| Life is short, death is forever || Allan |
| | (#)Dim 8 Déc 2019 - 22:13 | |
| Je ne sais pas ce qui est pire : marcher dans la neige qui recouvre une bonne couche de verglas et risquer de se rétamer à chaque pas ou être à la merci de la tempête qui fait rage dehors. A peine un kilomètre me sépare du théâtre et de la maison, normalement je met 10 minutes pour parcourir cette distance, mais pas ce soir. Il a commencé à neiger lorsque je suis parti à la répétition et les chutes de flocons se sont intensifier pendant les deux heures que nous avons passé à l'intérieur. Si bien qu'au final je me retrouve à devoir me frayer un chemin dans trente à quarante centimètre de neige -car il y en avait déjà avant- et à me battre contre des rafales de vents assez incroyable. J'ai l'impression de ne pas avancer et que pour chaque pas que je fais en avant j'en fais deux en arrière. La neige n'est absolument pas inhabituelle à cette période de l'année, mais ça reste quelque chose d'assez horrible. A cela s'ajoute la glace qui se trouve sous cette épaisse couche et le fait que je me sois déjà fait plusieurs frayeurs -mon équilibre laissant aussi quelque peu à désirer à cause de courbatures assez importantes suite à mon entraînement de danse de la veille- bref, c'est le parfait cocktail pour rentrer frigorifier.
Je me rassure en me disant que mon père à sans doute commander chinois comme tous les jeudi et qu'ensuite je pourrais me réchauffer avec un chocolat chaud. Oui, voilà, chocolat chaud c'est ce dont j'ai envie et besoin et la première chose que je me ferais en rentrant.
Sauf qu'en vrai, pas du tout. Au bout de ma rue déjà j’aperçois les gyrophares bleues des voitures de police et me demande qui de mes voisins à encore fait une connerie. Mais, en m'avançant, je remarque que la voiture est garé devant ma maison. Fronçant les sourcils, j'accélère le pas, monte rapidement les quelques marches qui me séparent de la porte d'entrée et l'ouvre « Papa !» annonçais-je mon arrivée en me débarassant de mes chaussures, jetant mon manteau, mon bonnet et mon écharpe sur le sol «Je t'avais dit d'être plus discret quand tu décide de braquer ... » je me tais brusquement en arrivant dans le salon et que mon regard se pose sur ma mère en pleurs, mon père la tenant par les épaules « ...une banque ...» finissais-je dans un souffle.
Mon regard passe de mon père à ma mère aux policiers et quelque chose me dit que les nouvelles sont les pire nouvelles du monde « »[Qu'est-ce que …. ? est-ce que … c'est quoi ? Il s'est passé quelque chose ? » bégayais-je, la panique et l'appréhension commençant tout doucement à monter en moi.
@Allan Winchester |
| | | | (#)Dim 8 Déc 2019 - 22:51 | |
| Monsieur Winchester ? Je regarde l'agent pour qui je viens d'ouvrir la porte de ma maison. Même s'il n'a encore rien dit de plus, son visage présage des pires nouvelles du monde. Je ne réponds pas. Pouvons-nous entrer ? me demande-t-il en désignant le collègue qui l'accompagne, Nous devons parler à votre femme comme à vous. Temps de latence. Les dernières secondes, aussi rapides qu'interminables, pendant lesquelles l'espoir est encore permis - bien qu'il soit déjà enterré dans les tréfonds de mes entrailles - au cours desquelles l'espace-temps semble s'être arrêté, me permettant de faire la sourde oreille et l'aveugle face au cataclysme qui va déferler sur nous, bien pire encore que celui de 2004. Oui, allez-y. Je me décale. Automatisme. Les deux hommes retirent leur képi, et passent le seuil. Tel un robot, je ferme la porte derrière eux, et m'avance pour leur indiquer la voie jusqu'à la cuisine, où se trouve Sara. Elle est en train de tricoter une paire de chaussons; elle est persuadée que l'amie de Stephan sera bientôt enceinte, et elle est certaine qu'il s'agira d'une petite fille. Sacrée bout de femme, se convaincre de tout cela seule, alors que l'on a rencontré cette Jessica seulement deux ou trois fois. Plutôt sympathique, cela va sans dire, mais je n'imagine pas son couple avec mon fils tenir. Trop différents, ou trop semblables dans leurs moments de conscience complète, sans l'influence d'un pétard pour leur embrouiller l'esprit. Qui était-... Ma femme n'a pas le temps de finir sa phrase que, ayant levé les yeux, elle aperçoit les uniformes. Son regard se porte sur moi; je ne dois pas être beau à voir, bien que je me contienne, car aussitôt, ses pupilles se rétrécissent, puis s'élargissent, et ses lèvres forment une vaguelette difforme. Je m'approche aussitôt, dans son dos, et pose mes mains sur ses épaules. Cela ne suffira pas, je le sais bien. Mais au moins, je suis là, présent. A la tenir, à la maintenir en vie et aussi en forme que possible face aux horreurs de ce monde. Les deux agents s'approchent mais restent à une distance respectueuse. Ils sont mal à l'aise; leurs doigts chiffonnent leurs calots bleus foncés et la moiteur de leurs mains se ressent déjà sur le tissu. Mais la vérité doit être dite. Le plus gradé des deux nous annonce la sentence, celle que nous porterons à jamais comme le jugement le plus cruel rendu pour des parents: Votre fils, Stephan... A trouvé la mort dans un accident de voiture.
