Leah releva les yeux de son téléphone, comparant les photos de l’annonce à ce qu’elle avait devant elle, s’interrogeant sur le fait d’être ou non au bon endroit. Elle regretta presque d’avoir décliné la proposition de Tommy de se rendre sur place à une seule voiture – car elle savait qu’il perdrait du temps en venant la chercher – au vu de son sens de l’orientation plus qu’approximatif. Pourtant, le GPS indiquait la position d’un petit point clignotant – et rassurant – et la brunette finit par hausser les épaules en se disant que si son ami débarquait dans les prochaines minutes, cela voudrait dire qu’elle ne s’était pas trompée et que les photos dataient simplement du siècle dernier ; c’était la seule explication. La jeune femme haussa une nouvelle fois un sourcil en direction de la façade, espérant que l’appartement qu’elle s’apprêtait à visiter ne soit pas dans la même lignée que ce qui se dressait devant elle. La brunette ne cessait de visiter un tas d’endroits depuis que Stephen avait quitté la maison, lui laissant normalement un laps de temps confortable pour se retourner et trouver un lieu correct où vivre. Malheureusement, Leah ne se voilait pas la face ; ses finances n’allaient pas vraiment lui permettre de s’offrir le cocon confortable auquel elle s’était habituée ces dernières semaines. Son premier geste avait été d’appeler son ancien propriétaire, mais ce dernier lui avait annoncé avec regret que l’appartement qu’elle adorait tant à Redcliffe était loué à un jeune couple à l’air engageant. Une nouvelle qui l’avait un peu déçue, mais qu’elle comprenait. La jeune femme n’avait eu de cesse de regretter d’avoir abandonné son indépendance en résiliant son bail, mais maintenant elle n’y pouvait plus rien, il fallait qu’elle avance. La mort dans l’âme, la brune s’était jetée corps et âme dans cette nouvelle recherche immobilière, réalisant que garder l’esprit occupé l’empêchait de ressasser les récents évènements. Cependant, après quelques tentatives soldées par un cuisant échec, Leah avait très vite réalisé qu’elle n’était pas suffisamment armée pour faire face à tout ça seule. Elle devait bien l’avouer, elle n’y connaissait rien. Et si elle avait assez vécu seule pour se débrouiller lorsqu’il s’agissait de petits travaux manuels, elle n’en était pas pour autant assez avertie pour savoir si elle mettait les pieds dans un parfait taudis ou dans un endroit correct. Les apparences étaient souvent trompeuses, elle le savait, et c’était bien pour ça qu’elle avait finalement pris sur elle de rappeler Tommy. Elle ne l’avait plus vu depuis plusieurs semaines, la faute à une volonté obstinée de se refermer sur elle-même dans une solitude salvatrice plutôt que de se tourner vers son entourage. Il avait fait partie de ceux qui avaient pris des nouvelles, mais fidèle à lui-même, le brun n’avait pas insisté et l’avait laissée faire son deuil à sa manière. La jeune femme avait dû faire face à l’incompréhension de certains, mais son ancien collègue avait très vite compris qu’il ne serait d’aucune utilité tant qu’elle était dans cet état-là. Et c’était bien pour ça qu’à présent, la brunette s’apprêtait à se tourner vers lui sans la crainte qu’il ne l’envoie paître ; parce qu’il la comprenait. Elle lui avait donc envoyé un message afin de lui demander son aide, un texto qui disait : « SOS ; Je cherche un appart et je suis pas foutue de faire la différence entre une tâche d’humidité et de la peinture écaillée. Tu veux bien m’accompagner et m’empêcher de faire une bêtise ? S’il te plait ? :) » A son grand soulagement, Leah n’avait pas eu à attendre bien longtemps avant de recevoir une réponse positive de la part de Tommy et ils convinrent ensemble de se rencontrer le lendemain, à l’endroit précis où la brunette se retrouvait à présent, observant la façade avec appréhension. Un bruit de voiture la fit se retourner et elle aperçu le brun se garer non loin de là où elle s’était elle-même mise de travers – comme d’habitude. « Tommy ! » Elle s’avança vers lui avec un sourire qui éclaira quelque peu sa mine fatiguée, ravie de le voir après tout ce temps. Une étreinte plus tard, elle fit un geste en direction de l’immeuble avant de lui tendre son téléphone où trônaient les images de l’annonce. « J’ai hésité, mais on est au bon endroit il me semble. Ça craint, non ? » Elle soupira un peu en croisant les bras, espérant une nouvelle fois que l’intérieur serait comme sur les photos, lui : spacieux, lumineux et incroyablement chaleureux.
