Il ne fait pas froid ce soir à Brisbane et pourtant, alors que je marche d’un pas pressé sous la lumière des réverbères qui me permettent de me diriger dans la nuit, je tremble comme une feuille. Cette soirée a été un véritable cauchemar et mon cerveau peine à enregistrer toutes les informations des dernières heures. Il y a eu cet homme, riche, puissant et la limousine qui nous a conduits au gala où j’étais censée être comme un poisson dans l’eau et puis il y a eu Abel, sa fureur, la vérité qu’il m’a renvoyée en pleine figure, cette vérité contre laquelle je n’ai pas été capable de me défendre parce que j’étais tout bonnement indéfendable. Je sais que j’ai merdé et je sais que je n’aurais jamais dû lui mentir parce que les conséquences seraient bien trop grandes s’il venait à apprendre la vérité par hasard. J’ignore comment il l’a su mais je pense que je ne le saurais jamais parce que je l’ai perdu ce soir, définitivement. Cette simple pensée me serre le cœur à l’idée du vide immense qu’il va laisser dans ma vie. Je m’étais promis de ne pas m’attacher aux gens parce qu’ils finissent toujours par m’abandonner lorsqu’ils connaissent finalement tout de moi. Clément n’a pas voulu de moi, Yoko est partie, Blake m’a laissée, Caleb s’est détourné lorsqu’il a su alors qu’il n’a pourtant conscience que d’un tiers de la vérité. Maintenant, c’est au tour d’Abel et ça ne devrait même pas me surprendre. A dire vrai, ça ne m’étonne pas vraiment, et je m’étais même préparée à cette éventualité, me croyant capable de surmonter son absence. La douleur que je ressens actuellement me prouve le contraire, le maquillage étalé sur mes joues encore mouillées par les larmes est également un bon indicateur. Je ne me souviens pas avoir un jour été aussi mal en point. Les rares passants que je croise sur mon passage me regardent avec un air mi désolé et mi terrifié. Je me demande s’ils s’imaginent que je vais faire une connerie ce soir, peut-être qu’ils guetteront la rubrique des faits divers des journaux locaux dans les prochains jours. Ils vont être déçus, je n’ai pas l’intention de mettre fin à mes jours, j’ai un tout autre objectif en tête pour achever cette nuit cauchemardesque qui me laissera à tout jamais un souvenir que je préférerais oublier. Je marche depuis une heure et demie, peut-être même deux heures déjà et mes pieds me font mal dans mes escarpins inadaptés à un aussi long périple mais à aucun moment je ne ralentis l’allure parce que j’ai trop peur de change d’avis si jamais je me permettais d’hésiter. Il est grand temps de faire un peu de ménage dans le bazar complet qu’est ma vie et le courage que j’ai actuellement n’existe que parce que j’ai la certitude que quoi qu’il puisse se passer désormais, j’ai déjà presque touché le fond alors empirer les choses ne rendra pas la situation nettement plus dramatique. C’est stupide, vraiment stupide, de vouloir encore s’enfoncer alors qu’on est déjà en train de se noyer mais c’est ma manière de fonctionner, descendre le plus bas possible pour remonter encore plus haut. Le problème, c’est que je n’apprends pas vraiment de mes erreurs alors les chutes sont bien plus nombreuses que les moments de bonheur.
Devant la porte de l’immeuble, je ne mets que quelques instants à retrouver mes clés glissés dans ma pochette et je préfère emprunter les escaliers plutôt que d’attendre l’ascenseur pendant une durée plus ou moins longue qui me laisserait le temps de cogiter. Il est plus de deux heures du matin, mais je sais que je vais trouver Caleb encore debout, comme à chaque fois qu’il rentre de son service du soir parce qu’il a besoin de décompresser avant de trouver le sommeil – c’est en tout cas comme ça que j’ai toujours interprété les choses –. J’espère qu’il sera seul et qu’il n’aura pas eu la mauvaise idée de demander à Alex de passer dormir à la maison, j’espère aussi qu’il n’a pas changé d’avis et décidé de passer la nuit chez elle-même si ça m’étonnerait parce qu’il m’a dit qu’il devait aller au restaurant assez tôt demain et en général, dans ce cas de figure, il préfère être chez nous. Ma main tremble légèrement lorsque je glisse la clé dans la serrure et ouvre la porte de l’appartement. La lumière du salon m’indique que je ne me suis pas trompée et c’est avec un immense nœud à l’estomac que je m’avance à l’intérieur du loft pour me retrouver face à mon frère. Je suis certaine qu’il n’a pas besoin que je lui explique le déroulé de ma soirée pour savoir qu’elle s’est mal passée. La robe de soirée hors de prix, la coiffure savamment étudiée, les bijoux de créateurs que j’avais le droit de porter juste pour quelques heures et ce maquillage étalé sur mon visage lorsque cette nuit s’est transformée en cauchemar ne laissent aucune place au doute. Mais s’il se rend compte que je n’ai pas passé la soirée à regarder un film blottie dans les bras d’Abel ou à une de ses soirées étudiantes organisée dans un bar à proximité du campus, je suis sûre qu’il n’imagine pas un seul instant en quoi consiste exactement mon travail et dans quel pétrin je me suis fourrée. Il ne va pas tarder à le savoir maintenant parce que ce soir plus que tous les autres, j’éprouve le besoin de lui parler, de tout lui révéler, pour ne plus porter seule le poids de ce secret devenu bien trop lourd pour mes frêles épaules. « Il faut qu’on parle. » Il n’y a aucune hésitation dans ma voix mais les tremblements de mes mains sont persceptibles et, au fond, je suis morte de peur. « Tu devrais t’asseoir. » Je vais peut-être perdre définitivement mon grand-frère ce soir et je ne sais pas comment je réussirais à m’en remettre si ça devait arriver, mais lui-même m’a dit que tout finissait par se savoir et qu’il valait mieux jouer cartes sur tables. J’ai déjà beaucoup trop attendu, l’heure de vérité a sonné.
“It takes strength and courage to admit the truth.”
Une longue et dure journée vient de se terminer. Ce soir le restaurant était plein à craquer et nous n’avons pas eu une minute pour souffler. En soit c’est une bonne chose. Une très bonne chose même les affaires marchent très bien et nous faisons toujours un peu plus de bénéfice chaque mois. Mais je suis fatigué et je commence sérieusement à songer à me prendre quelques jours de congé. Voire même une semaine entière de vacances, je sais que ça me ferait le plus grand bien. Et pourquoi pas partir quelques jours avec Alex, pour nous couper du monde extérieur de la pression de notre quotidien, continuer à vivre dans le déni et éviter les potentiels sujets de désaccord entre nous que nous n’avons toujours pas réglés. Juste elle et moi et personne d’autre. Parce que maintenant nous sommes officiellement ensemble depuis un peu plus d’un mois et même si tout n’est pas parfait, pour la première fois depuis la mort de LV je me sens vraiment heureux et rien ne pourra changer ça. Du moins je l’espère. Quand je rentre il est un peu plus d’une heure du matin, j’ai dû rester tard pour régler plein de problèmes au restaurant et me dire que demain je dois y être à huit heures du matin me déprime complètement. Je suis crevé, j’ai envie de dormir, et ça faisait un petit moment que je n’étais pas rentré aussi tard. Je constate que Prim n’est pas encore là mais je ne me pose pas plus de questions que ça, elle va sûrement passer la nuit chez son petit-ami et c’est sans plus attendre que je file sous la douche et je n’aspire qu’une chose : pouvoir retrouver mon lit et profiter du peu d’heures de sommeil que je vais avoir. Avoir son propre restaurant c’est énormément de travail et même si j’en été conscient avant de me lancer dans cette aventure je ne savais pas que ça serait aussi fatiguant. Bon après il est tout à fait possible que je me foute peut-être un peu trop la pression et que mon perfectionnisme et mon besoin de tout contrôler ne m’aide pas là-dessus. Je le sais et c’est pour ça qu’en ce moment j’essaie vraiment de lever le pied et de m’octroyer un peu plus de repos et des heures de travail plus raisonnables. Au vu de l’heure à laquelle je suis rentré aujourd’hui je suppose que ce n’est pas flagrant, mais la différence c’est qu’il y a un an voir même encore quelques mois je rentrais toujours vers ces heures-là et je repartais très tôt le matin. La différence maintenant, c’est qu’aujourd’hui mes heures supplémentaires sont exceptionnelles.
