Il prend la première sortie sur l'autoroute, au hasard, il demande pas. C'était leur manège rien qu'à eux, depuis un bon moment déjà.

Parfois, ils parlaient pendant des heures. Il conduisait sans destination finale, sans autre raison que de se balader à travers les rues de Brisbane sans port d'attache, sans conclusion. Et d'autres fois comme ce soir, il ne disait rien. Ils ne faisaient qu'errer l'un l'autre, à deux. Ils étiraient l'échéance où il allait la raccompagner à sa voiture, où ils allaient se séparer jusqu'à la prochaine fois. Il y avait toujours une prochaine fois.

Et ça lui allait à Chloe. Elle sentait son regard dériver au-delà la fenêtre ouverte de la voiture, vissait ses prunelles aux lumières de la ville qui défilaient au fur et à mesure que la voiture de Yele accélérait.

Un verre, juste un. Il l'avait attendue à la fin de son quart de travail, elle était venue le rejoindre à leur point de rendez-vous, l'un de ceux qu'ils avaient savamment éparpillés à travers divers quartiers, divers souvenirs. Il avait pris un old fashioned, elle un martini. Ils étaient clichés parfois, avec leurs conversations voilées qu'ils excluaient de tous en trouvant l'endroit le plus isolé du bar qu'ils avaient choisi pour la soirée.

Mais elle ne l'avait pas embrassé encore.

Et à ses yeux à Chloe, c'était pourtant parfois pire. Parce que ce qu'ils se créaient là, c'était une complicité solide. C'étaient des coups d'oeil que seul l'autre comprenait. C'étaient des secrets, des références, du flirt sur la ligne la plus dangereuse, la plus brûlante qu'ils pouvaient trouver. Mais elle n'était pas comme ça Cohen, et elle se le répétait encore et encore. Elle n'était pas comme ces gens-là, ceux qui trompent, ceux qui trahissent.

Elle n'était pas comme eux quand elle détournait son regard pour le laisser glisser sur le profil de Yele. Elle n'était pas comme eux quand elle lui souriait. Elle n'était pas comme eux quand elle laissait ses doigts effleurer les siens en remontant une fraction de seconde plus tard sa main vers la radio, changeant la chaîne comme excuse du moment.

« Tu m'as jamais dit. » elle brise le silence, le sourire aux lèvres, pensive à travers. « C'est quoi, ta chanson préférée? »

« Mmmh ? » et elle n'y peut rien, elle sourit. Il était toujours dans sa tête Yele, il s'y perdait pour s'y construire un monde entier, un univers complet à la clé. L'espace d'une seconde, brève, Chloe s'en veut de l'avoir dérangé, de l'avoir sorti de ses rêveries pour une question qu'elle aurait bien pu retenir longtemps encore. Un abus égoïste, une envie pressante de tout savoir sur lui, de tout lui dire sur elle aussi. « Je dirais, n'importe quel morceau de Queen ! Ou des beatles ! » mais il se prête au jeu le brun, et elle arque le sourcil amusée de l'entendre faire. « Vieille âme. » qu'elle se moque, Cohen. Il ne lui donnait pas l'impression d'être plus jeune qu'elle, il ne lui donnait pas l'impression d'être plus vieux non plus. Il y avait ce naturel entre eux qu'elle s'étonnait toujours, ne se souvenant même plus des circonstances de leur rencontre tellement Yele semblait avoir été dans sa vie depuis toujours.

Elle connaissait ses mimiques par coeur. Elle connaissait son profil, son visage, ses gestes, sa voix. Elle le connaissait bien mieux qu'elle se connaissait elle-même, et la sensation était aussi douce qu'effrayante. Le cocktail aussi brusque que celui qu'elle porte à ses lèvres quand il lui renvoie la question. Qu'elle prend une seconde à peine à réfléchir avant de souffler, un sourire aux lèvres d'emblée. « The Smiths. » comme l'évidence. Leur mélancolie lui parlait les jours où elle était nostalgique d'une vie qu'elle ne vivait pas, leurs discours la coloraient aux moments où elle se sentait perdre pied comme tant de fois maintenant.  

