Je savais qu’il était là. Je savais qu’il était enfoui dans mon grenier en bordel, je savais qu’en bougeant quelques boîtes et autres reliques j’arriverais à mettre la main dessus. Mon vinyle d’A Very Charlie Brown Christmas, que j’avais dû sauver des foudres de qui que ce soit à la seconde où Noël l’an dernier était passé, moi qui l’avait lancé sur le tourne-disque le 1er novembre tapant. Cette année, j’avais laissé involontairement quelques jours de répit à tout le monde, prise dans ma tête et dans les dizaines de drames qui semblaient s’acharner sur nous tous depuis un moment, mais c’était sans dire qu’à la seconde où j’ai jeté un coup d’œil sur la date du jour, j’ai réalisé que la date officielle (à mon sens) pour écouter de la musique de Noel était bel et bien arrivée.

La tête poussiéreuse et le cœur heureux, je finis par m’exhiber du grenier par l’échelle qui grince, aucune trace de mon gamin qui devrait être à la salle de bain à se brosser les dents à l’heure qu’il est. « Noaaaaaaaaah, tu vas être en retard bonhomme! » je l’entends à peine bouger de sa chambre, tout juste une page de sa BD du moment qu’il tourne nonchalamment sans rien donner d’autre comme justification qu’un mollasse « Non, du tout. ». J’hausse le sourcil, fini par apparaître dans le cadre de sa porte pour m’y adosser, le fixer intensément jusqu’à ce que mon jeu immature et mes prunelles rivées à sa nuque de trop l’observer finissent par gagner haut la main. « Okay, oui, peut-être finalement. » il soupire, il roule des yeux, se relève pour mieux tourner sur lui-même et me gratifier d’un coup d’œil espiègle, les iris brillants de malice. « Mais maman... pourquoi on se presse? C’est Auden. » oh le malin. Il sait à quel point j’en fais un jeu quotidien d’embêter Williams, et Noah qui prend plaisir à parier sur mes mauvais plis pour se gratter une poignée de minutes supplémentaires à lire sur ses super-héros préférés. « Arf. Bon point. Prends tout le temps qu'il te faut. »

Il est parti depuis 30 minutes avec un Auden rageur contre moi et le retard dans lequel je les ai mis, mais extatique d’avoir une occasion de remettre leur duo de noms bien en haut sur le tableau de bord de la piste de go-kart du quartier quand Molly arrive à la maison. Je l'entends de suite me rejoindre comme convenu au garage, que j’ai depuis belle lurette transformé en atelier. C’est ici qu’elle a assisté à son premier cours de dessin, c’est ici qu’elle est revenue fréquemment, au fil de son horaire et des mois qui ont passé avant que je déménage les classes au local collaboratif duquel je suis copropriétaire, à Toowong. Mais il lui arrive encore de passer ici comme avant, de s’installer à l’un des chevalets toujours en place, et de gribouiller dans ses carnets en prenant des nouvelles, en discutant de tout et de rien avec moi, comme aujourd’hui. « T’arrives au PIRE moment! » et j’éclate de rire quand elle finit par entrer, la musique de Noël jouant en trame sonore dans l’atelier, et mes bras tendus à tenir une multitude de guirlandes illuminées ensembles, à tenter de les accrocher au mur, ma silhouette chancelante haut perchée sur un tabouret qui craque trop pour que ce soit rassurant. « Alors t’as deux options : tu peux rester en retrait et survivre aisément. » je pouffe de plus belle, manque de tomber et de me casser le cou, me reprends juste à temps. « Ou, tu peux venir m’aider et risquer 50% de chances de te briser au moins un truc en même temps que moi. » autant être honnête ; j’étais une cause perdue, et quiconque gravitait autour de moi risquait de finir en dommage collatéral.

« Je vais quand même pas te laisser te blesser toute seule ! On ira passer l'après-midi aux urgences ensemble si jamais on se blesse ! » « T'as toujours été la plus optimiste de nous deux! » Molly qui est hilare, Molly qui s'approche à la seconde même où elle vient d'arriver pour me donner un coup de main. J'imagine qu'elle a vu la détresse à travers mes paroles, qu'elle se doute bien que si je me moque, ce n'est que pour mieux me blesser maladroitement à la seconde où elle aura le dos tourné.

