Watching the waves of time, break on the shores of mine, I'll just observe and write in words that rhyme. I've seen it all before, stars to the oceans floor, closing my eyes, I'm sure there's so much more. If you wanna know what the future holds, look inside your soul, only then you'll go higher, higher, hyperion. ☆☆☆
« YES ! » Jusqu’ici roulé en boule dans un coin du bureau, Bandit avait relevé la tête avec surprise, et l’avait penchée sur le côté d’un air dubitatif devant la satisfaction à priori sortie de nulle part du bipède de la maison. Mine du crayon à papier pointée dans le vide – les stylos rouges, c’était totalement démodé au pays des études supérieurs – Hassan venait de mettre le point final à la dernière correction de sa pile de copies, et établissait donc un nouveau record personnel en terminant la tache quarante-sept heures avant la fin du délai imposé aux professeurs pour rendre leurs notes, afin de procéder au lissage informatique des moyennes. Une méthode à laquelle le brun n’adhérait pas, peu importe que cela le fasse définitivement basculer du côté « vieux prof grincheux » de la force. Pour Bandit en revanche cela ne changeait rien, sa ration de croquettes serait toujours la même ce soir, mais pour Hassan c’était la satisfaction de voir qu’il n’était que onze heures du matin et qu’il avait tout le reste de la journée devant lui pour faire … Dieu sait quoi, en réalité, mais pouvoir le faire sans la pression ou le sentiment de culpabilité qui l’animait jusque-là chaque fois qu’il choisissait une autre option que celle consistant à s’installer derrière son bureau pour avancer ses corrections. Cette fois-ci il avait fait les choses bien : exit les mauvaises habitudes des trois précédentes sessions d’examens, les copies éparpillées sur la table basse du salon et servant de dessous de tasse à ses litres de the, les relectures jusqu’à pas d’heure comme si l’excuse de ne parvenir à se concentrer avant la nuit n’était pas seulement là pour justifier ses insomnies. Dans la mesure du possible – les exceptions étaient toujours permises – il se couchait à une heure décente et se levait tôt, et ne corrigeait ses copies qu’à son bureau, dont les stigmates du récent cambriolage dont il avait été victime n’étaient désormais plus qu’un mauvais souvenir. Chaque livre avait retrouvé sa place sur les étagères, chaque babiole son tiroir attitré, chaque tableau son crochet sur le mur. Étirant ses bras au-dessus de sa tête dans un soupir d’aise, il avait rangé les copies dans leur enveloppe kraft et s’était levé, déposant l’enveloppe sur le guéridon de l’entrée avant de décréter qu’il avait bien mérité une tasse de thé supplémentaire. Allongé devant la porte-fenêtre de la cuisine, Spike avait levé vers lui un œil morne à son arrivée – le drame du berger allemand résidait actuellement dans le fait de ne pas pouvoir sortir profiter du soleil dans le jardin, mais les incendies qui léchaient Logan City depuis plusieurs jours rendaient l’air extérieur âcre et désagréable, et par précaution le brun préférait limiter le temps de sortie de ses deux boules de poils. « Je sais mon gros, tu serais mieux dehors. » l’avait alors flatté Hassan d’un ton compatissant en passant une main dans sa fourrure. « On ira faire un tour tout à l’heure. » Il devrait faire un saut à Toowong pour déposer ses copies au secrétariat de l’université, alors autant en profiter ensuite pour aller prendre l’air là où il ne sentait ni la fumée ni le charbon.
Bouilloire sur le feu, il avait tout juste eu le temps de remonter prendre une douche avant de faire infuser son thé, et utilisé le temps qu’il refroidisse pour inspecter comme il le faisait tous les jours son armée de plantes vertes, dont il prenait soin presque aussi consciencieusement qu’il le faisait avec Spike et Bandit – une manie dont Tad ou Jean ne manquaient pas de se moquer gentiment lorsque l’occasion leur en était donnée. Onze heures et demi, et ses yeux avaient buté sur la pile de livres – des manuels et des essais empruntés pour rafraîchir une partie de ses cours en prévision de l’année à venir – qui n’attendaient que d’être ramenés à la bibliothèque. S’il partait tout de suite, il pouvait y être pile avant la fermeture méridienne et cela ferait ça de moins sur sa liste de choses à faire. Blouson de moto sur le dos, casque dans une main et clefs du bolide dans l’autre, il avait entassé les livres dans le coffre de selle et fait vrombir le moteur toujours avec ce même plaisir de gamin fier de son jouet. Un autre jour il aurait fait le trajet à pieds, mais la qualité de l’air et le fait qu’il soit bientôt midi l'en avaient dissuadé ; Il était très exactement onze heures cinquante-et-une lorsqu’il s’était garé sur un emplacement réservé et avait pénétré dans la bibliothèque, pile de livres sous le bras. Après avoir adressé un bonjour et un sourire poli à l’employée postée à l’accueil, il avait scanné ses livres sur l’un des postes et abandonné le tout dans le bac à rangement. Pris d’une seconde d’hésitation, jaugeant les alentours du regard, il n’avait pourtant pas fait demi-tour et s’était aventuré à travers les rayonnages à la recherche non pas d’un livre mais d’un visage connu. Et c’est sans surprise entre deux étagères du rayon jeunesse qu'Hassan était tombé nez-à-nez avec Juliana « Je savais bien que je te trouverais là. » Rien de bien difficile à déduire, certes. S’ils avaient régulièrement l’occasion de se croiser dans les couloirs du Saint-Vincent – aux hebdomadaires heures de bénévolat s’étant dernièrement ajoutées celles causées par l'hospitalisation d'Alfie – celles-ci étaient un peu moins courantes en dehors, et s’il n’avait pas connaissance des horaires de travail de la brune il ne pensait pas avoir pris un trop gros risque en tentant sa chance avant de rebrousser chemin. « J’avais des bouquins à rendre, alors je me suis dit que j’allais profiter pour venir voir comment tu allais. » C'aurait été mal le connaître de croire qu’il n’en profiterait pas également pour demander des nouvelles de sa moitié, mais quelque chose lui disait que depuis deux mois on devait le lui demander bien plus souvent que l’on ne s’inquiétait de comment elle allait, elle, aussi préférait-il commencer par cela. « Et voir aussi si tu avais quelque chose de prévu pour ta pause déjeuner ? » Mais il ne voulait pas contrecarrer ses plans si sa pause de midi était déjà occupée.
« Non, non, non, non, non, non ! » Devant le miroir de la salle de bain, j’essaie désespérément de faire remonter la fermeture à glissière de la robe que j’ai choisi de porter pour la journée. Cette dernière se montre absolument réfractaire à toute tentative de ma part et j’arrête presque de respirer alors que j’effectue une énième tentative. Ma main s’arrête comme à chaque tentative au niveau des hanches et je dois me résoudre à accepter l’inacceptable : cette robe est trop petite. Contrariée – déjà parce que je déteste l’idée de ne plus rentrer dans une de mes robes préférées mais aussi parce que ce contre-temps met à mal l’emploi du temps millimétré que j’avais concocté pour la journée –, je ressors de la salle de bain, prenant bien soin de garder sur le dos la robe que je n’ai pas réussie à fermer pour ne pas me balader à moitié à poil devant Anabel, même si cette dernière n’aurait sûrement rien vu compte tenu du fait qu’elle a la tête à moitié plongée dans son bol de céréales et je me demande si je n’ai pas vue une mèche de cheveux tremper dans le lait. Si je n’étais pas aussi agacée, je prendrais sûrement un malin plaisir à faire remarquer à Alfie qu’une petite fille de six ans a réussi à mettre à mal sa volonté en lui faisant acheter une de ces boites industrielle pleine de toutes les cochonneries possibles et imaginables alors que moi je dois cacher les paquets de gâteaux que j’achète sous le lit, pour m’éviter un discours moralisateur – j’exagère à peine –. Je débarque dans la chambre où se trouve Alfie en me débarrassant de l’objet de ma frustration du jour, non sans préciser au passage un petit « elle a rétréci au lavage » alors qu’il ne m’a absolument rien demandé. Je repars aussi rapidement que je suis entrée, une nouvelle robe sous le bras et la sensation que cette journée va vraiment très mal se dérouler. Je passe en mode pilote automatique pour les vingt prochaines minutes, enchainant ma routine quotidienne tout en laissant mes pensées vagabonder vers cette fichue robe et sa fermeture réfractaire, sachant pertinemment que je vais devoir songer très sérieusement à revoir mon alimentation parce que cet événement n’était autre qu’un signal d’alarme que je me dois de prendre en compte. Terminés les grignotages intempestifs et les sorties irréfléchies, aujourd’hui je prends de bonnes résolutions et je me décide à reprendre une alimentation parfaitement équilibrée sans le moindre écart de conduite. C’est pleine de bonne volonté que je quitte l’appartement pour une nouvelle journée de travail, non sans avoir souhaité une bonne journée à Alfie et Anabel, au passage, tentant d’occulter une fois de plus le fait que je subis une énième colocataire forcée assorti d’un rôle de maman de substitution que je n’ai absolument jamais eu envie d’avoir. De toute façon, j’ai bien compris que mon avis n’avait absolument aucune importance, alors autant agir comme si cette situation était parfaitement normale et contribuait au bonheur parfait de mon existence, parce que c’est le cas, après tout, non ? Je nage dans le bonheur, ou en tout cas, je devrais.
