Le rouge l'obnubilait depuis une bonne minute déjà.

Elle l'avait fait tourner d'un sens comme de l'autre de sa coupe, y plongeait son regard à défaut de ses lèvres, alors qu'elle prenait son temps Chloe, qu'elle appréciait l'instant, qu'elle savourait avant même d'avoir goûté. Les voix autour d'elle ne la dérangeaient pas, elle écoutait à peine, s'intéressait encore moins. C'était le vin qu'elle avait choisi qui la ravissait, elle avait besoin de peu. Le vignoble qui fourmillait de gens autour d'elle faisait office de scène secondaire.

On n'aurait pas pu dire, encore moins prévoir, mais elle était venue seule, elle n'avait besoin de personne pour l'instant. Elle n'avait pas nécessairement besoin d'entretenir de conversation ni même de se sentir écoutée, sa silhouette installée au comptoir aménagé extérieur évoluait bien malgré elle. Et elle y goûte enfin au vin, elle le savoure. Le sourire en coin qui doucement remonte, celui satisfait de son choix, celui satisfait de pouvoir en profiter sans rien brusquer, pas du tout pressée.

Elle a remarqué que d'autres gens étaient présents, elle a senti des regards sur elle, la seule âme esseulée au bar qui ne demande rien à personne. Mais elle le sent aussi, la brune, lorsqu'une silhouette vient se poser à ses côtés, qu'elle sent du mouvement sans même regarder. On commande de quoi boire, elle hausse un sourcil intéressé à l'appellation. Loin d'elle l'idée d'être impolie, elle jette tout de même un coup d'oeil à la bouteille lorsqu'on la pose devant la personne à ses côtés, assez pour que ça se remarque, assez pour que sa bulle de confort, son cocon de solitude soit compromis.

Alors elle ose, elle est curieuse, elle arque la nuque, intriguée, vers l'étiquette qu'elle lit avec un peu trop d'intérêt il faut l'avouer.

« J'échange une coupe de la mienne contre une de la vôtre. » et elle est bonne joueuse Chloe, il faut tout de même le lui donner. Lorsqu'elle fait glisser sa bouteille vers l'inconnu, lorsqu'elle la lui tend en guise de drapeau blanc.

Feels like quicksand

Chloe & Loan

Observer les gens, le théâtre de la vie un verre de vin à la main.

Tout ce que je voulais, c’est faire plaisir à mon père. Il a enchaîné les examens de santé cette semaine et il avait besoin de sortir de la maison pour se changer les idées. Je ne voulais pas l’entraîner de force dans mon monde pour une énième représentation de théâtre, alors on est parti en direction de Bayside et du vignoble Sirromet. Mon père aime le bon vin et je sais qu’il rêve de faire une dégustation de vin depuis des années. C’était l’occasion idéale. Profiter du beau temps. Lui changer les idées. Cela devait être un bon moment père/fils comme on n’en avait pas fait depuis un moment. Je n’avais pas prévu que l’on tombe sur son meilleur ami d’enfance et sa femme. Je n’avais pas prévu de me retrouver seul à ma table.  

J’observe mon père qui ne cesse de sourire et de rire. Il écoute attentivement les conseils de l’œnologue, mais se marre comme un gosse avec son ami en même temps. Cela fait plaisir de le voir aussi heureux. En revenant ici, il a retrouvé ses amis, ses racines, il est beaucoup moins seul. Je vois qu’il me jette des regards, mais je lui fais signe de ne pas s’inquiéter. Après tout, l’endroit pourrait être pire. Une vue magnifique sur l’Océan, un beau soleil et du bon vin. Étant donné que mon père semble bien occupé, je laisse ma table et me dirige vers le bar bien moins occupé. De là, j’ai une vue stratégique sur l’ensemble de la pièce, mais également sur l’extérieur. Parfait pour m’occuper l’esprit. J’ai toujours aimé observer le monde qui m’entoure. C’est ce qui me permet parfois d’apprendre des expressions dont je me servirais plus tard sur scène.