Ses mains retiennent ce qui aurait facilement pu me mener à ma perte, son sourire ne fait que s'agrandir lorsqu'elle confie ce pourquoi elle venait à la base, ce que je lui ai arraché dans mon élan des Fêtes pour le moins assumé. « Bon bah moi qui pensais dessiner, je vais plutôt t'aider à tout décorer ! » c'est bien parce qu'elle semble heureuse du changement de plan que je rigole à sa suite, autrement, je serais sagement descendue du tabouret sur lequel je suis perchée bien avant, mal de lui imposer autant. Mais elle est cool Molly, elle ne presse rien, elle se prête au jeu avec toute l'innocence du monde et je ne pourrais que l'aimer plus pour cela. « De toute façon, j'ai presque fini... » mes mots restent en suspens, je m'assure de bien coller ce qui doit l'être au mur, avant de jeter un coup d'oeil à la dérobée vers l'immense boîte de décorations recueillant une toute aussi immense quantité d'items à installer. Hum. « Promis, d'ici une heure c'est terminé. Je crois? » l'incertitude est palpable, son pauvre carnet de croquis qu'elle doit mettre de côté maintenant pour m'aider à descendre de mon perchoir.

« En vrai, je sais même pas pourquoi je décore qu'ici. » le garage/atelier ressemble à l'image que je me fais de la maison du Père Noël lorsque je fais finalement enfin volte-face vers une Molly tout aussi enjouée que je le suis moi-même. « Probablement parce que j'assume pas encore d'imposer ça à l'intérieur de la maison. » Noah est beaucoup plus fan d'Halloween que de Noël, et ce sera le tout premier 25 décembre que je passerai officiellement avec Isy cette année. Il semblerait que je tente de bien faire les choses - et de ne pas les noyer ni l'un ni l'autre dans mon amour inexplicable pour cette journée spéciale. « Vous faites quoi à Noël, avec ta famille? »

C'est un fait : j'ai abusé côté décorations. La quantité de boîtes est presque gênante, le contenu en déborde à la seconde où j'ouvre les pans de carton. En soit, je crois sincèrement que personne ne peut vraiment s'étonner que je sois à ce point investie, surtout si on remarque que la grande majorité du matériel à installer est en fait une accumulation de DIY faits pendant des ateliers avec les enfants à l'hôpital, où même avec Noah quand j'arrivais à lui gratter un peu d'attention à l'approche des Fêtes de fin d'année. « On en aurait pour une heure si on était une cinquantaine, mais je pense qu'à deux on devrait avoir fini un peu avant le 25 décembre ! » elle se moque Molly, et elle fait bien, son rire qui en provoque un de ma part, et sa constatation qui est totalement véridique. « Tu sous-estimes clairement ma capacité à décider d'aller préparer 14 sortes différentes de chocolat chaud à un moment ou un autre. » je précise tout de même, sortant au même moment deux tasses immenses l'un en forme de bonnet de Noël, l'autre de renne au nez rouge. Les priorités. D'ailleurs, à ce sujet. « Allez au boulot Gin ! »

« Tu veux que je t'aide à décorer ta maison aussi ? » j'ai oublié de compter les minutes comme les heures, j'ignore comment on s'en sort en niant jeter un coup d'oeil à l'horloge, mais le résultat qui commence doucement à prendre forme sous mes yeux me satisfait parfaitement. « Parce que tu as encore plus de décorations pour décorer ta maison ? » « Fais pas comme si t'étais surprise! » j'ai des rubans dans les cheveux, des paillettes sur les joues, ma silhouette croule sous les boules de Noël et les guirlandes illuminées. Poser la question c'est y répondre. « On devrait s'imposer les décorations de noël toute l'année ! J'adore cette fête ! Allez viens, on a un atelier à décorer ! » et pourtant, il nous reste encore tant de choses à faire que je réalise au fur et à mesure à quel point le boulot que je l'ai obligé à remplir aujourd'hui est vil et cruel - à chaque geste posé, je n'ai foncièrement jamais l'impression que la quantité de décoration de laquelle on peut se servir diminue. Oups.

