C'est le conducteur qui se cogne mon apprentissage, il faut croire. De son côté, Raelyn s'installe pour fumer. Je suis un peu surpris qu'elle trouve encore des clopes. Elles doivent se monnayer très, très cher. « Ouais, si y’a un truc à savoir sur moi, c’est que je suis prête à tout si tu mets la mains sur des clopes. » J'y ai un petit rire. Vraiment tout ? Moi, je serais prêt à tout pour un énorme gâteau, peu importe la saveur. Ou pour un billet d'avion sur une île sans personne dessus, excepté un chien immortel. Mais pas de morts-vivants. Pitié, pas de morts-vivants. J'ai encore espoir de ne pas passer le reste de ma vie à me planquer de ces monstruosités qui me tiennent éveillé toute la nuit. « Enfin à tout, non, mais tu m’as comprise. » « Ouais. Je note, pour les clopes. », je lance en hochant la tête. Elles ne m'intéressent pas. Je n'ai pas besoin d'autre chose pour me rendre dingue. Je crois que cette putain de ville me fait déjà cet effet là.

Les environs m'inquiètent. Même si on ne risque pas d'être emmerdés avant la soirée, c'est cet immeuble qui me préoccupe le plus. Je détaille ma carte, puis la range après un regard entendu. « Raison de plus de se dépêcher alors. » Je me rapproche du conducteur qui s'affaire déjà auprès de la première voiture. « Si y'avait du monde, on serait déjà descendus. », je lance à Raelyn. L'immeuble est peut-être un peu trop loin pour être inquiétant, au final. Je ne suis pas bien sûr. Je n'ai jamais été fort avec les distances.

C'est galère, de siphonner une voiture. Je crois qu'à un moment, notre compagnon doit perdre patience. J'abandonne la voiture pour retourner auprès de Raelyn, non loin de là. « Bon, je retenterai le coup une prochaine fois. Là, visiblement, c'est pas mon jour. » Je balaie l'horizon du regard, toujours très calme. « Bon, on dirait qu'elle avait raison, ma carte. Ils ne reviendront pas avant- » C'est le parfait moment que choisit cette balle pour frôler ma joue. Je me jette à terre, enjoignant mes comparses de galère à faire de même. Dans un sens, je suis plutôt soulagé de savoir que nos ennemis ne sont pas les morts. Malgré tout, mon cœur vient d'entamer son premier sprint de la journée... qui ne sera probablement pas le seul. « Ok, ma carte a peut-être besoin d'être mise à jour. » Je tente de faire de l'humour, mais je n'en mène pas large. « T'as vu d'où est parti le coup ? Du toit ? Si c'est du toit on est morts. » On n'aurais pas dû s'arrêter là. Pas de panique. Je sais gérer la panique, pas vrai ? Quatre ans dans cet enfer. Pas. De. Panique.

J'aurais peut-être dû un peu plus traîner avec d'autres gens, à l'école. Les livres, ça n'apprend pas à siphonner les voitures. « Tu feras attention il t’en reste un peu. » Je lui lance un regard goguenard, secoue la tête, les yeux rieurs. « Très drôle. » Je lui envoie mon plus beau majeur en l'air. « Il m'en reste pas, là ? » Pendant un instant, j'ai l'impression que la pression redescend un peu. Les gens de ce campement ne sont pas les mêmes que ceux que j'ai auparavant fréquenté, pas de panique. Tout va bien.

