| A heart that resides in yesterdays | lilyjo #2 |
| | (#)Ven 17 Jan 2020 - 11:28 | |
| (starbucks) Le plan était millimétré, chronométré. L’étape une consistait à attraper Joseph dans ses filets, à le noyer sous mille messages remplis seulement d’emojis pour qu’il cède enfin à ses avances et décide de venir la rejoindre à la pharmacie - zone neutre par excellence, loin, bien loin de toutes ses colocataires qui ne connaissent pas l’existence de Joseph et loin, bien loin de La Ruche qui ne connaît pas l’existence de Lily non plus. Il a cédé, au bout du cent unième message de la journée, il s’est dit peut être dit qu’elle devait avoir quelque chose de vraiment important à lui annoncer.
Dans un sens, c’est le cas. La seconde partie du plan avait pour but de rendre l’annonce un peu plus … un peu moins … brutale. Oh qu’elle est brutale, Lily, pourtant. La brune est incapable de savoir mettre les formes où que ce soit, incapable d’ajuster son timbre de voix à la conversation, incapable de se rendre compte de l’effet que pourraient avoir ses paroles sur son interlocuteur. Alors à défaut de pouvoir prévoir toutes ces choses là, elle décide à nouveau de noyer son aîné sous les informations en tout genre en plus de l’infantiliser. En effet, si elle l’a emmené à Starbucks c’est dans le seul et unique but de lui donner le verre dans lequel elle pourrait mettre le plus de couleurs, de saveurs, de textures et de fautes d’orthographe sur son prénom (Jozef) au monde ; seulement pour l’occuper, bien loin de se soucier un seul instant de quel goût pourrait avoir cet affreux mélange.
Seconde étape partie deux, c’est la suite de la noyade. A défaut de pouvoir utiliser des emoji alors qu’elle se tient face à lui (tout en évitant soigneusement son regard, trouvant bizarrement son verre extrêmement intéressant), elle lui raconte toutes les anecdotes de dix ans de pharmacienne. L’avantage de ne jamais lui parler c’est au moins de savoir par avance qu’elle ne va pas se répéter et qu’il ne va pas aussitôt lever les yeux au ciel en soufflant en le lui faisant remarquer. Elle parle de tous ces vieillards et leurs demandes atypiques, elle parle des plus jeunes qui n’osent pas prononcer certains mots, elle parle de tous ceux qui ouvrent grand leur bouche pour qu’elle puisse miraculeusement les diagnostiquer. Oh ce qu’elle parle, Lily, sans jamais toucher à son propre gobelet même si elle a la bouche plus sèche encore que n’importe quel désert. Alors qu’elle craint déjà d’arriver au bout de ses anecdotes, elle s’attarde sur les détails sordides que leur mère n’aurait jamais un jour cru qu’ils pourraient sortir de la bouche de la si douce et parfaite Lily - ’c’est Joseph qui t’a appris tout ça, hein ?’ qu’aurait rétorqué leur paternel avec des yeux lançant des éclairs. ”... Mais ce n’est pas parce que je vais me marier bientôt que je vais refuser les gâteaux du papi d’en face, parce que y’a un coulant framboise chocolat à l’intérieur et que c’est suuuuuuuper bon !”
Elle s’arrête enfin de gesticuler et pour la première fois depuis plus d’une heure, ses lèvres se ferment pour ne plus se rouvrir. Son index dessine des cercles invisibles sur la table, elle profite d’un instant de silence pour venir porter la paille à sa bouche et s’il le faut elle boira le gobelet entier en attendant que son aîné dise quoi que ce soit. Son avis compte bien plus qu’elle ne le lui avouera jamais, raison pour laquelle il est le premier à être mis au courant et hors caméra. Parce qu’il n’existe pas, bien sûr. |
| | | | (#)Ven 24 Jan 2020 - 20:10 | |
| Il y a une sorte de mousse bleue qui flotte sur le dessus de la boisson de Joseph. Il la fixe un peu trop longtemps, analyse sa consistance avec le bout de sa paille et son visage s’étire de plus en plus en une grimace d’incompréhension au fur et à mesure qu’il en constate la texture. Il n’a pas encore trempé les lèvres dans ce soi-disant café - enfin, Lily lui a donné rendez-vous dans une boutique qui vend du café, il ne comprend pas ce qui pourrait se trouver d’autre devant ses yeux. Il faut dire que Starbucks n’est pas une boutique dans laquelle Joseph a souvent mis les pieds : les prix des boissons sont exorbitants et il faudrait plusieurs jours de boulot au garçon pour rembourser cette fantaisie. Mais, cette fois, il s’est laissé inviter par sa sœur qui lui a promis de payer sa consommation, et quelle consommation ! Le fond du verre est rose, le centre est blanc et le dessus ressemble à un ciel tapissé de nuages de barbe à papa. À vrai dire, ce n’est pas exactement ce que Joseph aurait choisi si sa sœur n’était pas arrivée avant lui (c’est une première, d’ailleurs, elle doit avoir quelque chose d’important à lui raconter) mais il ne s’est pas plaint et s’est contenté de loucher sur son prénom mal écrit sur le verre, silencieux.