...
Noooooooon ! Cri déchirant, qui traverse la maison. Sara a hurlé brièvement sa douleur, avant de fondre en larmes. Je veille à ne pas serrer mes phalanges sur ses épaules, pas la peine de la blesser physiquement en plus du reste. Je me mords les lèvres, je me sens vaciller, mais je tiens. Je le dois. Pourtant, Dieu sait que c'est dur. Mon fils... Mon premier bébé... Ce garçon si calme et fragile... C'est dans ce genre de moments, que je me dis qu'un Être Divin ne peut exister; ou alors, c'est un sacré connard. Ce n'est pourtant pas terminé. L'homme continue, assénant l'horrible vérité, qui ne parvient qu'à mes oreilles tant mon épouse est déjà partie dans sa bulle de désespoir: Il a causé l'accident. Les premières analyses ont montré la présence de drogues dans son organisme. Bam. Mon monde s'effondre. Les minutes ne comptent plus, désormais. Nous sommes hors du temps, et la culpabilité me rongera bien plus que tout ce que ma famille ne pourra jamais penser. Je ne suis qu'une merde, un résidu de déchet qui n'a pas su tirer son enfant du trou dont je me suis moi-même extirpé il y a déjà plus de vingts ans.
Papa ! Je t'avais dit d'être plus discret quand tu décide de braquer ... une banque ... Clément. Mon tout-petit. Tu ne le sais pas encore, et même si tu nous vois effondrés, tu es encore loin de t'imaginer ce qu'il s'est passé. Comment le pourrais-tu ? Tu es si jeune. Mon coeur semble vouloir déchirer ma poitrine, s'en extirper avec le maximum de dégâts qu'il pourrait lui être possible de causer. J'ai le ventre serré, l'estomac au bord des lèvres. Pourtant, il faut tenir. C'est toi, l'homme de cette maison, Allan. C'est toi qui, contre les vents et marées du tsunami de Thaïlande, a fait en sorte de retrouver les tiens et qui depuis, les porte à bout de bras, tant bien que mal. Plus mal que bien apparemment, tss ! Incapable. Le rôle reste le même pourtant, bien que j'ai échoué. Je vais m'y tenir, même si je n'en suis plus digne. Je lâche Sara, de toute façon, elle n'est plus consciente de ma présence; ce n'est pas trente secondes passées à trois mètres d'elles qui lui nuiront. Elle est déjà loin de nous, noyée dans le flot de ses larmes. Lentement, j'avance vers mon cadet. Sans prévenir, je le prends contre moi. Un peu trop brusquement, peut-être, et je le serre, comme si ma vie en dépendait. Ma vie en dépend. Une voix, qui ne résonne pas comme la mienne et qui pourtant vient de mes cordes vocales prononce, désincarnée, comme à mille lieux de moi: Clément... Je suis désolé. Comment lui dire l'horrible réalité ? Pourtant, il le faut. Les sous-entendus blessent plus l'ego que les mots justes. Je prends une grande inspiration. Stephan... nous a quitté. Un accident de la route. Pitié, ne me demande pas de parler plus, ne réclame pas d'explications; je ne sais pas si je pourrais ouvrir à nouveau les lèvres, si ce n'est pour hurler à la mort, tel un loup blessé. J'ai perdu un de mes petits.