Traîner dans le coin n'était pas l'idée du siècle, mais on s'adaptera. Nous sommes obligés de le faire de toute façon. Quelque chose me dit que la situation ne va pas pas s'améliorer tout de suite. Les bruits des balles vrillent mes oreilles. Les munitions sont précieuses. Ils ne vont pas les gâcher inutilement. Cela nous laisse une petite marge de manœuvre. L'éraflure sur ma joue m'indique pourtant que l'un - ou le seul ? - des tireurs est assez agile pour savoir viser la tête. « En tout cas c’est de l’autre côté de la voiture. » J'opine du chef. « Nolan, tu vois quelque chose ? » Y'a plus de Nolan. Pour sûr. Les espoirs de Raelyn semblent réduits à néant. Elle jure, se tourne à nouveau vers moi. J'ai attrapé mon arme, par réflexe. Je tente de ne pas trop trembler à l'idée de m'en servir. « On dirait que c’est plus que toi et moi gamin. » Haha, sans rire. Je détourne les yeux vers le rétroviseur de la voiture contre laquelle nous sommes planqués, lève brièvement le bras pour braquer le rétroviseur vers ce que Raelyn pense être la direction des tirs. Heureusement, nos assaillants n'ont pas l'air d'être sur le toit. Je crois en revanche distinguer deux formes verdâtres se déplacer de carcasse de voiture en carcasse de voiture. « Deux types à six heures. Tu me couvres ? » Nolan avait, sur lui, une arme qui se révélera plus utile que mon glock. Un fusil qui mettra peut-être un peu plus de distance entre moi et la mort qu'une simple arme de poing. Couché au sol, je me traîne vers le cadavre de notre conducteur qui gît au sol, les yeux éternellement grands ouverts sur le monde. Une dizaine de secondes plus tard, je me retrouve à nouveau contre l'autre voiture, un fusil accroché sur le dos en bandoulière. Un coup d’œil dans le rétroviseur m'indique que nos assaillants se sont encore rapprochés d'une ligne de voitures. La seconde d'après, le rétroviseur vole en éclat. Je ne peux réprimer un sursaut sonore. « Bon, tu sais ce qu'on va faire ? Une tenaille. Je suis assez petit pour me glisser sous les voitures. Quand ils me penseront vraiment trop proche, ils oublieront que t'es là. » J'omet de préciser qu'elle aussi, pourrait se faufiler sous les voitures. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression qu'elle sera un peu plus encline à tirer sur ces mecs que moi. Sans la laisser répliquer, je me glisse sous un coupé à la carrosserie rouge émaillée par le temps. L'odeur d'essence remplit mes narines, se répand sur ma langue. Mais je crois que c'est la seule option dont nous disposons.

Je me faufile sous les voitures alors que les balles sifflent au dessus de mes oreilles. Visiblement, ils ne croient pas encore au piège qui s'apprête à se refermer sur eux. En tous cas, nos assaillants ont l'air un peu trop occupés avec Raelyn pour remarquer que c'est vers eux que je me fraie un chemin, lentement mais sûrement. Ma rencontre avec un cadavre émacié à moitié dévoré par les vers est à peu près inévitable. Je me retiens de vomir, détourne les yeux. L'odeur de l'essence camoufle heureusement à peu de chose près l'odeur du cadavre. J'aperçois enfin les pieds d'un de mes assaillants. Leurs discussion au sujet d'une grenade m'inquiète, mais je ne leur laisse pas le temps à mettre leur plan à exécution. Un peu tremblant, je dégaine mon glock pour essayer de viser la jambe de l'un d'entre eux, mais manque ma cible. Le bruit attire au moins leur attention. Du plus rapidement que je peux, je roule sur le côté pour aller me planquer de l'autre côté de la voiture sous laquelle j'étais à l'origine. C'est la panique du côté de nos deux adversaires, qui se demandent peut-être s'ils n'ont pas sous estimé notre nombre.

Quelques échanges de tirs plus tard, un bruit sourd vient me confirmer que l'un de nos assaillants est à terre. Mais je crois également entendre que Raelyn s'est arrêtée de tirer. Est-elle touchée ? Je me faufile à nouveau sous une voiture, pour essayer de la rejoindre. C'est alors que je la sens, cette poigne de fer qui se referme sur ma cheville et qui m'arrache un cri d'horreur. Le cadavre de tout à l'heure n'en était pas un. Ou alors, pas tout à fait. Un mort tente de m'attirer à lui, et je joue des jambes pour l'empêcher de grimper à ma hauteur. Un grand coup de rangers dans la mâchoire plus tard, le cadavre dont il manque les jambes - la panique fait relever de drôles de détails - lâche prise. A la sortie, je suis accueillis par notre homme, dont je n'évite le coup de crosse que par une chance inouïe. Un coup de pied dans la cheville plus tard et il se retrouve, lui aussi, à terre. Nous roulons sur l'asphalte dans un imbroglios de membres et je sens déjà qu'il prend l'avantage. Ma main libre cherche à attraper mon glock, tombé dans la bataille. Le canon de l'arme que j'ai récupéré sur Nolan s'enfonce entre mes omoplates. Alors que ses doigts se referment sur ma gorge, ma main libre se saisit d'un objet brillant, au sol. Ce n'est qu'en essayant de le planter dans sa jugulaire que je ne remarque son aspect translucide. Mes tentatives ne se soldent que par des échecs, et c'est dans un dernier regain d'énergie que je plante l'éclat juste au dessus de son sternum. Gonflé par l'adrénaline, le type continue pourtant de serrer ma gorge entre ses doigts. Déjà, de petites étoiles noires dansent devant mes yeux. C'est fou tout le sang qu'il y a dans le corps d'un être humain.

