« Vous continuez de prendre le traitement que je vous ai prescrit ? » Le retour du bon docteur Winters. La tête basse, je soupire et lève un regard mauvais vers lui. Il n'a jamais vraiment mérité tout l'agacement qu'il m'inspire, mais le fait est que sa présence m'irrite au plus haut point. « Non. » dis-je en grimaçant, pendant que la jeune femme présente dans la pièce termine de m’ausculter centimètre carré après centimètre carré. Elle s'est saisi de mon bras gauche, le plie, le déplie, le tourne dans un sens, dans l'autre, le glisse le long de mon corps, puis le lève petit à petit, d'abord à hauteur de mes épaules -ce qui est déjà foutrement désagréable- avant de l'étendre au dessus de ma tête. Les dents serrées, je contient tous les gémissements de douleur possible. J'essaye de garder mon attention rivée sur l'homme en blouse blanche. Son air de désapprobation qui me donne une sale envie d'enfoncer le stylo dans sa poche droit dans son regard désolé. « Je n'arrivais plus à réfléchir, à travailler correctement, et je n'ai vraiment pas besoin de me sentir vaseux en permanence alors que je dois déjà essayer de sauvegarder ce qu'il reste de mon couple tout en respectant mes obligations à côté. » dis-je, fulminant entre mes dents. La deuxième semaine de convalescence de Joanne touche à sa fin, et rien n'est allé en s'arrangeant. Malgré tout ce qui a été dit, les journées sont restées semblables aux précédentes. Lourdes, froides, longues. Epuisantes. Etant cette fois obligé de me rendre à la radio tous les jours, j'ai eu beau me donner plus de mal pour passer du temps avec ma compagne, prendre soin d'elle, je n'ai eu que l'impression de me battre contre des moulins à vent, en venant même à penser que c'est Joanne qui ne souhaite pas que la situation s'arrange. Elle broie du noir, et je ne parviens pas à me retenir de prendre de plus en plus de distance par rapport à elle. Souffrant beaucoup trop de me voir aussi impuissant, incapable de redresser la barre, retrouvant chaque jour des sensations vieilles d'une quinzaine d'années, je préfère me protéger en prévision de l'inévitable. Et mon réflexe de survie n'aide absolument en rien à arranger les choses, bien au contraire. J'envenime moi-même la situation, devenant peut-être même aveugle face à une éventuelle amélioration. Tout cela me rend malade. Je suis à bout, et cela se ressent. Je me sens terriblement seul et perdu. Alors, prétextant devoir rester tard à la radio, je suis sorti faire ce que je sais faire de mieux quand je suis dans un tel état de vide. Et me voilà ici. La demoiselle repose mon bras et s'applique à le mettre dans une écharpe. Ses gestes parfois hésitants, son regard fuyant, la forcent à s'y reprendre à plusieurs fois avant de placer le bandage correctement. Elle n'est pas rassurée par ce type qui n'a cessé d'être furieux contre le monde entier depuis son réveil. Elle s'essaye tout de même à un acte de gentillesse, m'adressant un fin sourire bienveillant alors qu'elle souligne que j'aurais pu finir comme un légume ; « Vous avez eu de la chance cette fois. Votre tête a prit un sacré coup. Vous auriez vraiment pu - » Qu'importe ce qu'il y aurait pu. « Est-ce que je peux m'en aller ? » je demande à Winters sans adresser un regard à la jeune femme qui quitte immédiatement la pièce, vexée et visiblement choquée par la virulence qui s'échappe de chaque pore de ma peau, chacun de mes muscles dans un état de tension palpable. Elle laisse la porte ouverte derrière elle, comme le lui avait demandé le médecin avant qu'ils n'entrent un peu plus tôt, connaissant déjà le personnage auquel il a affaire. Toujours de ce calme olympien qui tape avec force sur mes nerfs, il oppose une faible résistance face à mon souhait de partir. « Je préférerais vous garder en examen. » Mon souffle, méprisant, rirait presque de lui. Je secoue négativement la tête. « Vous savez que c'est hors de question. Je rentre chez moi. » J'ai été admis aux urgences il y a au moins trois heures, complètement inconscient après que ma tête, déjà sonnée par les coups de mon adversaire, ne soit balancée sur le coin d'une table. Cette fois, c'est lui qui a fini au poste, et moi dans une ambulance. J'ai la lèvre ouverte, une légère coupure sur l'arcade, un hématome en devenir sur la pommette droite, et une belle blessure non loin de ma tempe, du même côté, assez dissimulée par la racine de mes cheveux pour qu'elle semble moins grave qu'elle ne l'est. En soi, je vais bien. Et je ne compte pas m'éterniser ici. Il est une heure du matin passé, Joanne doit être morte d'inquiétude. Elle sait que lorsqu'il m'arrive de remplacer mon collègue des programmes du soir, je suis toujours rentré à minuit. Je vais avoir droit à une montagne de questions, et cette fois, pas même la nuit ne saura nous garder unis. J'ai déjà récupéré mon pantalon, ma chemise au col ensanglanté, et je la boutonne rapidement. « Vous ne pouvez pas conduire dans votre état, votre épaule est - » Mon épaule est rien du tout. Elle n'est pas déboîtée, ni luxée, elle a simplement été mise un peu trop à mal par l'autre abruti qui n'hésitait pas à la tordre toujours plus dans mon dos. Pas de quoi en faire tout un plat. Debout face au médecin, à moins d'un pas de lui, me dressant d'une bonne dizaine de centimètres au dessus de sa tête, je n'aurais presque pas besoin de mots pour lui faire comprendre qu'il ferait mieux de me laisser partir. « Comment vous comptez m'en empêcher ? » Je reconnais dans la seconde la petite silhouette qui se trouve par dessus son épaule. Joanne se trouve dans l'encadrement de la porte. L'enflure l'avait appelé. Je m'oblige à faire plusieurs pas en arrière, sentant que cette trahison par Winters pourrait me pousser à lui donner de bonnes raisons d'appeler la sécurité. Sous le choc de la présence de la jeune femme dans la pièce, ma bouche reste ouverte, mais muette. J'ai la gorge serrée au point d'étouffer, le coeur prêt à imploser, et toute cette colère qui me ronge depuis des heures tord et brûle mon estomac, me laissant fiévreux et les nerfs à vif. L'homme quitte la pièce. La porte reste ouverte. Je serre les dents jusqu'à m'en fissurer l'émail. « Ne me regarde pas comme ça. »
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Les jours défilaient et se ressemblaient, ce n'était même plus surprenant. Quand ils en avaient parlé, il avait été si optimiste, si sûr de lui dans ce qu'il disait. Le petit rituel de l'alarme de quinze heures n'avait pas être instauré que pour quelques jours, car il devait à nouveau se rendre à la station la semaine suivante. Et là, Joanne était véritablement seule à la maison. Avoir vu James lui avait fait un bien fou. Elle aurait bien parlé à Sophia, mais celle-ci était débordée par le travail, ce qu'elle pouvait comprendre, elle savait ce que c'était. Alors les tête-à-têtre avec le chien devenait une habitude lassante et monocorde, sans gamme de couleurs pour égayer le tableau. Et elle ne pouvait pas encore reprendre le travail, elle s'ennuyait à mourir à la maison. Il ne fallait pas s'étonner à ce qu'elle ressent les mauvais moments plus que les bons, regrettant d'avoir dit certaines choses, de rester muette sur d'autres. A élaborer des scénarios plus horribles les uns que les autres, à voir leur avenir comme un champ de ruines, rien de plus. Joanne revivait exactement le même processus que l'année passée, sauf qu'elle était vraiment toute seule, n'osant pas venir auprès de Reever après leur rencontre, la queue entre les jambes. Et il n'y avait pas son travail pour la sauver, elle ne pouvait pas retourner dans son appartement, son chez elle, car son frère s'y trouvait à ce moment là. Sophia était surchargée, elle n'avait pas eu beaucoup de nouvelles de sa soeur. Joanne était toute seule. Son compagnon la connaissait, il ne devait pas s'attendre à un miracle en rentrant tous les soirs tard du travail. Malgré eux, l'écart se creusait, leur couple ne tenait plus qu'à un fil et pourtant, ils étaient toujours sous le même toit. Les conditions physiques de Joanne s'était bien améliorée, elle commençait même à s'endormir la nuit, même si elle se réveillait à plusieurs reprises durant son sommeil. Il s'était renfermé sur lui-même, elle ne parlait plus beaucoup. Comme un vieux couple au bord du divorce, sauf que Joanne le voyait venir, cette fois-ci. Elle n'avait aucune idée de ce qui les retenait. Ce soir-là, elle savait qu'il rentrerait tard. Elle avait pris le temps de faire une très longue promenade au chien, réalisant que l'épuisement physique aidait grandement à l'endormissement. Il devait être certainement vingt-trois heures quand elle était sous la couette, toute lumière éteinte. La jeune femme vérifia une dernière fois son portable, ayant ce stupide espoir que Jamie lui aurait peut-être écrit. Elle se sentait stupide de penser à cela, réalisant qu'ils étaient bien loin des tout premiers