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 Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo]

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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyVen 6 Déc 2019 - 3:44

Il sait, maintenant. Il sait tout. Si Alfie a pu le blesser profondément en avouant enfin qu’il ne tenait plus à leur amitié, Joseph est assez fidèle pour ne pas tourner la page – ou égoïste, ce terme a remplacé le premier à partir du moment où le plus vieux a décidé de ne pas se séparer de lui alors que l’autre n’avait plus besoin de sa présence dans sa vie. Non seulement il n’avait plus besoin de lui, il était aussi devenu une source de mauvais souvenirs et de rappels à la dépendance. Mais rien, ni aucune promesse, ni aucune insulte ne pourra raisonner Joseph qui n’arrive pas à briser cette chaîne qui le retient à l’image qu’il a encore d’Alfie alors que les années l’ont transformé en une toute nouvelle personne. Aveuglé par l’affection qu’il éprouve envers son premier ami, il a oublié que ses propres mains lui ont presque dérobé la chose la plus précieuse qu’il possède, bien avant son boulot, bien avant Juliana, bien avant sa passion pour l’exploration : sa vie. Malgré tout, il continue à croire qu’il peut rebâtir ce qui a été démoli par l’ouragan. Il continue de se nourrir de faux espoirs, pensant naïvement qu’en criant à voix haute sa volonté de changer, Alfie sourira, ouvrira ses bras et l’accueillera contre lui comme à l’époque où tous les deux étaient encore des petits extraterrestres qui se sont écrasés en pleine campagne.

Mais il est trop tard. Les aiguilles ont tourné. Les coups ont déferlé. Les masques sont tombés.

Les yeux rivés vers le petit sachet en papier brun qui contient un bagel beurré et un petit contenant de fromage à la crème, Joseph ravale sa nausée et tente d’ignorer l’odeur de boulangerie qui le suit depuis qu’il a posé quelques pièces de monnaie sur le comptoir en échange du petit déjeuner qu’il a improvisé pour Alfie. Il n’a plus d’appétit depuis les événements, comme si une gastro d’émotions avait décidé de camper dans son estomac. Même si sa discussion non planifiée avec Juliana dans l’autobus lui a permis d’enfin remplir complètement ses poumons d’air, il continue à culpabiliser – c’est ce que fait un homme coupable qui est conscient d’avoir commis un méfait. Mais il a une seconde chance, n’est-ce pas ? Alfie n’a pas retrouvé sa mémoire et il ne la retrouvera jamais. En passant à côté d’une voiture garée, Joseph s’arrête et profite du miroir du rétroviseur pour s’assurer qu’il n’a pas la tronche trop défoncée. Ça tombe mal, il n’a pas dormi depuis deux jours et des astronautes sur la lune pourraient apercevoir les énormes cratères sous ses yeux. Malgré tout, le garçon ne perd pas espoir : il se tapote son visage avec sa main disponible pour rougir ses joues blanches et il tente vainement de rétablir un peu d’ordre dans ses cheveux qui ressemblent davantage à une montagne de spaghettis à l’encre noire. Parfait. Si avant il pouvait passer pour un gamer qui passe la totalité de ses journées derrière un écran, maintenant son rôle de sans-abris lui colle beaucoup plus aux fesses. C’est ironique puisqu’il n’a jamais eu autant de propositions d’hébergement et qu’il n’a pas dormi dehors depuis des mois – merci à Gabriel qui l’accueille sans lui poser de questions et plus récemment à Deborah qui lui offre une chambre dans son petit appartement (bien qu’il doute que ce soit pour espionner ses habitudes de consommation).

Enfin arrivé sur le lieu de rendez-vous, Joseph scrute les alentours comme un petit suricate à la recherche de prédateurs et il trouve finalement la voiture d’Alfie garée près de là. Il reste immobile un moment pour respirer longuement, conscient que la vision du visage démoli de son ami le bouleversera. S’il a réussi à berner Juliana, il arrivera à faire de même avec son petit copain. Il a confiance.

« Hey ! » qu’il lance en ouvrant davantage la portière pour permettre à son corps de s’installer sur le siège du côté passager de la bagnole. Dans un mouvement ample, il balance son sac sur la banquette arrière, s’empêchant de tout de suite poser les yeux sur le conducteur. « J’avoue que j’m’attendais pas à c’que t’acceptes d’sortir si tôt. » Nerveux, il boucle sa ceinture et passe sa main dans ses cheveux (comme si ça allait changer quelque chose à sa coiffure aussi aléatoire qu’un tirage au sort). Et, enfin, il pose ses deux yeux sur Alfie. Il les voit, les vestiges d’une confrontation un peu trop violente. Sa peau est bleutée à plusieurs endroits, son arcade sourcilière a visiblement été ouverte et refermée par des points de sutures, ses lèvres sont encore légèrement déformées par les coups incessants. Et, le plus inattendu : il porte des lunettes qui ne sont probablement pas que de la décoration. S’empêchant de trop le dévisager pour ne pas le mettre mal à l’aise, il finit par reposer son regard vers l’avant. « On est pas obligés d’en parler, Jules m’a dit le plus important. » Il marque une pause et étire son bras pour poser le sachet de nourriture sur le dessus du tableau de bord de la voiture. « C’est un bagel, je me suis dit que tout l’monde aime le pain et le beurre. » Il vaut mieux tout de suite changer de sujet. Il ne sait pas s’il arrivera à contenir sa culpabilité bien longtemps si Alfie se met à décrire l’étendue de ses blessures – heureusement, ce n’est pas de son genre de raconter ses mésaventures, même à son meilleur ami. Il faut dire que Joseph n’est pas très bavard à ce sujet lui non plus et que ces secrets ont probablement augmenté la distance entre les deux garçons.      
 

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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyVen 6 Déc 2019 - 21:29


JOSEPH & ALFIE ⊹⊹⊹ We've taken different paths And travelled different roads. I know we'll always end up on the same one when we're old. And when you're in the trenches, And you're under fire I will cover you.

Ce soir-là, Jules était rentrée du travail et avait quelque chose d’important à lui dire ; elle avait croisé Joseph sur le chemin du retour et elle lui avait avoué l’avoir invité à dîner à la maison sans s’être assurée au préalable que ce n’était pas un problème pour son compagnon. À cet instant, Alfie n’avait eu qu’une question en tête : pourquoi ? Le but n’était pas de savoir pourquoi elle l’avait invité, mais pourquoi cela le dérangerait. Il n’a pas vraiment compris comment Joseph et lui en sont venus à s’éloigner, il n’a pas oublié que son ami a vécu quelques temps avec eux et que la curiosité de Jules l’a fait fuir. Alfie se souvient que ça n’a pas été un problème pour lui, sans réellement savoir comment cela se fait qu’il soit incapable de se remémorer sa dernière rencontre avec son meilleur ami. Il aurait pu interroger Jules, lui demander ce qu’elle sait, l’informer de l’état de sa relation avec son ami d’enfance, mais l’anthropologue s’est retenu : Jules est sa mémoire depuis son accident et il ne peut décemment pas lui en demander plus qu’elle n’en fait déjà, surtout lorsque le sujet ne la concerne pas tant que ça, finalement. Si elle doit, en plus de lui rappeler ses rendez-vous médicaux, sa couleur préférée ou la date de leur première rencontre, s’occuper également des relations d’Alfie, elle n’aura jamais la possibilité de prendre du temps pour elle et de se remettre de cet événement qui l’a impacté autant que son conjoint. Alfie n’est pas dupe, et par honte il n’ose guère revenir sur le sujet ; mais il sait qu’il abuse, que Jules passe au second plan parce qu’il occupe tout l’espace. Il se fourre dans des situations compliquées et compte sur elle pour le sauver, sans jamais prendre le temps de l’aider, elle, alors qu’elle en aurait tout autant besoin que lui. Mais Jules ne se plaint pas, et même les quelques perches tendues semblent se heurter à un mur ; raison pour laquelle il a décidé de simplement se montrer plus capable qu’il ne l’est et prétendre qu’il est temps pour elle de se remettre à vivre sa vie, parce qu’il va bien et qu’il commence à se remettre. Foutaises. Mais Alfie est conscient d’une chose : s’il veut retrouver la mémoire, il doit aussi y mettre du sien et ne pas seulement compter sur Jules pour lui dessiner les contours de son quotidien. Le plus gros de l’effort doit venir de lui, et s’il ne comprend pas exactement où en est sa relation avec son meilleur ami, c’est à lui de le découvrir et d’investiguer tout ceci.

C’est la raison pour laquelle il a accepté l’invitation de Joseph lorsque celui-ci l’a contacté au milieu de la nuit. Sans surprise, le sommeil l’a fui pour la énième fois et il se contentait d’écouter la respiration régulière de Jules en fixant le plafond. Depuis le retour de ses paralysies, Alfie n’ose plus fermer l’œil, et se contente d’attendre que les jours passent et que l’épuisement fasse son œuvre. Mais celui-ci n’est pas toujours disposé à être de son côté, et Alfie perd patience. Le message de Joseph s’est avéré salvateur un matin où il n’arrivait plus à faire preuve d’optimisme et se convaincre que tout reviendrait à la normale. Parce qu’il le comprend peu à peu, rien ne va revenir à la normale, ou en tout cas pas avant plus de six mois, comme l’a précisé son médecin. Il est figé alors que le monde continue de tourner autour de lui, et ça le rend dingue. Dingue de ne plus savoir s’exprimer, dingue d’être prisonnier de son propre corps, dingue d’être à la merci de sa mémoire. Il n’est qu’un jouet entre les mains d’un enfant qui en fait ce qu’il veut ; et le pire est qu’il est autant l’acteur de ce jouet que de cet enfant qui martyrise le premier. Comment peut-il espérer trouver une solution, alors qu’il est autant le bourreau que la victime ? Alfie se passe une main sur son visage pour chasser ces pensées toujours plus envahissantes, tandis que son doigt caresse l’écran pour remonter l’historique de sa conversation avec Joseph. Si seulement il pouvait se souvenir. Les derniers messages échangés entre eux sont des bêtises entre deux hommes n’ayant pas totalement grandi, quelques services demandés du plus vieux pour se déplacer, et deux ou trois photos de memes envoyés par le plus jeune. Rien qui ne lui permette de comprendre pourquoi Jules a pris autant de pincettes pour lui annoncer que Joseph viendrait à la maison, alors que ce dernier peut y venir quand il le souhaite, d’autant plus compte tenu de sa situation. C’est ce que font les meilleurs amis, pas vrai ? Ils sont heureux de se côtoyer, ils s’épaulent, ils se protègent.