Juste après un passage dans la salle de bain, je me rends dans la cuisine pour me faire un sandwich rapide. Parce que j’ai mangé à dix-huit heures avant le service, il est deux heures passées je meurs de faim et sans avaler quelque chose je serai incapable de dormir. Et c’est à ce moment-là que j’entends des clés s’introduire dans la serrure, je fronce les sourcils, étonné que ma sœur rentre à cette heure-ci. J’espère qu’elle ne s’est pas disputée avec ce garçon, j’espère surtout qu’il ne lui a pas fait de mal. C’est en croquant une première fois dans mon petit sandwich que je me retourne pour observer une Primrose à l’air complètement perdu ou dépité je ne sais pas trop. Tout son maquillage a coulé sur ses joues. Étonné je l’observe sans rien dire pendant une poignée de secondes, elle porte une robe de soirée qui semble bien trop chic pour qu’elle puisse être la sienne et surtout beaucoup trop classe pour une simple soirée avec son copain. Elle s’avance vers moi et c’est à ce moment-là que je trouve enfin le courage de lui parler. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’as pleuré ?» Je lui demande, les sourcils froncés, sincèrement inquiet. Si j’en crois son mascara qui a coulé le long de ses joues et ses yeux rougis, oui elle a pleuré. J’ai envie de lui poser encore un million de questions, j’ai envie de lui demander si quelqu’un lui a fait du mal, si ce garçon dont elle m’avait parlé la dernière fois est à l’origine de son état désastreux ce soir. Si c’est lui qui l’a mise dans cet état-là, je vous jure que ce garçon entendra parler de moi. Habituellement je ne me mêle pas de la vie privée de ma sœur, de ses histoires de cœur. Même après qu’elle m’ait dit être attirée par un garçon de sa classe, je ne me suis pas immiscé dans sa vie privée et je l’ai laissé vivre sa vie comme bon lui semble, parce qu’après tout je n’ai pas vraiment mon mot à dire sur la vie qu’elle mène ni même sur les garçons qu’elle peut fréquenter ou non. Mais je refuse de laisser un garçon mettre ma petite sœur dans un état pareil. « Il faut qu’on parle. » Oui très bien d’accord, parlons. C’est ce que j’ai envie de lui répondre mais le ton de sa voix est ferme et décidé alors je ne dis rien, un peu surpris. « Tu devrais t’asseoir. » Je devrais m’asseoir ? Elle n’a pas l’impression d’en faire un peu trop, là ? « Quoi ?» Je lui demande, un peu bêtement je l’avoue, mais je suis pris au dépourvu et son attitude ne me rassure pas vraiment. « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu me fais peur Prim. » Mais malgré tout je l’écoute, et je m’assieds sur un fauteuil du salon. Je me retrouve assis dans le salon, un sandwich à la main face à ma petite sœur qui semble au bout de sa vie.
L’image que je dois renvoyer doit être terrible pour que Caleb blêmisse instantanément en me voyant arriver devant lui. Je n’ai même pas encore prononcé un mot que je lui fais déjà de la peine et ça me brise le cœur. Je ne pensais pas pouvoir dire ça un jour, mais peut-être qu’Alex avait raison, en fin de compte. Certes, les choix que je fais concernant ma vie professionnelle et l’usage de mon corps ne m’impactent que moi, de manière directe, mais il y a tous les dommages collatéraux autour, les personnes que je vais décevoir en m’adonnant à une activité qu’ils désapprouvent et les problèmes que je vais causer en me mettant les mauvaises personnes à dos. En définitive, je sais que la vérité que je vais lâcher ce soir va certainement avoir de terribles conséquences sur notre relation tout juste reconstruite et ça me fait évidemment très peur. Malgré tout, je ne peux pas renoncer, parce que j’ai besoin de parler à quelqu’un et pas à n’importe qui, mon frère est la personne dont je suis la plus proche et son soutien et ses conseils seront les bienvenus, s’il ne me met pas à la porte manu militari. Qui plus est, j’ai réellement très peur qu’il l’apprenne dans les journaux par hasard parce que j’ignore ce qui va ressortir de ce scandale publique qui pourrait avoir de lourdes répercussions sur ma carrière. Je ne reculerais plus à présent, il faut qu’il sache. Je hoche la tête pour répondre à sa question, parce qu’il est de toute façon inutile de mentir et que j’aurais du mal à lui faire croire que je suis actuellement en train de nager dans le bonheur. « Il a tout découvert et il m’a quittée. » Je souffle, d’une voix tremblante, retenant les larmes qui menacent de jaillir de nouveau de mes yeux. C’est terminé. Je n’arrive pas à croire que ce soit vrai, que tout soit réellement fini entre nous. Je n’en dis pas plus à Caleb, parce que je ne suis pas capable de développer davantage sans me transformer de nouveau en fontaine et que je dois avant tout lui exposer les raisons de ce rejet. Il va croire qu’Abel a découvert mon boulot de stripteaseuse, mais il a plus que ça, tellement plus que ça et je me dois de lui dire la vérité avant qu’elle ne lui explose au visage de la pire des façons. Je lui demande de s’asseoir, sur le ton le plus calme que je pourrais adopter, essayant au maximum de camoufler une nervosité pourtant bien réelle. Il panique, je le sais, je le vois, et je sens qu’il aura du mal à avaler une bouchée supplémentaire du sandwich qu’il tient à la main. Pourtant, il s’exécute, prenant place dans l’un des fauteuils du salon avec un air un peu trop sérieux, et un peu trop inquiet, également. Je vais vraiment le décevoir.
Je me plante devant lui, préférant rester debout au cas-où il me demanderait de partir directement sans jamais revenir ici. « Je ne t’ai pas tout dit sur ce que je fais de ma vie. » Je commence, cherchant les bons mots pour atténuer le poids de la vérité, sans pour autant les trouver parce que je sais qu’il n’y en a pas, en réalité. « Je vends mon corps pour de l’argent. » Jolie phrase pour dire que je suis une prostituée, mais utiliser plusieurs mots au lieu d’un seul ne parvient pas à camoufler la réalité, bien au contraire et je sais qu’il va être terriblement déçu. Je lui laisse quelques secondes, juste le temps pour qu’il assimile mes propos avant de tenter vainement de me justifier. « Je travaillais comme stripteaseuse dans le club dont je t’ai déjà parlé, et ça c’était la vérité, je te jure, mais mon patron nous faisait faire des petits extras pour qu’on gagne un peu mieux. » La raison que je lui donne pour justifier mes actions est terrible, mais c’est la vérité, ce n’est que pour l’argent que j’ai accepté de faire ça, de toute façon, je ne vois pas comment quelqu’un pourrait offrir son corps de cette façon pour un autre motif que l’appât du gain. « J’avais pas mal de dettes à rembourser à l’époque, je ne m’en sortais pas et j’ai vu sa proposition comme une porte de sortie. » Evidemment, j’omets volontairement le fait que j’ai accepté le job en toute connaissance de cause et que j’ai même dû montrer l’étendue de mes talents avant de pouvoir intégrer le club. Caleb n’a pas besoin de tout savoir en détail, je ne veux pas l’achever encore davantage. « Mais maintenant, je ne travaille plus là-bas, parce que j’ai révélé des informations confidentielles au sujet d’un client et qu’il est venu faire un scandale au club, donc mon patron m’a virée. » Je continue, consciente que ça fait beaucoup d’informations à assimiler en un laps de temps plutôt restreint mais il faut que je dise tout, maintenant, sinon je ne crois pas que j’arriverais à aller jusqu’au bout de mon récit. Mes yeux fixent le sol, je n’arrive pas à croiser son regard tant j’ai peur d’y trouver de la déception et du dégoût. « J’avais rencontré une femme avant de perdre mon emploi pour laquelle je travaillais ponctuellement. Elle m’a proposé de bosser pour elle à présent et c’est ce que je fais maintenant. Ce n’est plus vraiment un boulot de stripteaseuse, on va dire que je suis… » Je marque une énième pause, incapable de trouver un mot plus facile à dire à voix haute que celui que j’ai en tête. Il n’y a pas de synonyme et je vais devoir assumer la vérité jusqu’au bout. « Une escort. » Je voudrais m’enfoncer dans le sol, disparaitre à tout jamais et ne pas avoir à affronter sa réaction. « Voilà, tu sais tout. » Je n’ai pas détaillé toute ma vie, comment ça a commencé, qu’est-ce que j’ai fait en réalité, j’ai passé sous silence la vente de drogue sur le campus et les nombreux ennuis financiers qui continuent à me poursuivre ou encore cette histoire de sexe-tape que je n’ai pas encore résolue. Ce sera pour plus tard, ou peut-être pour jamais, j’ignore totalement quelle va être la réaction de mon frère et alors que je termine mon discours si mal préparé, je lève enfin les yeux vers lui.