Je l’ai remarqué la brunette seule au bar. Elle paraissait en parfaite contemplation devant son verre. Comme si en fixant ce dernier, elle allait deviner le goût du liquide. Cela me fait sourire. Elle paraît si mystérieuse. Mon attention toute entière se tourne vers la jeune femme. Elle semble ignorante au monde extérieur. Perdu dans sa bulle. Je ne souhaite pas la déranger. On a tous besoin de s’évader parfois. Je me glisse non loin d’elle et commande une petite bouteille de Cabernet Sauvignon Australien. Autant se faire plaisir après tout. Je ne suis pas un fin connaisseur, mais mon père m’a appris à connaître les bons vins, à les apprécier également. Je compte bien en profiter un peu. Je remercie le serveur et sursaute presque lorsque la brunette s’adresse à moi. Je me tourne vers elle, sourire aux lèvres avant de jeter un œil sur sa bouteille. « Ça me semble être un bon deal. » Je tire le tabouret aux côtés du sien et y prends place poussant alors ma bouteille vers la sienne. Un échange consentant. Je me sers un verre et y goûte immédiatement. Pas de chichi d’œnologue. C’est pas mon truc. Pourtant, le regard qu’elle me jette, me stoppe net dans mon geste. « Je dois me la jouer fin connaisseur ? Faire tourner le vin, l’observer d’un œil aiguisé ? » Un rire s’échappe d’entre mes lèvres. « Me dis pas qu’il faut que je crache… » Quel gâchis.    

@chloe cohen

   

À peine a-t-elle proposé l'échange de bouteilles que le visage rieur d'un jeune homme qu'elle n'a encore jamais rencontré s'illumine d'une proposition qui tombe comme la plus inopinée des surprises. « Ça me semble être un bon deal. » bien sûr, que c'est un bon deal. Chloe qui a laissé une seconde supplémentaire ses iris scruter les étiquettes, relire les appellations, enregistrer les cépages pour les associer à ceux qu'elle connaît. Elle n'est pas sommelière, mais elle s'intéresse sérieusement aux familles de raisins et aux bonnes bouteilles, la suite n'en était que plus logique.

« Je dois me la jouer fin connaisseur ? Faire tourner le vin, l’observer d’un œil aiguisé ? » son enthousiasme pointu la fait sourire, un sourire en coin fin qui orne ses lèvres qu'elle a coloré de carmin, un rouge bien plus doux que celui plus corsé qui roule dans la coupe qu'elle tient par la pied, tapote distraitement. « Il faut commencer par froncer des sourcils, de la façon la plus sérieuse dont t'es capable. » qu'elle suggère, la moquerie facile, la pointe d'humour qu'elle a captée dans son discours à laquelle elle s'accroche parce qu'elle est comme ça Chloe. Elle s'adapte aux gens, elle joue les caméléons, elle parle leur langage. « Après, on passe aux longues inspirations qui vont rendre mal à l'aise les gens autour. » et la voilà qui mime même, la brunette, fronçant ses sourcils savamment dessiné, fermant délicatement les paupières, inspirant à la clé. « Et on termine par un hochement de tête définitif comme si tu venais de découvrir le secret de la vie en une gorgée. » elle ouvre un oeil puis un autre, pouffe la seconde d'après pour le libérer d'un manège qu'il aurait tout à gagner à ne pas tenter.

Le regard de son voisin du jour se dessine d'un voile qu'elle remarque, alors qu'elle s'apprêtait à soulever sa coupe à son intention pour un cheers en bonne et dûe forme. « Me dis pas qu’il faut que je crache… » « De si bons vins? Sacrilège! » sa voix trop outrée pour l'être vraiment, la lueur d'amusement à l'oeil, et son verre qui tinte alors qu'elle le joint au sien pour la première gorgée d'un même vin partagé.

« Prends le temps de savourer, tout simplement. » qu'elle annonce, après avoir elle-même dégusté doucement. « Qu'est-ce que tu goûtes? » des notes de terre, des tons plus sucrés, un parfum en particulier, un élément charnu, costaud. Elle est à l'écoute, et elle ne juge pas de toute façon, jamais.