Garé devant la bibliothèque, Alfie attend son ami en tapotant sur son volant. Il est nerveux, et il explique cette sensation par le fait de reprendre le volant alors qu’il n’aime pas ça et qu’il ne se sent guère en état de conduire. Mais il n’a d’autres choix, et puis, il ne peut pas faire d’accident, il ne conduit pas sous l’influence de substances et les lunettes qu’il a sur le nez sont censés aider sa vision altérée par les coups. Lorsque la portière s’ouvre, il sursaute et ses mains se serrent machinalement autour du volant alors qu’il relève la tête vers Joseph qui ne le voit pas. « Salut. » Qu’il finit par dire avec un sourire, avant de hausser les épaules et chercher le regard de son ami, qu’il ne trouve pas. « Boh, tu sais, y’a pas, il marque une pause, se frotte la tempe un bref instant, avant de reprendre, mort d’homme, je vais pas m’arrêter de vivre. » Ou plutôt, il ne le veut pas, mais tout autour de lui semble dire le contraire. Qu’il le veuille ou non, il est suspendu dans le temps en attendant que ses blessures cicatrisent – et il n’est pas seulement question des marques physiques. Il ne pourra pas avancer tant qu’il ne pourra pas comprendre ce qu’il s’est passé, tant qu’il ne pourra pas redevenir lui-même. Car les difficultés liées à sa mémoire sont tout autant des trous dans ses souvenirs qu’une part de lui qu’on lui a enlevé et qui l’empêche de se penser au complet. Et ça ne vient pas que de lui, ça vient aussi des autres, de Jules, de Norah, d’Anabel, de Joseph maintenant qu’il le dévisage. Tous ceux qui essaient de ne pas attarder leur regard et ne pas laisser transparaître leur effroi, mais qui le font, le dépossédant toujours un peu plus de son identité d’individu à part entière pour qu’il embrasse celle de victime. « De toute façon, même si j’en… Nouvelle pause, nouvelle recherche de ses mots, je sou… je voulais, il y a rien à dire. » Il précise avec un haussement d’épaules las. Comment en parler alors qu’il ne sait pas lui-même de quoi parler ? Cette pensée, sans surprise, l’agace au plus haut point, mais Alfie essaie de se concentrer sur le sachet apporté par Joseph. Optimisme. « Tu t’es bien dit. » Il souligne, un sourire amusé sur ses lèvres, alors qu’il redémarre la voiture pour les amener jusqu’au lieu de rendez-vous. La conduite déjà hésitante d’Alfie n’est pas aidée par le manque de réactivité de son œil gauche et son manque de coordination, et cela se traduit par les quelques freinages peu agréables. Mais ça, Alfie ne s’en rend pas compte, et probablement que ce ne sera pas le cas tant que Joseph restera muet. « Qu’est-ce que Jules t’a dit ? » Qu’il finit toutefois par demander après quelques instants de silence, non pas pour remettre en doute la parole de sa moitié, mais surtout parce qu’il a besoin d’avoir confirmation que ses souvenirs concordent avec les siens ; et qu’il sait que Jules serait capable de lui mentir et de lui assurer qu’il a tout bien enregistré quand bien même ce n’est pas le cas, seulement pour éviter de le frustrer plus qu’il ne l’est déjà.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptySam 7 Déc 2019 - 3:40

Il a tout effacé sans savoir si ses efforts égoïstes payeraient. Il ne savait pas ce qu’il adviendrait de son meilleur ami qui gisait sur le sol la dernière fois qu’il l’a vu. Il a d’abord cru que plus jamais son cœur ne pomperait son sang dans ses veines jusqu’à son cerveau mais il a senti son pouls sous sa peau recouverte d’une rivière de sang frais et encore aussi rouge que les dernières lumières du soleil lorsqu’il se blottit derrière l’horizon de la mer. Il a quitté l’appartement sans savoir s’il reverrait Alfie une fois dans sa vie et sans savoir que les derniers instants qu’ils ont passé ensemble seraient effacés de sa mémoire comme une cassette vidéo qu’on balancerait par-dessus bord. Tous les deux ont eu de la chance et Joseph continue d’espérer que sa seconde change s’éternisera jusqu’à une dixième, une vingtième, parce qu’il est têtu : il n’a pas l’impression de mériter l’emprisonnement une seconde fois parce qu’il ne réalise pas à quel point il se transforme en animal plus les années s’écoulent sans qu’il n’emprunte le bon chemin.

La première impression que lui fait Alfie est positive. Du coin de l’œil, il aperçoit son sourire, bien qu’il ne trouve pas le courage de le regarder droit dans les yeux de façon si hâtive. Il a besoin de prendre son temps et de transformer les secondes en minutes. Cependant, quand son ami ouvre la bouche pour prononcer plus d’un mot, il se crispe et s’oblige à fixer le fond de la voiture, violemment happé par la vérité qu’il tentait d’éviter en s’imaginant que la vie est faite de roses et de papillons. Ce n’est pas que le physique d’Alfie qui a gardé des séquelles. Lui qui avait pour habitude de baratiner pendant des heures sans jamais épuiser son vocabulaire, voilà qu’il recherche avec difficulté les mots pour exprimer une simple expression. À ce moment précis, la culpabilité poignarde le fautif si fort qu’il lui suffit de plus de temps qu’il le faut pour retrouver ses esprits. Il redresse enfin la tête pour se débarrasser de la barrière entre eux et il empêche ses yeux de patiner sur les plaies du plus jeune. « J’suis content de voir que t’es toujours aussi positif. » Malgré le fait que j’aie ouvert ton front contre l’évier et que rien ne m’aurait arrêté si ce n’était pas de la présence des cicatrices dans ton dos. Conscient qu’il devra supporter cette petite voix dans sa tête pour le reste de sa vie, Joseph soupire fortement mais transforme ce soupir en bâillement pour faire croire à son ami que c’est la fatigue qui le rend aussi bizarre ce matin. Il a bien fait de ne pas prendre de café. Une seconde fois, les mots d’Alfie se font hésitants mais Joseph arrive à contenir son désarroi derrière un pincement de lèvres. Il repose ses yeux vers l’avant, à la recherche d’un divertissement secondaire qui pourrait le calmer. Lorsque le moteur se met à vibrer sous ses fesses, une pression monstre se retire de ses épaules parce qu’il pense que plus jamais le sujet de son agression ne sera rapporté même s’il ne pourra pas empêcher les images de se planter dans sa tête à chaque fois que le blessé prononce un mot qui ne fait pas vraiment de sens dans la phrase choisie. Un sourire forcé soulève la commissure de ses lèvres quand son choix de petit déjeuner est approuvé et la pédale de vitesse s’enfonce, promesse d’une balade en voiture tumultueuse. Déconcerté, Joseph se sent obligé d’enfoncer ses ongles dans la poignée de la portière pour s’accrocher à quelque chose tellement la conduite d’Alfie laisse à désirer. Il n’en touche cependant pas mot, ne souhaitant pas enfoncer la lame dans la plaie – et il n’est probablement pas meilleur conducteur que lui. S’il avait su qu’il embarquait dans une montagne russe, il aurait probablement gobé une pilule anti-nausée avant de s’asseoir dans le manège. Les nausées ne l’avaient pas lâché de la nuit et voilà qu’il impose à son estomac une danse surprise. Heureusement, il ne peut pas être plus blanc qu’il ne l’est déjà. « Humf. » Bon, ce son est sorti tout seul par ses narines lorsqu’Alfie a immobilisé violemment le véhicule à une lumière rouge. La mâchoire serrée et toute sa concentration focalisée sur son estomac, il pivote la tête vers son ami quand il l’interroge à propos de la discussion qu’il a eue avec Juliana. Sa mémoire infaillible ne lui fait pas défaut et il peut lui répondre avec toute l’assurance d’un bon menteur : « Un mec est entré chez toi et t’a tabassé. » Il secoue ensuite la tête de droite à gauche en frottant sa barbe avec sa main. « Un dérangé, certainement. » Ce mot s’était vissé dans sa tête lorsque la jeune femme l’avait mentionné. Il n’arrive pas à s’associer à celui-ci. Alfie avait lui aussi ses tort. Une bataille nécessite au moins deux participants et jamais Joseph n’aurait bondi dans son dos si le perdant du combat n’avait pas fait en sorte d’éveiller le volcan. Mais, ça, il ne pourra jamais le dire à voix haute. Il est seul avec sa propre version de l’histoire et, s’il la partage, il ruinerait toutes ses chances de reconstruire les fondations de leur relation qui aurait dû se terminer cette soirée-là. « Elle m’a dit que c’était difficile mais que tu tenais le coup. » La boule dans la gorge, il inspire doucement pour calmer l’émotion qui lui brûle la cage thoracique. Ses doigts se mettent à pianoter nerveusement sur ses cuisses mais cette distraction n’est pas assez grande pour l’empêcher d’ouvrir la bouche : « J’suis vraiment désolé pour c’qu’il t’est arrivé. J’t’assure que j’serai là si t’as besoin de moi, même si t’as déjà Jules. J’sais pas… J’veux juste pas que tu oublies que j’existe et que tu peux frapper à ma porte si t’en as besoin… Façon d’parler, j’ai pas de porte, haha. » Son ricanement forcé s’étire en plusieurs « ha » tout aussi peu naturels que les seins d’une actrice pornographique après une chirurgie esthétique et il finit par se taire en se raclant la gorge. En marmonnant une insulte à lui-même, il se masse les tympans pour tenter de masquer son malaise vis-à-vis de son propre comportement et il ajoute : « J’dis n’importe quoi, pardon. J’essaye de rendre la balade normale mais j’empire le truc. Concentre-toi sur la route, pas sur moi. » Manière subtile de dire qu’il vaut mieux qu’il garde toute son attention sur le volant s’ils ne veulent pas se retrouver dans un ravin.  
 
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyDim 29 Déc 2019 - 19:26

« J’suis content de voir que t’es toujours aussi positif. » « Hm, hm. » Qu’il marmonne distraitement en forçant un sourire. La vérité, c’est qu’il peut le prétendre autant qu’il le souhaite ; mais privé de ses capacités à penser et à s’exprimer, Alfie perd des bribes de lui-même, dont cet optimisme qui l’a caractérisé pendant de longues années. Il essaie de s’y raccrocher, de se persuader que rien n’a changé malgré le temps rapproché entre ces deux agressions qui ont porté atteinte à sa vie, peu importe si cela implique de formuler de jolis mensonges basés sur de pures vérités : il n’y a pas mort d’homme, c’est un fait, il ne peut donc que s’en remettre, pas vrai ? Il y croit, Alfie, il sait qu’il s’en remettra, comme il s’est remis de son dernier terrain (mais peut-on parler de convalescence réussie, quand on n’a pas accepté la situation ?), que ce ne sont pas quelques coups qui le réduiront à néant. Il y croit, mais ce n’est pas cette pensée qui lui a traversé l’esprit la première ; c’est bien le fait qu’il aurait préféré être mort. C’était le but, par cette attaque d’une violence inouïe, pas vrai ? Et peut-être qu’il s’il a tardé à porter plainte, ce n’est pas parce qu’il voulait se donner toutes les chances de passer à autre chose, mais parce que la finalité ne lui convient pas. Il a toujours eu des tendances autodestructrices, Alfie, comme si son seul moyen d’apprécier la vie était de défier perpétuellement celle-ci. Sauf que cette fois-ci, il n’est pas celui qui s’est volontairement porté atteinte et c’est ce qui complique tout : il n’a pas été maître de la situation. Au contraire, il se sent terriblement impuissant, et ce sentiment ne cesse de s’accentuer de jour en jour, incapable de rappeler ses souvenirs à lui, incapable de maîtriser l’usage d’un simple vocabulaire là où il n’avait jamais d’hésitation quant aux mots à employer et que ceux-ci défilaient dans sa bouche à une vitesse folle. Il n’est plus lui-même, et c’est bien le problème : il ne sait plus qui il est. Il ne se reconnaît plus, il n’arrive pas à apprivoiser cette nouvelle personne qu’il est, plus affaiblie, plus réfractaire, alors Alfie préfère prétendre qu’elle n’existe pas et qu’il n’a pas changé alors que tout autour de lui, lui montre le contraire. Cette pitié qu’il lit dans les yeux de son entourage, cette délicatesse avec laquelle on le traite, cette manière dont son rapport aux autres s’est tout simplement reconfiguré alors qu’il aurait dû rester tel qu’il était pour ne pas qu’il se sente encore plus à l’écart qu’il a déjà l’impression de l’être. Mis à l’écart de sa propre vie, de sa propre identité, et un ressentiment qui gagne du terrain de jour en jour ; autant à son encontre qu’envers les autres, dont Joseph, et cette sympathie faussée, Jules et ses discours dramatiques. « Ouais. » Qu’il marmonne à l’entente du terme dérangé, persuadé que cet individu ne l’était pas forcément ; cela impliquerait de lui trouver des circonstances atténuantes et, par extension, des excuses. Mais Alfie, aussi détendu et ouvert qu’il puisse être, avec sa vision du monde qui lui est propre et parfois sérieusement dérangeante, n’a aucune envie de pardonner à son bourreau, du moins sans explications de sa part (s’il est retrouvé un jour). C’est le problème avec Alfie, il a un besoin maladif de comprendre. C’est essentiel dans le cadre de son travail, c’est épuisant dans le privé. Des semaines qu’il s’interroge, qu’il cherche à expliquer l’événement, à se remémorer des paroles et des actes qu’ont été les siens il y a une semaine, un mois, un an, dix ans. Il retrace l’historique de son parcours, cherche à y mettre en évidence les éléments qui parviendraient à l’aider ; n’y parvient pas, cette mémoire défaillante principalement en fautive toute désignée. Un dérangé. Dans le fond, il l’est tout autant, quand il prend le temps de réfléchir à son comportement. Il n’a aucune certitude de la manière dont s’est présenté celui-ci, mais Alfie sait se défendre. Il fait de la boxe depuis des années, s’est suffisamment battu au cours de sa vie pour parvenir à maîtriser un potentiel adversaire. Pire encore, il aime ça. Il aime le goût du sang dans sa bouche et l’adrénaline de ses poings qui s’abattent, ce qui impose une question dans son esprit, une seule : est-ce qu’il a aimé ça ? Et le pire, dans tout ça, c’est qu’il connaît la réponse. Il la connait, et elle se traduit par sa réticence à avoir porté plainte autant qu’à son envie de passer à autre chose et de ne plus inclure qui que ce soit dans cette affaire. Le plus dérangé, ce n’est probablement pas son agresseur.

