ce n’est pas comme on peut le voir à la télé, tout le monde n’est pas en train de crier, personne ne tape sur sa porte et l’étage semble assez calme. Peut-être parce qu’il est tard et que tout le monde dort. Oui ça aussi c’est une possibilité. Je suis installé sur le lit, seul dans ma chambre et je n’arrive même plus à penser correctement. Mes pensées se bousculent, j’ai mal à la tête, j’ai chaud, je suis fatigué. Putain, je me sens tellement fatigué parce que je n’ai pas dormi une nuit entière depuis deux mois. Mais surtout, je me demande ce que je fais là. Qu’est-ce que je fous dans une unité psychiatrique ? Je ne suis pas fou. C’est pas parce que je me suis un peu énervé tout à l’heure que je dois être enfermé avec des personnes ayant une maladie mentale ou je ne sais pas trop quoi. Le silence me fait du bien, mais je ne reste pas seul longtemps parce que le jeune médecin entre à nouveau dans ma chambre. Elle me demande si je veux parler de ce qu’il s’est passé tout à l’heure et la réponse est très simple : non je n’ai pas envie de parler. Je n’ai pas envie de parler du tout. J’ai envie qu’on me laisse tranquille. J’ai envie qu’on me laisse seul, qu’on me laisse mourir à petit feu. C’est tout ce que je demande. Une nouvelle personne fait son apparition dans ma chambre et cette fois c’est une infirmière qui vient me poser une perfusion. Elle m’explique tout ce qu’elle fait et me donne même des explications sur la poche qu’elle est en train de me poser mais je ne l’écoute même pas. Mon regard est complètement perdu dans le vide et je ne ressens absolument aucune douleur. Je ne ressens plus rien parce que la douleur qui ne me quitte pas depuis deux mois est déjà bien trop forte. L’infirmière part et je reste toujours silencieux pendant une poignée de secondes jusqu’à ce que je prenne enfin la parole. Et je regarde enfin le médecin installée à quelques mètres de mois. Elle semble beaucoup trop jeune pour être médecin. Je parle, un peu. Trois petites phrases. Courtes, mais je lui donne déjà quelques éléments de réponse. « On a parfois des morts sur la conscience quand on est médecin, oui. » Oui, ça je me doute. Mais est-ce qu’elle a déjà été responsable de la mort de la personne qu’elle aime le plus au monde ? Question que je ne lui poserai pas, parce qu’elle est inutile. Et honnêtement : je m’en fous. « Pourquoi vous vous considérez responsable de la mort de quelqu’un ? » Oh, bah ça. Si elle savait. Je suis sûr qu’elle ne me regarderait plus de la même manière. Elle me verra comme l’homme complètement con qui ne sait pas conduire et qui a tué sa fiancée en prenant le volant. Je n’ai pas vraiment envie de voir du jugement dans son regard. Ni même de la pitié. Parce que ça, la pitié je la subis tous les jours depuis deux mois. Tout le monde me regarde avec beaucoup trop d’empathie. Comme si j’étais à plaindre. Sauf que cet accident c’est de ma faute. Ma faute. Jamais je ne vais me le pardonner. J’ai tué quelqu’un. J’ai tué la femme de ma vie. Elle me manque. Elle me manque tellement que je pourrais en crever. Je ne lui réponds pas tout de suite et je préfère lui faire part de mon mal de crâne. « Je vais vous donner quelque chose pour vous soulager. » Je la suis du regard et je la regarde se lever et partir chercher un médicament. Je réfléchis à ce que je vais pouvoir lui dire. Pourquoi est-ce que je me considère responsable de la mort de quelqu’un ? Parce que je suis responsable, c’est tout, c’est simple et il n’y a pas grand-chose à rajouter. J’entends encore son rire quand je lui racontais une blague qui n’était même pas drôle la plupart du temps, je la revois sourire quand je la regardais, ses joues devenir toutes rouges à chaque fois que je lui faisais un compliment. Je repense à tout ça et ça me fait encore plus mal. « Il y a deux mois j’ai eu un accident de voiture. Ma fiancée était côté passager. Et elle est morte. » J’ai eu beaucoup de mal à prononcer ces quatre derniers mots. Elle est morte. Elle n’est plus là. Elle n’est pas juste partie quelque part, on ne s’est pas juste séparés. Elle est morte. Elle n’est plus là. Et plus jamais je ne la verrai sourire, plus jamais je ne vais pouvoir entendre son rire, je ne pourrai plus jamais lui dire à quel point je l’aime et à quel point j’ai de la chance de l’avoir dans ma vie. Ma respiration est saccadée et à nouveau je ne la regarde plus. Je ferme les yeux, comme si ça pouvait m’aider à remettre de l’ordre dans mon esprit. « Elle me manque tellement. » Je lui dis, comme dans un élan de désespoir. Et je suis désespéré. Parce que c’est tellement dur. Je ne pensais pas que perdre quelqu’un serait aussi difficile. Il y a trois mois j’étais l’homme le plus heureux du monde, fou amoureux de la femme qui devait devenir sa femme quelques mois après. J’ai privé des parents de leur fille, un frère de sa sœur. Et moi je me retrouve tout seul. La solitude n’a jamais été aussi difficile à supporter et j’ai l’impression que tous les matins quand j’ouvre les yeux la douleur est de plus en plus