Feels like quicksand

Chloe & Loan

Je ne m’attendais vraiment pas à ce que la brunette me propose un échange de bouteille. Je ne m’attendais même pas à ce que quelqu’un, autre que le serveur, ne m’adresse la parole. Bien entendu, c’est avec un sourire immense que j’accepte sa proposition. Je ne sais pas rester seul. Je préfère encore échanger sur le vin avec une inconnue plutôt que de rester dans mon coin. Je suis toujours partant pour de nouvelle rencontre. Advienne que pourra.

La jeune femme semble être si connaître en vin tandis que j’ai subitement la sensation d’être un enfant que l’on a catapulté dans un monde qui n’est pas le sien. Alors c’est avec attention que j’écoute ses conseils. À défaut d’y connaître, quoique ce soit, mon instinct de comédien prend immédiatement le dessus. En un regard, je comprends que cette demoiselle a besoin qu’on lui change les idées. Je ne serais jamais le gros lourd qui pourra la draguer. Je trouve le serveur bien plus à mon goût de ce côté-là. Mais si je réussis à la faire sourire avec mes idioties, c’est déjà un point gagnant pour moi. Non ? Alors je ferme les yeux une seconde et me mets dans le rôle en écoutant ses conseils. Je me redresse, me tiens bien droit, tenant mon verre par le pied comme j’ai si souvent vu des prétentieux le faire. Je relève la tête, un regard sérieux fixé sur mon verre. Je fais tourner le liquide vermillon. Penche le verre d’un côté, puis de l’autre pour observer la couleur de la robe. Je joue le jeu, jusqu’au bout. C’est ce que je sais faire de mieux, il paraît. Je n’ai jamais été du genre à me prendre la tête, et même si je me ridiculise cela me passe au-dessus. Les inspirations bien gênantes, cette moue, un peu surprise, un peu émerveillée et finalement cette approbation illustrée d’un hochement de tête. « Une merveille ! » lui dis-je insistant sur chacun des mots dans un accent bien trop bourgeois pour me ressembler. Un rire s’échappe de mes lèvres. Je sais jouer, mais souvent, je ne sais pas rester bien sérieux une fois l’acte terminé. « Alors ? Je pourrais me faire passer pour un expert ? » J’attends son avis avec impatience.

« Tu penses sincèrement que cela change quelque chose quand d’un air presque trop prétentieux, ils recrachent pour en tester tous les arômes soi-disant ? Ou c’est simplement pour rentrer dans le moule, pour le paraître et la bienséance ? Quoique… Est-ce que l’on parle encore de bienséance lorsque l’on crache à chaque gorgée ? » Vous avez quatre heures. Ma question se veut bien trop philosophique et presque perverse pour un esprit mal placé, mais je ne peux m’empêcher d’exploser de rire lorsque le groupe d’ami juste derrière elle, s’adonne à leur première dégustation. Je lui montre le groupe d’un signe de tête avant de lever les yeux au ciel. Je finis par réellement porter mon verre à mes lèvres pour en apprécier pleinement son contenu. Et la jeune femme m’interroge. « Un peu d’acidité. Des notes de fruits rouges, je pense… Quelque chose de fort, mais de frais en même temps… » C’est un peu dur à expliquer en soit. « Je suis persuadé que les Français l’associeraient avec une viande rouge. » Je reprends une gorgée et semble réfléchir un peu plus longuement. « Définitivement mûre… Ou peut-être cassis ? » Je ris une nouvelle fois. « Et toi ? » Et je ne retiens pas un : « Surprends-moi. »  

« Une merveille ! » et il la fait éclater de rire, ni plus ni moins. Elle oublie le nuage qui assombrissait sa journée, elle oublie les questions qui remontaient, elle oublie le temps qu'il faut, un verre et un moment et on y reviendra, un jour, peut-être. « Alors ? Je pourrais me faire passer pour un expert ? » son regard pétille, il ne se prend pas lui-même au sérieux et c'est ce qui lui plaît, à Chloe. Ce qui l'inspire. Les gens qui vivent selon leurs règles, selon la personne qu'ils sont, vraiment. Sans masque, sans carapace. Elle y aspire elle-même chaque jour, il faut dire. « Je n'y vois que du feu. » qu'elle ajoute, clin d'oeil complice.