« Elle m’a dit que c’était difficile mais que tu tenais le coup. » Alfie fronce les sourcils alors qu’il appuie sur l’accélérateur pour poursuivre son chemin. Plus frustré par ses efforts qui ne portent pas leurs fruits que par les certitudes de Jules, il comprend qu’il va devoir continuer à s’épuiser et à jouer le rôle du parfait petit patient qui se remet de tout cela. Parce que c’est le cas, hein, Alfie ? Bien-sûr que tu te remets, c’est pas comme si tu avais d’autres choix. On ne sait pas gérer ces choses dans sa famille, il n’a jamais appris à le faire. On balaie la poussière et on la dissimule sous le tapis en espérant que quelqu’un d’autre s’en occupe. Ses parents ont toujours fonctionné ainsi malgré leurs nombreuses invitations à se confier ; quand ça devenait hors de leur porté ils redirigeaient leur fils vers un spécialiste, lui donnant l’impression que ses soucis sont de véritables problèmes. Alors il a cessé de s’épancher sur ceux-ci pour qu’ils restent les siens et seulement les siens ; et que personne d’autre ne s’en mêle (volontairement ou non). Une voiture lui coupe la route et Alfie réalise que son pied n’a pas quitté l’accélérateur, que son regard noir s’est perdu quelque part à mille lieux de la route, et que la présence de Joseph a été totalement occultée. Il freine rapidement, se contente de passer une main sur son visage en faisait fi de sa conduite inadaptée, poursuivant son chemin avec un peu plus de vigilance (qui durera probablement un dixième de second venant de lui). « Elle est adorable, elle s’inquiète tellement alors que… enfin, c’est pas facile pour elle, non plus. » Non, au contraire. Il n’est pas dupe, il a conscience de la replonger dans une situation qu’elle n’aurait jamais voulu revivre ; et d’être foutrement impuissant pour l’aider : parce que cela nécessiterait de communiquer sur des événements qu’il a décidé de sceller à clefs. « Mais elle ax-, exagère, c’est pas si difficile. Ça va, je cicatrise bien, c’est bientôt dern-derrière moi. » Son regard se porte à droite alors qu’il effleure le levier de vitesses, incapable de se souvenir laquelle il a passé en dernier, avant de relever la tête. Fronçant les sourcils face au manque de naturel de Joseph, Alfie hausse les épaules et tente de faire abstraction de cette gêne qui s’est soudainement instaurée entre eux. « Oh ça va, tu peux le dire que je conduis comme une sœur, c’est pas un secret. » Il finit par souligner, se plongeant dans le silence pour se concentrer sur la route. Se forcer à se concentrer plutôt, car son esprit divague ailleurs, encore et toujours, alors que les paroles de son ami ne cessent de résonner dans son esprit et que la culpabilité reprend très vite du terrain quant au fait que Joseph n’ait donc pas retrouvé un toit, s’il se fie à ce qu’il a mentionné. C’est après un bon quart d’heure que les deux hommes arrivent à destination, Alfie sortant de la voiture sans oublier son bagel, attendant que Joseph en fasse de même pour verrouiller le véhicule et vérifier à quatre reprises qu’il est bien fermé, revenant sur ses pas une cinquième fois suite à un doute. « Tu… t’as pas d’endroit où loger ? » Qu’il demande en se mordant la lèvre, sceptique quant à la bonne idée de se lancer sur un tel sujet. « Tu travailles toujours euh, à... » Énième trou de mémoire, moins gênant que les fois où il oublie des informations sur celle qui partage sa vie depuis plus de trois ans, mais tout autant insupportable pour un Alfie qui se sent encore une fois démuni. « Ou pas ? » Et afin d’éviter une gêne supplémentaire, il sort son bagel de l’emballage, qu’il entame sans tarder, ne relevant les yeux vers Joseph qu’une fois à la moitié de celui-ci. Repositionnant ses lunettes d’un geste du pouce, il affiche un sourire. « Boh, ton taf désormais, ça va juste être de me nourrir, bon choix. » Un bagel beurré, rien d’extraordinaire, mais il salue les efforts de Joseph, et il clôt le sujet de sa situation par la même occasion.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyDim 29 Déc 2019 - 20:48

Le moment est gênant. Très gênant. Joseph se sentirait probablement moins gêné de se retrouver devant un film soudainement pornographique en présence de Lily. Il pourrait simplement s’emparer de la télécommande et changer de chaîne en se raclant la gorge pour faire mine de ne pas du tout avoir remarqué que le personnage principal vient de retirer sa ceinture. Il pourrait faire passer le moment en soufflant « haha, oups, c’est un film cochon, malaise ! » avant de se redresser hors du canapé pour aller se cacher dans la cuisine après avoir demandé à sa sœur si elle désire boire quelque chose. Mais la situation est bien pire : deux supposés amis qui regardent la route défiler sous la bagnole sans dire un seul mot, parce qu’ils savent tous les deux que le moment n’est pas propice à une bonne claque dans le dos et un toast à toutes les conneries qu’ils ont fait ensemble quand ils étaient hauts comme trois pommes. Il est coincé dans un habitacle dont l’air est tellement étouffant que Joseph a l’impression de devenir asthmatique au fur et à mesure que les secondes s’écoulent dans le plus complet des silences. Il n’a pas l’impression d’être en position de lancer une conversation banale : au fond de lui, la crainte de voir Alfie soudainement retrouver la mémoire boue encore comme l’eau dans une théière qui hurle sur le rond du four. Et puis, de toute façon, Joseph est beaucoup trop occupé à planter ses ongles dans son siège tellement la conduite d’Alfie est hasardeuse. Il n’a pas la force d’émettre un seul son entre chaque tournant et chaque arrêt raté à une lumière qui vire au rouge à la dernière seconde. C’est bien la première fois que Joseph se met à insulter les feux de circulation dans sa tête : non mais, ils ne pourraient pas rester verts pour une fois ?  

Le pied d’Alfie s’enfonce dans la pédale de l’accélérateur et, aussitôt, le cœur de l’autre grimpe de quelques centimètres dans sa gorge. Sa salive devient tellement pâteuse qu’il n’arrive pas à déglutit correctement. Son instinct de survie le pousse à murmurer un seul mot à voix basse, un mot que son ami ne pourra probablement pas entendre par-dessus le vrombissement du moteur. « Douuuuucement… » Il inspire profondément et son doigt cherche machinalement le bouton pour ouvrir la fenêtre de sa portière. Un peu d’air chaud vient caresser ses joues (ou plutôt la sueur sur ses joues) et le garçon terrifié par la conduite de son ami peut enfin fermer les paupières un moment et prendre le temps de respirer. Au dernier instant, la voiture s’arrête brusquement et les réflexes de Joseph le sauvent d’une commotion cérébrale : ses deux mains se soulèvent devant lui et terminent leur chemin sur le tableau de bord. « Hm… » Il ne veut pas critiquer quoi que ce soit, bien qu’il ait l’impression que sa vie est en danger plus que jamais. Ce serait con pour un drogué de crever dans un accident de la route alors que ce n’est même pas lui qui a le volant en mains. « Elle est adorable, elle s’inquiète tellement alors que… enfin, c’est pas facile pour elle, non plus. » Il secoue la tête de droite à gauche, heureux d’entendre à nouveau la voix d’Alfie parce que le silence commençait à le blesser physiquement. Il pourrait baratter, emprunter les mots d’une personne normale qui comprend ce qu’est la vie de couple mais il se contente de se pincer les lèvres – pour s’empêcher de parler mais aussi pour garder la bile dans son estomac. « Mais elle ax-, exagère, c’est pas si difficile. Ça va, je cicatrise bien, c’est bientôt dern-derrière moi. » Cette fois-ci, il hoche la tête de façon exagérée en haussant les sourcils. Que tout soit derrière eux, c’est ce qu’il désire le plus. Que les choses redeviennent normales et que plus jamais Joseph ne laisse ses émotions prendre le dessus sur sa raison, lui qui jamais avant cette journée-là n’a laissé les préjugés des autres alimenter sa colère. « Yep, tu cicatrises bien… » Difficile à dire puisqu’il n’a pas eu le courage d’observer plus d’une seconde les marques de lute sur son visage. À chaque fois que leur regard se croise, il concentre toute son énergie à l’analyse de ses lunettes parce que c’est le seul élément dans son visage qui l’empêche de se lancer à la recherche de la plus grosse cicatrice ou de l’ecchymose le plus imposant. « Comme une sœur ? Ah non, j’peux t’assurer que Lily conduit mieux que toi. » qu’il plaisante en ricanant légèrement pour à son tour détendre l’atmosphère. Malgré tout, il pointe à nouveau la route devant eux pour inciter Alfie à garder toute sa concentration jusqu’ils soient arrivés sains et saufs à destination.