insoutenable. « C’était le jour de notre mariage aujourd’hui. » Et moi qui voulais du silence, moi qui voulais qu’on me laisse tranquille je me surprends au final à lui parler. Ça ne me fait même pas du bien. Mais peut-être que j’en ai besoin finalement. Mes yeux sont toujours fermés. Parce qu’à chaque fois que j’ouvre les yeux je me rends compte qu’elle n’est plus là. Et aujourd’hui je n’ai plus la force nécessaire à avancer dans un monde sans elle. Je n’en ai pas envie. Je n’ai pas envie de continuer à vivre si je sais que je ne pourrai plus jamais la revoir. Je ne me rends compte seulement maintenant que je suis en train de pleurer et je déteste ça. Je reprends difficilement ma respiration et je finis enfin, pour ouvrir les yeux. Je renifle. Je soupire. « Je ne peux juste pas continuer à vivre si je sais que je ne pourrai plus jamais la revoir. De toute façon ma vie n’a aucun intérêt sans elle. » Je n’arrive pas à la regarder en lui disant ça. Je joue nerveusement avec mes doigts et je baisse le regard sur les draps blancs. Au final je n’ai que brièvement répondu à sa question et je me suis beaucoup trop étalé. Je lui dis à quel point j’ai mal. Et encore aucun mot n’est assez fort pour décrire ce que je ressens en ce moment. Je suis au fond du trou et je n’arriverai jamais à m’en sortir. Je n’en ai pas envie de toute façon.
Dépourvue de la moindre supervision, Hannah pataugeait intérieurement même si elle s’efforçait de rien montrer. Elle savait qu’à la moindre défaillance de sa part, son patient risquerait d’en profiter et qu’elle ne parviendrait à rien tirer de lui. Elle ignorait encore ce qui l’avait poussé à perdre son calme de cette façon dans ce bar ni même ce qui le rendait si triste, si malheureux. Son mutisme ne s’améliorait pas et s’il avait accepté de les accompagner jusqu’à l’unité de psychiatrie sans opposer la moindre résistance, rien n’indiquait qu’il conserve son calme par la suite. La brune décida que pour l’heure, le plus important résidait dans le fait de savoir si oui ou non Caleb représentait un quelconque danger pour lui-même. Il avait été arrêté par la police, ce qui signifiait qu’elle et son supérieur auraient des comptes à rendre plus tard sur ce cas, elle avait tout intérêt à ne pas merder son diagnostic. Silencieusement, elle observait le jeune homme qui lui faisait face et qui avait toujours l’air aussi désemparé que tout à l’heure, jetant des œillades affolées tout autour de lui avant de fermer les yeux l’instant d’après, ses gestes empreints d’une nervosité presque palpable. Ses premières interrogations furent soldées d’un échec cuisant, le brun lui répondant sèchement qu’il ne désirait pas lui parler de ce qu’il s’était passé au bar ni pourquoi il avait agi de la sorte. L’esprit d’Hannah fonctionnait à plein régime et seule l’entrée de l’infirmière l’empêcha de repasser à l’attaque en lui posant une nouvelle salve de questions, tournées d’une autre manière qui pourrait peut-être l’aider à se détendre et à lui parler. Le silence s’installa dans la pièce, à peine perturbé par les quelques paroles prononcées par la jeune femme qui lui posait la perfusion tout en lui expliquant brièvement ce qu’elle était entrain de faire. Des explications dont il ne semblait pas s’occuper puisque son regard était perdu vers un autre point de la pièce. Le médecin ne pouvait s’empêcher de se demander ce à quoi il pensait, toujours aussi investie dans son désir de comprendre l’esprit humain dans toute sa complexité. C’était précisément ce qui l’avait poussée à entreprendre ces études et elle était désormais au stade qu’elle jugeait le plus intéressant de son long – très long – cursus universitaire. Caleb ne faisait pas exception et Hannah espérait en son for intérieur qu’elle parviendrait à l’aider. Et comme si le brun l’avait entendue, il reprit la parole et lui demanda si elle avait déjà été responsable de la mort de quelqu’un, une question qui la désarçonna même si elle n’en montra rien. Si tel n’était pas son cas, elle soupçonnait que cet homme avait dû être mêlé d’une manière ou d’une autre dans le décès de quelqu’un ; restait à savoir si sa part de responsabilité était réelle ou s’il s’agissait là d’une culpabilité éprouvée alors-même qu’il n’avait rien à se reprocher. Elle lui répondit avec précaution, se servant de son expérience en tant que médecin afin de lui apporter un élément de réponse avant de lui demander la raison pour laquelle lui-même se sentait responsable. Son temps de réponse sembla durer une éternité, et c’est finalement pour lui faire part d’un mal de tête que Caleb ouvrit la bouche, évitant ainsi de lui fournir la moindre explication. Classique. Sans se formaliser – car elle sentait que le dialogue avait tout de même été établi – Hannah se releva afin d’aller chercher de quoi le soulager, persuadée que sa douleur était réelle en dépit du fait qu’il s’en serve comme d’une échappatoire. « Il y a deux mois j’ai eu un accident de voiture. Ma fiancée était côté passager. Et elle est morte. » La brune