“It takes strength and courage to admit the truth.”
Je ne pensais pas voir ma sœur en rentrant ce soir. J’étais persuadé que j’allais être seul, rentrer, manger quelque chose et vite partir me coucher. Parce que demain j’enchaîne les rendez-vous à partir de très tôt le matin – beaucoup trop tôt si vous voulez mon avis – et il ne me reste déjà plus que quelques heures de sommeil. La nuit va être courte, vraiment très courte. Et alors que je m’apprête à manger aussi vite que possible un sandwich que je viens de me faire, j’entends des clés tourner dans la serrure de la porte d’entrée et Prim fait son arrivée dans l’appartement. Je la regarde, étonné d’un air interrogateur. Elle est dans un sale état, elle a pleuré ça se voit tout de suite et je ne tarde pas à la questionner. Qu’est-ce qu’elle fait encore debout à cette heure-ci ? Pourquoi est-ce qu’elle est habillée avec une robe qui me semble beaucoup trop chère pour elle ? Est-ce qu’elle a pleuré ? Est-ce que quelqu’un lui a fait du mal ? Si oui, qui ? Pourquoi ? Où ? Quand ? Comment ? J’ai envie de l’aider, parce que je crois que je ne l’ai jamais vu dans un état pareil. Elle est au bout de sa vie. Mais je ne peux pas lui poser toutes ces questions, alors je commence simplement par lui demander si elle avait bien pleuré. J’aurais peut-être dû choisi une autre question parmi la liste de mes interrogations parce que la réponse semble franchement évidente. Elle hoche la tête et ajoute quelques explications supplémentaires. « Il a tout découvert et il m’a quittée. » Oh. Il a tout découvert, ce qui sous-entend qu’elle ne lui en avait pas parlé avant, comme je lui avais conseillé. Après je peux la comprendre, avouer à son petit-ami qu’elle gagne de l’argent en dansant à moitié nue pour que des vieux pervers puissent se rincer les yeux ne doit pas être évident. Je vais éviter les phrases toute-faites du genre « je te l’avais dit » parce qu’elles sont tout simplement inutiles et moi-même je les déteste. Je reste planté là pendant une poignée de secondes ne sachant pas vraiment comment réagir. « Je suis désolé. » Je fais quelques pas vers elle et la prends dans mes bras. Geste étonnant et pas forcément naturel quand il s’agit de ma sœur et moi. Les marques d’affection sont rares voire même inexistantes, mais ça ne veut pas dire que je ne l’aime pas et qu’elle n’est pas importante pour moi bien au contraire.
Juste après elle me demande de m’asseoir en m’avouant avoir quelque chose à me dire. Elle m’inquiète parce qu’elle prend un air beaucoup trop sérieux en me disant tout ça. Je ne cherche pas trop à comprendre et je fais ce qu’elle me dit, je m’assieds sur le fauteuil. Je suis inquiet et je me demande ce qu’elle a de si important à me dire mais je ne la bombarde pas de questions et je la laisse m’expliquer. « Je ne t’ai pas tout dit sur ce que je fais de ma vie. » …d’accord ? Je la regarde les sourcils froncés. Et qu’est-ce que ça veut dire ça au juste ? J’ai peur d’en savoir plus et je ne suis même pas sûr de vouloir apprendre plus en détail ce qu’il se passe pour elle dans ce club de strip-tease. « Je vends mon corps pour de l’argent. » J’ai l’impression que mon cœur vient de louper un battement. Non en fait, c’est sûr. Mon cœur a loupé un battement et je risque de mourir à tout moment. Elle quoi ? Elle vend son corps… oh mon dieu. Je ne bouge pas, je ne réagis pas, je suis stoïque. Je ne dis rien. De toute façon je suis incapable de dire quoique ce soit. Je n’étais pas prêt à ça. Pas du tout. Je m’attendais à tout sauf à ça. L’idée qu’elle puisse même m’annoncer une grossesse m’a traversée l’esprit. Tout. Mais pas ça. « Je travaillais comme stripteaseuse dans le club dont je t’ai déjà parlé, et ça c’était la vérité, je te jure, mais mon patron nous faisait faire des petits extras pour qu’on gagne un peu mieux. » Des petits extras...Oh putain. Je ferme les yeux en l’entendant prononcer ces trois mots. Des extras. Ma petite sœur est une prostituée. C’est encore pire quand on utilise ce mot. Mais pourtant c’est la vérité, non ? Une personne qui vend son corps pour de l’argent, une personne qui offre des petits extras à ses clients, on appelle ça une prostituée, non ? J’ouvre les yeux mais je ne la regarde pas. Je suis clairement en état de choc, en train d’essayer de digérer cette information. À chaque fois qu’elle reprend la parole j’ai peur. Peur de ce qu’elle va me dire. Peur de ce qu’elle peut m’annoncer qui ne fera qu’aggraver son cas. « J’avais pas mal de dettes à rembourser à l’époque, je ne m’en sortais pas et j’ai vu sa proposition comme une porte de sortie. » Une porte de sortie. Elle a vu sa proposition comme une porte de sortie ? À quel moment elle ne s’est pas dit qu’elle s’apprêtait à franchir la ligne rouge ? Parce que déjà que stripteaseuse c’était limite mais alors là… N’en parlons même pas. Je suis toujours silencieux, j’essaie d’assimiler toutes les informations qu’elle vient de me donner. « Mais maintenant, je ne travaille plus là-bas, parce que j’ai révélé des informations confidentielles au sujet d’un client et qu’il est venu faire un scandale au club, donc mon patron m’a virée. » Rectification donc. Ma petite sœur était une strip-teaseuse offrant d’agréables petits extras à ses clients les plus fidèles. Je devrais me sentir soulagé que ça ne soit plus le cas ? Et bien je ne le suis pas. Toujours aucune réaction de ma part. Ma sœur est une prostituée. Putain. Ce mot a du mal à passer. « J’avais rencontré une femme avant de perdre mon emploi pour laquelle je travaillais ponctuellement. Elle m’a proposé de bosser pour elle à présent et c’est ce que je fais maintenant. Ce n’est plus vraiment un boulot de stripteaseuse, on va dire que je suis… » J’ai peur. Je vous assure que là maintenant tout de suite, j’angoisse et j’ai vraiment, vraiment très peur du mot qu’elle va employer. Elle est quoi maintenant ? Actrice porno ? Il manquerait plus que ça, et elle nous aura tout fait. « Une escort. » …d’accord. « Voilà, tu sais tout. » …ok, d’accord. Très bien. Je reste plongeais dans mon mutisme encore pendant un moment. Combien de temps exactement ? Je n’en sais rien. Mais je ne parle pas. Je ne la regarde pas. Un long silence s’est installé entre nous. Un silence lourd et désagréable. L’ambiance est tendue et je ne sais pas ce que je suis censé lui dire. J’ai des millions de questions à lui poser. Mais je suis incapable de parler. Incapable de la regarder, je baisse les yeux sur ce sandwich dont j’avais pourtant envie il y a encore quelques minutes. Mais là, l’idée de le manger me semble inconcevable. Je fronce doucement les sourcils et le pose sur la petite table. Toujours, je ne dis rien. J’ai l’impression d’être dans un véritable cauchemar. « S’il te plaît dis-moi que c’est une blague et que rien de tout ça n’est vrai. » Première prise de parole de ma part, bien qu’inutile, mais elle reste tout de même présente. Et pour la première fois depuis le début de cette horrible conversation je relève les yeux vers elle. Pas trop longtemps, mais assez pour me rendre compte que non elle ne rigole absolument pas. Je lâche un long soupir passant mes mains dans mes cheveux. « Putain Prim... » Je souffle, désespéré. Complètement désemparé. « Pourquoi ? Et me dit pas que c’était pour l’argent. S’il te plait. » Même si je sais que si, elle a fait tout ça pour l’argent. Baiser juste pour gagner du fric, je ne comprends pas comment on peut en arriver là. C’est ma petite sœur dont on parle là. Je me doutais très bien qu’elle n’était plus innocente et pure, mais j’étais loin d’imaginer à quel point.