Tandis que Lily, installée en face de lui, enchaîne anecdotes de boulot après anecdote de clients, Joseph garde son attention rivée vers le contenant coincé entre ses paumes. Ce qu’elle lui dit ne l’intéresse absolument pas et il n’est pas le genre de personne à faire semblant d’être intrigué par n’importe quel sujet. Ses pensées se lisent dans son visage comme on lit dans un livre ouvert : ça l’ennuie d’être ici et, si elle pouvait se dépêcher, ça l’arrangerait. S’il a accepté de la rejoindre aujourd’hui au Starbucks, c’était bien parce qu’elle avait tellement insisté à voir son frère alors qu’elle préfère l’oublier le reste de l’année. Cet entêtement l’avait intrigué, à la fin, et il avait accepté de la voir en précisant que « c’était seulement pour lui faire plaisir », bien que, au fond, il apprécie la présence presque réconfortante de Lily. Elle est la personne qu’il a côtoyée le plus longtemps dans sa vie et tant d’années partagées ne s’effacent pas d’un simple coup de vent. Ils possèdent tous les deux les mêmes fondations et sont le produit des mêmes architectes – c’est pour éviter de dire qu’ils ont été expulsés du même utérus, c’est dégoûtant comme image. Occupé à ne pas écouter les ragots inintéressants de sa sœur, le garçon ennuyé soulève le couvercle de sa boisson pour approcher son nez de la mousse bleue afin d’humer un premier effluve. Ses narines se retroussent et son dos rencontre à nouveau le dossier de la chaise : il a eu l’impression d’ingérer une centaine de grammes de sucre juste en sentant la boisson multicolore. Ce truc, ce n’est pas pour lui. Il devrait le dire à sa sœur, s’excuser de ne pas avoir le courage de boire ce machin artificiel mais il se force enfin et aspire une première gorgée qui remonte très lentement dans la large paille. ”... Mais ce n’est pas parce que je vais me marier bientôt que je vais refuser les gâteaux du papi d’en face, parce que y’a un coulant framboise chocolat à l’intérieur et que c’est suuuuuuuper bon !” Évidemment, il fallait qu’elle balance une information cruciale au moment où le liquide gluant et sucré repose sur sa langue. Surpris, ébranlé, Joseph avale de travers et se plaque le revers de la main sur ses lèvres pour s’empêcher de tousser à gorge déployée et d’attirer l’attention de toute la foule. Il lui faut plusieurs secondes, les yeux mouillés de larmes, la poitrine secouée par une quinte de toux incontrôlable, pour reprendre le contrôle de son corps. « H-hein ? » qu’il arrive à souffler difficilement entre deux inspirations profondes. Il soulève le doigt devant le nez de Lily pour lui demander de patienter un peu, le temps qu’il retrouve ses esprits (et qu’il combatte ce goût horriblement artificiel dans sa bouche). « Alors, premièrement, c’est dégueulasse ce truc bleu et rose et… » Il pointe la boisson. « Deuxièmement… » Il pointe son interlocutrice : « What the fuck ? C’est quoi cette histoire de mariage ? C’est du sarcasme ? C’est une blague pour attirer mon attention ? Ouais, pardon, je t’écoutais pas trop quand tu radotais à propos d’ton boulot, mais c’est pas une raison de vouloir m’faire faire une crise cardiaque. »
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| | | | (#)Mer 5 Fév 2020 - 18:57 | |
| Joseph a le don inné de toujours être en train de boire ou manger ou faire une action dangereuse quand elle lui annonce quelque chose d’important. Ou peut être que c’est elle qui a le don de toujours lui importer quelque chose d’important au pire moment, peut être. Ils pourront dire que c’est un problème de famille, que c’est quelque chose qui les liera l’un à l’autre pour l’éternité à défaut de réellement assumer leur lien de parenté au grand jour. Cette fois ci, c’est sûrement une boule de tapioca qui vient de se coincer dans sa gorge et qui le pousse à avoir des yeux aussi exorbités - lesquels n’ont absolument rien à voir avec l’annonce que vient de glisser sa soeur entre deux milliers de mots. La brune a beau avoir reçu une formation pour soigner les gens, elle ne bouge pas d’un seul centimètre alors que son frère passe par toutes les couleurs face à elle. Il fait tout le temps ça, Joseph. Il s’étouffe, il attire toute l’attention sur eux et la seconde d’après, il lui demande de répéter en espérant naïvement mal avoir entendu. Le scénario est toujours le même et à force elle a appris à ne plus s’inquiéter inutilement, il ne mourra pas sans lui avoir fait la morale une dernière fois sinon il ne serait pas Joseph.
La pharmacienne prend son mal en patience le temps qu’il arrête de mourir devant elle et dépose sa tête entre les deux paumes de ses mains, les lèvres scellées. « Alors, premièrement, c’est dégueulasse ce truc bleu et rose et… » On dit pas que c’est dégueulasse, Jo, on dit ‘je n’aime pas’. C’est maman qui leur a appris ça, et c’est papa qui a largement insisté sur ce concept. Comme toujours, c’est finalement Joseph qui n’a absolument rien retenu aux leçons inculquées par leurs parents. « What the fuck ? C’est quoi cette histoire de mariage ? C’est du sarcasme ? C’est une blague pour attirer mon attention ? » Pour une fois dans sa vie, Lily aurait aimé se tromper et ne pas avoir réellement prévu la manière dont son aîné allait réagir. Son faible sourire s’évanouit, pourtant, en même temps qu’elle retire ses coudes de la table et se redresse sur la chaise aussi cocooning qu’inconfortable. ”Tu peux pas faire semblant d’être heureux pour moi ? Juste une fois.” Semblant parce que sans doute qu’il ne se réjouira jamais réellement pour sa soeur, alors elle abaisse d’elle même les attentes dans l’espoir fou qu’il puisse rentrer dedans. Elle devrait le savoir, au bout de trente ans, que son frère est un marginal et qu’il est dans ses gènes de ne se conformer à rien tout comme il est dans les gènes de Lily de justement rester collée au droit chemin. La brune l’assassine de ses grands yeux bleus alors qu’ils n’en sont même pas encore arrivés au moment où il lui reproche toutes les décisions l’ayant mené jusqu’à ce mariage, cette sorte d’horrible décision finale, qui, selon lui, ruinera sa vie.
Il avait au moins raison sur une chose : elle le fait pour attirer son attention. Au rythme où ils se voient, la brune aurait aisément pu ne rien lui dire et retirer sa bague les rares fois où elle le verrait pour lui donner son stock de mouchoirs annuel. Sans doute même qu’il n’aurait rien remarqué si elle ne l’avait pas enlevé. Ils vivent dans deux mondes différentes, les Keegan. Ils parlent la même langue mais pas le même langage, ils se parlent sans jamais se comprendre. Ca attriste Lily bien plus qu’elle ne l’avouera jamais mais elle n’est pas mieux placée que lui quand il s’agit d’essayer d’inverser cette tendance. ”Je vais réellement me marier. En février.” Son esprit d’adolescente romantique rêve secrètement d’un certain quatorze février, mais ça reste un autre problème. Quoi qu’il en soit la date ne changera rien pour lui puisqu’il a déjà été statué qu’il ne sera pas invité.