suspendit son geste, hésitant une seconde avant d’attraper le médicament tandis que la voix de Caleb s’élevait derrière elle. Le ton était déchirant et elle pouvait sentir toute sa détresse dans ces simples mots. Il avait tué la femme de sa vie dans un accident de voiture, elle était là l’explication à ce comportement agressif. Et sincèrement, Hannah comprenait que la douleur puisse pousser quelqu’un à agir ainsi, même s’il devait apprendre à gérer ses émotions autrement qu’en détruisant la moitié du bar où il avait été noyer sa tristesse. « Elle me manque tellement. C’était le jour de notre mariage aujourd’hui. » Et voilà l’élément déclencheur. La brunette n’avait plus vraiment besoin de beaucoup d’autres informations à présent, seulement d’approfondir l’état dans lequel le jeune homme se trouvait. Elle se retourna et s’avança une nouvelle fois vers lui, constatant qu’il fermait les yeux en lui avouant tout ça. Des larmes coulaient le long de ses joues et sa respiration se faisait de plus en plus saccadée, signe que de parler de tout ça le remuait vraiment. Hannah s’avança dans sa direction et reprit sa position initiale, se retenant de faire le moindre geste compatissant dans sa direction. Il lui donnait envie de le rassurer et de le consoler, mais elle devait conserver une attitude professionnelle à son égard et ce même si le spectacle qu’il lui offrait était absolument déchirant. Se mordant l’intérieur de la joue, elle s’abstint de prononcer le moindre mot, attendant de voir s’il avait terminé ou non. « Je ne peux juste pas continuer à vivre si je sais que je ne pourrai plus jamais la revoir. De toute façon ma vie n’a aucun intérêt sans elle. » Un soupir s’échappa de ses lèvres tandis qu’il continuait à éviter son regard, comme s’il s’attendait à un quelconque jugement de sa part après ça. Si la norme poussait les gens à éviter les sujets douloureux tels que la culpabilité et la mort en balançant un « je comprends » vide de sens, le travail d’Hannah consistait à faire l’exact opposé. Il fallait qu’elle creuse, jusqu’à ce qu’il en parle avec plus de facilité et surtout, à ce qu’il réalise qu’il n’aurait probablement rien su faire. « Vous pouvez me raconter ce qu’il s’est passé ? Cet accident, ça s’est passé comment ? » Elle l’observait, sans savoir s’il serait apte à lui en parler. Il n’était peut-être pas prêt, peut-être qu’il éviterait le sujet et qu’il trouverait une énième parade pour ne pas lui répondre. « Votre vie n’a plus aucun intérêt sans elle, qu’entendez-vous par là exactement ? » Il fallait qu’il commence à mettre des mots sur ses sentiments, qu’il les embrasse jusqu’à devenir entièrement conscient de la situation. Ça serait seulement à ce moment là qu’il parviendrait à accepter ce qu’il s’était passé. Elle devait également déterminer s’il songeait ou non à attenter à sa vie, auquel cas elle n’aurait d’autre choix que de l’interner en attendant d’y voir plus clair.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi je suis là. Enfin si, parce que j’ai pété un câble dans un bar et je me suis mis à crier sur tout un tas d’inconnus qui pourtant essayaient juste de m’aider à me calmer. À vrai dire ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi j’ai agis de la sorte. Peut-être parce que je suis fatigué parce que depuis deux mois je n’ai pas dormi une seule nuit complète. Je ne sais même pas comment je fais pour encore tenir debout. Ou bien c’est parce que j’ai mal à en crever et que je n’arrive plus à me lever tous les matins pour aller au travail et faire comme si rien n’était. Faire comme si je n’avais pas perdu l’amour de ma vie, elle me manque et si on m’a dit un nombre incalculable de fois que la douleur finirait par s’estomper je peux vous dire que c’est tout sauf le cas. Plus les jours passent, pire c’est. Et cette douleur commence à être beaucoup trop dure à porter. C’est trop pour moi. Je me sens seul, bien que je sois entouré de ma famille et de mes amis qui ne me lâchent pas. Pourtant ils pourraient et je ne pourrais même pas leur en vouloir. Je suis d’une humeur horrible depuis deux mois, je repousse tout le monde et refuse leur aide. J’ai besoin d’être seul mais en même temps la solitude me terrifie et m’oblige à faire face à cette horrible réalité. Il y a deux mois elle était avec moi, elle souriait, elle parlait, je pouvais la toucher, l’embrasser, la prendre dans mes bras mais maintenant aucune de ces choses ne pourront être faisables. Parce qu’elle est morte. Par ma faute. Et c’est bien ça le plus horrible. Si je n’avais pas été con ce soir-là, je n’aurais pas pris le volant et je lui aurais dit que j’étais beaucoup trop fatigué pour conduire. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je voulais lui faire plaisir. Elle voulait rentrer à la maison, mais à la place elle a fini à la morgue. À cette pensée mon cœur se déchire une énième fois. J’ai l’impression de ne plus pouvoir sentir la moindre douleur est-ce que c’est normal ? Ou inquiétant ? J’en sais rien. Je ne sais plus rien de toute façon. Je n’arrive même plus à réfléchir normalement. Mais j’essaie de m’ouvrir au Docteur Whitemore, si je parle elle va me laisser tranquille après, non ? Je lui parle de l’accident, brièvement. « Vous pouvez me raconter ce qu’il s’est passé ? Cet accident, ça s’est passé comment ? » Non. Non je ne peux pas lui parler de l’accident. Non seulement je ne peux pas mais je ne le veux pas non plus. Je la regarde mais je reste muet. Elle m’en demande trop pour le coup. Beaucoup trop et parler de l’accident c’est quelque chose que je n’ai jamais fait et que je ne compte d’ailleurs jamais faire. Pourquoi se remémorer encore et encore de cet incident qui a ruiné ma vie ? De toute façon, je ne me souviens pas de grand-chose. J’ignore sa question, elle doit me trouver chiant et je suis sûrement un patient que personne n’aimerait avoir. « Votre vie n’a plus aucun intérêt sans elle, qu’entendez-vous par là exactement ? » Je sens mon cœur se resserrer. Je ne sais pas quoi lui répondre parce que je n’ai jamais être très doué pour parler de moi comme ça. De mes sentiments de mon ressenti. J’ai tendance à tout enfouir jusqu’à ce que le tout devienne trop difficile à supporter. Et c’est d’ailleurs ce qui peut expliquer mon craquage de tout à l’heure. « Qu’est-ce que je fais ici ? » Une nouvelle fois, je ne réponds pas à sa question et à la place je lui en pose une nouvelle. Je la regarde et cette fois je ne romps pas le contact visuel, je ne baisse pas le regard. Je la regarde une poignée de secondes avant de reprendre la parole. « Vous pensez que je suis fou, c’est ça ? » Je suis en psychiatrie, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Mais je suis en train de parler avec une jeune psychiatre dans son service qui semble soigner les personnes atteintes de maladie mentale alors oui, je suppose qu’ils pensent que je suis devenu complètement fou. Au final, c’est peut-être vrai. Une personne saine d’esprit n’aurait pas agi comme je l’ai fait dans ce bar tout à l’heure. Je ne réponds à aucune de ses questions mais je ne sais pas quoi lui dire. Je suis censé lui répondre que je n’ai pas envie de mourir ? Sauf que je n’en sais rien. Peut-être qu’en fait j’ai bel et bien envie de mourir, si c’est la seule chance pour que je puisse la revoir un jour. Mais peut-être que même comme ça je ne pourrais pas la revoir parce qu’on ne sait pas ce qu’il se passe après la mort. Peut-être qu’il ne se passe rien, peut-être que c’est le vide, le néant total. C’est angoissant. Elle aussi elle a dû avoir peur avant de mourir. Est-ce qu’elle était consciente ? Est-ce qu’elle a senti que c’était la fin pour elle ? Quelles ont été ses dernières pensées ? Personne n’a les réponses aux questions que je me pose, malheureusement. Je lâche un soupir, désespéré. « Je vais pas essayer de me tuer, si c’est ça que vous pensez. » C’est vrai, je ne dis pas ça pour lui faire plaisir ou pour éviter de l’inquiéter. « Ce que je voulais dire c’est que… » Je déglutis, essayant de trouver les bon mots. Je cherche, mais je ne trouve pas les mots exacts pour décrire tout ce que je ressens. «…c’est dur. Je suis fatigué. J’arrive plus à dormir, j’ai plus envie de rien je ne mange plus, je sais juste pas comment je suis censé avancer dans ma vie maintenant. » Et surtout je ne suis pas sûr d’avoir envie d’avancer c’est beaucoup trop dur. Je la regarde à nouveau mais cette fois je romps très vite le regard, baissant les yeux sur mes mains, je me tords nerveusement les doigts. « Écoutez, je désolé pour ce que j’ai fait tout à l’heure dans ce bar je sais pas pourquoi j’ai fait ça, j’avais juste besoin de…» Je me pince les lèvres et je ne termine pas ma phrase. Je prends une grande inspiration avant de reprendre la parole. « Il faut que j’aille au boulot demain, j’ai beaucoup de travail je peux pas me permettre de m’absenter comme ça. » Je suis agacé, j’en ai marre et je pense que tout ça se ressent dans ma voix. Je veux juste rentrer chez moi et pour rien au monde je ne passerais ma nuit, voire quelques jours ici.
Plus le temps passait et plus Hannah commençait à se demander si elle était réellement la personne la plus indiquée pour procéder à l’analyse du patient qui lui faisait face. Son supérieur faisait preuve d’une grande marque de confiance en la laissant gérer ainsi sans sa supervision, et si la brune accueillait celle-ci avec un plaisir non-dissimulé, elle ne pouvait nier le fait que son expérience pratique dans le domaine en était encore à ses prémisses. Son désir de briller en tant que psychiatre n’était pas une priorité face à son envie et son besoin d’aider les patients à qui elle avait affaire, à commencer par le brun qui lui faisait face. Elle avait obtenu de lui les informations les plus importantes et avait décelé la culpabilité qui le poussait à commettre des actes comme celui d’aujourd’hui. Perdre un être cher était déjà une épreuve en soi, mais en porter la responsabilité était probablement encore pire. Elle comprenait ce qu’il traversait et en dépit de ses actions