gestes d'amour. C'était alors vidée et triste de savoir que le jour suivait n'allait être qu'une pâle copie du précédent qu'elle s'endormit. La pauvre avait oublié d'enlever le mode vibreur de son smartphone. Joanne se réveilla en sursaut, surprise de voir son médecin l'appeler à une telle heure. Allumant la lumière de sa table de chevet, elle se redressa pour prendre l'appel. "Bonsoir, Joanne." Le ton qu'il employait ne présageait rien de bon. Avant qu'elle n'ait même le temps d'y penser, Winters prit les devants concernant son tracas de ces derniers jours. "Je ne vous appelle pas concernant ce dont vous m'aviez parlé il y a quelques jours. Le bilan sanguin est à faire la semaine prochaine, vous vous rappelez ?" dit-il d'un air qui se voulait beaucoup plus rassurant. "Vous n'avez pas d'inquiétude à avoir au regard des résultats, quoiqu'il advienne, d'accord ?" "Oui..." dit-elle d'une voix basse. "Ce n'est pas pour cela que je vous appelle, c'est pour Mr. Keynes. Il nous a été ramené des ambulances, provenant d'un bar..." Inutile d'écrire la suite de son discours, Joanne savait ce qu'il s'était passé, pas la peine de lui faire un dessin. "...et connaissant sa manière de réagir, je me suis dit que vous pourriez bien être la seule à le convaincre de rester, ne serait-ce que pour faire des examens complémentaires." "Je vous l'ai dit Docteur, les choses sont très compliquées depuis mon retour à la maison et-." "Et je sais qu'il tient à vous et que vous êtes bien la seule qu'il voudra écouter. S'il vous plaît, Joanne, c'est pour son bien, et vous le savez très bien." Bien sûr que Joanne accepta de venir immédiatement, enfilant les vêtements qu'elle avait déjà préparé pour le lendemain. Un semblant de coiffage, puis elle sauta dans la voiture pour rouler rapidement, mais prudemment. Une fois arrivé au service, elle croisait une infirmière qui lui dit qu'il était vraiment remonté et bien amoché. La porte entrouverte, la jeune femme entendait son compagnon dire qu'il ne prenait plus ses comprimés. La période d'essai aurait été des plus courtes, se dit-elle, déçue. Une voix féminine et douce s'éleva dans la salle, jusqu'à ce que sa propriétaire ne sorte précipitemment de la pièce, affolée. Joanne avait terriblement de voir dans quel état il avait terminé, s'imaginant le pire. Qu'est-ce qu'il était têtu. Elle se plaça dans l'encadrement de la porte, voyant le visage déconfit et stupéfait de son compagnon -s'il était encore. Il y avait du sang partout, blessé au visage à maintes reprises. Joanne ne savait comment réagir face à un tel tableau. Son médecin lui offrit un sourire triste qui se voulait rassurant, posant une main amicale sur son épaule avant de quitter la pièce. Joanne avait eu pour réflexe de fermer la porte, et Winters intervint. "Ne prenez pas de risques Joanne, je vous en conjure." "Je sais ce dont il est capable, et je ne voudrais pas que notre discussion soit audible par tous dans ce couloir." lui chuchota-t-elle. Il la supplia du regard. "Faites-moi confiance." Puis elle ferma doucement la porte. Un lourd silence s'imposa entre eux, cela était terriblement dérangeant, bien que ça devenait presque une habitude chez eux ces derniers jours. Différentes manières de réagir étaient possibles, et la belle blonde était partagée. Elle aurait pu lui sauter dans les bras, l'inquiétude et l'amour prendre le dessus, elle aurait pu être déçue et lui en vouloir, être même en colère contre lui, elle aurait pu fondre en larmes, sentant que la situation lui glissait entre les doigts, lui qui disait qu'elle avait comblé son vide, qu'il n'allait plus cherché les problèmes dans les bars. Elle ne devenait plus rien pour lui, finissant par être une personne dérisoire qui habitait sous le même toit que lui. Peut-être un obstacle pour une nouvelle relation. Les idées étaient déjà bien réfléchies et se projetaient bien dans un avenir futur. Aucune d'entre elles ne parlait d'une belle relation d'amour, de fiançailles, de mariage, ou de famille. Joanne le fixait, avec des centaines d'émotions différentes qui traversaient son visage. D'une voix tremblante, elle baissa les yeux et dit "Tu... tu avais dit que tu essaierais de..." Elle marqua une pause, ravalant sa salive. Elle restait douce malgré tout -pour le moment. "Ca n'a pas fonctionné, apparemment." Oui, là, ce fut la déception qui décidait d'apparaître en premier, malgré.
Un nouveau pas en arrière sur mes jambe devenues tremblantes. Je me cogne contre le lit dans lequel je me suis réveillé il y a quelques minutes, et m'assied automatiquement dessus, ne tenant plus vraiment debout. Je n'ai aucune idée de ce qui m'arrive. Voir Joanne m'a désorienté, le choc de la savoir ici alors que je suis dans cet état a été terrible. J'aurais dû me douter que Winters avait appelé quelqu'un, mais je ne sais pas pourquoi, je m'attendais plutôt à un Lehyan pour me remonter le moral ou à une douce Jeanne pour me raccompagner chez moi sans un mot. Pas à Joanne qui n'a certainement pas besoin en ce moment de me savoir dans un état pareil. C'est incohérent. Je n'aurais pas pu le lui cacher. Je serais rentré à la maison avec un bras dans une écharpe, un bleu au visage, de multiples coupures et la chemise ensanglanté. J'aurais bien été obligé de tout avouer, et la situation aurait été exactement la même. Bon dieu, je suis complètement perdu dans mes pensées. Je n'ai que cette boule au ventre qui grandit de seconde en seconde, cette fièvre, cette impression d'être en train de brûler vif, et cette envie d’entraîner dans ma descente tout ce qui peut m'approcher. Le médecin ne semble pas rassuré à l'idée que Joanne s'enferme avec moi. Les voir parler de moi de cette manière, étant juste à côté, parvient à faire monter d'atroces larmes de rage jusqu'à mes lèvres. « Pourquoi tout le monde ici me traite comme un foutu animal ? » je lance à travers la pièce avant que la jeune femme ne s'isole, seul à seul, face à moi. Mes doigts se sont resserrées autour du drap sur lequel je suis assis. Je ressens la terrible frustration de ne pas être libre de mes mouvements à cause de cette fichue épaule meurtrie. La tension présente dans mes épaules et mon dos suffissent à raviver la douleur aiguë qui électrise tout mon thorax. Toutes ces émotions et ces sensations mélangées donnent envie à mon crâne d'exploser. Et il y a cette Joanne, avec ses deux grands yeux bleus désolés, déçus, qui n'hésite pas à souligner l'un de mes énièmes échecs du moment. « Je sais ce que j'ai dit ! » j'hurle malgré moi, la seule intensité de ces mots suffisant à faire sauter une seconde à la pendule. Je me force à prendre une grande inspiration -non pas pour crier de plus belle, mais pour calmer ma voix déraillant. Si je garde ce ton, Winters ne tardera pas à revenir avec de quoi m'apaiser de force. Comme pour les animaux. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?! Ces cachets m'empêchaient de bosser. » Plus que ça, ils m'empêchaient de réfléchir correctement et me laissaient l'impression d'être le spectateur de mes dires et de mes gestes, toute volonté de résistance parfaitement anesthésiée. Et je n'ai pas vécu ce que j'ai vécu, je n'ai pas traversé tout ce que j'ai traversé pour que des cachets et un clown en blouse me dictent ma manière d'être. C'était tout bonnement insupportable. « Et quitte à ne pas être capable de garder une relation comme il faut avec toi, autant que je garde mon job. » j'ajoute avec dédain et résignation. Je n'espère même pas qu'elle puisse deviner à travers la colère à que point tout ceci me fait du mal. A quel point je me blâme, je me déteste, je me hais d'être en train de tirer un trait sur la seule personne que j'aimerais autant de ma vie et de ne rien pouvoir y faire. En voulant m'empêcher de la peine, je n'ai fait que créer un état de souffrance qui ne prend jamais fin. Elle ne le verra pas. Elle n'a jamais été foutue de comprendre les réels motivations de ces crises. Elle le prendra pour elle, comme toujours. « Si ça peut te rassurer je vais très bien. J'ai pris une raclée, ça a été une bonne leçon, mais j'y retournerai sûrement demain, et tous les soirs jusqu'à ce que toute cette merde qui nous est tombée dessus me sorte de la tête. » Jusqu'à ce que elle me sorte de la tête, que je me réveille en jour en ayant oublié son nom et son existence. Mon ton remonte, je n'y peux rien ; je bous de l'intérieur et il n'y a que ma chair pour retenir cette explosion. « Déballe ton sac, fais-moi la morale, gueule-moi dessus, qu'on en finisse. L'autre abruti a dû t'appeler pour me ramener à la maison, alors dis ce que t'as à dire et rentrons chez nous. » Chez nous. Drôle de concept. Je ne suis plus sûr que cela ait vraiment encore du sens. Pourtant je m'y accroche sans raison, je m'y agrippe. Je saute sur mes jambes, comme déjà sur le départ. Sûrement trop vite, car la chambre devient bancale. Je retombe assis sur le lit.
