Debout là, entouré d'une équipe paramédicale, je sais maintenant exactement ce que mes grand parents ont pu ressentir lorsqu'ils nous attendaient à notre retour de Thaïlande. Un mélange entre soulagement et inquiétude, surmonté d'une petite dose de rage et beaucoup d'incompréhension. Pourquoi ? Pourquoi mon père ? Pourquoi pas un autre ? Et surtout pourquoi a-t-il été obligé de fourrer son nez dans des truc de ce genre ? Il pouvait pas rester ici, à Brisbane ? Tranquille et en sécurité ? Je sais bien qu'il n'a que fait son boulot, mais ce n'est plus de son âge ! Je me tue à le lui dire et lui, il fait quoi ? Il se fait tirer dessus là-bas, dans des endroits où personne sein d'esprit n'irait mettre un pied !

Je me redresse légèrement et pince les lèvres, lorsque l'avion qui transporte mon père s'arrête non loin de nous et me met en route quand on nous donne le feu vert. Arrivé à l'entrée, je vois mon père en pleine discussion enflammée avec l'infirmier qui s'occupait de lui. Une histoire de civière et de grande distance d'après ce que j'entends. Je roule des yeux, joue des coudes pour arrivé auprès de lui et plante mon regard dans celui de mon père. L'envie de lui mettre un coup de poing pour qu'il se taise me démange sincèrement mais je me retiens.

 « ça sert à rien de discuter avec cet idiot» dis-je en portant mon regard sur l'accompagnant  « ça fait des mois que je lui dis qu'il est trop vieux pour ce genre d'escapade mais non, ce connard est obligé de le faire pour ….» je me tourne vers mon père  « Pourquoi d'ailleurs, hein ? Pourquoi t'es allé crapahuté entre les bombes comme un salaud ? T'avais quelque chose à prouver ? A qui ? Tu voulais frimer devant Auden ? D'ailleurs il est où ?» je regarde autour de moi  «Il est où ce con ?! » j'ai beaucoup de mal à contrôler ma tempête émotionnelle. Ainsi, l'inquiétude se transforme en rage dans mes paroles alors que je n'ai envie que d'une chose : prendre mon père dans mes bras et ne plus le lâcher. Je ferais cette dernière chose, mais sûrement pas la première. Par principe et par fierté.

@Allan Winchester

J’entends mon nom à de bien trop nombreuses reprises dans cette discussion captée à la volée, ça m’amène déjà à réutiliser mon légendaire souffle d’exaspération. "Auden était dans le cockpit mais t'as des trous dans tes souvenirs, vieillard. Être inquiet ne fait pas parti de mes gênes et je n’ai pas passé tout le trajet à ses côtés ; sûrement que si ça avait été le cas j’aurais mis fin à ses douleurs moi même et ce de manière assez radicale. L’apitoiement, ça ne me connait pas non plus mais par contre lui est une véritable tête de con se plaignant de tout et surtout de rien. Je ne me reconnais que bien trop dans ses mots et dans ses gestes, il est comme un putain de miroir. J’ai eu la même attitude un milliard de fois et encore plus souvent ces derniers temps, lors de mes passages répétés à l’hôpital et mon obstination à n’écouter rien ni personne et surtout, surtout pas les médecins.

Alors j’ai profité des quelques avantages qui m’ont été donné et notamment observer l’atterrissage en étant aux premières loges. J’en ai pris des photos pendant qu’il agonisait toute son âme quelques mètres plus loin et j’attends le bon moment pour lui montrer tout ce qu’il a raté, à jouer au plus con et à vouloir gagner absolument tous les concours débiles. En parlant de choses débiles, sans doute que son fils aurait dû se taire avant de quémander ma présence mais hey ses désirs sont des ordres. Qu’il en profite, le gamin maigroulet, parce que cela ne durera pas éternellement. Pour le moment en tout cas cela me permet de revenir dans la pièce avec un sourire au coin des lèvres et me retenir en posant mon épaule sur l’encablure de la porte. ”Il est là ce con. Tu as un mot à me faire passer, mini Winchester ?” Et même si nous n’avons jamais eu l’occasion de nous rencontrer, les photos de lui et de son père ne manquent pas dans la main de ce dernier et mes yeux sont assez affûtés pour ne pas rater ce genre de détails.

Tout comme ils sont assez affûtés et aguerris dans la matière pour savoir que même si l’état d’Allan est stable, sa remise sur pied sera longue et difficile et de nombreux problèmes peuvent encore survenir. En d’autres termes, il est loin d’être sorti d’affaire ce con et qu’il ne compte pas sur moi pour le prendre avec des pincettes et le traiter comme une princesse. Plus vite il en aura marre de m’avoir sur le dos et plus vite il sera décidé à guérir, cette tête d’ampoule de merde.