@Clément Winchester |
| | | | (#)Lun 9 Déc 2019 - 8:01 | |
| L'étreinte violente de mon père n'annonce rien de bon. Non pas qu'il n'ait pas l'habitude de montrer son affection avec moi, mais pas de cette manière en tout cas. En 16 il ne m'a serré qu'une seule fois comme ça : lors de nos retrouvailles après avoir errer pendant 9 jours en Thaïlande. Je me rappelle parfaitement de ses bras qui malgré la fatigue physique et moral, m'ont serrés avec force et fermeté et ne m'ont plus lâchés pendant plusieurs minutes. Aujourd'hui c'est un peu pareil, à la différence que les larmes de ma mère ne sont pas des larmes de joie mais bel et bien de peine.
Et effectivement, comme je m'en doutais, les nouvelles sont des plus horribles qui soient. Stephan nous à quitter. Quatre mots qui déchirent mon cœur avant de se perdre dans les airs. Je me fige, avant d'obliger mon père à me lâcher et me reculer. Effaré, j'observe les adultes de la pièce un à un et me rend rapidement compte que les paroles d'Allan font sens et que c'est la vérité. Déglutissant, j'hoche la tête et me redresse en prenant une profonde inspiration « Ok» dis-je en relevant légèrement le menton, affichant une mine neutre, dénué de tout sentiments.
«Mr Winchester ? Madame ? Nous sommes réellement désolé et comprenons parfaitement votre envie et besoin d'être seul entre vous, mais nous avons réellement besoin qu'au moins l'un d'entre vous nous accompagne pour identifier le corps » indique l'un des officier sur un ton doux avec beaucoup de compréhension dans la voix. Je me recule un peu, m'éloigne d'avantage de mon père et pose mon regard sur l'homme puis sur ma mère qui a relevé son visage innondé de larme « n...non, je peux je ...» elle se tait puis hoche la tête [color=darkgreen « Laissez moi le temps de mettre quelque chose de décent et ...»[/color] « Eh maman, t'es pas obligé d'y aller» m'exclamais-je en m'avançant vers lui « je peux y aller avec papa aussi et ...» «Non Clément » dit-elle en plongeant son regard dans le mien « toi tu restes là» qu'elle m'ordonne sur un ton ferme «Pourquoi … ? » demandais-je avec incompréhension «je veux pas que tu vois ça et... »
« Elle a raison petit» confirme l'officier «Ce n'est pas beau à voir et ...je ne pense pas que ce sera plaisant pour toi » Je secoue la tête «Vous pouvez pas m’interdire de vous accompagner ! » dis-je en me redressant, mon regard passant à nouveau de l'officier à ma mère « C'est mon frère aussi ! Je refuse de rester ici !!» haussais-je le ton avant que mes yeux ne se posent sur mon père «laisse moi vous accompagner, s'il te plait » le suppliais-je presque, refusant catégoriquement de rester à la maison.
@Allan Winchester |
| | | | (#)Ven 27 Déc 2019 - 14:12 | |
| L'espace temps semble suspendu, alors que je serre mon fils contre moi. Pourtant, l'étreinte est moins forte que celle que je lui avais donné en Thaïlande. Plus fragile, car la raison est tout l'inverse du bonheur que j'avais ressenti lorsque je l'avais retrouvé après des semaines de recherches. Douleur. Peine. Tristesse. Colère. Désespoir. Que de mots négatifs qui ne sont pas assez pour décrire ce que je ressens; c'est juste indicible. Cependant, ces quelques secondes se brisent comme un verre que l'on aurait fait tomber à terre, lorsque l'agent de police nous annonce, avec une certaine délicatesse qui mériterait notre reconnaissance, qu'il va falloir venir identifier le corps. Je lâche mon fils, ou plus exactement il m'a éloigné de lui, reprenant l'espace vital que j'avais égoïstement accaparé pendant quelques instants - être un père aimant n'empêche pas de faire des maladresses - et accuse le coup. Mais je n'ai pas le temps d'annoncer que j'irai, qu'un début de dispute commence entre Sara et Clément. J'ai l'impression que mes neurones carburent si vite qu'ils vont s'enflammer, et qu'en même temps, leurs rouages synaptiques sont rouillés, empêchant une réaction rapide.