La brune s’éclaircit la gorge à son tour et tente de calmer ce pêle mêle d’émotions qui l’assaillent tous en même temps. Elle a peur, elle a hâte, elle est déçue, elle a trop d’espoir pour une seule et même personne, elle a un masque à garder intacte et un coeur qui ne demande qu’à gagner le droit de s’exprimer. Tout ça pour une seule personne c’est bien plus qu’elle ne devrait avoir à contenir, alors son visage crispé tente au mieux de garder les apparences intactes. ”Tu … J’ai trouvé ma robe. Tu veux la voir ?” Elle voudrait son accord pour une chose dans sa vie, une simple chose. Une simple chose aussi importante que sa robe de mariée.
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| | | | (#)Sam 8 Fév 2020 - 4:33 | |
| La gorge de Joseph est en feu alors que le liquide qu’il a avalé de travers était aussi froid que l’antarctique. Il a tenté de se glisser dans le mauvais tuyau et, maintenant, ses poumons se noient dans le verglas arc-en-ciel. Il n’a vraiment pas choisi le bon moment pour poser enfin ses lèvres autour de la paille. Encore secoué par une quinte de toux interminable, il arrive à faire part de son premier ressenti vis-à-vis de cette annonce de mariage imminent, croyant d’abord à une mauvaise plaisanterie. Cependant, lorsqu’elle reprend la parole juste après que son visage se soit endurci, son ton est tellement sérieux que même Joseph redevient complètement silencieux, ignorant le chatouillement désagréable dans le fond de sa gorge qui lui supplie de tousser. Hébété, le frère baisse les yeux un moment et se lance dans la contemplation de la table, conscient qu’il n’a jamais montré à sa sœur le moindre signe d’affection dès lorsqu’il est disparu de sa vie. Parce qu’il s’est évaporé comme si jamais il n’avait existé, laissant un trou profond dans le cœur de la petite fille trop jeune pour comprendre sa décision.
« Lily ? » Il murmure après avoir très légèrement entrouvert la porte. Ses deux petits yeux clignent dans la noirceur et il scrute là où le lit de sa sœur cadette jonche le plancher. La mince lumière de la lune arrive à éclairer ses draps clairs ; il peut déceler la forme de son corps sous les couvertures inertes. Après avoir jeté un coup d’œil dans le corridor pour s’assurer qu’il n’a pas été détecté, Joseph pénètre dans la chambre plus féminine et referme très doucement le battant de la porte derrière lui en se mordant la lèvre inférieure. Son dos couvert d’un sac rempli d’effets personnels, le jeune garçon s’approche de Lily et l’observe à quelques centimètres de son matelas. Seule sa respiration lente trahit la tranquillité de son sommeil. Il hésite, un moment. Il ne sait pas s’il prend la meilleure décision, ce soir. Planté comme un piquet, il se décide finalement à s’abaisser à la hauteur du lit de la jeune fille et appuie ses coudes à la hauteur de son oreiller. Il pose son menton sur ses deux mains ramenées ensemble et observe sa sœur en silence pour ancrer cette image dans sa mémoire. Et, après avoir doucement inspiré pour accumuler le plus de courage possible, il souffle doucement : « Lily ? » Il tapote l’oreiller avec son index et, quand les deux yeux de sa sœur s’ouvrent, il recule sa tête de quelques centimètres pour ne pas lui faire peur. « Désolé de te réveiller. » Il commence en lui offrant le sourire le moins rassurant du monde – parce qu’il n’est lui-même pas rassuré. « J’ai un secret à te confier. Tu ne le dis pas à maman, hein ? »
”Je vais réellement me marier. En février.” L’interpelé redresse la tête et s’accroche au regard bleu de Lily. Il dénote ses traits plus matures, le visage de sa jeune sœur de dix ans encore imprimé dans le fond de son crâne. Il les voit, les différences : le temps a fait son œuvre, comme pour elle, comme pour lui. « En février. » Il répète, la gorge nouée et les poings fortement serrés sur la table. Il contient son envie de lui faire la morale parce qu’il réalise seulement maintenant qu’il ne connait absolument rien de sa situation. Il ne savait même pas qu’elle avait un nouvel homme dans sa vie et il aurait peut-être préféré apprendre cette nouvelle en premier. Un pas à la fois, comme on dit. « C’est qui le mec ? Tu m’en as jamais parlé, excuse-moi d’être surpris. » Il continue, la voix sèche et contrariée. Derrière ce tempérament compulsif se cache le cœur protecteur d’un frère qui n’a pas envie de voir l’histoire répétée. Il les a vues, les marques violacées sur les bras nues de Lily. Il l’a lue, la tristesse dans son regard lorsqu’elle invoquait sa vie de couple. Jamais Joseph ne lui en a parlé, il a plutôt agit dans la noirceur pour faire taire cette injustice. Et ça a un peu trop fonctionné, malheureusement. ”Tu … J’ai trouvé ma robe. Tu veux la voir ?” Le ton triste de sa sœur le happe comme un camion roulant à toute vitesse sur l’autoroute. Ébranlé, le frère se mord la lèvre inférieure et passe sa main dans sa chevelure épaisse, pensif. « J’voudrais bien, mais ça va me gâcher la surprise le jour J. » Il fait des efforts, il faut le noter : il vient d’afficher un certain intérêt pour l’évènement bien que ça lui ait pris énormément de courage pour affronter son égo qui avait plutôt envie d’insulter sa robe blanche sans même la voir.