Finalement, c’est en naviguant entre les rayonnages de la bibliothèque que je me sens mieux, et même si j’ai très sérieusement envisagé de coller la tête de Billy dans un mur lorsqu’il a sorti de son sac à dos un énorme pain au chocolat bien gras pour accompagner sa lecture, je dois avouer que la journée n’a pas été si catastrophique que ça et je me suis montrée un poil négative ce matin. Je sais bien que ça ne me ressemble pas, j’ai toujours tendance à avoir ce comportement de fille chiante à la Laura Ingalls qui a fortement tendance à gonfler les gens qui se réjouissent de pouvoir se lamenter sur les petits détails négatifs de leur vie même si ces derniers sont insignifiants. De mon côté, j’ai toujours préféré profiter des aspects positifs, ce qui me rend parfois un peu trop utopiste et lorsque je suis rattrapée par la réalité, les dégâts sont certainement beaucoup plus importants que pour ceux qui s’attendaient déjà au pire. En l’occurrence, je considère que le pire est derrière moi et qu’il s’agissait de cet essayage infructueux que je commence d’ailleurs à oublier, ou tout du moins à reléguer dans un coin de ma tête suffisamment lointain pour que ce souvenir ne vienne pas me hanter toutes les trois minutes. L’exercice peut sembler périlleux mais l’apparition d’une tête connue entre deux rayons fait disparaitre d’un coup de baguette toute potentielle difficulté, mes petites humeurs s’estompant rapidement au profit d’un large sourire témoignant de la joie que j’éprouve en voyant Hassan s’avancer vers moi. « Bien vu, Sherlock. » La possibilité que je sois en effet sur mon lieu de travail était grande, mais j’admire le fait qu’il ait tenté le coup sans s’assurer avant de ma présence. « Tu ne prenais pas beaucoup de risque, j’ai quasiment élu domicile ici. » Je plaisante, mais à moitié seulement parce qu’il est vrai que j’ai tendance à faire quelques heurs supplémentaires lorsque le climat de notre chez nous n’est pas propice à un retour rapide. « Tu trouveras mon sac de couchage, allée C, à côté des livres de science-fiction, mais ne le dis pas à mon patron. » Je crois que je pourrais envisager, en vérité, de dormir au milieu des livres, je crois même que j’adorerais ça, mais ce n’est évidemment pas une idée que je souhaite mettre en application dans les jours, mois ou années à venir. Je ne suis pas sûre que mes collègues apprécieraient de me retrouver échevelée, en pyjama, avec une haleine de poney si jamais je loupais mon réveil mais surtout je sais qu’échapper à mon propre foyer pour ne pas avoir à affronter la situation actuelle est quelque chose que j’ai récemment reproché à Alfie ce qui rend impossible que je m’autorise à reproduire la même erreur. « Je suis touchée que tu aies pensé à moi. » Et ce n’est pas une simple formule de politesse, je le suis réellement, parce que je ne m’y attendais pas et que cette attention me fait évidemment très plaisir. « Je suis libre comme l’air, tu m’attends deux minutes ? Je vais chercher mes affaires. » Sans lui laisser le temps de répondre, je file récupérer mon sac et informer ma responsable que je prends ma pause avant de retrouver Hassan resté au rez-de-chaussée. « Tu aimes les sushis ? Il y a un bon restaurant à deux minutes à pieds. » Est-ce que je viens de mettre de côté ma bonne résolution de ce matin ? Probablement ? Mais je ne me vois pas proposer à Hassan des carottes à la vapeur, ce ne serait pas correct après qu’il ait fait tout ce chemin pour venir me proposer de déjeuner en sa compagnie. Mes bonnes résolutions attendront donc demain. « Ca fait longtemps qu’on ne s’est pas croisés, je n’ai pas pu passer à l’hôpital ces derniers temps, j’avais un planning chargé… Mais je vais m’y remettre. Tu continues à y aller ? Vous n’êtes pas trop surchargés ? » J’admets que j’ai un peu laissé l’aspect bénévolat en stand-by après l’hospitalisation d’Alfie, comme la plupart de mes loisirs d’ailleurs, mais il est désormais suffisamment autonome pour que je m’y remette, je n’ai pas vraiment de bonne excuse. « Tu vas bien ? Tu devrais venir déjeuner à la maison quand tu auras le temps, ça serait chouette. » Ou l’art de lancer des invitations pour des repas que je ne cuisine pas, mais en ce moment, j’ai tendance à penser que plus Alfie sera entouré et moins il flippera, et outre l’aspect thérapeutique de ce repas, j’admets que ça me ferait sincèrement plaisir de le voir un peu plus que pendant la petite heure que je suis autorisée à prendre ce midi, on a certainement pas mal de choses à rattraper.
Bien que sa volonté première ait été de rapporter les livres qu’il avait emprunté pour avoir la satisfaction de cocher une case supplémentaire de sa to do list du jour avant que ne sonne midi, l’idée de fureter entre les allées de la bibliothèque pour vérifier que Juliana n’était pas cachée entre deux rayonnages s’était rapidement imposée elle aussi, ne serait-ce que pour profiter de l’occasion – somme toutes assez rare – de la croiser ailleurs que dans l’enceinte de l’hôpital. Et si le brun n’avait pas vu la jeune femme en pédiatrie depuis un petit moment maintenant il ne lui en tenait pas rigueur, bien conscient qu’elle avait actuellement la tête à tout autre chose, et certain qu’elle avait suffisamment vu la couleur du Saint-Vincent au cours des semaines précédentes pour ne plus avoir envie d’y mettre les pieds. « Bien vu, Sherlock. » s’était-elle en tout cas amusée de sa supposition, non sans concéder « Tu ne prenais pas beaucoup de risque, j’ai quasiment élu domicile ici. » sans que le brun ne s’en offense, puisque ne s’étant effectivement pas trop mouillé dans ses conclusions. « Tu trouveras mon sac de couchage, allée C, à côté des livres de science-fiction, mais ne le dis pas à mon patron. » Laissant échapper un bref rire, Hassan avait croisé les bras et s’était calé contre l’une des étagères avec une nonchalance calculée. « Choix intéressant, la science-fiction. Pas celui qui garantit les rêves les plus paisibles cela dit, mais … » Mais tout était une question de goûts, et puis mieux valait ça que de s’endormir au rayon des biographies, les personnages les plus marquants de l’histoire ayant tous cette fâcheuse tendance à cultiver un goût pour les batailles sanglantes ou les retournements de veste dramatiques – de quoi tendre vers des cauchemars plutôt que de doux rêves. « Je suis touchée que tu aies pensé à moi. » avait en tout cas repris la jeune femme, acceptant dans la foulée sa proposition de déjeuner d’un « Je suis libre comme l’air, tu m’attends deux minutes ? Je vais chercher mes affaires. » et détalant aussi sec pour s’exécuter, offrant à Hassan le loisir de s’attarder quelques instants entre les rayonnages, son attention parfois happée par un titre que le petit australien qu’il était se souvenait d‘avoir feuilleté bien avant d’avoir développé du poil au menton. « Tu aimes les sushis ? Il y a un bon restaurant à deux minutes à pieds. » Son sac à main sur l’épaule, Juliana était réapparue presque comme par magie, le brun confirmant d’un « Sushis c’est parfait. » qui valait pour accord et avait servi de signal à ce qu’ils ne rejoignent la sortie de la bibliothèque – et si les deux minutes à pieds étaient un argument non négligeable, c’était sans doute aussi parce que la température extérieure ne rendait valide le fait de marcher en plein soleil que pour se rendre d’un point climatisé à un autre. « Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas croisés, je n’ai pas pu passer à l’hôpital ces derniers temps, j’avais un planning chargé … Mais je vais m’y remettre. Tu continues à y aller ? Vous n’êtes pas trop surchargés ? » Surchargé n’était sans doute pas le mot exact, mais le fait était qu’il y avait toujours quelque chose à faire car, tristement, toujours des enfants avides d’une excuse pour penser à autre chose qu’à la raison qui les gardaient enfermés dans une aile d’hôpital. « Arrête, t’en fais pas … à ta place j’aurais suffisamment vu les couloirs du Saint-Vincent pour avoir besoin d’une pause aussi. » Et cela voulait beaucoup dire venant de lui, et du fait qu’il en avait été prisonnier comme patient durant des mois. Le bénévolat avait beau avoir un côté thérapeutique pour lui, il lui avait d’abord fallu passer par une période d’évitement de cet endroit. « Et puis, en ce moment la lecture a été mise un peu de côté. En revanche je suis devenu un pro des guirlandes de papier crépon et je sais découper au moins sept ou huit motifs d’angelots différents dans des assiettes en carton … Je vais sans doute le rajouter à mon CV, un talent pareil ça mérite de s’en vanter. » Il se moquait gentiment mais en réalité, il espérait bien réutiliser toute cette connaissance nouvellement acquise dans le fait d’occuper les deux aînés de son frère durant leurs traditionnelles vacances d’été chez tonton Hassan – le meilleur tonton, assurément. « Tu vas bien ? Tu devrais venir déjeuner à la maison quand tu auras le temps, ça serait chouette. » Faisant nonchalamment glisser ses lunettes de soleil sur son nez dès l’instant où ils avaient mis le pied à l’extérieur, il avait acquiescé sans que l’on puisse bien dire s’il confirmait qu’il allait bien ou acceptait tacitement l’invitation qui venait de lui être faite. « Pourquoi pas, oui … Une fois que les fêtes seront passées et que j’aurai rendu ses deux petits diables à mon frère. » Ce qui leur laissait encore un peu de temps à Alfie et à elle pour se remettre de leurs émotions dans leur coin avant de recommencer à sociabiliser pour se donner l’impression d’aller mieux. « D’ailleurs je comptais proposer à Alfie de venir passer une après-midi avec nous à la plage, il pourrait emmener la petite – Anabel, c’est ça ? – et toi ça te permettrait de te reposer un peu … ? » Glissant dans la poche de son jean celle de ses mains qui ne tenait pas le casque de sa moto, il avait ajouté « J’veux dire, je suis prêt à mettre ma main à couper que t’es pas tombée sur le convalescent le plus reposant qui soit, uh ? » Bien qu’utilisait le ton de la plaisanterie il y avait à n’en pas douter un fond de vérité là-dedans – un hyperactif comme Alfie ne pouvait être qu’une sacrée paire de manches à canaliser lorsqu’il s’agissait de le forcer au repos. « Promis, je ferai attention à te le ramener en un seul morceau. » avait-il néanmoins jugé bon de préciser, au cas où la jeune femme s’en inquiéterait.