Mais elle finit par venir, car il faut désamorcer ce début de conflit dont nous n'avons pas besoin. Prends une décision, Allan. Prends la bonne, si possible.
J'inspire lentement, puis expire. Les mots traversent finalement la barrière de mes lèvres, d'un ton sans appel, qui ne supportera pas la réplique. Je suis du genre assez ouvert d'esprit et à la discussion, mais aujourd'hui, j'assumerai le rôle du décideur, de celui qui ne souffrira pas qu'on le contredise. Sara... Tu vas rester là. Ma voix est rendue sèche par ma gorge serrée, mais le ton est plus empathique qu'autre chose. Je vais demander à Elizabeth de venir te tenir compagnie. Heureusement que l'on s'entend bien avec notre voisine, et qu'elle bosse à domicile. Je sais qu'elle ne me refusera pas cela. La place de ma femme n'est pas à la morgue. Elle est trop fragile, elle ne le supportera pas. Je ne la laisserai pas voir Stephan tant qu'il n'aura pas été... rendu présentable. Si ça peut se faire. Clément. Je me tourne face à notre second fils. Mon ton se fait plus ferme, car je veux être certain qu'il ait bien compris et qu'il obéira. Tu peux venir avec moi, mais je me réserve le droit de te laisser entrer voir ton frère ou non. Ca dépendra de... enfin, tu vois. Est-ce bien compris ? Mon louveteau est aussi tête brûlée que moi mais c'est pour son bien que je pose certaines limites, dont celle-ci. Au dernier moment, j'entrerai d'abord seul dans la pièce où se trouve Stephan, et c'est seulement après l'avoir vu que je donnerai à son cadet l'autorisation - ou l'interdiction - de me rejoindre. Les agents de police feront en fonction de ma décision, le cas échéant, et m'épauleront; même si je préférerai éviter d'en arriver là.
@Clément Winchester |
| | | | (#)Sam 28 Déc 2019 - 19:58 | |
| C'est une bombe que mon père me lâche. Ça arrive d'un coup, ça ne prévient pas et ça rase tout sur son passage. Il y en a comme ma mère qui sont très expansif, qui n'ont pas peur de pleurer devant des inconnues, il y en a d'autre comme mon père sur qui on remarque facilement la détresse même s'il essaie de faire bonne figure. Et il y a moi. J'ai l'impression de ne rien ressentir si ce n'est le vide intersidéral. Aucune émotion ne se lit sur mon visage ni même dans mon regard, rien ne pourrait faire croire aux autres que cette atroce nouvelle me touche sincèrement. Neutre, je reste là, sur place et hoche seulement la tête pour faire comprendre à mon père que je l'ai entendu.
J'aurais pu resté immuable, si l'officier n'avait pas reprit la parole et que ma mère ne s'était pas à nouveau effondré en disant que jamais elle ne pourrait faire face au corps de mon frère. Moi, voulant jouer les héros, je me dirige vers elle et lui dit que je peux y aller à sa place avec papa. Mais c'est sans compter sur son avis bien arrêter sur le fait que jamais je ne devrais voir le corps de mon frère. Même l'officier appuie ces propos. Alors je cherche un peu de soutient auprès de mon père qui, au final capitule. Il indique à ma mère qu'elle restera ici avec notre voisine, que nous pourrons y aller tous les deux mais qu'il se réserve le droit de choisir si oui ou non il me laissera voir le corps. Tournant la tête vers Allan, scannant son visage d'un regard perçant avant d'hocher une fois la tête. «ok » dis-je simplement.
Je passe ensuite à côté des officiers qui s'échangent un coup d'oeil puis remet mes chaussures, ma veste et mon bonnet et sort de la maison. Je suis très vite suivi par les policiers ainsi que mon père qui va sonner à la porte voisine. Il n'a pas besoin d'échanger longtemps avec Mme Jones que celle-ci disparaît pour réapparaître avec un manteau et des chaussures aux pieds, se frayant un chemin dans la neige vers notre maison. Je détourne le regard lorsqu'elle passe devant moi puis grimpe dans la voiture de fonction.
La route se fait dans un silence pesant. Mon regard fixé sur l'extérieur, je ne fais pas attention à mon père et ne répond pas à ses sollicitations, m'enfermant littéralement dans une bulle et n'acceptant aucune pénétration dans cette zone personnelle. C'est, de manière automatique, que je sors de la voiture lorsque nous nous garons devant la morgue de l'hôpital et que nous suivons les officiers. Docile, je reste debout devant la porte d'entrée de la salle dans laquelle est exposée le corps de mon frère et attend le feux vert de mon père.