La voiture enfin garée, Joseph serait presque prêt à remercier le ciel pour lui permettre de vivre une autre journée. Devant le petit spectacle que lui offre Alfie en exécutant moult allées et retours jusqu’à sa portière, il reste pantois, les mains enfoncées dans ses poches, s’empêchant de le presser. Quand son ami revient vers lui, il fait mine de regarder les paysages mais la question qu’il lui pose le fait soupirer : « Arrêtez avec ça, p’tain. J’m’en fiche de pas avoir d’maison. » Il se pince les lèvres et une grimace étire son visage : « Pardon. C’est sorti tout seul. J’sais que ça part d’une bonne intention mais, vraiment, j’m’en fiche. » Alfie devrait être habitué de supporter la première pensée qui lui vient à l’esprit. Joseph n’a jamais possédé de filtre et, même s’il s’est retenu sur toute la durée du trajet de poser des questions quant à sa situation physique, il lui en faut peu pour retrouver la parole. « À la sandwicherie ? Pour l’agence de mannequin ? » Il demande, légèrement amusé. « Désolé, mec, je sais pas à quel point t’as perdu la mémoire. P’t’être même que tu parles d’mon job de caissier en 2002, j’saurais pas dire. » Ça, c’est une tentative de dérober à Alfie une information cruciale : à partir de quand sa mémoire a-t-elle été affectée ? Distrait, il l’observe croquer dans le bagel qu’il lui a offert et il finit par répondre sans grande conviction : « J’sais pas trop j’en suis où. » Il ne va tout de même pas lui dire qu’il a de nouveau été recruté dans le marché de la drogue et qu’enfin il arrive à se faire un peu plus d’argent – d’ailleurs, il adore déjà cette nouvelle paire de baskets qu’il a achetée récemment, bien qu’elle fasse contraste avec ses fringues toujours aussi délavés. « Écoute, si tu m’paies pour t’apporter un bagel tous les matins, j’suis partant. » Considérant que les sujets sensibles sont clos, Joseph se permet de faire un premier pas en direction du sentier pédestre qui mène jusqu’au véritable lieu touristique. Il est encore trop tôt et seules leurs deux silhouettes accueillent les premiers rayons du soleil orangé. Sans plus attendre, et pour rapidement combler le silence qui menace de s’installer à nouveau, Joseph se permet une première plaisanterie : « C’est bon ou t’as encore besoin de vérifier si ta bagnole est bien verrouillée ? » Il demande, un large sourire amusé étirant ses lèvres et dévoilant ses dents. « Et t’hésite pas si t’as besoin que j’te trouve un bâton de marche. Ou j’peux même te transporter sur mes épaules si tu veux. J’te garantis pas de pouvoir te supporter toute la randonnée mais si ça peut t’éviter de sacrer l’camp au sol…* » Il lui suffit maintenant de croiser les doigts pour qu’Alfie accepte de plaisanter un peu quant à sa situation et que le temps a fait son œuvre.

Au milieu des racines recouvertes d’eau, suspendu au-dessus de la nature sur un petit pont en bois, Joseph fait signe à Alfie de s’arrêter pour observer la vue sur la mer qui se réveille à peine. L’eau est calme, ce matin, et une odeur d’écume englobe les deux garçons pour mieux les inviter à se pencher par-dessus la barrière afin d’observer quelques poissons d’eau salée qui frôlent la surface avec leurs nageoires, à la recherche de miette à picorer. Les deux coudes posés sur le support en bois, Joseph passe sa main dans ses cheveux pour les ramener vers l’arrière, geste qui trahit sa soudaine nervosité. Il fait tourner sa langue dans sa bouche à plusieurs reprises, cherchant la formulation parfaite pour amener le sujet. « J’savais pas que… Qu’on avait vécu l’même truc quand on était jeunes. » Jamais il ne lui viendrait à l’esprit de tout de suite mentionner les lignes blanches qu’il a vues dans le dos d’Alfie quand son t-shirt s’est déchiré entre ses doigts. Il veut avant s’assurer que son ami peut comprendre de quoi il parle : il ne voudrait pas se retrouver complètement ridicule en comprenant qu’il est complètement hors sujet. Sans que Joseph ne s’en rende compte, ses ongles se mettent à gratter le bois de la barrière et il envoie quelques morceaux dans la flotte : plusieurs poissons curieux s’approchent de la turbulence mais aucun n’essaye de dévorer cette fausse nourriture.
 

*C’est une expression québécoise qui veut dire « tomber au sol de façon vraiment ridicule » et je me voyais pas ne pas l’utiliser tellement elle est parfaite dans la situation. Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] 3217047551
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyLun 10 Fév 2020 - 13:10

L’évocation de sa petite amie lui procure quelques frissons. D’effroi, ou de douceur, il ne saurait dire tant les sentiments qu’il éprouve à son égard sont ambivalents. La situation est moins dramatique que cette pensée le laisse présager ; cette ambivalence, Alfie la ressent auprès de tout son entourage (dont Joseph), mais aussi vis-à-vis de lui-même. Cette agression n’a pas seulement porté atteinte à son intégrité corporelle, c’est son intégrité psychique qui en a particulièrement souffert ; celle qu’il ne peut pas faire cicatriser à l’aide de quelques points de suture et d’une pléiade de comprimés à prendre aux premières heures du matin. Jules voit clair dans son petit jeu, et en fin de compte, il ne sait pas réellement pourquoi il s’avère étonné – pire, véritablement contrarié de constater que tous ses efforts ne portent pas leurs fruits. Et plutôt que d’admettre qu’il n’arrivera pas à la berner avec la même facilité que d’autres membres de son entourage, Alfie n’envisage qu’une solution à ce cas de figure : redoubler d’efforts, et persister à prétendre qu’il va bien, alors qu’il n’a jamais été aussi mal. Et il ne sait pas comment s’y prendre tant Jules parvient à lire en lui ; pourtant, il y a bien d’autres choses qu’il a toujours réussi à lui dissimuler, alors pourquoi a-t-il l’impression de ne plus y parvenir ? Pourquoi cette fois, cela ne fonctionne pas ? Alfie s’interroge, se perd dans ses pensées, et s’en veut. Il s’en veut de faire une nouvelle fois subir cette situation à Juliana, cette personne en or qui mérite tellement mieux que tout ce qu’elle traverse en sa compagnie. Et il ne parle pas seulement de ces hospitalisations régulières, mais aussi et surtout de tous ces sujets qui sèment la discorde entre eux depuis quelques mois. Et il plonge dans les abysses de ses pensées, occultant la présence de Joseph, la colère faisant suite au désarroi, comme trop souvent le concernant. La colère de ne plus être le même ; la colère qu’on lui fasse comprendre qu’il ne l’est plus, surtout. Par la douceur de la voix de Jules, par la tendresse de ses caresses, par les regards en coin, par les sourires bienveillants, par tous ses gestes et ses paroles qui lui font comprendre que quelque chose a changé ; qu’il a changé. Et après Jules, après ses parents, après tant d’autres, Joseph s’ajoute à la liste, en n’osant pas relever le regard sur son visage encore marqué par les coups, en ravalant sa salive dès qu’un mot lui échappe, en baissant les yeux dès que ses difficultés se montrent visibles. Il n’entend pas la voix de Joseph à ses côtés qui lui demande de ralentir, et pire encore, il ne voit plus la route devant ses yeux, manquant l’arrêt cardiaque quand c’est un autre véhicule qui s’interpose entre ses pensées et la réalité. Un insupportable goût de déjà vu lui brûle la gorge et Alfie ferme les yeux un bref instant. Joseph le sait, pourtant, qu’il déteste conduire. Et la colère circule à nouveau dans ses veines alors qu’il laisse échapper un bref soupir ; si seulement il pouvait se calmer. Pour cela, il reprend la conversation là où il l’a laissée, oblige ses pensées à se focaliser sur une seule chose alors qu’elles sont éclatées en des milliers de morceaux. « Euh ouais, d’accord, parlons de Lily… » Il fronce les sourcils, peu certain de comprendre ce que Lily vient faire dans la conversation, mais n’ayant pas l’envie de demander des explications dont il connaît pourtant déjà les réponses ; l’erreur vient probablement de lui, et Alfie préfère l’ignorer plutôt que d’être confronté, une énième fois, à ses déficits.

La fin du parcours lui semble durer une éternité, la crainte de provoquer un accident ajouté à sa hantise du volant était bien réelle. Alfie profite de remplir ses poumons d’air alors qu’il a l’impression d’avoir manqué de respirer de trop longues minutes, et le pilote automatique se met à nouveau en marche alors qu’il vérifie que le véhicule soit bien inaccessible à quiconque voudrait s’y faufiler pour le surprendre. En revenant vers Joseph, le ton de celui-ci le heurte et Alfie se mord la lèvre pour rester silencieux. « D’accord. » Qu’il se contente de répondre, préoccupé – ou peut-être blessé – par le ton employé par son ami. Blessé de constater qu’il ne peut toujours pas réparer ses erreurs, blessé d’admettre qu’il en est néanmoins heureux, la présence de Joseph sous son toit était la dernière chose dont il a présentement besoin. Parce qu’il y a autre chose dont il a besoin, et que Joseph serait le plus à même de l’aider. Et l’agacement du plus jeune ne cesse d’augmenter, se dirigeant désormais contre son interlocuteur et non plus contre lui-même ; pourtant Joseph n’y peut rien. Il n’y peut rien s’il s’interroge sur les difficultés d’Alfie, s’il le questionne sur celles-ci. C’est de la bienveillance, ou de la curiosité, il ne saurait pas exactement identifier, mais ça le rend dingue. Dingue d’être, encore et toujours, confronté à cet état de faiblesse qu’il refuse de voir et qu’on assume pour lui. « Je peux pas t’aider, j’en sais rien, je connais même plus la couleur préférée de Jules, ou mon numéro de téléphone. » Qu’il soupire en se passant une main sur son visage pour tenter de détendre ses traits. « Je savais même plus que t’avais été caissier à une époque, j’étais resté sur tes essais infructueux de star du porno… Oh wait, je mélange encore ? » Une dernière inspiration de courage, et un large sourire amusé se dessine sur son visage. « Oh, une envie de reconversion ? » Qu’il finit par demander, plus sérieux, l’ami qui prend le pas sur le clown, alors que le sourire d’Alfie se veut plus discret, et plus sincère. La formulation est maladroite, mais l’intérêt sincère. « Par contre, faut que je te prévienne, la pl-paie est plutôt mauvaise, les frais médicaux et le semi-chômage ne font pas bon ménage, tu vois. Mais tu m’ad-aimes tellement que tu veux bien supporter le salaire minimum pendant quelques temps, n’est-ce pas ? » Son sourire de connard bienheureux sur les lèvres, Alfie finit par suivre les pas de Joseph avant que ses sourcils ne se froncent. « Le jour où tu auras une caisse, tu découvriras que tout le monde le fait, alors fais pas le malin. » Parce qu’il ne voit pas le souci, Alfie, tant ses gestes sont des automatismes qu’il ne contrôle plus au fil des semaines. Un peu comme son majeur qui se tend naturellement en direction de Joseph suite à ses propositions, à peine moqueuse. « Merci pour ta sollicitude. » Qu’il ajoute, son sourire d’emmerdeur toujours bien accroché sur ses lèvres alors qu’ils se mettent enfin en route.

Il a presque oublié à quel point il aimait la nature et à quel point il a failli devenir dingue à être enfermé pendant des semaines entières. C’est cliché, le mec qui s’épanouit qu’en plein air, mais foutrement vrai quand cela concerne Alfie. Il a besoin de grands espaces ; et même si ce parc ne suffit pas à calmer ses envies de grandeur, il en demeure heureux d’avoir l’occasion de ressentir cette sensation qu’il n’a pas ressentie depuis si longtemps ; d’être si insignifiant dans le paysage qu’il pourrait disparaître. C’est exactement ce qu’il recherche, c’est exactement ce dont il a besoin et qu’il s’interdit. S’arrêtant au signal de son ami, cette fausse accalmie parvient à lui permettre de garder un silence inhabituel, mais qu’il trouve étrangement reposant – une première. Son regard perdu dans l’eau, le silence est brisé par quelques mots de Joseph qui ne résonnent pas en Alfie ; il ne comprend pas où son ami veut en venir. Il se veut muet encore quelques instants, tentant de mettre à son service le peu de neurones dont il dispose encore, sans succès. « Les dimanches à l’Église, tu veux dire ? Attends, t’es en train de me dire que depuis tout ce temps, je côtoie un ami imaginaire ? Merde, il aurait au moins pu avoir une meilleure gueule. » Qu’il s’amuse, bien qu’il soit interloqué. Et il cherche, il jure, mais il ne trouve aucune réponse, comme trop souvent depuis quelques mois. « Il faut que tu éclaires ma lanterne, mec, je dois te rappeler ma situation ou c’est assez parlant ainsi ? » Il conclut, et son regard qui se tourne vers son ami qui persiste à fuir le sien.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyMer 12 Fév 2020 - 22:00