J’ai du mal à croire qu’Hassan soit réellement devant moi. Je ne l’ai pas vu depuis ce qui me semble être une éternité et je me sens un peu minable de m’être laissée à ce point dépasser par les événements survenus dans ma vie au point de laisser de côté mon implication dans le service de pédiatrie qui me tient tellement à cœur habituellement. J’ai mis tellement de temps à réussir à mettre les pieds dans un hôpital après le décès de mon père et je suis vraiment fière d’y être arrivée et de pouvoir me sentir utile à quelque chose lorsque j’y vais, je sais que je ne devrais pas mettre tout ça de côté, parce que tous les enfants enfermés entre quatre murs n’accepteraient pas que je justifie mon absence par un accident, l’arrivée d’une petite fille de six ans et des difficultés à gérer un quotidien qui a été bouleversé en peu de temps. Eux aussi ont leur quotidien bouleversé et ils ont besoin des bénévoles pour que leurs journées paraissent un peu moins longues. Mais Hassan se montre compréhensif et je souris alors que nous nous dirigeons vers la sortie de la bibliothèque pour profiter de ce déjeuner improvisé. « Une toute petite pause alors, je reviendrais vite c’est promis. » Je ne sais pas si c’est une promesse que je fais à Hassan ou plutôt à moi-même, je crois que j’ai besoin d’arrêter de me trouver des excuses pour ne pas faire tout ce qui me tenait à cœur auparavant. Certes, ça a été très compliqué mais heureusement pour nous, la vie continue et j’ai de la chance de pouvoir encore contribuer à rendre l’hospitalisation de tous ces jeunes un peu plus supportable. « Tout à fait, je suis incroyablement admirative, si tu décides de lancer ta propre société de guirlande en papier crépon, je serais une de tes plus fidèles clientes. » Je me moque gentiment, bien que touchée par le dévouement d’Hassan et sa motivation sans limite. La vie ne lui a pas toujours fait de cadeau et pourtant il tente de donner encore et toujours du bonheur aux autres. Parce qu’il a expérimenté lui-même les couloirs de l’hôpital pendant bien trop longtemps, il sait que ce que ça fait de se retrouver là et de se sentir impuissant face à une maladie encore mal maitrisée malgré les progrès faits par la science. « Tu peux aussi tenter la décoration de pots de yaourt en verre pour en faire des portes-bougies si jamais tu es à court d’idée, ou alors la confection de pochoirs pour fausse-neige à mettre sur les fenêtres. » Noël est une de mes périodes préférée et même si la neige n’est pas vraiment un symbole de cette période en Australie – bien au contraire – j’aime tous les clichés qui vont avec ces fêtes et c’est avec plaisir que j’ai décoré notre appartement cette année, accompagnée par une Anabel survoltée et très enthousiaste. J’ai eu du mal à accepter la présence de la petite fille parmi nous, et encore maintenant c’est parfois un peu difficile, mais je suis ravie de la voir heureuse après tout ce qu’elle a eu à traverser et encore plus ravie de contribuer à son épanouissement et à sa stabilité. Anabel n’a pas pu prétendre avoir une vraie famille depuis bien longtemps et même si aucun lien biologique ne m’unit à elle, je m’attache suffisamment à cette demoiselle pour la considérer comme un membre à part entière de notre famille, à présent. De duo nous sommes passés à trio, désormais, et même si ce n’était pas comme ça que j’envisageais l’évolution de notre couple, je crois que je comme à réaliser que la présence d’Anabel à nos côtés est quelque chose de bénéfique. « Ils ont quel âge maintenant les deux petits monstres ? » Je demande alors que nous marchons sur le soleil brûlant jusqu’à la porte du restaurant. « Je suis sûre qu’il sont surexcités par ces vacances chez tonton, tu as prévu le stock de vitamines pour tenir le coup ? » Inutile de préciser qu’Hassan va se retrouver sur les rotules après ces vacances, mais je sens que ça lui fait vraiment plaisir et je suis ravie qu’il puisse s’investir dans la vie de ses neveux autant qu’il le souhaite. Sa proposition d’une après-midi plage pour Alfie et Anabel me parait plus qu’appropriée et bien que je sois un peu surprise de ne pas être conviée, je comprends que son geste n’est pas motivé par une tentative d’éloignement mais plus par une envie de me laisser souffler un peu. « J’ai une si sale tête que ça ? » Je demande en souriant bien que touchée par son envie de me venir en aide. « Je lui demanderais, je suis sûre cette sortie lui fera plaisir, et je pense que je n’ai même pas besoin de demander à Anabel si ça lui convient avant de te donner sa réponse. » De toute façon quel enfant renoncerait à une sortie plage ? Je n’en ai encore rencontré aucun et à cette période de l’année, le rayon jeunesse de la bibliothèque est un peu moins surchargé, les enfants venant simplement pour emprunter de nouveaux bouquins et non pour passer l’après-midi à éviter les intempéries. Avoir un peu moins de travail à faire n’est pas plus mal, je dois le reconnaitre, mon livre est en stand-by depuis septembre, je vais beaucoup moins à la natation et je viens de promettre à Hassan de reprendre mes visites à l’hôpital, un peu de temps libre devrait me permettre de m’y remettre un peu plus rapidement. « Oh j’ai l’habitude, reposant n’est pas vraiment un qualificatif qui s’applique à Alfie, qu’il soit convalescent ou non. » Et son hyperactivité fait partie de ce qui m’a attirée chez lui, parce qu’il est tellement plus impulsif et spontané que moi – ce qui n’est pas difficile – et que j’ai toujours pris plaisir à le suivre dans ses idées farfelues pour me pousser à sortir du cadre un peu trop strict de ma vie. Toutefois, Hassan n’a pas tort, le repos est difficile à trouver en ce moment et les nuits mouvementées de mon petit-ami y sont pour quelque chose, mais je n’ai pas l’intention de m’apitoyer sur mon sort. On s’en sort bien finalement et il se remet doucement, c’est le principal. « Tu ne devrais pas faire une telle promesse, tu sais, il est super doué pour réussir à ne pas revenir en un seul morceau même d’une activité qui pourrait sembler malade. Sa carte de fidélité pour les urgences en atteste. » J’ai pris un ton léger qui contraste avec ce que je ressens à chaque fois que je repense à ce deuxième coup de téléphone bien trop angoissant en provenance de l’hôpital. J’espère que ce sera le dernier cette fois, c’est beaucoup trop douloureux à encaisser à chaque fois. Je tiens la porte du restaurant pour permettre à Hassan d’entrer et je demande une table pour deux personnes à laquelle nous nous asseyons. Un serveur souriant nous apporte les menus et j’ouvre le mien en sachant pourtant que je prendrais sûrement la même chose que d’habitude. « Si ça peut t’aider à faire un choix les california à l’avocat sont une tuerie et j’adore aussi les makis au thon et à la tomate. » Mais en réalité, si je pouvais prendre des échantillons de la totalité de la carte et m’en faire un menu, je crois que c’est exactement ce que je ferais. « On parle de moi, mais puisque tu as fait tout le trajet jusqu’ici, sache que tu vas avoir droit à un interrogatoire digne des plus grands inspecteurs de police, je veux tout savoir ! Qu’est-ce que tu deviens ? Quels sont tes projets en dehors de tes vacances familiales ? » Parce qu’il a affronté beaucoup d’épreuves qu’il n’aurait pas dû avoir à subir, j’ai particulièrement envie que les nouvelles soient bonnes pour lui. Hassan a le droit d’être heureux lui aussi.