Lorsque son téléphone avait vibré sur la table basse de son salon, Tommy ne s’attendait pas à ce que le message qui en était à l’origine provienne de Leah. Un brin surpris, mais dans le bon sens du terme, il avait néanmoins pris le temps de la réflexion avant de lui répondre : non pas qu’il hésitait sur la réponse à lui donner, mais manier les mots était déjà une épreuve en soit pour Tommy, et cela le devenait d’autant plus lorsque la situation nécessitait qu’il marche sur des œufs et s’empêche toute tournure de phrase malheureuse. Sa volonté à se rendre utile et présent toujours bien plus développée que sa capacité à proposer les choses lui-même, il avait en tout cas accepté avec plaisir la proposition de la jeune femme d’être son second cerveau dans la recherche d’un nouveau nid, confirmant par là également le fait qu’entre Stephen et elle les choses ne s’étaient pas arrangées durant sa période de silence. C’était d’une tristesse presque banale, un échec qui succédait à une tragédie, et au bout du compte la seule crainte habitant Tommy sur le chemin jusqu’à l’adresse où Leah lui avait donné rendez-vous avait été de ne pas savoir quoi dire et de verser du sel sur des plaies encore à vif, si la jeune femme décidait d’aborder l’éléphant dans la pièce avec lui. Puisqu’elle s’était proposée de passer un peu de temps avec elle lorsque l’occasion se présenterait, le brun avait laissé à Oakley le soin d’aller récupérer Moïra à sa sortie de l’école, un programme que la fillette avait approuvé à grand renfort d’enthousiasme et qui permettait à son père de ne pas avoir à surveiller sa montre toutes les cinq minutes durant le temps qu’il passerait avec Leah – il pourrait lui consacrer toute son après-midi si elle le désirait. Déposé à deux rues du lieu de rendez-vous par le bus cherchant son terminus à China Town, il avait accompli à pieds le reste du trajet, levant le nez à intervalles réguliers pour vérifier qu’il était dans la bonne rue, puis qu’il se dirigeait vers le bon numéro. Plus encore que la numérotation néanmoins, le « Tommy ! » lancé dans sa direction avait été la confirmation qu’il était arrivé à bon port, et adressant un sourire franc à la jeune femme à la seconde où son regard s’était posé sur elle, il lui avait rendu son accolade chaleureuse avec un poil plus d’insistance que d’habitude. « Ça me fait plaisir de te voir. » Lui évitant d’avoir à répondre à un « ça va ? » auquel il doutait de toute façon d’obtenir une réponse sincère, il avait préféré lever le nez vers l’immeuble pour se figurer un peu mieux là où ils mettaient les pieds. Et le moins que l’on puisse dire, c’était que la façade n’était pas des plus engageantes. Semblant partager son avis, Leah avait commenté « J’ai hésité, mais on est au bon endroit il me semble. Ça craint, non ? » d’un air dubitatif, et dodelinant la tête comme pour nuancer cette mauvaise première impression il avait répondu « L’extérieur ne paye pas de mines, mais faut voir ce que ça donne à l’intérieur … » d’un ton prudent. Il n’avait pas envie de la décourager tout de suite, et puis Fortitude Valley et Redcliffe avaient en commun de compter tout un tas d’immeubles dont la façade laissait dubitatif mais dont les appartements étaient au demeurant tout à fait décents. « Quel étage ? » avait-il alors préféré demander alors qu’ils se décidaient à entrer dans l’immeuble, coupés dans leur élan par l’affiche griffonnée à la main sur la porte de l’ascenseur – en panne. « Quelle chance, je travaille trop les bras et pas assez les jambes en ce moment. » le brin d’ironie rejoignant la réalité, puisque son travail sur les docks sollicitait en effet majoritairement ses bras, il avait laissé Leah s’engager la première dans la cage d’escalier et avait fermé la marche jusqu’à leur destination. Les ayant sans doute entendus arriver, un homme que Tommy se serait volontiers fait un plaisir de qualifier de cliché de l’agent immobilier s’il n’avait pas eu un minimum de tenu avait ouvert la porte et dégainé son meilleur sourire colgate pour les accueillir. « Madame et Monsieur Baumann, je présume ? Monsieur Nichols, c’est moi que vous avez eu au téléphone. » Tendant la main vers Leah pour la lui serrer, puisqu’il s’était majoritairement adressé à elle, il avait fait de même avec Tommy la seconde suivante, semblant à peine se formaliser de la correction apportée par les deux amis « Oh, juste Madame Baumann. Je ne fais qu’accompagner. » et posant déjà la main sur la poignée de la porte. « Oh, bien, bien. Allez-y entrez, après vous. » Visiblement décidé à régler cette affaire au pas de course, le bonhomme les avait presque poussés à l’intérieur de l’appartement, se fendant par ailleurs d’un « Les photos de l’annonce sont un petit peu datées, mais l’idée est là. » Se retenant de demander de quel siècle au juste étaient datées les photos, Tommy avait vaguement arqué un sourcil et tourné la tête vers Leah pour jauger de sa réaction. D’accord, l’intérieur non plus ne payait pas de mines à première vue ; Sauf si l’on appréciait le style papier peint jauni et traces d’humidité. À l’évidence, le dernier locataire remontait à un moment.
L’attente ne fut pas bien longue, et lorsque le regard de la brune croisa celui de son ami et ex-collègue, elle ne put retenir un air de soulagement. Aussi indépendante se targuait-elle d’être, rien ne valait la présence d’un homme pour ce genre de rendez-vous immobilier. Elle avait déjà eu affaire à beaucoup d’agents, et au-delà du fait qu’ils ne prenaient pas les femmes au sérieux et s’amusaient probablement de leur manque de connaissance dans le domaine, ils étaient relativement sournois lorsqu’il s’agissait de faire apposer sa signature sur un bail pour plusieurs années de catastrophes en tout genre. Leah n’était pas née de la dernière pluie, mais avoir Tommy à ses côtés la rassurait. Qui voudrait la faire à l’envers à un docker, hein ? Forte de cette idée, elle ne regretta pas un seul instant d’avoir sélectionné son nom dans son répertoire au moment de trouver de l’aide pour cet après-midi. Et puis, c’était toujours mieux comme circonstances de retrouvailles que de lui envoyer un message du genre « hey, j’me remets doucement de la perte de mon bébé, ça te dit d’aller boire une bière ? » Oui, mais non. Le brun était aussi maladroit qu’elle lorsqu’il s’agissait des sujets sensibles et elle n’avait pas voulu le mettre dans une drôle de position en amenant les récents sur le tapis, préférant aller de l’avant en l’incluant dans ses recherches pour trouver un nouvel endroit où vivre. « Ça me fait plaisir de te voir. » La réciproque était vraie, comme l’indiquait leur étreinte muette qui à elle seule exprimait tout ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre en cet instant. « A moi aussi. Tu me sauves la vie sur ce coup-là. » Ajouta-t-elle en se détachant de lui et en relevant le nez vers la façade de l’immeuble dans lequel ils allaient entrer, le remerciant ainsi une énième fois pour sa présence aujourd’hui. Pouvoir compter sur lui en dépit de son désir d’isolement ces dernières semaines lui faisaient vraiment chaud au cœur, mais elle s’abstint de verser dans le sentimental trop rapidement. A la place, elle lui montra rapidement les photos de l’annonce qui dénotaient en tout point avec ce qu’ils avaient déjà sous les yeux, précisant qu’ils étaient au bon endroit en dépit de ce qu’ils voyaient. « L’extérieur ne paye pas de mines, mais faut voir ce que ça donne à l’intérieur … » Soit le brun s’avérait moins pessimiste qu’elle, soit il voulait la ménager. Dans un cas comme dans l’autre, ils seraient rapidement fixés. Hochant la tête, elle s’avança en direction dans l’entrée sans parvenir à quitter l’immeuble du regard ; si l’intérieur était convenable, elle parviendrait peut-être à faire l’impasse. Peut-être. « Après, j’aurai du succès si j’organise des soirées pour Halloween chaque année. » Lança-t-elle en haussant les épaules, traversant la rue peu fréquentée – un bon point, quand même. « Quel étage ? » « Troisième. » Répondit-elle en jetant un énième coup d’œil à l’annonce sur son téléphone qu’elle gardait en main comme un espèce de lien avec la réalité qu’elle espérait rejoindre une fois passé le pas de la porte. Quoique. Une affiche retint leur attention, indiquant que l’ascenseur était en panne. N’étant déjà pas une grande fan du concept, Leah serra les dents en se disant que sa relation de confiance avec cette machine ne commençait déjà pas du meilleur pied. « Quelle chance, je travaille trop les bras et pas assez les jambes en ce moment. » Ahah. L’ironie de Tommy effaçait quelque peu les appréhensions de la brunette qui se félicitait de plus en plus de ne pas s’être lancée dans cette histoire toute seule, sans quoi elle aurait déjà pris ses jambes à son cou. « Tu vois, t’auras pas perdu ta journée comme ça. » Répondit-elle en s’embarquant dans l’escalier avec une moue mi-figue, mi-raisin. Trois étages plus tard, ils furent accueillis par l’agent qui les attendait avec un large sourire – la marque de fabrique de tout agent immobilier se respectant. « Madame et Monsieur Baumann, je présume ? Monsieur Nichols, c’est moi que vous avez eu au téléphone. » Leah lança une œillade amusée à son ami en serrant la main de leur interlocuteur, laissant à Tommy le soin de rétablir la vérité. « Oh, juste Madame Baumann. Je ne fais qu’accompagner. » Madame ? La brune fronça le nez dans sa direction, se promettant de lui faire savoir ce qu’elle pensait de cette appellation qu’elle jugeait inappropriée avant d’avoir au moins trente ans. Ou d’être mariée. L’agent, lui, ne sembla pas s’embarrasser de cette information et se contenta de leur ouvrir la porte sans s’attarder davantage. « Oh, bien, bien. Allez-y entrez, après vous. » Leah fit son entrée dans l’appartement, retenant presque son souffle tant ses attentes semblaient dépasser de loin la réalité. Et encore, elle n’était pas au bout de ses peines. « Les photos de l’annonce sont un petit peu datées, mais l’idée est là. » L’idée est là. C’est qu’en plus de savoir sourire, il avait le sens de l’humour le bonhomme. Ignorant le fait qu’il démontrait une nette envie de se débarrasser de cette visite aussi rapidement que possible, la jeune femme s’avança en détaillant la pièce avec incompréhension ; comment pouvait-on être à ce point aussi loin de ce que l’annonce promettait ? Entre le papier peint qui se faisait la malle à cause de l’humidité – car oui, il ne fallait finalement pas être expert pour déceler les tâches qui avaient élu domicile sur les murs de la pièce – et l’odeur qui se dégageait de l’endroit, Leah avait l’impression de vivre une espèce de caméra cachée. Elle releva les yeux en direction de Tommy qui l’observait déjà, signe évident qu’il pensait comme elle mais n’osait pas formuler à haute voix ce qui leur traversait l’esprit à tous les deux. Serrant son poing, la brunette s’efforça de ne pas céder à l’irritation qui faisait son apparition bien plus rapidement qu’avant, ces derniers temps. « On pourrait jouer au jeu des 7 erreurs avec votre annonce et cet appartement. » Lança-t-elle finalement en s’avançant vers la cuisine, décidée à continuer malgré tout – dans un esprit de masochisme, probablement. « Regarde Tommy, l’ancien locataire a laissé de quoi gérer les premiers jours. » Lança-t-elle au brun tout en pointant du doigt une armoire d’où l’on pouvait apercevoir de la mort-aux-rats, rien que ça. A partir d’un certain stade, mieux valait s’amuser de la situation que de la prendre au sérieux, sans quoi cet agent ne se remettrait pas de cette visite. Et eux non plus.
Dans la mesure où son propre appartement ne payait pas de mines et conjuguait simplement les exigences minimales auxquelles il s’était astreint en se lançant dans ses propres recherches – au moins une chambre indépendante pour Moïra, une distance raisonnable pour rejoindre l’école à pieds, et une salubrité suffisante – Tommy ne savait pas trop dans quel monde il serait de meilleur conseil que quelqu’un d’autre pour aider Leah dans sa propre quête d’un nouveau nid. Mais plutôt que de retourner la question dans sa tête durant cent sept ans comme il avait si souvent l’habitude de le faire, le brun s’était contenté d’accepter l’invitation sans y réfléchir à deux fois en se persuadant que si la jeune femme lui avait proposé à lui et non pas à quelqu’un d’autre elle devait avoir ses raisons – quant à lui, il ne refusait jamais de filer un coup de main. Les retrouvailles passées, Leah avait donc pris l’initiative de commencer par lui montrer rapidement les quelques photos de l’annonce qui les amenait dans cette rue, comme si elle cherchait à avoir une seconde approbation quant au fait qu’ils étaient au bon endroit. Sans dire que la photo de la façade extérieure était mensongère, elle restait disons la preuve qu’une bonne lumière, un angle bien choisi et quelques retouches pouvaient parfois faire des miracles sur une réalité un peu morne … Mais comme il avait tenté de le faire remarquer pour ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, l’appartement était peut-être plus engageant que l’immeuble qui l’abritait. « Après, j’aurai du succès si j’organise des soirées pour Halloween chaque année. » Pointant un doigt dans sa direction pour lui signaler qu’elle marquait un point, il avait rebondi en affirmant « J’aime cet état d’esprit. » et sans plus attendre tous les deux s’étaient donc engouffrés dans le hall de