Cela fait dix minutes que mon téléphone vibre incessamment sur la table de la salle de réunion. Une perturbation qui commence à m'attirer les regards en coin de mon équipe en plein débrief des performances des versions numériques de leurs articles -ce qui est déjà un mauvais moment à passer pour ceux qui n'aiment que leur signature en bas d'une page de papier glacé, plus vrai, plus prestigieux. Une notification après l'autre, mon écran clignote et aligne les mentions d'Instagram, Facebook, Twitter et tous ces autres réseaux que je maîtrise à peine. Et je sais déjà, bien avant de quitter la pièce pour aller les lire, que cela ne présage rien de bon. Cinq minutes avant la fin du meeting, je m'esquive pour retourner dans mon bureau. Il me semble discerner un regard différent de la part de mon assistante, dont la place fait barrage entre moi et le reste du monde. Mon coeur se serre. Je ferme la porte derrière moi et me jette dans un fauteuil, prêt à éplucher la masse de notifications qui continue de pleuvoir et faire trembler mon portable comme un épileptique en crise. Insulte sur insulte sur insulte accompagnent la même photo reprise à l'infini sur tous les fils d'actualité et les stories. Toujours la même légende, le texte issu de la publication originelle et provenant de quelqu'un que je connais bien : Mina Farrell. Encore des mentions. Encore des insultes. Les bulles continuent d'apparaître sur l'écran pendant que je tente de comprendre ce qui m'arrive et jauger l'aspect critique de la situation. Un désastre. Une implosion. Cela n'en finit pas. Mon rythme cardiaque s'emballe, mes mains sont moites. Je finis par lâcher l'appareil et le laisser continuer de vibrer par terre, harcelé par le bruit de ses spasmes sur la moquette. J'enfouis ma tête entre mes mains, tente de retrouver mes esprits, d'assimiler les événements. Mais l'ampleur de la chose me prend à la gorge, et quelque part entre l'envie de rendre mon déjeuner et celui de fondre en larmes, je demeure tétanisé. Mina a tout dévoilé au grand public. Plus de huit cent mille personnes relaient l'information à leurs propres followers qui la font passer à leur tour. L’abus de pouvoir d’un rédacteur en chef qui a fait miroiter un tremplin à une héritière naïve bien trop jeune pour lui en échange d’une partie de jambes en l’air. Un pas de côté comme plus personne ne les tolère aujourd’hui. La toile s’enflamme et je suis au centre du bûcher. Cela ne fait qu’une heure que la photographie a été postée, et le premier article est sorti, comme pour officialiser la disgrâce. C’est le début de la seconde vague. Je demeure cloîtré dans mon bureau pour le reste de la matinée, dans le silence, hanté par un téléphone sans repos.
Je pense à Joanne, notre discussion de l’autre soir. Je pense à Daniel et Louise. La honte que je vais leur causer, l’épreuve supplémentaire que je leur impose et qui pourrait être celle de trop. Je songe à tous ceux que je déçois, ceux qui découvrent la situation et donc cette facette de moi que je ne pensais pas moi-même avoir. Je revois mes détracteurs persuadés que les excès de violence qu’ils savent font de moi un homme mauvais qui ne changera jamais, et la manière dont tout ceci leur donne raison -et plus encore de billes pour me traîner dans la boue. Et bien sûr, mes collègues, mon équipe. Je commence déjà le deuil de cette carrière qui s’achèvera de la pire des façons. Car il n’y a aucun scénario dans lequel je sors de cette tornade indemne. La porte finit par s’ouvrir sur Edwina McCann, directrice de tous les magazines logés dans le bâtiment. "Jamie, j'aimerais vous voir dans une heure." dit-elle comme elle l’aurait prononcé pour n’importe quel rendez-vous de dernière minute, sans dramatisation supplémentaire, sans une once d’émotion débordante. Mon regard se pose sur elle un court instant, puis s’enfuit. Son visage, doux mais fermé, est le reflet d’une personne contrariée qui a un pansement à arracher contre son gré. "Il faut que nous parlions de votre démission." ajoute-t-elle. Puis elle s’en va aussi rapidement qu’elle est apparue, sans attendre de réaction de ma part -et qui n’arrive pas, de toute manière. C’est inévitable, et je ne compte pas me battre contre le courant. Par terre, les vibrations du téléphone se font moins anarchiques. Un appel masque les notifications. Victoria, quelques étages au-dessus de moi, a eu vent de la nouvelle à son tour. Mollement, je saisis l’appareil et le porte à mon oreille avec une appréhension m’étouffant le coeur. Mon esprit tremble sous les secousses qui font subitement s’effondrer mon monde. "James ?" La voix habituellement si rassurante de celle que je considère comme une mentor s’émeut d’un mélange de dépits et de compassion. J’entends sa surprise, sa déception, avant qu’elle ne me demande avec honte ; "Est-ce que c'est vrai ?" Et je n’ai ni la volonté de nier, ni la force d’avouer. La vitalité m’a quitté. "Je suis désolé, Vee…" je souffle difficilement. C’est elle qui a toujours cru en moi, elle qui m’a permis d’avoir ce poste. Je la laisse tomber, royalement, et l’éclabousse un peu elle aussi avec ce scandale qui ponctue le chapitre GQ d’un point final.
