| (anwar) emotional motion sickness |
| | (#)Dim 1 Déc - 22:06 | |
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ANWAR & ALFIE ⊹⊹⊹ I have emotional motion sickness, Somebody roll the windows down, There are no words in the English language I could scream to drown you out. Huit mois. Il lui faudra environ huit mois pour récupérer l’ensemble de ses capacités. C’est le constat fait par son médecin après cette énième consultation (Alfie a arrêté de les compter depuis sa sortie d’hôpital, car il n’a déjà plus suffisamment de doigts alors que pas même un mois est passé depuis son agression – et ce n’est pas absolument pas qu’il n’arrive juste pas à tenir le compte, non, jamais, voyons). Et encore, celui-ci ne peut pas lui certifier que ce sera effectivement le cas. Il l’a prévenu, ne lui a pas caché les choses : il a eu un traumatisme crânien qualifié de modéré, et certains patients dans le même cas que lui ne récupèrent jamais totalement. Si Alfie a apprécié cette honnêteté, on ne peut pas dire que cette information l’ait rassuré, d’autant plus au moment où il a enfin compris que sa mémoire était défaillante. Il lui arrive encore de demander des détails à Jules, ou aux divers spécialistes qu’il côtoie, leur faisant inévitablement répéter les mêmes choses d’une fois à l’autre, mais il parvient au moins à prendre conscience de son problème. Et peut-être qu’il aurait préféré rester dans cette ignorance qui l’a caractérisé à son réveil (s’il en croit son entourage) où il demandait toutes les quatre heures ce qu’il fichait sur ce lit d’hôpital et qu’est-ce qu’il lui était arrivé. Au moins, il n’avait pas conscience du souci, et par extension, il n’avait pas peur de l’avenir. Car Alfie n’a jamais vécu en se projetant, et pour la première fois il est obligé de songer à l’après. Qu’est-ce qu’il fera si sa mémoire ne lui revient jamais totalement ? S’il n’arrive pas à combler les lacunes qui sont les siennes, dans des domaines qu’il est supposé connaître par cœur (pas plus tard que hier, il a oublié le prénom d’un frère à Jules) ? S’il ne parvient plus à s’exprimer librement sans se retrouver à chercher ses mots ? Si ces migraines qui l’accompagnent depuis bientôt un mois persistent et deviennent quotidiennes ? Si sa vision ne se stabilise pas et qu’il est forcé de continuer à porter des lunettes et de renoncer à son permis (bien pratique, même s’il déteste prendre le volant) ? Et si son globe oculaire ne retrouvait plus sa mobilité ? Et s’il ne pouvait plus enseigner ? Et si Jules n’en pouvait plus d’être sa mémoire ? Et si fracture du crâne ne guérit pas correctement ? Et s’il devait renoncer au sport plus longtemps que prévu ? S’il devait faire attention à tout ce qu’il fait pour ne pas risquer un autre traumatisme, maintenant qu’il est à risque ? Si Alfie ne peut pas trouver les réponses à toutes ses questions dans l’immédiat, il peut au moins tenter un brouillon de réponse en enchaînant les consultations qui lui permettent d’avoir la satisfaction de se dire qu’il met tout en œuvre pour récupérer. Orthoptiste pour permettre de retrouver la mobilité de son œil gauche (pas un franc succès pour l’instant, il continue de loucher), oculiste pour faire travailler ses yeux (il ne peut toutefois pas encore se passer de ses lunette nouvellement acquises), dentiste pour combler les trous laissés par la perte de ses dents sous l’effet du choc (et il n’a pas encore pu toutes les remplacer, sa fracture de la mâchoire rendant les choses plus compliquées que prévues), généraliste pour le bilan hebdomadaire de ses efforts (et il n’a pas l’impression que les choses s’améliorent), neurologue pour travailler sa mémoire encore et encore (pas de quoi se réjouir même s’il y a une progression certaine), chirurgien pour contrôler l’évolution de ses fractures et vérifier la nécessité d’une opération du nez (car pour l’instant c’est par une attelle qu’il tente de ressouder les os, mais là aussi les dégâts sont à envisager sur le long terme), radiologue pour surveiller sa fracture du crâne… L’avantage, c’est que malgré toutes ses craintes, Alfie ne peut pas songer à celles-ci plus de quelques heures d’affilée, avant d’être interrompu par un énième rendez-vous.
Celui d’aujourd’hui, toutefois, a une saveur différente, car ce n’est pas tant le résultat de l’attaque qui est intéressant, mais les conséquences de celle-ci. Des interrogations par dizaines, et de la peur. Une peur pour lui, mais surtout pour Jules, car il ne cesse de se demander comment les choses se seraient passées si elle avait été seule à la maison à sa place. Et rien qu’à cette pensée, son estomac se noue. Porter plainte ne va peut-être pas lui assurer que la jeune femme soit en sécurité, mais il aura au moins l’impression de faire de son mieux à défaut d’être véritablement apte à quoi que ce soit en ce moment. C’est en taxi qu’il se rend jusqu’au commissariat, inapte à la conduite et n’ayant de toute façon aucune envie de se mettre derrière un volant alors qu’un de ses yeux est encore un peu enflé et obstrue sa vision. Il n’a pas fière allure, même s’il ne peut pas nier avoir meilleure mine qu’il y a deux semaines et demie. Le reste de son visage commence à dégonfler, et même si les stigmates sont toujours présents, il ne ressemble plus à une créature qui illustre à merveille pourquoi les OGM c’est vraiment mauvais, les enfants. Il a toujours son attelle par sécurité pour encore quelques jours, suite à quoi il ne pourra qu’attendre les six semaines recommandées pour vérifier la consolidation de son nez. Il a pu enlever la quasi-totalité des points de suture de part et d’autres qu’il a sur le visage, ce qui lui permet au moins de ne plus craindre de s’accrocher dès qu’il enfile un vêtement par la tête. Il affiche un sourire potable, ayant des bridges qui lui permettent d’oser ouvrir la bouche en attendant que le vrai chantier pour réparer sa dentition débute. Et surtout, il a reçu le feu vert du médecin pour aller déposer cette plainte ; signe que concrètement les choses sont sur la bonne voie et qu’il ne va pas aussi mal que Jules se l’imagine en le couvant comme une infirmière à domicile (qu’on se le dise, ça ne le dérange pas et peut-être qu’il en a rajouté un peu les premiers jours pour qu’elle puisse manquer le travail et rester auprès de lui). Mais le feu vert ne rend pas les choses plus faciles, et c’est malgré tout avec la boule au ventre qu’Alfie se présente à la réception de ce commissariat. Il n’a pas réellement envie de raconter tout ce qu’il s’est passé, principalement parce qu’il n’a aucun souvenir, ni du moment précis, ni des heures avant. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il était en cours, et que le lendemain, il était à l’hôpital. Quoi qu’il en soit, c’est une étape nécessaire pour parvenir à faire la paix avec cet événement, et il a demandé à Anwar de l’aider dans ce processus. Certains diraient que c’est plus facile de parler à des inconnus, de son côté il se dit surtout qu’Anwar ne pourra pas s’énerver contre lui s’il ne parvient pas à lui offrir de réponses satisfaisantes à ses questions, et s’il se mélange les pinceaux. Au-delà de ça, il va surtout être honnête envers lui et ne pas le ménager seulement pour lui faire plaisir. Si sa plainte a peu de chances d’aboutir, il sera honnête, de la même manière qu’il n’hésitera sûrement pas à lui expliquer, sans rien cacher, ce que cela implique. Maintenant, et plus tard, si par miracle ils parviennent à identifier le responsable. Enfin. Pour cela, faudrait-il encore qu’on accepte de le laisser passer jusqu’au bureau de son ami. « Oui, avec l’Inspecteur Zehri, je vous assure. » que le brun répète pour la troisième fois à la personne devant lui, sceptique sur sa venue entre ces murs. « Je sais pas, demandez-lui, vous pouvez…, il désigne vaguement d’un geste de la main le téléphone, il vous confirmera, on a rendez-vous. » C’est une certitude. Il sait qu’il a rendez-vous. Le problème apparaît alors qu’il réalise ne pas savoir quel jour on est, ni la date convenue. Finalement, par un heureux hasard (ou non) la silhouette du batteur apparaît et Alfie affiche un sourire. « Anwar ! » Il l’interpelle alors que son regard se porte sur l’horloge murale qui affiche 16h. « Je suis en retard, c’est ça ? » Il questionne, persuadé qu’il y avait un 16. Oui, il est certain qu’il y a une histoire de 16, il revoit le post-it qu’il a noté. Mais il revoit aussi le gribouillage de Jules, et il est incapable de se souvenir de la correction. « Oh. » Qu’il finit par souffler quand il réalise, avant de reprendre, s’étant avancé vers Anwar pour qu’il soit désormais le seul auquel il s’adresse, sans que le regard noir de la responsable de l’accueil ne le jauge. « Désolé. Je repasse à un autre moment, un autre jour, peut-être ? » Il demande avant d’afficher un sourire, parce que l’humour reste sa meilleure arme de défense. « Fais-moi juste un… un de ses trucs comme chez les médecins, tu sais, que j’oublie pas. » Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, même s'il a plutôt envie d'en pleurer.