Le fait qu’elle ait provisoirement joué les absentes au service pédiatrique de l’hôpital faisait réaliser à Hassan qu’il n’avait que peu d’occasions de croiser Juliana dans d’autres circonstances – et quand bien même leur rôle de bénévole consistait à insuffler un peu de gaité à ses enfants qui avaient toutes les raisons du monde d’en manquer, il y avait au demeurant d’autres endroits plus joyeux où installer ses habitudes avec quelqu’un. Bien que ce n’ait pas été l’idée de base, il avait donc sauté sur l’occasion de la croiser sur son lieu de travail pour lui proposer d’aller déjeuner, certain qu’elle ne serait pas contre la perspective de discuter de la pluie et du beau temps avec quelqu’un si la possibilité lui en était donnée ; Et si le brun en venait à sentir que c’était effectivement le cas, l’idée de parler météo entre midi et deux ne lui poserait pas le moindre souci. Pour l’heure, il s’était contenté de chasser d’un geste de la main l’idée selon laquelle elle devait avoir à se justifier d’avoir momentanément mis de côté ses activités de bénévole. Personne ne lui en tenait rigueur, cela tombait sous le sens. « Une toute petite pause alors, je reviendrais vite c’est promis. » avait-elle pourtant assuré avec légèreté, et acquiesçant d’un signe de tête le brun s’en était donc tenu à lui donner des nouvelles de ce qui se tramait dans la salle de jeu actuellement. À son grand désespoir la lecture avait été reléguée à plus tard, mais qui sait si tous ces travaux manuels – dont Juliana n’avait pas manqué de lui donner quelques idées supplémentaires – ne lui permettraient pas à terme d’occuper convenablement les enfants de Qasim si par malheur le temps devait tourner à l’orage … Et compte-tenu des incendies en cours actuellement, tous l’espéraient un peu. « Ils ont quel âge maintenant les deux petits monstres ? Je suis sûre qu’il sont surexcités par ces vacances chez tonton, tu as prévu le stock de vitamines pour tenir le coup ? » Prenant le temps de quelques secondes pour ne pas dire de bêtise, il avait commencé par indiquer « Hm, Ava huit ans et Medhi sept ans, du coup. Et le petit dernier a eu un an en août dernier. » non sans se faire la remarque que Dieu que le temps passait vite. Secouant cependant la tête à la seconde question, il avait répondu non sans une certaine fierté – volontairement exagérée – face à son propre sens de l'organisation « Mais c’est précisément pour ça que je les prends avec moi la première partie de juillet : ça me laisse toute la seconde pour me remettre à peu près dignement avant la rentrée. » CQFD, et clin d’œil amusé. « Non pour de vrai, je suis content de les avoir à nouveau cette année. L’été dernier mon frère et ma belle-sœur ont préféré ne pas bouger de Sydney avec le bébé et tout, et je dois avouer que ça m’a manqué … » Il était bien allé leur rendre visite quelques jours, mais ce n’était jamais pareil que d’avoir les enfants pour lui seul pendant une quinzaine de jours, et c’était un rituel auquel il avait fini par s’habituer – sans compter que cela faisait aussi des vacances à Qasim et Olivia, inutile de se mentir. Puisqu’il en était à vanter ses propres talents de baby-sitter, Hassan avait par ailleurs fait part à Juliana de son intention de proposer à Alfie de l’accompagner à la plage et d’emmener la tête blonde qui naviguait désormais sous leur toit. Une bonne excuse pour sortir un peu l'anthropologue et l’empêcher de tourner en rond dans son appartement tel un lion dans une cage, et une bonne occasion pour sa dulcinée de profiter d’un peu du calme dont elle devait manquer actuellement. « J’ai une si sale tête que ça ? » en avait aussitôt tiré la jeune femme, Hassan congédiant l’idée d’un geste de la main avant de la laisser répondre « Je lui demanderais, je suis sûre cette sortie lui fera plaisir, et je pense que je n’ai même pas besoin de demander à Anabel si ça lui convient avant de te donner sa réponse. » Le visage se fendant d’un sourire, les enfants étant sur certains aspects véritablement tous les mêmes, il avait assuré « Je note ça dans un coin de ma tête alors … Et évidemment si tu préfères venir avec nous y’a aucun souci, au contraire. » et espérait ne pas avoir faussement donné l’impression de vouloir l’exclure de l’expédition. Reste que semblant totalement consciente de l’énergumène avec lequel elle choisissait de partager sa vie, elle n'avait pas cherche un seul instant à nier lorsqu’Hassan avait mis son éventuel besoin de calme sur le compte du fait de ne pas avoir affaire au convalescent modèle. « Oh j’ai l’habitude, reposant n’est pas vraiment un qualificatif qui s’applique à Alfie, qu’il soit convalescent ou non. » Laissant échapper un léger rire, signe qu’elle marquait un point, il avait néanmoins promis de lui ramener sa moitié en un seul morceau – ou au moins de tout faire pour. « Tu ne devrais pas faire une telle promesse, tu sais, il est super doué pour réussir à ne pas revenir en un seul morceau même d’une activité qui pourrait sembler banale. Sa carte de fidélité pour les urgences en atteste. » Ça, Alfie avait de la chance d’avoir la tête dure, quand bien même cette comparaison n’était peut-être pas des plus bienvenues dans l’état actuel des choses. « Mais Alfie ne serait pas vraiment Alfie sans un bobo quelque part, right ? » avait-il dès lors préféré en plaisanter, avant d’ajouter d’un ton néanmoins – un peu – plus sérieux « Pas d’imprudence, promis … De toute façon il sera bien forcé de montrer le bon exemple devant les enfants, s’il ne veut pas passer le voyage du retour dans le coffre en pénitence. » Et qu’on se le dise, si Hassan pouvait parfois – bien moins souvent depuis quelques années, cela dit – oublier lui aussi de faire preuve de prudence, son comportement changeait radicalement en présence d'Ava et Medhi, dont il refusait de risquer ne serait-ce qu’un cheveu.
Arrivés à destination, ils avaient gagné l’intérieur du restaurant et poussé le même bref soupir de soulagement en retrouvant la fraîcheur de l’air climatisé. Si leur pause déjeuner – ou celle de Juliana, en l’occurrence – venait à s’éterniser il ne faudrait pas tant chercher du côté du contenu de leur assiette que de celui de la température ambiante. Amenés à leur table par un serveur souriant qui leur avait apportés chacun un menu la seconde suivante, ils avaient pris place et remercié ce dernier. « Si ça peut t’aider à faire un choix les california à l’avocat sont une tuerie et j’adore aussi les makis au thon et à la tomate. » Lui qui n’avait que moyennement faim jusqu’à présent sentait son appétit s’ouvrir à mesure que ses yeux parcourait le menu, et après quelques instants de réflexion il avait décidé de suivre le conseil de Juliana et décidé « Je vais prendre un chirashi de saumon, et avec je vais te faire confiance pour les California à l’avocat. Tu veux boire quelque chose ? » Lui opterait pour un thé, l’une de ses solutions de repli favorite quelque soit l’heure de la journée, mais ce n’était pas forcément au goût de tout le monde. Reposant son menu devant lui dans l’attente que l’on vienne s’enquérir de leur commande, il avait saisi la carafe d’eau à leur disposition et leur en avait versé un verre à chacun pendant que Juliana reprenait « On parle de moi, mais puisque tu as fait tout le trajet jusqu’ici, sache que tu vas avoir droit à un interrogatoire digne des plus grands inspecteurs de police, je veux tout savoir ! Qu’est-ce que tu deviens ? Quels sont tes projets en dehors de tes vacances familiales ? » L’enthousiasme de la bibliothécaire lui avait arraché un sourire, après quoi il avait pris le temps d’une gorgée d’eau. « J’aimerais te dire que j’ai des milliards de choses à te raconter, mais la vérité c’est que je sors à peine du tunnel des corrections d’examen et que je me sens comme un prisonnier qu’on vient de remettre en liberté et qui réalise que le monde continuait de tourner pendant qu’il hibernait. » D’accord, il en rajoutait peut-être un peu … Juste un peu. « Mais pour ce qui est des vacances … Je ne sais pas encore trop. » Son verre restant en suspens quelques instants, il en avait bu une seconde gorgée avant de finalement le reposer et de hausser les épaules. « J’ai songé partir quelques jours avec une amie, mais on a laissé tomber. Du coup je vais probablement rester dans le coin, voir un peu de monde, avancer un peu les travaux dans la maison … » Plus que de ne pas partir en vacances ensemble, Gwen et lui avaient décidé de ne pas se voir durant cette période, estimant que la pause leur serait peut-être bénéfique … Bénéfique pour quoi, eux seuls le savaient. « Et je descendrai probablement quelques jours à Sydney rénover deux-trois trucs dans l’appartement. Est-ce que je l’avais mentionné ? Mon frère et moi on a acheté un appartement y’a quelques semaines … Principalement pour que je puisse aller et venir sans être dans leurs pattes à ma belle-sœur et lui à chaque fois, et pour le louer aux touristes le reste du temps. » Marquant une pause, il avait ajouté « Même s’ils font une grossière erreur en préférant visiter Sydney plutôt que Brisbane, mais bon, nul n’est parfait. » d’un ton faussement moqueur, au moment où le serveur revenait prendre leurs commandes. Attendant patiemment qu’il tourne les talons pour reprendre le fil de leur conversation, Hassan avait reposé les yeux sur Juliana. « Je me doute qu’avec les soucis d’Alfie et l’arrivée de la petite, ce n’est pas vraiment l’été que vous aviez prévu … Ça se passe bien malgré tout ? » Il ne voulait pas avoir l’air de faire preuve de curiosité mal placée. Il était admiratif dans un sens, prendre la responsabilité d’un enfant, celui de quelqu’un d’autre qui plus est, était déjà un chamboulement en soit, et à la lueur des derniers événements et de la discussion qu’il avait eu avec Alfie quelques mois plus tôt à propos de Juliana, le timing n’était sans doute pas des plus idéal … Et pourtant ils avaient accepté, et c’était tout à leur honneur aux yeux du brun.