Son portable vibre dans son sac, elle a développé un sixième sens pour le sentir, pour l'entendre même si tout ce qu'elle voulait, serait de l'ignorer. « Je suis désolée, j'ai oublié. » oublié de le mettre sous silence, oublié de le fermer, oublié de rentrer, aussi. Rentrer chez elle, rentrer chez lui, rentrer chez eux. Le nom d'Isy qu'elle voit apparaître sur l'écran de son téléphone, quand elle valide la notification lèvres pincées coeur en berne. Mais elle oublie ça aussi, et elle ferme l'appareil, elle s'est contenté de répondre vaguement à la demande de son fiancé avant de reporter son attention sur Yele de l'autre côté de la table, perdu lui-même dans ses pensées. « C'est quelqu'un de bien, je t'assure. »

Elle ne les présentera jamais.
Elle n'assumera jamais.
Elle se tisse un tissu de mensonges depuis si longtemps que la gorgée qu'elle prend goûte amer sur sa langue.

Ce soir, ils parlent musique. La dernière fois, ils parlaient de l'Angleterre et d'à quel point il aimait son pays, d'à quel point elle rêverait de le voir à travers ses yeux. La semaine prochaine, ils parleront cinéma, ils iront aussi, sûrement, passer le film en entier à éviter un contact innocent, à l'initier au dernier moment. « Ton esprit est effectivement un peu moins vieux que le mien ! » il le dit en se moquant, elle a le sourire qui fait écho au sien, elle porte son verre à ses lèvres aussi, profite du moment, profite des quelques secondes qui s'effritent à chaque nouvelle blague, à chaque nouvel aveu. « C'est pas une mauvaise chose. » c'est pas une mauvaise chose d'avoir une vieille âme. Et elle l'accepte Yele, elle accepte tout, elle est pas facile d'approche Chloe, mais avec lui elle laisse sa bulle être apprivoisée un peu plus chaque jour.

« Eteins juste, qu'on puisse être tranquille Chlo ! » ça, elle aime pas. Elle aime pas qu'il lui dise quoi faire, elle aime pas non plus se sentir mal de réagir. Elle n'aime pas devoir fermer son téléphone, mais elle détesterait le garder ouvert. L'écran qui redevient noir lui fait presser ses lèvres, ravaler de la salive sèche au passage. Elle cache des choses, elle se cache à elle-même, elle cache à tout le monde. Et le pire, c'est que peu importe le scénario, elle est inconfortable sur sa chaise. Alors elle gagne du temps. Elle parle du seul dans cette histoire qui n'a rien à se reprocher, elle ne prononce pas son nom, jamais devant Yele. Mais elle y pense, trop pour se sentir totalement blanche dans l'histoire depuis bien plus longtemps qu'elle ne se l'avouera. « Et moi je suis quelqu'un de bien ? »

« Tu en doutes? » sa voix n'est pas agressive, son ton n'est pas tout en reproches. Elle demande vraiment, parce qu'à ses yeux, la question n'a pas lieu d'être, le doute non plus. « Quelqu'un d'assez bien pour toi ? » et le voilà, le soucis. Le voilà le noeud, l'éléphant dans la pièce. Elle sent le contact de sa peau sur la sienne, elle sent le frisson qu'il génère, inné et instinctif, elle sent tout et elle n'ignore rien. Une seconde, juste une. C'est tout ce qu'elle peut s'autoriser. « Je suis là, ce soir. » mais elle ne sera pas là demain. Elle ne sera pas là le week-end d'après. Elle s'envolera dès qu'elle sera inconfortable, ce qui arrive ironiquement encore, même avec la personne qui à l'heure actuelle lui permet de se sentir encore plus elle-même qu'elle n'a jamais pu être.

La main du brun s'échappe, elle la rattrape au vol. Elle joue à un jeu dangereux Chloe, elle triche, et elle en oublie les règles. « T'es quelqu'un de bien Yele. Tu l'as toujours été. » c'est moi le problème. C'est moi qui t'attire dans mes filets, c'est moi qui n'est pas bien pour toi. Et pour lui.

« c'est important ? » ça semblait l'être assez pour qu'il le ramène à lui.