@Allan Winchester |
| | | | (#)Sam 28 Déc 2019 - 21:37 | |
| Bon. Le tout est arrangé. Sara a bien essayé de protester un instant, quand elle a compris que je compte bien amener notre fils avec moi. Mais au final, son désespoir a repris le dessus quand elle a cité le nom de Stephan, et elle s'est effondrée en larmes. D'une oeillade, j'ai laissé notre enfant à sa mère, ou plus exactement ma femme à notre fils, le temps d'aller toquer chez la voisine. Lorsque j'arrive chez elle, elle s'attend à ce que je lui propose une partie de luge sur la neige épaisse entourant les collines non-loin de notre maison; même à notre âge, on adore encore ça, Sara et moi, et on oublie jamais d'inviter Kate à nos sorties hivernales. Allan ! Je... Mais elle n'a pas le temps d'en dire plus que, devant mon air renfermé, ses mots s'arrêtent tout net dans les airs, ne franchissant plus la barrière de ses lèvres désormais closes. Kate, je suis désolé de te déranger mais... J'aurais besoin que tu veilles sur Sara pendant un certain temps. Elle me regarde, de plus en plus dubitative. Il s'est passé quelque chose ... ? Je vois bien qu'elle marche sur des oeufs, elle est toujours si délicate. Sa tentative m'arrache un bref sourire de gratitude et de tendresse devant ce petit bout de femme qui m'épaule, de temps à autres, lorsque je ne peux plus supporter les crises de paranoïa de mon épouse et son attitude étouffante, quand bien même je l'aime. Cependant, le rictus dure moins d'un millième de seconde, car je dois bien lui annoncer la tragique nouvelle; il serait totalement incorrect de la laisser dans l'ignorance, alors qu'elle va s'en aller tenir compagnie à ma si fragile aimée. Ma gorge se serre à nouveau; je ne prends plus la peine de faire des phrases complètes, l'essentiel se suffit à lui-même. Je... Stephan est décédé. Accident de voiture. 'Dois aller reconnaître le corps. Je baisse les yeux, retenant des larmes traîtresses, et ne voulant pas voir plus son expression horrifiée. Elle se reprend vite, bien heureusement, et déclare d'un ton décidé bien qu'un peu fébrile: Donne-moi deux minutes, j'arrive.
Une fois Sara confiée aux bons soins de notre voisine, je monte en voiture avec les officiers et mon fils; je ne sens même pas le démarrage. Je plane un instant, survolant toutes mes pensées, avant de me recentrer sur mon deuxième enfant. Hey... j'essaye de l'interpeller, mais lui reste dans sa bulle de sécurité. Clément ? Deuxième tentative, toute aussi vaine. Je comprends. Le reste du trajet se passe dans le silence le plus total. Après quelques minutes, bien plus courtes que je ne l'aurais voulu, nous arrivons. L'épée de Damoclès est au-dessus de nos coeurs, prête à les scinder d'un seul coup. Je ne me vois même pas avancer au travers des différentes pièces précédant la morgue proprement dite. On me fait entrer dans celle où se trouve Stephan. La porte est refermée derrière moi, le temps que je reconnaisse le corps, et que je prenne ma décision vis-à-vis de mon benjamin. Le médecin légiste ouvre la fermeture du sac aussi noir que la robe de la faucheuse.
Je ne dis rien, j'avance simplement. Mes doigts effleurent le menton de mon aîné. Il manque une partie de son crâne, sur le côté droit, vers l'arrière. Le tout n'est plus qu'une masse qui oscille entre le noir et le rouge sang. L'oreille n'est plus là non plus. Miraculeusement, le reste de son visage est presque indemne. Sa lèvre inférieure est blessée. Sa pommette gauche est gonflée et violacée. Ses yeux sont encore ouverts ! Je retiens un glapissement en voyant cela, et tout doucement, mes doigts passent de son menton à ses paupières, alors que dans une dernière caresse, j'abaisse celles-ci. Je ne parle pas plus. J'hoche positivement la tête. C'est bien mon fils. Ils se contenteront de ce langage physique, je ne peux plus émettre un son, moi qui parle si facilement d'habitude. Je chancelle alors que je recule un peu; je fais signe aux policiers présents de laisser Clément entrer. J'entends la porte s'ouvrir, l'un d'eux lui dire: Tu sors quand tu veux, petit. Histoire de lui dire que même à cinquante centimètres, s'il ne se sent plus de voir son grand frère si cruellement arraché à la vie par un bête accident qu'il a lui-même causé, il pourra encore faire marche arrière. Dans tous les cas, je serai à ses côtés. A leurs côtés.