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Le voir dans un tel état retournait l'estomac de Joanne. Elle était complètement perdue, désarmée, et l'agressivité qu'avait Jamie envers elle ne faisait que la mettre à nue, faire en sorte qu'elle soit complètement détruire, qu'il ne reste plus rien d'elle. La jeune femme se demandait ce que le médecin attendait d'elle face à un Jamie qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Elle avait déjà été témoin de miroirs brisés, de blessures plus légères, de vaisselle cassé. Mais pas d'un homme qui avait des larmes de rage qui se déferlait sur ses joues, qui criait chacun de ses mots en faisant mourir tout ce qu'inspirait la blancheur de la pièce. Il était dans un état déplorable. Elle ne le reconnaissait plus. La belle blonde se sentait incapable de répondre quoi que ce soit face à une telle rage noire. Il lui faisait peur, horriblement peur. Mais Joanne tenait à faire face à sa colère, à le regarder, à le laisser s'exprimer même si certaines de ses intonations la faisaient sursauter. Chacun de ses mots étaient comme un coup de poignard, à chaque fois, le coup de trop. Elle avait l'impression que son coeur se nécrosait, qu'il devenait aussi noire que la rage qu'il évacuait sur elle. Elle se sentait mourir à petit feu, regrettant amèrement d'avoir laissé un nouvel homme entrer dans sa vie et faire de son coeur une paupée vaudou, surplombé d'un millier d'aiguilles. Joanne se voyait comme une marionnette, une poupée fragile fissurée de partout, que l'on se permettait d'utiliser à bon coeur, jusqu'à ce qu'on se lasse d'elle, et qu'on la jète dans un coin, dans l'ombre de tous. Là, elle pleurerait, elle serait vidée de toute émotion et de toute raison de vivre, errer dans une vie qu'elle n'aurait plus voulu poursuivre. Mais il y avait ces petits points points d'accroche qui lui évitait de traîner dans la poussière et les toiles d'araignée. Il y avait Sophia, Reever, Mia, son boulot. Les seules choses qui donnaient un sens à sa vie alors que son histoire amoureuse était désastreuse en tout point. Elle restait plantée là, chacune de ses phrases la tuant une nouvelle fois. Il attendait d'elle qu'il dise tout ce qu'elle pense, qu'elle mette un terme à leur relation. Et juste après, il mentionnait le nous. A croire qu'il se fichait complètement d'elle, c'était ce que Joanne pensait du moins. Malgré elle, ses yeux se bordaient de larmes, ne sachant trop si c'était par tristesse, par déception, par colère, ou les trois en même temps. "Tu m'as menti." dit-elle d'une voix tremblotante. Pour le moment, elle restait relativement calme malgré les circonstances. Pour le moment. "Tu m'as menti depuis le début." Il y avait une certaine détermination dans son regard. Il n'y avait qu'un pas entre l'amour à la haine, mais elle n'en était pas encore tout à fait là. "Tes discours sur le fait que je comble un vide dans ta vie, que tu n'avais plus envie de te faire saigner dans les bars, c'était que du pipeau, c'est ça ?" Joanne détestait s'énerver, et ne voulait pas en arriver là. C'était rare qu'elle soit en colère et sans qu'elle ne le veuille, ce sentiment commençait un peu à monter, mais parvenait encore très bien à le contenir. "Pendant un moment, je t'ai cru, tu sais. Je t'ai cru quand tu disais que j'étais plus importante que ton travail, que tu étais prêt à faire un effort pour moi contrôler ta colère, que nous irions bien." Elle prit une profonde inspiration. "Et tu viens de prouver le contraire. Tu préférerais sacrifier une personne qui t'aime plutôt que ton boulot. Mais ça, je l'ai toujours un peu su, tu sais." Sa voix faiblissait parce qu'elle était en train de dire était tout autant blessant pour elle de l'admettre. "Qu'ABC arrivait avant moi, et je l'acceptais, je m'y faisais comme je pouvais parce que je savais que tu adores ce boulot. Je ne dis pas que c'est de ta faute, car j'avoue ne pas avoir été des plus présentes ces derniers temps. Comme tu le dis, c'est un fait." Les larmes débordaient, alors que sa voix se haussa. "Quand tu me disais que je pouvais te faire confiance, que j'étais tout pour toi, j'y ai cru. J'y ai cru pendant un moment, et je n'ai jamais été aussi stupide et naïve de ma vie." Elle porta quelques secondes sa main sur sa bouche, plissant les yeux pour évacuer les larmes avant de reprendre, sentant sa colère prendre du terrain. "Alors tu peux être en colère contre qui tu veux. Contre moi, contre le monde entier, et contre toi-même surtout, ça ne changera rien." Autant dire tout ce qu'elle se pensait. "Mais ça ne fera jamais revenir Oliver, Jamie. Jamais. Et je te jure que si en échange de ma vie, il pourrait te revenir, je le ferai. C'était ton tout à toi, et tu n'aimeras jamais personne plus que lui, tout type d'amour confondu. Jamais. Ca aussi, je l'ai toujours su." Elle le fixait, les sourcils un peu froncés. Un silence s'imposa avant qu'elle ne reprenne, avec un trop plein de sentiments négatifs qui l'embrumaient. "Il n'y a plus de nous." Aussi assassinants ces quelques mots pouvaient être, Joanne ne voyait aucune issue, même si elle l'aimait encore. "Je peux pas. Je peux plus" dit-elle dans ses sanglots. "Alors si tu veux bien m'écouter pour une dernière fois, fais ce que le Dr. Winters te dit, et reste ici le temps des examens. Il m'a sauvée la vie deux fois, je pense qu'il sait ce qu'il fait. C'est peut-être parce qu'il arrive à trop bien cerner les gens que tu le détestes à ce point." Se dirigeant vers la porte, elle conclut cette brève rencontre et ces adieux atroces, avec une voix blessée. "Je vais certainement aller chez moi, Reever sera là, et sera certainement bien content de n'avoir sa soeur que pour lui à nouveau. Et la semaine prochaine, peut-être qu'on me dirait que j'aurai été enceinte et que j'aurai sûrement fait une fausse-couche, et puis le même schéma reprendra. Tout était trop beau pour être vrai, de toute manière."
Les paroles de Joanne pleuvent sur moi comme un torrent de lames qui m'empalent et me clouent sur place. Ils traversent ma tête déjà douloureuse, mon torse pour atteindre un coeur éteint, fondent dans le brasier qui consume mes entrailles. A chaque strate que la douleur atteint, mon souffle devient plus court, incontrôlable, paniquant. Le monde devient soudainement sombre, de plus en plus sombre, jusqu'à disparaître dans l'obscurité la plus totale. Je pose une main sur mon front fiévreux et sens sans mal mon corps brûlant. Les mots pleuvent encore et toujours. La jeune femme n'hésite pas à remettre en question chaque phrase que j'ai pu prononcer, les retourner contre moi et me les jeter à la figure comme autant de mensonges et de promesses non tenues. Persuadée qu'elle passe après le travail, après la colère ; d'avoir été naïve, insinuant que je me suis joué d'elle depuis tout ce temps. Entendre des horreurs pareilles sortir de la bouche de cette personne que j'aime tant, la seule capable de me détruire au point de me mettre dans l'état dans lequel je suis à cet instant, me fait mourir à petit feu. « Arrête. » je fulmine tout bas, le regard posé sur le sol que je sens se dérober sous mes pieds, cet univers qui s'étiole, se démantèle, pièce par pièce. Mon corps tout entier est douloureux, mes oreilles sifflent, j'ai l'impression d'être au bord de l'inconscience à nouveau. Lorsqu'elle prononce le nom d'Oliver, c'est le coup de trop. Comme si le couteau venait de se planter dans ma chair, je me plie en deux et retiens entre mes dents un gémissement de douleur. Non, rien de ce que je ferai ne le ramènera. Et je ne pourrais jamais aimer quelqu'un plus que lui. Je ne peux même pas la contredire là dessus, et cette idée me rend fou. « Je t'en prie, arrête ! » je finis par lâcher, moi qui avait expressément demandé ce châtiment. Mais l'écouter était devenu intenable. Finalement, viennent les mots que j'attends depuis des jours. Ceux pour lesquels je me suis préparé, armé pour les affronter. Pensais-je. Mes yeux ronds se posent sur elle. « Quoi ? » siffle ma gorge serrée. Je me désagrège. Tout s'effondre. Je perds complètement mes moyens. J'essuie ces larmes de rage d'un revers de la main, n'écoutant plus rien à ce qu'elle peut dire. Ce ne sont que des mots d'adieu que je ne veux pas écouter. Ils ne sont pas réels. Ils ne peuvent pas l'être. « Non, ne dis pas ça. Tu ne peux pas dire ça. » je marmonne, l'observant toujours avec l'espoir qu'elle revienne sur ses paroles, d'avoir mal entendu. Ce n'est pas le cas. Joanne se dirige vers la porte et attrape la poignée, parlant de Reever, d'une autre fausse couche, je ne sais plus très bien. Cela n'a aucune importance. Je me lève rapidement, la rejoins en quelques pas et pose ma main sur celle qui tient la poignée, la refermant d'un geste sec au nez du personnel resté sur le qui-vive là-derrière -et qui sait que quelqu chose ne va pas du tout à l'intérieur. J'arrache sa main de là, attrape la jeune femme par les épaules et la plaque violemment contre le premier mur. « J'ai dit non ! » Mes doigts autour de son bras la serrent terriblement fort. Mon esprit embrouillé est totalement incohérent, je n'ai plus la moindre conscience de mes actes. Je sais juste que je dois la retenir. Faire quelque chose. Qu'elle ne m'abandonne pas. Je dois l'éloigner de la porte. C'est ça. Alors mon premier réflexe est de la pousser vers l'autre coté de la pièce, beaucoup trop fort, la faisant glisser et tomber par terre. « Tu ne peux pas me faire ça. C'est hors de question. » dis-je alors que le bruit de son corps contre le sol m'interpelle. Quand mon regard se pose sur elle, mon coeur, ma respiration, le temps s'est arrêté pour que je puisse voir autant que possible, dans les moindres détails, mon œuvre. Ma main libre se plaque sur ma bouche alors que, choqué, je perds l'équilibre et m'adosse au mur. « Oh mon dieu... » Sur le moment, je ne sais pas ce qui me pétrifie le plus. Ma violence, ou réaliser que ce geste vient de me la faire perdre pour toujours. « Joanne, je... » Mes jambes se mettent à trembler avec force, me forçant à longer le mur jusqu'à m'asseoir par terre. Je ne la quitte pas des yeux, mes paupières ne clignant plus. « Je suis… je... » désolé. C'est un mot minable dans une situation pareille qui se sait si ridicule qu'il refuse de traverser mes lèvres. Je reste là à trembler de toutes parts, terrifié. Parce que je sais à quelle scène je vais assister. Elle va se lever, partir, et ce sera la dernière fois que je la reverrais. Je replie mes jambes sur mon torse, haletant,confus, perdu. Et dans ma soupe d'incohérence, tous ses mots me reviennent, résonnent, et certains sortent du lot. « Tu es enceinte ? » je demande, ne comprenant pas pourquoi elle avait évoqué une autre fausse-couche. Cette question n'a rien à faire là dans un moment pareil, mais il me semble que je n'ai plus toute ma tête. Bien entendu, c'est le moment choisi par le médecin pour ouvrir la porte et admirer le désastre.
