| | | (#)Mar 10 Déc 2019 - 19:27 | |
| Ces quelques jours avaient été magiques, littéralement. Elle voyait encore le visage de Jo quand elle lui avait tendu un passeport tout neuf qui renfermait des billets d’avion. Noël en avance, direction l’Irlande. Elle lui avait promis et cette promesse pouvait se compter en mois entiers à présent, peut-être même en une année, elle ne savait plus très bien mais ce n’était pas important. Il allait venir avec elle pour fêter Noël dans sa famille, dans son pays et ça lui faisait foutrement plaisir. Elle lui avait même accordé une autre surprise dans cette surprise : un petit détour en Europe, deux petits jours dans une station de ski française pour lui faire découvrir la neige. De vrais gamins face à ce spectacle qu’ils ne connaissaient pas. Des instants qui allaient certainement rester gravés dans sa mémoire et qu’elle allait chérir précieusement. L’Irlande leur avait ensuite tendu les bras et Jo avait été accueilli comme un membre à part entière de la famille. Debbie ne pourrait jamais assez remercier ses parents, son frère et sa sœur pour ça. Ils avaient tout fait pour le meilleur des Noël dès l’instant où Debra leur avait annoncé qu’elle ramenait un ami avec elle. Jo avait même eu le droit à sa chaussette sur la cheminée remplie de chocolats et à son cadeau sous le sapin. Rien de fou mais la surprise sur son visage, ses yeux brillants d’être tant considéré avait fait naître bien souvent des sourires tendres sur les lèvres de sa meilleure amie.
Un sourire qui s’était effacé au fil des jours parce qu’elle savait ce qui l’attendait dans quelques instants. Ils étaient partis en direction de l’aéroport mais aucune autre valise que celle de Jo n’était dans le coffre de la voiture. Elle avait prétendue avoir mis la sienne parce qu’elle n’avait pas eu la force de lui dire immédiatement que cette seconde valise n’était qu’un complément pour lui. Elle s’en voulait déjà de tout gâcher, de finir sur cette note mais elle ne se sentait pas capable de faire autrement. Alors quand elle avait garé la voiture sur le parking – en prétendant ne pas trouver de place alors qu’elle ne faisait que repousser l’échéance – l’appréhension était venue se loger dans ses membres et la tristesse se lisait aisément sur son visage. De quoi naturellement alerter son ami qui la fixait sans même avoir besoin de dire quoi que ce soit. « Me regarde pas comme ça, je suis un peu triste, c’est tout. » Parce qu’elle était censée s’envoler avec lui pour l’Australie, quitter sa famille et rentrer à la maison. Elle n’avait pas dit un mot de plus en prenant la direction des portes d’embarquement. Elle ne pouvait plus reculer désormais parce que l’avion était sur la piste et qu’il attendait ses passagers pour décoller dans quelques minutes. « Jo... » A peine avait-elle prononcé son nom qu’elle avait déjà envie de pleurer toutes les larmes de son corps. Oui, elle allait quitter sa famille et retourner à la maison mais certainement pas celles que le brun avait en tête. « Tiens. » Doucement, elle faisait rouler sa prétendue valise vers lui pour qu’il la prenne de sa main libre et en silence, elle glissait les clés de son appartement dans la petite poche de son t-shirt. « C’est quelques accessoires que j’ai jamais eu pour l’appartement et qui manquaient foutrement à mon quotidien sans que je prenne le temps de les acheter pour autant. » Comme un grille-pain, un fouet, un tapis pour l’entrée, un boudin de porte, des détails mais qui rendraient le quotidien de Jo plus agréable encore. « Prends soin de toi d’accord ? » Et elle se mettait à pleurer parce qu’elle était incapable de le dire mais que c’était évident : ils étaient arrivés à deux mais il allait repartir sans elle. |
| | | | (#)Sam 21 Déc 2019 - 5:06 | |
| Étendu dans le canapé, les mains sous sa tête et un peu trop à l’aise, Joseph observe le soleil se coucher par la large fenêtre qui surplombe le salon. Il respire doucement, il n’y a que le crépitement dans le feu de cheminé qui rompt le silence. Ses paupières commencent doucement à se fermer : il est fatigué. Fatigué d’avoir fait tant de choses en une seule semaine, d’avoir discuté jusqu’à ce qu’il n’ait plus de salive, d’avoir senti pour la première fois les muscles dans ses joues tellement il avait souri. Il était heureux bien que l’idée de retourner dans sa ville natale avec Deborah ne le déplaisait pas. Ils pourront à nouveau partager l’appartement dans lequel ils sont ensemble établis depuis plusieurs semaines. « Bonne nuit Joseph. Je ne sais pas si on se reverra demain matin avant ton départ mais je tien à te dire que tu es le bienvenue quand tu veux. Ça nous a fait plaisir de te rencontrer. » Souffle doucement la maman Brody après s’être arrêtée dans le cadre de la porte. Machinalement, le garçon se redresse dans le canapé et jette un coup d’œil à sa nouvelle montre (le plus beau cadeau qu’il a reçu de sa vie). « Oh, il est déjà dix heures. » Il se lève et rejoint la mère de son amie pour lui offrir un tendre sourire et reconnaissant. Il la serre dans ses bras et la remercie en un murmure. Il la remercie pour tout ce qu’elle a fait même si cela pourrait paraître normal pour n’importe qui. « J’prendrai soin d’votre fille et j’vous permet de me la voler quelques fois. » Il n’obtient pas de réponse : seul un petit soupir retenu soulève la poitrine de la dame. Elle le regarde ensuite avec des yeux à la fois bienveillants et désolés et replace le col de sa chemise (elle aussi un cadeau). Il fronce les sourcils et l’interroge du regard mais elle se contente de lui souhaiter une bonne nuit et un bon retour chez lui avant de tourner les talons pour retrouver sa chambre.