La balade est mouvementée mais ce n’est pas une surprise pour celui qui ne s’attendait pas à ce qu’Alfie réponde à son message à une heure si matinale. Il est le mieux placé pour se rappeler la date de l’agression et, à vrai dire, à la vue des blessures qu’il lui avait infligées sous le coup de la colère, Joseph s’est retrouvé étonné de recevoir une réponse positive de la part de son meilleur ami qui a manifestement complètement oublié leur querelle ensanglantée. Son visage est encore couvert de traces qui immortalisent l’agression et il faut dire que l’hypocrite dans l’histoire n’arrive pas à se remettre de sa surprise : Alfie est déjà de retour sur ses deux pieds et il ne semble pas à deux doigts du coma. Bien que ça ne réduise pas le niveau de culpabilité de Joseph, ça a le mérite de le rassurer parce que, au fond, il n’a pas merdé au point tel de voler la vie à un homme. Il y a pensé, le jour où il a perdu le contrôle : l’idée parasite d’aller frapper à la porte du commissariat lui avait titillé l’esprit assez longtemps pour qu’il ait le temps de s’en débarrasser. Malgré toutes les fautes qu’il a commises, il continue à croire qu’il ne mérite pas de passer le reste de sa vie derrière les barreaux. Qui pourrait le blâmer de vouloir chercher le bonheur alors qu’il ne l’a pas trouvé en trente-six ans ? « Euh ouais, d’accord, parlons de Lily… » En même temps que son ami complètement perdu, il fronce les sourcils, incertain de comprendre comment il a pu en arriver à cette réponse. Il reste muet en faisant danser ses doigts sur ses cuisses, un tic qui traduit son incapacité à réagir correctement à la situation. Pour lui, c’est encore difficile de réaliser que les séquelles au cerveau de son ami ont été causées par sa perte de contrôle. Il flotte sur un petit nuage de déni qui lui permet de penser qu’il lui reste encore une chance de rattraper ses torts et de reconstruire l’amitié qui s’est lentement effritée pour s’envoler au vent pour de bon. « Elle va bien. J’crois. J’sais pas, tu la contacteras si vous vous parlez encore. » À vrai dire, Joseph n’est pas au courant de la relation qu’entretiennent sa sœur et son meilleur ami. Il n’a jamais cherché à s’en informer parce qu’il y a bien une chose qu’il sait : il les a abandonnés tous les deux quand il a pris la décision de devenir un adolescent qui ne dépend de rien ni personne. Ils sont restés les deux seuls souvenirs positifs de son passé.

« Je peux pas t’aider, j’en sais rien, je connais même plus la couleur préférée de Jules, ou mon numéro de téléphone. » Compréhensif, Joseph se pince les lèvres et hoche la tête en silence, ne quittant pas son ami des yeux pour la première fois de la journée. S’il y a bien une chose qu’il peut faire pour lui venir en aide et pour recoller les morceaux de verre cassé, c’est de l’écouter. Il n’est pas bon pour refiler des conseils parce qu’il est celui qui en aurait le plus besoin. « Je savais même plus que t’avais été caissier à une époque, j’étais resté sur tes essais infructueux de star du porno… Oh wait, je mélange encore ? » La répartie du garçon arrive à arracher un sourire à Joseph qui glousse en croisant ses bras sur sa poitrine, faussement vexé. Ce n’est pas le fait qu’il ait plaisanté en l’associant à une star de porno, mais plutôt le fait qu’il ait assumé que la carrière de Joseph ne décollerait jamais dans un tel domaine – bon, il faut dire qu’elle ne décollerait pas dans la grande majorité des domaines. Il propose plutôt de venir porter une pâtisserie à Alfie tous les matins en échange d’argent. Ce dernier prépare le terrain en jugeant bon de préciser qu’il ne s’en tirerait pas avec plus que le salaire minimum, du moins, au tout début. La discussion semble tellement naturelle bien qu’elle ne soit remplie que de sarcasmes décousus : Joseph apprécie de retrouver l’humour cynique de celui qui avait toujours été le roi de la connerie entre les deux – avant que les rôles ne changent drastiquement quand Alfie avait décidé de devenir un mec sérieux qui veut aider la planète, paix à son âme de gamin. « Oh, tu sais, j’ai jamais été payé bien plus que ça alors ça ne bouleversera pas mes habitudes. Je ne me transformerai pas en démon du casino qui en veut toujours plus. » L’atmosphère à nouveau détendue, il se permet de plaisanter quant à l’attitude surprotectrice d’Alfie à l’encontre de sa bagnole qui n’est, au fond, qu’un gros morceau de métal sur quatre roues. « Permets-moi de douter, le jour où j’aurai une caisse je serai, trop vieux pour la conduire. Ça sera encore toi qui devra t'nir le volant. » Il n’a jamais capté l’intérêt de posséder sa propre voiture dans une ville où les autobus fusent à toutes les heures de la journée. Certes, il lui est arrivé à quelques reprises de se retrouver sans moyen de rentrer chez lui mais Alfie avait toujours été là pour venir le récupérer dans sa détresse (en vrai, c’est utile une bagnole finalement). « Merci pour ta sollicitude. » Il balaye l’air du revers de la main et fait semblant de ne pas remarquer son majeur levé en sa discrétion. « Tu peux toujours compter sur moi. » Une phrase qu’il aurait aimé avoir le courage de prononcer sans qu’elle ne fasse partie d’une plaisanterie.

La nature avale les deux garçons alors que ceux-ci empruntent les chemins qui zigzagues à travers les boisés et les racines aquatiques. D’ici, ils peuvent entendre le son apaisant de la mer qui borde la hauteur du sol. La journée étant encore jeune, ils profitent des lieux désertiques pour admirer les paysages presque surnaturels. Même si Joseph semble apaisé derrière ses traits détendus, une question trotte au fond de son crâne et il ne peut s’en débarrasser même s’il est conscient qu’elle pourrait briser la paix qui règne sur le bout du quai. Incapable de contenir sa curiosité, il observe du coin de l’œil son ami occupé à contempler la flotte qui danse contre les rochers et les racines. « Les dimanches à l’Église, tu veux dire ? Attends, t’es en train de me dire que depuis tout ce temps, je côtoie un ami imaginaire ? Merde, il aurait au moins pu avoir une meilleure gueule. » Peu surpris de sa réponse, il reporte son attention vers l’horizon, les lèvres étirées en un sourire sincère. Ça lui fait du bien d’avoir l’impression que rien ne s’est passé. « C’est mon ami imaginaire à moi qui a une sale gueule. » Certes, sa répartie est mauvaise mais il fait du mieux qu’il peut dans la situation actuelle. Ses pensées sont trop rongées par la crainte de faire un faux pas en interrogeant Alfie au sujet des cicatrices dans son dos. Le plus jeune admet qu’il requiert plus d’informations et Joseph se mord le bout de la langue, pensif. Lunatique, il se masse la nuque en grimaçant, ses doigts frôlant la sensibilité accrue de ses propres artéfacts du passé. « T’as reçu des coups, pas vrai ? J’ai vu les marques dans ton dos quand tu… » Vite, trouve une bonne raison d’avoir pu observer sa peau nue sans que ça ne soit terriblement louche. « Sortais de la douche… » Hum. « Ouais une fois t’avais que la serviette autour des hanches, en tout cas, c’est pas l’important. » Sa langue se comprime contre son palet et c’est seulement grâce à ce réflexe qu’il arrive à ne pas ajouter une énième connerie. À nouveau, il fuit le regard d’Alfie et fixe intensément les ombres des poissons dans la mer comme s’il attendait d’eux qu’ils lui viennent en aide. Mais ce ne sont que des stupides poissons.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyDim 16 Fév 2020 - 23:37

Lorsque Lily est évoquée, Alfie s’en agace aussitôt. Pas uniquement parce que ses relations avec la jeune femme ne sont pas au beau fixe (à vrai dire, il n’a jamais vraiment réussi à savoir ce qu’ils étaient l’un pour l’autre ; des amis, des ennemis, des connaissances, un soutien mutuel), mais surtout parce qu’il n’arrive pas à se remémorer les circonstances qui ont poussé les deux hommes à mentionner la sœur du plus vieux. Il essaie, Alfie, pourtant, mais à aucun moment il ne lui semble avoir demandé des nouvelles de la jeune femme, ni que Joseph se soit ouvertement confié sur cette dernière. Dans un cas comme dans l’autre, cela lui paraît hautement improbable. Joseph n’a jamais été très bavard concernant sa famille, et il n’est pas sans savoir que les relations entre les enfants Keegan n’ont pas toujours été au beau fixe (peut-être ne le sont-elles toujours pas), ce qui est une raison suffisante pour passer sous scellé l’existence de Lily. De son côté, si l’anthropologue ne ressent aucune animosité envers la jeune femme, il tend également à renier l’importance de celle-ci ; autant auprès de Joseph que de lui, finalement, même s’il ne l’admettra jamais. Lily et lui entretiennent un lien distant, mais néanmoins complexe. Ils se sont liés par la force des choses, d’abord suite au départ de Joseph, puis autour de différents événements qui ont scellé leur existence et qu’ils ont partagé sans même le vouloir. Alors qu’il le veuille ou non, Lily a eu un impact considérable dans sa vie, pour autant il y a une chose dont il est certain : il n’a aucune intention de verbaliser tout ceci. Ainsi, lorsque Joseph propose à son ami de recontacter lui-même sa sœur s’il désire des nouvelles, il se contente de hausser les épaules. « On ne se parle pas, mais on se croise. » Et c’est là toute la différence, ils ne cherchent pas à se côtoyer, mais y sont parfois amenés. Alfie n’a aucune envie de s’épancher plus longtemps sur le sujet ; outre le fait qu’il soit incapable d’identifier son ressenti quant à Lily, il est surtout à nouveau accaparé par ce besoin de comprendre, ce besoin de retracer le fil d’une conversation qui lui a échappé, ce besoin de forcer son cerveau à tourner à plein régime quand bien même il ne demande qu’à être au repos. Mais au repos, il ne l’est jamais, il le sait, Alfie, pourtant. Il n’est jamais vraiment parvenu à suivre l’entier d’une conversation sans décrocher à un instant ou à un autre – en plongeant son regard sur le sol pour y compter les lattes de parquet, en fixant les chaussures sales de son interlocuteur pour retracer le type de chemin emprunté, en se concentrant sur l’horloge pour ne pas rater l’instant où l’aiguille bougera de quelques millimètres, en rédigeant dans sa tête sa liste de courses pour ne pas perdre de temps au moment venu, en revisionnant une quelconque dispute en s’imaginant formuler d’autres arguments… La liste est longue, mais on en revient toujours au même problème. Sa concentration n’est que minime et malgré les parades trouvées au fil des années pour tenter d’accentuer son attention, il ne parvient pas toujours à gagner. Il s’échappe, il peine à revenir, à reprendre conscience de ce qu’il se passe, de ce qu’il se dit, de ce qu’il a dit, de ce qu’il n’a pas dit. Parfois, il abdique, souvent, il se force. Mais dans tous les cas, il n’est jamais complètement de retour dès l’instant où son esprit a papillonné ailleurs. C’est forcément ce qu’il s’est passé à cet instant, il a papillonné quand le prénom de Lily a été prononcé ; et il n’a pas été en mesure de gagner. Pourtant, la vérité, il l’a connaît. Ce n’est pas une simple histoire de succès ou d’échec ; sa mémoire n’est pas perdante, elle est cabossée, et il ne peut pas la réparer. Et le cercle vicieux s’installe à nouveau ; alors que les plaisanteries sur sa conduite ont fait place à toutes ces interrogations et, désormais, au retour de cette frustration qui coule dans ses veines depuis plusieurs semaines, au point d'en être devenue une composante essentielle de son être.