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| | | | (#)Dim 9 Fév 2020 - 14:57 | |
| Lorsqu’elle perd le contact avec les yeux de son aîné, son coeur manque quelques battements. Si elle arrive à le voir alors elle peut peut être espérer anticiper ses mots et ses réactions mais dès lors qu’il fait un pas en arrière et qu’il refuse de laisser paraître aucune émotion alors elle sait par expérience que c’est peine perdue. Si Joseph se cache d’elle alors elle ne peut rien faire pour tenter de le ramener vers elle ; cela fait presque vingt ans qu’elle essaye et les résultats sont pathétiques. Les battements de coeur de la brune s’accélèrent à tel point que n’importe qui peut voir sa poitrine se soulever à un rythme aussi irrégulier que précipité - et elle déteste cette idée selon laquelle sa vulnérabilité puisse être visible de tous.
Quand ses yeux remontent vers elle, pourtant, elle n’en est pas plus rassurée et bien au contraire. « En février. » Dans un mois. Ses iris bleutés s’agitent et se balancent d’un oeil vers l’autre sans jamais être capable de trouver des réponses aux mille questions qu’elle est en train de se poser. Lily déglutit avec difficulté en attendant la suite, les reproches, la leçon de morale, l’accès de colère, le gobelet s’écrasant sur le sol et les liens qu’ils tentaient de recréer à nouveau détruits. Et Joseph entame déjà les préliminaires de ce carnage à venir, lui et sa voix dure, lui et son ton qui ne trompe absolument personne. Elle aurait pu tout lui expliquer et un seul souffle mais cela reviendrait à s’ouvrir à lui et à lui faire part de tous ses doutes et appréhensions, ce qui est bien au delà de ses forces. La brune se contente de distiller les informations une à une, de le briser étape par étape sans même le vouloir. « C’est qui le mec ? Tu m’en as jamais parlé, excuse-moi d’être surpris. » Il ressemble à n’importe quel grand frère pourtant et ses questions sont légitimes. Elle pourrait lui dire qu’elle va se marier avec une fille pour expérimenter combien de temps il lui faut pour faire une crise cardiaque mais l’ambiance n’est pas vraiment à la plaisanterie pour le moment, elle ne s’y sent pas le coeur à. Ca aurait vraiment pu être drôle, pourtant, et pas si pire que la réalité des faits. ”Je ne le connais pas.” Qu’elle murmure à peine, presque honteuse d’avoir ainsi pu bafouer tous les principes qu’on lui a inculqué à l’église pendant tellement d’heures. Elle peut encore dire que c’est de la faute d’Alfie et Joseph, elle peut dire que si elle n’a pas écouté cette partie là c’est parce qu’ils parlaient trop fort et qu’elle était occupé à les rabrouer ; mais ce serait un mensonge et elle est largement las de mentir à tout le monde. Joseph ne sait rien de sa dernière relation amoureuse, il n’a aucune idée de la manière dont son arrivée tout comme sa disparition de sa vie l’ont brisé de bien des manières différentes. Elle se dit qu’en comparaison rien ne pourrait être pire, lui se contentera de penser qu’elle n’est qu’une petite imbécile. C’est ce qu’elle croit assez fort pour penser qu’il s’agit de la réalité. ”C’est scientifique. On est faits pour être ensemble, on a passé des tests et des interviews, et …” Et sa voix s’emballe et les raisons du pourquoi du comment elle devrait être heureuse s’ajoutent les une à la suite des autres comme si elle devait réellement lui prouver que c’était un choix un minimum réfléchi.
On la fait bouger et la gamine râle dans son sommeil. Elle attend quelques secondes avant de rouvrir les yeux, elle qui avait encore le mince espoir que tout ceci n’était que dans son rêve. « J’ai un secret à te confier. Tu ne le dis pas à maman, hein ? » Ses yeux se froncent alors qu’elle doit s’habituer à la pénombre ambiante et à la confusion générale qui règne dans la pièce. Joseph sourit et il ressemble à ce clown dans le film qu’ils n’auraient jamais du voir et qui lui donne encore des sueurs froides rien que d’y penser. ”Mais Joseph tu me le diras demain, il est tard.” Sa voix enrouée trahit le sommeil profond dans lequel elle était largement plongée. Elle voudrait qu’il retourne dans sa chambre, dans son lit, qu’il vienne lui voler un livre à la limite mais que quoi qu’il arrive, il la laisse dormir. Pourtant il ne bouge pas, il ne met aucune grenouille sur sa tête ou verre dans son lit et même pas qu’il ne lui saute dessus sans prévenir. C’est louche et ça commence à doucement l’inquiéter. ”Ca va ?” La brune se relève à l’aide de son coude et se pose en tailleur sur son lit, ses yeux soucieux ne laissant plus aucune once de répit au garçon.
« J’voudrais bien, mais ça va me gâcher la surprise le jour J. » Les mots de son frère la figent tout entière et un long frisson semble la parcourir. Elle en a la chaire de poule, Lily, que de penser qu’il se voyait déjà assister à son mariage et peut être même trouver des habits qui ne seraient pas troués. Peut être même qu’il aurait pu passer de l’eau dans ses cheveux et faire croire qu’il les avait coiffés. Dans une autre réalité, dans celle où il aurait réellement assisté à la cérémonie. Mais la brune chasse ces idées farfelues de sa tête et remet son dos droit. ”Tu n’es pas invité.” Il ne peut pas venir, pour toutes les raisons du monde. Il gâchera tout, il lui rappellera des souvenirs qu’elle tente d’oublier, il sera une preuve de son passé qu’elle a mis bien trop d’efforts à garder cachée. Elle ne pourra pas le présenter parce qu’elle n’a officiellement aucune frère. Sa présence ne ferait que compliquer les choses pour tout le monde. ”Tu veux la voir ou pas ?” Il est question de tout sauf de sa robe et il y a une bonne réponse à avoir tout comme une très, très mauvaise.