l’immeuble … pour découvrir un ascenseur en panne. Évidemment. Et en même temps qu’est-ce que c’était que trois étages ? Une hauteur déjà respectable pour un ancien fumeur, bien qu’il ait au maximum tenté de garder la face une fois arrivée sur le troisième palier, n’assumant qu’à moitié le fait que ses poumons refusent de coopérer à leur maximum pour lui faire payer ses années de tabagisme. Accueillis par un agent immobilier cochant à première vue presque toutes les cases du cliché de sa profession, tous avaient très brièvement fait les présentations avant d’en venir au fait et de pénétrer dans l’appartement, le troisième luron se payant le luxe d’une galanterie forcée en fermant la marche comme s’il pensait les introduire dans un palace … En réalité, si palace il y avait ils se trouvaient actuellement dans son grenier. Les narines agressées par une odeur de renfermé persistante, Leah et Tommy avaient commencé par faire un tour visuel de la pièce pendant que le dénommé Nichols remontait les stores aux fenêtres – peut-être avec le mince espoir qu’un peu de lumière supplémentaire rendrait le tout plus engageant. « On pourrait jouer au jeu des sept erreurs avec votre annonce et cet appartement. » Moins lâche que lui au jeu du sarcasme, Leah n’avait pas su contenir longtemps les mauvaises ondes que lui inspirait cet appartement – ce taudis, et passant du salon à la cuisine, composée d’un évier et d’un minuscule placard, elle avait ajouté « Regarde Tommy, l’ancien locataire a laissé de quoi gérer les premiers jours. » tandis que leurs yeux se posait sur ce qui ressemblait fort à de la mort aux rats. « Le propriétaire a sans doute voulu prendre des précautions … » avait tenté d’affirmer l’agent immobilier, cherchant à garder la face, mais la sueur sur sa tempe presque aussi visible que son malaise. « Il n’y avait pas des meubles de cuisine sur la photo ? » - « C’est un non-meublé, les meubles n’étaient pas destinés à rester. » - « L’ancien locataire est parti avec ? » - « Je n’ai pas cette information. » - « Ni celle d’à quand remonte le dernier locataire, je parie ? » Bien que l’idée d’aider ce pauvre bougre à continuer de s’enfoncer soit tentante, Tommy n’avait pas poursuivi plus loin son interrogatoire piège et préféré se tourner à nouveau vers Leah. Il était clair qu’elle était tombée dans un traquenard et qu’elle n’aurait pas eu besoin de lui pour s’en rendre compte, toutefois après un coup d’œil échangé ils avaient poursuivi la visite vers la chambre, pas plus engageante que le reste. À l’évidence il faudrait choisir entre un lit de taille raisonnable où un semblant de meuble pour ranger ses vêtements. « Spacieux. » Avait alors ironisé Tommy à l’intention de Leah, là où l’agent immobilier ne se fatiguait même plus à défendre son bout de viande, conscient d’avoir perdu la bataille dans sa volonté d'embobiner le premier venu … avec un étudiant cela aurait pu fonctionner. Peut-être. « Tu entends ? » Tous s’étaient immobilisés, tendant l’oreille. Un grattement sourd semblait s’élever du plafond … ou était-ce du mur de gauche ? L’un ou l’autre, la mort aux rats n’avait visiblement pas fait son travail elle non plus. « Je ne savais pas que tu visitais une colocation. » Trêve de plaisanterie, un seul mot de la part de la jeune femme et ils déguerpissaient d’ici – il la laissait décider. Mais qu’on se le dise, ils en avaient probablement assez vu.
Dire que Leah misais énormément sur cette visite était un euphémisme, et pourtant ses espoirs avaient déjà commencé à s’évaporer avant que Tommy ne vienne la rejoindre dans sa contemplation de la façade. Elle n’était pas du genre à porter des œillères, mais le besoin de s’assurer que lui aussi voyait la même chose qu’elle était apparu comme une nécessité absolue tant elle n’arrivait pas à se convaincre que cette annonce s’avèrerait comme une déception de plus. Décidée à ne pas voir le verre à moitié vide aujourd’hui, elle s’avança en anticipant son succès potentiel si elle se lançait dans l’organisation d’évènements pour Halloween ; avec une façade pareille, elle était convaincue de faire un tabac. « J’aime cet état d’esprit. » Ah, ben voilà. Elle le gratifia d’un petit sourire forcé avant de lui emboîter le pas et de découvrir, pas après pas, la catastrophe dans laquelle ils s’enfonçaient petit à petit. Après la façade délabrée, ils tombaient sur un ascenseur en panne et devaient se farcir les étages à pied – l’un vivant la chose avec plus de difficulté que l’autre – avant d’être accueillis par l’archétype de l’agent immobilier à l’air charlatan. Leah réalisa rapidement que cette visite était condamnée à un non ferme et définitif, majoré d’une menace de plainte pour manquement à l’annonce qui avait été annoncée, mais le besoin de s’exprimer et de faire du jeune homme son exutoire pour l’après-midi était bien trop tentante. Et puis, maintenant qu’ils étaient là, autant découvrir le potentiel inexploité de cet appartement et par extension, de Fortitude Valley. Les coups d’œil fréquents que Tommy et la brune se jetaient en disaient déjà long sur ce qu’ils pensaient, mais la jeune femme lança finalement la première remarque tandis que Nichols s’évertuait à améliorer la situation comme il le pouvait en laissant entrer un faisceau de lumière dans la pièce. Ouvrant les placards avec une moue dépitée, la brunette pris son ami à parti en lui montrant d’un geste sa découverte : de la mort au rat. Et le paquet était ouvert de surcroît. « Le propriétaire a sans doute voulu prendre des précautions … » A d’autres. La brune lui jeta un regard froid qui suffit à lui faire comprendre ce qu’elle pensait de ses précautions et continua ensuite sa visite de la cuisine – si l’on pouvait la dépeindre comme telle – laissant à Tommy le soin de s’exprimer à son tour. « Il n’y avait pas des meubles de cuisine sur la photo ? » - « C’est un non-meublé, les meubles n’étaient pas destinés à rester. » - « L’ancien locataire est parti avec ? » - « Je n’ai pas cette information. » - « Ni celle d’à quand remonte le dernier locataire, je parie ? » Oho. Warren montrait les crocs. Et encore, ce Nichols pouvait s’estimer heureux qu’ils ne soient pas réellement un couple cherchant un petit nid douillet, sinon Tommy lui aurait probablement réexpliqué en quoi consistait son métier, à sa façon. Mais il était venu comme soutien moral – avant tout – et comme conseiller éventuel si la brunette avait eu une question relative à des travaux éventuels, mais puisqu’il s’agissait ici d’une vaste cas d’insalubrité, la question était réglée. « Rien dans cette annonce n’est vrai. » Lança-t-elle à l’intention de l’agent, lui exposant l’écran de son téléphone sous le nez avant de froncer le sien et de se