La question sur sa famille qui flotte, Molly n'étant pas très bavarde à ce sujet, je me pince forcément les lèvres de voir son inconfort une seconde de trop.  « J'en sais rien du tout, j'en ai pas encore parlé avec ma famille, je verrai bien... » j'ai pas pensé, j'ai pas réfléchi assez rapidement, et l'interrogation semble l'avoir mise dans un état de. réflexion que je déteste lui avoir imposé. Ma curiosité déplacée me met franchement mal à l'aise. « Je... je veux pas m'imposer, mais tu sais que tu es toujours la bienvenue ici si t'as besoin. » j'inspire doucement, m'assurant d'attraper son regard lorsqu'elle m'autorisera à le capter. « J'ai pas la famille la plus tranquille, mais si tu es seule à Noël hésite surtout pas. » bien sûr je devrai la mettre en garde contre de nombreux malaises avant qu'elle mette un pied ici, mais l'offre tient le plus sincèrement du monde. « Par contre je peux pas promettre que Noah sera pas une peste à vouloir déballer tous ses cadeaux avant l'heure... » s'il y a une valeur sûre, c'est bien ça.

« Noël est ta fête préférée ou tu fais ça pour chaque fête de l'année ? » y'a un petit rire qui glisse d'entre mes lèvres, entre l'amusement et la résignation. « Poser la question c'est y répondre. » que je commence, prête à avouer mon amour pour les fêtes, pour les jours à thème aussi. J'étais la pire, usant de ma mémoire sélective pour retenir les dates d'anniversaire de tout le monde autour de moi, et j'avais un calendrier interne dédié aux journées internationales aussi. Celle du chien, celle du Nutella, celle du cinéma en noir et blanc, celle du ukulele, celle du café - et des dizaines d'autres toutes emmagasinées dans ma tête. « Avec Robin, on est en train de travailler sur un hybride d'Halloween avec Noël ; comme ça pas besoin de choisir entre les deux. » je renchéris sur moi-même, lui parle de ma voisine mais avant tout mon amie, et co-proprio de la galerie. J'ai pas aucun doute que Molly fait le lien avec la boule d'amour et d'enthousiasme qu'est Rob au quotidien. « ça te plait pour l'instant ? » je passe très, très proche de me disloquer un truc dans la nuque quand j'hoche de la tête avec entrain, que je confirme avec ma voix aussi enjouée que la sienne la seconde d'après. « C'est parfait! »

Évidemment, aménager ce qui ressemble à l'antre du Père Noël amène le sujet de la famille, celui que je dévie le plus souvent possible en présence de qui que ce soit, celui que j'aborde jamais directement quand les questions s'envolent vers moi. « Oooh mais t'inquiète pas, je veux pas te déranger, je trouverais bien quelque chose... » je m'assure d'attraper ses prunelles avant de poursuivre, question d'être certaine qu'elle entende ma réponse. « Tu déranges jamais voyons ; si je t'invite, c'est parce que tu as une place bien à toi. » je ne la forcerai pas à venir, jamais, mais c'est important qu'elle sache qu'elle ne dérange pas ici, autant à Noël que toute l'année. Ma porte n'est jamais verrouillée pour ceux qui comptent, et elle en fait partie. « Que serait une famille sans son lot d'aventures quotidiennes ? » je le retiens presque parfaitement, le soupir que la simple mention d'aventures m'occasionne. « Le moins elles sont quotidiennes les aventures, le mieux on se porte. » j'ajoute un clin d'oeil à mes mots, pince les lèvres pour retenir les maux de trop se montrer, ceux qui sont encore bien ancrés malgré les années.