« T’as fini de faire l’intéressant ? » Il me faut quelques secondes avant de reprendre mes esprits. Je repousse le corps de mon assaillant sur ma gauche, me tourne sur le côté pour tousser. Ma gorge brûle. Le sang poisseux de l'homme qui gît à mes côtés a inondé mes vêtements, si bien que je peux sentir sa tiédeur glauque. Je lance un regard mauvais à Raelyn, essuie les gouttes sombres qui ont envahi le bas de mon visage en terminant de cracher mes poumons. J'aimerais bien lui dire d'aller se faire voir, mais l'air me manque encore un peu. Il ne me faut qu'une dizaine de secondes de plus pour me redresser sur le séant. Les jolies petites étoiles noires qui clignotaient devant mes yeux se sont fait la malle. « Bon c’est bon t’as rien ? Parce que je fais pas l’infirmière, je te préviens. » « J'crois pas. » Je ne sens rien. Mes doigts fourmillent bien, mais je sais que c'est une réaction normale. La tension redescend un peu et je me retiens d'éclater de rire... en me mordant la langue. « Putain t'en as mis du temps. Tu préparais son enterrement ou quoi ? » que je lance en jetant un regard du côté de là où, je crois, se trouve le corps de notre conducteur.

Avant de me redresser, je fouille les poches de notre emmerdeur de première. Rien d'intéressant. Il est mort en pensant que nous étions peut-être ceux qui avaient le plus à offrir. Impossible, cependant, de savoir s'il vient de ceux qui, j'en suis sûr, sont postés sur le toit. Cet endroit est juste un trop bon point de repérage pour qu'il soit vacant. Je ne serais pas étonné d'entendre - et de sentir - les balles voler dans notre direction. Encore un peu tremblant en repensant à cet autre côté que j'étais certain de rejoindre, je me redresse sur mes deux jambes et constate l'étendu des dégâts. On oublie parfois tout le sang que peut contenir le corps humain. Promis, cette fois-ci je n'oublierai plus. L'arme de notre acolyte - paix à son âme - est encore accrochée à mon dos. « J'ai même pas eu le temps de la dégainer. Y'avait un macchabée sous une voiture. Tu sais, le genre qui t'ouvre le ventre et qui mange tes tripes. » Je ne retournerai plus jamais sous une voiture de toute ma vie. « On se tire. Je suis certain que ce n'était pas une escouade isolée. » Je me détourne de Raelyn pour rejoindre notre voiture. Non loin, on peut apercevoir les pieds de Nolan. La main sur une poignée de portière, je me tourne vers la jeune femme. « On fait quoi de son corps ? On l'enroule dans un truc et on le jette plus loin ? Ou on le ramène ? » Peut-être avait-il une famille, des gens qui attendaient son retour, ce genre de chose. « Merci, au fait. », je marmonne finalement, les yeux rivés sur le cadavre. Ainsi allongé, il a presque l'air heureux de regarder le ciel.