La lune termine sa danse dans le ciel et le soleil reprend le trône. Joseph est excité, presque impatient. Il a l’impression que certaines choses ont changé et que, maintenant qu’il a rencontré la famille de sa meilleure amie, les choses pourraient être plus… officielles ? « Deb, t’es prête ? » qu’il demande sur un ton fort pour s’assurer que la jeune femme l’entend. Il referme sa petite valise après s’être assuré que ses quelques biens étaient bien rangés et il se dirige vers la sortie, les yeux curieux, à la recherche de Deborah. Il la trouve rapidement dans la cuisine et il lui suffit de ne faire qu’un seul sourire pour lui dire que lui il est prêt à partir.
La balade en voiture jusqu’à l’aéroport est silencieuse. Joseph comprend qu’il est probablement difficile pour Deborah de quitter une énième fois sa maison et sa famille. Il la laisse faire son deuil sans la déranger, les yeux rivés vers les paysages irlandais qui défilent derrière la vitre de la bagnole. Il encre chacun des arbres et chacun des rochers dans sa mémoire, se promettant de revenir un jour ou l’autre dans ce magnifique pays chaleureux. Une fois tous les deux arrivés à destination, la jeune femme assure son compagnon de voyage que la raison de sa tristesse est leur départ et il ne pose aucune question : il se contente d’être là pour elle. « T’inquiète, ça va aller. Ça t’prendra un peu de temps d’adaptation et tu te rendras compte que t’aimes autant l’Australie. » La main bien fermée autour de la poignée de sa valise, il dirige les opérations comme s’il avait fait ça toute sa vie : ils passent les douanes sans désagréments et se retrouvent rapidement dans la zone d’embarquement. Toutefois, la voix bleue de tristesse de Deborah l’arrête et il se tourne vers elle. « Ouais ? » Il fronce les sourcils et scrute les traits de son visage crispé par sa façon de retenir ses larmes. Il tente un sourire pour la rassurer mais elle l’arrête avant qu’il ne puisse espérer lui remonter le moral. La valise de son amie roule vers lui, il s’en empare avec sa seconde main et il hausse un sourcil. Quoi ? Elle a besoin d’aller à la salle de bains avant de monter dans l’avion ? Pourtant, c’est bientôt la clef de l’appartement qu’elle lui tend et aussitôt son visage s’affaisse. Il ne l’écoute que d’une oreille alors qu’elle l’informe du contenu de cette deuxième valise et il secoue vivement la tête : « Qu’est-ce que tu m’fais ? C’est pas drôle. » Un sourire nerveux étire ses lèvres mais de véritables larmes s’échappent des paupières gonflés de son amie. « Qu… Quoi ? » Désemparé, il déglutit difficilement tandis que son cœur se met à paniquer dans sa poitrine. « Non. Non. Non non. Arrête. Viens, on rentre chez nous. » Il fait un pas vers l’arrière en direction de l’avion en attendant la réaction de Deborah : elle n’a pas l’intention de bouger. « P’tain Deb. » Il tend sa main vers l’avant et attrape les doigts de son amie pour l’inciter à le suivre. Il n’est pas question de partir sans elle. Cependant, c’est seulement trop tard qu’il remarque qu’elle n’a pas de ticket d’avion entre les mains. Il serre son index entre sa paume et souffle difficilement pour s’empêcher de pleurer à son tour. C’est une mauvaise blague, c’est tout.