nightgaunt
@Primrose Anderson COMME PROMIS, mes gifs de Ross pour mettre en scène les réactions de Caleb
Il est désolé mais il ne sait pas encore qu’il n’a pas vraiment de raison de l’être et que c’est au contraire à moi d’être profondément désolée pour la conversation qui va suivre. Pourtant, je ne dis pas un mot, je profite de ce calme avant la tempête et de l’étreinte qu’il m’offre parce que ces gestes d’affection sont rares entre nous et parce que celui-ci est sans doute le dernier. Dans quelques minutes à peine, il saura que sa sœur n’est pas celle qu’il croit et il n’aura plus envie de me prendre dans ses bras pour me réconforter parce qu’un garçon m’a brisé le cœur. Caleb pense certainement qu’Abel a eu raison et je le pense aussi d’ailleurs, je lui ai menti, je lui ai dissimulé ce que je faisais réellement de ma vie et si je ne considère pas mes actes comme une infidélité car tout ceci est strictement professionnel pour moi, je peux très bien comprendre qu’il ne le perçoive pas de cette façon. J’aime profondément Abel et je donnerais n’importe quoi pour que tout ceci n’ait jamais eu lieu et que nous ayons toujours cette relation si précieuse à mes yeux. Malheureusement, je dois bien me rendre à l’évidence, je l’ai trahi et lorsqu’il s’est retrouvé en larmes devant moi, à me jeter sa souffrance au visage en essayant de me blesser autant que j’ai pu le faire, je n’ai pas su trouver les mots pour apaiser sa colère et le faire revenir auprès de moi. Je n’ai pas su lui dire combien je l’aime et à quel point je regrette de m’être embarquée dans toute cette merde. J’ai toujours voulu prétendre que tout ceci était un choix réfléchi de ma part et que j’en acceptais totalement les conséquences parce que je n’ai pas envie de reconnaitre mon erreur, je ne veux pas avouer que ça fait des années que je fais n’importe quoi de ma vie et je ne veux pas essayer de trouver des solutions pour m’en sortir parce que je sais pertinemment qu’il n’y en a pas. Le Club est trop fort pour moi, je ne serais jamais à la hauteur et Raelyn me l’a déjà fait comprendre à de nombreuses reprises. J’ai peut-être choisi le Club de moi-même, sans qu’elle me mette la pression ni un couteau sous la gorge, mais c’est elle et elle seule qui pourra choisir de me rendre ma liberté et je sais qu’elle ne me la donnera pas par pure bonté d’âme. Si elle veut me faire plonger, elle parviendra à le faire sans aucun problème, elle sait tout de moi, tous mes méfaits, tous les actes illégaux que j’ai pu commettre, tout ce que je dissimule au monde entier pour ne pas risquer la prison. Cette femme est dangereuse et moi je suis comme un petit animal en train de se débattre dans un piège solidement ficelé. Je suis au pied du mur depuis si longtemps maintenant et je sais qu’il est grand temps que je dise enfin la vérité. Il vaut mieux qu’elle vienne de moi, Caleb me l’a dit lui-même, et j’espère que le fait que j’avoue moi-même tous mes mensonges atténuera sa colère et diminuera sa souffrance.
Je prends la parole et je regarde mon frère se décomposer au fur et à mesure que mon discours avance. Le sandwich qu’il tient à la main n’est jamais monté jusqu’à sa bouche, il reste figé, comme suspendu à mes paroles, attendant probablement que je lui avoue que tout ceci n’est qu’une immense farce. Ce ne sera pas le cas, parce que si je suis devant lui au beau milieu de la nuit, du mascara sur les joues et une robe hors de prix sur le dos, ce n’est certainement pas pour lui faire une farce. Tout ceci est réel, c’est ma réalité à moi et c’est celle que je veux partager avec lui, même si j’ai conscience qu’elle risque de mettre définitivement un terme à cette relation que nous essayons doucement de reconstruire ces derniers temps. Je m’arrête de parler et je le dévisage alors qu’il reste silencieux sans vraiment oser croiser mon regard. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il va tout simplement se lever et quitter la pièce pour ne plus avoir à m’affronter. Ce serait compréhensible, je le sais, il ne mérite pas ce que je lui inflige, il a toujours été tellement génial avec moi. Caleb a fait de son mieux pour réussir à accepter ce que je faisais de ma vie même sans approuver mes choix et voilà que j’en rajoute une couche alors que nous venons tout juste de retrouver ce lien fraternel qui m’avait tellement manqué. Il m’a fait confiance, il m’a parlé de Victoria, de ses doutes, de son chagrin et pendant ce temps, je m’envoyais des mecs louches dans un club de strip-tease qui l’était tout autant. Je sais que je suis impardonnable à ses yeux et j’aurais sûrement dû réfléchir avant de balancer une telle chose. Et s’il me demandait de faire mes valises ? Et s’il me mettait dehors en plein milieu de la nuit ? Sur qui pourrais-je compter ? Je me vois mal débarquer chez Abel, Romy me demanderait des explications que je ne serais pas en mesure de lui fournir et je ne suis pas sûre qu’Isla apprécie mon arrivée. Quant à Joey, il vit chez sa sœur – enfin, je crois – et je suppose qu’il est absolument hors de question que j’y mette les pieds. Je pourrais toujours aller voir Clément mais notre relation est trop bizarre pour que je lui demande une chose pareille et je n’ai plus entendu parler de Harvey depuis longtemps. Sans mon frère, je suis seule au monde et il va sans doute m’abandonner à son tour. Il reprend la parole et je reste muette, parce que je ne peux pas revenir en arrière et que je ne me sens pas non plus en état de confirmer une nouvelle fois les paroles que j’ai eu tant de mal à commencer. « Je ne sais pas. » Je souffle, simplement, alors qu’il veut savoir pourquoi j’ai fait ça. « J’étais jeune quand papa et maman m’ont envoyée ici et tout le monde me détestait, alors quand on m’a donné cette opportunité, j’ai eu l’impression d’être importante parce qu’on me regardait enfin. » C’est horrible, dit comme ça, et en plus j’avoue à mon frère que j’étais encore au lycée quand j’ai commencé tout ça, mais ai-je vraiment le choix ? Au point où j’en suis dans les vérités, autant toutes les balancer d’un seul coup. « Et puis après il y a eu les dettes, les mauvaises rencontres et je me suis retrouvée enfermée là-dedans. » Mais ce n’est pas une excuse, je le sais, la vérité, c’est que j’ai aimé pouvoir m’offrir n’importe quoi, être la favorite du patron, jouer avec ces hommes pour obtenir toujours plus. C’était grisant et amusant tant que je ne croisais pas mon reflet dans un miroir. J’arrivais à faire abstraction du dégoût que je ressentais pour ma propre personne, ça me paraissait tellement facile. « Je voulais te le dire, mais comme tu avais déjà mal pris le fait que je sois stripteaseuse, j’ai eu peur de ta réaction. » Mais j’aurais dû tout lui dire, depuis longtemps, parce que ça fait déjà six ans et qu’il est resté dans l’ignorance toutes ces années. « Je suis désolée. » Evidemment, ça ne suffit pas, mais c’est un début.