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| | | | (#)Dim 9 Fév 2020 - 17:12 | |
| Joseph sait que le rôle du mauvais frère lui est collé au cul et qu’il serait très difficilement pour lui de s’en débarrasser. Il a beau essayer d’offrir des sourires à sa sœur entre deux phrases, il n’arrive pas à combattre son égo surpuissant qui l’empêche d’afficher de vrais sentiments à l’encontre de Lily. Une guerre silencieuse fait rage entre eux et il n’a pas le courage de lever le drapeau blanc en premier. Il lui en veut, à sa sœur. Il déteste sa façon de vivre comme s’il n’avait jamais existé, sa façon de se désigner comme la seule enfant Keegan (bien que ce nom le répugne) et cette habitude qu’elle a prise d’ajouter une nouvelle brique entre eux d’eux tous les jours pour que, finalement, ce soit un haut mur qui se dresse entre eux et les sépare pour de bon. C’est toutefois un petit jeu qui se joue à deux et, si Lily s’occupe des cubes de pierre, Joseph applique le ciment entre chacun d’elles – mais, ça, il ne s’en rend pas compte.
Lorsqu’il apprend pour le mariage, il lui faut plusieurs secondes pour retrouver son calme. Il est d’abord déçu de constater qu’il n’avait jamais été mis au courant pour un nouvel homme dans sa vie, lui qui a toujours craint de retrouver les bras couverts d’ecchymoses de sa sœur. C’est parce qu’il aime trop sa cadette qu’il réagit aussi fortement, bien que cette réaction ne soit pas saine pour leur relation. Les questions roulent en boucle dans sa tête et il se décide à commencer par l’identité du futur mari, histoire de mettre un prénom sur le visage de celui qu’il n’a pas encore rencontré. « Je ne le connais pas. » Les deux yeux de Joseph deviennent ronds comme des melons et il laisse un long malaise d’incompréhension planer un peu trop longtemps. Il cligne des paupières, esquisse un sourire nerveux, pensant immédiatement qu’il s’agit d’une plaisanterie de mauvais goût. Sa sœur a été élevée dans la religion catholique, certes, mais jamais la Bible n’a évoqué le mariage avec un inconnu (du moins, pas à son souvenir, et il les connait encore bien les versets de mensonges). « Hum ? » Il commence, le regard sévère mais très légèrement illuminé par une lueur incrédule : « T’as retrouvé ton sens de l’humour à ce que je vois. » Mais, devant le visage impassible de Lily, il comprend qu’elle n’est pas en train d’inventer une histoire complètement ridicule. Elle dit la vérité, et c’est bien la première fois que Joseph aurait préféré que sa sœur lui raconte des sottises. ”C’est scientifique. On est faits pour être ensemble, on a passé des tests et des interviews, et …” Bouche-bée, l’ainé fixe la bouche la jeune femme en espérant qu’elle ajoute « mais non, c’est une blague ! » mais il se retrouve à contempler le silence. Il redresse ses yeux, déglutit et se gonfle les joues d’air pour s’empêcher de passer le moindre commentaire dégradant. « Okay. Okay. C’est… Spécial. » Il noue sa langue dans le fond de sa gorge, très envieux de balancer le fond de sa pensée mais il arrive à se contrôler – c’est bien la première fois qu’il n’est pas guidé par l’envie égoïste de tout foutre en l’air. Il veut faire un effort, et ça se voit dans sa manière de ne pas tenir sur place sur sa chaise, ses coudes cherchant le meilleur endroit où se poser (tout en évitant le grand verre arc-en-ciel devant lui).
Un doux sentiment de légèreté donne au petit garçon l’impression de flotter. Il se sent déjà moins lourd, comme s’il se débarrassait d’un énorme poids cette nuit, bien que le sac sur son dos soit assez encombrant. ”Mais Joseph tu me le diras demain, il est tard.” Devant le désintérêt endormi de sa sœur, il secoue la tête de droite à gauche et tapote à nouveau son matelas pour l’empêcher de sombrer à nouveau dans le sommeil. Il ne peut pas lui en vouloir, elle ne doit pas se douter de l’ampleur du secret qu’il a à lui confier. Toutefois, il semble avoir réussi à capter son intérêt parce que Lily se redresse dans son lit et s’assis devant lui, attentive. « Ça va ? » Le frère se pince les lèvres. Oui, il va bien, plus que jamais, parce qu’il a récupéré assez de courage pour choisir de partir. Il a l’impression que seules des choses incroyables l’attendent à Brisbane. Dans une grande ville comme celle-là, tous les rêves peuvent se réaliser. « Tu te souviens quand je suis parti au camp quelques jours avec l’école ? Tu étais bien, seule, avec maman, non ? Tu m’avais dit qu’elle et toi aviez fait un tas de trucs géniaux. » Il redresse la tête pour scruter la noirceur et il pointe le dessin de Lily collé au mur au-dessus de ses tiroirs à vêtements. « Tu avais dessiné ça, tu t’étais bien amusée. » Et il repose ses deux coudes sur le matelas pour plonger à nouveau ses yeux dans ceux de sa sœur. « Je repars pour le camp. Mais je ne sais pas quand je reviendrai. » Il admet, le ton désolé, mais il la rassure immédiatement en s’armant d’un énorme sourire : « Tu crois que tu pourras encore t’amuser sans moi ? Tu auras maman à toi seule. »
« Tu n’es pas invité. » Clap final, coup de poing dans les tripes et coup de feu dans le crâne. Les muscles de Joseph se crispent dangereusement. Il ne savait pas à quoi il s’attendait en faisant preuve d’un peu d’ouverture d’esprit. Évidemment que sa sœur allait planter une mauvaise graine quelque part, elle est douée pour ça, la petite jardinière. Mais il n’a pas réfléchit : que sa sœur ne l’invite pas était une évidence. Joseph n’existe pas dans sa vie et ça ne changera pas, même le jour de son mariage bidon. ”Tu veux la voir ou pas ?” Il se mord le bout de la langue en fixant Lily d’un regard presque noir. Il renifle, passe sa main dans sa barbe pour s’empêcher d’exploser mais rien n’y fait : sa pensée est plus forte que sa retenue : « Non. Mais j’espère qu’elle te couvrira bien les bras. Il faudra bien ça pour éviter qu’les invités voient les marques dessus. Tu sais… » Un sourire toxique étire ses lèvres. « Celles que ton futur mari provoquera parce que t’es trop naïve pour te défendre. »