Le temps passe une vitesse complètement dingue et j’évite de faire cet amer constat en temps normal, désireuse de m’éviter une session déprime et nostalgie, comme lors de chacun de mes anniversaires. Toutefois, lorsque l’âge des neveux d’Hassan est évoqué – comme pour tout enfant dont j’aurais suivi l’évolution de loin – je ne peux pas m’empêcher de ressentir l’énorme claque de cette annonce. Huit ans, sept ans et un an ? Il vient de naitre le petit dernier, non ?! Et pourquoi Ava a huit ans alors qu’il y a encore peu de temps, elle en avait seulement six ?! En même temps, il y a peu de temps, Anabel avait quatre ans et je me souviens suffisamment bien de son goûter d’anniversaire pour savoir que ce n’est plus le cas, à présent. « Déjà ?! » Je m’étonne, en sachant pertinemment qu’Hassan ne pourra que confirmer ses propos. « Ils ne te confient pas encore le petit, si ? » Non pas qu’il soit incapable de s’occuper d’un enfant de un an, bien au contraire, mais je voudrais souhaiter bon courage à Hassan si jamais il a véritablement décidé de s’occuper de trois enfants en même temps dont un en bas âge. Je reste cependant admirative de son dévouement envers sa famille, il doit avoir un lien très fusionnel avec ses neveux et nièces, bien plus que celui que j’entretiens avec les enfants d’Edward que je ne peux voir qu’à de rares occasions. Si ça ne tenait qu’à moi, bien sûr, je m’en occuperais davantage, mais ma belle-sœur est une bonne rivale concernant la psychorigidité et j’ai du mal à lui faire lâcher prise pour qu’elle m’accorde ma place de tante. J’ai donc un peu laissé tomber avec le temps, et même si je continue à trouver cette distance tout à fait regrettable, j’ai bon espoir que nous puissions rattraper le temps perdu lorsqu’ils seront assez grands pour s’intéresser de plus près à leur arbre généalogique. « C’est vraiment super que vous puissiez passer une partie des vacances ensemble. » D’autant plus que ce ne sont pas les activités qui manquent à Brisbane et je suis certaine qu’Hassan va redoubler d’inventivité pour les occuper, d’autant plus s’il n’a pas pu profiter de leur présence depuis plus d’un an suite à la naissance de leur petit frère. Une journée à la plage en compagnie d’Alfie et d’Anabel est évidemment une excellente idée, déjà parce que les enfants prendront certainement plaisir à s’amuser ensemble et parce qu’il s’agit d’un très bon moyen de venir à bout du trop-plein d’énergie des deux enfants qui partagent désormais ma vie. L’idée de rester sur la touche me déplait autant qu’elle me séduit et j’ai parfaitement conscience qu’un peu de calme et de tranquillité me sera plus que bénéfique. « La dernière fois que je suis allée à la place, c’était pour une tentative infructueuse de dompter une planche de surf. » J’avoue, en souriant, me souvenant sans mal de la blessure minuscule en résultant et de la manière dont j’ai joué les martyres pour me faire plaindre. « Alors je crois que je vais passer mon tour. » On ne dirait pas, comme ça, mais c’est fourbe les grains de sable et très dangereux lorsqu’on a deux mains gauches.
Attablés au restaurant, nous commandons tous les deux notre déjeuner. « Un thé au jasmin. » J’indique au serveur alors qu’Hassan me demande si je boirais quelque chose. Il me rejoint rapidement dans la team théine à la place de l’alcool et une fois que le serveur est parti, nous reprenons le cours de notre conversation. Bien sûr, j’en profite immédiatement pour tenter de rattraper tout ce que j’ai loupé dans sa vie suite à mon absence de l’hôpital. Nos rencontres régulières nous permettaient auparavant de nous tenir informés de nos vies respectives, mais maintenant que je joue les déserteurs, j’admets que la manière dont Hassan gère son quotidien est un peu floue. Je me sens un peu coupable, bien sûr, car même en sachant que mon excuse n’est pas la plus mauvaise, je déteste me rendre compte que j’ai – sans le vouloir – délaissé mes proches alors que ces derniers sont toujours là pour moi. Mais il parait que rien n’est trop tard pour bien faire alors j’écoute avec attention les nouvelles – ou plutôt les non-nouvelles, d’après ses propres dires – qu’il a à me donner. « Tu veux dire que c’est la première fois en trois semaines que tu vois la lumière du jour ? » Je plaisante, tout en sachant que je ne dois pas être si loin que ça de la réalité. « Je suis honorée que tu me consacres tes premiers instants de remise en liberté. » J’ajoute, réellement ravie qu’il ait songé à venir me voir. « Si jamais tu te sens un peu perdu, c’est avec plaisir que je te guiderais à travers Brisbane. » Qui n’a évidemment pas changé d’un millimètre en trois semaines, qu’on se le dise, et il faudra bien que je retourne bosser, de toute façon. Toutefois, l’idée de flâner dans les rues au lieu de travailler ne me parait pas si désagréable, d’autant plus que je fais malheureusement partie de tous ces gens qui parcourent leur propre ville en regardant le trottoir au lieu de s’intéresser à toutes les merveilles qu’elle a à offrir. « C’est dommage d’avoir laissé tomber, le voyage était hors budget ? » Je demande, curieuse de savoir ce qui a fait tomber ce projet à l’eau. « Mais le repos c’est bien aussi, surtout si tu dois aller rénover un appartement ensuite. » Et effectivement, j’ignorais cet achat, et je suis vraiment contente pour lui. « C’est génial en tout cas, je suis très contente pour toi ! Tu pourras rendre visite à ton frère plus souvent, tu as des photos ? Il y a beaucoup de travaux à faire ? » Trop de questions, sûrement, mais je laisse parler mon enthousiasme c’est plus fort que moi. Hassan s’informe des bouleversements de ma vie, à son tour, et l’arrivée du serveur avec nos thés et nos plats en équilibre instable sur un plateau demande une trêve dans notre conversation. « J’ai tellement faim. » Je regarde avec envie l’appétissante assiette devant moi, avant de revenir au sujet initial. « Anabel est vraiment une petite fille merveilleuse, elle a beaucoup souffert pourtant, et c’est elle qui nous tire vers l’avant et qui nous apprend à profiter de la vie, je trouve ça formidable. » J’admets, préférant commencer par le positif. « Mais c’est vrai que c’est compliqué, nous n’avons pas d’expérience en tant que parents, et pourtant c’est un peu ce qu’on est devenu, ça demande un petit temps d’adaptation. » Compliqué est mon mot préféré en ce moment, mais je ne trouve pas de meilleur qualificatif pour décrire la situation. « On s’en sort quand même, on a quelques ratés, mais dans l’ensemble, je trouve qu’on se débrouille bien. » Anabel fait partie intégrante de mon quotidien pour une durée indéterminée, alors j’ai plutôt intérêt à envisager tout ça de manière positive. « Et ça ne peut aller que de mieux en mieux avec le temps. » Que Dieu entende ma prière.
Le temps passait si vite. Il était parfois facile de ne pas s’en apercevoir si l’on se laissait glisser dans le confort douillet d’une routine quelle qu’elle soit, et s’il aurait pu en être de même pour Hassan l’existence de sa nièce et de ses deux neveux suffisait à le ramener sur terre. Ava et Medhi semblaient avoir pris une tête de plus chaque fois qu’il les voyait, Reda n’avait déjà plus rien d’un nouveau-né, et comme tous les enfants ils étaient les témoins les plus objectifs du temps qui filait à toute allure, particulièrement pour ceux qui, comme leur oncle, ne les voyaient qu’épisodiquement. « Déjà ?! » s’en était d’ailleurs également étonnée Jules, sans doute prise de la même réalisation, avant de questionner plus pragmatiquement « Ils ne te confient pas encore le petit, si ? » Secouant la tête pour répondre par la négative, il s’en était justifié d’un « Pas encore, non. » et avait ajouté sur le ton de la fausse confidence « Entre nous, je pense que trois semaines sans le petit dernier ça participe au sentiment de vacances des deux plus grands. » Medhi surtout semblait avoir un peu de mal à se faire à cette nouvelle organisation familiale dans laquelle il n’était plus le bébé de la maison, mais rien qui ne finirait pas par passer avec le temps, sans doute. « C’est vraiment super que vous puissiez passer une partie des vacances ensemble. » avait en tout cas conclu la jeune femme à ce sujet, ce à quoi Hassan avait acquiescé d’un signe de tête satisfait, profitant de ce que le sujet s’y prête pour lui faire part de son intention de réquisitionner Alfie pour une journée plage – sans préciser qu’il en fallait tout simplement au moins un qui sache nager et puisse aller faire trempette avec les enfants – en y incluant bien évidemment Anabel, voir même elle si elle ne préférait pas profiter de l’occasion pour retrouver un peu de silence et de sérénité dans un appartement qui ne devait pas l’avoir été depuis bien longtemps. « La dernière fois que je suis allée à la plage, c’était pour une tentative infructueuse de dompter une planche de surf. » avait-elle alors admis, d’un ton qui laissait penser que ce souvenir-là ne resterai pas dans ses anales personnelles. « Alors je crois que je vais passer mon tour. » Ne voyant alors pas d’intérêt à tenter d’insister, le brun s’était contenté de faire valoir d’un ton léger « Pas de souci. Tu sais qu’il y aura une place pour toi si tu changes d’avis, de toute façon. » et le sujet en était resté là. Ne restait plus qu’à en informer Alfie, maintenant.