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| | | | (#)Mar 31 Déc - 14:42 | |
| OCTOBRE. Il en avait été le premier surpris, mais le soupir qui avait échappé à Anwar lorsqu’il s’était laissé tomber dans le fauteuil de son bureau n’avait pas tant été de lassitude que de motivation – un élan de motivation d’autant plus incongru que trônait devant lui une pile de paperasse comme il en aurait normalement fait des cauchemars. Mais n’importe quelle paperasse valait mieux que la mise à pied dont le brun sortait à peine, et contre toute attente c’était lui qui avait le premier émis l'idée de se porter volontaire pour éplucher des pages entières de fadettes pendant que Patton embarquait Banks avec elle en interrogatoire. En sa qualité de petit bleu de l’équipe, Banks héritait habituellement de ce genre de tâches ingrates et un brin rébarbatives, la répartition se basant sur ses paroles encore maladroites lorsqu’il s’agissait d’appréhender un témoin ou un proche de victime, et sur sa tendance à pâlir à la vue d’une trop grande quantité de sang. Sur l’enquête actuelle néanmoins le jeune homme avait profité de l’absence de l’inspecteur pour varier un peu ses prérogatives, et puisque de l’aveu de Patton elle-même il ne s’en était jusque-là pas trop mal tiré, Anwar avait estimé légitime de les laisser gérer tous les deux la suite des investigations de terrain. « Est-ce que je peux conduire ? » Avait même tenté le bougre, plein d’espoir, mais plus pince sans rire encore que lui ne l’aurait été Patton avait répondu « Même pas en rêve. » et provoqué un sourire entendu chez son habituel équipier tandis qu’ils quittaient le bureau. Par ailleurs, en restant là Anwar s’assurait la certitude d’être à l’heure pour réceptionner Alfie à dix-huit heures, chose pas toujours aisée lorsqu’il vadrouillait à l’extérieur du commissariat. Une tasse de café posée près de son écran d’ordinateur, il avait repoussé son clavier et ouvert la première chemise cartonnée de la pile en s’armant d’un surligneur. L’après-midi serait longue, mais pas autant que les deux semaines précédentes à tourner comme un lion dans une cage entre son duplex et la marina. Un peu avant seize heures le policier avait levé le nez de sa paperasse, la désagréable barre lui appuyant sur le front rappelant à son bon souvenir le rendez-vous chez l'opthalmo qu’il repoussait depuis des mois. C’était le mal du vingt-et-unième siècle, avoir le nez tellement entouré d’écrans qu’on se retrouvait à avoir besoin de lunettes deux fois plus vite que ses aïeux. Le paquet de gummy bears ouvert dans l’un des tiroirs de son bureau s’était vidé à vue d’œil, et lorsqu'Anwar en avait touché le fond il avait pris cela comme le signe qu’il était temps de faire une pause. Ayant d’abord pris le temps de vérifier qu’il lui restait un fond de monnaie dans les poches, il était descendu au rez-de-chaussée pour s’acheter une canette de soda au distributeur de la salle de repos et s’apprêtait à remonter lorsqu’une voix qu’il n’attendait pas avant deux bonnes heures l’avait interpelé depuis le hall d’accueil « Anwar ! » Bien qu’il n’ait plus rien de comparable avec l’état dans lequel il se trouvait trois semaines plus tôt, le visage cabossé d’Alfie continuait de lui provoquer une seconde de flottement. Néanmoins ce n’était pas ce qui avait provoqué l’étonnement du policier cette fois-ci, alors qu’il jetait un coup d’œil incertain à sa montre en craignant d’avoir passé bien plus de temps qu’il ne le pensait derrière son bureau. « Je suis en retard, c’est ça ? » Mais non, il n’était bien que seize heures à peine, et machinalement l’inspecteur avait répondu « Plutôt très en avance, on n’avait pas dit dix-huit heures ? » en faisant quelques pas vers l’universitaire. Plus lent à la détente qu’à l’accoutumée, ce dont Anwar ne lui tenait pas rigueur, Alfie avait à nouveau fixé la pendule du hall d’un air perdu, et laissé échapper un « Oh. » entre dépit et incertitude. « Désolé. Je repasse à un autre moment, un autre jour, peut-être ? » L’œillade glissée au plancton d’accueil indiquait qu’il s’adressait autant à lui qu’à Anwar, ajoutant même « Fais-moi juste un … un de ses trucs comme chez les médecins, tu sais, que j’oublie pas. » en faisant un pas en arrière d’un air résigné. L’idée de le renvoyer chez lui ne l’ayant pas effleuré un instant, le brun s’était empressé de répondre « Non, non, t’en fais pas ! Y’a pas de problème. » Plissant les yeux comme si elle prenait cette réponse pour un désaveu, la brigadier avait grommelé une réponse inaudible derrière son comptoir lorsque le policier lui avait adressé un « Je gère Patty, merci. » pour tenter de l’amadouer – succès mitigé. « Viens, avait-il ensuite repris à l’attention d’Alfie, on va monter dans mon bureau on sera plus tranquilles. » Pour une fois il n’aurait même pas à user d’une excuse vaseuse pour envoyer Patton voir ailleurs et lui laisser le bureau pour lui seul, raison de plus pour en profiter. Ouvrant la marche à travers les étages et les couloirs, vérifiant à intervalles réguliers que l’anthropologue suivait toujours, il avait ouvert la porte du bureau et fait signe à Alfie de passer le premier avant de refermer derrière eux. « Tu veux boire quelque chose ? J’ai du thé et du café. » Poussant dans un coin la chaise inconfortable dont héritaient normalement les visiteurs, Anwar lui avait préféré le fauteuil de son équipière et avait laissé son autre équipier – musical, celui-là – s’y installer avant de s’affairer autour de la cafetière. Qu’Alfie en veuille un ou non, le mug d’Anwar était vide et sa canette de soda n’empêchait pas que jamais son mug ne restait vide très longtemps. « T’es venu comment, Juliana t’as déposé ? T’es pas venu à pieds j’espère ? » Quoi qu’il doutait fortement que la jeune femme l’aurait laissé faire, à en juger par la façon quasi-militaire dont elle gérait déjà ses visites lorsqu’il était encore hospitalisé. « Bon. » Retrouvant sa place derrière son bureau, il avait rangé à la va-vite le dossier jusque-là éparpillé devant lui, puis repris « Je me doute bien que c’est pas une partie de plaisir pour toi d’être ici, on va essayer de plier ça rapidement. » Aussi rapidement que possible et en fonction du rythme qu’Alfie déciderait lui-même de se donner, en réalité. « Tu as déjà eu l’occasion de porter plainte pour autre chose avant, tu sais un peu comment ça se déroule ? » Jusqu’à présent Anwar s’était volontairement gardé de demander à Alfie comment il allait. La raison à cela était simple : il doutait fortement d’obtenir une réponse sincère et préférait donc dispenser le bonhomme de lui mentir, et il imaginait aussi aisément qu’il entendait suffisamment cette question en ce moment pour en être lassé. Autrement dit, autant en venir directement au fait.
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| | | | (#)Lun 10 Fév - 13:08 | |
| La question de porter plainte s’est posée dès les premiers instants où l’anthropologue a été en mesure de prendre conscience de son état et de tenir une conversation de plus de quelques mots sans perdre le fil de celle-ci. Le personnel de l’hôpital, ses parents, Jules, son travail, ses amis, la plupart de son entourage, proche comme moins proche, a au moins prononcé une fois le mot « plainte » au cours d’une conversation avec lui, probablement pour que le terme s’implante dans sa boîte crânienne, suffisamment pour qu’il commence à sérieusement y songer, lui qui a donné l’impression de ne pas accorder le moindre crédit à cette perspective. Et ce n’est pas totalement faux ; au-delà de son état trop fragile pour qu’il puisse donner sa version des faits en étant aussi cohérent que ses difficultés le permettent, ce sont surtout les nombreuses interrogations qui s’immiscent dans l’esprit du brun depuis son réveil qui l’ont empêché de prendre des mesures pourtant plus que nécessaires. Il ne saurait dit s’il s’agit de peur, de désintérêt ou de paresse, toujours est-il que la liste des « contre » s’est avérée bien plus fournie que celle des « pour ». Bien-sûr, depuis qu’il a saisi la portée de l’événement Alfie ne rêve que d’une chose : connaître l’identité de son agresseur, ce point d’interrogation qui le fait devenir dingue, bien plus que l’hypothèse que ce dernier ne veuille terminer le travail. Parce qu’il s’interroge toujours, sur tout, Alfie, et qu’il a besoin de comprendre. Comprendre les raisons derrière cet acte gratuit et insensé, comprendre quel rôle a été le sien dans le développement de la haine d’autrui. Mais il n’est pas certain de vouloir se lancer dans de telles procédures ; parce que peut-être qu’on peut effectivement parler de peur au fond. Peur de ne pas obtenir les réponses tant attendues, peur aussi de n’en obtenir aucune. Peur d’être confronté à une réalité qui lui déplairait, qui lui serait intolérable. Peur de n’être cantonné qu’à cette attaque des semaines, des mois durant. Peur de ne pas parvenir à se détacher de cette étiquette de « victime » qu’on lui a collé à sa précédente agression et qu’il a mis des semaines à décoller, au prix de nombreux d’efforts et d’une amnésie prétendue. Peur de rendre les choses concrètes par des actions réelles ; et de tout ce que cette prise de conscience pourrait lui apporter, surtout.