Aussi essentielle que son instabilité ; et cette manière de souffler le chaud et le froid en un claquement de doigts, en un clignement d’yeux. Il était frustré, il est désormais amusé, alors qu’ils évoquent les vieux souvenirs d’une (fausse) carrière avortée. Et ça lui fait du bien, à Alfie, pendant un instant, de retrouver son ami, mais surtout de se retrouver. D’être ce type qui ne prend rien au sérieux, qui profite de chaque occasion tendue pour y glisser une vanne, pour se foutre – gentiment – de son meilleur ami. Il en revient des mois en arrière ; et un instant il s’interroge. Pourquoi est-ce qu’il a, pendant une fraction de seconde, ce sentiment de vide ? Comme si Joseph lui avait manqué, alors que rien ne laisse présager que ce soit légitime ? Il revient à lui à l’entente de la voix de Joseph et un léger rire s’échappe d’entre ses lèvres. « T’auras mon pa-pied au cul avant, de toute façon. » Il précise, lèvres pincées, tête légèrement penchée qui dodeline doucement ; à comprendre : qu’il n’essaie même pas d’avoir des exigences salariales supérieures à ce qu’Alfie compte lui offrir (c’est-à-dire, rien). Une nouvelle fois, il passe de la légèreté à l’agacement alors qu’il s’offusque des moqueries de Joseph quant à son besoin de s’assurer que les portières de sa voiture sont bien verrouillées. Mais si les rôles étaient inversés, il comprendrait, et pas uniquement pour une question de bien matériel. « Ah géa-génial, j’ai hâte. » Il soupire alors qu’il est question de conduire Joseph jusqu’à la fin de leurs jours. « On va mourir jeune, donc. » Car il est de notoriété commune qu’Alfie est un piètre conducteur ; le traumatisme de son violent accident à l’adolescence n’ayant pas été atténué par le temps. Celui-ci n’a pas fait son œuvre et Alfie se retrouve souvent à deux doigts de la crise de panique dès lors qu’il a un volant dans les mains, qu’il ne prend qu’en cas d’extrême nécessité. Il a conscience que c’est un miracle qu’il n’ait pas réitéré l’expérience après toutes ces années et avec une telle conduite hasardeuse, et la perspective de mourir au volant ne serait pas vraiment une surprise. Et, finalement, elle n’est pas crainte ; Alfie ayant toujours supposé qu’il mourrait jeune, et ayant toujours accepté (et souhaité) cette possibilité. Dans tous les cas, il ne décédera pas suite à un malheureux accident de randonnée, Joseph étant déterminé à empêcher cette issue. Le majeur tendu en guise de réponse, Joseph qui feint d’être plus stupide qu’il ne l’est, et le rire du plus jeune qui perce l’air ; lui donnant un peu plus l’impression que les choses reviennent à la normale, et en étant reconnaissant envers le plus vieux de lui offrir cette sensation.

Mais toute l’existence d’Alfie se résume à une succession de cercles vicieux. Des mauvaises décisions, à ses réactions, à ses émotions. Il est dans ce dernier schéma aujourd’hui ; oscillant constamment entre deux humeurs, et il s’en fatigue, au point où sa présence sur ce pont est mise à mal. Joseph glisse une affirmation au milieu de la balade, laquelle Alfie ne sait guère interpréter. Ce qu’ils ont partagé plus jeunes ne se rapportent à rien de bien concret. Il y a bien-sûr cette amitié indéfectible, dans les bons comme les mauvais moments (comme c’est le cas depuis quelques semaines), mais aussi cette religion autour de laquelle ils ont appris à se connaître et à devenir inséparables. Pour le reste, ils ont rapidement mené chacun leur vie de leur côté ; à une exception près à laquelle Alfie refuse d’être confronté. Alors il demande des précisions à son ami, et sa réponse ne manque pas de le faire sourire. « Tu do-diras ça à ta sœur. » Il aurait pu dire « à ta mère », mais il se doute que le sujet est sensible, toutefois la pique est trop tentante pour être retenue. Et puis, c’est mal connaître Alfie que de penser qu’il peut concéder la victoire à autrui ; il aime avoir le dernier mot, tout le temps.

Ou presque.

« T’as reçu des coups, pas vrai ? J’ai vu les marques dans ton dos quand tu… » Mais il n’y aura plus de retour en arrière dans ce cercle vicieux ; la légèreté s’est définitivement envolée au moment où Joseph a prononcé ces quelques mots. Il doit réfléchir vite. Et il met les éléments bout à bout ; si sa mémoire déconne, son intelligence ne l'a jamais lâché. « Je... Jo, merde. » Il laisse échapper dans un premier temps, accentuant sa perdition quant aux propos de son ami. Car c'est de lui qu'il est question, il l'impose et dicte la suite de la conversation. Fais travailler ta mémoire, bordel. Et il cherche, il s'épuise à le faire, à rouvrir tous les tiroirs du passé stockés par sa mémoire, pour y trouver un indice, un mot, une phrase, qui lui ferait comprendre qu'il s'en souvient. Et il en trouve, quelques-uns, mais pas ceux attendus par Joseph. Mais la vérité est qu'il n'y a rien dans ce sens, et Alfie se sent terriblement désolé d'être un ami aussi peu fiable, capable d'oublier des éléments aussi importants de la vie de Joseph. Déstabilisé, comme s'il venait d'apprendre la chose pour la première fois, perturbé par certains mots plus qu'il ne voudrait l'admettre, le regard du plus jeune se plonge dans celui de son ami, et le regard amusé qu'il affiche toujours s'est envolé pour être presque humide. « Je... je suis désolé, je... j'ai-j'ai oublié » Il bégaie, honteux. « Je, je m'en souvenais pas que tes... parents ? C'est eux ? Je... » Je suis ridicule. J'oublie tout, tout le temps, et je suis incapable de faire fonctionner cette mémoire, parce que quelque chose cloche. « Je, je m'en souviens pas. Je m'en souviens pas. » Qu'il répète, un peu paniqué face à ce constat. Et son réflexe de se mordre la langue qui accentue ses yeux humides, alors qu'il cherche le regard de Joseph. « C'est pour ça que t'es parti ? » Il achève ; parce que les liens se font alors dans sa tête. Il ne sait plus à quel âge, mais il se souvient que Joseph est parti ; parce qu'il a mis des mois à se remettre de cet abandon. Joseph reprend la parole, devant l’air renfrogné d’un Alfie qui ne comprend pas tout ce qui se passe ; il ne comprend pas tout, il n'arrive pas à faire les liens, il a l'impression que quelque chose se trouve devant lui sans parvenir à mettre le doigt dessus ; mais il est au moins parvenu à déplacer celui de Joseph pointé en sa direction. Tandis que ses yeux parviennent à laisser couler une larme, Alfie remercie ce couteau suisse qui ne le quitte plus ; qui, de l'intérieur de sa poche où sa main est plongée, s'est même planté dans sa chair pour accentuer sa détresse et mettre un terme au sujet.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyLun 17 Fév 2020 - 1:20

C’est étrange. Le sujet de sa sœur s’est incrusté par lui-même dans la conversation sans qu’aucun des deux garçons ne puisse comprendre l’origine de son apparition soudaine. Peut-être que Lily avait pensé à son frère au même moment et que sa pensée s’était glissé dans la conversation par magie. Évidemment, loin de Joseph est l’envie de s’attarder davantage sur ce sujet puisque ses relations avec Lily se déclinent de jour en jour alors que le cancer de leur mère devrait pouvoir les rapprocher : au contraire. Le frère évite davantage sa famille, de peur de revoir ses parents après vingt ans, parce qu’il n’a pas le courage d’affronter les fantômes de son passé. « On ne se parle pas, mais on se croise. » Il n’est pas surpris d’obtenir une telle réponse de sa part. Il n’a jamais pensé que lui et Lily se sont rapprochés à la suite de son départ parce que la jeune fille était une miss parfaite et le jeune garçon faisait tout pour chambouler le déroulement des choses, de façon volontaire ou pas. Ils étaient deux opposés qui se côtoyaient seulement parce que Lily suivait son frère de prêt peu importe où il allait, pour le surveiller ou pour secrètement s’amuser avec lui. « D’acc. » Il n’a pas envie de faire de Lily le sujet principal de la balade en voiture. Quand son visage s’affiche derrière ses paupières, il ne peut chasser ses pensées et affronte encore et encore l’immonde sensation de n’être rien à ses yeux ; parce qu’elle n’évoque jamais son existence, comme s’il n’était qu’un personnage de bande-dessinée qui n’a jamais partagé sa vie. Il arrive à se convaincre qu’il la déteste simplement pour cette raison. À quoi bon faire des efforts si jamais elle n’aura la fierté de présenter son frère, celui qui le protégeait des guêpes durant l’heure du dîner et celui qui se réveillait parfois une heure plus tôt pour récupérer des œufs frais dans le poulailler afin de cuisiner une omelette à sa sœur, elle qui adorait tant les ingrédients qu’il ajoutait à la surface de les œufs rôtis.

Joseph arrive à éviter ce sujet tabou et c’est presque aussi jouissif que de mettre un pied en dehors de la bagnole conduite par Alfie, lui qui n’a visiblement jamais désiré devenir pilote de course. À vrai dire, le plus vieux avait été un peu stupide de penser que son ami récemment assommé pourrait les conduire à destination sans percuter un piéton – bon, ce n’est pas arrivé mais c’est seulement parce qu’il est encore tôt et parce que Brisbane est encore endormie. S’il avait conduit à une heure plus tardive, ce serait une trainée de cadavres encore frais qu’il aurait laissé derrière la voiture. Peut-être que le sommeil approximatif de Joseph a sauvé la vie de centaine d’innocents qui auraient rencontré brusquement le béton si l’ex taulard arrivait à faire des nuits complètes. « T’auras mon papier au cul avant, de toute façon. » Alors, là, c’est le vide intergalactique dans la tête de Joseph qui met en veille tous les muscles de son corps pour réunir le maximum d’énergie dans son cerveau. Il réfléchit au sens de ses paroles, conscient que son ami a probablement employé un mauvais mot – il commence à être habitué de l’entendre formuler des phrases boiteuses mais, là, c’est un niveau au-dessus. Il réfléchit pendant trop longtemps, incapable de comprendre le rapport du papier, les deux yeux rivés sérieusement dans ceux d’Alfie et il finit par abandonner sans pour autant désirer lui faire réaliser qu’il a fait une faute. « Haha !.. » Il s’exclame mollement en pointant Alfie pour le désigner comme le roi de l’humour. Il fait de son mieux pour changer les idées du garçon et pour qu’il oublie son handicap passager (il espère qu’il est passager en tout cas) et loin de lui l’envie de le reprendre sur une phrase qu’il n’a pas comprise car elle faisait probablement du sens dans la tête de celui qui l’a prononcée. « Ah géa-génial, j’ai hâte. On va mourir jeune, donc. » Sa répartie lui arrache un rire et il passe sa main dans sa barbe, songeur. « Nooon. On a réussi à traverser la ville ce matin, je suis certain que ça n’ira qu’en s’améliorant. La prochaine fois, j’aurai peut-être pas envie d’gerber à chaque tournant, qui sait. » Il hausse les épaules, évoquant cette possibilité sur un ton humoristique, préférant faire usage d’humour maintenant qu’ils sont arrivés sur les lieux et qu’ils sont en sécurité loin de la voiture. D’ailleurs, il se proposera probablement pour conduire sur le chemin du retour, bien qu’il n’ait pas de permis de conduite – un détail qu’il espère qu’Alfie aura oublié sinon il ne le laissera jamais poser le pied sur la pédale et les mains autour du volant même s’il est dans un meilleur état pour avoir le contrôle d’un objet aussi imposant et dangereux.