« J’étais pas sure d’avoir envie de venir te filer un coup de main, du coup j’ai fait une liste, les pours, les contres, ça a pris un peu de temps. » Je lâche un rire caustique. Je pue le sang. Dans quelques heures, ça va empirer, mais je ne crois pas que s'arrêter quelque part pour nettoyer tout ce coulis de tomate - haha - fasse partie du plan. Je vais devoir me débrouiller avec l'odeur entêtante et métallique du sang. Super. Cette journée commence vraiment bien. « Ok, on s’arrête au prochain point d’eau pour te rincer de tout ce sang, je passe pas la journée assise à côté de toi si y’a le moindre risque de morsure. » Ou alors peut-être que si. Je fronce les sourcils. « J'ai pas été mordu. 'L'aurais senti. J'lui ai mis un énorme coup de botte dans la gueule. Il avait pas de jambes je crois, il pourra rien faire d'autre qu'attendre que quelqu'un d'autre vienne se glisser sous la voiture. » Je n'ai pas été mordu. Pas été mordu. C'est sûr, j'en suis sûr. Je l'aurais senti, pas vrai ? Je ne sais pas ce que ça fait. Peut-être que dans la panique...

Non.

Je ne veux même pas essayer d'y penser. Mais soudain, j'ai l'impression de sentir mon sang pulser partout dans mon corps, comme si mon enveloppe devenait consciente que quelque chose pouvait ne pas aller. Je préfère détourner ce trop plein d'attention sur la route qu'il nous reste à parcourir. A ma surprise, Raelyn ne semble pas vraiment très attachée à ce Nolan. « Non, on a pas de temps à perdre, et je pense pas qu’il le prendra mal. » Je hoche la tête, me rapproche tranquillement de la voiture. « Si tu veux sa paire de bottes, c’est maintenant, ensuite on décolle. » Non, je tiens à mes fidèles rangers. Elles sont inusables. Et elles me permettent de mettre de sacrés coups de pieds lorsque l'occasion se présente. Avant de monter en voiture, je remercie ma comparse. « Me remercie pas, j’ai juste décidé que j’en savais pas encore assez sur toi pour décider si t’étais sacrifiable ou non. » Je lève les yeux au ciel, claque la porte du véhicule. « Bon en route. On va pas revenir au camp à deux et les mains vides en plus de ça. » La voiture contourne tranquillement le corps de notre ex-conducteur. J'ai posé son fusil sur mes genoux, et je sors à nouveau la carte précédemment utilisée. « On va où ? Rah, faut vraiment que je change cette carte. » Celle que je tiens entre les mains se délite entre mes doigts. « T'as jamais pensé à... partir avec la voiture ? Genre loin, seule ? C'est plus facile, de voyager seul. Tu vas à ton rythme, tu t'arrêtes où tu veux, t'es dépendant que de tes propres choix... » J'aimerais savoir. Je voudrais connaître la capacité de cette femme à partir sans un regard derrière elle. Peut-être que se tirer d'ici, c'est ce dont elle a vraiment envie. « Le campement a l'air de te soûler, vu comment t'en parlais tout à l'heure. » que je fais remarquer en souriant, le regard posé sur la route silencieuse. J'ai toujours détesté le silence.

« Sans vouloir te vexer j’ai vu des gens mentir comme des arracheurs de dents avec une trace de dents dans le bras, juste pur pas être abattus ou mis à la porte du camp. » Je la dévisage un instant. C'est humain, de vouloir survivre, non ? Raelyn me donne l'impression d'être totalement dénuée d'espoir pour l'espèce humaine. Ou du moins, pour tous ses semblables qui sont encore plus ou moins en vie. Elle a probablement raison. C'est mieux de ne vivre que pour soi, désormais. « Alors même si je dois te déshabiller pour te laver moi-même, tu prendras ce bain. Et je préfèrerais avoir à éviter. » « Ça ira. », que je marmonne. D'ici là qu'on trouve un spot pour la baignade...