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Joanne était vraiment sur le point de partir, se voyant déjà éclater en sanglots dans les couloirs, retourner à son cher appartement, expliquer tout à son frère, qui la réconforterait et ferait ensore qu'elle passe une nuit sereine malgré la douloureuse décision qu'elle venait de lui prendre. Mais rien de tout ceci ne se passa. D'un coup, il se trouvait à côté d'elle, retenant la main qui était en train d'ouvrir la porte. Il referma cette dernière geste brusque, et qui n'inspirait rien de rassurant pour la jeune femme. Elle n'eut ensuite le temps de penser à rien, réalisant à peine ce qu'il était en train de lui faire. Il la plaqua avec une grande violence sur le mur juste à côté, tenant fermemant son bras, tout en criant qu'il refusait qu'elle parte. Il le serrait tellement fort que c'en était plus que douloureux, elle grimaça. Elle le supplia du regard qu'il cesse ses gestes, mais rien n'y faisait. Les larmes se déversaient toutes seules de par la douleur, la détresse et la terreur. Il avait un regard noir, quasi aveugle. Elle ne le reconnaissait plus, devenant pour lui un parfait inconnu incontrôlable, dans une rage folle. Subitement, il la poussa loin de la porte, Joanne se fracassa sur le sol. Après l'impact, elle eut la respiration totalement coupée, sentant son coeur s'alarmer du manque grandissant d'oxygène qu'il devait distribuer à son organisme, c'est avec grande peine qu'elle parvint à redémarrer la cadence, devinant le visage martyrisé de Jamie réalisant ce qu'il venait de faire. Le regard de Joanne s'éteignait même si elle avait retrouvé son souffle. Les larmes coulaient toutes seules, elle se sentait vidée. Elle avait entendu la question, et se sentait incapable de répondre, peinant à se redresser afin de s'éloigner du sol froid. "Elle ne le sera peut-être plus si vous êtes violent envers elle." lui répliqua sèchement le Dr. Winters, qui se précipita sur sa patiente affaiblie et l'aidant à la mettre assise -position beaucoup plus appropriée pour respirer. "Bon Dieu...Rapportez un peu d'oxygène, elle a du en manquer suite à la chute." dit-il rapidement à l'infirmière, qui filait cherchait le matériel nécessaire. L'agent de sécurité était là, s'apprêtant à embarquer Jamie loin de la pièce. Le médecine le stoppa dans son élan. "Ce ne sera pas nécessaire, Owen." Il le regardait d'un air incrédule. "Il vient tout juste de réaliser qu'il vient de commettre un acte qu'il n'aurait jamais pensé pas lui infliger." Le docteur était sûr de lui. "Il ne fera plus rien pour la soirée, je pense." Owen se résigna, rappelant au médecin de l'appeler au moindre signe annonciateur, puis partit. Winters regarda un long moment Jamie, qui n'avait toujours pas changé de position. Il ne bougerait pas. Il se focalisa ensuite sur sa patiente, avec une infirmière qui lui tenait un masque à oxygène et l'incitant à prendre de grandes bouffées. Winters attendit encore un peu avant de lui demander d'arrêter, et demander à sa collègue d'aider à relever la jeune femme afin de l'allonger au lit, le temps qu'elle recouvre ses esprits. Le médecine soupira, face à la complexité de la situation. Voyant que Joanne allait relativement bien, d'un point de vue médical, il laissa l'infirmière finir de prendre les constantes. Mais il avait bien remarqué qu'elle était en état de choc, peinant à réaliser ces dernières secondes et lorsque ce fut le cas, elle éclata en sanglot silencieusement, l'infirmière tentant de l'apaiser un tant soit peu. Winters se demanda ce qu'elle trouvait bien à lui dire pour qu'elle retrouve ainsi une respiration calme. Il s'installa par terre à côté de Jamie, et soupira. Il laissa régner un moment de silence avant de prendre la parole. "Elle le saura la semaine prochaine, libre à elle de vous en parler ou non." Il glissa une main dans ses cheveux. "Et si elle l'est, je ferai en sorte qu'elle ait urgemment les tests nécessaire pour savoir si l'embryon est viable, mais nous ne sommes pas encore là. Pas vrai ?" Si Joanne était enceinte, son médecin espérait sincèrement pour elle qu'elle puisse avoir un enfant en bonne santé, vraiment. "Mais que je sois bien clair, enceinte ou non, je ne permettrai pas qu'elle vive dans un environnement non adapté et des personnes capables de lever la main sur elle." Il soupira, encore incertain de ce qu'il allait dire, mais sa décision fut rapidement prise. "Je veux bien vous laisser une troisième chance, mais ce sera la dernière. La prochaine fois que je suis témoin, ou que je peux médicalement prouver d'une quelconque violence envers Joanne, j'enverrai un signalement, et vous ne pourrez plus jamais la voir." Il vit que sa patiente avait quelque retrouvé ses esprits et s'était assise au bord du lit, dos à eux -certainement une volonté de l'infirmière. Elle allait mieux, c'était déjà ça. "La dernière fois, il me semblait avoir entendu que vous disiez à Joanne d'accepter sa condition. Qu'en est-il de vous ? Avez-vous accepté la vôtre ?" Il savait que son patient devait être suffisamment détruit en réalisant ses propres actes. "Alors, acceptez que l'on vous octroie des soins, je vais voir ce que je peux vous donner comme traitement afin de limiter les effets secondaires. " dit-il en se relevant. Winters fit signe à son infirmière de quitter la pièce, surprise de la décision de ce dernier, que de laisser les deux seuls. "A la moindre élévation de voix, au moindre éclat, je la fais évacuer de cette chambre et quitter l'hôpital." dit-il fermement, avant de refermer doucement la porte derrière lui. Joanne restait pétrifiée sur le bord du lit, ses yeux rivés sur la fenêtre en face d'elle, mais qui ne regardaient rien, encore trop secouée par la violence de Jamie. Elle se retenait de ne pas verser de nouvelles larmes, tout ce qu'elle voulait, c'était fuir et continuer sa vie comme elle l'avait toujours été. Si elle en avait eu la force, elle aurait bien demandé au médecin d'appeler Sophia pour qu'elle vienne la chercher et qu'elle puisse dormir chez elle mais elle n'en avait pas trouvé la force. Appeler Mia ou Reever n'aurait qu'empirer la situation et sa meilleure amie était la seule et meilleure option.