Je traite Auden de con, mais clairement, face à ce dernier je fais bien moins le malin. Sans réellement savoir pourquoi, cet homme m'a toujours plus ou moins impressionné. Autant par sa connerie -mon père me parle assez souvent de lui et de ses agissements parfois (toujours?) puérils- que par sa prestance tout entière. Je ne saurais pas vous décrire la sensation que j’éprouve lorsqu'il se retrouve là, devant moi, mais c'est un mélange entre dégoût, respect, haine et envie de faire sa connaissance de façon plus ample.

C'est direct et sans hésitation, qu'il me demande si j'ai quelque chose à lui dire et je ne peux qu'esquisser un mouvement de recul, secouant doucement la tête, je dévie le regard  « n ...non, rien, c'est bon. Désolé» pourquoi m'excuser ? Parce que je l'ai traité de con ? Je ne pense pas qu'Auden soit ce genre de personne à s'en formaliser, bien au contraire.

 « Tu viens ?» demandais-je finalement à mon père en me détournant du peintre, me sentant tout à coup bien plus calme.  «Tu m'expliqueras plus en détail ce qui s'est passé une fois que tu seras chez toi... » naïf que je suis. Ou idiot ? Sans doute. Je n'ai pas attendu 1h avec une équipe paramédicale pour pouvoir raccompagner mon père chez lui, sinon j'aurais appelé un taxi (qu'il aura payer lui-même, bien évidemment). Non, le prochain arrêt pour lui ce sera l'hôpital et il n'a pas son mot à dire.  «...enfin chez toi, dans ta chambre à l'hôpital, hein » précisais-je avec un demi sourire presque moqueur. Je descends ensuite de l'escalier et observe avec attention mon père qui n'a qu'un seul bras pour essayer d'assurer un équilibre très aléatoire. Une fois que les pieds du vieil homme ont touchés le sol, je m'avance à nouveau vers lui et reste à ses côtés, attentif de tous ses faits et gestes.

Si bien que je le vois venir, ce malaise. Ses pas devenant plus irréguliers qu'ils ne l'étaient déjà, sa respiration se faisant plus rauque et laborieuse, j'ai tout juste le temps de faire un signe au reste de l'équipe, que je vois mon père s'écrouler littéralement devant moi. Je tente bien de le rattraper mais tout se passe trop vite et de toute manière je lui aurais fait plus mal qu'autre chose. C'est donc, impuissant, que je l'observe chuter sur l'asphalte de la piste atterrissage. Heureusement, l'équipe de soigneurs est déjà autour de lui et je me recule pour leur laisser le champ libre.

Gardant le contrôle sur mes émotions -surtout la panique- je croise les bras, les serrant d'avantage contre mon torse lorsque je vois l'un des hommes faire signes aux autre de venir avec le brancard.  «Qu'est-ce qui s'est passé ? » soufflais-je, sincèrement inquiet, lorsque je remarque la présence d'Auden à mes côtés. Peu importe si c'est le pire des connards ou le meilleur ami de mon père, je pense tout de même qu'il ait assez de présence d'esprit pour me répondre de façon sincère.

@Auden Williams & @Allan Winchester

Le gamin désamorce aussitôt la grenade qu’il avait commencé à dégoupiller et je le toise d’un air satisfait, moi qui n’étais pourtant pas décidé à me jeter dans la bagarre mais qui l’aurais fait s’il avait continué sr cette voie. En retrait, je les laisse profiter de ces retrouvailles familiales qui sont les leur sans jamais chercher à m’interposer, sans doute trop occupé à lever les yeux au ciel pour cause d’impatience et d’overdose de tendresse. Si même Allan se met à devenir ce genre de personnes, ça va vraiment devenir très, très chiant. Je le pensais survivant d’une espèce disparu mais le voilà qui se fond à nouveau dans la masse du commun des mortels, qui change ses mots pour devenir un bien pensant politiquement correct - quel ennui.

Mais Allan est con, le roi des cons au pays des emmerdeurs. Il veut aller trop bien, trop vite, trop fort. On se ressemble trop sur certains points et celui là en fait partie ; aucun de nous ne sait accepter la fatalité d’une corps blessé, meurtri, dont les capacités sont réduites. Alors je ne prends pas la peine de décoller mon épaule de la paroie métallique lorsque ses jambes tremblent, lorsque son visage blanchit et que ses mots se perdent dans le vent. Aux mains de Clément s’ajoutent celle de l’équipe médicale, tous occupées à minimiser l’impact de sa chute sur l’asphalte. Mon coeur s’accélère sans que ce ne soit réellement significatif tellement la situation était prévisible. Je souffle finalement longuement avant de me redresser et de suivre le brancard, suivi par un cadet bouleversé qui tente de le nier. Il a une gestuelle qui ne saurait tromper personne, pourtant.