La voiture s'élance sur l'asphalte. Aujourd'hui, pas de bouchons en vue - haha. C'est toujours étrange de voir la ville de cette manière, toute tranquille. Le calme n'en est qu'un simulacre. La mort est tapie partout, sous chaque pierre. Elle attend les proies de choix - nous, si nous ne sommes pas prudents. « On va aller au lac Manchester, en passant par le Nord, c’est là que c’est le moins dégagé. » J'opine du chef, jette un coup d’œil à ma carte désuète. « Et on poussera jusqu’à Yarraman, je sais que c’est là que Nolan avait prévu d’aller. » « Ça n'a pas encore été dévalisé, niveau vivres ? », que je m'étonne. Quatre ans après la catastrophe, je trouve surprenant d'encore trouver des trucs intéressants en ville. Je sais que certains camps tentent vaille que vaille de reproduire des conditions de vie "comme Avant", avec un semblant de culture de terre très, très bien protégée. De véritables petits bastions qui sont la cibles des plus gros poissons de la ville, ceux qui s'inquiètent plus des guerres de gangs que des zombies bouffeurs de boyaux. C'est à ce moment là que je choisis de l'interroger - un peu distraitement - sur ses potentielles envies de liberté. Raelyn précise qu'elle est la digne propriétaire de la voiture. Un bien de choix, qui peut se révéler être un véritable cercueil une fois entouré de morts-vivants. « Et survivre seul, c’est pas facile non. J’ai été séparée de la fille avec laquelle je survivais depuis plus d’un an et demi, et j’étais à moitié morte de faim et de maladie quand j’ai atteint le camp. Donc je me remplume et ensuite on verra. » Ce camp, c'est un peu l'arche de Noé des désespérés qui ont perdu leur binôme, finalement. « Pourquoi tu poses cette question ? » Mes yeux croisent les siens. « Parce que je me dis toujours que ça serait plus facile. Seul. Loin. Sur une colline, un truc en hauteur, n'importe quoi. Y'a tout un tas de villas perdues qui sont abandonnées. De véritables petits bastions. T'as une voiture. Qu'est-ce qui te retient ici ? » Je marque une pause, hésite un instant. « Tu l'as dit toi même, le campement est plein de gens qui ne mettront jamais un pied dehors. Ça fait pas longtemps que je suis là, mais je sais que dans ce genre de trucs, ils mettent tout en commun. Attends qu'un type plus fort soit à la tête de tout ça, ça va se changer en dictature. L'extérieur te paraîtra moins hostile. » Je sais de quoi je parle. « A moins que tu ne prennes la tête de tout ce merdier. T'as l'air de quelqu'un qui sait diriger des gens. » Peut-être que c'était son taf, Avant. Mais on ne parle pas d'Avant. Personne, jamais. C'est une règle d'or. Je me tourne vers la banquette arrière. « T'as pris des vivres ? Au cas où il faille rentrer plus tard que prévu. » Ou ne pas rentrer du tout.

« On cherche pas que des vivres. » Je l'interroge du regard. Elle comprend visiblement mon scepticisme. « Enfin oui et non. Y’a une liste de trucs dans mon sac, c’est ce qu’on nous a demandé de ramener. » Youpi, faites les courses chez les zombies. « Si tu veux regarder, j’y ai pas jeté d’œil encore. Mais généralement, je me pose pas de questions. » J'exécute la demande et attrape la liste qui se trouve dans le sac de Raelyn pour en énoncer une partie à haute voix. « Serviettes hygiéniques, fil de fer, fil barbelé... Quelqu'un a rajouté des couches. Y'a des gens qui se sont vraiment dit que ça serait une bonne idée de faire des gosses maintenant ? » Je ne les ai pas vu, ces enfants dont l'existence est suggérée par la liste de course. Peut-être que les parents ont honte, parce qu'ils se disent qu'ils ne font que multiplier les bouches à nourrir dans une époque à laquelle le moindre grain de riz vaut de l'or.