diriger vers la chambre qui aurait peut-être été épargnée par l’ancien locataire, elle. La pièce en elle-même était dépourvue de fenêtre et seule une ampoule pendant au bout d’un fil leur permis de constater qu’il s’agissait davantage d’un bureau que d’une chambre. Et puis cette odeur, seigneur. « Spacieux. »Leah leva les yeux au ciel, dépassée et surtout, en proie au désarroi le plus complet. Si toutes les visites s’avéraient aussi catastrophiques, elle finirait réellement par retourner chez ses parents ou chez Logan et à ce moment-là, elle pourrait tout aussi bien se tirer une balle dans le crâne. « Je te trouve bien difficile. » Ironisa-t-elle à son tour, faisant un pas en arrière tout en se disant que rien n’allait dans cet endroit tandis que son regard se posait sur les murs de la salle de bain que l’on voyait par la porte ouverte. La brune se crispa, persuadée que les tâches présentes sur la peinture indiquaient forcément qu’un meurtre avait eu lieu là-dedans. Ou Dieu seul savait quoi d’autre. « Tu entends ? » La jeune femme sortit de ses pensées, uniquement pour tendre l’oreille et jeter un coup d’œil en direction du bruit qui semblait provenir du plafond et la faisant se crisper d’un seul coup. Tout. Mais. Pas. Ça. « Je ne savais pas que tu visitais une colocation. » « Moi non plus. » Rétorqua-t-elle en fixant Nichols du regard et en croisant les bras, secouant ses cheveux bruns avec une tête de trois pieds de long. « Pas besoin de vous faire un dessin, hein ? » Elle haussa les épaules avant de se tourner vers Tommy en esquissant un sourire, préférant ne pas se laisser miner par ce désastre. « On y va ? » La question était rhétorique et elle n’attendit même pas sa réponse, se dirigeant vers la sortie à toute vitesse tant son besoin de sortir de là et de respirer de l’air non-pollué par du poison ou autres saloperies lui devenait primordial. Une fois sur le trottoir, elle prit une grande bouffée avant de lancer une œillade désolée à son ami. « J’hallucine. C’est pas encore aujourd’hui que je trouverai un endroit décent ou vivre. » Lança-t-elle dans sa direction, les lèvres pincées tout en secouant la tête en observant la façade, encore sous le choc de ce qu’ils venaient de voir, sentir et expérimenter. Un vrai florilège pour les sens, vraiment. Ils auraient dû rajouter ça sur l’annonce, tiens. « Je m’en veux de t’avoir dérangé pour ça. » Ajouta-t-elle ensuite, dépitée par la visite éclair qu’ils venaient de faire. Une perte de temps pour elle et pour lui, et à l’inverse d’elle, il avait probablement eu bien mieux à faire que de se perdre dans ce taudis.
Qu’on ne s’y trompe pas, à son retour en ville Tommy aussi en avait visité des taudis, et des mêmes pires que celui dans lequel ils se trouvaient actuellement. Des cages à lapins dénuées de toutes normes sanitaires, des visites qu’il avait annulées après qu’un petit tour sur internet lui ait fait découvrir l’invasion de mites ou de punaises de lit qui sévissait dans l’immeuble, des appartements à peu près décents mais dans des quartiers où il n’aurait pas été question de laisser Moïra ne serait-ce que traverser la route avant qu’elle ait vingt-cinq ans et un diplôme de krav-maga pour garantir sa sécurité … Il était long et semé d’embûches, le chemin d’un ex-taulard sans économies pour trouver un toit. Alors non, cet appartement-là n’était pas totalement une cause perdue, il avait simplement besoin d’un gros rafraichissement, et pâtissait d’un propriétaire préférant compter sur la bourse et l’huile de coude de ses locataires pour entreprendre ce qui relevait normalement de sa compétence. Reste que Leah avait tout intérêt à ne pas se lancer là-dedans, et en définitive la chose sautait tellement aux yeux que la présence de Tommy se révélait être plutôt superflue. Pas besoin de lui en effet pour que « Rien dans cette annonce n’est vrai. » ne soit que la vérité et rien de plus, et le brun avait suffisamment côtoyé Leah pour savoir qu’elle n’aurait pas plus mâché ses mots s’il n’avait pas été là. La bataille perdue depuis longtemps, l’agent immobilier s’était contenté d’un haussement d’épaules impuissant, et pour un peu Tommy aurait presque eu de la peine pour lui … Il suivait les directives du propriétaire, sans doute, et d’un autre côté cela apprendrait à son agence à ne pas être plus regardante. La visite s’était poursuivie par principe plus que par envie, chacun y allant de son brin de sarcasme et la présence – probable – de rats que le poison n’avait pas suffi à faire fuir comme clou du spectacle Leah avait finalement conclu « Pas besoin de vous faire un dessin, hein ? » en ne s’attirant en guise de réponse qu’un regard contrit du commercial. « On y va ? » Ne se le faisant pas dire deux fois, Tommy avait adressé un signe de tête poli à celui qui ne s’était pas donné la peine de les accompagner, et sans demander leur reste Leah et lui avaient dévalé les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, retrouvant avec satisfaction l’air frais de l’extérieur. « J’hallucine. C’est pas encore aujourd’hui que je trouverai un endroit décent ou vivre. » Aujourd’hui ne serait en effet pas le jour de la délivrance, mais Tommy se sentait plus agacé pour elle qu’autre chose, et lorsqu’elle avait ajouté « Je m’en veux de t’avoir dérangé pour ça. » d’un air désolé il avait balayé la chose d’un geste de la main. « Mais non, tu pouvais pas savoir. Et puis ça m’a permis de te voir, alors mon après-midi n’est pas totalement perdue en ce qui me concerne. » Clin d’œil complice à l’appui, il avait levé le nez vers les fenêtres de l’immeuble comme s’il s’attendait à y voir l’agent immobilier les fixer d’un œil mauvais, et pour cette raison il avait suggéré « Allez viens, on bouge … Je peux presque sentir les mauvaises ondes du bonhomme redescendre jusqu’ici. J’espère pour nous qu’il ne fait pas de vaudou sur ton temps libre. » Ricanant un instant à sa propre bêtise, il avait marqué une brève pause avant de proposer d’un ton léger « Une glace, ça te dit ? J’ai tout l’aprèm’ devant moi. » Brunswick Street n’était pas si loin et ils y trouveraient probablement un commerce à même de satisfaire sa soudaine envie de glace au chocolat. Enfonçant les mains dans les poches de son blouson tandis qu’ils se mettaient en route, il avait repris au moment où ils atteignaient le bout de la rue « Tu as jusqu’à quand pour trouver un nouvel appart’ ? T’es pas en galère en attendant j’espère ? » Il n’avait pas bien compris où vivait Leah à l’heure actuelle, si elle partageait toujours un toit avec Stephen, si elle logeait ailleurs … Il n’avait pas bien compris et surtout, il n’avait pas osé poser la question, de peur d’avoir l’air de se mêler de ce qui ne le regardait pas.