Mon attention revient doucement lorsqu’il m’adresse directement la parole en me questionnant sur ce qui a mené son père à se retrouver dans un tel état. ”On patrouillait sur un marché et on a été pris à partie. Il s’est pris une balle de gros calibre dans l’épaule.” Le choc l’a fait s’évanouir aussitôt et c’est sans doute la meilleure chose que son corps ait fait pour lui, parce que le reste n’était pas beau à voir. Je passe les détails à son fils, m’abstient de lui content le sang gouttant sur le sable et glissant entre mes doigts. Il en a seulement un bref aperçu maintenant que la plaie est à nouveau ouverte et qu’une tâche rougeâtre grossit à vue d’oeil sur le pansement.

On vient nous expliquer l’état d’Allan et même si j’arrive à rester impassible, ce n’est pas le cas de Clément qui perd toujours un peu plus pied à chaque nouveau mot attestant d’un nouveau problème dans l’organisme de son père. Pour ma part, je n’ai aucun doute en la capacité de l’équipe médicale et me contente d’hocher la tête sans n’ajouter aucune connerie, à ma grande surprise. ”Vas y gamin.” Mes bras se décroisent et mes doigts se posent entre ses omoplates pour l’inciter à faire un pas en avant. ”C’est son fils.” J’annonce à l’infirmier. Veiller sur Allan serait d’un ennui mortel pour moi mais je sais déjà que ce sera vital pour Clément, comme ça l’aurait été pour moi de veiller sur Ginny. Je l’encourage du regard, y ajoute un signe de la tête. Ce sont plus ses affaires que les miennes.

En voyant mon père s'écrouler devant moi, j'ai l'impression que c'est mon monde en entier qui s'écroule. Mon esprit irrationnel se fait des films avec les pires des scénarios et je me vois déjà devant la tombe d'Allan à devoir rassurer une mère entrain de pleurer avec faiblesse. Je me vois entrain de le secouer alors qu'il est là, allongé sur le bitume de la piste d’atterrissage, lui hurlant de se réveiller et de ne pas m'abandonner à nouveau, de ne pas repartir de façon définitive.

C'est finalement les doigts d'Auden dans mon dos qui me font revenir à la réalité. Il me pousse vers l'ambulance -je me demande un instant comment et quand elle est arrivée là- en précisant que je suis 'son fils'. Le secouriste me lance un coup d'oeil et se décale pour me laisser monter. Une fois à l'arrière du véhicule installé de manière inconfortable, j'ai tout juste le temps de poser à nouveau mon regard sur le meilleur ami de mon père et de formuler un  « merci » inaudible avant que la porte ne se ferme et que l'ambulance se met brusquement en route, la sirène tintant.

Le trajet vers l'hôpital me semble interminable alors qu'il ne dure que quelques minutes, dix à tout casser. Pendant tout ce temps, je suis là, à côté de mon père, ma main crispée dans la sienne et je l'insulte à mi voix. Exit les 'vieillards' ou les 'sale vieux', je passe directement aux 'connard inconscient' et aux 'salaud égoïste' et ignore brillamment les regards réprobateurs des secouristes.

Arrivé à l'hôpital, je saute de l'ambulance et suis le brancard en courant ...avant que je ne sois stoppé par une infirmière qui me barre la route en me disant que je n'ai pas le droit d'aller plus loin et que la porte se referme sur mon nez. Laissé là, seul et dans l'incompréhension, je sens que la panique prend finalement le dessus sur mes émotions, me submergeant avec force et vigueur. Ni une ni deux je me détourne et sors du hall pour retrouver l'air frais. Penché en avant, m'appuyant sur mes genoux, le visage crispé, je tente de reprendre le contrôle sur ma respiration et n'y parvient que lorsque je sens la présence d'une inconnue à mes côtés. Je me concentre sur sa voix douce qui, après m'avoir demandé si ça allait, m'indique de respirer calmement. C'est plus souvent plus facile à dire qu'à faire, mais cette fois-ci ça fonctionne parfaitement. Après une dernière profonde inspiration, je redresse et souffle doucement avant de me tourner vers la jeune femme et la gratifier d'un sourire.  « Merci» soufflais-je en déglutissant avant de me détourner et retourner à l'intérieur au niveau de la porte des urgences.