Le regard dans le vide, posé sur le sol droit devant moi, je laisse le ballet d'infirmières et de machines récupérer Joanne au sol, l'asseoir, l'aider à respirer. Le gorille m'attrape mon unique bras libre, prêt à me jeter hors de la pièce, lorsque Winters l'en empêche. Il suffit d'un coup d'oeil pour voir que le choc m'a rendu inoffensif. L'homme me lâche, et mon bras retombe mollement par terre. Sa chute résonne dans l'intégralité de mon bras, dans mes os devenus creux, mes muscles atopiques. Mes yeux clignant à peine sont la seule trace de vie de ma part. Je ne suis qu'une carcasse vide. Ma respiration est invisible, inaudible, mon coeur est arrêté, laissant le vent hurler entre mes côtes. Mes veines asséchées laissent mourir mes membres, mes organes, mon cerveau. Perdant toute volonté d'être ici, d'exister dans cette pièce, je me laisse devenir paille et chiffon. Le bras le long du corps, les jambes s'étant peu à peu étendues sur le sol. Le regard toujours coincé dans un monde obscur. Petit à petit, je fais partie du mur et du sol. Je les laisse me happer, me vider de toute consistance. Tout est sombre, tout est profondément vide. Mon corps est une caisse de résonance pour tous les sons des personnes qui s'agitent autour de moi. Un pas devient un tremblement de terre, un mot devient un hurlement. Nulle part et partout à la fois, je me résume à une poignée de pensées qui se répètent en boucle. C'est la présence du docteur Winters à côté de moi qui me tire de toutes ses forces vers la terre et allonge mon esprit dans mon corps afin de me forcer à faire partie des humains à nouveau. Mon regard se pose furtivement sur Joanne qui se remet de ses émotions, puis retourne aussitôt sur le sol, honteux. J'écoute attentivement le médecin. Le scénario de cette hypothétique grossesse de Joanne. L'idée qu'elle puisse décider de ne pas m'en parler. La batterie de tests pour s'assurer que tout va bien. Nous n'en sommes pas là, et nous n'en serons jamais là. Plus maintenant. Il n'y a plus de nous, après tout. Je ne réponds pas à Winters. Ne bouge toujours pas. Ma tête est terriblement lourde, comme tout le reste de mon corps. Le moindre mouvement me semble impossible. L'épuisement prend le dessus. L'homme à côté de moi continue de parler. Sa voix si calme, si irritante d'habitude, m'apaise, m'hypnotise complètement. Je ferme les yeux et n'écoute que cette intonation légèrement monocorde. Je ne sais pas pourquoi il se fatigue à essayer de me faire comprendre qu'il n'acceptera pas un environnement violent pour sa patiente. Elle a déjà décidé de s'en éloigner définitivement. La question ne se pose même plus. Une troisième chance qui n'existe pas. Elle ne m'en donnera pas. J'ai été trop loin. Et elle a déjà mit fin à tout ceci. Après tout, il n'y a plus de nous. Il me menace de ne plus jamais voir Joanne. « C'est déjà le cas. » j'articule à peine. Il me demande si j'ai moi-même accepté ma condition. Je dois dire qu'en l'état actuel de mon corps et de mon esprit, j'accepterai n'importe quoi. Winters veut que je reprenne mon traitement. J'hoche difficilement la tête en signe de compréhension et d'approbation. L'homme se lève, lance un dernier avertissement, et s'en va. Je reste terriblement vide, amorphe. Mon bras, incroyablement lourd, se lève pour porter ma main à mon visage. Je n'arrive toujours pas à réaliser ce qu'il s'est déroulé à l'instant. Je ne veux pas me croire capable de choses pareilles. D'être aussi violent avec Joanne. De perdre autant mes moyens. Tout m'a échappé. Mais cela fait des semaines que tout m'échappe. Je ne me vois pas le lever pour rejoindre la jeune femme. A vrai dire, je ne me vois pas oser lui adresser la parole. Je suis bien parti pour rester complètement muet en attendant patiemment qu'elle s'en aille. « Je n'ai pas menti. » dis-je tout pas. « Tu étais tout pour moi. » Autant tout de suite utiliser le passé. Je n'ai pas les armes pour me débattre contre sa volonté de m'écarter de sa vie et la persuader de me donner cette fameuse chance. Je ne la mérite pas. « Tu es l'amour de ma vie, je le sais. » j'avoue beaucoup trop tard. « C'est une évidence depuis Londres. » Mais Londres semble bien loin. « Ca n'a plus d'importance. » je murmure pour moi-même. « Tu devrais partir, comme tu le voulais. » Autant ne pas me torturer plus longtemps. Le plus vite elle sera dehors, plus vite je pourrais commencer un long deuil du seul amour que j'aurais jamais, et que je viens de ruiner. Je retrouve assez d'énergie pour replier mes jambes contre ma poitrine, mon bras libre autour de mes genoux, le front posé sur ceux-ci pour me replier définitivement. Le vide est tel que je ne trouve même plus de larmes pour traduire ma douleur. « Je suis tellement désolé. » j'articule quand même, la honte pesant sur ma voix.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne était pendant longtemps déconnectée de tout ce qu'il se passait autour d'elle. L'infirmière continuait à lui parler, d'une voix douce, l'appelant par son prénom. C'est en levant sa tête que la belle blonde la reconnut. C'était la même soignante qui s'était occupée d'elle lors de sa dernière hospitalisation, celle qui avait un mari qui était tout aussi sanguin que Jamie. Avant qu'on ne lui demande de sortir de la chambre, l'infirmière esquissait un sourire réconfortant à cette patiente qu'elle connaissait bien. Joanne la regardait, suppliant qu'elle ne qu'elle ne la laisse pas seule avec lui, totalement terrifiée. Mais la soignante dut quitter la pièce sous les ordres du médecin. La jeune femme était restée assise au lit, dos à lui. Ses yeux, qui avaient perdu toute lueur, regardait le paysage que lui dévoilait la fenêtre. Brisbane en nocturne, avec toutes ces lumières qui éclairaient la ville, alors que la grande majorité de sa population était endormie, paisible. Joanne n'osait pas se retourner, se confronter à nouveau à lui. Elle ne savait même pas s'il était assis, debout, loin d'elle ou juste derrière elle. Quelques gouttes de sueurs froides perlaient sur son front, la respiration haletante, craignant qu'il ne lève à nouveau la main sur elle. Elle ne comprenait pas pourquoi Winters tenait à les laisser seuls à nouveau. Ce silence lourd l'oppressait, s'appuyant contre son sternum et tétanisait son coeur. Joanne ne savait pas quoi dire, ni quoi faire. Si elle devait attendre ici et partir, retrouver sa meilleure amie et absolument tout lui raconter. Elle voulait rester autant qu'elle le voulait le fuir. La jeune femme était totalement perdue. Si Reever la voyait, il lui dirait de partir de là le plus vite possible et de ne plus jamais le revoir. Ses doigts jouaient nerveusement entre eux, elle se sentait totalement paniquer, encore en état de choc. Jamais elle aurait pensé un jour qu'il serait capable d'être violent envers elle. Jamais. Il finit par briser ce silence qui devenait insupportable, et sa voix était bien audible même s'il parlait à voix basse. Jamie disait ne pas avoir menti, qu'il pensait tout ce qu'il lui avait dit jusqu'ici. Qu'elle avait été tout pour lui. Joanne se sentait stupide d'avoir espéré qu'il essaie de se reprendre, de la récupérer, de saisir la chance que son médecin venait tout juste de lui offrir. Il semblait bien résolu à l'idée de se séparer d'elle, et le marquait bien en conjuguant son verbe au passé. Ce détail suffit à meurtrir la belle blonde, et à faire déverser des larmes silencieuses mais cruelles, le long de ses joues. Tout devenait tellement réel. La douleur qu'elle avait au bras suite à une poigne trop forte, la violence de l'impact lorsqu'elle était tombée à terre, leur rupture. Joanne était tellement malheureuse, totalement désemparée. Ce qu'il disait ensuite n'arrangeait rien, avouant qu'il savait que c'était la seule et unique femme de sa vie, depuis Londres. Depuis tout ce temps, et il ne lui avait jamais dit. Bien sûr, ces paroles la touchaient beaucoup, même si elle c'était un peu tard pour faire une telle déclaration. "Pourquoi à Londres ?" demanda-t-elle, n'ayant toujours pas changé de position. Elle pensait qu'elle avait le droit de savoir l'événement à Londres qui lui avait révélé qu'elle était la femme de sa vie, parce qu'elle ne voyait vraiment pas. Jamie lui suggéra de partir, ce qui était certainement la chose la plus sensée et décente à faire. C'était ce que sa tête lui criait depuis qu'il avaient été seuls, mais la belle blonde n'avait pas bougé d'un pouce. Son coeur brisé autrement, et larmoyait encore plus de sang lorsqu'il s'excusa. "Je ne sais pas ce qui m'avait poussée à payer cette caution, mais il n'y avait pas que de la reconnaissance, il y avait autre chose." Elle haussa les épaules, et baissa la tête. "Je suppose que j'étais déjà tombée sous ton charme, par ta galanterie. Une galanterie un peu brusque certes, mais l'intention était là." Tous les beaux souvenirs qu'elle avait avec lui jaillirent soudainement sous son esprit. Bien sûr, leurs disputes refaisaient aussi leur apparition, mais elle se souvenait qu'à chaque fois, ils se comprenaient un peu mieux, et ils s'aimaient encore plus. Une relation amoureuse étrange et intense qui avait fonctionné pendant quelques mois. Joanne imposa involontaire un long temps de pause, avant de demander, noyée dans ses sanglots. "Pourquoi tu m'as fait ça ?" Elle se retourna, pour le voir toujours assis contre le mur, comme une marionnette sans vie. Elle le regardait, plus malheureuse que jamais, apeurée, attristée de la situation et d'en être arrivés là. "Pourquoi tu as levé la main sur moi, Jamie ?"