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| | | | (#)Lun 6 Jan 2020 - 2:22 | |
| Elle ne savait pas comment lui dire. Elle n’avait pas envie de le faire mais revenir en arrière était impossible. Elle était là, plantée au milieu de la zone d’embarquement. Elle lui donnait tout sans vraiment poser les mots. Elle lui expliquait sans vraiment le faire parce que rien que l’idée était en train de la fendre sur place. Elle n’imaginait pas la situation si elle avait dû y mettre davantage de mots. Elle avait mal, elle avait la sensation d’être la pire des connasses, d’être tellement égoïste. Elle l’abandonnait au dernier moment parce qu’elle s’était refusée de lui donner la possibilité de débattre et de la faire changer d’avis. Ça n’a jamais été l’Australie qu’elle avait aimée, c’était lui. Il était sa seule raison d’y retourner et s’il était son tout là-bas, c’était parce que le reste était ici. Elle aurait tant aimé pouvoir rassembler les deux mais il fallait se rendre à l’évidence que la vie de Joseph était en Australie et qu’elle n’était pas en droit de le priver de ça sous prétexte qu’elle voulait le garder avec elle. Alors elle avait décidé pour eux deux. Il s’en allait et elle restait là, même si ça la faisait affreusement souffrir et que d’imaginer sa vie quotidienne sans l’avoir physiquement à ses côtés, ça lui faisait peur. Son cœur s’était serré si fort qu’il s’en retrouvait brisé. La blessure était telle qu’elle s’était mise à pleurer. D’abord avec des larmes silencieuses, de celles qu’on entend dans la voix sans être des hoquets d’émotions pour autant, comme retenues pour minimiser les dégâts. « C’est chez toi désormais. »
Et il comprenait. Il prenait pleine conscience que ce n’était pas une blague et qu’elle ne passerait pas les dernières portes en direction de l’avion avec lui. C’était là, cet instant où il pressait son index dans sa paume et qu’il prononçait son surnom qu’elle fondait vraiment en larmes. « Je suis désolée… tellement désolée. » Elle ne savait pas quoi lui dire d’autre. Elle était coincée, incapable de faire un choix qui pourrait la rendre heureuse, quoi qu’il en soit. Elle ne pouvait pas partir d’ici, elle ne pouvait le retenir non plus. Il n’y avait pas de solution, juste à subir, pour l’un comme pour l’autre. Quand elle récupérait sa main, c’était pour mieux s’approcher et fondre sur lui, le prendre dans ses bras et le serrer aussi fort qu’elle le pouvait sans lui faire le moindre mal : parce qu’elle en faisait déjà bien assez. « Pardon. Pardon. » Qu’il ne lui en veuille pas, pitié qu’il ne fasse pas ça parce qu’elle ne le supporterait pas. C’était bien assez dur comme ça. Elle préférait encore qu’il soit en colère. En colère de lui avoir fait vivre des fêtes en famille pour tout briser en une paire de minutes. Qu’il soit en colère parce qu’elle l’obligeait à lui dire au revoir en quelques minutes quand ils auraient pu avoir des jours entiers pour digérer la nouvelle. Oui, qu’il soit en colère, elle préférait ça.
Elle ne savait pas vraiment combien de temps elle était restée là, pelotonnée dans ses bras, à laisser les larmes couler. Une fois de plus, sa présence était suffisante pour la calmer et l’aider à retrouver son apaisement. Son palpitant s’était calqué sur le sien, frappant à l’unisson. Une évidence que Deborah était la seule à ne pas voir. Putain ce qu’il allait lui manquer ! C’était tout ce qu’elle se disait quand elle se séparait de lui pour effacer les sillons de ses joues. « On a réussi à construire notre amitié dans les pires circonstances. » En prison, avec des lettres qui mettaient des semaines entières à leur parvenir, avec des sous-entendus parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de se dire certaines choses en sachant les mots lus par des gardiens. « Je sais qu’on réussira à l’entretenir, que c’est pas la moitié d’une planète qui nous empêchera de faire comme on veut. » Parce qu’ils ont d’autres moyens de communiquer désormais. La magie d’internet et des ondes téléphoniques. Et parce qu’elle se refusait de croire que la distance pourrait les briser, c’était hors de question. « Je viendrai de toute façon. Tu viendras aussi, je ne te donne pas le choix. » Un fin sourire aussi tendre que peiné étirait ses lèvres. « Continue ce que tu fais, d’accord ? » Son combat contre la drogue, celui qu’il avait commencé à ses côtés. « Et je compte vraiment sur toi pour l’appart, pas question que je vienne en vacances dans un taudis. » S’en amuser, c’était ce qu’elle trouvait mieux à faire pour ne pas repleurer. Ce n’était pas la fin du monde, pas vrai ? Mais c’était peut-être la fin du leur. |