@Clément Winchester |
| | | | (#)Sam 25 Jan 2020 - 15:10 | |
| Le chemin vers l'hôpital où se trouve la morgue est lent et dangereux. La voiture de fonction a beau avoir un parfait maintient de route avec de bons pneus de neige et quatre roues motrices, elle reste toutefois régulièrement à la merci du verglas. Et lorsque je nous sens glissé, je me dis que c'est ce qui a du causé l'accident, que Steph était juste au mauvais endroit au mauvais moment, qu'il a été surprit par une plaque de verglas et c'est tout. Ou alors que c'est la faute de celui qui est venu en face. Voilà, ça doit être la voiture en face qui était trop rapide et c'est son chauffeur qui a perdu le contrôle, causant la mort de mon frère.
C'est, sous l'emprise de telles pensées plus ou moins négatives, que je ne remarque même pas que nous sommes finalement arrivé à destination. Ce n'est que lorsque mon père ouvre la porte, que mon pilotage automatique s'enclenche à nouveau et c'est, en silence, que je les suis à travers les couloirs jusqu'à arriver à la porte qui donne sur la pièce dans laquelle se trouve le corps sans vie de mon frère. Comme promis à mon père, je reste devant et attend son feu vert.
Celui-ci fini par arriver assez rapidement et, au moment où j'allais passer la porte j'ai un temps d'arrêt. J'ai fait mon malin avant mais maintenant que je suis là, face à la table et au linceul sous lequel gît mon Stephen, j'avoue que je ne sais pas si j'ai réellement envie de le voir. Mais, après avoir déglutis et soupirer discrètement pour me donner du courage, je fini par me diriger vers la table. L'un des officiers ouvre le sac noir à moitié, découvrant ainsi le visage de mon frère.
Ou plutôt ce qu'il en reste. Je ne sais pas ce qui est le plus choquant : le fait que la moitié de son crâne ne soit plus là où devrait être ou qu'un œil est encore ouvert et m'observe d'un regard vitreux et sans vie. Ma respiration se coupe tandis que le monde semble tourner un peu trop vite. J'ai un haut le cœur, me plaque une main sur la bouche et fini par me détourner pour sortir de la pièce. Je cours dans les couloirs jusqu'à la sorti de l'hôpital et je déverse mes tripes dans les buissons qui bordent le parking.
Et c'est là, penché en avant, que des larmes viennent se mêler à la bile acide. Le corps secouer de tremblements, je remarque à peine les bras de mon père qui entourent mes épaules avant de me serrer contre lui. Là, dans la chaleur et les bras protecteurs d'Allan, je laisse libre cours à mes émotions pendant de longues minutes.
Ce n'est qu'au bout d'un certain temps lorsque le vent se lève à nouveau plus violemment, que je fini par me redresser et relève mon regard sur mon père. En croisant son regard, je remarque que je n'étais pas le seul à pleurer. Reniflant, je réitère une dernière fois l'étreinte avant de me reculer « On ...on devrait rentrer» soufflais-je «Maman, elle ... » elle quoi ? Elle est effondré, c'est sûr. «Il ...il faut qu'on soit là pour elle » car nous la connaissons tous les deux : nous ne pouvons espérer un quelconque soutient de sa part dans ces moments de grandes détresse. Elle est comme ça Sara, elle n'arrive pas à se contrôler et est toujours celle qu'il faut soutenir. « On ...il faut retrouver les officiers pour rentrer» j'hoche la tête «oui, voilà, il faut les retrouver. Je ... » et sans un mot de plus de me détache de mon père pour rentrer à nouveau dans le hall de l'hôpital et me diriger vers la morgue, pensant naïvement qu'ils y seront encore et qu'ils nous attendent devant la salle du médecin légiste.