Je ne sais pas pourquoi Joanne ne s'empresse pas de quitter la pièce plutôt que de risquer un nouveau tête-à-tête avec moi. Elle ne bouge pas, elle ne dit rien. Peut-être attend-t-elle de se remettre un minimum de son choc, réunir ses esprits, avant de passer la porte. Ce n'est qu'une questions de minutes. Loin de réclamer cette troisième chance dont le docteur Winters parlait tout à l'heure, je laisse quand même quelques mots s'échapper. Si c'est réellement la dernière fois que je la vois, alors il reste quelques pensées à exprimer avant qu'il ne soit trop tard, et qu'elle s'en aile sans jamais en avoir connaissance. De toute manière, je n'ai plus rien à perdre à dire ce que j'ai à dire. Tout est déjà terminé. La fin tend un peu en longueur, le temps qu'elle et moi réalisions que tout cela est bien réel. Et quand Joanne prendra conscience de la douleur provenant de son bras, de la violence dont elle a été victime, je ne doute pas qu'elle trouve le moyen de réunir rapidement assez d'énergie pour sortir et s'éloigner aussi loin de moi que possible pour le reste de ses jours. En attendant, elle reste immobile, demandant même pourquoi Londres avait fait d'elle l'amour de ma vie. « Est-ce que ça importe vraiment maintenant ? » dis-je pour esquiver la question. Après tout, que je lui raconte ou pas, cela ne changera rien. La jeune femme reprend la parole pour évoquer le soir de notre rencontre. Cette fichue caution qu'elle n'aurait jamais dû payer. Le soir où je n'aurai jamais dû intervenir. Quand nos chemins auraient mieux fait de se croiser brièvement, et non pas de prendre la même direction. Elle pense qu'il y avait déjà quelque chose à ce moment là. Je ne pourrais pas la contredire. C'est sa présence au poste de police qui a tout déclenché pour moi. Le même regard de peur et de déception qu'elle m'avait lancé ce soir là et m'avait fait sentir comme un monstre. Ces deux magnifiques yeux bleus m'avaient immédiatement fait perdre la raison. Il y avait déjà quelque chose ce soir là. « Maintenant tu sais que la première impression est toujours la bonne. » je murmure avec un sourire triste. Comme si l'ironie de la chose pouvait être drôle. Tout a commencé au poste, et prend fin à l'hôpital, dans lequel elle avait toujours redouté que je puisse terminer. Que cette situation précise puisse arriver. Je n'aurais pas été capable de lui donner tort. Le silence ayant reprit ses droits, je me recroqueville, m'isolant de cette réalité qui m'oppresse. Puisqu'elle s'est exprimée, je suppose que c'est mon tour. Comme je le disais, je n'ai rien à perdre à tout dire. Alors je me décide à répondre à sa précédente question. « En réalité, après le gala, je savais déjà que j'avais besoin de toi dans ma vie. Ensuite, tu m'as appris à aimer, et... » Elle m'a désarmé, mit à sa merci, sans que je puisse opposer la moindre résistance, parce que chaque moment passé avec elle m'inspirait l'envie d'en vivre d'autres, toujours plus, immiscent rapidement cette dépendance en moi. Jusqu'à ce que je ne puisse plus me passer d'elle. Le regard toujours posé sur le sol, ce rictus triste et nostalgique ne me quitte pas alors que je reprends ; « Je me souviens de la manière dont tu m'as défendu à Londres, toute seule face à un Lord et sa femme. Jamais personne n'avait fait ça pour moi. Et toi tu étais si déterminée malgré la situation, si forte et fragile à la fois. » Je n'ai aucun mal à me repasser la scène dans les détails. L'éclat farouche dans son regard, leurs mines déconfites. Je ne pouvais rien faire d'autre que l'observer, l'écouter et l'admirer. « Tu étais parfaite. » Tiens, une larme s'échappe de mes yeux secs. Je l'essuie rapidement du dos de la main. C'est peut-être étrange que ce soit un moment pareil qui m'ait fait réaliser que Joanne serait définitivement la femme de ma vie. Cela peut sembler égoïste, ou être interprété comme une simple volonté de provocation envers mes parents. Pourtant, c'est précisément quand j'ai entendu la porte claquer derrière elle que tout est devenu cristallin à mes yeux. C'était elle, et personne d'autre. « J'étais si fier de toi, et d'avoir la chance d'être aux côtés d'une femme pareille. Après ça, et après tous les merveilleux moments passés tous les deux, c'était une évidence qu'il ne pouvait y avoir que toi. Je me souviens être sorti te rattraper en leur disant que... » Je m'interrompt avant de me laisser un peu plus emporter par la joie que véhiculent ces souvenirs. J'aimerais lui dire qu'en la prenant dans mes bras ce jour là, j'étais devenu déterminé à tout faire pour qu'elle devienne un jour ma femme. Mais je ne veux pas risquer qu'elle me jette ce nouvel échec à la figure. De toute manière, que peut-elle bien avoir à faire d'une information pareille à ce moment ? « … qu'importe. » Joanne se tourne finalement, et même si je lutte contre le magnétisme de son regard bleu, je ne peux pas empêcher le mien de se laisser happer par ces prunelles désespérées. Tout mon corps tremblant supplie qu'elle me croie quand je lui dis ; « Je ne le voulais pas, je te le jure. » Jamais je n'aurais pensé lui faire du mal un jour. Impensable. Impossible. Comment aurais-je pu lever la main sur la personne qui compte plus que tout au monde pour moi ? Mon univers. Ce n'est que pure auto-destruction que de violenter celle qui donnait un sens aux jours qui passaient. Pourtant, c'est un fait, j'en ai été capable. La colère s'est emparé de mon bras, et la frêle jeune femme ne pouvait absolument rien faire contre cela. Je n'ai pas mesuré mes gestes, je n'avais aucune conscience de ce qui se passait. Je l'ait fait. Cette idée me rend malade, la nausée s'empare de moi en bonne traduction de tout le dégoût que je peux ressentir pour moi-même. Le choc revient, et je pose ma main sur ma bouche ouverte, à la recherche d'une explication qui ne me vient pas. « Je… Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. » j'avoue non sans désespoir. Je n'ai rien contrôlé, toute la situation avait semblé complètement irréelle, floue. Je ne me souviens même plus des détails de la scène. Seulement d'avoir retrouvé mes esprits lorsque j'ai entendu le corps de Joanne tomber au sol. Revoyant si précisément la jeune femme par terre, terrifiée, à court d'air, ma propre respiration s'arrête avant de s'emballer soudainement. Je panique. Fermant les yeux, je me force à prendre une seule grande, longue inspiration pour me calmer. « Je ne voulais pas que tu partes. » je trouve comme unique explication. Après tout, c'est la seule chose qui m'est passé par la tête à ce moment là. L'empêcher de partir. Je me recroqueville un peu plus, si cela est possible, enfouissant mon visage entre mon torse et mes genoux. « Je ne veux pas que tu partes... » je souffle comme je peux à travers une gorge m'étranglant. Mes yeux retrouvent leur lit de larmes qui restent coincées au bord de mes paupières. Je songe à la bague que je m'achèterai pas. A l'idée qu'elle puisse être enceinte et décider de ne rien me dire. D'être à l'origine d'un nouveau cycle de malheurs pour Joanne, comme elle le dit. « Au final c'est ma peur de te perdre qui fait que… je te perds. » dis-je en relevant doucement la tête, perdu dans cet immense vide qui me bouffe toujours plus. « Je peux m'éloigner de la porte, si c'est ce qui t'empêche de partir. » Mon regard n'ose plus se poser sur la belle. Je ne fais que détruire ma lèvre inférieure en attendant de pouvoir détruire n'importe quoi d'autre.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Trois semaines plus tôt. "Et malgré tout ça, comment aviez-su que c'était lui, et personne d'autre ?" L'infirmière soupira tout en réglant quelques machines dans la chambre de Joanne. "On était sur le point de se séparer. J'arrivais plus à supporter ses crises de jalousie, ses colères ingérables. J'ai beau être forte de caractère, je tenais plus le coup. Alors pour vous, ça devait être..." Elle rit, gênée de rabaisser Joanne. Cette dernière lui adressa un sourire rassurant. "Enfin vous voyez. Je peux pas tout raconter dans les détails, mais c'était dans un moment vraiment pas joyeux de notre couple que j'ai vraiment réalisé qu'il ne trouvait aucun autre moyen d'exprimer ses choses par sa colère. Parce qu'il ne trouvait pas d'autres moyens, parce qu'il était un peu paumé, parce qu'il ne connaissait pas d'autres émotions que ça." La soignante rit. "Et maintenant, je suis mariée et j'ai deux gosses." "C'est une belle histoire." dit doucement Joanne, espérant qu'il en soit de même pour elle. "Mais au début, c'était pas tout rose non plus, un peu comme vous. Comme il vient vous voir tous les jours, même si ça paraît trop bizarre entre vous, ça se voit qu'il ne voit que vous dans sa vie. J'trouve ça beau." Elle avait une voix un peu grave, malgré sa fine silhouette et sa longue chevelure noire. "Après, je connais pas assez votre couple pour dire tout ça. Mais de ce que vous m'en avez raconté, et de ce que je vois, c'est pas des amourettes transitionnels, quoi." On toqua soudainement à la porte, une collègue venant chercher l'infirmière car elle avait besoin d'elle. En quittant la chambre, elle ajouta. "J'vous jure, Miss Prescott, le jour où ça vous arrivera, où vous comprendrez, tout sera tellement plus clair, et là, vous saurez tout de lui. Je dis pas que ce sera le moment le plus joyeux de votre vie, mais ce sera le moment où vous saurez si oui ou non vous voulez avoir de beaux vieux jours avec lui. Ca m'est arrivé, et je vais paraître totalement cul-cul-la-praline, mais j'y crois. J'y crois pour vous, en tout cas."