Les deux garçons bien échauffés, plus aucun ne se gêne pour retrouver leur comportement naturel en compagnie de l’autre. Joseph n’a jamais senti le besoin de faire preuve de bonnes manières lorsqu’il est accompagné par Alfie parce que tous les deux ont partagé bien trop de choses. C’est donc avec une aisance des plus déconcertantes qu’ils se mettent à insulter leur apparence physique sans pour autant que leur propos soient véridiques – parce qu’il ne faut pas fermer les yeux devant la vérité, aussi. Alfie a tout le potentiel nécessaire pour attirer les regards de la gente féminine et probablement masculine, aussi. Mais, ça, Joseph ne pourra jamais en avoir la certitude parce que ce ne sont pas les hommes qui arrivent à étirer un sourire niais sur ses lèvres. « Tu do-diras ça à ta sœur. » Sa réplique le surprend, il hausse machinalement un sourcil en croisant ses bras sur sa poitrine, faisant dos à la mer. Il s’adosse à la barrière en bois qui le sépare de l’eau agitée et il observe son ami de bas en haut, le regard à la fois curieux et perdu. Il n’est pas certain de la façon dont il doit interpréter sa répartie, incapable de déterminer s’il plaisante ou s’il vient de révéler une part caché mais importante de la relation qu’il entretient avec Lily. « D’accord… Je prends ça en note. » Il répond sur un ton malin, ses prunelles vibrantes. Il n’a pas le cœur de se lancer tout de suite dans cette voie parce que c’est un sujet de discussion bien plus lourd qu’il veut poser sur la table et il sent qu’il regretterait au moindre faux pas, au moindre égarement. Si Joseph a l’habitude de tout prendre à la légère, en ce moment, il n’est pas question de manquer sa chance de récolter un peu plus d’information au sujet de ces cicatrices blanchies qu’il a aperçues dans le dos de son ami lorsque son t-shirt s’est déchiré dans ses poings fermement serrés. Alors, de façon formelle il se lance et la première réaction de son ami le bouleverse anormalement. Il l’entend, sa voix cassée, et aussitôt il secoue la tête de droite à gauche pour calmer la mise alors qu’Alfie le couvre d’excuses qui n’ont pas raison d’être. Pourtant, cette habilité dont il fait preuve pour résoudre l’énigme l’ébranle et il lui faut plusieurs secondes pour ravaler sa surprise. Lily est la seule personne au courant pour les cicatrices qui parsèment son dos à lui. Alfie trébuche dans sa propre erreur et déduit qu’il a probablement oublié cette confession que lui a faite son meilleur ami alors que jamais il n’a été mis au courant pour la raison de son départ. Le plus vieux tente d’arrêter le jeune dans sa lancée mais il se fait rapidement couper, incapable de prononcer un mot complet sans que la tristesse brillante dans les yeux d’Alfie ne vienne lui foutre un coup dans les tripes. « C'est pour ça que t'es parti ? » La question est balancée comme une bombe. Lui qui espérait obtenir des réponses quant aux lignes zébrées dans le dos d’Alfie, il se retrouve à devoir lui-même supporter le poids du souvenir du visage de son père lorsqu’il lui ordonne d’aller fermer la porte de sa chambre pour ne pas déranger le reste de la maisonnée. Le souffle coupé, Joseph ramène ses cheveux vers l’arrière avec ses deux mains, évitant le regard mouillé d’Alfie parce qu’il le déconcerte. C’est la honte qui bouleverse tant celui qui croit avoir oublié et le brun se sent immédiatement coupable d’avoir fait naitre en lui la déception. Et il doute, encore et encore. Il pèse le pour et le contre en fixant partout sauf son ami, incapable de déterminer s’il ferait mieux de dire la vérité ou si le mensonge panserait davantage les plaies du jeune. S’il le rassure en admettant ne jamais avoir parlé de la raison de son départ, il affirme du même coup qu’il lui a caché quelque chose que des amis ne devraient pas taire. Et, s’il décide d’enjamber la seconde possibilité, celle de confirmer que la mémoire d’Alfie lui a fait défaut une énième fois, il risque de faire exploser en lui sa haine envers son propre cerveau qui l’a lâchement abandonné. « Eum… » C’est l’onomatopée qui  s’échappe de ses lèvres avant qu’il ne prenne la décision d’opter pour la première solution. « Non, Ali. » Ce surnom hérisse les poils sur ses bras parce qu’il s’était promis de ne plus jamais l’utiliser. « Arrête de t’excuser, je ne t’en avais jamais parlé. C’est un secret que j’ai toujours gardé pour moi. » Émotif, il secoue sa tête de droite à gauche et s’approche d’un pas de son ami sans pour autant lui montrer le moindre signe d’affection – parce que son orgueil existe encore et qu’il se souvient de toutes les lâchetés que le plus jeune lui a balancées avant qu’il ne fracasse son crâne contre l’évier, contrairement à celui qui a oublié la couleur préférée de sa copine. Il comprend qu’il vient de perdre l’échange, lui qui désirait tirer des informations d’Alfie mais qui s’est plutôt retrouvé à admettre la vérité sur son propre passé qu’il a toujours gardé caché. La larme qui roule sur la joue bleutée le percute comme un train filant à mille à l’heure et fait de nouveau un pas vers l’arrière, incapable de supporter le poids de la mauvaise décision qu’il a prise. De voir son meilleur ami pleurer, celui qui a tout réussi, celui qui a emprunté la bonne route pour laisser la mauvaise à Joseph, celui qui possède appartement et amour, celui qui vit de sa passion sans que les flics ne le recherchent, c’est choquant. Pour la première fois, il réalise qu’il a détruit la vie de son ami en laissant la colère prendre le contrôle sur lui, comme s’il ne fallait que la présence d’une larme pour lui faire ouvrir les yeux. « Ali arrête. » Il ne sait simplement pas quoi dire, toute notion de rationalité disparue en un coup de vent. Il fait face à son œuvre qui ne fait que refléter sa propre laideur.
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyMar 25 Fév 2020 - 20:17

Et il aurait voulu rester sur cette légèreté, Alfie, telle qu’il ne l’a pas connue depuis des semaines. Car tout son quotidien n’est bientôt plus qu’un paysage brouillardeux dans lequel il ne parvient plus à avancer, incapable de s’accrocher au moindre repère puisque ceux-ci ont disparu. Joseph était l’un d’entre eux ; son meilleur ami duquel le temps n’a jamais réussi à le séparer, malgré les événements, malgré les mois, parfois années, qui se sont immiscées entre eux. Dans sa vision des choses, Alfie pourrait presque considérer Jo comme son âme-sœur amicale, celle vers laquelle il revient perpétuellement, peu importe que les hauts soient plus nombreux que les bas ou que les obstacles ne cessent de se dresser entre eux. Ils retrouvent toujours le chemin l’un de l’autre. Alors pourquoi Alfie ne parvient-il plus à considérer son ami avec l’importance qu’il est censé avoir ? Pourquoi a-t-il cette insupportable impression que quelque chose s’est brisé entre eux sans qu’il ne puisse rien y faire ? Il l’ignore, et comme trop souvent lorsqu’il ne trouve aucune réponse satisfaisante aux questionnements qui martèlent son crâne, il opte pour des solutions annexes qui n’en sont pas. Comme le fait de justifier son agacement par les propos de Joseph, qui ont brisé l’insouciance nouvellement retrouvée d’Alfie, et aussitôt perdue. Il n’aime pas son constat ; pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que même si Alfie concède à évoquer certains sujets considérés comme tabous de temps à autre, comme s’il donnait quelques miettes de pain à des oiseaux qui pourtant salissent constamment sa voiture ; ça ne l’enchante pas, ça l’emmerde même carrément, mais, parfois, il se sent la responsabilité de le faire. C’est ce qu’il se passe quand il s’agit d’évoquer Amelia, de se souvenir de son passé d’addict, et de toutes les mauvaises décisions qu’il a prises au cours de sa vie. Mais il y a un sujet, un seul, qui reste sous scellée et qui le restera probablement toujours ; c’est celui qui a donné lieu à ses marques sur son dos, mentionnées par Joseph et donnant lieu à de nouvelles idées parasitaires. Puis, il se demande comment ? Un détail lui échappe, comme tant d’autres, alors qu’il active ses neurones en tentant de retracer l’historique des discussions à cœur ouvert qu’il a pu avoir avec son ami au cours de leur vie ; elles n’ont pas été des plus nombreuses ce qui les rend aussi facilement accessibles. Et le système s’active, traite les entrées, les informations, mais aucune sortie n’est à signaler. Il ne se souvient pas. Et il en devient dingue, Alfie, alors que comme trop souvent depuis l’agression, ses capacités lui font défaut et il s’en rend malade. Son entourage ne comprend pas, se contente d’être patient en le rassurant quant au fait « que ça reviendra, que c’est pas grave », mais ça ne reviendra pas, et c’est grave. Parce qu’il a laissé une part de lui-même dans cet accident, et il ne parle pas uniquement de ce poids psychologique qu’il supporte depuis, qui réactive tant d’autres traumas qu’il a voulu oublier, et que même Joseph essaie de déterrer maladroitement. Il a laissé un peu de sa manière d’être, de son identité, et il n’est plus complet, Maslow. Il y a des fissures qui se sont formées, qui laissent passer des poussières, qui s’installent, qui enrayent le tout. Il essaie de boucher les trous depuis sa sortie de l’hôpital ; mais il n’y parvient pas, car dès qu’il s’occupe de l’un, d’autres apparaissent. Il en résulte cette impression de fuite des idées, de fuite de son être, sans qu’il ne parvienne à arrêter tout ceci. Et soudain, il hait son meilleur ami de tout son cœur, mais ce sentiment n’est pas aussi étrange qu’il devrait l’être. Mais il le hait, c’est certain, et s’il était capable de courir sans que son équilibre ne l’oblige à s’effondrer, il fuirait cet endroit sans se retourner. Pas parce que la question de Joseph est déplacée ; mais à cause de tout ce qu’elle réactive en lui. Et il les revoit, entre quelques clignements de yeux, les visages ; tous ceux qu’il voudrait oublier, et ceux qu’il ne pourra jamais oublier. Ses bourreaux, et ses amis. Les responsables, et les victimes. Ses pieds lui implorent de faire demi-tour. N’importe où, mais ailleurs. Loin de Joseph, loin de ce pont, loin de cette ville, loin de cette forêt et des détonations qui ne retentissent que dans sa tête. Pourtant, Alfie en est persuadé, c’est trop réel pour qu’il ne puisse seulement l’imaginer ; et le problème réside dans le fait qu’il ne veut pas imaginer que ça ait pu être réel.

Dans une volonté de cacher la manière dont son poing se serre, sa main se perd à l’intérieur de sa poche et ses doigts en effleurent le contenu. Et ça devient évident dans son esprit. À Joseph, il prétextera que c’est le malaise lié à cette révélation qu’il a prétendument oubliée (il n’en sait rien, en réalité). Cette rage qui le consume à l’idée de perdre les historiques des autres, toutes ses informations accumulées au fil des années dont il est incapable de se rappeler. Cette information capitale d’un Jo qu’il comprend avoir été battu par son père, alors qu’il n’était pas au courant, et que dans sa tête, il est persuadé qu’il l’a forcément été un jour ou l’autre, car c’est ce que partagent les amis, pas vrai ? Et puis, Alfie met les pièces du puzzle en place, se sent un instant soulagé alors que tout s’aligne parfaitement et lui permet d’échapper à cette situation. Une larme perle même sur sa joue, ultime preuve du chamboulement qu’il ressent, à l’idée d’avoir oublié un tel drame dans la vie de son meilleur ami, frustré d’être constamment lâché par cette mémoire. Et Joseph qui tente de le rassurer, Alfie qui relève les yeux vers son ami, croise son regard, accentue la lame sur son doigt pour maintenir son regard humide. « J'aurais dû être là pour toi, je t'ai laissé ton-tomber, j'aurais dû le voir. » Il avoue, parce que c'est ce que son rôle de meilleur ami impliquait. « Désolé, je… Désolé. » Il poursuit, déboussolé, alors que Jo devient blafard, inquiet, préoccupé. Mais il a raison de se sentir mal, Alfie.