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| | | | (#)Mer 12 Fév 2020 - 19:06 | |
| Il avaient l’air d’enfants, lui à jouer avec la nourriture, elle à oublier de respirer pour seulement se contenter sur son flots de paroles. Ils sont devenus des adultes éreintés par la vie, forcés de se battre et de mordre pour ramasser les morceaux de leur ego éparpillés sur le champs de bataille. Ils ont repris les armes, se sont à nouveau vêtus de leurs milliers de mécanismes de défense aussi divers que variés, tous améliorés au fil des décennies. Le regard de l’aîné est copié par celui de Lily. Elle a essayé de lui donner une ouverture en lui proposant de voir la robe mais désormais elle comprend bien que ce n’était qu’un coup d’épée dans l’eau. Elle l’avait déjà perdu quand elle a parlé mariage et le distance entre eux n’a fait que s’agrandir depuis qu’elle en a spécifie le contexte, depuis qu’elle a souligné qu’il ne serait pas présent. « Non. Mais j’espère qu’elle te couvrira bien les bras. » Oh Lily, elle a un élan d’espoir fou à ce moment précis. Elle se dit qu’il la connaît peut être, son frère, qu’il sait qu’elle a en effet choisi une robe à manches longues malgré la chaleur étouffante de l’été parce qu’elle veut garder les bonnes façon d’être du siècle dernier. Elle veut être assez bien pour ses parents, elle veut leur montrer que malgré toutes les règles qu’elle a outrepassé elle reste néanmoins une bonne croyante et qu’elle ne trahira pas tout ce qu’ils lui ont inculqué. Elle se dit qu’il parle de manches longues parce qu’il la connaît plus qu’il ne le dira jamais et pendant une seconde, une seule, une vraiment fugace et très naïve seconde, elle sourit. « Il faudra bien ça pour éviter qu’les invités voient les marques dessus. Tu sais… » Le sourire s’efface déjà de son visage. Il sait mais il ne le dit pas encore alors elle reste muette à son tour. Elle le nargue de ses grands yeux bleus, elle le défie de poser des mots sur ces marques, elle le défie d’aller jusqu’au bout de sa pensée, lui qui semble si bien parti. « Celles que ton futur mari provoquera parce que t’es trop naïve pour te défendre. » Et elle regrette aussitôt. Elle regrette cet horrible sourire sur ses lèvres tout comme elle regrette les reproches qu’il ne prend pas même la peine de cacher, les événements qu’il compte sans aucun recul. Elle le déteste d’exister, d’être lui, d’être là. Il enfonce son couteau dans une plaie qu’elle a mis des années à tenter de guérir sans même y arriver, cette même plaie qu’elle a seulement recouverte de dizaines de pansements de toutes les couleurs pour tenter d’attirer le regard ailleurs. Et Joseph qui réduit tout à néant avec quelques mots seulement et un secret qu’il a pu garder dix années mais pas une minute de plus, apparemment.
La confiance de la brune est ébranlée, elle hésite entre hurler et pleurer mais elle ne se donne pas le droit de rien faire de tout cela. Face à elle ne se trouve pas son frère mais un ennemi à abattre ou, du moins, concurrencer. Elle n’ose pas montrer ses failles devant qui que ce soit et Joseph ne risque pas de faire exception à la règle, encore moins maintenant alors que le premier réflexe de la jeune femme est de lui renvoyer à la figure son foutu verre empli de saveurs chimiques qu’elle aurait du accompagner de mort aux rats. Ils ont l’air d’un couple qui se dispute et l’attention de tout le café se focalise sur eux sans qu’elle ne s’en rende compte. Il n’y a que Joseph qui lui draine toute son attention, son énergie ainsi que son absence totale de patience. Peut être même qu’elle a laissé passer un coup de pied en direction de son tibia sous la table mais le geste lui semble tellement dérisoire qu’elle ne s’en souvient pas réellement.
Une vie plus tôt elle aurait été la première à courir pour aller lui chercher le stock de serviettes pour qu’il puisse éponger tout le sucre mêlé à l’eau qu’elle vient de lui jeter dessus alors qu’aujourd’hui elle se contente de regarder le tout goutter le long de son tee shirt. Il devrait s’estimer heureux qu’elle ne lui ait pas balancé sur le visage directement. ”Comment tu sais ?” Elle fait tout pour ne pas crier parce qu’elle ne veut pas que tout le monde soit au courant de son passif, mais si ça ne tenait qu’à Lily elle aurait déjà hurlé mille fois sur son aîné avec l’espoir que ça l’aide à décompresser. Les plaies redeviennent douloureusement réelles sur ses bras, sur ses jambes et dans son dos. Son corps tout entier la brûle, la gratte. Elle aimerait être n’importe où sauf ici, n’importe où le plus loin possible de Joseph qu’elle se jure de ne plus revoir. Il vient de franchir la ligne rouge, laquelle elle n’avait jamais même osé imaginer dans ses pires scénarios. ”Qu’est ce que tu sais d’autre ?” La pharmacienne fait mine de rien alors qu’elle a les bras croisés et que ses ongles s’activent déjà à se gratter sur les bras. Le problème c’est qu’elle a de besoin de savoir jusqu’où elle doit lui en vouloir, jusqu’où les quelques personnes à qui elle a confié ce secret l’ont trahi par la même occasion. Elle a besoin de savoir s’il sait pour cet enfant qu’elle a aimé et porté pendant quelques trois mois, lequel était dans de sa famille qu’il l’aurait été de celle de Joseph.