Interrompus brièvement par l’arrivée du serveur pour s’enquérir de leur commande, l’un et l’autre avaient fait le détail de ce qu’ils souhaitaient déjeuner et en avaient profité pour commander du thé, jasmin pour l’une et menthe pour l’autre, Hassan remplissant en attendant leurs deux verres avec la carafe d’eau mise à leur disposition pendant que Jules prenait des nouvelles avec le sentiment de ne pas l’avoir fait depuis une éternité. Et peut-être était-ce le cas, mais en vérité ces trois semaines de correction intense dont il sortait lui donnaient autant l’impression d’avoir duré cent ans que d’être passées en un claquement de doigts. « Tu veux dire que c’est la première fois en trois semaines que tu vois la lumière du jour ? » Pour seule réponse il avait dodeliné la tête, l’air de dire que sans être tout à fait cela elle touchait à quelque chose qui s’en approchait. « Je suis honorée que tu me consacres tes premiers instants de remise en liberté. Si jamais tu te sens un peu perdu, c’est avec plaisir que je te guiderai à travers Brisbane. » Un léger rire lui échappant, il avait posé une main sur son cœur de manière théâtrale « Mais tout l’honneur est pour moi. Et c’est très généreux de ta part, j’espère quand même que les choses n’ont pas trop changé et que les coffee shop sont toujours légion, je me remets déjà à peine de la disparition des vidéoclubs. » Tant de charme quinze ou vingt ans plus tôt, à revenir le vendredi soir avec un carton de pizza et le film méticuleusement choisi dans les rayonnages. Heureusement il restait les bibliothèques. Mentionnant vaguement ses projets de vacances avortés avec Gwen, Hassan avait secoué la tête lorsque la jeune femme avait hasardé « C’est dommage d’avoir laissé tomber, le voyage était hors budget ? » et répondu d’un ton qui se voulait détaché « Oh, non. Mais disons que les vacances à deux c’est un cap un peu symbolique, et qu’on n’en est peut-être pas encore là en fin de compte … » À peu près pour les mêmes craintes d’engagement que celles le poussant à continuer de présenter Gwen comme une amie lorsqu’il parlait d’elle, quand bien même ils se fréquentaient depuis plus d’un an. « Mais le repos c’est bien aussi, surtout si tu dois aller rénover un appartement ensuite. » avait en tout cas repris Jules, après qu’il ait rebondi en mentionnant son récent achat immobilier en Nouvelle-Galles du Sud. « C’est génial en tout cas, je suis très contente pour toi ! Tu pourras rendre visite à ton frère plus souvent, tu as des photos ? Il y a beaucoup de travaux à faire ? » Extirpant son téléphone de la poche de son jean, il avait fouillé sa galerie à la recherche de quelques clichés pris par son frère lorsqu’il avait fait la première visite, et les avait fait défiler sous le regard de la jeune femme. Il ne s’agissait que d’un studio, une pièce unique au-dessus de laquelle une mezzanine se dressait pour servir de coin nuit, mais dont les murs de briques avaient séduit les deux frères et laissaient espérer à un brin de fraîcheur durant les chaleurs estivales. « Pas de gros travaux non, principalement du rafraîchissement. C’est pas très grand, mais c’est super bien placé et juste à côté de l’université. » Un point qui lui tenait à cœur puisqu’il espérait resserrer des liens professionnels avec le département de relations internationales du campus de Sydney.
Trêve de bavardages, juste le temps pour le serveur de revenir avec leur repas et pour Hassan de se faire la remarque silencieuse que la nourriture japonaise était le meilleur compromis lorsque l’on ne souhaitait pas attendre son plat trois siècles ; Tout était cru, le gain de temps en cuisine était non-négligeable. « J’ai tellement faim. » Et lui donc. D’autant plus après trois semaines à grignoter et se nourrir de congelé par flemme de cuisiner entre deux corrections. Estimant néanmoins avoir suffisamment parlé de lui, le brun avait attendu que le serveur s’éloigne pour reprendre la parole, soucieux que les dernières mésaventures d’Alfie mais aussi l’emménagement surprise d’un humain miniature dans leur appartement ne soient beaucoup de chamboulements pour une Juliana qu’il savait – Alfie le répétait assez – habituée à ne rien laisser dépasser dans son quotidien, qu’elle préférait organisé. « Anabel est vraiment une petite fille merveilleuse, elle a beaucoup souffert pourtant, et c’est elle qui nous tire vers l’avant et qui nous apprend à profiter de la vie, je trouve ça formidable. » avait-elle alors commencé par assurer, comme si elle craignait qu’Hassan ne lui prête de mauvaises pensées, avant de nuancer malgré tout « Mais c’est vrai que c’est compliqué, nous n’avons pas d’expérience en tant que parents, et pourtant c’est un peu ce qu’on est devenu, ça demande un petit temps d’adaptation. » Hochant la tête pour faire signe qu’il comprenait, il l’avait tout de même laissée conclure « On s’en sort quand même, on a quelques ratés, mais dans l’ensemble, je trouve qu’on se débrouille bien. Et ça ne peut aller que de mieux en mieux avec le temps. » sans interrompre, et contre toute attention la dernière partie de sa phrase lui avait fait changer l’ordre des questions qui lui étaient venues en tête pour lui faire demander d’abord « Vous savez jusqu’à quand elle va rester avec vous ? » car contre toute attente, Alfie s’était montré assez évasif sur les raisons qui avaient poussé le père de cette petite à la laisser du jour au lendemain, et encore plus sur le temps que cela était supposé durer. « En tout cas j’imagine que c’est un temps d’adaptation, oui, ça chamboule toutes les habitudes. Mais j’ai aucune doute sur le fait que cette petite est entre de bonnes mains avec vous deux. » Et cela faisait une expérience, une occasion de voir comment ils s’en sortiraient s’ils devenaient véritablement parents un jour … « Et puis il n’y a pas vraiment de mode d’emploi ou de recette magique concernant les enfants, de toute façon … Je suppose que ça s’apprend un peu sur le tas. » Du moins c’était l’impression que lui avait toujours donné Qasim, n’ayant pas vraiment la fibre paternelle au premier abord et littéralement terrifié avant qu’Ava ne vienne au monde … Et malgré cela son frère ne s’en sortait pas si mal, trois enfants plus tard. « Enfin, pour ce que j’en sais. » Réalisant qu’il pouvait passer pour donnant son avis sur un sujet sur lequel il n’avait lui-même pas d’expérience, il avait préféré nuancer pour ne pas sembler présomptueux. Après tout il n’était que l’oncle sympa chez qui l’on venait en vacances, et pour son plus grand désespoir il en serait peut-être toujours ainsi … Un vague soupir lui échappant, il avait finalement baissé les yeux vers son chirashi et attrapé ses baguettes le temps de se redonner une contenance.
J’ai toujours eu tendance à penser que le temps passait beaucoup trop vite, mais je trouve que c’est encore plus flagrant quand des enfants interviennent dans l’équation. Ils sont si petits à la naissance et quelques années plus tard – qui donnent souvent l’impression d’être des jours tant elles sont passées vite – ils ont le nez dans leur téléphone portable, apportant des réponses laconiques face aux propos des « adultes » considérés certainement comme trop vieux pour faire partie de leur petit monde. A chaque fois que je vois les enfants de mon frère ainé, je me prends un coup de vieux considérable alors je n’ose même pas imaginer ce que ça serait avec les miens. Enfin, j’imagine que c’est aussi le fait de ne pas encore avoir fondé ma propre famille qui rend si compliqué pour moi de voir le temps qui passe. J’ai l’impression qu’on me vole des années que j’aurais pu passer à construire quelque chose qui me tient à cœur, mais je ne peux pas aller aussi vite que je le voudrais, alors je prends mon mal en patience et tente tous les jours de me convaincre que ma vie, telle qu’elle est à présent, vaut autant la peine d’être vécue que celle que j’aurais en portant et en donnant la vie. Après tout, faire un enfant, c’est accepter de sacrifier son confort personnel, ses loisirs, ses vacances bien reposantes et tout un tas d’activités qui ne sont pas vraiment kid friendly. C’est en tout cas ce dont j’essaie de me persuader alors que mon subconscient me hurle le contraire et sait parfaitement que mon épanouissement ne se trouve pas dans une vie de couple sans enfant. Je n’ai jamais été très attirée par les voyages, ou par les découvertes quelles qu’elles soient si ce n’est pas pour les partager avec ces petits êtres avides de connaissance qui ouvriront de grands yeux émerveillés face à chaque nouveauté. Je me garde toutefois de prononcer ces paroles à voix haute, me contentant de rire lorsqu’Hassan évoque la tranquillité éprouvée par les ainés de la fratrie en l’absence de leur cadet. Pour avoir été à la tête – plus ou moins – d’une grande famille pendant de nombreuses années, je comprends parfaitement ce qu’il veut dire, ce n’est pas pour rien si la bibliothèque était devenue mon Q.G. J’ai toujours aimé profondément mes frères et sœurs, mais un peu de silence était salvateur. Malgré mon affection pour Alfie et Anabel, je dois avouer que la perspective d’une virée à la plage qui me laisserait l’appartement pour moi route seule n’est pas déplaisante et si je suis reconnaissante envers Hassan de m’inclure dans l’invitation, je crois que je serais heureuse de me désister pour cette fois.