Depuis le début, Tommy s’était imposé comme la personne tout indiquée vers qui la brune se tournait volontiers pour visiter des appartements avec elle, peu désireuse d’attirer davantage l’attention de ses frères – et de sa famille entière, par extension – sur sa situation personnelle tout bonnement catastrophique. Moins ils en savaient tous, et mieux c’était. Parce qu’être une jeune maman en deuil était un fardeau suffisamment lourd à porter, elle ne voulait pas s’ajouter la case SDF sur la liste de ses problèmes qui deviendraient forcément ceux des Baumann ; ils étaient comme ça. Depuis toujours, Leah cherchait à se débrouiller seule et elle y parvenait plutôt bien – si l’on mettait de côté ses choix plutôt hasardeux lorsqu’il s’agissait de donner un sens à sa vie qui devenait un brin pathétique en s’approchant dangereusement de la trentaine. Elle savait que son ami ne serait pas dans le jugement, à aucun moment, et c’était bien pour ça qu’elle n’avait pas hésité à l’appeler pour la conseiller, même si elle regrettait de lui avoir fait perdre son temps avec cette visite qui se serait forcément terminée de la même façon si elle s’y était rendue seule. Pas besoin d’être un expert qualifié pour repérer les défauts de cet endroit qui frôlait probablement l’insalubrité, et c’est après quelques minutes douloureuses et ponctuées de commentaires sarcastiques qu’elle proposa à Tommy de s’en aller, en ayant vu assez pour savoir que ce n’était certainement pas là qu’elle allait élire domicile. L’agent resta en arrière, comprenant sans doute qu’il valait mieux pour lui ne pas rester dans les parages tant que le duo ne se serait pas un peu éloigné, et Leah lui jeta un dernier regard noir avant de rejoindre l’extérieur avec le brun – auprès duquel elle s’excusa platement pour ce qu’elle considérait être du temps perdu. « Mais non, tu pouvais pas savoir. Et puis ça m’a permis de te voir, alors mon après-midi n’est pas totalement perdue en ce qui me concerne. » Il savait toujours quoi dire. La jeune femme esquissa un petit sourire agrémenté d’un hochement de tête, ravie qu’il le prenne comme ça. « Je suis d’accord, ça nous aura fourni une bonne excuse pour se voir au moins. » Concéda-t-elle en suivant son regard en direction de l’immeuble. « Allez viens, on bouge … Je peux presque sentir les mauvaises ondes du bonhomme redescendre jusqu’ici. J’espère pour nous qu’il ne fait pas de vaudou sur ton temps libre. » Leah hocha vivement la tête, décidée à oublier cette visite catastrophique ainsi que cet agent qui n’avait rien du professionnel auquel elle s’était attendue en ayant l’agence en ligne quelques jours plus tôt. « Imagine, peut-être qu’il est de mèche avec le proprio et qu’ils vont venir nous retrouver pour nous empêcher de parler à quiconque de ce qu’on a vu là-dedans. » Elle leva les yeux au ciel, dépitée par la facilité qu’elle avait à le suivre dans ses délires. « Une glace, ça te dit ? J’ai tout l’aprèm’ devant moi. » Alors là, il n’aurait pas pu lui proposer un meilleur plan pour se remettre de ses émotions. « Je suis de plus en plus convaincue par mon choix, j’ai bien fait de t’appeler Warren. » Lança-t-elle en se mettant à avancer elle aussi, touchée qu’il ne mette pas fin à ce moment passé tous les deux sous prétexte que la visite soit terminée. Elle avait bien besoin de compagnie en ce moment, même si elle avait du mal à l’avouer. « Tu as jusqu’à quand pour trouver un nouvel appart’ ? T’es pas en galère en attendant j’espère ? » Elle releva le nez dans sa direction, secouant sa tête brune pour le rassurer ; la galère, c’était une notion plutôt subjective finalement. Non ? « Je suis pas à la rue, je te rassure. Mais j’aimerais avoir quitté la maison avant le retour de Stephen. » Pour éviter de le croiser, pour ne pas avoir à faire face à une foule de souvenirs douloureux et encore moins à un malaise qu’ils souhaitaient tous les deux éviter. « Il ne m’a pas donné de date précise, je suppose qu’il est capable de rester à l’étranger jusqu’à ce que j’aie débarrassé le plancher. » Ajouta-t-elle en relevant un sourcil, cherchant à conserver une note légère à cette conversation qui était toujours aussi difficile à avoir, même après plusieurs semaines à tenter d’avancer et de passer à autre chose. « Si ça avait été le cas, tu m’aurais proposé ton fauteuil c’est ça ? » Lança-t-elle ensuite en prenant un air profondément reconnaissant, papillonnant des yeux à l’extrême afin de dérider cette situation qui la rongeait bien plus qu’elle ne voulait bien l’admettre.