Leurs coupes tintent, elle se réinstalle sur son siège alors qu'il se donne à la scène. Elle lui imagine une vie et il faut lui pardonner à Chloe, elle lui imagine une famille et des amis, un métier, plusieurs passions. Elle dresse son portrait dans sa tête et en silence, pendant que le brun lui, s'enthousiasme, pendant qu'il endosse le personnage comme un charme. « Tu penses sincèrement que cela change quelque chose quand d’un air presque trop prétentieux, ils recrachent pour en tester tous les arômes soi-disant ? Ou c’est simplement pour rentrer dans le moule, pour le paraître et la bienséance ? Quoique… Est-ce que l’on parle encore de bienséance lorsque l’on crache à chaque gorgée ? » le voir réfléchir à voix haute l'étourdit mais elle n'en tient pas rigueur, bien trop amusée d'avoir la chance d'assister au feu défilant de pensées qui l'assaillent sans qu'il n'y mette aucun filtre, qu'il n'en ressente pas le besoin avec elle. C'est là l'une des plus belles preuves de confiance qu'il pouvait lui faire. « Ou peut-être qu'ils ne tiennent tout simplement pas l'alcool. Elle serait douce, cette ironie-là. » et elle hausse l'épaule Chloe, désinvolte, avant de porter à nouveau sa coupe à ses lèvres, gardant son raisonnement pour elle encore un peu.

Elle veut l'entendre lui d'abord, elle est curieuse, attentive, intéressée. « Un peu d’acidité. Des notes de fruits rouges, je pense… Quelque chose de fort, mais de frais en même temps… » son silence qu'elle maintient, son regard à lui qu'elle couve du sien dès qu'il lui en donne la possibilité. « Je suis persuadé que les Français l’associeraient avec une viande rouge. »  elle laisse échapper un rire la Cohen, elle le voit qui se moque, elle l'entend qui prend un peu plus ses aises, et c'est totalement à son avantage. « Définitivement mûre… Ou peut-être cassis ? » il réfléchit, il se donne à l'exercice, c'est indéniable. Et de le voir faire, d'assister à ses découvertes, d'en avoir le privilège, ça suffit comme argument nécessaire pour qu'elle reste posée à ses côtés sans même songer à précipiter son départ. Au contraire, elle se verrait bien rester avec lui encore un peu. « Et toi ? Surprends-moi. »

« Attention. Je fais pas comme les vrais goûteurs. » elle met en garde, son sourire qui n'en finit plus de grandir, une énième gorgée qu'elle vient de prendre avant de poser avec une douceur infinie le pied de sa coupe sur le bar devant eux. « J'associe à un souvenir. » elle sait que c'est incongru, elle sait qu'elle est bien loin des grands oenologues qui fonctionnent en goûts puisque c'est accessibles à tous, puisque les référents sont les même pour tout le monde. Elle, ce ne sont pas que ses papilles qui travaillent, mais également sa mémoire. « Et celui-là, il me rappelle l'été. » elle inspire doucement, son visage penché à l'ouverture du verre un temps. « C'est pas commun, je sais, mais il irait parfaitement avec une journée de canicule. Il est costaud, il brûle. Il me rappelle la coupe que ma mère se sert, quand elle cuisine, quand elle fait griller son réfrigérateur en entier sur le BBQ à la maison familiale. » au fil de ses mots elle se redresse, elle se souvient, elle relate, raconte, accessible. Peu de gens ont accès à ce qui se tramait dans son passé, elle est sauvage un brin Chloe, elle calcule ses paroles comme ses mots. « Et évidemment, y'a de la viande rouge d'impliquée, pour plaire aux français. » la référence qu'elle remet, la blague qu'elle assume.

« T'as un souvenir à associer à celui-là? » et elle lui offre sa technique à tester, alors que la coupe du brun est terminée, et qu'il est temps de goûter à l'autre cuvée.