Mais contrairement à ce qu’il a longtemps pensé – par habitude – il n’est pas tout seul, Alfie. Il n’est plus tout seul, et s’il y a une seule fois au cours de sa vie où cet égoïsme qui le caractérise trop souvent doit être réduit au silence, c’est à cet instant. Il ne s’agit pas de se préserver lui, au contraire ce n’est pas un sens très développé chez le trentenaire, il est question de préserver une Juliana qui en a suffisamment vu de toutes les couleurs pour avoir le droit à un sentiment de sécurité, aussi faussé et bancale qu’il puisse être. Car parmi toutes ses questions qu’il se pose, il y a celle-ci, la plus insistante, la plus douloureuse : et si ça avait été elle ? Et c’est la seule dont il concède à ne pas obtenir de réponse, à ne pas vouloir imaginer celle-ci ; à cesser de réfléchir pour agir comme il le fait si souvent. Agir, en portant plainte, en se renseignant pour le faire, du moins. Auprès d’un ami, pour rendre le processus moins perturbant qu’il n’y paraît. Il se sent stupide, Alfie, de sentir son cœur qui s’emballe une fois entre ces murs ; stupide de réagir de la sorte pour un rien, stupide de se laisser contrôler par ses émotions, surtout, et de donner raison à ce ressenti de ne plus être tout à fait lui-même, et de continuer à semer des morceaux un peu partout. Et bientôt, c’est la frustration désormais habituelle qui s’empare de son être alors qu’il comprend, qu’encore et toujours, sa mémoire l’a lâché, et que tous les efforts qu’il peut faire ne parviendront jamais à prendre le dessus sur les quelques erreurs qu’il commet. « Euh... » Qu’il laisse échapper en se pinçant la lèvre quand Anwar lui parle de dix-huit heures. C’était donc ça, la rature sur le post-it. Un léger rire s’échappe d’entre ses lèvres alors qu’il poursuit : « Tu me demandes sérieusement confirmation ? À moi ? » Mieux vaut en rire qu’en pleurer. Toutefois, prenant conscience de son erreur, il s’excuse et entreprend de revenir à un autre moment. Il serait tenté de préciser « si je n’oublie pas ahah », mais sa fierté prend un nouveau coup à chaque méprise de sa part. Une fierté cabossée, mais retapée pour aujourd’hui par un Anwar qui lui assure que son avance n’est pas un problème. Peu convaincu, Alfie reste silencieux, un peu largué dans ce hall, comme s’il venait de perdre le fil de ce qu’il se passe autour de lui avant de revenir à lui et d’ignorer où il se trouve – et peut-être qu’il y a un fond de vérité. Il s’apprête à demander à Anwar s’il est certain, ne voulant pas le déranger, mais ce dernier reprend la parole et Alfie affiche un sourire. Maigre, désolé, mais sincère. « Merci. » Qu’il se contente de répondre, même si au fond, il a surtout conscience que les autres se plient en quatre pour aménager les choses de façon à ne pas le chambouler plus, et qu’encore une fois, il se sent terriblement impuissant.
Suivant Anwar d’un pas bien plus ralenti qu’à l’accoutumée, traînant sa carcasse et s’appuyant aux rambardes, Alfie râle dans sa barbe contre ce corps qui n’arrive toujours pas à suivre. Les deux hommes arrivent finalement à destination, et c’est avec un soupir de soulagement qu’Alfie entre dans le bureau, ne tardant pas à prendre place sur le fauteuil libre tout en relevant le regard vers Anwar. « Un thé, ça ira très bien, merci. » Dans d’autres circonstances, il se serait assuré que le thé en question était bio et récolté dans des conditions précises, mais ses préoccupations sont légèrement chamboulées depuis quelques temps. « Nope, en skate, je me suis dit que me prendre un ou deux… murs sur le chemin, ça pouvait m’être utile pour me remettre les neurones en place. » Il souligne avec un léger rire, avant de hausser les épaules, toujours amusé. « Je suis venu en taxi. Taxi commandé par Jules à une heure précise, pour une arm…arrivée tout aussi précise, sous haute surveillance, vu que... » Elle a exigé un message à mon arrivée ici, et qu’elle en exige un à mon départ, pour s’assurer que le trajet se passe bien. Mais pour son esprit fatigué, c’est trop à dire d’un coup, et ça le frustre toujours plus, alors que les mots s’échappaient avec tant de facilité il n’y a pas si longtemps. Se saisissant du thé tendu par Anwar avant que ce dernier ne prenne place face à lui, Alfie l’écoute avec toute l’attention qu’il parvient à lui accorder. Il aimerait bien préciser que « rapidement » n’entre plus dans son vocabulaire, mais il s’abstient de couper son ami, et ne reprend la parole que quand il a l’impression d’y être autorisé. « Non, c’est la première fois. » Il marque un temps d’arrêt. « Enfin, je crois. Tout ce que je sais, c’est que j’ai plutôt été de l’autre côté. » Il avoue avec un léger rire avant de se dire qu’il aurait peut-être dû se la fermer, et qu’il ne devrait pas parler plus que nécessaire seulement pour avoir l’impression que rien n’a changé. « Non, je ne sais pas. » Qu’il reprend, au même titre que son sérieux. « Et je persiste à penser que c’est... hm, euh, stupide vu mon état. Mais… enfin, c’est le seul truc que je puisse faire et Jules en a besoin. » Pas nécessairement pour des questions de sécurité, mais aussi pour elle, pour savoir qu’il l’écoute contrairement à ce qu’elle peut penser, et surtout parce qu’elle a raison, comme toujours. « Mais… je sais pas, je me sa-souviens de rien, alors, qu’est-ce que ça peut changer, au fond ? » Il demande, sans savoir s’il s’adresse plus à l’ami qu’à l’homme de loi.
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| | | | (#)Dim 29 Mar - 22:58 | |
| La surprise d’Anwar était double et son étonnement proportionnel : il n’était pas descendu dans l’idée de remonter avec Alfie, et il s’étonnait de trouver le bonhomme là, tout seul, et avec l’impression de ne pas savoir mieux que lui ce qu’il faisait ici. Un peu maladroitement le policier n’avait d’ailleurs pas été en mesure de cacher sa surprise, et il avait fallu que la gêne d’Alfie s’affiche littéralement sur son visage à mesure qu’il bafouillait pour qu’Anwar ne change son fusil d’épaule et ne rectifie le tir, obtenant du pianiste un maigre « Merci. » qu’on devinait mal à l’aise. Bien décidé à ne pas le laisser poireauter dans le hall plus longtemps, l’inspecteur s’en était remis à l’agent qui tenait l’accueil de prendre le relais et avait indiqué le chemin à son ami avant d’ouvrir la marche, certain qu’ils seraient plus au calme pour discuter dans le bureau qu’il partageait normalement avec son équipière. Comprenant assez vite qu’il lui faudrait ralentir le pas et ne plus compter sur le survoltage qui faisait en temps normal Alfie, Anwar s’était retourné à plusieurs reprises pour vérifier que son comparse suivait toujours, et avait cru déceler chez lui une pointe de soulagement lorsqu’enfin il avait ouvert la porte du bureau pour l’inviter à y entrer le premier. Se fendant d’un « Un thé, ça ira très bien, merci. » dans lequel on décelait un brin de lassitude, le musicien s’était laissé tomber dans le fauteuil que lui avait indiqué Anwar. La bouilloire allumée avec habitude, il avait préparé une seconde tasse en plus de la sienne, fait couler le café dans cette dernière, et ouvert sa canette de soda sans sembler le moins du moins perturbé par le fait de cumuler deux boissons à la fois. Là, enfin, il avait eu tout le loisir de s’inquiéter de la façon dont Alfie s’était déplacé jusqu’au commissariat – il ne s’attendait pas simplement à le voir débarquer deux heures plus tôt en réalité, il s’attendait aussi à le voir débarquer accompagné de Juliana, à l’image de la présence ininterrompue de la jeune femme dans les couloirs de l’hôpital durant les trois semaines où Alfie en avait été le locataire. « Nope, en skate, je me suis dit que me prendre un ou deux … murs sur le chemin, ça pouvait m’être utile pour me remettre les neurones en place. » Roulant des yeux d’un air faussement sévère, le policier s’était fendu d’un « Ah. Ah. C’est ça moque-toi. » léger puis avait tourné la clef de son tiroir pour