Pas pour le fait qu’il a oublié ce détail. Mais pour le fait qu’il se joue ainsi de son ami.

Pourtant, désolé, il ne l’est pas et il ne comprend pas pourquoi il s’avère aussi insensible.
Ça, c’est réellement perturbant, parce qu’il régresse, Alfie. Il le savait, mais il était seulement question de ses capacités cognitives, et non de sa personnalité toute entière.

Pourtant, c’est un fait. Il manipule Joseph et il n’a aucun remord à cela.

Dès l’instant où il a senti la conversation dériver sur les marques dans son dos, il a activé le pilote automatique. Celui dont le manuel stipule que, par nécessité de se préserver, il a le droit d’user de tous les moyens, aussi malhonnêtes soient-ils. Et il y a toujours ce petit détail qui lui échappe, qui a accentué son envie de changer le sujet. Mais il ne savait pas comment faire, Alfie. Et il s’en fiche bien de l’option pour laquelle il a finalement opté, du moment que cela a servi ses intérêts ; et c’est le cas. Il a retourné l’attention sur Joseph, il a mis la lumière sur son statut de victime. Et il ne saurait dire pourquoi, mais tout ceci a un goût qui lui est étrangement amer, qui justifie son insensibilité au malaise de son ami alors qu’Alfie ne fait pas preuve de la même sincérité que lui.

Son discours est orienté. Ses larmes sont feintes.

Il se sent plus victorieux d’avoir inversé la tendance que désolé quant à l’historique de Joseph. Égoïste, il l’est, assurément, et quiconque s’en surprend ne le connaît guère. Il est touché, bien-sûr, mais ce n’est qu’un sentiment secondaire. L’instinct de préservation a primé sur le reste ; sur la nécessité de détourner le sujet de ces marques dans son dos, de ce traumatisme qui prend toujours plus de place et qu’il ne peut laisser exploser. Il n’existe pas. Il ne peut le verbaliser, et le passer sous silence en le faisant sortir du schéma que prenait la conversation prime sur tout le reste ; dont l’état de détresse dans lequel il a plongé volontairement Joseph, accentué par ce couteau dans sa poche qui a provoqué cette larme – à défaut d’en appeler des réelles. Mais il ne le regrette pas, Alfie, alors qu’il accentue la lame contre sa phalange, le brûlant vif, le sang colorant l’intérieur de sa poche, sans qu’il ne s’arrête. Parce qu’il ne le veut pas, et parce qu’il en a besoin pour jouer ce rôle qu’il a accepté pour se sortir de la situation. Mais il n’en est pas encore totalement libéré, ainsi Alfie continue d’appuyer, finissant par grimacer légèrement, fermant les yeux, provoquant volontairement une ou deux larmes supplémentaires alors que son souffle se veut un peu plus saccadé. « Ça change rien, ça change rien ! » Qu’il s’exclame, sa main libre venant rencontre son front et frappant celui-ci à plusieurs reprises. « Parce que ça aurait été le co… le cas, si j’avais su, j’aurais oublié, j’oublie tout. » Il s’agace, et cette fois-ci, peut-être qu’il y a une pincée de sincérité. « Je supporte plus, Jo, je supporte plus tout ça. » Il avoue, sa main qui vient caresse l’arrête de son nez alors qu’il a retourné la conversation sur lui, dans une volonté de maîtriser le sujet qui le concerne. Mais d’autres sujets sont également à éviter, parce qu’Alfie se sent flancher. « Je ne ren-redeviendrai jamais celui que j’étais. » Il verbalise pour la première fois, des plus sincères pendant un bref instant, avant de conclure. « C’est foutu. Tout est foutu. » Tout. Son travail qu’il ne pourra plus exercer si les difficultés persistent, sa relation avec Jules qui va dans le mur parce qu’il a besoin d’être constamment assisté, son équilibre qu’il a perdu et qu’il ne pourra jamais retrouver, et cette haine contre lui-même qui s’accentue de jour en jour. Et de façon à joindre le geste à la parole, c’est bientôt sur sa paume que la lame vient appuyer, alors qu’il serre les dents et humidifie ses yeux. C’est lui qui est en détresse désormais, personne ne peut en douter en le voyant ainsi. Fouillant dans sa poche de pantalon de sa main libre, il en sort un billet qu’il tend à Joseph. « Pour le bus. Merci pour le muffin. » Bagel. Est-ce qu’il le sait, est-ce qu’il fait exprès ? Toujours est-il qu’il détourne les talons, précipite le pas pour quitter cette esplanade. Pour maîtriser la situation jusqu’au bout. Pour être le vainqueur.

Peut-on le blâmer ? Qui se joue réellement de l’autre, dans le fond ?
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Message(#)Comme une mouche sur la soupe [Alfie&Jo] EmptyMer 26 Fév 2020 - 2:38

Il voulait recoller les morceaux, réparer les torts qu’il avait commis en utilisant la chance que lui avait offert le destin en dérobant les souvenirs d’Alfie pour ne les transformer qu’en une angoisse persistante. Joseph était le seul homme pouvant libérer son ami de ses craintes en confessant pour le permettre de tourner la page et de ne plus laisser ses pensées se faire ronger par la peur de représailles. Il aurait pu le faire. Mais quel être humain serait assez imbécile pour lever la main et annoncer sa culpabilité au monde entier ? Il n’en peut plus, le petit garçon de ferme : tout ce qu’il a toujours cherché, c’est le moyen d’être heureux. Et être heureux, ce n’est pas facile pour un homme qui sent la corde serrer de plus en plus son cou, annonçant la chute fatale imminente.

Les emmerdes, il les accumule mais ne les compte plus depuis que leur nombre dépasse celui des doigts de sa main. D’un côté, puis de l’autre, il tente de désinfecter les plaies, de les couvrir de crème et de les panser avec la dextérité d’un chirurgien. Pourtant, un ingrédient manque à la recette et les échecs s’accumulent aux côtés des emmerdes, et les emmerdes s’accumulent aux côtés des échecs. La boucle infernale l’a entrainé dans sa ronde infinie depuis trop longtemps déjà et ce n’est plus la peine pour lui d’espérer de s’en extirper : il ne fait que ravaler sa nausée et fixer le ciel immobile qui lui donne une impression de stabilité alors que c’est son corps entier qui part en couille.  

Il pourrait rassembler assez de courage pour enjamber la peur qui l’empêche de s’approcher d’Alfie alors que les yeux de celui-ci se brouillent d’eau, alors que ses membres se mettent à trembler comme la feuille sèche d’un arbre qui s’endort pour traverser l’hiver. Il le revoit, vingt-cinq années plus tôt, le petit garçon qui ne tient pas en place mais qui se fait ramener à l’ordre par une poigne forte de son père sans que la peur ne s’affiche sur son visage. Le petit Alfie turbulent qui se laisse porter par ses jambes sans regarder là où il met les pieds et qui se relèverait en silence s’il trébuchait sur un rocher ou une racine déployant son échine en dehors de la terre. Jamais il n’a vu les larmes sur les joues de son meilleur ami parce qu’il les ravalait avant qu’elles ne coulent – ou il se cachait sans que Joseph n’ait le temps de les apercevoir, brillantes, suivant la courbe de sa paupière. C’est bien pour cette raison que le plus vieux se retrouve complètement tétanisé alors que le visage d’Alfie se déforme sous la puissance de la douleur – une douleur qui pourrait presque paraître physique. « J'aurais dû être là pour toi, je t'ai laissé ton-tomber, j'aurais dû le voir. » Au contraire, il avait toujours été là pour lui sans en être conscient. C’était chez lui qu’il allait se cacher si les claquements de la ceinture avaient résonné avant l’heure du couché. Dans sa chambre, et seulement la sienne, il se permettait de fixer le ciel en silence pour insulter l’absence de Dieu dans sa tête. « Désolé, je… Désolé. » La surprise l’a figé dans un bloc de glace et ce n’est que l’effroi qui peut se lire sur son visage tandis que la commissure de ses lèvres s’étirent vers le bas et tandis que sa gorge se noue au point de déformer les veines dans son cou. Ses cordes vocales sont tellement paralysées qu’il ne peut formuler aucun mot, mais il arrive encore à secouer la tête de droite à gauche dans le but de déculpabiliser celui qui prend le blâme alors qu’il ne devrait pas. Et, peu à peu, il oublie les torts que son ami lui a causés en le traitant de drogué – c’est la vérité qui blesse le plus. Il oublie ces insultes qu’il lui a soufflées alors que Joseph ne voulait que lui remettre la clé de l’appartement. Les lumières des projecteurs se tournent vers le plus vieux et projettent son ombre sur le quai en hurlant « c’est lui le coupable, c’est lui le coupable, c’est lui le coupable ! ». Et, pour la première fois de sa vie, sa mémoire lui fait défaut et il arrive à se convaincre que, s’il a assommé le visage d’Alfie contre l’évier jusqu’à ce que ses dents rencontrent le sol, c’était parce qu’il en avait envie et parce qu’il un homme dégoûtant. C’est tout. Il n’y a pas plus d’explications. Alors, tout ce qu’il désire, c’est que sa victime se taise et cesse de se ruer de coups. « Ça change rien, ça change rien ! Parce que ça aurait été le co… le cas, si j’avais su, j’aurais oublié, j’oublie tout. » Devant la vulnérabilité d’un homme qui souffre autant, seul le silence se joint au spectacle. Les yeux de Joseph sont toujours aussi secs parce qu’il a réussi à croire à toutes les sottises qui le définissent comme le pire des salauds. Le coupable ne pleure pas. Il observe son œuvre dans le plus inquiétant des calmes. Les pieds du garçon tétanisé se reposent sur Terre seulement lorsqu’Alfie lui tend un billet vert. Il le fixe longuement alors que son bras se soulève machinalement, comme s’il était devenu un robot qui ne fait que répondre à un stimulus. Il coince l’argent entre son index et son majeur, et, sa prise étant trop faible, le billet s’envole au premier coup de vent pour se poser sereinement sur une flaque d’eau stagnante au milieu des racines. Le son des semelles des chaussures d’Alfie s’évapore progressivement et sa silhouette disparaît derrière les courbes des quais.

La douleur apparaît seulement quand Joseph se retrouve seul. Elle est d’abord désagréable mais, lentement, elle apaise le garçon impassible qui se met à fixer le sang sous ses ongles. Il fait rouler des morceaux de peau détachée entre ses doigts, le regard voilé par un semblant de béatitude qui l’empêche de comprendre l’ampleur de la situation. Il sent alors une goutte chaude glisser le long de son avant-bras : il le soulève pour observer la plaie ouverte au niveau de son coude, là où les aiguilles allaient se loger pour cracher leur venin. Un gloussement vide de vie soulève la poitrine de Joseph alors qu’il réalise qu’il s’est infligé cette blessure pour combattre son envie de mélanger son sang à la cocaïne, incapable de supporter la vision d’un Alfie désespéré. Mais il l’a mérité, tout ce sang et cette peau qui lui brûle : il est le méchant de l’histoire, au fond. Parce qu’il n’y en a qu’un seul qui s’est joué de l’autre, n’est-ce pas ?

Ce ne sera que le soir que Joseph implosera, dans la solitude que lui procurent quatre murs et une porte fermée.    

Comment supporter l'idée de représenter le mal lorsque le cœur a toujours visé le bien ? C'est difficile, d'être heureux.

Fin du sujet.
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