| | | | (#)Mer 29 Jan 2020 - 5:46 | |
| Deux idiots plantés sur la piste bétonnée, c’est ce qu’ils sont. Les autres voyageurs les contournent comme s’ils n’existaient pas, comme s’ils n’étaient que des obstacles au milieu de leur route. C’est ce que Joseph croyait représenter aux yeux de Deborah lorsqu’elle l’a accueilli la première journée les bras grands ouverts, lorsqu’elle lui a offert une amitié qu’il ne pensait pas mériter. Elle a été la première à ne pas lui poser toutes ces questions humiliantes et à ignorer son passé pour seulement se concentrer sur le sourire qu’il pouvait lui offrir. Et, ce matin, comme si la séparation serait aussi facile que de tourner la page d’un roman, voilà qu’elle fait glisser sa valise à ses pieds pour s’en départir. Les yeux de la jeune femme sont gorgés d’eau et menacent de déverser leur peine, une peine que Joseph croyait associée au départ mais qui s’avère finalement beaucoup plus fatale. « C’est chez toi désormais. » C’est le silence qui décide de dominer par la suite, puis le déni prend possession de tous les neurones de Joseph qui se met à refuser la réalité. Il secoue la tête, comme pour convaincre Deborah qu’elle vient de dire la pire des conneries et qu’elle ne le pensait pas. Pourtant, le poids de la clef de l’appartement dans sa poche déforme son t-shirt et ce sont maintenant deux valises qui reposent à ses pieds, comme deux rochers trop lourds pour qu’il ne puisse les porter sans souffrir.
Elle s’attelle à s’excuser, comme s’il pouvait lui pardonner si rapidement de lui faire un tel coup. Son cœur était comblé de joie quelques minutes plutôt et voilà qu’il se cristallise. Le vrombissement des avions couvre leur tête et le vent secoue leurs cheveux alors que les bras de Deborah s’enroulent autour de la silhouette immobile du garçon. Il n’arrive pas à l’accueillir contre lui alors il se contente de fixer derrière elle comme si ça pouvait lui permettre de remonter le temps, au moment où il était heureux de retrouver la chaleur de Brisbane aux côtés de sa meilleure amie. Mais rien n’y fait. Elle pleure contre lui et il n’arrive pas à ressentir la moindre émotion. C’est un vide brûlant qui pousse dans son ventre et ses racines le clouent au sol. « On a réussi à construire notre amitié dans les pires circonstances. » Oui, les pires circonstances. Joseph était seul lorsqu’elle est apparue dans sa vie par le biais d’une feuille de papier et de quelques mots. « Je sais qu’on réussira à l’entretenir, que c’est pas la moitié d’une planète qui nous empêchera de faire comme on veut. » Ses sourcils se froncent et ses iris se teintent d’une couleur plus sombre. Il renifle, passe sa main dans sa barbe (pour en fait se frotter les yeux pour cacher les larmes) et souffle tout l’air coincé dans ses poumons, incapable de trouver une phrase à formuler. Il a très sincèrement envie d’insulter son choix mais il sait qu’il regretterait ces mots. Il préfère confronter le silence. « Je viendrai de toute façon. Tu viendras aussi, je ne te donne pas le choix. » Ah oui, il viendra ? Avec quel argent ? Encore une fois, il se contente de penser ces réflexions sans les exprimer à voix haute. « Continue ce que tu fais, d’accord ? » Les lèvres pincées, il enfonce ses ongles dans la poignée de sa valise, ignorant complètement ses prochains conseils à propos de l’appartement. « J’le faisais pour toi. J’résistais pour toi, et toi seule. » Et, humilié et déçu, il fait un pas en arrière en traînant son nouveau fardeau qui ne contient plus les vêtements de Deborah. « Compte pas sur moi pour supporter la douleur si t’es plus là. J’espère qu’tu trouveras ton bonheur ici, si tu ne le trouvais pas avec moi. » Il est en colère, il ne pense pas ce qu’il dit, et il peine à se retenir de lui lancer une insulte, parce qu’il sait qu’il est la seule raison de ses souffrances : elle n’a fait que l’accompagner dans une guérison improbable. Elle ne mérite pas de souffrir pour ses choix à lui. « Salut, Deb. » Et il tourne les talons seulement accompagné par son ombre et sa déception. Il est déçu de lui-même parce qu’il a cru un jour qu’il avait trouvé sa famille; mais l’histoire se répète, encore et encore.