Chloe qui lentement mais sûrement, oublie. Elle oublie son portable fermé dans son sac, elle oublie sa vie rangée qu'elle nie à la seconde où Yele entre dans une pièce. Elle se faisait violence au début, elle gardait des bribes de contenance, elle se faisait mal aussi. De plus en plus, ça vient naturellement. Ça l'effraie. « T'es là presque tous les soirs... » « Et? » elle pique Cohen, elle rattrape au vol. Mais elle s'en veut. Parce que s'il a remarqué, c'est qu'Isaac aussi. S'il a remarqué, c'est qu'elle commence à s'ancrer dans ses mauvaises habitudes, c'est qu'elle commence à courir vers la croisée des chemins, à y sprinter les yeux fermés quand à la base, elle y allait presque de reculons. « Et je m'en plains pas ! » Yele précise, aguiche, il est fier. Il l'est toujours quand c'est lui qui gagne ; et apparemment, il gagne souvent ces temps-ci. « J'espère. » et elle se fait donc joueuse Chloe. Elle recommence à enrouler l'une de ses mèches autour de son index, elle laisse un sourire orner ses lèvres. She's getting lost in the process.

Et ils dérivent. Entre un coup d'oeil, entre deux rires, il se lève. Il se rapproche, et elle la sent sa proximité ; elle la sent d'un frisson avant même qu'il ne l'ait effleurée. « Je veux bien te croire, mais c'est pas le plus important. Qu'est ce que t'as prévu pour ce soir ? » « J'ai prévu goûter leur old fashioned. » oh, Chloe. Qui allonge sa silhouette par-dessus la table, qui l'esquive, qui prend son verre, le lui vole en plongeant son regard dans celui du Blythe, portant le liquide ambré à ses lèvres au passage.

« J'ai prévu commander un autre verre. » elle poursuit sur sa lancée, redéposant le cocktail plus loin pour faire signe au serveur de venir les rejoindre. Elle se brûle les doigts et elle se brûle la langue, elle brûle tout sur son passage Cohen, et elle en redemande. « Et j'ai prévu me planifier un truc demain parce qu'apparemment, je suis là à presque tous les soirs. » et elle se moque. Elle a la force de ne faire que ça, maintenant.

« Tu pourrais être là la journée aussi, et je m'en plaindrais toujours pas. » c'était crève-coeur, de l'entendre formuler une demande de ce style. Elle n'en montrera rien Chloe, elle cachera tout derrière son regard qui brille à nouveau, derrière sa manoeuvre plus ou moins subtile pour attraper son verre au vol. Mais à l'intérieur, son ventre se serre. Elle n'est jamais là durant la journée, parce que ce sont les seuls moments qui lui restent pour jouer à la Chloe que tous les autres connaissent. Elle est là via quelques textos envoyés à des heures éparses, elle est là quand elle est seule à la machine à café au boulot, qu'elle pense à lui, à eux. Elle est là quand il passe d'un côté des couloirs de l'hôpital, qu'elle avance de l'autre. Mais les journées sont dédiées à Isaac. Elle se le répète tellement qu'à force, la phrase est ancrée dans sa tête. Comme un tatouage indélébile. Comme un mantra malsain. « Après ou avant avoir terminé ton verre et le mien ? »

« C'est pas drôle si tu sais avant la fin. » c'est pas drôle si tu sais comment ça se termine - comment ça se terminera. Elle boit son verre maintenant, elle prend ses aises. Mais surtout, elle a la voix qui revient à la normale Chloe, elle a déjà oublié. « Tu m'en commanderas un autre aussi alors, je voudrais pas te laisser boire seule ! » la carte avec laquelle elle joue du bout des doigts, le regard de Yele sur elle qui comme à chaque fois brûle avec violence sa peau autant qu'il la réchauffe avec douceur. « Oh la grande générosité. » son sourire n'en est que plus malicieux.

Leur histoire n'était pas si bancale. Leur complicité était limite la chose la plus normale. C'était ce genre de rencontre fortuite que Cohen chérissait, ces moments où on avait l'impression qu'en un seul coup d'oeil on connaissait l'autre déjà, par coeur. Elle avait mis des semaines à pouvoir se vanter d'une telle chose et si maintenant Yele conservait de moins en moins de secrets pour elle, n'en restait qu'elle se plaisait, avec lui. Elle aimait la femme qu'elle était dans ses yeux, elle ne pourrait jamais le nier. Mais y'avait quelque chose d'autres sur lequel elle ne pouvait pas mettre le doigt. Il était différent des autres hommes qu'elle avait eus dans sa vie. Du caractère au physique, elle avait changé en cours de route, elle s'était raffinée peut-être, avait voulu se brûler les ailes avec un homme comme lui, un homme qui apparemment l'avait séduite au point où il ne le réaliserait jamais. « Tant que je fais partie de tes plans je te suis où tu veux et quand tu veux Chlo ! »