Le départ du serveur venu s’enquérir de nos souhaits me permet de relancer Hassan sur les éventuelles nouvelles qu’il aurait à donner. J’ignorais la vie d’ermite qu’il menait jusqu’à présent et j’admets être impressionnée par son dévouement envers son travail. Je suis d’ailleurs surprise qu’il m’accorde ses premiers instants de liberté à travers Brisbane et c’est en plaisantant que je lui en fais la remarque. « Ne t’inquiète pas, nous ne sommes pas sur le point de les voir disparaitre. » Encore heureux d’ailleurs, les adeptes se retrouveraient complètement anéantis par une telle disparition. « Les jeunes diraient qu’il faut vivre avec son temps… Mais je préfère essayer de me considérer comme étant encore jeune pendant quelques années encore. » Je peux tenter de me bercer d’illusions mais j’imagine qu’un véritable « jeune » aurait tout simplement répondu un truc comme « vidéoquoi ? » ce qui me classe irrémédiablement dans la catégorie has-been que je le veuille ou non. Parler du temps qui passe et des années qui s’accumulent est toujours source de nostalgie et/ou de déprime sévère pour moi, autant l’éviter mais malheureusement, rebondir sur les déboires amoureux d’Hassan n’est probablement pas la meilleure solution, d’autant plus qu’il n’a pas l’air très sûr de lui ou en tout cas de cette relation. Je marmonne donc simplement quelques mots, peu désireuse de m’aventurer davantage sur un sujet qui pourrait s’avérer glissant. « Je comprends. » Bon, en vérité, je ne suis pas sûre de bien comprendre, pour moi des vacances à deux sont surtout une très bonne occasion de faire davantage connaissance et de voir si se supporter au quotidien est possible, mais je ne tiens pas à entrer dans un pareil débat. J’ai parfaitement conscience que la vision du couple est propre à chacun, raison pour laquelle je me contente d’être heureuse pour Hassan s’il l’est sans chercher à m’immiscer dans sa vie privée ou à lui donner des conseils qu’il ne m’a de toute façon pas demandé. Le nouvel appartement est un sujet bien moins risqué et je me plonge avec enthousiasme dans les photos qu’Hassan fait défiler sur l’écran de son téléphone portable. « Super sympa. » Je commente, alors que les images défilent sous mes yeux. « La mezzanine donne une impression d’espace, on ne dirait pas que ce n’est pas très grand. » L’endroit est cosy et chaleureux, il ressemble parfaitement à Hassan et je ne suis pas surprise qu’il s’y sente bien. « J’espère quand même que ce n’est pas un moyen détourné de m’annoncer que tu as l’intention de quitter prochainement Brisbane, je ne suis pas sûre de pouvoir me remettre d’une pareille nouvelle. » Non pas que nous soyons particulièrement proches, mais quand même, et de toute façon, j’ai toujours eu du mal à voir partir les gens que j’apprécie, que j’ai l’habitude ou non de les voir toutes les semaines. Hassan ne fait pas exception à la règle. Je n’aime pas le changement, ou plutôt, je n’aime pas ce genre de changement.
L’arrivée de nos plats met fin à ma réflexion et prolonge mon délai – heureusement – de réponse à la question – ô combien redoutable – que vient de me poser mon ami. J’ai beaucoup de mal à partir de l’arrivée d’Anabel chez nous, parce que je ne sais jamais si je dois rester purement politiquement correcte ou si je peux exprimer réellement mon ressenti sans y mettre de filtre. Je sais que ça dépend de l’interlocuteur que j’ai en face de moi, mais justement, j’éprouve souvent de grandes difficultés à anticiper leur réaction, raison pour laquelle je me contente la plupart du temps d’une réponse banale signifiant que je nage dans le bonheur alors que c’est évidemment plus compliqué que ça. D’ailleurs, je n’ai pas la prétention de faire illusion. Le haussement de sourcil, ou d’épaule – ou les deux – de mon interlocuteur tend à prouver que je ne suis pas très convaincante dans mon rôle de Bisounours, mais c’est toujours mieux que de dire quelque chose qui pourrait être amplifié et déformé par la suite. Avec Hassan, je ne fais pas exception et si j’exprime tout de même à demi-mot les difficultés que nous rencontrons et l’adaptation que l’arrivée de la petite fille a demandé, je me garde bien de donner des détails et m’efforce de rester positive. C’est ce qu’une maman ferait, non ? Elle ne dirait pas que parfois elle a envie d’encastrer son enfant dans un mur ? Qu’elle l’envoie dans sa chambre un tout petit peu plus longtemps que nécessaire pour une punition histoire d’avoir quelques minutes de tranquillité ? Qu’elle décongèle un plat surgelé qu’elle met dans une assiette pour donner l’illusion quand elle a la flemme de faire à manger ? Je suis une maman maintenant et mon rôle est de prétendre que malgré les ennuis que je rencontre, je nage dans le bonheur – et c’est vrai, la plupart du temps, d’ailleurs – j’ai l’impression de plutôt bien remplir mon rôle. « Aucune idée. » Je hausse les épaules. « On n’a jamais vraiment su, je crois, la date a toujours été plutôt vague et je préfère me concentrer sur le présent, ça fait déjà bien assez à gérer. » D’autant plus que j’ai beaucoup de mal à envisager le départ de la petite fille, finalement, notre foyer est peut-être un peu bancal et pas toujours très fonctionnel, mais il a le mérite de lui apporter une sécurité qu’elle n’a plus depuis la disparition de sa mère. Je ne veux pas lui enlever ça. « Merci. » Je suis reconnaissante de la confiance qu’il nous porte, je sais que ce n’est pas ce que nos proches pensent qui nous permettra de réussir mais je suis sûre que leur confiance y contribue énormément. Après tout, si les personnes qui nous connaissent le mieux nous en croient capable, c’est qu’on l’est, n’est-ce pas ? « C’est clair, des erreurs on en a déjà faites et on en fera encore, le tout c’est de savoir les reconnaitre et d’en tirer quelque chose. » Je commente, persuadée de la justesse de ses propos. Et puis, même sans un parent digne de ce nom, j’ai réussi à m’en sortir à peu près bien, je trouve, alors je suis certaine que ce sera le cas pour Anabel également. « Quoi qu’il arrive, je pense que personne n’est jamais vraiment prêt à avoir un enfant. J’ai attendu toute ma vie de pouvoir jouer ce rôle de mère et pourtant je me sens complètement désarmée parfois. » Trop honnête ? Peut-être bien. « Pourtant j’ai l’habitude. » J’ai été la maman de mes frères et sœurs, c’est un rôle que je suis censée maitriser, mais eux je les ai vu grandir, je les connaissais par cœur, Anabel j’apprends encore à la découvrir chaque jour et ça change tout. « Tu penses qu'on a fait le bon choix ? » Question piège, sûrement, je crois que j'ai besoin de me rassurer autant que possible dans une période où tout me semble incertain, mais je ne suis pas sûre d'avoir choisi la bonne oreille pour cela.
Hassan autant que Gwen avaient entièrement conscience que les seules barrières se dressant encore entre eux étaient celles qu’ils se mettaient à eux-mêmes, trop certains l’un et l’autre de ne plus vouloir s’impliquer dans une véritable relation de couple pour songer à se donner la moindre chance d’essayer. Sans doute y’avait-il une question d’âge, approchant l’un et l’autre de la quarantaine ils savaient précisément ce qu’ils voulaient ou non, ce qu’ils aimaient ou non, et les tâtonnements qui allaient de pair avec les premières vraies histoires d’amour n’avaient plus leur place dans une relation comme la leur. Au bout du compte néanmoins, la manière dont ils avaient tous les deux échaudés par leurs précédentes relations – Gwen par le père de son fils, et Hassan par la seconde chance que Joanne avait d’abord décidé de lui accorder avant de faire volte-face pour retourner à Jamie – avait bien plus à voir que n’importe quoi d’autre dans leur difficulté à s’engager de nouveau, et se complaire ainsi dans leur manière de faire l’autruche n’était probablement pas saine. Revenir sur leur décision de partir en vacances ensemble n’en était qu’un symptôme supplémentaire, et la pente savonneuse dans laquelle cela s’inscrivait avait des tas d’autres raisons de se passer de commentaire, aussi Hassan n’avait-il pas développé à ce sujet tandis que Jules préférait de son côté ne pas insister. Au lieu de cela il avait mentionné cet appartement à Sydney que son frère et lui venaient d’acheter, un projet parmi tant d’autres qui pour l’heure donnait au brun la sensation de ne pas faire du surplace sur tous les aspects de sa vie. On ne réglait pas tous ses problèmes en repeignant des murs et en réaménageant un studio, certes, mais chaque excuse pour se garder occupé semblait bonne à prendre, et l’enseignant n’était jamais aussi à l’aise que lorsqu’il revêtait son costume de Bob le bricoleur. « J’espère quand même que ce n’est pas un moyen détourné de m’annoncer que tu as l’intention de quitter prochainement Brisbane, je ne suis pas sûre de pouvoir me remettre d’une pareille nouvelle. » avait cependant fait savoir la bibliothécaire sur le ton de la plaisanterie, après avoir poliment jeté un œil aux quelques photos qu’Hassan possédait de l’appartement. « Et devenir un de ces sauvages de Nouvelle-Galles du Sud ? Aucune chance. C’est ici, chez moi. » Bien que factice, Hassan ne perdait jamais une occasion d’alimenter la rivalité – pourtant bien réelle – qui pouvait exister entre le Queensland et son état voisin. Dans les faits, Sydney lui plaisait suffisamment pour qu’il y achète un pied-à-terre … Mais quitter Brisbane, ce n’était plus un projet depuis longtemps.