J'ignore sincèrement combien de temps je dois attendre avant que cette même porte ne s'ouvre à nouveau sur l'infirmière qui m'avait stoppé tout à l'heure.  «Vous êtes le fils de Mr Winchester ? » me demande-t-elle sur un ton un peu trop grave à mon sens  « Clément, oui» j'hoche doucement la tête  « ça va … ? Il va bien ?»  «je suis désolée .. »

Mort. Il est mort. Voilà la suite de ses paroles. C'est obligé, sinon elle n'aurait pas dit être désolée,non ?  « ...que j'ai mit trop de temps avant de venir mais l'état de votre père était une réelle urgence» je pince les lèvres et hoche la tête, compréhensif  « et... il ...est-ce qu'il est ...»  «il va bien » m'assura-t-elle et je ne peux empêcher un lourd soupire de soulagement sortir de mes lèvres. Je m'appuie un instant sur le mur puis reprend une profonde inspiration  «Je peux le voir ? » demandais-je d'une petite voix  « Oui bien sûr, venez suivez moi »

Elle n'a pas besoin de me le dire deux fois et je pénètre dans le couloir aseptisé derrière elle  « L'état de votre père, aussi grave soit-il, est stable. Il a dut faire un faux mouvement lorsqu'il a voulut se lever ce qui n'a pas plus à la cicatrice qui s'est ouverte. Cette même cicatrice était vraiment mal faite. Nous avons opéré d'urgence, avons correctement nettoyer la plaie et nous en avons aussi profiter pour réparer la clavicule qui a été mise à mal lors de l'impacte de la balle » elle s'immobilise devant une porte  «Je veux que vous sachiez que votre père a eu une chance monstre. A quelque centimètre la balle aurait transpercer son cœur et ...enfin bon, il va bien » elle toque à la porte  « ne restez pas trop longtemps, il a besoin de repos» me glisse-t-elle avant d'ouvrir la porte.

Je me glisse à l'intérieur de la chambre et laisse la porte se refermer derrière moi, mon regard posé sur mon père qui, allongé là, dans ce lit, me semble soudainement tellement petit et faible  «espèce de vieux caribou ... » soufflais-je avec soulagement lorsque je croise son regard  «T'as pas idée de te fourrer dans des truc comme ça » dis-je en m'avançant vers lui. Je tire une chaise et m'installe à ses côtés  «ça va ? » demandais-je  «Tu ...tu veux que je prévienne maman ? »

@Allan Winchester

Quand l'infirmière est arrivée avec son air grave, j'ai sincèrement cru que c'était la fin, qu'après mon frère je devrais enterrer mon père et je n'étais absolument pas préparé. J'aurais été incapable de savoir quoi faire ou comment l'annoncer à ma mère. Fort heureusement, ça ne va pas aussi loin. Elle me dit, certes, que l'état de mon père est assez critique mais qu'il est sorti d'affaire. L'opération s'est bien passée et il est sauvé pour l'instant. J'ai donc l'autorisation expresse de l'infirmière de rejoindre mon père et je n'hésite pas longtemps avant de la suivre.

Une fois la porte refermée derrière moi, je me dirige vers Allan qui semble bien moins impressionné, allongé là, sous un gros drap et avec cent milles files qui lui sortent des bras. Le teint livide mais le regard tourné vers moi me fait comprendre qu'il est bel et bien vivant. Je l'insulte doucement avec une certaine hésitation, puis m'installe à ses côtés en lui disant qu'il est bien con d'aller se fourrer dans tes situations pas possibles.

S'excusant du tort qu'il m'a causé, il fini part me dire vivement de ne surtout pas prévenir Sara. De toute manière, je ne pense pas que je l'aurais fais. Je risque de me récolter une bonne dose d'insultes car elle aurait sans doute préféré que je la prévienne -elle sera mise au courant d'une manière ou d'une autre- mais je n'ai, tout comme lui, pas envie d'avoir une mère extrêmement inquiète dans la pièce  «Je ne lui dirais rien » dis-je en hochant la tête  «Du moins pas aujourd'hui. Je vais au moins te laisser 24h de répis avant de t'envoyer la tornade Sara sur la tronche, ok ?  » Je laisse échapper un rire avant de secouer la tête lorsqu'Allan reprend qu'il n'a même pas eu le temps de voir Alep  «De toute manière y a plus grand chose à voir, non ? » demandais-je  «Je peux t'acheter un savon au pire si tu veux. Il te sera plus utile que d'aller sur place, tu sais » je souris en coin puis soupire, ma main allant presque automatiquement entourer ses doigts, comme pour me rassurer  « T'as besoin de quelque chose ?» demandais-je finalement en relâchant ses doigts après quelques instants de silence  «Je pense pas que t'ait le droit de manger déjà maintenant mais ...promis, demain tu auras ton cheeseburger à la place de la bouffe ici » je grimace  « Je ne la connais que trop bien la bouffe de l'hôpital» malheureusement  « leur dessert sont bon, cela dit. Mais ça vaut pas le cheeseburger de chez Pops & co !» assurais-je avant de prendre une profonde inspiration et de me taire  «Je ...désolé, je parle trop » mais c'est comme quand je suis inquiet  «Je vais te laisser te reposer, ok ? Tu peux dormir, je bouge pas d'ici » rien ni personne ne pourra me déloger de cette chaise aujourd'hui.

@Allan Winchester