Sans aller jusqu’à rentrer dans la catégorie des marchands de sommeil, le propriétaire et l’agent immobilier qui s’occupait de faire visiter cet appartement ne s’étouffaient assurément pas ni dans leur mauvaise foi, ni dans leurs scrupules. Et au prix de l’immobilier dans Brisbane et sa proche banlieue, celle qui ne nécessitait pas obligatoirement de posséder un 4x4 pour déplacer, il n’y avait aucun doute quant au fait que si Leah laissait passer sa « chance » de poser ses valises dans ce taudis quelqu’un d’autre accepterait de s’en contenter. Heureusement pour elle, la jeune femme ne semblait pas encore en être à ce niveau de désespoir concernant la quête de son nouveau chez elle, et c’est sans le moindre regret que Tommy et elle avaient tourné les talons et entrepris de s’éloigner au plus vite de cet immeuble, de ses rats planqués dans la tuyauterie et de ses mauvaises ondes. « Imagine, avait-elle rétorqué, rebondissant sur sa théorie de la poupée vaudou, peut-être qu’il est de mèche avec le proprio et qu’ils vont venir nous retrouver pour nous empêcher de parler à quiconque de ce qu’on a vu là-dedans. » Elle avait roulé des yeux, quant à lui il avait laissé échapper un rire, trop heureux qu’elle saisisse la perche de bêtise qu’il lui avait si brillamment tendue. « Ou alors, les rats se sont fait un plaisir de se nourrir du propriétaire, ce qui expliqueraient qu’ils n’aient pas touché à la mort-aux-rats. Trop rassasiés. » La vision aurait pu suffire à lui couper l’appétit, mais c’était mal connaître l’estomac de Tommy et au lieu de cela il avait profité qu’il soit question de nourriture pour proposer à Leah de rattraper ce début d’après-midi en demi-teinte de lui offrir une glace. « Je suis de plus en plus convaincue par mon choix, j’ai bien fait de t’appeler Warren. » Et le voilà qui dodelinait la tête, fier comme un paon, se délestant momentanément de toute modestie et réajustant le col de son blouson dans le plus pur des clichés du genre. « Je sais, ne me remercie pas. » Alors qu’ils tournaient le coin de la rue néanmoins, le brun avait laissé passer les quelques secondes nécessaires pour retrouver un brin de sérieux. Car si la glace adoucirait la déception elle ne résoudrait pas le problème de base, à savoir que Leah n’avait toujours pas trouvé de nouveau toit pour les accueillir ses affaires et elle. « Je suis pas à la rue, je te rassure. » lui avait-elle néanmoins assuré « Mais j’aimerais avoir quitté la maison avant le retour de Stephen. » Il s’apprêtait à questionner sur quand au juste était supposé rentrer le concerné, mais le prenant de vitesse Leah avait ajouté « Il ne m’a pas donné de date précise, je suppose qu’il est capable de rester à l’étranger jusqu’à ce que j’aie débarrassé le plancher. » et en réponse Tommy lui avait offert un sourire compatissant. Il préférait se garder de tout jugement, convaincu que la perte d’un nouveau-né n’était pas moins difficile à gérer pour l’ex-compagnon de la jeune femme, et n’ayant aucune idée de comment lui-même aurait géré la chose s’il y avait été confronté. Rien que l’idée néanmoins lui avait arraché un frisson. « Si ça avait été le cas, tu m’aurais proposé ton fauteuil c’est ça ? » Puisqu’elle papillonnait des yeux il avait fait mine de réfléchir à la question avec dubitation, se fendant d’un « Hmmm, qui sait ? » avant de glisser les mains dans les poches de son blouson puis de rajouter « Mais tu aurais même eu droit au canapé, je prends quand même un peu mieux soin de mes invités. Sans compter que je ne garantis pas que le chat t’aurais laissé squatter son fauteuil, cette sale bête a carrément pris ses aises. » Une sale bête que Tommy ne se gênait pas pour couvrir de caresses et de surnoms ridicules dès que personne d’autre que l’animal n’était là pour en être témoin. Officiellement il tolérait tout juste la présence de l’animal dans l’appartement pour faire plaisir à sa fille, officieusement il ne protestait même plus lorsque Microbe venait passer la fin de la nuit sur son lit. « T’as songé à chercher du côté des colocations, sinon ? » avait-il finalement repris, passant un peu du coq à l’âne mais cette histoire de canapé lui y ayant fait songer. « Enfin, tu préfères peut-être être tranquille chez toi. » Et la colocation impliquait des sacrifices sur son espace vital que tout le monde n’était pas prêt à faire. Tommy avait beau y avoir eu recours après la fin du lycée, lorsqu’il avait souhaité s’émanciper au plus vite du joug de ses parents qui se lamentaient déjà de ne pas le voir faire des études supérieures alors qu’il n’en avait clairement pas les capacités, il n’y reviendrait pour rien au monde … Moïra resterait la seule et unique colocataire qu’il tolérerait désormais, et celle-ci il n’était clairement pas prêt à la laisser partir.
Relativiser par l’humour, voilà quelque chose que Leah savait faire à la perfection, tout comme Tommy qui ne manquait jamais une occasion de plaisanter des pires situations. Ils en avaient vécu de drôles de choses alors qu’ils travaillaient au MacTavish et honnêtement, ils avaient très vite compris que de tourner le pire en dérision était pratiquement une solution miracle pour ne pas avoir les nerfs qui lâchaient à tout bout de champ. Ceci étant dit, Leah avait beau prendre la perche de Tommy à deux mains (contexte), elle n’en demeurait pas moins inquiète de la façon dont les choses allaient se dérouler pour elle. La perspective de revoir Stephen lui semblait insurmontable, et l’idée de rester plus que nécessaire dans cette maison qui n’était plus qu’un cimetière de souvenirs heureux était tout simplement insurmontable. « Ou alors, les rats se sont fait un plaisir de se nourrir du propriétaire, ce qui expliqueraient qu’ils n’aient pas touché à la mort-aux-rats. Trop rassasiés. » La brune laissa un nouveau sourire étirer ses lèvres tandis qu’elle secouait la tête, dépitée par ce qu’ils venaient de visiter. « Ce qui m’attriste finalement, c’est de me dire que quelqu’un finira par louer ce taudis, faute de mieux. » Il y avait des normes de salubrité à respecter, du moins le pensait-elle, et en l’occurrence cet endroit avait énormément de lacunes en la matière. Et comme s’il sentait que la jeune femme n’était pas au mieux de sa forme en dépit de ses efforts pour donner le change, Tommy lui proposa de ne pas s’arrêter sur ce mauvais moment en s’arrêtant pour manger une glace, ce qui ravit immédiatement la brunette qui avait toujours vu le sucre comme un moyen parfaitement légitime de se remonter le moral. « Je sais, ne me remercie pas. » Rétorqua-t-il dans un geste fier, tirant un nouveau sourire à Leah qui se félicita de ne pas avoir fermé la porte à tous ses proches en cette période difficile. La solitude pouvait se montrer salvatrice, mais rien ne valait ce genre de moments improvisés avec quelqu’un qui ne voulait qu’une chose ; que vous alliez mieux. D’ailleurs, le brun recouvra un peu de sérieux en lui demandant quelle était sa situation exacte, craignant probablement que cette recherche immobilière ne soit poussée par une urgence du style ; je n’ai plus de toit sur ma tête. Fort heureusement, elle n’en était pas là mais cela n’enlevait