en sortir une boite de sucre qu’il avait posé sur le bureau, laissant à Alfie le soin de se servir si le cœur lui en disait. « Je suis venu en taxi. Taxi commandé par Jules à une heure précise, pour une arm …arrivée tout aussi précise, sous haute surveillance, vu que ... » Laissée en suspens, la phrase n’avait pas trouvé de fin, mais plutôt que de le faire remarquer Anwar lui avait tendu sa tasse d’eau chaude et le sachet de thé qui allait avec, et s’était autorisé à enfin rejoindre sa place de l’autre côté du bureau. « Elle a eu peur, elle s’inquiète. C’est normal. » s’était-il simplement autorisé à faire remarquer à propos de Jules. Il entendait qu’Alfie puisse y trouver un petit côté envahissant, sa tendance à l’indépendance n’était plus à prouver, mais peut-être prendrait-il ainsi la mesure de la gravité de ce qui lui était arrivé et de l’impact que cela avait pu avoir sur ses proches. Mais que l’anthropologue ait décidé de se déplacer jusqu’au commissariat était déjà une preuve en soi qu’il en prenait conscience, car le chemin pour le persuader de déposer une plainte suite à l’agression dont il avait été victime n’avait pas été simple. Peut-être Jules avait-elle su trouver les mots, peut-être d’autres s’étaient-ils joints à elle dans ce but ; Anwar quant à lui avait préféré ne pas interférer dans la décision, certain qu’elle n’aurait de sens que si son ami décidait de venir de son propre chef, et non pas simplement parce qu’on lui aurait forcé la main. Comme tout bon flic qui se respectait il se satisfaisait néanmoins de la décision d’Alfie, intimement persuadé que la justice n’était pas aussi mauvaise que certains le clamaient et qu’on ne gagnait rien à vouloir faire sans. « Non, c’est la première fois. » lui avait dans un premier temps confié son ami quant au fait de déposer une plainte, quelle qu’elle soit. « Enfin, je crois. Tout ce que je sais, c’est que j’ai plutôt été de l’autre côté. » Ricanant nerveusement, le pianiste avait plongé son nez dans sa tasse de thé pour se donner une contenance, et plaisantant d’abord en répondant « Je vais faire comme si je n’avais rien entendu. » Anwar avait repris un ton plus sérieux pour ajouter « Mais ça importe peu. Je me fiche de connaître le contenu de ton casier judiciaire si tu en as un, ça ne te rend pas moins légitime à déposer cette plainte. » La suite de la conversation néanmoins lui avait fait réaliser qu’il s’était sans doute un peu emballé en espérant que la présence d’Alfie dans son bureau résulte uniquement d’une prise de conscience du concerné, et s’il avait admis « Non, je ne sais pas. » plutôt facilement il n’avait surtout pas manqué de préciser « Et je persiste à penser que c’est ... hm, euh, stupide vu mon état. Mais … enfin, c’est le seul truc que je puisse faire et Jules en a besoin. Mais … je sais pas, je me sa-souviens de rien, alors, qu’est-ce que ça peut changer, au fond ? » d’un ton qui ne laissait pas vraiment la place à la volonté qu’on le fasse changer d’avis. Faisant glisser deux sucres dans sa tasse de café, l’inspecteur avait commencé par faire remarquer « C’est justement parce que tu es dans cet état que c’est important. » Et s’il ne comptait pas lui faire l’affront de développer à ce sujet, l’un et l’autre savaient très bien qu’il était encore loin de la forme olympique et qu’il paierait les conséquences de cette agression pendant encore plusieurs mois, si ce n’était plusieurs années. « Pragmatiquement ? Ça peut servir à regrouper cette affaire avec d’autres. Si la personne qui t’a fait ça n’en est pas à son coup d’essai, ou si elle recommence … Tu vois ce que je veux dire ? » C’était un peu comme porter plainte pour un cambriolage, ou un vol à l’arrache. Cela semblait vain au premier abord, mais les voleurs se contentaient rarement d’un seul coup, et un jour où l’autre ils faisaient une erreur – et pour certains, l’appartement s’avérait être une véritable caverne d’Ali Baba dans laquelle il fallait ensuite faire le tri, pour rendre à leurs propriétaires d’origines des biens de valeurs parfois monétaire, parfois sentimentale. « Et plus subjectivement … ça ne changera rien à ce qui s’est passé, tu as raison. Mais c’est sérieux ce qui t’est arrivé Alfie, c’est grave. Ça a des conséquences sur ta santé, sur ton travail, sur ta vie personnelle … ça a fait suffisamment de dégâts pour mériter de faire tout son possible pour que ça ne reste pas impuni, tu ne penses pas ? » Essayant de se montrer pédagogue, le brun tentait de moduler sa voix pour ne pas tomber dans la leçon de morale, ne souhaitant pas donner à Alfie l’impression erronée de vouloir l’infantiliser. « T’es la victime dans cette histoire. Et je sais, c’est un mot un peu déplaisant, mais c’est pas une tare ou une insulte … C’est un statut, qui te donne certains droits, à commencer par celui de vouloir retrouver le coupable pour qu’il prenne la responsabilité de ses actes. » Et bien avant de vouloir lui expliquer les tenants et les aboutissants d’un dépôt de plainte, Anwar souhaitait qu’Alfie y trouve lui-même un certain intérêt autre celui de simplement faire plaisir à ceux de son entourage qui l’y avaient poussé.
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| | | | (#)Lun 11 Mai - 16:17 | |
| À ses yeux, son avance ne relève pas d’une simple maladresse, c’est une véritable erreur qu’il peine à accepter. Si Alfie n’a jamais été particulièrement tendre avec lui-même, sa sévérité s’est accentuée depuis son accident, poussée par cette indépendance qu’il a inévitablement dû abandonner. Jules est devenue ses yeux et sa tête ; et même s’il est reconnaissant de tous les efforts fournis par sa petite amie, ça ne rend pas la situation plus agréable à gérer pour lui. Raison pour laquelle il persiste à croire qu’il peut encore maîtriser certaines choses, celles que Jules concède à lui laisser, les plus banales, comme celle de se souvenir de l’heure d’un rendez-vous. Et pourtant ; c’est un acte dont il n’est même pas capable. Alors oui, ce n’est pas juste une petite bourde, c’est un échec, et s’il ne se souvient pas exactement de la conversation qu’il a eue avec Jules, il se souvient qu’elle a insisté à plusieurs reprises quant à savoir s’il était sûr de lui. Il ne saurait dire si elle essayait de lui faire comprendre qu’il se trompait, si elle était tout aussi dans le flou que lui, si elle l’a volontairement collé dans un taxi en toute connaissance de cause pour ne pas interférer avec sa volonté de faire des efforts. Toujours est-il qu’à cet instant, il se sent incroyablement stupide et démuni, une sensation à laquelle il devrait pourtant être habitué puisqu’elle ne le lui laisse aucun répit depuis son réveil. Il tente de faire bonne figure face à Anwar, usant d’un humour douteux et à défaut d’être crédible, il apprécie que son ami prétende que c’est le cas. « Je sais. » Qu’il se contente de souligner quand le rôle de Jules est encore une fois mis en avant. Ce n’est pas qu’il estime que les efforts de la jeune femme ne devraient pas être reconnus : bien-sûr qu’ils doivent l’être, bien-sûr qu’elle mérite toutes les récompenses du monde pour avoir pris en charge la situation, pour l’avoir pris en charge lui, mais il ne peut prétendre qu’il n’est pas égoïste alors qu’il voudrait juste que les gens arrêtent de lui répéter en boucle à quel point Jules est extraordinaire. Elle l’est, il le sait pertinemment, mais ça n’enlève pas l’ambivalence qu’il ressent vis-à-vis de tout ça ; et sa volonté de ne pas être couvé comme un enfant, de ne pas être vu en pitié, et de ne pas avoir le droit de se plaindre. Parce qu’il reçoit un tel soutien de la part de sa compagne qu’il serait impensable qu’il puisse s’en plaindre ; pourtant c’est ce qu’il aimerait faire. Mais ce n’est pas tant une colère à l’encontre de Jules que de lui-même, raison pour laquelle il se tait : parce qu’il ne saurait pas par où commencer, et encore moins à qui s’adresser pour ne pas passer pour un ingrat.