"Mina !" Mon poing s’abat à répétition contre la porte. Le battant tremble sous les coups propulsés par la colère qui a pris le dessus sur l'apitoiement, deux verres plus tôt. J’ai vidé mon bureau, quitté la tour la queue entre les jambes et la tête basse. J’ai roulé jusqu’à un bar où tout le monde se fichait bien de qui je suis, un lieu où mettre de la distance entre moi et ce qui me marque une nouvelle fois au fer rouge. Terré, téléphone coupé, j’ai creusé cet écart avec la réalité en compagnie de whisky bon marché. Puis j’ai ressassé jusqu’à ce qu’une idée me traverse l’esprit ; comme toutes les idées soufflées par la bouteille, elle était mauvaise. Elle n’allait surtout pas plus loin que d’aller frapper à la porte de Mina ; toute suite ne faisait pas partie du plan. J’ai simplement besoin de la voir, lui faire face, lui cracher au visage qu’elle est en train de détruire de ma vie. Pas pour me faire plaindre ni recevoir des excuses. Juste lui dire. Lui dire et… je ne sais pas. La rage brouille mon jugement. Je ne saurais pas même dire l’heure qu’il est. "Je sais que t'es là !" Il y a de la lumière. Elle m’entend, elle sait qui est sur son palier. Personne n’irait ouvrir à une énergumène qui passe sa frustration sur la porte comme un boxeur dans un sac de sable. Pourtant, c’est sans arranger mon cas que je m’époumone un peu plus, le poing toujours lourd ; "OUVRE CETTE FOUTUE PORTE."
★ @Jamie Keynes & Mina Farrell Des mois s’étaient écoulés entre l’instant où Mina et le rédacteur en chef s’étaient vu pour la dernière fois et aujourd’hui. Elle avait estimée lui avoir laissé un délai plus long que prévu, elle avait juré de mettre sa menace à exécution et il n’avait pas pris en compte ses revendications. Sa patience avait été mise à rude épreuve et elle pouvait se rappeler du visage blessée de son épouse lorsqu’elle lui avait révélé en détail la nuit sulfureuse qu’elle avait passé au côté de son époux. Au fond, elle avait espéré que cela suffirait à leur faire entendre raison. À croire que Joanne n’avait pas su gérer de son côté Jamie, le mettre en garde contre l’héritière qui du haut de ses vingt-quatre ans n’avait aucun problème à détruire une famille. Elle l’avait prévenu et Jamie avait volontairement choisi de ne pas entendre ses avertissements. Il n’avait pas choisi la meilleure période pour se mettre la jeune femme à dos. À l’ère du post-Weinstein et autres prédateurs, Mina avait profité de la vague et elle n’avait eu besoin que d’un clic pour anéantir le père de famille. Elle avait assemblé les preuves contre lui pour écrire son histoire. Instagram et la twittosphère s’étaient chargé de lui rendre justice, accablant dès les premières secondes Jamie de tout les noms d’oiseaux que son geste procurait. Il n’avait plus seulement une Mina à gérer mais des milliers de pro-Mina qui juraient de faire la peau à cette ordure. Elle avait posé son téléphone seulement quelques secondes. Elle n’avait pas imaginé les proportions que cette histoire prendrait, du moins pas aussi vite. « Mina, qu’est-ce que tu as fait ? » la voix sidérée de Carlisle la sortie de ses pensées. Il était aussi blanc que son t-shirt tandis qu’il semblait prendre conscience plus rapidement du geste de sa ‘’petite amie’’. Elle avait laissé parler sa soif de vengeance sans réellement prendre conscience qu’elle impacterait l’ex-pilote et leur fille. Il ne lui avait fallu que cinq petites minutes pour se rendre compte de la bombe qu’elle avait lancé et même si elle pensa un instant supprimer son poste, il avait été relayé une bonne centaines de fois. C’était trop tard ! Le mécanisme était déclenchée et elle n’avait d’autres choix que d’assumer son geste. Tant pis pour Joanne, tant pis pour leurs enfants, tant pis pour Carlisle, tant pis pour Maya et tant pis pour Mina et Jamie. Ils allaient tous être en ligne de front et elle forçait désormais les siens à se