J'insiste une dernière fois avant de me promettre de changer de sujet si elle refuse poliment. « C'est adorable, merci... » mais évidemment, Noah le Casanova arrive à lui tirer un énième sourire. « C'est pas un problème, j'adore les enfants... » ce gamin avait tout un monde qui gravitait autour de lui, j'ignorais s'il s'en rendait entièrement compte. « Et il t'adore toi, ça sonne comme si c'était déjà réglé à ce que je vois. » je laisse la suite en suspens, si elle vient, elle saura qu'elle réjouira autant ma terreur que mon petit coeur rassuré de ne pas l'imaginer seule pour le réveillon.

Une heure passe, deux même, je crois. Les décorations ont fini par être toutes installées, elles n'ont pas eu raison de nous ce qui m'étonne encore alors que je teste que la couronne est bien en place porte ouverte comme porte fermée. « Y'avait pas de justice : j'étais encore celle dans le plus pire des états. Là au moins on s'équivaut. » il restait une guirlande, j'ai menti, et je la lance vers Molly avec suffisamment de force pour qu'elle s'accroche à ses mèches dans l'élan. Son état n'est rien comparé au mien entre poussière et paillettes, mais à un moment, on abandonne et on vit avec. « Il te reste encore de l'énergie pour dessiner? » son carnet trônant toujours fièrement sur l'un des chevalets, la vraie raison de sa présence ici est remise en jeu.

Oh, ma famille. J'avais toujours pris pour acquis que qui que ce soit traînait dans mes parages le moindrement allait comprendre à quel point il y avait des drames, à quel point une seule journée ne pouvait pas passer sans qu'une crise majeure ne soit au moins tâtée du bout des doigts. C'était devenu si habituel pour moi que je ne m'en étonnais plus ; je restais épuisée de la situation et tout autant secouée, mais l'effet de surprise était depuis longtemps disparu. « Il y a tant d'aventures que ça dans ta famille ? » « On s'y habitue, à force. » aussi dysfonctionnels pouvions-nous tous être, autant à risque les uns pour les autres et surtout pour nous-mêmes, c'était un drôle de paradoxe de confort malsain qui s'était installé. Oui, j'étais habituée, mais pas immunisée.  

Et je sais que je ne devrais pas me mêler de ses plans. Je sais que c'est impoli de lui demander si elle en a seulement, de jouer de l'invitation comme si elle en avait besoin. Y'a des tas de raisons de mal le prendre et je suis consciente de m'être potentiellement mis les pieds dans les plats une bonne dizaine de fois sans même avoir volontairement essayé ni réalisé, mais Molly rattrape tout, toujours. « Je penserai à venir le voir même si on ne fait pas Noël ensemble, c'est promis ! » elle exhibe son plus beau sourire, elle a le regard qui pétille, elle me convainc encore une fois qu'elle est exactement le genre de personne que je devrais avoir autour de moi en tout temps, le plus égoïstement du monde. « J'allais dire que je vais lui passer le message, mais je pense qu'il sera bien plus heureux si tu le fais de toi-même. Ou si tu tournes ça en surprise... » je laisse en suspens, ça. Mon sourire en coin qui rejoint le sien, l'impression qu'elle ferait là le plus beau cadeau possible à ma terreur si elle débarquait à l'improviste durant les vacances, le coeur heureux les idées qui en découlent. Leur complicité m'avait toujours attendrie.  

« J'ai toujours de l'énergie pour un cours ! » et voilà que l'étape décoration est derrière nous, que le résultat est encore mieux que dans mes rêves les plus fous, que je dois me retenir à deux, trois, cent fois pour ne pas tout immortaliser en photo pour l'envoyer façon spam à Robin dans la seconde. « C'est quoi la leçon du jour mademoiselle McGrath ? » lentement mais sûrement, je regagne l'endroit où le matériel artistique se trouve, les cahiers, les couleurs, les crayons, l'essentiel. « Oh non, j'ai même pas pensé à un thème. » et je pouffe de rire, la panique qui n'en est pas une, surtout pas avec Molly. « On improvise? » en mode solutions, je lui tends mon appareil photo argentique, et mes pastels préférés. La suite de l'après-midi, c'est à elle de la décider.