en rien la précarité de sa situation et son besoin pressant de mettre les voiles sans se retourner. Désireuse de le rassurer, Leah laissa un énième sourire éclairer son visage tandis qu’elle le taquinait en partant du principe qu’il n’aurait pas hésité à lui proposer de dormir chez lui, sur son fauteuil, si réellement elle s’était retrouvée à la rue. « Hmmm, qui sait ? » La brune prit un air faussement outré alors que son ami faisait semblant de réfléchir en plongeant les mains dans ses proches. « Mais tu aurais même eu droit au canapé, je prends quand même un peu mieux soin de mes invités. Sans compter que je ne garantis pas que le chat t’aurais laissé squatter son fauteuil, cette sale bête a carrément pris ses aises. » Ah. C’était bon à savoir ; le chat avait donc officiellement une place attitrée, et quelque chose lui disait que le brun avait finalement dû se prendre d’affection pour cette sale bête. « Ça me va droit au cœur, mais j’espère pouvoir me retourner avant de devoir envisager une cohabitation avec Microbe. » Argua-t-elle dans un petit clin d’œil, bien décidée à conserver un ton léger en dépit du caractère oppressant de cette situation de relogement. Elle regrettait amèrement d’avoir abandonné son appartement à Redcliffe au même titre que son indépendance, et la jeune femme en payait désormais les pots cassés. « T’as songé à chercher du côté des colocations, sinon ? Enfin, tu préfères peut-être être tranquille chez toi. » Leah hocha la tête avant de hausser les épaules, un brin défaitiste malgré tout. « Ça m’a traversé l’esprit, mais honnêtement j’ai parfois l’impression que la population de cette ville est cinglée. Si je me retrouve en colocation, ça sera avec des amis… Et pour l’instant, il n’y a rien à l’horizon. » Lâcha-t-elle dans une petite grimace. La brunette estimait avoir passé l’âge de vivre avec des inconnus douteux, surtout à l’aube de la trentaine où chaque jour passé lui rappelait un peu plus l’échec monumental qu’était devenu sa vie. Faire une croix sur un appartement en solo revenait à déclarer forfait et à laisser gagner la personne là-haut qui tirait les ficelles et qui s’amusait à lui faire vivre un enfer, et Leah n’était pas du genre à se laisser faire sans se battre. « Mais je ne m’en fais pas, je vais forcément finir par trouver quelque chose. Tiens, on est arrivé. » Ajouta-t-elle en désignant du bout de l’index l’endroit auquel Tommy avait fait allusion. « Je me sens d’humeur à prendre au moins quatre boules différentes, avec plein de chantilly. » Elle releva un sourcil dans sa direction. « T’as bien dit que tu offrais, pas vrai ? » Décidément, c’était un petit jeu entre eux et la brunette s’en amusait beaucoup, même si au fond d’elle, elle savait déjà que ça serait elle qui payerait pour le remercier de l’avoir accompagnée. « Bon et sinon, tu n’as rien de croustillant à me raconter ? Quelque chose de plus intéressant qu’un appartement au bord de l’effondrement et des rats mangeurs d’homme ? » Lança-t-elle en passant le pas de l’établissement, laissant son regard se perdre sur les différentes saveurs présentées à l’étalage.
Bien qu’elle soit sur le départ et que l’on puisse comprendre aisément qu’elle souhaitait tourner définitivement la page sur sa relation et sur la maison dans laquelle elle s’était déroulée, Tommy était soulagé de savoir que Leah n’était pas encore dos au mur et qu’elle ne risquait pas de se retrouver à la rue si elle n’acceptait pas rapidement la première opportunité – même abusive – qui lui serait soumise. Bien qu’un peu dépitée par le faux espoir de cette visite la jeune femme semblait d’ailleurs en avoir conscience, comme en témoignait la légère grimace de dépit qui lui avait échappé lorsqu’elle avait conclu « Ce qui m’attriste finalement, c’est de me dire que quelqu’un finira par louer ce taudis, faute de mieux. » Et à cela Tommy n’avait pu qu’acquiescer en silence, n’étant que trop familier avec les profiteurs dans ce genre, qui faisaient leurs affaires sur le dos de ceux qui manquaient de moyen ou de possibilités de se retourner. Proposant finalement à Leah d’aller manger une glace, et d’empêcher ainsi que cette après-midi ait été perdue de bout en bout pour tous les deux, il avait maladroitement fait entendre que son modeste canapé – faute de mieux – serait toujours là pour l’accueillir si elle devait se retrouver dans une situation plus compliquée, et puisqu’elle assurait « Ça me va droit au cœur, mais j’espère pouvoir me retourner avant de devoir envisager une cohabitation avec Microbe. » en se fendant d’un clin d’œil il en avait profité pour poser sur la table l’option de la colocation, curieux de savoir si c’était quelque chose auquel elle avait déjà réfléchi, voir qu’elle avait envisagé. « Ça m’a traversé l’esprit, mais honnêtement j’ai parfois l’impression que la population de cette ville est cinglée. » avait-elle alors admis, arrachant à Tommy un léger rire tandis qu’elle poursuivait « Si je me retrouve en colocation, ça sera avec des amis … Et pour l’instant, il n’y a rien à l’horizon. » Etait-ce un mal ou un bien ? Elle ne semblait en tout cas pas entièrement s’en désoler, et avait même fini par ajouter « Mais je ne m’en fais pas, je vais forcément finir par trouver quelque chose. Tiens, on est arrivé. » tandis qu’ils arrivaient effectivement au niveau du glacier. « Je me sens d’humeur à prendre au moins quatre boules différentes, avec plein de chantilly. » Faisant mine de s’en étonner, il avait secoué la tête et arboré son meilleur air de paternel pour commenter « Eh bien, je vois qu’on ne se refuse rien, jeune fille. » poussant peut-être un peu plus Leah à rétorquer d’un ton taquin « T’as bien dit que tu offrais, pas vrai ? » probablement sans grand sérieux. La prenant néanmoins au mot, le brun avait secoué la tête avec l’air de se débattre avec un véritable dilemme, avant de finalement répondre « T’as de la chance que je me sois levée du bon pied ce matin, va. » Autrement dit il était prêt à lui payer même huit boules, un double supplément chantilly et les vermicelles de couleurs qui allaient avec si cela lui faisait plaisir, quand bien même il la connaissait suffisamment maintenant pour savoir qu’elle revirerait au moment de passer à la caisse. « Bon et sinon, tu n’as rien de croustillant à me raconter ? Quelque chose de plus intéressant qu’un appartement au bord de l’effondrement et des rats mangeurs d’homme ? » Croustillant, lui ? Il était plus pantouflard qu’un retraité, et le pire c’est qu’il ne savait même pas s’il valait mieux le déplorer ou s’en réjouir. « Oh, tu sais, je ne voudrais pas que mes péripéties te volent subitement la vedette. » avait-il néanmoins prétendu d’un ton théâtral tandis qu’ils pénétraient dans le commerce du glacier. « Oh si ! Faut que je te raconte un truc, ma fille a de ces idées parfois. » Et ainsi lui avait-il conté la façon dont Moïra était parvenue à lui faire envoyer sa candidature pour une stupide émission de course à travers l’Australie, et ce avec le plus vieux levier du monde : même pas cap’ – une technique infaillible et qu’elle avait probablement appris au contact de sa tante Scarlett. S’il avait su.