Feels like quicksand

Chloe & Loan

Je suis bruyant, je fais des gestes brusques, mon rire n’est pas discret et je dis souvent tout ce qu’il me passe par la tête que l’on se connaisse depuis cinq minutes ou dix ans. Aucuns filtres. Une franchise sans limite. Approcher des inconnus n’es pas une épreuve, au contraire. J’aime apprendre des autres, découvrir de nouvelles personnalités. Sans détour, sans barrière. Cela ne plaît pas à tout le monde, mais la jeune femme ne semble pas effrayée. Loin de là. Alors, je joue le jeu. Loin d’être un expert, je tente pourtant de coller au rôle. Comme un nouveau challenge de comédie. Mon jeu préféré, il faut l’avouer. Je prétends goûter à mon verre comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde et le sourire qui s’affiche sur le visage de la brunette me donne un peu satisfaction. « Je n'y vois que du feu. » Je lui offre mon plus beau sourire, pas peu fier de ma performance.

Je vois qu’elle m’observe du coin de l’œil et je m’amuse du public, un instant. C’est léger, on ne se prend pas la tête. Juste un verre de vin en compagnie d’une belle brunette. Lancer dans l’instant, je commence un débat philosophique qui n’a ni queue ni tête. Pourtant, elle répond, elle ne se démonte pas et cela me fait rire. « Ou peut-être qu'ils ne tiennent tout simplement pas l'alcool. Elle serait douce, cette ironie-là. » Je me tourne pour trouver mon père toujours assis avec son groupe d’ami à partager ses connaissances et probablement à parler de l’Europe. Il se change les idées et c’est tout ce que je voulais pour lui aujourd’hui. « Lui. » Je pointe du doigt le groupe et plus particulièrement mon père. « Il veut profiter des saveurs sans trop sentir les effets de l’alcool. Pour l’amour du vin. » Je triche, c’est vrai, mais pourtant, c’est la vérité. « Et eux… » Je pointe du doigt un autre groupe un peu plus loin. « L’ironie réside là. Un brin prétentieux, sûrement un groupe de je-sais-tout sur les vignobles du coin. Eux, ils ne tiennent pas l’alcool. » Je conclu ma phrase par un hochement de tête franc. Sûr de moi sans vouloir me moquer ouvertement non plus. Inventé des vies aux gens. Prétendre de les comprendre sans jamais leur adresser la parole. Juste le temps d’un instant.

La conversation tourne tout de même autour du vin. Nous ne sommes pas des professionnels, mais on tente tout de même. Je cherche à trouver des saveurs connus, quelque chose qui accroche plus qu’une autre. Je parle beaucoup, je gesticule. Je ne l’effraye pas. Elle semble attentive, souriante aussi. Je dis probablement beaucoup de bêtises, mais elle ne me contredit pas. Au contraire. Lorsque je lui retourne la question, je me retrouve plus surpris que jamais. Elle ne parle pas d’arômes ou de saveur. Elle associe la gorgée à un souvenir. Quelque chose de particulier qui l’a marqué par le passé. L’image du soleil, d’un barbecue, de sa mère. De la chaleur et de la douceur. Elle reprend ma petite remarque sur les Français et je lui souris. « C’est une belle interprétation. » Je préfère cela à tenter de reconnaître un goût en particulier.

On échange les bouteilles, je me serre un fond du vin qu’elle a choisi. Je prends le temps de goûter, d’apprécier le liquide. De ne pas jouer aux devinettes, mais de simplement me laisser porter par le goût sur mes papilles. Un souvenir… « Celui-là me rappelle ma première fois sur scène. » Le lever de rideau lors de la première de West Side Story. Quelque chose de fort, qui marque, que l’on n’oublie pas. « Le lever de rideau, le cœur qui bat la chamade et prendre conscience que je me tiens devant un public vivant, qui réagit. » Je hoche la tête me perdant un peu dans mes souvenirs. « C’est fort, quelque chose qui nous marque et que l’on n’oublie pas sur l’instant. » Et je ris. « Je me suis laisser emporter non ? » Comme pour me donner du courage, je prends une plus grande gorgée de mon vin et pose mon regard sur la brunette. Elle est venue ici pour échapper à quelque chose, à ses pensées. Elle semble sur la fuite, mais ouverte à la découverte. Un paradoxe qui m’intrigue, qui m’intéresse. Je fais trinquer mon verre avec le sien. « Loan. » Une simple information. Aucune obligation de réponse. J’aimerais que l’instant s’étire sur le temps, mais je ne l’oblige à rien. « Attention question importante ! Préférence pour le rouge ou le blanc ? » Je lui offre une porte de sortie, si jamais. Une nouvelle conversation. « C’est déterminant. » Et je plaisante, pour rendre cela léger, pour ne rien imposer.   