“It takes strength and courage to admit the truth.”
Ma sœur est une prostituée. Ma petite sœur est une prostituée. Ma petite sœur de vingt-cinq ans se fait payer pour s’envoyer en l’air avec des inconnus, des vieux mecs dégueulasses. Je n’ose même pas la regarder. Je suis incapable de la regarder. Je crois que je suis dégoûté en fait. C’est horrible et je m’en veux presque de dire ça, de penser ça, mais je pense que là maintenant tout de suite, Prim me dégoûte. C’est de ma petite sœur dont on parle là. Ma petite sœur. Elle est encore jeune. Beaucoup de jeune. Depuis combien de temps elle exerce ce charmant métier ? Enfin si on peut appeler ça un métier. Je ne sais pas et en fait je n’ai pas envie de savoir. Tout ce que je sais c’est que ma sœur est une prostituée. Ma sœur. Mon dieu. Je suis immobile et complètement incapable de briser mon mutisme. Je n’ai pas envie de parler parce que je n’ai pas envie d’en apprendre plus. Elle pouvait faire n’importe quoi. Littéralement tout ce qu’elle voulait, mais non il a fallu qu’elle se prostitue. Je ne la regarde pas, je ne parle pas et ce silence qui règne dans le salon est lourd et pesant. Et dire que j’étais fatigué et que je rêvais de retrouver mon lit pour dormir quelques courtes heures avant de retourner travailler demain. Là je suis en incapacité totale de réfléchir ou de penser à autre chose. Est-ce que je passe pour un gros connard envers ma petite-amie actuelle si je vous dis que là, dans l’immédiat j’aurais vraiment eu besoin de Victoria ? Parce que c’est le cas. Là, j’ai besoin d’elle. De ses mots, de ses conseils, de son point de vue. Parce qu’elle avait toujours les bonnes solutions. Elle a toujours défendue Prim, même quand elle ne le méritait pas forcément. Elle était de son côté quand on a appris qu’elle était stripteaseuse. C’est elle qui m’a aidé à digérer cette nouvelle et je peux même peut-être dire que si j’avais réussi à retrouver une véritable relation fraternelle avec ma sœur, c’était inconsciemment grâce à elle aussi. Victoria, j’ai besoin de toi. Je dois faire quoi, là ? Je dois réagir comment ? Qu’est-ce que tu en penses ? J’ose enfin confronter son regard. Pas trop longtemps et je prends la parole. Je ne dis rien de bien important mais au moins j’ai réussi à prendre la parole, c’est déjà ça. Je lui demande pourquoi elle a commencé. Et en fait, je ne suis pas sûr d’avoir envie d’entendre sa réponse mais je vais devoir assumer ma question puisqu’elle y répond. « Je ne sais pas. » Je lève les yeux vers elle. C’est pas une réponse ça. Il faut qu’elle soit plus précise. J’ai besoin qu’elle me parle, là. Enfin en fait non je ne suis pas sûr d’avoir envie d’entendre ses explications. J’en sais rien. Je n’arrive même plus à réfléchir. « J’étais jeune quand papa et maman m’ont envoyée ici et tout le monde me détestait, alors quand on m’a donné cette opportunité, j’ai eu l’impression d’être importante parce qu’on me regardait enfin. » J’ai peur de comprendre ce qu’elle est en train de ma dire. Elle était jeune quand nos parents l’ont envoyée ici. Oui c’est vrai. Mais ça veut dire qu’elle a commencé à quel âge ça ? Mon dieu. C’est beaucoup trop pour moi. Je ne suis pas sûr de pouvoir supporter cette conversation. Je sens la colère monter mais je souffle, doucement. J’essaie de me calmer. Je la juge. Très fort. Comment est-ce qu’elle a pu en arriver là ? Je n’ai pas le temps de lui répondre, elle continue ses explications. « Et puis après il y a eu les dettes, les mauvaises rencontres et je me suis retrouvée enfermée là-dedans. » Toujours, la colère monte mais je me retiens. Je ne dis rien, je me contente de la fusiller du regard, littéralement. Je crois que je ne l’ai jamais regardé comme ça et je me déteste pour ça mais là, c’est trop. Beaucoup trop. « Je voulais te le dire, mais comme tu avais déjà mal pris le fait que je sois stripteaseuse, j’ai eu peur de ta réaction. » Elle avait peu de ma réaction ? Mais enfin je ne comprends pas pourquoi. Tout grand frère rêve d’apprendre que sa sœur se fait sauter tous les soirs par des vieux porcs pour de l’argent. « Je suis désolée. » Elle est désolée ? Elle est désolée.
Je la regarde, je la fixe. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas quoi dire. Victoria, j’ai besoin de toi. S’il te plaît. Mais cette fois je vais devoir me démerder tout seul parce qu’elle n’est pas là. Elle n’est plus là. Je me lève et brise le contact visuel, passe une main dans mes cheveux et je me mets à faire les cent pas. J’ai besoin de me calmer. Je m’énerve rarement. Très peu. Pas autant. Mais là c’est trop. Ma petite sœur est une prostituée. Enfin était apparemment. Maintenant elle est escort. Pute de luxe quoi, non ? C’est pas ça la différence ? J’en sais rien et pour le coup j’ai vraiment pas envie de savoir. « T’as commencé quand ? » Pourquoi je lui demande ça ? J’ai bien compris qu’elle a commencé jeune. Trop jeune. Non non, je ne veux pas avoir l’âge exact. Vraiment pas. « T’es en train de me dire que quand on t’a proposé de l’argent pour te faire sauter par tes clients préférés tu t’es sentie importante ? Sérieusement ? » Je la regarde à nouveau et j’arrête de bouger. Par contre, quand je m’énerve je ne le fais pas qu’à moitié. J’essaie de me calmer, j’essaie de réfléchir avant de prendre la parole pour ne pas lui dire des choses que je risque de regretter plus tard. Victoria me dirait de faire quoi au juste ? C’est ça, elle me dirait que je dois me calmer avant de lui parler. Alors j’essaie de prendre en considération les conseils qu’elle m’avait donné la première fois. Je réfléchis, je pèse mes mots. J’essaie de la comprendre mais j’en suis incapable. « Et t’as jamais trouvé ça un peu humiliant ? Ou dégradant ? » Je la fixe. Mais je n’attends pas sa réponse. « Se retrouver rabaissée à un vulgaire objet sexuel, t’as jamais trouvé ça dégradant ? » Parce que c’est ce qu’elle était, non ? Un objet sexuel pour tous ces hommes. Juste un corps, le corps d’une jeune femme. Ça me dégoûte. Ça me dégoûte tellement. « C'est quoi la prochaine étape ? Actrice porno ? » On est plus à ça près de toute façon, non ? Stripteaseuse, prostituée, escort alors pourquoi pas actrice pour film X ? Peut-être que c'est déjà le cas en fait, qui sait. Je m'attends à tout maintenant.