À nouveau elle pince les lèvres, à nouveau elle se replace avec son calme légendaire contre son siège. « C'est que de moi qu'on parle ce soir. » il va s'attacher, il s'attache déjà. Elle l'a compris, elle ne veut pas le voir pourtant. Pas encore. Ce ne sera pas que le coeur d'Isaac qu'elle brisera dans quelques mois, mais celui de Yele également. Et ça la tuerait de le savoir, d'en prendre connaissance, de l'assumer, d'accepter tel rôle. Alors elle diffuse, encore une fois. Elle change la conversation, elle change le filtre personnel qu'il y mettait, elle change Chloe, c'est indéniable, et pas seulement pour le mieux. « Comment s'est passé ton examen? C'étaient les questions que tu croyais ou? » l'examen pour lequel elle l'avait aidé à réviser, une autre de leurs énièmes défaites, une autre de son infinité d'excuses qu'elle use à la corde pour justifier qu'elle est là, presque tous les soirs.

Mais elle l'arrête avant même qu'il n'ait vraiment commencé. « Je vais à la salle de bain. » une collègue d'Isy, au fond, à droite. Celle-là même qui connaît Chloe, qui connaît son couple, qui ne sait rien de ce qui s'y trame, qui n'aurait probablement rien de plus à ajouter sur le verre que Cohen partage avec le Blythe. Mais pourtant elle s'envole déjà Chloe, et elle ignore si Yele l'a suivie, ou s'il est resté derrière, dommage collatéral.

Elle prend ce qu'elle peut, elle s'amuse, elle tente de. « Je connais déjà la fin Chlo, c'est toujours toi qui finis tous les verres ! » Yele qui comprend exactement ce dont elle a besoin sans même qu'elle doive le lui demander, de même l'effleurer. « J'aime être généreux quand c'est toi qui offres les verres ! » son rire se mélange à celui du Blythe et la mélodie lui fait le même effet qu'un baume au coeur à Chloe. Elle est redevenue elle-même, ou du moins, la version d'elle qu'elle aime être avec lui, et c'est tout ce qu'elle souhaite dans l'instant. Le présent toujours ; demain n'existe pas encore de toute façon. « Ça ressemble à un excellent travail d'équipe tout ça. » qu'elle ajoute finalement, ultime attaque le sourire aux lèvres l'oeil qui pétille, lorsqu'elle termine son verre sans jamais lâcher Yele des yeux.

« Le sujet est plutôt intéressant. » « Faut en garder pour les prochaines fois, alors. » et parfois, elle se permet. Elle se permet de rêver à la prochaine fois, elle se permet de la mentionner, de l'effleurer du bout des doigts. Elle ne fait rien de mal encore Chloe, même si elle sait qu'elle navigue vers des eaux agitées. Pourtant elle s'accroche aux détails, elle s'accroche à la chaleur que chaque coup d'oeil de Yele envers elle provoque. Elle s'accroche aux détails comme seuls points d'ancrage et là, déjà là, elle la sent la pente glissante. « Tu sais très bien que j'aurais ces exams... » encore heureux, Yelahiah arrive à la rattraper au vol d'un air que lui seul maîtrise, cette confiance qu'il exhibe si fort et si bien qu'elle le rend solaire aux yeux de Cohen. Irrésistible.

Le moment, l'éphémère. Elle n'en peut plus Chloe, d'être aux aguets et elle est horrible l'ironie, fatale lorsqu'elle réalise qu'elle s'en nourrit. De l'adrénaline qui la pousse à se lever d'un bond, à slalomer entre les tables, à filer à la salle de bain sans regarder derrière. La piqure effervescente qui lui coupe le souffle, elle qui halèterait presque lorsque son regard croise son reflet dans la glace devant elle, ses paumes plaqués sur le marbre entourant le lavabo.

« Pourquoi tu pars en courant ? » « Je- » Cohen sursaute, la voix de Yele dans son dos, maintenant qu'elle fait volteface pour s'appuyer sur le comptoir, pour attraper son coup d'oeil au vol. Il l'a suivie et elle sait déjà qu'il s'attache. Elle sait déjà qu'il veut plus, elle fait tout pour que ce soit le cas, la traître. Elle sait qu'il aura mal, elle ne voit que cette issue et pourtant elle est toujours là, à tenir ses prunelles. Le sourire, elle le sent qui revient. Ce même sourire qu'elle a lorsqu'il entre dans une pièce et qu'il la regarde. Ce même sourire qu'elle a lorsqu'il ne parle qu'à elle, lorsqu'il ne veut qu'elle.