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| | | | (#)Jeu 13 Fév 2020 - 22:49 | |
| Elle savait qu’il allait avoir besoin de temps. Elle savait parfaitement qu’il n’allait pas lui pardonner en claquant des doigts seulement parce qu’elle lui demandait de le faire. Elle-même ne serait pas capable de le faire sur le moment si la situation était inversée. Elle n’avait pas le choix que de lui laisser le temps dont il avait besoin pour se remettre de ça, pour appréhender son absence et ne plus être en colère. Elle ne lui demandait pas de lui pardonner dans l’immédiateté, elle n’était donc pas étonnée de faire face à son silence même ce dernier était douloureux, de constater qu’il ne la prenait pas dans ses bras comme elle le faisait avec lui. Elle le connaissait assez pour savoir qu’il était en train de se refermer comme une huître, qu’il n’allait pas exprimer ses sentiments et probablement même les éviter et montrer l’inverse. Ils avaient beau avoir toujours été honnêtes l’un envers l’autre, c’était un défaut que Joseph ne savait pas corriger, même en la présence de sa meilleure amie. Il était comme ça et elle avait appris à composer avec, même si ça devait inclure encore plus de souffrance, autant pour lui que pour elle finalement. Il reniflait, il se touchait le visage, il soufflait fort, il passait ses nerfs sur la valise en y enfonçant ses ongles. Elle connaissait ces signes, elle le connaissait par cœur son Keegan. Ce dont elle était moins habituée, et qu’elle aurait préféré éviter si elle avait eu le choix, c’était qu’elle était la source de sa souffrance. Elle avait la sensation violente d’un retour en arrière, quand il était encore derrière les barreaux et qu’elle lui avait promis de venir sans être capable de passer l’entrée de la prison. Elle le faisait souffrir de la même façon et elle supportait mal ce constat.
« Continues à le faire pour moi. » Ce n’était pas parce qu’elle n’allait plus être là physiquement qu’elle ne serait pas là pour le soutenir et faire son maximum pour l’aider à continuer sur le chemin de la guérison. Mais s’il ne voulait plus le faire, elle ne pourrait rien y faire, sûrement parce qu’il n’avait pas eu le bon déclic. « Ne me met pas cette responsabilité sur le dos. » Celle de reprendre la drogue. C’était comme s’il lui disait droit dans les yeux et que c’était sa faute s’il allait recommencer à se pourrir de l’intérieur, s’il allait frôler la mort à chaque passage de l’aiguille dans ses veines alors qu’il ne s’agissait que de son choix, à lui. C’était injuste de lui reprocher une telle chose. « Comment tu peux... » Un hoquet de larmes la bloquait dans sa phrase. Elle le ravalait, difficilement. « C’est pas une question de bonheur... » Parce que son bonheur, elle l’avait eu avec lui. Avec lui et Benjamin, en Australie. C’était suffisant, amplement, pour être heureuse jusqu’à ce que l’un d’eux ne l’oblige à faire un choix, malgré lui. Elle ne devrait pas souffrir des mots de Joseph parce qu’elle savait qu’il ne les pensait pas. Pourtant c’était là, ça pinçait son cœur et ça faisait mal. « Laisse tomber... » A quoi bon argumenter quand elle le connaissait trop bien, quand elle savait qu’il allait trouver réponse à tout ou, à défaut, la plonger dans un silence douloureux sûrement pire encore que ses paroles.
Quand finalement il lui tournait le dos pour s’en aller, elle ne retenait plus cette énième larme et la laissait couler dans un silence pesant mais tellement rempli de sens. Il n’avait pas idée combien elle allait avoir autant de difficulté que lui de vivre loin l’un de l’autre. Il n’avait pas idée combien elle se sentait mal et à quel point ce mal-être allait se prolonger dans le temps. Mais comment lui reprocher d’être en colère ? Elle ne pouvait pas se le permettre, elle ne pouvait pas hurler dans l’aéroport comme dans les films. « Alors c’est tout ? Tu t’en vas comme ça ? Juste un salut ? » Non, elle ne pouvait pas faire ça. Non seulement ça ne leur ressemblait pas mais elle ne se l’autorisait pas non plus. Elle n’était pas en droit de le retenir plus longtemps s’il avait ce besoin de s’éloigner d’elle. Elle n’avait pas le droit d’être égoïste quand cette situation était déjà de sa faute. Ça ne l’empêchait pourtant pas de le regarder s’en aller jusqu’à ce qu’elle n’en soit plus capable, les larmes brouillant sa vue. Il était une partie de son bonheur, il emportait une partie de son cœur avec lui, qu’il le veuille ou non. |
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