Pourtant, ingrat, c’est ce qu’il est, alors que jusqu’ici il a refusé d’écouter les conseils de son entourage qui n’ont eu de cesse de le convaincre que porter plainte serait un bon début pour vivre avec son trauma. Il n’en a toujours fait qu’à sa tête, Alfie, il n’en a souvent eu rien à faire des sentiments des autres, et cette situation ne faisait pas exception à la règle. Il tend à ne faire que ce qu’il veut, que ce qui l’arrange, et porter plainte n’entre dans aucune des deux catégories. Mais preuve en est qu’il doit faire le deuil de son indépendance : c’est bien dans ce but qu’il s’est déplacé ici aujourd’hui, et lui-même ne saurait pas vraiment expliquer quelles raisons personnelles le poussent à cela. Il n’y en a aucune ; toutes ses motivations sont communes à celles de son entourage, et ne visent qu’à servir leur intérêt à eux, et aucunement les siens. Mais c’est aussi ce qu’il a compris depuis son réveil : il n’a plus vraiment son mot à dire, et ce sont les autres qui gravitent autour de lui qui prennent les décisions. S’il le refuse, il écope inévitablement du mauvais rôle. Ça ne l’a pourtant jamais dérangé, et il ne saurait expliquer pourquoi cela en devient un problème aujourd’hui, mais toujours est-il qu’ils ont réussi à lui implanter l’idée dans sa caboche fracassée, et qu’il prend conscience qu’il ne s’agit pas toujours de lui (quand bien même voir les choses sous cet angle l’arrange fortement et lui évite bien des désagréments – comme cela aurait pu lui éviter celui de se déplacer ici aujourd’hui). Ce n’est pourtant pas un mal ; car si la situation ne dépendait que de lui, il n’aurait probablement jamais franchi le seuil de ce commissariat, ne se sentait pas légitime entre ces murs. Il a plus souvent été sur le banc des accusés que celui des accusateurs, et il suppose que cela enlève forcément du crédit à ses propos – même si Annie essaie de le persuader de l’inverse. Mais en y réfléchissant, Alfie persiste à croire que tous les éléments sont contre lui : autant ses expériences passées que ses incapacités actuelles. Qu’est-il supposé conter, si lui-même ne sait pas ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce que ça peut changer, comment cela peut aider la police ? Il a beau tourner et retourner la question sous tous les angles, il est persuadé de leur faire perdre leur temps, et que rien qu’il ne puisse dire sera un élément suffisamment tangible pour aider l’enquête. Il s’est retrouvé dans cet état, et rien n’explique les raisons derrière un tel déferlement de haine. Pour autant, il ne fait pas l’affront de couper son ami et de le contredire ; après tout s’il y en a un qui sait de quoi il parle, c’est bien Anwar, et même si ça l’achèverait de l’admettre, les propos de son ami bousculent ses certitudes. De par son égoïsme, il n’a pensé qu’à lui. Ou du moins, l’idée que Jules puisse subir une revanche lui a effleuré l’esprit, mais à aucun moment il n’a supposé que son bourreau pouvait s’être déjà rendu coupable du même crime. C’est une perspective qu’il n’a pas imaginé, et qui remet les choses en perspective. Hochant la tête tout en demeurant silencieux, Alfie tend l’oreille, mais son esprit s’active déjà. Et il ne bronche même pas lorsqu’Annie le renvoie à son statut de victime, car justement ce n’est qu’un statut et non son identité. C’est la raison pour laquelle il accorde du crédit aux propos d’Anwer, parce que celui-ci n’essaie pas de le prendre en pitié ; bien au contraire : il n’est pas une victime de par les conséquences qu’il subit et le trauma qu’il vit, mais il l’est au sens premier du terme, dans cette histoire c’est bien lui le lésé, tandis que son agresseur peut continuer à mener sa vie sans se soucier des dégâts qu’il a causé. Et ça le rend dingue, et c’est peut-être pour cela qu’il se doit d’agir : ça ne changera rien à ce qu’il s’est passé, ça ne l’aidera pas à guérir plus vite, ni à regagner la maîtrise de sa vie, mais ça aura au moins le mérite de ne pas lui laisser une sensation d’inachevé, et d’espérer que, même si les conséquences ne sont pas les mêmes, son bourreau connaîtra lui-aussi une souffrance dont il ne peut espérer se débarrasser. Restant muet quelques instants, il finit par relever son nez de sa tasse pour croiser le regard d’Anwar. « Tu m’assures que ça se rend-ri-retournera pas contre moi ? J’veux dire, si mes versions da-diffèrent ? » Parce que ce sera forcément le cas, parce qu’il n’a pas l’assurance que le discours d’aujourd’hui sera le même que celui dans deux semaines, qu’aucun élément ne lui reviendra en mémoire et qu’il sera obligé de revenir sur ses propos. « Ou si... si vous le retrouvez, mais que mes acci-accusations suffisent pas. » Parce que ça ne suffira pas, parce qu’ils ne peuvent pas se baser sur une impression ou espérer que ses souvenirs lui reviennent. « Et qu’il veuille terminer le travail. » Parce que ça aussi, c’est une possibilité, celle qu’il garde en mémoire depuis le premier jour. « J’veux dire, j’pars du principe que c’était un cami-cambrioleur, un accident, mais... si ça l’était pas ? » Si c’était volontaire, voire prémédité. Est-ce que son témoignage peut réellement servir ? Est-ce qu’il peut avoir l’assurance qu’il ne prend pas plus de risques en tentant de recoller les morceaux qu’en continuant à les laisser s’éparpiller ? « Comment je peux être sûr que ça ne me cas-causera pas plus de... problèmes ? » Il ne peut pas, parce que c’est le genre de questions qui n’attendent pas de réponses. De celles auxquelles il ne veut même pas songer ; et après avoir avancé d’un pas, il en recule de deux autres. |
| | | | (#)Lun 6 Juil - 7:15 | |
| Alfie avait l’attitude ambivalente de celui qui faisait quelque chose parce qu’il tentait de se persuader qu’il s’agissait de la bonne solution, mais tout en allant contre ce que lui intimait son instinct. Il acquiesçait sans certitude, ses yeux voguaient d’un point à l’autre de la pièce sans vouloir se fixer nulle part et surtout pas sur ceux d’Anwar, et si les séquelles de son accident n’y étaient probablement pas étrangères le policier avait la certitude que la nervosité de son ami tenait aussi dans les raisons de sa présence dans son bureau. Tâchant au mieux de se montrer factuel et de ne lui exposer que des éléments objectifs pour ne pas influencer son état d’esprit, le policier avait essayé au mieux de lui avancer quelques arguments qui pouvaient rendre légitime le dépôt d’une plainte, à la fois pour lui-même mais également pour le bien commun, et si Alfie était resté silencieux Anwar avait eu la vague impression que ce dernier argument avait fait mouche. Ce n’était qu’une hypothèse parmi tant d’autres bien sûr, mais peut-être avait-il été agressé par un cambrioleur qui sévirait ailleurs, voir même par quelqu’un qui avait originalement prévu de s’en prendre à Juliana et avait été un peu pris au dépourvu de ne trouver que son compagnon dans l’appartement … Une hypothèse que le brun s’était cependant bien gardé de développer à voix haute, ne souhaitant pas plonger inutilement Alfie dans une psychose ou une angoisse supplémentaire. Le silence de l’universitaire s’étirant d’ailleurs quelques instants, il avait repris la parole avec un brin d’incertitude : « Tu m’assures que ça se rend-ri-retournera pas contre moi ? J’veux dire, si mes versions da-diffèrent ? Ou si ... si vous le retrouvez, mais que mes acci-accusations suffisent pas. » Les questions étaient légitimes, et elles éclairaient un peu mieux Anwar sur là où se situait son ami, mais pourtant c’était ce qu’il avait ajouté ensuite qui avait le plus retenu son attention. « Et qu’il veuille terminer le travail. » Fronçant les sourcils, le policier n’avait pas eu le temps de questionner qu’Alfie ajoutait avec nervosité « J’veux dire, j’pars du principe que c’était un cami-cambrioleur, un accident, mais ... si ça l’était pas ? » le regard à nouveau fuyant et concluant à nouveau d’un « Comment je peux être sûr que ça ne me cas-causera pas plus de ... problèmes ? » mal à l’aise. La canette de soda qu’il faisait jusque-là tourner entre ses doigts avait été posée sur le bord du bureau, près de la photo de Tarek et Maya, et posant sur l’anthropologue un regard sérieux Anwar avait fini par questionner « Il y a quelque chose qui te fait penser que ça pourrait être autre chose qu’un cambriolage ? » Il n’avait pas pris la peine de relever l’hypothèse de l’accident, tant celle-ci lui semblait en revanche totalement incongrue ; Il avait vu l’état dans lequel était Alfie à l’hôpital, il n’avait pas eu besoin d’attendre le jeter un œil au rapport préliminaire de police entamé après le signalement du service des urgences pour savoir qu’il y avait eu un acharnement certain à mettre l’universitaire dans cet état. On ne tabassait pas quelqu’un de manière répétée « par accident ». « Personne ne te créera de problèmes Alfie, je ne suis pas là pour te faire accuser qui que ce soit au hasard … Tout ce que tu as à faire, c’est d’essayer de restituer un maximum de choses sur ce dont tu te souviens de ce jour-là, et des jours précédents. » Plus facile à dire qu’à faire, Anwar en avait bien conscience, aussi avait-il aussitôt enchaîné en ajoutant « Mes questions seront juste là pour essayer de te guider et faire en sorte qu’un maximum de détails te reviennent, même ceux qui ne te paraissent pas important … Mais c’est ni une performance ni un concours, d’accord ? Y’a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, et si tu ne sais pas, tu ne sais pas, c’est pas grave. » Fixant encore Alfie quelques secondes, attendant une approbation de sa part, le policier avait machinalement déverrouillé la session de son ordinateur et ouvert le logiciel de rédaction de procès-verbaux avant de reporter son attention vers son ami. « Est-ce que tu as des souvenirs de ce jour-là ? Pas de l’agression, mais de la journée en général. Est-ce que tu sais si tu es sorti, pour faire une course ou pour aller à l’université, est-ce que tu avais quelque chose de particulier noté dans ton agenda ? Un rendez-vous, un événement, autre chose … ? » Il n’excluait pas de questionner Juliana à ce sujet ensuite, dont les souvenirs seraient peut-être plus pragmatiques, et parce qu’il ne doutait pas qu’elle était du genre à connaître l’emploi du temps d’Alfie mieux qu’Alfie lui-même … Mais une chose après l’autre, et pour l’heure c’était la version du concerné qui l’intéressait.