« T'as pas le droit d'être ici. » ses mots grondent, mais sa voix joue.

Elle aime son audace. Elle aime son assurance. Elle aime l'impression qu'il se croit invincible, qu'il l'est probablement à force de s'en convaincre. Elle aime sa différence, celle subtile qui le rend aussi difficile d'approche, aussi authentique une fois qu'on gratte la surface. Elle aime la personne qu'il est mais elle n'arrivera pas à les lui dire, les fameux trois mots, elle s'en mord les lèvres de ne pas les lui associer et pourtant d'être scotchée à ses réactions, à ses paroles, à ce qu'il dégage.

« Oh et c'est toi qui vas m'obliger à sortir ? »
« T'en doutes? »

Ils jouent, ils ne font que ça. Ils se cherchent parce que le jeu leur plaît bien plus que le prix, ils osent pour finir par laisser leurs regards parler, leurs sourires le compléter. Il est encore à une distance raisonnable d'elle mais elle sait qu'il se rapprochera éventuellement, elle sait qu'il quittera la porte sur laquelle il s'est adossé pour venir errer dans son périmètre. Et elle fait volte-face Chloe, elle lui offre son dos maintenant, s'arquant vers la glace pour finir par sortir son rouge à lèvres de son sac, en profiter pour se replacer les idées, pour éviter de trop vite plonger. Elle est sur la corde raide avec lui, elle a semé un appel et des regards curieux. Elle devrait rentrer, elle devrait s'appeler un taxi et refuser qu'il la raccompagne aussi.

Le tube avec lequel elle joue, le roulant entre ses paumes. Le bouchon claque lorsqu'elle le retire, la couleur qui teinte sa bouche d'un rouge carmin, défini. « Par chance y'a personne pour te vendre au proprio. » personne autour d'eux, personne tout court. Et ça lui fait peur à la brune, lorsqu'elle referme le tube, le range docilement dans son sac, fait l'inverse pour se tourner à nouveau vers un Yele toujours présent, toujours ambiant.

« On devrait partir avant que tu te fasses prendre. » on devrait partir, avant d'encore une fois brûler les étapes, avant d'encore une fois frôler les limites.

« Je crois que y'a un mec bourré qui m'a vu entrer mais je pense pas qu'il puisse encore aller se plaindre » c'est plus fort qu'elle. Elle tentait de garder un air fermé Chloe, elle tentait de rester sérieuse, de ne pas lui donner le moindre sourire pour l'encourager dans ses méfaits. Mais elle pouffe la brune, elle pouffe et il a gagné. Avec son humour de gamin et avec son goût de se brûler les doigts. Avec son insolence et avec sa constance à repousser les limites, à flirter avec les retranchements. « On est à l'abri de rien. » « T'as fait exprès. » elle le gronderait presque Cohen, si les vestiges de ses rires n'étaient pas encore logés à la commissure de ses lèvres.

Elle joue, elle joue trop, elle joue fort. Son rouge à lèvres qu'elle range et les prunelles du brun qu'elle attrape au vol. « T'as juste à ouvrir la porte Chloe. Et en moins de 10 secondes c'est réglé. »

Il a raison.
Elle a qu'à aller l'ouvrir, la porte.
Elle a qu'à faire un pas, un seul, se décaler de lui, pousser le bois vernis.
Elle a 10 secondes autorisées au compteur, chacune plus précieuse que l'autre.

Chloe qui reste muette, son visage qui maintenant ne trahit plus la moindre de ses pensées, de ses pulsions. 10, et la sangle de son sac qu'elle remet sur son épaule. 9, et la mèche qu'elle glisse derrière son oreille. 8, et l'inspiration qu'elle prend, qui soulève sa poitrine, qui lui rappelle qu'elle n'a pas respiré depuis longtemps. 7, elle entend une goutte d'eau qui fuie du robinet et qui paradoxalement, lui donne l'impulsion d'avancer. 6, un pas, un premier. 5, 4, 3, et elle avance, elle est presque à sa hauteur, quand elle dévie au dernier moment. 2, et ses doigts remontent au-delà de l'épaule de Yele. 1, de l'index et du pouce, elle descend le verrou de la porte, avant de se poster devant lui, de reprendre place, d'ancrer ses iris aux siens.

« On est bien ici, non? »