Ils inventent des vies aux gens autour d'eux, l'un des jeux préférés de Chloe. Elle passerait son temps à dresser le portrait hypothétique des personnes qu'elle croise, à leur inventer des quotidiens et des habitudes, à tenter de les deviner à travers leurs mots, leurs gestes, leurs réactions. Elle se perdrait dans des récits inventés, elle s'en trouverait même émue si vous le lui demandiez. Mais pour l'heure, ce qui l'intéresse vraiment, c'est de savoir ce que son acolyte du jour a en banque, à quels souvenirs lui-même peut-il se raccrocher pour décrire ce qui bien souvent ne se décrit pas en mots. Ça se ressent. « C’est une belle interprétation. » elle l'a appris, avec le temps. Elle se complait bien mieux dans ce genre de scénarios que dans celui où les goûts sont discutés comme des variables sèches et précises, de toute façon. « Celui-là me rappelle ma première fois sur scène. »

Cohen qui arque le sourcil, qui se replace sur sa chaise, qui ne le lâche pas des yeux. Elle lui laisse de la place, elle l'écoute parler, elle le voit presque, le vit presque en même temps que lui, accompagnant sa gorgée en mimant le geste, en laissant le vin noyer ses papilles l'oeil intéressé. « Le lever de rideau, le cœur qui bat la chamade et prendre conscience que je me tiens devant un public vivant, qui réagit. » vivant, elle tique là-dessus. Chloe qui ne s'était pas sentie comme tel depuis un long moment déjà, l'éternelle chasse qui la poussait à bafouer ses limites pour ressentir quelque chose, n'importe quoi. « C’est fort, quelque chose qui nous marque et que l’on n’oublie pas sur l’instant. » et elle revient à lui, se cale sur sa fréquence. « Je me suis laisser emporter non ? » « Je m'attendais pas à moins. » et il est beau dans son authenticité. Il rayonne dans sa vérité. Elle lui renvoie un sourire, de ceux qu'elle a en banque parce qu'ils rassurent. Elle ne sait pas s'il en a besoin, elle ne sait pas s'il prendrait son offrande, mais elle tente. Les artistes et leur vulnérabilité venaient toujours la chercher plus que quoi que ce soit d'autre.

« Loan. » il se présente, la brune réalise qu'elle ne connaissait pas son nom encore, n'en tient pas rigueur. « Chloe. » leurs verres tintent, elle a vissé ses yeux à ceux du jeune homme. Ils ont des noms simples, faciles à retenir, elle a déjà enregistré le sien sans même se forcer. « Attention question importante ! Préférence pour le rouge ou le blanc ? C’est déterminant. » et elle pouffe, secoue la tête de la négative, faussement outrée pour la peine. « C'est fourbe, de me demander de choisir. » elle se défend, tente de gagner de précieuses secondes de négociation, c'est elle la fourbe, au final. « Chacun en son temps, ça compte? Ou j'ai l'air d'une ivrogne en puissance? » le blanc pour les instants à célébrer, pour les moments légers. Le rouge pour les temps d'introspection, pour les réflexions de caractère. Ça compte? qu'elle demande, le regard qui supplierait presque.

De ses propres pensées qu'elle balaie du revers, elle retourne à celles de Loan, qu'elle imagine beaucoup plus heureuses, beaucoup moins noires que les siennes. « Je t'aurais imaginé avec des bulles. Pour ta première fois sur scène. » Chloe qui suggère, avant de quitter ses prunelles pour balayer le présentoir de bouteilles d'un coup d'oeil calculé, en repérer une en particulier qui lui inspire de bons souvenirs, mémoire cartésienne au rapport. « Celles-là par exemple. » s'il a envie de célébrer ce souvenir-là en retard, elle est prête à faire sa part, attirant l'attention du vigneron la seconde d'après.