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| | | | (#)Mar 18 Aoû - 20:13 | |
| Il le sait, pourtant, qu’il devrait y mettre du sien. Que d’un point de vue extérieur, sa prédisposition à rester campé sur ses positions parait incohérente compte tenu de la situation qu’il vient de vivre. Il n’est pas sorti de l’hôpital depuis longtemps, son refus de déposer plainte pourrait s’apparenter à un traumatisme qui mettra un certain temps à guérir et à lui permettre d’aller de l’avant. Et probablement est-ce le cas, mais ce n’est pas ce qui le retient de faire de telles démarches administratives. Celles-ci vont chambouler un quotidien dans lequel il ne se retrouve plus et si Alfie s’est toujours vanté d’être courageux, la vérité est qu’il a peur des conséquences de telles démarches. Il sait qu’il n’y trouvera pas satisfaction, car il est conscient qu’il est peu probable qu’il obtienne les réponses à ses questions ; mais Jules, elle, y trouvera peut-être son compte. C’est la seule chose qui lui permet de mettre son appréhension et sa mauvaise foi de côté, de considérer qu’il y a peut-être quelque chose à tirer de cette situation et de cette plainte – même s’il persiste à ne pas y voir d’intérêt. Sauf qu’il n’est pas question de lui, mais bien de sa petite amie et c’est un autre problème ; lui qui ne voulait jamais se penser en duo, le voilà inséparable de la jeune femme. Alors le fond du problème n’est pas tant le fait de porter plainte que tout ce que cela impose à un Alfie qui n’accepte pas de voir sa vie chamboulée à ce point. Mais il n’en dira rien à Annie, malgré l’amitié qu’il a pour le policier, cette dernière est encore trop récente pour qu’Alfie s’épanche sur le fond du problème. Un problème qu’il persiste à ne pas voir de cette façon, alors comment pourrait-il l’envisager auprès d’autrui ? Pourtant, il y a bien une peur qu’il s’autorise à verbaliser, celle qui implique de revivre un tel déferlement de violence, parce qu’il n’aura pas su être suffisamment vigilent, parce que les experts n’auront pas su faire leur travail correctement. Comment Anwar peut lui garantir qu’il n’y aura aucune répercussion à son témoignage, quand bien même celui-ci ne sera pas de grande valeur ? Il ne se souvient pas de grand-chose, mais comment est-ce que le type qui s’est déchaîné sur lui peut le savoir ? Peut-être qu’il est déjà en train d’élaborer un plan pour parvenir à ses fins, pour s’assurer de terminer le travail, correctement, cette fois-ci. Peut-être qu’il est paranoïaque, aussi, mais c’est un scénario qui est à envisager. Un scénario qui ne l’aurait pas dérangé en temps normal, mais qui devient problématique lorsqu’il inclut Jules. Il ne peut pas prendre le risque qu’elle soit elle aussi une victime et il a besoin de s’assurer que l’événement ne se reproduira pas. Le souci, c’est que personne ne peut lui le garantir, pas même lui, pas même malgré toutes les précautions qu’il prend depuis son retour à la maison. « Non, je-je... » Et il hésite autant qu’il ne parvient pas à trouver ses mots, Alfie, pris au piège de cette nervosité qui lui est inhabituelle et qu’il déteste de tout son être. « Non, c’est juste que... c’était vie-violent et je-je ne comprends pas. » Il avoue en haussant les épaules, le regard qui se perd dans le vide pour éviter celui d’Anwar. Son état à son arrivée à l’hôpital laisse sous-entendre la violence des coups, la rage qui a pris possession de son agresseur et cette volonté de le réduire au silence, qui fait ça pour un simple cambriolage qui a mal tourné ? « Un camb-cambriolage, tu dois quitter... les lieux au plus vite et là, là... » Ça n’a pas pu être le cas. Vu l’ampleur de ses blessures, ça n’a pas pu être le cas. « Je l’ai sûr-sûrement provoqué. C’est logique. » Il admet avec un léger sourire ; oui, c’est logique compte tenu de sa personnalité et de son caractère, il ne paraît pas improbable qu’il ait fait de son mieux pour interrompre les plans de l’intrus et s’assurer qu’il n’ait pas envie de remettre cela de sitôt. À son détriment, comme son état physique le fait comprendre.
Secouant légèrement la tête de façon à acquiescer aux propos de son ami qui visent à le rassurer, Alfie affiche un sourire pincé, peu sincère, toujours perturbé par la façon dont la situation pourrait lui revenir en plein visage tel un boomerang. « D’accord. » Il verbalise finalement en relevant le regard et en osant affronter celui d’Anwar. Et la tension dans l’air s’alourdit alors qu’ils entrent dans le vif du sujet et que son ami pose les premières questions. « Je... » ne sais pas. Je n’ai plus aucun souvenir de ce jour et des précédents, ni des suivants, c’est ce que je me tue à vous dire. Alfie a conscience qu’Anwar n’y est pour rien et qu’il ne peut répondre de cette manière sans avoir le droit à la même provocation en guise de réponse ; raison pour laquelle il préfère se montrer silencieux le temps d’essayer – une énième fois – de faire appel à ses souvenirs. « Je crois que j’étais en ci-congé. » Il ne le croit pas, il le sait, sauf qu’il ne s’agit pas d’une vérité dont il se souvient, mais qu’on lui a transmise. « Je ne pense pas être-être sorti. » Il ne le sait pas, mais il le perçoit. Il n’a pas l’impression qu’il avait fait un détour par l’université ni une course à faire. « J’en sais rien. » Qu’il souffle finalement en se frottant son œil valide dans un tic nerveux. « C’est comme si... s’il n’y a-avait rien avant ni après. Juste un gros trou ni-noir de plusieurs jours. » Il soupire avant de reprendre, tenter de réfléchir aux mots qu’il veut employer. Mais comment peuvent-ils sortir de sa bouche alors qu’ils doivent traduire d’une situation qui lui est totalement méconnue ? Il réfléchit, Alfie, à ce qu’il pourrait dire. Au moindre élément qui pourrait être utile, pour prouver sa bonne foi même s’il n’y croit pas lui-même. Mais il n’y a rien. Aucun souvenir, aucun indice et il se sent stupide d’avoir cru que la pression de rendre des comptes à Anwar l’aiderait à se rappeler. À moins que... « Je crois que j’ai oul-ouvert la porte. » Il admet, avant de reprendre. « J’en suis pas... pas sûr, mais je... je crois que je l’ai ouvert. » Il n’est pas certain, pourtant le ton de sa voix laisse penser le contraire. Et cela semble sans importance, mais quel cambrioleur frapperait à la porte ? Si le timing correspond, ce qui est loin d’être une certitude. « J’ignore si c’était juste avant, ou bea-beaucoup plus tôt, mais enfin... peut-être qu’on peut cr-creuser là ? » Si seulement. Car que peuvent-ils creuser sans éléments concrets ?