impulsives de la soirée, le jeune homme lui semblait plutôt sain d’esprit. Le fait qu’on soit le jour de leur anniversaire de mariage avait été l’élément déclencheur de sa crise et Hannah savait pertinemment que la douleur engendrée par le deuil pouvait pousser à la décompensation dont il avait été victime. Forte de ce dialogue établi sans trop de difficultés, le médecin se dit qu’il était peut-être avisé de savoir s’il était un danger pour lui-même ou pour les autres, espérant que l’attention de Caleb ne finisse par se porter sur elle au lieu de ce regard fuyant qu’il s’obstinait à conserver. La perfusion installée par l’infirmière n’allait pas tarder à faire son effet et à l’apaiser quelque peu, calmant ainsi les gestes nerveux qu’il avait. Laissant passer quelques secondes, elle l’interrogea sur l’accident qu’il venait de mentionner, lui demandant s’il pouvait lui en parler. Il n’y était pas obligé, elle faisait ça pour l’aider à se soulager mais il y avait de fortes chances pour qu’il ne soit pas prêt à faire face à ces souvenirs, à raconter à voix haute la tragédie dont il avait été l’acteur principal sans le vouloir. Le regard du brun se posa sur elle, mais aucun son ne franchit la barrière de ses lèvres. Sans se formaliser de cette réaction – car elle s’y attendait – Hannah reprit ses dernières paroles, lui demandant de poser des mots sur les sentiments qui étaient les siens. Dire que sa vie n’avait plus d’intérêt démontrait un certain détachement vis-à-vis de celle-ci et le médecin imaginait qu’il s’était probablement isolé de ses proches, s’enfermant ainsi dans une bulle de douleur dans laquelle il se complaisait sans le vouloir. Il fallait qu’il la fasse éclater pour se sentir libre de vivre à nouveau, sans elle. Mais cela exigeait beaucoup de courage et d’introspection, et surtout une acceptation des évènements ainsi que du fait qu’il n’y était pour rien dans l’absolu. Un long processus qui ne se ferait pas en une nuit, qu’on se le dise. « Qu’est-ce que je fais ici ? » Sa question était directe et dénotait d’une légère impatience qui, bien qu’elle soit compréhensible, ne changerait rien à la prise en charge de son cas. Il avait foutu un sacré bordel dans ce bar, et s’il avait eu la chance que le propriétaire ne porte pas plainte, cela ne changeait rien aux faits. Caleb la fixait pour la première fois sans ciller et la brunette ne baissa pas non plus le regard, conservant un air calme et professionnel. « Vous pensez que je suis fou, c’est ça ? » La question que tout le monde se posait. Un passage en psychiatrie ne voulait pas nécessairement dire que l’on était fou, l’esprit humain avait ses failles et certains étaient simplement plus fragiles que d’autres. Il n’y avait aucune honte à ça. Le médecin secoua simplement la tête avant de lui adresser l’esquisse d’un sourire rassurant. « Vous êtes ici parce que vous avez saccagé le bar où vous étiez entrain de boire, que vous avez fait une crise et que vous vous êtes fait arrêter par la police. » Un juste rappel des faits, histoire de lui rafraîchir la mémoire. « C’est la procédure qui veut ça, ça ne veut pas dire que vous êtes fou. Et non, je ne pense pas que vous le soyez. » Autant le rassurer si c’était ça qui l’inquiétait, après tout. « Ce que je pense, en revanche, c’est que vous souffrez énormément et que vous n’êtes pas en mesure de gérer cette douleur par vous-même. Je dirais que vous avez besoin d’aide pour surmonter ça, mais encore une fois, ça ne veut pas dire que vous avez un problème. Simplement de quelqu’un pour vous aider à y parvenir sans passer par les mauvaises solutions. » Comme l’alcool ou les crises dans les lieux publics. « Je vais pas essayer de me tuer, si c’est ça que vous pensez. » Super. Si seulement ses paroles pouvaient suffire à la convaincre de le laisser partir en étant sûre qu’il n’irait pas se tirer une balle dans la tête à la première occasion. « Ce que je voulais dire c’est que… c’est dur. Je suis fatigué. J’arrive plus à dormir, j’ai plus envie de rien je ne mange plus, je sais juste pas comment je suis censé avancer dans ma vie maintenant. » Elle se contenta de l’observer, persuadée que garder le silence l’aidait à mettre de l’ordre dans son esprit et à réussir à s’exprimer, comme il l’avait fait un peu plus tôt. Le manque de sommeil était également un détail à prendre en considération dans la balance puisque sans dormir, le cerveau fonctionnait au ralenti. Ceci impliquait donc une influence sur l’humeur, sur les réflexes ainsi que sur l’attention et la mémoire. Autant de facteurs qui déréglaient plus que probablement la vie du jeune homme, exacerbant ainsi ses émotions et déclenchant plus facilement des crises comme celle qu’il venait d’avoir. « Écoutez, je désolé pour ce que j’ai fait tout à l’heure dans ce bar je sais pas pourquoi j’ai fait ça, j’avais juste besoin de…» Le brun laissa sa face en suspens, conservant des gestes nerveux avant de respirer un bon coup et de reprendre la parole. « Il faut que j’aille au boulot demain, j’ai beaucoup