@Allan Winchester |
| | | | (#)Sam 25 Jan 2020 - 18:52 | |
| J'entends les pas de Clément derrière moi, après que j'aie donné l'autorisation qu'il entre. Je n'ai cependant pas eu le temps de fermer les yeux de son frère avant qu'il n'arrive à mes côtés; tout semble si lent, autour de nous, comme si le temps lui-même ne voulait pas faire avancer cette mécanique cruelle qu'était le cycle de la vie et de la mort. Je l'entends glapir, et je sais déjà qu'il ne va pas tenir longtemps devant ce triste spectacle; il a voulu le voir, j'ai accédé à son désir. Le reste lui appartient. Je soupire doucement; à son âge, ou peu s'en faut, j'enterrais ma mère. Dire adieu à mon fils aîné est cependant vingt mille fois plus douloureux, et ce même si j'ai la maturité de l'âge et des tristes expériences. En fait, ce n'est pas quantifiable comme souffrance, c'est juste indicible. Je jette un coup d'oeil vers mon cadet. Je ne lui ai jamais parlé de sa grand-mère, ni de mon enfance. Il sait juste que je viens du Canada, que j'ai perdu ma mère quand j'étais encore jeune, que je n'ai pas connu mon père. Le reste, il l'ignore. Le fait que j'aie été non-désiré car fils de prostitué - ne devant ma naissance qu'à son déni de grossesse - puis mon enfance dans la rue, mon simple diplôme de charpentier-menuisier qui était déjà une grosse fierté pour moi à l'époque tant la vie était dure, mon quotidien dans la drogue et les trafics louches, tout ça avant ma fuite en Nouvelle-Zélande. Je lui en parlerai peut-être, un jour. Pas aujourd'hui, ça c'est certain. Je ferme les yeux de Stephan, en me mordant violemment les lèvres. Mon fils... MON FILS BORDEL !!! C'est le tonnerre, la tempête, l'ouragan, le tsunami, l'apocalypse dans ma tête. Mon Dieu, si tu existes, va te faire foutre. Une telle affliction ne devrait pas être possible.
J'entends le plus jeune reculer, partir en courant. Je jette un dernier regard au cadavre - un corps mort, merde !!! - de Stephan, j'incline la tête envers le policier resté auprès de nous pour lui signifier que nous en avons fini, puis je pars rattraper Clément à grandes enjambées. Je traverse le couloir aussi vite que possible, sans courir cependant, pour lui laisser le temps de se soulager, ce dont je ne doute pas une seconde. Ce n'est qu'un enfant, après tout. Je le retrouve dehors, et dès qu'il se redresse un tant soit peu, je le prends contre moi, et ne le lâche plus. Il se laisse faire, en demande de réconfort, et nous restons comme ça un long moment. Son corps tout entier est secoué de convulsions tellement il pleure, et le fait de voir mon petit si dévasté m'amène à pleurer, moi aussi. Je reste humain, après tout. Je ne tremble pas comme lui, mais mes mains se joignent derrière sa nuque et celle qui se trouve sur le dessus de l'autre la griffe, jusqu'au sang. Je pourrais tout casser en cet instant, alors me tenir la main avec l'autre jusqu'à me faire une égratignure n'est rien en comparaison. Stephan... Celui que j'avais tenu, émerveillé, il y a quelques années, me rendant compte que je bâtissais ma propre famille, qui était à cette époque stable et heureuse, chose que je n'aurais jamais cru réalisable pendant mes années à Montréal. Ce petit bout qui avait accueilli son frère à bras ouverts quand nous l'avions adopté. Ce gamin qui ne s'était qu'à peine plaint lors du tsunami de Thaïlande, qui avait fait de son mieux pour m'aider à retrouver sa mère et son frère en 2004, alors qu'il n'avait que 14 ans à l'époque... Mort. Parti. A jamais.
Finalement, Clément me relâche et me parle de Sara. Oui, il va falloir que nous soyons là pour elle. Que je sois là pour eux. Il part vers l'hôpital, mais je le rattrape avant qu'il ne rentre véritablement dans le hall, posant ma main sur son épaule. Ils nous attendent à la voiture. Viens. Rentrons à la maison. Je le garde près de moi, mon louveteau, comme si lui aussi allait disparaître. Le coeur lourd et l'esprit en vrac. Plus jamais je ne pourrais me regarder en face. J'ai laissé mon fils mourir.
- Fin -
@Clément Winchester |
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