Feels like quicksand

Chloe & Loan

On s’enferme dans une bulle. On invente une vie aux gens qui nous entoure. On s’enchante d’un rien. Deux inconnus, deux mondes qui se rencontrent. C’est explosif et puissant. Ça marque en quelques instants. Je ne sais rien d’elle et pourtant, on partage. C’est aussi simple que cela. Un verre de vin et des histoires associé aux saveurs. Elle me parle de son enfance, d’un souvenir d’été, de saveur colorée, de la douceur d’une mère. Un instant suspendu dans le temps qui semble l’emmener bien loin dans ses souvenirs. Elle m’a donné une partie d’elle, je lui offre une part de moi en retour. Un souvenir qui m’est cher, quelque chose de si intense que je pourrais le retrouver dans chacun de mes pas et dans cette coupe entre mes doigts. Un souvenir qui s’impose autant que les saveurs fruitées de ce vin qui vient chatouiller mes papilles. Je me laisse emporter par l’instant, je prends le dessus, je domine la conversation. Et bien entendu, je m’excuse, comme toujours. Je ne veux pas écraser les autres, jamais. Chacun se doit de briller. Elle me laisse toute la place, je vois qu’elle m’écoute avec attention, qu’elle absorbe mes paroles. « Je m'attendais pas à moins. » Et un sourire qui se dessine sur mes lèvres encore une fois, comme la sensation d’avoir réussi une étape, comme la sensation d’avoir gagné quelques minutes de plus en sa compagnie. « J’ai réussi alors ! » Je ris un peu. Bois une nouvelle gorgée et reprends ma place sur mon tabouret.

Comme reconnaissance, je lui offre une information supplémentaire : mon prénom. Je lui laisse la liberté de l’anonymat, ne lui demande rien en retour. C’est marrant, un peu, cet échange. Chacun donne un peu, chacun laisse du terrain à l’autre. Chloe. C’est un joli prénom. Et sa réponse à ma question me laisse rêveur. Je prends quelques secondes pour réfléchir à cela. Un vin pour un événement, pour un instant d’une intensité différente et j’en viens à ma propre conclusion mon regard se perdant dans le sien. « Le blanc pour l’instant léger, un soir d’été sur une terrasse ombragé, au bruit des vagues, avec un bon livre. Le rouge… » Je réfléchis encore un instant. « Le rouge pour les moments plus dur, un cœur brisé, une déception, une sensation d’échec. It keeps you grounded. » Et de nouveau un léger rire qui s’échappe d’entre mes lèvres. J’ai la sensation de partir dans une réflexion bien trop importante, trop profonde pour une discussion autour de l’œnologie. « Et c’est là que je rejoins ton club d’ivrogne en puissance ? » Aucun jugement dans mes propos, bien au contraire. Je rentre un peu dans son jeu. Elle me laisse sans voix Chloe. Une aura qui ne laisse pas indifférent et pourtant une barrière qu’elle semble ériger autour d’elle. Un brin de mystère aussi. Une personnalité intrigante. « On fait quoi du rosé dans tout cela ? Est-ce qu’il a le droit de rejoindre le club ? On lui laisse de l’importance. » Une nouvelle fois, je plaisante afin de garder la conversation légère.

Et la brunette me parle de bulle, elle lève la main pour attirer l’attention du vigneron et demande deux verres d’une appellation que je ne connais pas. Intrigué, je me laisse porter par le moment. Je découvre en sa compagnie. Je délaisse mon verre de rouge pour me concentrer sur celui que l’on pose devant moi. Dans la plaisanterie, j’agite le verre dans tous les sens, le hume avant d’y goûter. « Non celui-là… » Je reprends une légère gorgée. « Celui-là c’est pas pareil… Le jour où j’ai décroché mon premier rôle. » Voilà ce que m’inspire le liquide, quelque chose de si léger, de si euphorique. C’est tout aussi fort, mais c’est différent. Une sorte de libération, la sensation d’avoir enfin atteint un but fixé depuis si longtemps. « La récompense de tous les efforts. » ajoutais-je en souriant un peu, en me tournant vers elle. « Je parle beaucoup de moi ça en devient indécent. » Je l’observe du coin de l’œil tandis qu’elle vient tremper ses lèvres dans son verre. « Qu’est-ce que ça t’inspire ? » Ma question semble soudainement si sérieuse, mais Chloe a attiré ma curiosité, j’aimerais en savoir plus. Elle goûte encore avec tant de sérieux, les sourcils froncés, les yeux légèrement fermés. Elle s’échappe Chloe. Je l’ai perdu. « Un sou pour tes pensées ? »    