de travail je peux pas me permettre de m’absenter comme ça. » Sa voix trahissait son irritation et Hannah réfléchit quelques secondes, laissant un silence s’installer dans la chambre. Finalement, elle pencha la tête sur le côté tout en attrapant son carnet d’ordonnances ainsi que celui de ses notes et la fiche de Caleb. « Voilà ce qu’on va faire : je vais vous prescrire des médicaments destinés à vous aider à trouver le sommeil. Vous devriez déjà vous sentir un peu mieux en récupérant, car le manque de sommeil peut vite devenir dangereux. » Elle haussa un sourcil dans sa direction tout en écrivant rapidement sur le carnet les anxiolytiques qu’elle voulait qu’il prenne, ainsi qu’un somnifère si vraiment il ne parvenait pas à s’endormir. « J’insiste sur l’importance de la prise de ces médicaments, ça devrait vraiment vous aider. Ensuite, je peux accepter votre sortie dès ce soir à la seule condition que vous acceptiez de venir me revoir pour quelques séances afin de faire un suivi. De voir comment vous réagissez à la prise des médicaments et pour voir si je dois vous prescrire quelque chose de différent ou simplement déclarer que vous pouvez arrêter de les prendre. Tout ça, bien entendu, doit être accepté par le Docteur Hurley. Mais je vais lui soumettre mes conclusions et en discuter avec lui. » Elle lui adressa un léger sourire avant de continuer à écrire à toute vitesse sur les différents supports qu’elle devait remplir – la paperasse était pratiquement devenu une phobie pour elle à force.
Il y a deux mois j’étais heureux, tout allait parfaitement bien, j’étais fou amoureux de ma future femme, elle passait son temps à me dire qu’elle avait trouvé la robe parfaite. La robe dont elle rêvait depuis qu’elle était petite, celle dans laquelle elle allait accepter de devenir ma femme. Mais finalement cette robe je ne l’ai jamais vu et je ne la verrai jamais. Pourtant je sais qu’elle était belle, je sais qu’elle aurait été la plus belle femme au monde en la portant. J’ai gâché ma seule chance d’être heureux et de réaliser tous les rêves que j’ai depuis toujours. J’ai privé ses parents de leur fille et son frère de sa sœur. Je suis horrible et je mérite tout ce qui m’arrive. J’ai mal, j’ai tellement mal. J’ai peur de l’oublier, d’oublier son sourire, son rire, le regard qu’elle me lançait quand je lui disais non et qu’elle essayait de me faire changer d’avis, son accent tellement adorable quand elle parlait anglais. Je ne veux pas qu’elle quitte mon esprit, même si penser à elle me détruit un peu plus chaque jour. Je refuse de la laisser s’en aller, j’ai envie de continuer à la faire un peu vivre dans mon esprit. Est-ce que c’est normal ? Je refuse de passer à autre chose même si ça signifie que je m’engage à passer le restant de ma vie amoureux et engagé à une femme morte. Je l’aime, et je sais que je l’aimerai jusqu’à la fin. La mort nous a séparée beaucoup trop vite, beaucoup trop tôt. Je n’étais pas prêt à lui dire au revoir, j’avais encore besoin d’elle. J’ai encore besoin d’elle. Alors comment je fais moi, tout seul ? Sans elle ? Je me sens complètement perdu et complètement vide. Incapable de ressentir la moindre émotion parce que la douleur que je ressens aujourd’hui est bien trop forte. Et demain ça sera encore pire, et le jour d’après aussi. Je suis coincé dans un tunnel sans fin j’ai l’impression que je n’en verrai jamais le bout. Je n’arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens sur mes émotions. Pourtant c’est ce que le médecin installé en face de moi me demande de faire, mais je n’y arrive pas. Comme quoi, je suis nul et faible. Et con aussi. Putain qu’est-ce que je suis con. Je me déteste. Je pleure et les larmes coulent sans que je ne puisse le contrôler. Je déteste ça. Je n’aime pas me montrer vulnérable devant qui que ce soit. J’ai passé ces deux derniers mois à travailler sans relâche en dormant peu. Trop peu. Mais cette fois c’est trop, j’ai besoin d’arrêter tout ça. J’ai besoin de m’éloigner du monde, de mes proches, de tout le monde. J’ai besoin d’être seul parce que je n’arrive plus à penser, c’est le bordel dans ma tête, j’ai l’impression que je suis en train de devenir complètement fou. D’ailleurs c’est sûrement pour ça que je suis ici à l’hôpital dans un service de psychiatrie. Ils pensent tous que j’ai perdu la tête. Peut-être que c’est vrai au final, peut-être que je suis vraiment devenu fou et que c’est la raison pour laquelle je suis ici. « Vous êtes ici parce que vous avez saccagé le bar où vous étiez entrain de boire, que vous avez fait une crise et que vous vous êtes fait arrêter par la police. C’est la procédure qui veut ça, ça ne veut pas dire que vous êtes fou. Et non, je ne pense pas que vous le soyez. Ce que je pense, en revanche, c’est que vous souffrez énormément et que vous n’êtes pas en mesure de gérer cette douleur par vous-même. Je dirais que vous avez besoin d’aide pour surmonter ça, mais encore une fois, ça ne veut pas dire que vous avez un problème. Simplement de quelqu’un pour