Si elle avait pensé à allumer la lumière alors c’est certain qu’elle aurait vu la mine de son frère qui n’a rien d’habituelle ni même de joyeuse. Elle l’aurait même vu se pincer les lèvres et elle lui aurait tapé doucement dans le coin de la mâchoire parce qu’en faisant ça il ne peut pas s’empêcher de s’arracher un peu de peau par la même occasion et que c’est mauvais pour lui. Lily n’a rien vu de tout ça, pourtant, elle n’a absolument rien vu. Parce qu’il avait raison quand il disait que sa petite soeur est naïve, quand il lui montre un dessin elle ne se concentre plus que sur ce dernier, quand il parle d’un camp qu’il a sûrement aimé alors elle se dit que tout va bien. Il parle de bon souvenirs, Joseph, alors c’est certain qu’il vient lui annoncer une bonne nouvelle là maintenant. Le fait qu’il vienne la chercher au beau milieu de la nuit ne change rien, c’est sans doute parce qu'il était trop pressé d’en parler à sa soeur préférée (et la seule, surtout la seule). ”Je suis pas une gamine je peux m’amuser sans toi !” Elle réplique sans hargne, la voix encore endormie, un air faussement outré sur le visage. ”Je te ferai des dessins. Mais pars pas trop longtemps parce qu’après je vais les ranger quelque part et je suis sûre que c’est maman qui fait exprès de tout déranger ma chambre et après elle va dire que c’est moi qui ai tout perdu et après je vais devoir tout recommencer. Il a le visage fermé mais elle sourit pour deux, la petite brune, si certaine que son frère va autant s’amuser qu’elle dans son fameux camp. ”Et en plus tu vas pas me manquer à moi, hein, c’est à maman que tu vas manquer c'est sûûûr.”
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| | | | (#)Mar 18 Fév 2020 - 1:24 | |
| Il ne les a pas réfléchies, ses paroles. Elles se sont échappées de sa bouche comme s’il les vomissait. Il avait cru une seconde que Lily allait accepter la présence de son frère unique dans sa vie en l’invitant là où tous les gens qu’elle connait pourraient enfin le rencontrer. Certes, ses parents lui avaient effleuré l’esprit mais il avait décidé qu’il serait prêt à les ignorer avant même que sa sœur ne lui dise de façon très sérieuse qu’il ne fait pas partie de la liste des invités. Alors, le garçon à l’orgueil fripé s’était défendu comme il le pouvait : les poings, il sait les garder rangés, mais les mots empoisonnés, il les a apprivoisés depuis longtemps. Le visage de Lily traverse toutes les émotions jusqu’à ce qu’il se fige dans la dureté. De son côté, le garçon ne peut se détacher de ce sourire toxique sur ses lèvres, celui qui le sépare de la réalité dans laquelle il est un véritable connard d’avoir rappelé à sa sœur les pires souvenirs de sa vie – car ses pires souvenirs à lui sont les claquements de la ceinture de son paternel dans son dos. De ne pas se sentir aimé, c’est ce qu’il y a de pire, c’est ce qui consume un corps de l’intérieur pour transformer ses organes en pourriture. Joseph pensait avoir gagné. Il ne s’attendait pas à ce que la discussion ne se prolonge, ni à ce que sa sœur lui balance tout le contenu de son verre sur le t-shirt. Surpris, il se recule avec sa chaise, la faisant grincer violemment contre le carrelage de la boutique et il souffle un juron en se redressant pour éviter de mouiller l’entièreté de ses pantalons déjà mis amochés par son mode de vie. Tous les yeux des clients sont rivés vers eux – même la jeune fille derrière la caisse semble coincée dans une boucle temporelle, immobile, la bouche entrouverte par la surprise et le doigt posé contre l’écran sur lequel défilent les commandes. En s’essuyant grossièrement avec une serviette de table, il souffle tout l’air de ses poumons par ses narines, maintenant condamné à se trimbaler avec une odeur sucrée pour le reste de la journée. Il ne serait pas surpris d’attirer fourmis et abeilles avec un tel parfum. « Il faut toujours qu’t’en fasses des caisses. T’aimes bien qu’on t’regarde, hein ? T’aimes avoir l’attention rivée vers toi, toi et ton stupide mariage organisé. » Il souffle en posant ses deux mains sur la table pour surplomber Lily, le regard noir. Il n’a plus l’intention de se rasseoir avec elle : bientôt, il prendra le chemin de la sortie sans se retourner, parce que la rage boue en lui et jamais il ne se permettrait de perdre le contrôle devant celle qui ne cherche qu’une bonne raison pour le rayer officiellement de sa vie. ”Comment tu sais ?” Long soupir, il redresse la tête pour jeter un regard noir à tous ces curieux qui ont décidé de suivre l’action comme s’il s’agissait d’un téléroman. « Y’a rien à voir. » Il lance agressivement à l’intention de tout le monde, avant de reposer ses yeux sur sa sœur. « Tu pensais vraiment que j’verrais pas malgré les manches longues ? J’suis ton p’tain de frère, mais on dirait bien qu’t’as toi-même oublié à force de dire aux autres que j’existe pas. » Certes, c’est bel et bien Alfie qui lui a confirmé les doutes qu’il avait à propos de Lily et de son ex copain qui levait la main contre elle. Mais il les a flairés, les signes, parce qu’il les avait déjà vu sur son propres corps et son propre comportement. Elle était plus docile, Lily, quand elle s’accrochait au bras de ce connard. Joseph se redresse en constatant que deux hommes s’approchent de lui de façon menaçante. Ils ont évidemment l’intention de le virer d’ici alors le visé fait juste lever les deux mains devant lui pour signaler qu’il n’a pas l’intention de cause plus de trouble. ”Qu’est ce que tu sais d’autre ?” En réponse, il ne fait que secouer la tête de droite à gauche et il tourne les talons en abandonnant sa sœur ainsi que sa boisson arc-en-ciel qui ne lui aura pas porté chance malgré ses couleurs pétillantes. Il trouve le chemin de la sortie sans laisser le temps à la sécurité de la lui imposer.