Et lorsque je suggère la fuite, lorsque j'évoque un meilleur futur loin de la ville et de ses campements socialement en danger, c'est la méfiance qui s'installe. « Moi ? Non merci. Ce genre de boulot ça vient avec des responsabilités, et j’ai pas envie qu’un seul de ces incapables dépende de moi. » Je lâche un ricanement. Ils dépendent déjà d'elle - de nous, présentement - parce que nous rapporterons des morceaux de l'extérieur, de quoi les nourrir, de quoi leur redonner l'impression que l'on peut rebâtir la société d'Avant. Ils se fourvoient tous. « Qu’est-ce que tu cherches à faire là exactement ? Que je te dise ok, allez viens on se tire à la Bonnie et Clyde ? » Touché. Je lui lance un regard en biais, laisse flotter un léger sourire sur mes lèvres. « Non, bien sûr que non, on a des êtres humains à sauver de leur mort prochaine en rapportant des vivres et autre, tu te souviens ? » que j'ironise, le regard à nouveau braqué sur l'asphalte, après avoir caricaturé un signe de croix. Je m'interroge, d'ailleurs, au sujet de ces vivres. En a-t-elle pris assez pour que nous puissions survivre à l'extérieur si nous devions y rester ? « Ouais, j’emporte toujours de quoi tenir quelques jours en se rationnant, au cas où on soit bloqués dehors. » J'hoche la tête. Le silence s'installe de nouveau, l'espace de quelques secondes. « Il est encore loin, ton point d'eau ? » J'en peux plus, de puer le sang.

« C’est pour toi les couches, je me suis dit que ça serait une bonne idée vu comment tu tremblais quand ce type a failli t’étouffer. » J'envoie à Rae un regard un biais, faute de lui lancer un véritable regard noir. « Ha-ha. », que je marmonne sans la lâcher des yeux. Je range finalement la liste dans le sac de ma comparse, qui a l'air vraiment plutôt fière de sa blague. « C’est pour le couple qui vit au Nord du campement. Ils bossent tous les deux aux plantations je crois. » Pauvres gens. Déjà que de s'occuper de sa vie dans cette ambiance mortelle - littéralement - ne doit pas être aisé, alors s'occuper de sa moitié... et de la survie de son enfant... pire que tout. Voilà pourquoi je pense parfois à Charlie, qui attendait son bébé lorsque la catastrophe est arrivée. Qui sait où elle se trouve, aujourd'hui. Qui sait si je n'ai pas foulé son cadavre sans même m'en apercevoir. J'ai soudain la nausée, décide d'entrouvrir la fenêtre passager. « Mais ouais. C’est triste à dire mais le gosse verra surement pas sa cinquième année. » « Tant pis. L'Humanité est finie. On aurait dû être plus rapides à aller s'installer sur Mars. » Maudit Elon Musk.

« Pourquoi t’as rejoint un campement, si tu veux déjà te tirer ? » Je hausse les épaules, referme la fenêtre et pose à nouveau mes yeux sur l'asphalte qui s'étend devant nous. « J'avais pas le choix. » Plus de vivres. Trop dangereux de rester traîner dehors sans munitions. Je serais bien resté dehors. Mais je suis comme tout le monde, je crois. J'ai peur. Je peux autant détester l'idée de vivre sous l'égide des campements que je le veux, la réalité est toujours la même : être entouré est rassurant. Après quinze longues minutes de silence, nous arrivons enfin au point d'eau dont a parlé Raelyn. Lorsque je me suis assuré d'un regard circulaire donné aux environs que rien ne viendra nous déranger, je retire mes vêtements. J'attrape au vol le savon lancé par ma camarade. « Allez, et on frotte bien. » « Du savon ? Ça se monnaye cher ! » Le dernier bloc que j'ai eu entre les mains est terminé depuis des lustres. Je pose mon arme sur la rive à côté de mes habits et rentre dans l'eau jusqu'au cou, dents serrées. « Elle est hyper bonne, ramène toi ! » que je lance en plongeant la tête sous l'eau. Des lustres que je ne me suis pas baigné dans un lac. Je me suis jusque la contenté de quelques petits ruisseaux. La tête sortie de l'eau, je m'attelle à retirer tout le sang coagulé autour de mon cou et sur mes mains à l'aide du savon. Le cœur battant, je scrute ma peau diaphane à la recherche d'une morsure. « J'crois que c'est bon. J'ai rien m'dame ! », que je lance vers Rae en levant les mains au ciel. « Pourquoi on construit pas des camps sur l'eau ? Ils savent nager les zombies ? » Je n'ai jamais fait attention à ce détail. Je suis certain que des bastions ont, depuis toutes ces années, commencé à émerger sur l'eau. Ça serait une idée de génie. « Tu veux m'inspecter ou c'est bon, t'estime que je suis clean ? » La question n'est pas vraiment sérieuse, mais on ne sait jamais.