vous aider à y parvenir sans passer par les mauvaises solutions. » Voilà je le savais, j’ai un problème je suis devenu fou et je n’arrive pas à gérer mes émotions et ma douleur tout seul. C’est ça son analyse ? Je ne suis pas vraiment d’accord, je secoue la tête comme pour contredire ses propos. Non, je vais bien. Je n’ai pas besoin de votre aide, je gère la situation. Tout va très bien. J’essaie de me convaincre mais au fond je sais très bien qu’elle a raison. Oui j’ai besoin d’aide mais je suis bien trop fier pour le dire à voix haute. Qu’est-ce qu’elle entend par « sans passer par les mauvaises solutions » ? C’est quoi la mauvaise solution ? Le suicide ? Je la trouve pas si mauvaise que ça, moi. Mais je lui dis que je n’essaierai pas de me tuer et c’est vrai, c’est pas dans mes plans. Est-ce que j’y pense ? Oui l’idée m’a traversée l’esprit et je dois bien avouer que je la trouve presque tentante. Mais je ne peux pas. Je n’ai pas le courage pour ça et aussi, je ne veux pas faire ça à ma famille. À mes parents, à mes sœurs. Bien qu’au fond ils s’en remettront certainement assez vite. Je lui dis ce qu’elle veut entendre – ou du moins ce que je pense qu’elle aimerait entendre – parce que je n’ai qu’une seule envie : rentrer chez moi pour oublier cette horrible soirée et décuver en paix. Je commence à en avoir marre et à m’énerver un peu et on l’entend tout de suite au ton de ma voix. Mais je la vois prendre des feuilles et écrire sur ce qui semble être des feuilles d’ordonnance. Je m’assieds en tailleur, le coude sur le genou, la tête dans la main et je ferme les yeux une nouvelle fois. Elle veut me shooter aux médicaments maintenant, c’est ça ? « Voilà ce qu’on va faire : je vais vous prescrire des médicaments destinés à vous aider à trouver le sommeil. Vous devriez déjà vous sentir un peu mieux en récupérant, car le manque de sommeil peut vite devenir dangereux. » S’il vous plait oui, je veux dormir… J’ouvre les yeux pour le regarder un instant, une main dans mes cheveux, je ne dis rien. Je ne conteste pas les somnifères parce que j’en ai vraiment besoin et que le manque de sommeil est vraiment en train de me tuer. « J’insiste sur l’importance de la prise de ces médicaments, ça devrait vraiment vous aider. Ensuite, je peux accepter votre sortie dès ce soir à la seule condition que vous acceptiez de venir me revoir pour quelques séances afin de faire un suivi. De voir comment vous réagissez à la prise des médicaments et pour voir si je dois vous prescrire quelque chose de différent ou simplement déclarer que vous pouvez arrêter de les prendre. Tout ça, bien entendu, doit être accepté par le Docteur Hurley. Mais je vais lui soumettre mes conclusions et en discuter avec lui. » Elle me dit qu’elle va pouvoir accepter ma sortie ce soir, je suis soulagé et je sens un poids en moins sur mes épaules jusqu’à ce qu’elle me dise qu’en contrepartie je dois m’engager à revenir la voir pour un suivi ? Donc on en est là ? J’ai besoin de voir un psy ? Une nouvelle fois je secoue la tête signe de mon désaccord avec sa prise de parole mais cette fois je parle moi aussi. « J’ai pas besoin de votre aide. » Aussi gentille qu’elle me semble être, je ne compte pas respecter ses conditions. « J’ai besoin de l’aide de personne, d’accord ? Je vais bien. Je suis capable de gérer tout ça de mon côté. J’ai pas besoin de vous ou du Docteur je sais pas trop quoi. » Même moi je ne crois pas en tout ce que je viens de dire, j’essaie d’être convaincant mais je doute que ce soit le cas. « Je prendrai bien les médicaments là-dessus vous pouvez me faire confiance, mais je n’ai pas besoin d’une thérapie. Je vois pas ce que ça pourrait m’apporter. Je vous ai déjà tout dit, y’a plus rien à rajouter. » Et je me rends bien compte qu’en refusant son deal je viens certainement de louper ma chance de sortie ce soir, tant pis. « Je ne changerai pas d’avis. J’ai pas besoin d’une thérapie. Je vais bien. » Je la regarde en lui disant ces mots un peu comme pour leur donner un peu plus d’importance. « Je vais bien. » Je répète une nouvelle fois. Mais cette fois je pense que c’est surtout moi que j’essaie de convaincre.
Caleb ne semblait pas comprendre l’ampleur du désastre dont il avait été l’auteur dans ce bar, quelques heures auparavant. Il avait effrayé les clients, commis des dommages matériels et sa seule chance résidait dans le fait que le patron l’avait vu au fond du trou avant qu’il ne perde totalement les pédales. Le passage dans l’aile psy n’était qu’une formalité, mais une formalité obligatoire pour décider si oui ou non il était un danger pour lui-même ou pour autrui. A présent que la jeune femme avait compris de quoi il retournait, elle comprenait mieux cette crise qui l’avait amené ici. La perte de sa femme, son sentiment de culpabilité, son manque de sommeil… Tout ça avait créé une espèce de spirale incontrôlable dont il n’arriverait pas à se sortir seul, elle en était persuadée. Il fallait qu’il prenne conscience de ça, du fait qu’il risquait à tout moment de perdre