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| | | | (#)Jeu 22 Oct - 19:45 | |
| La frustration que ressentait un enquêteur devant des questions sans réponses n’était probablement qu’un infime grain de sable en comparaison de celle qui animait Alfie à l’idée de ne pas comprendre comment et pourquoi il avait été victime d’une telle agression. Avec Jules les choses étaient encore différentes, l’inspecteur avait plusieurs fois eu l’occasion d’échanger avec elle lorsqu’il avait rendu visite à l’anthropologiste durant son hospitalisation, et si elle non plus n’avait aucune réponse à apporter pour expliquer cet événement, au moins était-elle en capacité de mettre des mots sur ses interrogations … Et les mots, c’était justement ce qui manquait un peu Alfie à l’heure actuelle. Pour Anwar, habitué à fréquenter les salles d’interrogatoire et à donner du poids et de l’importance à chaque mot sortant de la bouche de son interlocuteur, cela représentait une difficulté de plus à laquelle se plier pour tenter de rendre cet entretien concluant – encore que s’il s’agissait effectivement d’un cambriolage les chances de mettre la main sur le coupable étaient minces, sauf s’il récidivait jusqu’à faire le fameux « coup de trop » … Mais le brun ne souhaitait ni partir défaitiste, ni abreuver Alfie de faux espoirs. De supposition jetée sans vraiment y songer, la remarque de ce dernier sur la possibilité qu’il s’agisse d’autre chose que d’un crime crapuleux avait donc suffisamment interpelé le policier pour qu’il s’arrête et questionne, provoquant chez son interlocuteur un nouveau bafouillage et un « Non, je-je ... Non, c’est juste que... c’était vie-violent et je-je ne comprends pas. » jeté avec incertitude. « Un camb-cambriolage, tu dois quitter ... les lieux au plus vite et là, là ... » Là la personne avait pensé à frapper avant de penser à fuir. Alfie marquait un point. « Je l’ai sûr-sûrement provoqué. C’est logique. » Logique parce que cela collait avec ce qu’il connaissait de lui-même, ou logique simplement parce qu’il ne trouvait pas d’autre explication ? « C’est quelque chose que tu penses que tu aurais fait ? » Voyant qu’Alfie semblait hésité, il avait ajouté « C’est pas un jugement. J’aurais peut-être fait pareil. » Ou peut-être pas, après tout Dieu savait avec qui Alfie s’était retrouvé nez-à-nez, et Anwar n’avait même pas la prétention de le connaître suffisamment bien pour s’imaginer comment il réagissait sous la pression. Encore une fois Anwar n’était pas là pour mettre son ami en mauvaise posture, et qu’ils aient cette discussion dans un poste de police ne signifiait pas automatiquement que ce que dirait Alfie lui apporterait des ennuis. Bien qu’il n’ait pas l’air pleinement convaincu, Alfie s’était fendu d’un « D’accord. » prudent, et dans l’idée de ne pas le retenir ici de manière inutile le policier n’avait pas tourné autour du pot plus longtemps. Des questions, il en avait déjà posé certaines à Jules des semaines plus tôt, sans compter les deux agents en uniforme qui les premiers s’étaient déplacés à l’hôpital après le signalement des médecins. Mais si ses années d’enquêteur lui avaient bien enseignées quelque chose c’était que le conjoint n’était pas toujours au courant de tout, et que sa seule version et ses seuls souvenirs n’étaient jamais à prendre pour argent comptant … Par conséquent, si elle était précieuse, la version de celle avec qui Alfie partageait sa vie n’était en rien suffisante. « Je ... Je crois que j’étais en ci-congé. Je ne pense pas être-être sorti. » Il butait sur chaque mot, sur chaque incertitude, à tel point que le brun n’aurait pas été étonné de l’entendre hésiter s’il lui avait redemandé son prénom. « J’en sais rien. C’est comme si ... s’il n’y a-avait rien avant ni après. Juste un gros trou ni-noir de plusieurs jours. » Alfie avait soupiré, sa frustration palpable, et durant les quelques secondes qui avait suivies Anwar n’avait cherché à l’interrompre dans sa réflexion. « Je crois que j’ai oul-ouvert la porte. J’en suis pas ... pas sûr, mais je ... je crois que je l’ai ouvert. » Acquiesçant d’un signe de tête, le policier avait griffonné quelques mots sur son calepin tandis qu’Alfie ajoutait « J’ignore si c’était juste avant, ou bea-beaucoup plus tôt, mais enfin ... peut-être qu’on peut cr-creuser là ? » et reposant son stylo il avait relevé les yeux vers son ami. « On peut, oui. » Ce n’était pas grand-chose mais c’était mieux que rien, et en réalité anar n’avait pas tant espoir de que cette conversation amène des réponses qu’elle ne fasse travailler la mémoire d’Alfie pour, qui sait, faire remonter d’autres souvenirs et d’autres questionnements un peu plus tard. « C’est quelque chose que vous feriez en temps normal Jules et toi, ouvrir à un ou une inconnu.e ? Tu penses que tu aurais pu ouvrir sans te méfier et donc sans regarder d’abord par le judas ? » Lui-même savait qu’il n’ouvrait jamais sans vérifier d’abord, d’autant plus lorsqu’il n’attendait pas de visite, mais sans doute y’avait-il une part de déformation professionnelle dans cette habitude. Ils avaient continué de discuter pendant quelques minutes, des détails et des banalités dont Anwar griffonnait parfois quelques mots sur son calepin sans lui-même savoir si quoi que ce soit de tout cela leur serait utile plus tard. La tasse de thé d’Alfie descendait doucement, celle de café d’Anwar était pratiquement vide, et ayant probablement repoussé suffisamment la chose le policier avait fini par reprendre la parole. « Il faut que je te fasse écouter quelque chose. On a récupéré l’enregistrement de l’appel qui a été passé au 000 pour envoyer des secours chez toi. » Marquant une pause, il avait jaugé la réaction du musicien avant de continuer « D’après les témoignages de tes voisins aucun d’eux n’a passé cet appel … alors il y a des chances que la personne qui t’a fait ça soit aussi celle qui a utilisé ton téléphone. » Pianotant sur son clavier quelques instants, il avait ouvert le fichier et augmenté le volume, et enfin appuyé sur play. « Services de secours d’urgences du Queensland bonjour ! – … – Allo ? – Un homme, blessé, à … Toowong, Bywong Street appartement quatre-vingt-quinze. – Très bien. La personne est consciente ? Quel type de blessures ? – Il faut une ambulance. – Un équipage va être dépêché sur pl-… Allo ? Allo ? » Laissant à Alfie le temps de digérer ce qu’il venait d’écouter, le policier avait laissé passer quelques dizaines de secondes avant de reprendre la parole « On peut le réécouter si tu veux. Tu peux fermer les yeux si ça t’aide à te concentrer. » La qualité du son n’était pas idéale, la police n’avait pas les moyens pour du matériel dernier cri, et la panique dans la voix masculine laissait à penser que, peut-être, celle avec laquelle il s’exprimait le reste du temps n’était pas tout à fait la même – moins brutale, moins aigue, qui sait.
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| | | | (#)Mer 4 Nov - 13:05 | |
| Il n’a pas menti, Alfie et cette entrevue le démontre : ses souvenirs de ce jour sont vagues, pour ne pas dire carrément inexistants et son impuissance face aux questions d’Anwar ne font que renforcer son impression que toute cette démarche est inutile. Porter plainte n’était pas une priorité pour lui, sans quoi il aurait probablement pu se renseigner sur les démarches déjà à l’hôpital – pas de lui-même, mais l’organisation millimétrée de Jules lui aurait certainement permis d’anticiper. Et ça ne l’est toujours pas, même assis face à son ami, alors qu’il a conscience de ne pas pouvoir lui amener le moindre élément concret à ajouter au dossier. Il ne peut faire que des suppositions qui découlent de sa propre attitude et non pas de celle de cet individu qui s’est défoulé sur lui – ce qui le met inévitablement en position de bourreau alors qu’il demeure pourtant la victime. Tous les éléments qu’il apporte vont dans ce sens, alors qu’il ne peut imaginer que sa propre réaction ; et en ce sens il est vrai que la provocation étant un trait important de son caractère, il ne serait pas étonné d’apprendre qu’il possède une grande part de responsabilités dans ce qui lui est arrivé. Pas que ceci le dérange à vrai dire, Alfie accepte ses travers et ne serait pas particulièrement outré d’être jugé responsable. Pour avoir passé la majeure partie de sa vie à tester les autres et ses propres interdits, il n’est pas sans savoir que sa réputation n’est plus à faire auprès de certains individus (ni auprès de lui-même) et qu’un indice pourrait être tiré de tels faits. Mais encore une fois, sans éléments concrets, il s’abstient de faire de trop nombreuses suppositions qui pourraient aiguiller l’enquête dans la mauvaise direction, simplement parce qu’il sera plus question de lui que du véritable coupable. Hochant la tête à la question d’Anwar, acquiesçant de la possibilité qu’il ait effectivement pu provoquer l’individu de par l’incohérence lié au maigre souvenir qu’il possède (d’avoir ouvert la porte), il préfère rester muet un bref instant pour, encore une fois, ne pas donner trop d’éléments qui se basent sur ses propres interprétations et ne seraient pas des plus pertinentes. « Oui, j’en suis ci-certain. » Il finit par confirmer verbalement à la question d’Anwar, ne prenant pas celle-ci pour le jugement dont il se dédouane très rapidement ; c’est l’un de ses aspects de sa personnalité qui n’a guère évolué après cette violente agression, il ne ressent toujours pas la nécessité de s’excuser d’être qui il est et quand bien même Anwar se permettrait un jugement, il ne serait pas offusqué. Mais il sait aussi que son ami est un professionnel et qu’à défaut de le connaître par cœur, il sait au moins que cela ne lui ressemble pas.
Assuré que la situation ne lui créera pas de problèmes (même s’il saurait en accepter les conséquences si cela devait être le cas), Alfie puise encore une fois dans de simples impressions plutôt que des faits concrets. Son agenda n’est pas suffisamment tenu à jour pour qu’il se souvienne véritablement de ce qu’il a fait ce jour-là et cette capacité à être particulièrement tête en l’air le dessert de la pire des manières. Jusqu’ici, bien sûr que cela impacte de temps à autre son quotidien lorsque Jules doit être sa tête pour lui, néanmoins ça n’avait eu autant d’importance qu’aujourd’hui où il se flagelle mentalement de ne pas tenir ses affaires à jour. Il est trop bordélique, Alfie, il le sait pertinemment et ça n’avait jamais été un problème. Pour autant, en vue du nombre d’heures supplémentaires qu’il a fait à l’université au cours des derniers mois, la raison de sa présence dans son appartement en pleine journée ne peut s’expliquer que par cette perspective. Il pourrait en avoir la certitude en contactant l’université, mais ça n’a pas fait partie de ses priorités jusqu’ici, puisqu’il était surtout question de sortir de l’hôpital en un seul morceau. Chaque chose en son temps ; et probablement qu’il reviendra auprès d’Anwar dès qu’il aura éclairci cet aspect. Il aurait pu le faire avant, en réalité et à cette pensée Alfie prend encore conscience des nombreux dégâts que l’agression a pu faire et de son manque de réflexion qui, d’ordinaire, ne le caractérise pas de cette façon. Outre son emploi du temps, il est (presque) persuadé d’avoir lui-même ouvert la porte et face à la question d’Anwar, il se rend compte que, finalement, il n’en sait pas grand-chose. « Elle non, moi oui. » Bien sûr qu’il ne se méfie pas, Alfie, ou du moins très rarement. Ouvrir sans passer par le judas est tout à fait son genre – bien que depuis son retour chez lui ce soit devenu un réflexe de vérifier qui se présente à la porte. Mais auparavant, non, ce n’était pas une nécessité pour lui, n’ayant (à sa connaissance) pas d’ennemis qui le détesteraient suffisamment pour lui laisser autre chose qu’un cadeau canin sur le paillasson. Ça fait partie de son caractère spontané que de ne pas posséder une once de méfiance et cela se traduit par des gestes du quotidien qui semblent anodins jusqu’au jour où ils se retournent contre vous, comme il en fait l’amère expérience à ce jour.