J’étais convaincue de prendre la bonne décision en finissant cette horrible soirée par des révélations auprès de mon frère à qui j’ai trop longtemps caché la vérité mais maintenant que cette dernière a éclaté, je ne suis plus très sûre d’avoir fait le bon choix. Caleb est complètement sonné pendant la nouvelle et se plonge dans un mutisme inquiétant avant de réussir tant bien que mal à reprendre la parole. Je suis morte d’angoisse à l’idée que cette première réaction en cache une bien plus violente et alors que je tente de lui faire comprendre comment j’ai pu me laisser embarquer dans tout ça pendant tout ce temps, ma voix tremble légèrement. Comme la première fois, il ne réagit pas tout de suite et je m’arrête presque de respirer en attendant qu’il dise quelque chose, n’importe quoi qui me permette de comprendre qu’il ne s’est pas totalement fermé. Il semble avoir beaucoup de mal à lever les yeux vers moi et c’est évidemment très blessant même si je comprends le choc qu’il peut ressentir en ce moment. J’ai toujours su que la vérité serait difficile à accepter pour ma famille sinon je leur aurais parlé bien longtemps auparavant, mais j’avais quand même l’espoir que l’amélioration de ma relation avec mon frère le rende un peu plus conciliant et apte à entendre ce que j’ai à dire sans me juger trop sévèrement. Il me parait rapidement évident que je me suis largement trompée et lorsqu’il se lève, j’ai vraiment peur l’espace d’un dixième de seconde qu’il quitte la pièce et même l’appartement parce qu’il n’arrive même pas à soutenir la conversation que je lui inflige. Je suis presque rassurée de voir qu’il a quitté son fauteuil seulement pour faire les cent pas devant moi, tentant certainement de canaliser la colère qu’il ressent ou cette immense déception qu’il n’arrive pas à ignorer. Le soulagement laisse rapidement place à l’angoisse qui ne me quitte pas depuis le début de cette conversation et lorsque le jeu des questions reprend, mon cœur se serre. Je sais que je vais devoir répondre à tout ça, parce que je ne peux pas me permettre de dissimuler une partie de la vérité maintenant que j’ai commencé à dévoiler tout ce qu’il ignore. De toute façon, ça se passe déjà très mal alors je ne peux pas craindre d’empirer les choses. Au moins, tout sera dit et je n’aurais plus qu’à prier pour que Caleb arrive à digérer toutes ces informations et à me considérer encore comme sa petite sœur et non pas comme un monstre ayant choisi une voie qu’il désapprouve plus que tout ce que j’aurais pu faire dans ma vie. « Au lycée. » Je réponds, parce qu’il est inutile que je précise mon âge exact. Dans tous les cas, il est évident que Caleb saura que j’étais beaucoup trop jeune et c’est pour cette raison qu’il faut absolument que j’apporte quelques précisions. « Mais je n’étais pas vraiment une prostituée, je travaillais pour un site internet. » Je ne précise pas ce que je devais faire devant la webcam, je me doute bien qu’il va comprendre mais j’espère malgré tout que le fait que personne n’ait posé sa main sur moi avant ma majorité le rassurera un peu. De toute façon, je n’ai plus que ça à faire, à me raccrocher au moindre petit espoir pour essayer de me persuader que cette soirée, ou plutôt cette nuit, n’est pas aussi catastrophique qu’elle en a l’air. « Je n’ai intégré mon club de strip-tease qu’à ma majorité et j’ai attendu un peu avant de commencer… Tout ça. » Je cherche mes mots pour ne pas être trop crue. En d’autres circonstances, je pourrais l’être, je n’ai jamais considéré mes actes comme tabous et j’ai eu l’habitude d’en parler librement dans le milieu où j’évolue, mais je sais très bien qu’il vaut mieux que je fasse attention face à mon frère pour ne pas aggraver mon cas. En plus, il n’interprète pas forcément bien mes propos et je suis obligée de rectifier les choses avant qu’il ne s’imagine n’importe quoi. « Non, pas du tout, ce n’est pas ce que je suis en train de dire… C’est juste que quand j’ai commencé à danser, mon patron n’arrêtait pas de me dire que j’étais douée pour ça, que je pourrais faire bien plus, que j’étais sa numéro un… Il m’a fait croire à une vie qui était à des années lumières de la réalité et je l’ai cru. » Ou alors j’ai voulu le croire, parce que ça me paraissait bien plus lucratif que de bosser au café du coin. Je ne suis pas stupide ni naïve, mais j’ai toujours été sensible à la flatterie et à l’appât du gain. Je pense que je travaille bien mieux en ayant quelque chose à y gagner que parce que je suis menacée ou contrainte de quelque chose. Mais je n’ai pas le temps d’analyser aujourd’hui les raisons de ce plongeon vers cet univers qui ne m’apporte rien de bon, ce n’est pas l’objet de la conversation. Tout ce que je veux, c’est que mon frère finisse par accepter mes révélations et je sais que ce n’est pas gagné. « Je pense que j’aurais trouvé ça dégradant si je m’étais posée la question, mais je me suis juste efforcée d’agir et de ne pas réfléchir. » Ce qui en soit, ne risque pas de le rassurer mais je fais de mon mieux pour lui expliquer ce qu’il se passe dans ma tête et je me garde de rebondir sur ses réflexions concernant un potentiel job d’actrice. Tout ce que je dois faire c’est encaisser les questions, y répondre du mieux que je peux et attendre que l’orage passe en espérant de tout mon cœur qu’il passe vraiment vite.
“It takes strength and courage to admit the truth.”
Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ses motivations, je ne comprends pas pourquoi et comment elle a pu se dire que la prostitution était une bonne idée. J’avais déjà beaucoup de mal à accepter son métier de stripteaseuse mais j’avais enfin réussi à laisser ça derrière moi pour simplement profiter de ma sœur et passer du temps avec elle. On était en train de retrouver une relation fraternelle presque normale mais il a fallu qu’elle m’annonce ça. S’il vous plaît dites-moi que je suis normal et que toute personne aurait la même réaction que moi face à une nouvelle pareille ? Apprendre que sa sœur se fait payer pour baiser. C’est dégueulasse. Ça me dégoûte. Ça me fait mal. Parce que j’ai l’impression qu’elle a passé tout son temps à me mentir et à me prendre pour un con. Elle a décidé de foutre sa vie en l’air ? Très bien, tant pis pour elle mais moi j’abandonne. Je n’ai plus envie de l’aider, de lui tendre la main, de lui suggérer d’arrêter ses activités nocturnes pour se tourner vers un job plus sain et surtout un métier qui ne lui demanderait pas de donner son corps à ses inconnus. J’arrête. Parce que ça ne sert à rien, parce qu’elle ne m’écoutera pas elle préfère l’argent facile. « Au lycée. » Je ferme les yeux. Au lycée. Elle a commencé au lycée. Elle était jeune. Trop jeune. Beaucoup trop jeune. Même pas encore majeure. C’est encore pire que ce que je pensais. Qui pense à ce genre de chose au lycée ? Quel genre de personne pense à se prostituer pour gagner de l’argent alors qu’elle n’a même pas atteint la majorité ? « Mais je n’étais pas vraiment une prostituée, je travaillais pour un site internet. » Est-ce que c’est censé me rassurer ? Je ne sais pas comment réagir, je ne sais pas quoi lui répondre. Elle travaillait pour un site internet. Je n’ose même pas imaginer les choses qu’elle a dû faire. Je n’ai tout simplement pas envie de penser à ça. Je ne lui réponds pas et je suis d’ailleurs en incapacité totale de me confronter à son regard à chaque fois qu’elle prend la parole. Certainement parce que j’ai sincèrement très peur de ce que je vais entendre. « Je n’ai intégré mon club de strip-tease qu’à ma majorité et j’ai attendu un peu avant de commencer… Tout ça. » Tout ça. Ça ne change rien. Elle se fait quand même payer pour sucer des mecs. Enfin même si elle m’affirme que maintenant elle est escort, c’est la même chose de toute façon, non ? Je n’ai personnellement pas beaucoup de connaissances dans ce domaine-là et je m’en portais très bien. Je soupire et ouvre enfin les yeux pour la regarder une poignée de secondes mais dès qu’elle reprend la parole, je regarde machinalement ailleurs. « Non, pas du tout, ce n’est pas ce que je suis en train de dire… C’est juste que quand j’ai commencé à danser, mon patron n’arrêtait pas de me dire que j’étais douée pour ça, que je pourrais faire bien plus, que j’étais sa numéro un… Il m’a fait croire à une vie qui était à des années lumières de la réalité et je l’ai cru. » Qu’elle était douée pour ça. Qu’elle pourrait faire bien plus. Elle était sa numéro un. Ça veut dire quoi ça, qu’elle était sa numéro un ? Est-ce qu’elle a dû coucher avec son patron pour avoir droit à cette petite « promotion » ? Voilà une question que je vais bien garder pour moi et que je ne compte pas lui poser. Parce que j’ai bien peur de connaître la réponse. « C’est malsain Prim. Tu t’entends parler ? » Prise de parole inutile. Mais encore une fois, je ne sais pas comment réagir à ce qu’elle vient de me dire. Il a fallu qu’on lui dise qu’elle était douée pour quelque chose et elle n’y a vu que du feu alors elle a accepté de se lancer dans une aventure dégradante pour elle et le pire dans tout ça c’est que je ne suis même pas sûr qu’elle s’en rende compte. Mais c’est Prim, elle est comme ça et au fond ce n’est presque pas si étonnant que ça. Elle est donc prête à tout pour l’argent ou pour recevoir des compliments. Parce que des compliments elle a dû en recevoir par ses clients. Je me demande si elle regrette cette décision ou si elle se plait dans son métier. Abel l’a quittée mais est-ce que c’est vraiment étonnant ? Déjà, tous les hommes ne pourraient pas accepter que leur copine soit stripteaseuse – moi compris – alors prostituée ? Elle pensait vraiment qu’elle pouvait avoir une vie sentimentale avec un métier pareil ? Elle est naïve. Tellement naïve. « Je pense que j’aurais trouvé ça dégradant si je m’étais posée la question, mais je me suis juste efforcée d’agir et de ne pas réfléchir. » Agir sans réfléchir c’est sûrement la pire des choses à faire. Tout le temps. J’espère qu’elle n’a pas laissé son cerveau de côté au point de ne pas utiliser une capote à chaque fois. Il manquerait plus qu’elle contracte une maladie sexuellement transmissible. Là ce serait la cerise sur le gâteau, vraiment. « Et pourquoi tu m’en parles aujourd’hui ? » Je lui demande la regardant un quart de seconde avant de tourner mon regard vers l’écran noir de la télévision. J’évite la question sur le moyen de contraception parce qu’une nouvelle fois je n’ai pas envie de connaître la réponse au risque d’être encore une fois déçu ou affolé de sa réponse. Alors je préfère clairement rester dans l’ignorance sur ce sujet, tout comme je pense que je me serais bien passé d’apprendre la vraie nature de son métier. « Qu’est-ce que tu attends de moi au juste ? » Parce que pour le coup je suis complètement impuissant et je ne sais pas du tout ce que je peux faire pour elle ou pour l’aider. J’ai besoin de comprendre et de connaître les raisons qui l’ont poussées à me dire tout ça après l’avoir gardé pour elle pendant des années.
Caleb n’est toujours pas capable de me regarder en face et je ne peux pas l’en blâmer même si mon cœur se brise à chaque instant un peu plus lorsque je constate qu’il continue à me fuir comme si le simple fait de croiser mon regard risquerait de lui brûler les yeux. J’adore mon frère, et je crois que j’ai toujours pensé que l’amour que nous avons l’un pour l’autre suffirait pour dépasser tous les obstacles qui se dresseraient sur notre route. Quand j’ai vu à quel point il prenait mal d’apprendre que j’étais strip-teaseuse, j’ai eu peur et je ne lui en ai pas dit plus, parce que j’ai commencé à réaliser à ce moment précis que tout n’allait pas être aussi facile que je l’avais imaginé et que mes choix impactaient notre relation. C’est pour ça que j’ai gardé le silence aussi longtemps et la manière dont se déroule notre conversation me prouve que j’ai eu tout à fait raison d’agir de la sorte. Je ne sais pas vraiment ce qui me pousse à sortir du silence aujourd’hui, à part la peur qu’il finisse par découvrir la vérité par ses propres moyens comme Abel a pu le faire et que le résultat soit un véritable carnage, mais maintenant que je suis lancée, je sais que je dois aller au bout de cette conversation, aussi désagréable soit-elle. Caleb prend rarement la parole, se contentant de me laisser m’expliquer, mais lorsqu’il le fait, il ne mâche pas ses mots et me fait bien comprendre le dégoût qu’il éprouve à cet instant précis. Je suis blessée, évidemment, d’entendre de telles choses venant de mon propre frère, mais j’encaisse, je garde le même ton que depuis le début de notre discussion, j’essaie de m’expliquer du mieux que je peux et de lui faire entendre mon point de vue. C’est sûrement peine perdue, je m’en rends compte maintenant, mais je ne veux rien avoir à regretter, pas comme avec Abel face à qui je n’ai pas réussi à me justifier. Notre relation s’achève sur une mauvaise note et je suis restée plantée devant lui, incapable de répondre à ses interrogations et à ses remarques en sachant pourtant qu’il y avait des chances pour que je ne le revois plus jamais. Est-ce que ce sera pareil avec Caleb ? Est-ce qu’il va me mettre à la porte ? Je ne préfère pas y penser mais je sais que c’est une possibilité alors je garde mon calme et tente de tenir un discours qui ne le fasse pas trop flipper. « Je savais que ça ne te plairait pas, et je sais que tes arguments ne te plaisent pas non plus, mais ce sont les faits, je ne peux pas retourner en arrière pour effacer cette partie de ma vie ou pour la rendre plus acceptable. » Je poursuis alors qu’il appuie sur le côté malsain de mon activité et de la manière dont je la perçois. « J’ai conscience de ne pas avoir toujours fait les bons choix et de ne pas avoir su m’entourer des bonnes personnes, je ne sais pas quoi te dire de plus. » Il va sûrement me dire que si je lui donne raison, il est étonnant que je n’ai pas cherché à changer d’orientation lorsque je me suis aperçue que tout cela ne m’apportait rien de bon, mais il ne se rend pas compte de l’engrenage dans lequel je me suis empêtrée. J’ai préféré vivre dans le déni pour être capable de m’accepter, mais ça non plus, il ne parvient pas à le comprendre. Je fais de mon mieux, vraiment, mais je crois qu’il faudrait qu’il soit carrément dans ma tête pour réussir à entendre ce que je lui dis, ou un peu moins sous le choc, aussi. « J’ai déjà trop attendu avant de te le dire, je voulais le faire bien avant, mais quand j’ai vu à quel point tu avais mal pris mon travail de strip-teaseuse, j’ai eu peur que ça détruise tout. » Et n’est-ce pas en train de tout détruire maintenant ? J’en ai bien peur. « Mais maintenant qu’on s’entend de nouveau bien, je ne pouvais pas laisser notre lien se reconstruire sur un mensonge. Tu vas peut-être me détester maintenant, peut-être qu’on va devoir tout reprendre à zéro, ou peut-être que tu ne voudras même plus me laisser une chance, mais au moins je n’ai plus rien à te cacher. » Bon, en réalité, je lui cache tous les détails de ce travail que j’ai effectué pendant des années, tous les à-côtés que je n’ai pas cru bon de mentionner et les rencontres mauvaises et dérangeantes que j’ai pu faire durant toutes ces années. S’il me le demande, je suis prête à tout lui raconter, dans les moindres détails, le pire comme le meilleur, mais je veux aussi attendre qu’il vienne vers moi en ayant digéré ces informations qui, je le sais, lui ont déjà fait beaucoup de mal. L’image qu’il a de moi change, et j’en suis désolée, parce qu’au fond, même si toute ma vie professionnelle n’était qu’un horrible mensonge, moi, je suis vraiment sa petite sœur, celle qu’il connait, celle qu’il aime. « Je n’attends rien de toi, je voulais que tu saches, c’est tout. » Il sait, mais quelles en seront les conséquences ? Il reste calme pour le moment et même si ses mots sont durs, il ne s’est pas énervé, il ne s’est pas emporté, il a simplement laissé transparaitre son étonnement, sa déception et son dégoût. Je devrais me réjouir de ne pas avoir droit à une affreuse altercation mais finalement c’est pire que tout. « Je crois que je devrais te laisser digérer ces informations. » Il a besoin d’être seul, ou en tout cas d’être loin de moi, et m’éclipser me semble être la meilleure option à présent. J’attends son feu vert, paniquée à l’idée qu’il me montre la porte et m’incite à quitter les lieux, mais je ne laisse rien paraitre et me contente d’attendre la sentence comme un accusé son jugement.