le contrôle s’il se retrouvait une nouvelle fois « déclenché » par une date ou bien un évènement. L’esprit humain était d’une complexité à faire peur, mais Hannah s’efforçait d’en découvrir les moindres coins et recoins afin de trouver des solutions pour apaiser les patients qu’elle venait à rencontrer. La situation du brun n’était pas anodine mais n’avait rien de singulière non plus, il existait beaucoup d’outils pour l’aider à traverser cette épreuve. La seule barrière à tout ça, c’était lui-même. Il fallait qu’il accepte son aide, qu’il comprenne qu’il n’était pas fou mais tout simplement fragilisé par les épreuves qu’il avait rencontrées jusqu’ici. Tout le monde avait ses failles et personne n’était invincible, il n’y avait aucune honte à avoir. Hannah avait beau parlé, les mouvements de tête de Caleb restaient négatifs, signe évident qu’il n’acceptait pas ce qu’elle lui disait. Cependant, la thèse d’un probable suicide lui semblait à écarter et elle pensait que quelques sessions seraient suffisantes pour l’aider à passer au-dessus. Ça et des anxiolytiques, bien entendu. Le manque de sommeil devait lui monter au cerveau et elle était pratiquement surprise qu’il ne commence pas déjà à souffrir d’hallucinations s’il en était réellement au stade auquel il prétendait être. Lorsqu’elle évoqua d’ailleurs cette fameuse prescription, elle réalisa qu’elle avait allumé une lueur d’intérêt dans le regard fatigué du brun. Son visage était baigné de larmes et elle espérait réellement pouvoir lui apporter un peu de sérénité, au moins déjà cette nuit. Après avoir écouté son laïus sur l’importance pour lui d’être au boulot sans tarder dès le lendemain, elle consentit à le laisser partir le soir-même à deux conditions : la première était l’aval de son supérieur, le docteur Hurley et la deuxième était d’accepter de venir à plusieurs sessions. A l’instant où elle prononça ces mots, le visage de Caleb se ferma une nouvelle fois et il secoua à nouveau la tête comme un enfant à qui on voulait faire quelque chose contre son gré. « J’ai pas besoin de votre aide. J’ai besoin de l’aide de personne, d’accord ? Je vais bien. Je suis capable de gérer tout ça de mon côté. J’ai pas besoin de vous ou du Docteur je sais pas trop quoi. » Sans rien dire et pas vraiment étonnée par ce revirement de situation, elle l’écouta en conservant un air neutre en dépit du fait qu’il venait de saboter tout seul ses chances de sortie pour la nuit. « Je prendrai bien les médicaments là-dessus vous pouvez me faire confiance, mais je n’ai pas besoin d’une thérapie. Je vois pas ce que ça pourrait m’apporter. Je vous ai déjà tout dit, y’a plus rien à rajouter. Je ne changerai pas d’avis. J’ai pas besoin d’une thérapie. Je vais bien. » Leurs regards se croisèrent une nouvelle fois et elle l’observa répéter ces mots qui devaient sonner creux à chaque fois qu’il les prononçait, essayant chaque fois de leur donner plus d’impact. Mais elle pouvait voir que lui-même n’était pas convaincu, alors comment pourrait-elle l’être ? « Je vais bien. » Lentement, elle déposa sur le côté son carnet et dans un léger soupir, avança son buste en direction du jeune homme tandis qu’elle croisait ses mains l’une dans l’autre en déposant ses coudes sur ses cuisses, appuyant son menton au creux de ses phalanges. « Laissez-moi reformuler ce que je viens de vous dire. Votre seul moyen de sortir d’ici est de consentir à être suivi en thérapie car c’est ce que je vais consigner dans mon rapport. Vous n’êtes pas en état de reprendre une vie tranquille, et ce qu’il s’est passé ce soir risque de se répéter si vous ne vous décidez pas à accepter l’aide de quelqu’un. Je vous le présente de cette façon, mais sachez que les autorités vous obligeront à suivre ces séances que vous le vouliez ou non. Je pense d’ailleurs que c’est un moindre mal compte tenu des dégâts occasionnés dans le bar tout à l’heure. » Elle pencha la tête sur le côté, un regard compatissant posé sur les traits fatigués du brun. « Ne voyez pas ça comme une punition mais comme un désir de vous aider à passer au-dessus de cette épreuve. Vous ne pensez pas en avoir besoin, mais je vous assure que si. » Elle se releva et s’empara de ses notes avant de se diriger vers la porte de la chambre. « Je vais discuter avec mon supérieur qui réévaluera la situation demain. En attendant, je vous conseille de vous détendre et de profiter de votre première vraie nuit de sommeil. » Elle lui adressa un petit sourire avant de quitter la pièce, espérant de toute ses forces qu’il ne ferait pas la misère aux pauvres infirmières de nuit du service ; il ne manquerait plus qu’il passe la nuit attaché par des sangles. Se frottant les yeux, elle retourna voir le docteur Hurley à qui elle confia ses notes et ses impressions, lui laissant le soin de décider qui aurait la charge du dossier de ce Caleb Anderson pour les semaines ou les mois à venir. Qui que ce soit, elle espérait qu’il parviendrait à aider le jeune homme à faire son deuil et surtout, à se pardonner lui-même.