Et il réfléchit, Alfie, à ce qu’il pourrait amener d’autres comme éléments, mais il n’y a rien qui lui vienne en tête de suffisamment important. Ce ne sont que des banalités qui sont confessées, jusqu’à ce qu’Anwar reprenne la parole et soit celui qui puisse amener le premier élément véritablement concret de toute cette affaire lorsqu’il lui parle d’enregistrement. Et si la surprise ne peut probablement pas se lire sur son visage encore déformé, l’anthropologue ne l’est pas moins et son cerveau fonctionne à nouveau à mille à l’heure alors que de nombreuses interrogations lui viennent en tête. Aucun voisin n’a passé cet appel, lui laissant un goût amer de désolidarisation la plus complète, mais impliquant également que son bourreau soit son sauveur – ce qui rend toute cette situation encore plus complexe et désagréable sans aucun élément de réponse. « Mais... » Il aurait voulu verbaliser ses doutes, ses craintes aussi, ses interrogations ; mais sa parole n’est pas en mesure d’être suffisamment affirmée pour qu’il ne le fasse. Alors il se tait, Alfie, se contente d’adresser un regard (d’un œil) à Anwar pour partager silencieusement sa confusion, tandis qu’il se replace sur sa chaise pour s’avancer de quelques centimètres, comme si cela était susceptible de l’aider à être plus concentré à l’écoute de ce message. « Je veux bien, oui. » Il demande, tandis que cette fois-ci il baisse la tête et ferme les yeux alors qu’Anwar lance l’enregistrement une seconde fois, puis une troisième fois lorsqu’il fait tourner son index sur lui-même pour amener son ami à répéter l’action. Mais trois écoutes ne suffisent pas ; d’autres ne suivent pas alors qu’il a conscience que cela restera sans succès. Il finit par rouvrir les yeux, se replace sur sa chaise et secoue brièvement la tête de gauche à droite, avant d’admettre : « Non, je-je, ça me dit r-rien. » La qualité du son est loin d’être idéale, probablement encore plus difficile de par la propre qualité de son téléphone qui était dans un état déplorable de base à force de rencontrer le sol à chaque inattention de son propriétaire. La voix est étouffée autant qu’elle est paniquée et s’il peut affirmer que la voix appartient à un homme, il ne parvient néanmoins pas à l’identifier. Et même le langage utilisé ne lui est d’aucune aide, quand bien même l’aspect concis des phrases pourrait l’aiguiller sur quelques identités – mais il s’agit encore une fois de suppositions, qui en plus de flageller inutilement des individus, ne se basent sur rien et relèvent surtout d’une affabulation au point où il regrette très vite d’y avoir songé. « Je-désolé. J’arrive à rien. » Il s’excuse tandis qu’il ferme les yeux un bref instant et laisse échapper un soupir. « Je-je peux avoir une cap-copie ? » Il demande, des fois que cela lui serait utile au moment où sa mémoire serait susceptible de revenir, des fois qu’il envisagerait de faire écouter l’enregistrement à Jules ou simplement à le réécouter jusqu’à ce qu’un élément se distingue.
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| | | | (#)Lun 30 Nov - 3:43 | |
| Il n’était pas défaitiste Anwar, mais il n’aimait pas mentir. Ni à ses amis ni dans le cadre de son travail, à moins qu’il ne s’y sente véritablement obligé et qu’aucune autre solution ne se présente à lui, et dans le cas présent bercer Alfie d’illusion ne lui semblait pas être une manière de lui rendre service. D’avoir réussi à le traîner jusqu’ici pour qu’il porte plainte, et non sans avoir dû s’y mettre à plusieurs pour parvenir à le faire flancher, ce n’était pas tant une question de résultat qu’une question de principe. Bien sûr que sans plus d’indices, sans de nouveaux éléments susceptibles d’orienter les investigations, il y avait fort peu de chances de retrouver un jour le coupable de l’agression dont le professeur avait été victime – c’était presque comme s’il s’était évaporé. Personne n’avait rien vu, personne n’avait rien entendu, et soit l’inconnu.e avait pensé son coup avec toutes les précautions possibles et imaginables pour ne pas se faire prendre, soit sa présence aux abords de chez Alfie était suffisamment anodine pour ne pas attirer l’attention. C’était dans l’espoir un peu vain, il est vrai, de faire pencher la balance du côté de l’une ou l’autre de ses options que le policier avait alors abattu ce qui représentait sa seule et unique carte : l’enregistrement de l’appel aux services de secours passé, en toute vraisemblance, juste après la commission des faits. Quelques secondes d’un enregistrement trahissant la piètre qualité du matériel avec lequel devaient composer les services gouvernementaux, mais aussi le comportement pour le moins inhabituel de celui ou celle qui, peut-être, avait administré à Alfie la correction de sa vie. Car qui d’autre que le coupable pourrait avoir réagi de façon aussi précipitée au bout du fil ? Qui d’autres aurait appelé pour ne pas ensuite s’assurer de l’arrivée des secours ? Le responsable. Mais quel genre de coupable rouait quelqu’un de coups jusqu’à le laisser pour mort, pour ensuite faire marche arrière et appeler à l’aide ? Trop de choses dans toutes cette histoire soulevaient des questionnements et laissaient dubitatif … Et comme tout bon policier, Anwar n’aimait pas qu’un mystère lui résiste et que la logique n’ait pas voix au chapitre. Concentré, désorienté, il y avait sur le visage d’Alfie tandis qu’il tendait l’oreille pour écouter l’enregistrement un tas d’indices dont la seule conclusion à tirer était qu’il ne savait plus où il en était. L’écoute de l’échange téléphonique n’ayant visiblement donné lieu à aucune illumination – ce sur quoi Anwar ne comptait pas vraiment, mais dont une partie de lui se sentait tout de même un peu déçu – il s’était exécuté sans broncher lorsque son ami avait acquiescé d’un « Je veux bien, oui. » laconique à sa proposition de lui faire réécouter le message. Deux fois, trois fois, et malgré un effort qui crevait les yeux et une frustration toute aussi limpide l’anthropologue n’avait pu que s’avouer vaincu et admettre en soupirant « Non, je-je, ça me dit r-rien. » avant de se laisser à nouveau glisser contre le dossier de sa chaise. « Je-désolé. J’arrive à rien. » Secouant la tête à son tour, Anwar avait repoussé sa souris plus loin et s’était saisi de sa canette de soda tandis que son café, lui refroidissait. « T’excuse pas, c’est pas grave. Ça ne coûtait rien d’essayer. » Et bien qu’il vaille mieux ne pas fonder trop d’espoirs dessus, le policier avait encore le mince espoir qu’avec un peu de recul et quelques nuits de sommeil, l’inconscient d’Alfie fasse sa part de travail et ne l’amène peut-être à une illumination plus tard, lorsqu’il s’y attendrait le moins. « Je-je peux avoir une cap-copie ? » Bien que peu surpris par la question, Anwar avait dodeliné la tête en tentant de ne pas paraître trop catégorique mais s’était néanmoins vu forcé de répondre. « C’est pas vraiment autorisé. » Pas du tout, en réalité. Car la justice se fichait bien qu’Alfie soit directement concerné par le dit enregistrement – la justice se fichait bien du sort des victimes, plus généralement … c’était l’affront à la loi qui comptait, et le tort fait à la société bien plus que celui fait à un individu. « … Mais je vais essayer de voir ce que je peux faire. » Il préférait ne rien promettre, et essayer ne voulait pas dire réussir … Mais il tâcherait de faire au mieux, soucieux d’aider son ami. « Je te tiendrai au courant. » lui avait-il alors assuré, un mince sourire s’étirant sur ses lèvres. Quittant quelques instants Alfie des yeux pour retourner à l’écran de son ordinateur, il avait relu en diagonale le procès-verbal rempli au fur et à mesure de son échange avec l’universitaire, tâche ingrate qu’il laissait habituellement à son équipière au prétexte qu’un deuxième œil corrigeait mieux que celui qui avait rédigé le premier jet. « On peut en rester là, si tu veux. On a un peu fait le tour, et je ne veux pas te retenir ici inutilement. » Disant cela il avait double-cliqué pour imprimer une copie du PV et avait tendu le bras pour récupérer la feuille à sa sortie de l’imprimante avant de la déposer devant Alfie. « Je te laisse relire et signer en bas si tout te semble correct. Et pendant ce temps je vais voir pour te trouver une patrouille pour te raccompagner. » Presque certain de sentir venir la protestation, l’inspecteur avait levé un doigt en signe d’objection avant même que son ami ne reprenne la parole « C’est pas négociable. J’ai pas envie que ta dulcinée vienne me mettre un coup de pied au cul pour t’avoir laissé prendre le bus pour rentrer … Crois-moi, je l’ai vue à l’œuvre quand t’étais encore à l’hosto, je préfère l’avoir dans la poche que sur le dos. » Il plaisantait, bien sûr … Jules ne semblait pas si terrible. Encore que.
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| | | | | | | | (anwar) emotional motion sickness |
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