Il veut qu’elle ne se rende pas compte de son départ ou qu’elle le transforme en quelque chose de positif. C’est pour cette raison que le jeune garçon évoque les souvenirs du camp de vacances et des dessins que Lily a pu faire avec sa maman pendant leur absence. ”Je suis pas une gamine je peux m’amuser sans toi !” Un sourire triste étire ses lèvres et il hoche la tête. « Je savais, tu n’as plus quatre ans, tu es indépendante. » Il ajoute pour que jamais elle n’oublie qu’elle est une fille forte qui n’a besoin de personne pour réaliser ce qu’elle souhaite réaliser. Tandis que la petite voix fluette de Lily s’empresse d’expliquer qu’il ne devra pas partir trop longtemps s’il veut voir les dessins qu’elle lui fera, un petit rire fait vibrer sa poitrine et il secoue la tête en posant sa main sur celle de sa sœur afin de la rassurer : « Ne t’inquiète pas, on se reverra et tu n’auras pas le temps de les perdre, ces dessins… Ou maman n’aura pas le temps de les égarer à ta place. » Il expire doucement et observe les deux yeux bleus de sa cadette, un à un, imprimant cette image dans sa tête. ”Et en plus tu vas pas me manquer à moi, hein, c’est à maman que tu vas manquer c'est sûûûr.” Son visage se referme légèrement et il se mord la lèvre inférieure pour empêcher les larmes de perler à ses paupières. « J’en suis certain. » qu’il ment avant de prendre une peluche à Lily pour la coller contre la poitrine de celle-ci. « Tiens, serre monsieur panda contre toi. Il t’accompagnera jusqu’à mon retour, d’accord ? » Et il se redresse, le cœur lourd mais la posture déterminée. Il lui fait un signe de la main, silencieux, et il trouve le chemin de la sortie sans laisser le temps à sa sœur de lui faire regretter son choix.
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| | | | (#)Dim 1 Mar 2020 - 1:07 | |
| Il la rassure, lui donne sa peluche préférée, lui sourit alors qu’au fond il a mille autres priorités et pensées mais sa petite soeur n’y voit que du feu. Elle va se mettre à compte les jours sans savoir réellement quand sera son retour, la brune a simplement la certitude qu’il reviendra un jour parce que serait incongru que cette marque leur dernière entrevue avant de nombreuses années. Finalement l’enfant se met rapidement début sur son lit pour attraper son aîné au niveau de la tête pour lui faire un câlin avant qu’il ne parte. Elle sait bien qu’il aurait mal si elle posait ses mains ne serait-ce sur sa nuque alors elle pose ses doigts à l’arrière de son crâne et sa tête à côté de la sienne. ”Je t’aime fort.” Plus fort que monsieur panda qu’elle a simplement laissé retomber sur ses couvertures. Il sera toujours là dans cinq minutes et dans cinq ans, de toute façon. Pas Joseph.
Lily a appris à se battre pour elle, à répondre, à ne plus rien attendre de personne puisque le monde entier finit toujours par la décevoir d’une manière ou d’une autre. Les yeux embués et la mine fermée, elle ne lâche pas le regard de son frère, aussi noir et blessant soit-il. « Il faut toujours qu’t’en fasses des caisses. T’aimes bien qu’on t’regarde, hein ? T’aimes avoir l’attention rivée vers toi, toi et ton stupide mariage organisé. » C’est celui qui était incapable de tenir en place à l’église qui parle, et c’est la parfaite gamine qui a toujours oeuvré pour rendre ses parents fiers qui subit. Elle bouille de l’intérieur et le tout commence peu à peu à la démanger jusque dans ses mains puisque la seule envie qui l’anime pour le moment c’est celle de frapper son aîné, le verre au visage ne lui ayant absolument pas suffit. Il est menaçant, il la surplombe, il la brise rien qu’avec ses mots mais jamais elle n’oserait mettre sa fierté de côté pour montrer une simple brèche dans sa carapace. Pourtant elle n’a jamais su faire preuve du même sang froid et d’autant de contrôle que son aîné, raison pour laquelle sa main fend l’air pour venir s’écraser sur la joue du Keegan la seconde qui suit. Elle croit bien trop en son mariage pour qu’il puisse le dénigrer en public, elle tient bien trop à sa fierté pour qu’il en soit de même. Il le sait, et c’est bien ça le pire dans toute l’histoire. Il sait où attaquer pour que ça lui fasse le plus mal, raison pour laquelle il ne s’arrête pas là et continue de la blesser en parlant de son passé. « J’suis ton p’tain de frère, mais on dirait bien qu’t’as toi-même oublié à force de dire aux autres que j’existe pas. » Lily ne veut pas croire que la démarche puisse le blesser alors que, des deux, il a été le premier à quitter le domicile familial et simplement la rayer de sa vie. Il ment, il joue un jeu, il se fait plaindre en public ; c’est tout ce qu’il a toujours su faire de toute façon, le garçon de foire, le fou du roi. ”Ca marche pas assez bien apparemment.” Elle va changer de nom de famille, elle va changer de travail, elle va changer de maison. Elle va changer de vie pour être celle qu’elle clame être depuis toujours alors que les fantômes du passé ne cessent de la retenir. Elle va devenir quelqu’un d’autre, la Lily amoureuse et mariée et heureuse, la Lily qui a grandit en tant que fille unique à la campagne et pour qui la vie a toujours été un long fleuve tranquille. Elle ne parlera pas de ses doigts qui la brûlent encore depuis qu’elle vient de donner une baffe à son aîné ni même de ses jambes tremblantes maintenant qu’elle s’est mise debout, incapable de supporter qu’il la surplombe tant. Ils ne sont pas frères et soeurs, seulement deux guerriers prêts à se donner la mort sur un champ de bataille.
C’est sans un mot de plus qu’elle le regarde partir et fuir, scène qui devient presque redondante. Cette fois ci, pourtant, ce n’est pas elle qui fera le premier pas vers lui. Elle ne lui pardonnera sûrement jamais non plus d’avoir ressorti autant de ses traumatismes en si peu de temps.
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| | | | | | | | A heart that resides in yesterdays | lilyjo #2 |
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