Estimant en tout cas avoir suffisamment monopolisé la conversation, surtout pour quelqu’un qui venait de passer trois semaines en ermite le nez collé à des copies d’examen, il avait profité de l’interruption provoquée par l’arrivée de leur repas pour changer de sujet et questionner Jules sur son quotidien, et plus particulièrement par les récents chamboulements qu’apportait à sa vie avec Alfie l’installation temporaire de la filleule de ce dernier sous leur toit. « Aucune idée. » avait d’ailleurs admis la jeune femme en haussant les épaules lorsqu’il avait demandé combien de temps cette situation était supposée durer. « On n’a jamais vraiment su, je crois, la date a toujours été plutôt vague et je préfère me concentrer sur le présent, ça fait déjà bien assez à gérer. » Bien qu’un peu surpris, et trouvant un certain culot au père de cette petite à la laisser à la charge d’autrui pour un durée qu’il disait indéterminée, l’enseignant ne s’estimait pas en droit de faire une remarque à ce sujet et s’était donc contenté d’un « Je comprends. » compatissant, quand bien même il ne comprenait qu’à moitié … Une technique en tout point similaire à celle utilisée par Jules à propos de Gwen un peu plus tôt dans la conversation, et qui avait au moins le mérite de remettre la balle au centre. Répondant d’un « Merci. » reconnaissant lorsqu’il en avait conclu que la fillette était, de toute façon, entre de bonnes mains, la brune avait tout de même nuancé avec honnêteté « C’est clair, des erreurs on en a déjà faites et on en fera encore, le tout c’est de savoir les reconnaitre et d’en tirer quelque chose. » et témoigné par là d’une certaine sagesse sur le sujet. « Quoi qu’il arrive, je pense que personne n’est jamais vraiment prêt à avoir un enfant. J’ai attendu toute ma vie de pouvoir jouer ce rôle de mère et pourtant je me sens complètement désarmée parfois. Pourtant j’ai l’habitude. » Si plusieurs choses avaient fait tiquer le brun dans les explications de la jeune femme, le fait qu’elle parle « d’avoir un enfant » en parlant de celui d’un autre le laissait un peu perplexe, mais il avait finalement préféré mettre cela sur le dos d’un simple abus de langage. Il n’avait de toute manière pas eu le loisir de s’appesantir sur la question puisque Jules avait fini par questionner « Tu penses qu'on a fait le bon choix ? » avec le visible désir d’être rassuré. S’estimant tout de même lui devoir un semblant d’honnêteté, il avait argué « Je ne pense pas qu’il y ait de bon ou de mauvais choix … et de ce que m’a dit Alfie, vous ne l’avez pas vraiment eu, le choix. » Ou bien l’anthropologue avait-il enrobé un peu la situation pour donner volontairement le mauvais rôle au père de la petite ? « Mais ce que je pense, en revanche, c’est que si la question t’inquiète c’est que tu te soucies de cette petite, et ça me suffit pour être certain qu’elle est entre de bonnes mains avec vous le temps que ça durera, alors ne soit pas trop sévère avec toi-même. » Grand point d’interrogation de toute cette situation, semblait-il. Cela ne devait pas être simple pour cette petite, de perdre ainsi ses repères … Et si Hassan connaissait suffisamment Alfie pour savoir que la stabilité n’était pas forcément son maitre mot, de Jules se dégageait une aura rassurante et imperturbable. « Concentre-toi sur le présent, c’est toi-même qui l’a dit. Si pour le moment ça fonctionne, ça ne sert à rien de s’inquiéter de la suite avant même de la connaître. » Même la connaître ne suffisait pas toujours, de toute façon … L’agression d’Alfie n’était qu’une preuve que rien n’était jamais certain.
J’ignore pourquoi le changement me terrifie autant. L’idée même que quelqu’un puisse m’annoncer un déménagement m’angoisse alors qu’il n’y a rien de plus normal que le mouvement et l’évolution. Je devrais pourtant être contente de savoir que mes proches font des projets, qu’il se tournent vers autre chose que le quotidien qu’ils ont toujours connu et que cette évolution les rend heureux. Ça ne marche pas avec moi, et je crois bien que ça ne marchera jamais. J’aime lorsque rien ne change et lorsque tout est simple. J’aime savoir que je trouverais toujours les mêmes personnes au même endroit et que mon cercle de proches n’évoluera pas à cause d’un mouvement géographique que je n’aurais pas anticipé. J’imagine que n’importe quel psychologue verrait dans ma façon de voir les choses un trouble quelconque mais je préfère juste penser que je suis attachée aux personnes que je côtoie et qu’il est parfaitement normal qu’un éloignement potentiel m’attriste. « Je n’en attendais pas moins de toi. » Je conclus, avec le sourire, alors qu’Hassan m’assure que son départ de Brisbane n’est pas à l’ordre du jour. C’est un soulagement – qui n’a pas lieu d’être, mais un soulagement quand même – et je me réjouis de ne pas avoir à assister à un énième départ. Ceux de mes frères et sœurs ont – de loin – été les plus douloureux mais quel que soit le degré d’affection que je porte à ceux qui m’entourent, ça reste une épreuve à mes yeux.
L’arrivée d’Anabel dans ma vie en a été une autre. J’ai eu l’impression qu’on m’imposait l’arrivée de la petite fille et je crois que je n’ai jamais autant remis en question mon quotidien que depuis qu’elle en fait partie. Je l’aime, évidemment, ce n’est pas contestable. J’étais déjà très attachée à elle avant qu’elle ne fasse partie de notre foyer mais maintenant que je vis à ses côtés au quotidien, je la considère comme un membre à part entière de la famille. Toutefois, l’amour que je lui porte ne suffit pas à rendre la situation simple. Au contraire. Il est même encore plus compliqué pour moi d’envisager lui consacrer ma vie tant qu’elle est sous mon toit pour ensuite devoir accepter qu’elle parte de nouveau et ne fasse plus partie de ma vie. J’ai du mal à doser mon implication dans cette histoire et j’en veux toujours à Alfie de me l’avoir imposée comme s’il était normal que je me plie à ses exigences. Quant à Stephen, je crois que je préfère ne plus jamais avoir à me trouver en face de lui. J’ai déjà imaginé un millier de fois ce que je pourrais lui dire lorsque la confrontation aura lieu mais rien n’est suffisamment fort pour exprimer le dégoût qu’il m’inspire. Comment quelqu’un peut abandonner une enfant ? Comment un être vivant peut se détourner du petit être qui a infiniment besoin de sa présence ? Anabel a d’abord perdu sa mère dans de tragiques circonstances, et alors qu’elle aurait pu se raccrocher à l’homme qui faisait partie de sa vie et qui était ce qui se rapprochait le plus d’une figure paternelle, celui-ci a préféré prendre la fuite à la suite d’une histoire amoureuse foireuse dont Anabel n’était en rien responsable. Je suis écœurée, vraiment écœurée et c’est aussi pour cette raison que je me mets autant la pression. Après toutes les épreuves subies par la fillette, j’espère pouvoir enfin lui apporter la stabilité et l’attention dont elle aurait dû bénéficier pendant toutes ces années. Elle n’est pas un jouet que l’on balade à sa guise, elle est un être humain et beaucoup semblent l’avoir oublié. Hassan prétend comprendre que je sois autant dans le flou à son sujet, et j’admire sa capacité à me mentir pour que je me sente un peu mieux. Même moi j’ai du mal à comprendre comment j’ai pu me laisser entrainer dans cette histoire dont je ne maitrise ni le début, ni le milieu, ni la fin.
J’ai l’impression de ne pas être maitresse de ma propre vie mais puisqu’une petite fille compte sur moi, je ne prends pas le temps de me poser plus de questions. Je fonce et j’essaie de faire son bonheur, tout simplement. Pourtant, lorsqu’Hassan me laisse entendre que nous n’avions pas le choix, comme si ces propos avaient été tenus par Alfie, je lève un sourcil interrogateur. Je n’ai pas eu le choix, c’est vrai, mais Alfie l’avait, lui, et il a choisi de m’imposer la petite fille sans même prendre la peine de me concerter. Alors oui, en effet, nous subissons tous les deux actuellement les changements de notre quotidien pour accueillir au mieux Anabel, mais je trouve très amusant qu’il considère ne pas avoir choisi alors qu’il en est justement à l’origine. Je reprends tout de même rapidement contenance, désireuse de ne pas avoir à m’étaler sur le sujet. Nos problèmes de couple ne regardent personne et pour Hassan, qui est très lié à Alfie, il serait très délicat de savoir quelle place prendre dans un conflit qui nous opposerait. Je ne veux pas le mettre mal-à-l’aise, encore moins alors qu’il a fait tout ce chemin pour me voir, ce que j’apprécie énormément. « Je travaille là-dessus. » Je promets, sachant pertinemment que la route sera longue avant que j’arrête de me flageller dès que quelque chose ne va pas. « C’est pas simple, comme position, parce qu’on a un rôle de parent sans avoir la légitimité d’un parent. J’ai l’impression de devoir encore faire plus mes preuves en tant que mère de substitution. » Après tout, une maman est une maman, lorsqu’une femme donne la vie, elle obtient ce rôle de manière automatique et indiscutable, alors que moi, je ne suis qu’une fausse maman, une apprentie, un substitut temporaire et pour ça, je vois bien que chaque petit détail qui s’éloignerait de la perfection est montré du doigt. Si Anabel n’est pas bien coiffée le matin en arrivant à l’école, j’entends les chuchotements des mères parfaites qui se disent probablement qu’en tant que débutante, il est normal que je sois confrontée à des échecs. Ce n’est pas grave, bien sûr, mais c’est usant et je n’arrive pas à me sentir à ma place dans ce nouveau rôle qui – en plus – n’est que provisoire. « Tu as raison, un jour après l’autre, et tout ira bien. » En tout cas, je l’espère de tout mon cœur. Je repousse légèrement mon assiette vide du bord de la table et prend une nouvelle gorgée de thé avant de poursuivre. « Je te remercie de ne pas nous prendre pour des dingues irresponsables, ça fait du bien. » Il n’imagine pas à quel point. « Tu prendras un dessert ? » En temps normal, le dessert aurait été une obligation mais compte-tenu de mes efforts pour garder la ligne, je vais devoir y renoncer, à mon plus grand désespoir. Je n’ai plus qu’à espérer qu’Hassan n’ait pas autant de scrupule que moi pour retarder le moment où je devrais reprendre le chemin du travail et laisser mon ami.