“It takes strength and courage to admit the truth.”
Je prends sur moi, j’essaie de me montrer compréhensif mais ce n’est clairement pas évident. Comment est-ce que je suis censé prendre la magnifique annonce de ma sœur ? C’est une prostituée, elle se fait payer – ou se faisait ? – pour baiser. Très bien. Non en fait pas très bien, c’est une catastrophe. Elle ne peut pas faire ça. Pourquoi elle s’est mise dans une merde pareille ? Pourquoi est-ce qu’elle doit toujours prendre les mauvaises décisions ? Comment est-ce qu’elle peut accepter de se faire toucher par tout un tas d’hommes qu’elle doit certainement trouver répugnants juste pour gagner un peu d’agent ? Je ne la comprends pas, je ne comprends pas comment on peut en arriver là. Mais de toute façon elle et moi on ne s’est jamais vraiment compris, déjà que son activité de strip-teaseuse me dépassait mais alors là, je pense que l’on a atteint les sommets de l’incompréhension. « Je savais que ça ne te plairait pas, et je sais que tes arguments ne te plaisent pas non plus, mais ce sont les faits, je ne peux pas retourner en arrière pour effacer cette partie de ma vie ou pour la rendre plus acceptable. » Non elle ne peut pas revenir en arrière et c’est bien dommage. Si on pouvait faire ça il y a un tas de choses que j’aurais changé dans ma vie. Je n’aurais pas pris le volant ce soir-là ou bien je ne serais carrément pas partie en France je n’aurais jamais rencontré LV mais elle serait encore en vie à l’heure d’aujourd’hui. Je dis ça au fond sans le penser parce que même si la disparition de ma fiancée m’a complètement anéanti avec elle sûrement passé les cinq plus belles années de ma vie et je ne regrette rien de notre relation. Bien que la fin fût beaucoup trop tragique. J’essaie de garder mon calme face à Primrose, j’essaie de ne pas m’énerver, de ne pas trop analyser ou interpréter à tort ses propos. Je lui en veux. Je lui en veux tellement. Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas capable de vivre comme une jeune femme normale de vingt-cinq ans ? Avec des projets et des ambitions respectables ? Autre que se taper un mec différent tous les soirs en échange d’un bon paquet de billets ? Je soupire, désespéré et fatigué de tout. Fatigué de tout ça, fatigué de ma vie. « J’ai conscience de ne pas avoir toujours fait les bons choix et de ne pas avoir su m’entourer des bonnes personnes, je ne sais pas quoi te dire de plus. » Ne pas toujours faire les bons choix au fond, c’est pas si grave que ça. Moi non plus je n’ai pas toujours pris les bonnes décisions dans ma vie personne n’est parfait. Mais là pour le coup on part quand même sur un niveau d’enchaînement de mauvaises décisions. À partir du moment où elle a commencé à travailler dans ce club elle s’est entourée des mauvaises personnes. Elle aurait dû faire plus attention. Elle aurait dû s’éloigner de ce milieu à l’instant même où je lui ai demandé. « J’ai déjà trop attendu avant de te le dire, je voulais le faire bien avant, mais quand j’ai vu à quel point tu avais mal pris mon travail de strip-teaseuse, j’ai eu peur que ça détruise tout. Je déglutis, lève les yeux vers elle pour la regarder pendant quelques secondes sans rien dire. Est-ce que cette nouvelle va tout détruire ? Est-ce que l’annonce de son véritable métier va venir casser cette relation encore si fragile que nous avions réussi à reconstruire tous les deux ? Malgré tout Primrose est, et restera pour toujours ma petite sœur. Je me suis toujours promis de la protéger de tout, des possibles drames de la vie des mauvais garçons qui pourraient lui vouloir du mal ou avoir une mauvaise influence sur elle. C’est mon rôle de grand-frère et j’ai lamentablement échoué. Et maintenant je vais m’en vouloir à moi aussi. Je n’ai pas été assez présent pour elle comme j’aurais dû l’être, comme n’importe quel frère doit l’être pour sa sœur. « Mais maintenant qu’on s’entend de nouveau bien, je ne pouvais pas laisser notre lien se reconstruire sur un mensonge. Tu vas peut-être me détester maintenant, peut-être qu’on va devoir tout reprendre à zéro, ou peut-être que tu ne voudras même plus me laisser une chance, mais au moins je n’ai plus rien à te cacher. » Est-ce que je la déteste ? Est-ce que notre lien est brisé ? Est-ce que je ne veux plus lui laisser une autre chance ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est qu’elle reste ma sœur et que malgré tout ce qu’elle peut penser elle aura toujours une place primordiale dans ma vie et dans mon cœur. Je suis toujours en train de la fixer sans vraiment savoir quoi lui répondre. Depuis tout à l’heure je ne parle pas, du moins quasiment pas. C’est elle qui fait toute la conversation, elle répond à mes questions avec honnêteté. Du moins je l’espère. « Laisse-moi juste du temps. » Pour réfléchir à tout ça pour essayer de la comprendre et pour potentiellement accepter et digérer cette information qui vient de me tomber sur la gueule. « Je n’attends rien de toi, je voulais que tu saches, c’est tout. » Elle voulait juste que je le sache. Elle en avait marre du mensonge ? Marre de me prendre pour un con ? Au fond je me fiche pas mal des raisons qui l’ont poussées à se confier à moi, le plus important c’est qu’elle ait fini par me dire la vérité. « Je crois que je devrais te laisser digérer ces informations. » Oui je pense aussi. J’ai besoin de me retrouver seul, du moins pas avec ma sœur dans les parages. Doucement je hoche la tête d’un air absent. « Je suis désolé. » De ne pas avoir été là pour te protéger, t’aider ou te guider quand tu en avais besoin. Et le pire c’est que je m’en veux vraiment. Je suis réellement en colère contre moi-même. J’aurais dû être là pour elle et pour la protéger mais elle s’est retrouve toute seule livrée à elle-même. Je m’excuse encore et toujours. Beaucoup me diraient que je n’ai pas à le faire mais je ne suis pas d’accord avec ça. Je la regarde une dernière fois et finis par quitter le salon pour me rendre dans ma chambre, fermant la porte de la pièce derrière moi. J’aurais peut-être dû lui dire un dernier mot avant de partir, une dernière phrase qui lui montre que je ne suis pas réellement en colère contre elle mais que j’ai juste besoin de temps pour réfléchir, digérer et accepter cette information.