Le fait d'avoir revu la même infirmière qui s'était principalement occupée d'elle lorsqu'elle était hospitalisée lui remémora beaucoup de conversations que la belle blonde avait eu avec elle. La soignante avait aussi un compagnon qui ne faisait pas dans la dentelle. Le reste de leur histoire était bien différente de la sienne, mais elles trouvaient de nombreux points communs. Joanne écoutait aussi Jamie, qui disait qu'il savait qu'il avait besoin d'elle dans sa vie après ce fameux gala, qu'on ne l'avait jamais défendu comme elle l'avait fait face à ses parents. Il avait même été fier d'elle, il disait qu'elle était parfaite. "J'étais juste... très en colère." marmonna-t-elle, songeuse. Il en fallait beaucoup pour la faire sortir de ses gonds, et les parents Keynes avaient fait fort. Le peu d'amour qu'ils avaient pour lui la mettait hors d'elle, pas étonnant qu'après avoir vécu dans un schéma familial pareil, Jamie ne voulait s'en créer un. "Ils n'ont pas le droit d'être aussi odieux avec toi." Même si c'était ses parents. Penser de telles choses de son fils était un fait épouvantable. Il méritait beaucoup plus que cette famille de fous. Chacune de ses paroles la touchait, même lorsqu'il parlait de ses précédents gestes. Joanne le regardait, cherchant simplement à le comprendre, même si elle avait peur de l'approcher. Il semblait confus, tellement terrifié par ce qu'il venait de faire. Jamie ne s'en remettait pas, haïssant chaque partie de lui-même. Elle le voyait bien se noyer dans ses remords sans arriver à en sortir, admettant qu'il ne voulait pas qu'elle parte. Appuyée sur le lit, elle le vit fuir son regard d'autant qu'il pouvait. Si la belle blonde n'avait pas cette crainte de s'approcher de lui, elle l'aurait certainement enlacé. Maintenant, elle savait. "Tu n'as pas non plus le droit d'être si odieux envers toi-même." dit-elle d'une voix douce, mais ferme. La jeune femme ne savait pas sur quel pied danser, où commencer. Elle ne voulait pas quitter la pièce, ça, c'était certain. "Te voir t'autodétruire constamment est une chose épouvantable à vivre, Jamie." lui avoua-t-elle. "A chercher la moindre petite bête et à te le reprocher constamment, jusqu'à ce que tu t'octroies une certaine mutilation en guise de pardon. Et ça me fait tout autant de mal à chaque fois." Ses yeux s'étaient bordés de larmes. "Tu as le droit d'être en colère, furieux, même si j'ai très très peur quand tu cries comme ça. Mais arrête d'être en colère contre toi-même, à te blâmer les moindres imperfections de notre relation." Elle haussa les épaules. "Parfois, il n'y a aucun fautif." Marquant un temps de pause, elle s'éclaircit la gorge. "Accepte le fait d'être heureux, de mener une belle vie. Tu y as autant droit que n'importe qui." Sauf ses parents, peut-être. "Parce que tu ne me perds pas." dit-elle d'une voix beaucoup plus basse. Ils savaient tous les deux qu'ils ne pouvaient pas vivre l'un sans l'autre. Qu'à partir du moment où Joanne franchirait cette fichue porte, tout était fini, il n'y aurait plus de vie heureuse. "Et je ne dis pas ça par peur, mais parce qu'on sait tous les deux que ce n'est pas possible autrement." Cela faisait penser aux voeux de mariage : pour le meilleur et pour le pire. "Il y a nous, ou il n'y a plus rien de tout." Une vérité qu'elle acceptait volontiers. "J'ai promis à Oliver que je prendrai soin de toi, après tout." Cette fameuse petite conversation à sens unique qu'elle avait fait lorsqu'elle était près de sa tombe. C'était stupide, mais Joanne croyait qu'il l'avait entendu, où qu'il pouvait être. "Mais j'aimerais beaucoup que tu écoutes le Dr. Winters et que tu restes un peu ici, faire ce qu'il doit être fait, d'accord ?." Elle avala difficilement sa salive, espérant qu'il accepte cette troisième chance. "Et moi, je retourne à... la maison. Tu vois, je ne pars pas." Il fallait bien une ombre sur ce tableau, mais c'était plus fort qu'elle, même si c'était tout à fait compréhensible. "Mais, je pense qu'il va me falloir un certain temps avant que tu me... touches, à nouveau." Même pour un simple baiser. Qu'on lui laisse un peu de temps.
Coincé dans un monde sombre où un sifflement constant résonne à travers tous les os, j'en envie de disparaître. Ce bourdonnement aigu est insupportable, il perce mon crâne de toutes parts. Il va finir par me rendre fou. Alors que j'attends patiemment, dans mon coin, que Joanne daigne mettre fin à ma torture en quittant la chambre pour de bon, elle ne semble pas être sur le départ. Je n'ai sûrement pas fini de me prendre quelques phrases cinglantes de plus pour peaufiner ces adieux trop longs. Après tout, elle doit en avoir lourd sur le coeur, après ces dernières semaines. Ce n'est pas ce qui arrive. Ma tête, terriblement lourde, se soulève doucement, et mon regard perdu se pose sur la jeune femme pendant qu'elle me somme d'arrêter d'être aussi cruel envers moi-même. Disant souffrir du mal que je peux me faire. Petit à petit, mes yeux se plissent, mes sourcils se froncent. Je comprends tout ce qu'elle me dit, mais pas la raison de ses paroles. Pourquoi se fatigue-t-elle encore avec moi, à essayer de me raisonner, de comprendre ? Elle perd son temps ici alors qu'elle a bien mieux à faire ailleurs. Toute chose est plus censée à faire du moment qu'elle a lieu hors de cette pièce et loin de moi. Je me vois à des années lumières du bonheur qu'elle veut que j'accepte -et qu'elle m'a arraché quelques minutes plus tôt. Et puis, elle dit que je ne la perds pas. « Qu-… Qu'est-ce que... » je marmonne, persuadé d'avoir mal entendu. Ce n'est pas après s'être fait violenté, malmenée, qu'elle peut décemment se raviser, revenir sur sa décision et rester. Ca n'a aucun sens, aucune logique. Elle ne peut pas être en train de faire ce pas vers moi alors qu'elle devrait courir vers la sortie la plus proche. Je suis complètement perdu, préférant ne pas croire ce que j'ai cru entendre afin d'éviter tout faux espoir. Néanmoins, elle poursuit et ses paroles confirment cet inexplicable retournement de situation. Il y a nous, ou plus rien du tout. Ces mots me touchent au coeur. Lui insufflent le premier battement qui me ramène dans le monde des vivant. Littéralement bouchebé, je la laisse poursuivre dans un parfait mutisme. Un rire nerveux, terriblement triste et soulagé à la fois s'échappe de mes lèvres entrouvertes lorsqu'elle évoque sa promesse à Oliver. J'ai parfois du mal à cerner cette sorte d'affection que Joanne a pour un fantôme qu'elle n'a jamais connu. Elle me demande de rester à l'hôpital, faire les examens que Winters veut me faire passer. Je n'ai pas réellement le choix. Et puis, je ne vais clairement pas si bien que ça. D'un signe de tête, je fais comprendre que je compte bien rester cette nuit, et le temps qui semblera nécessaire. Je vais aussi reprendre le traitement que le médecin m'avait prescrit. Aller mieux. Elle, elle dit rentrer à la maison. Je souris à nouveau. Elle ne pars pas. Elle est sûrement complètement folle pour prendre une telle décision, mais je ne compte pas la contester, trop heureux qu'elle soit revenue sur ses paroles. Qu'il y ait encore un « nous » quelque part. « Donc tu… Tu as vraiment dégagé tout ce qui peut être raisonnable de ta tête, hein. » je dis en ravalant les dernières larmes qui trônent au bord de mes yeux. Je déglutis difficilement, ma gorge restant obstruée par l'émotion. Joanne précise qu'elle aura besoin de temps avant que je puisse approcher de nouveau. La distance entre nous deux me l'avait déjà fait deviner. « Oui, je… je comprends. » dis-je en baissant les yeux, toujours aussi honteux. De toute manière, je ne me serais pas vu réussir à avoir assez confiance en moi-même pour la toucher dans l'immédiat. Pour quelqu'un comme moi, cela risque d'être particulièrement difficile. Plus un geste pour traduire mon affection avant de nombreux jours. Mais je ne peux que l'accepter. J'ai mérité cela, et elle a bien raison de prendre son temps avant de m'accorder ce doit à nouveau. Le plus important reste qu'elle m'offre une nouvelle chance, alors que cela était inespéré. « Je ne sais pas comment te remercier... » dis-je avant d'essayer de me lever. Chose laborieuse. Je parviens tout de même à me dresser sur mes jambes, malgré le sol flottant et la perceuse qui tourne à vide dans mon crâne. Je reste adossé au mur pour m'aider. Il faudra que j'appelle la radio pour leur dire que je serais absent demain. Roxy va me tuer. Eggsy aussi. Et je vois déjà Daisy se faire un sang d'encre. Mais pas tout de suite. « Est-ce que tu… Tu resterais un peu ? Je ne suis pas fan des hôpitaux. » Je ne tiens pas à être seul dans cette salle blanche. J'ai connu un tas de salles blanches dans ce genre. Mais jamais à la place du patient. J'ai eu cette chance, jusqu'à aujourd'hui. Et la lourde tâche d'accompagner toutes les personnes que j'aime ou que j'ai pu aimer dans ce genre d'endroit. M'installer dans ce lit m'angoisse au plus haut point. Une sensation de chaleur sous mon nez me fait passer le dos de ma main au dessus de mes lèvres. Elle se recouvre de sang. L'écoulement laisse échapper une goutte rouge venant s'écraser au sol. « Merde. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Il avait le droit de ne pas comprendre sa décision, Joanne n'était pas sûre d'elle-même non plus. Elle ne réalisait pas trop ce qu'elle faisait, et eut un léger mouvement de panique lorsqu'elle le vit plein de reconnaissance. Une ambivalence s'installait en elle, songeant à ce que penseraient Reever et Sophia. Elle l'aimait, il n'y avait aucun doute là dessus, mais peut-être pas suffisamment pour inhiber cette peur, maintenant qu'elle savait ce dont il était capable de lui infliger s'il était trop aveuglé par sa colère. Jamie revenait sur ce qui était raisonnable ou non. La jeune femme haussa ses épaules, regardant le sol. "C'est peut-être plus raisonnable que de te laisser seul, et savoir que tu continuerais à te détruire de toutes les façons possibles." Elle pensait que les options qu'elle avait en tête avaient chacune sa part de raisonnable et de sens, tout dépendait des points de vue ensuite. Il disait comprendre qu'il ne pouvait plus s'approcher d'elle physiquement, mais elle savait que cela serait particulièrement difficile pour lui, lui qui avait toujours eu plus de facilités à exprimer ses sentiments pas le toucher et par les gestes. Joanne croisait ses bras, son regard scrutant toujours le sol. "Et je ne peux pas te garantir que j'arriverai à rester à la maison." En y repensant l'esprit un peu moins embrumé, elle se rendait compte à quel point lui dire qu'il y avait encore peut-être un nous était totalement insensé, fou. "Tu n'as pas à me remercier." Parce que c'était encore très loin d'être gagné. Joanne était totalement perdue, à peser le pour et le contre de s'éloigner totalement de lui ou de lui laisser cette chance. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, d'être aussi partagée et déchirée, à penser qu'il n'y aurait pas de beaux jours pour elle si elle venait à le quitter définitivement. "Je sais pas, je ne sais plus vraiment." avoua-t-elle, cherchant de trouver une issue une idée qui faisait office d'un compromis, mais rien ne lui venait à l'esprit. Joanna avala difficilement sa salive, les larmes aux yeux, bien trop dépassée par la situation. "Je pense qu'il va falloir que je mette certaines choses à zéro. Et toi aussi." Elle s'éclaircit la voix, espérant qu'il ne prenne pas tout ceci en mal, mais qu'il remarque que tout ne serait pas rose non plus pour les temps qui courent. Ce ne serait certainement pas qu'une question de quelques jours, mais beaucoup plus longtemps. "Je ne dis pas qu'il faut tout recommencer mais... je peux pas reprendre tout ça comme si rien ne s'était passé." Son bras lui faisait toujours mal, et elle se souvenait très bien de la manière dont elle avait le souffle coupé lorsqu'elle était au sol. "Je ne reviens pas sur mes paroles, je serai là." Elle fit une profonde expiration pour calmer ses larmes et être en mesure de dire ce qu'elle pensait. Encore une fois, elle avait parlé beaucoup trop vite, écoutant son coeur, mais il était certainement temps d'être un peu plus dans la raison. "Tu disais que tu ne supportais pas l'idée que je puisse avoir peur de toi ou de ne pas avoir confiance en toi." Jamie s'était levé avec difficulté depuis, les yeux bleus de la jeune femme fixait son regard, aussi difficile que cela pouvait être. "Et je te mentirai si je te disais que ce n'est pas le cas, surtout après..." Tout ça. "Nous avons tous les deux besoin de temps, chacun de son côté." conclut-elle, se rendant compte de son ambiguïté, du méli-mélo parfait de ses paroles, de ses incohérences. Jamie devrait comprendre ses réactions. S'il savait qu'elle aimait, mais qu'elle avait peur de lui, il comprendrait qu'elle freine sur certains points. D'un air gêné, elle se devait de refuser de rester avec lui. "Je... je préférerais rentrer." dit-elle d'une voix timide. Joanne en avait assez de voir ces machines, ces lits, même si le personnal soignant avait toujours été adorable avec elle. "Je...J'ai besoin de prendre l'air." Et c'était bien vrai. Elle en profiterait certainement pour écrire à Sophia, en passant. Soudain, Jamie se mit à saigner du nez. Au lieu de s'approcher de lui et de s'occuper de lui, elle se dirigea d'un pas hâtif vers la porte pour l'ouvrir, et demander de l'aide. "Dr. Winters, il...il s'est mis à saigner du nez." Un de ses confrères, beaucoup plus jeune -certainement un interne-, allait voir son patient, tandis que le médecin s'approcha de la belle blonde. "Vous avez un endroit où dormir ?" demanda-t-il, gentiment. "Et que vous ne soyiez pas seule, pas dans cette maison." ajouta-t-il avant même qu'elle n'ait eu de répondre. "Je peux demander à... ma meilleure amie, peut-être." "Elle comprendra, Joanne." Il soupira. "Ce n'est pas rien, ce qu'il vient de se passer. Je sais que les quelques séances que vous aviez passé avec le psychologue l'année dernier ont été laborieuses, mais vous ne pouvez certainement pas garder ça pour vous. Alors je vous demande de venir me voir, dès que vous vous sentez prête pour en parler." Il la guida pour l'éloigner un peu de la chambre. "Vous n'êtes pas seule, Joanne. Et vous ne le serez jamais."
Forcément, je me suis réjoui trop vite. Comment pouvais-je penser que Joanne allait me donner une nouvelle chance aussi facilement ? Le soulagement s'en va bien vite quand je comprends, phrase après phrase, ce qu'elle essaye de me faire comprendre. Elle qui disait ne pas partir va sûrement quitter la maison, m'y laissant seul à nouveau. Pour ça, c'est sûr, je n'ai pas à la remercier. Je ne vois pas en quoi un retour chez elle serait une bonne chose pour nous deux. La jeune femme sait bien à quel point mon travail, si prenant, va nous empêcher de nous voir -c'était bien la raison de son emménagement. Je vois cela comme plus qu'une volonté de s'éloigner. Plus pernicieux que cela. Elle cherche à instaurer une période transitoire. Pas vers une continuation de notre relation, mais vers sa fin. Après tout ceci, si elle quitte la maison, je sais que nous nous verrons à peine, que même lorsque j'aurais un moment à lui accorder, elle ne voudra pas forcément me voir. Que chaques retrouvailles seront froides, marquées par autant de distance physique qu'affective, difficile à vivre. Et que cela nous poussera tout naturellement à les raréfier, jusqu'à ce que le temps fasse son œuvre et nous sépare sans même que nous ne nous en rendions compte. Elle appelle ça une remise à zéro, je vois ça comme un recul jusqu'à une case qui nous permettra de prendre chacun une route différente petit à petit. Parce que personne ne voudrait, ne pourrait, vivre auprès de quelqu'un d'imprévisible, de capable de lui faire physiquement du mal. Même les années ne pourraient lui faire accepter une idée pareille. Tout ce que le temps lui offrira, c'est la chance de rencontrer quelqu'un d'autre, quelqu'un qui lui fera réaliser qu'elle n'a pas besoin de moi. Le fait est qu'elle revient sur ses paroles pour la seconde fois de la soirée. A demi-mot, certes, mais l'idée est la même. Bête et naïf que j'ai été. Il y a nous ou il n'y a rien. Que de jolies choses auxquelles je n'aurais pas dû croire. Joanne va jusqu'à refuser de rester. Après les journées entières passées à son chevet à l'hôpital, dans ce lieu que je déteste, puis à rester à ses côtés à la maison, même en temps que simple présence, et ce malgré la blessure infligée par ses secrets, elle, elle me laisse seul. L’écœurement me fait sourire. Bien sûr qu'elle s'en va. Comment ais-je pu croire le contraire ? Mon coeur est en morceaux, mais je n'en montre rien. A vrai dire, je suis presque soulagé que le sang s'échappant de mon nez vienne interrompre cette conversation sans queue ni tête. La jeune femme s'en va chercher le médecin, mais c'est un jeune homme qui vient s'occuper de moi. D'un coup d'oeil à travers la porte ouverte, je la vois tourner le dos et partir avec le docteur. Anéanti, je m'assied sur le lit. L'interne essuie le sang, bloque l'orifice et m'invite à retrouver ma place de patient, au fond de ce fichu lit. N'ayant de toute manière plus le choix, je me déshabille et enfile l'affreuse blouse d'hôpital qu'il m'a laissé sur le côté. Perdu dans mes pensées, dans le néant, je ne saurais dire combien de temps a pris Winters avant de venir. Pendant qu'il inspecte mes pupilles, je murmure ; « Vous m'avez eu, tous les deux. » Il fronce les sourcils, ne comprenant pas ce que je veux dire par là. « Vous vouliez qu'elle me fasse rester, et elle a réussi. » Au fond, cette mascarade, c'était uniquement pour ça. Jouer sur mes sentiments pour elle afin de me persuader d'accepter de faire la batterie de tests que l'homme voulait que je fasse. Ce n'est pas pour rien si Joanne insistait à ce sujet constamment. « Elle tient à vous et - » « Non, elle… Elle a juste trouvé un moyen plus diplomate de dire qu'elle veut prendre ses distances, et vous savez bien ce que ça veut dire. Ca ne change rien. » Bien sûr que je la perds. Elle en parlera à Mia, Reever et Sophia, et tous ancreront un peu plus dans sa tête l'idée qu'elle doit m'oublier. Ce qu'elle fera. Et je suis seul face à ça. Je n'ai pas d'armes pour empêcher cela d'arriver. « Reprenez-vous. Vous avez commis quelque chose de grave. C'est à vous de l'assumer, et de le réparer. » lance fermement le bon docteur. « Je ne... » « Arrêtez de vous apitoyer. Donnez-vous plutôt les moyens de la garder près de vous, si c'est ce que vous voulez. Personne ne le fera à votre place. » Mon regard bordé de larmes est planté dans le sien. Il peut y lire tout mon désespoir. J'aimerais être optimiste, mais cette fois, j'en suis incapable. Je suis fatigué, blessé et perdu. Il pose sa main sur mon épaule, comme pour donner du courage à un petit garçon, avant de continuer ses examens. Je suis rapidement envoyé faire un scanner et une radio, mais je ne reste pas éveillé assez longtemps pour connaître les résultats. Je suis assommé par les différents produits qu'on m'injecte pour faire cesser les bourdonnements dans mes oreilles, et je pense que tout le monde est bien content que je me tienne aussi tranquille. Je dors toute la journée suivante d'une traite, laissant l'hôpital appeler mon travail pour leur dire que je ne serais pas de retour avant la semaine prochaine. La journée suivante aussi. J'ai besoin de repos. Les paupières closes pendant la quasi totalité de mes quarante-huit heures de séjour, je rattrape trois années d'épuisement physique et moral. Mais la vérité est que la simple idée de retrouver une réalité devenue trop difficile à supporter suffit à m'enfoncer un peu plus dans le sommeil. Je crois que je n'ai tout bonnement aucune envie de me réveiller.