« Le blanc pour l’instant léger, un soir d’été sur une terrasse ombragé, au bruit des vagues, avec un bon livre. Le rouge… » il a ce talent d'imager Loan, il a cette facilité à lui amener des scènes et à lui en décrire ce qu'il voit, elle s'attache apparemment. L'envie est grande de fermer les yeux, de l'écouter relater des souvenirs qu'elle se sent égoïste de vouloir partager elle aussi. Un peu d'envie, énormément d'écoute, elle le laisse faire, elle savoure autant ses mots que le contenu de sa coupe. « Le rouge pour les moments plus dur, un cœur brisé, une déception, une sensation d’échec. It keeps you grounded. »  qu'il se prête aussi bien au jeu la ravit, qu'il renchérisse la calme. « Et c’est là que je rejoins ton club d’ivrogne en puissance ? » « Laisse-moi le temps d'imprimer ta carte de membre et ça y est. » un clin d'oeil et un sourire, c'est ce qu'il sait maintenant lui arracher d'une façon aussi naturelle qu'elle croirait même le connaître depuis bien plus longtemps qu'il n'y paraît. « On fait quoi du rosé dans tout cela ? Est-ce qu’il a le droit de rejoindre le club ? On lui laisse de l’importance. » exagérant un froncement de sourcils, elle fait mine de penser avant de statuer, intransigeante. « On lui en laisse, mais il est sur la corde raide. Une seule impasse, and he's out. »

Les bulles qu'elle propose, il cède le sourire aux lèvres. « Non celui-là… Celui-là c’est pas pareil… Le jour où j’ai décroché mon premier rôle. La récompense de tous les efforts. » et elle le voit à ce moment-là, aussi improbable cela puisse être. Elle le voit et elle l'imagine sur scène et elle sourit à son tour Chloe. Avant de poser ses lèvres sur sa flûte, d'en accueillir les saveurs, de s'arrêter net dans sa dégustation. « Je parle beaucoup de moi ça en devient indécent. » c'étaient les mêmes. Celles de ce soir-là, celles avec Yele. « Qu’est-ce que ça t’inspire ? »  c'étaient les mêmes notes de beurre, de poire, de fête. C'étaient les mêmes goûts, l'acidulé exact, ce champagne qui avait précédé leurs tous premiers ébats, celui qui avait tout entraîné à la chaîne, avec lui. « Un sou pour tes pensées ? »

« Le saut dans le vide. » qu'elle s'entend dire, sa voix est enrouée, elle tousse délicatement pour gagner du temps, retrouver ses esprits. « L'étincelle, le déclic juste avant d'oser enfin faire quelque chose qu'on regrettera sûrement. L'envie d'aller trop vite vers l'inconnu, d'oublier tout ce que ça peut entraîner ensuite. » une flûte et elle avait cédé. Un verre et elle avait fait voler ses règles, ses valeurs, ses principes. La scène rejoue parfaitement dans sa tête, la rend inconfortable, la prend aux tripes, repentante. « C'est moi qui parle beaucoup, là. » et pourtant, elle n'a rien dit. Et pourtant, elle revit tout.

« Verdict? » le vigneron revient à leur hauteur, curieux des appréciations, soulagement qu'elle ne cachera pas lorsqu'elle secoue la tête pour se remettre les idées en place, inspire pour la peine. « J'imagine que ça veut dire qu'on entre dans leur club sélect à eux aussi, s'il veut avoir notre avis. » qu'elle chuchotera à l'oreille de Loan la seconde suivante. Complice, moqueuse, le coeur encore lourd, la tête qui tente de l'alléger.