battre à ses côtés. Dans l’histoire, elle n’était pas la plus à plaindre, sa place de présumée victime lui assurait le soutien d’un paquet de gens et même ceux pour qui elle ne faisait pas l’unanimité se rangeait de son côté. Aujourd’hui, c’était elle contre Jamie et elle comptait bien se battre puisque c’était ce qui lui restait à faire maintenant qu’elle avait enclenché le processus. Elle avait participé au lynchage médiatique de Jamie qui avait eu le malheur de sous-estimer la jeune Farrell. Il avait eu tort de s’en faire une ennemie et il en payait certainement les conséquences. Œil pour œil, dent pour dent, ce combat était déloyal mais il avait été le premier à rompre leur contrat. Dans son malheur, il pouvait s’estimer heureux que l’héritière ne descende pas d’une famille mafieuse qui se serait empressée de lui couper ses organes génitaux pour l’honneur de leur fille. Elle avait passé un pacte avec lui qu’il s’était empressé de le trahir à la seconde où il avait obtenu ce qu’il voulait. Terrible erreur qu’il s’apprêtait désormais à payer au prix fort. Son téléphone n’avait pas cessé de sonner, pour la plupart des demandes d’interviews et des féministes prête à lui offrir leur soutien et toute leur solidarité. Carlisle avait hésité à la laisser seule pour la journée. Il avait insisté pour qu’elle ne retourne pas à son hôtel, l’endroit où elle créchait habituellement. Les paparazzis s’étaient aussitôt approprié l’affaire se rendant au domicile de l’héritière et probablement au siége GQ pour tirer l’affaire au clair. Tout le monde semblait vouloir éclaircir cette histoire alors même que les premiers concernaient n’avaient pas eu le temps de prendre conscience de ce qui leur arrivait. Le brouhaha médiatique que cela avait causé dépassé clairement les protagonistes et Carlisle avait vivement conseillé à la demoiselle d’éteindre son cellulaire et son ordinateur pour faire la morte quelques heures. Le temps que ça dissipe un peu, avait-il dit, craignant pour leur famille. Si elle pouvait compter sur son soutien, il est vrai qu’il aurait probablement préféré qu’elle le prévienne. Pour l’occasion, il avait préféré laisser leur fille à une amie, tandis qu’il avait congédié le reste du personnel pour le reste de la semaine. De quoi donner un peu d’espace à la jeune femme traquée par les journalistes et une horde de photographes. Bien qu’elle détestait Jamie de tout son âme, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer qu’il devait passer ses heures les plus noires. Dans d’autres circonstances, elle aurait pu jubiler de son malheur. Seulement, cette histoire lui coûtait sa propre tranquillité et à en voir son téléphone qui n’avait pas cessé de sonner de la journée, il y avait fort à parier qu’ils n’étaient qu’au début des problèmes. Pour s’aérer l’esprit, elle avait choisi de se cloîtrer dans la chambre de Carlisle, tentant de tuer le temps à coups de films et de séries. Elle sursauta au premier coup contre la porte. Son cœur se mit à battre fort et elle décida d’ignorer le bruit qui provenait de l’extérieur. Piquée par la curiosité, elle décida d’aller voir par la fenêtre l’identité de ce bourrin. Jamie ! Comment avait-il su qu’elle était là. Sans trop réfléchir, elle dévala rapidement les escaliers vers l’étage inférieur, vérifiant que toutes les portes et fenêtres étaient fermés alors qu’une peur soudaine habita tout son âme. « Je sais que t'es là ! » Bien sûr qu’il le savait, il n’était pas rédacteur en chef GQ pour rien. Il avait le bras aussi long qu’elle et s’il avait réussi à la retrouver, il ne tarderait pas à être plusieurs dans le même cas. « Va t-en ! » cria-t-elle de l’autre côté de la porte. Si par écrit, elle s’était montrée plus courageuse, toute seule, elle avait choisi le chemin de la sureté. « OUVRE CETTE FOUTUE PORTE. » il pouvait toujours rêver, elle n’était pas encore suicidaire pour le confronter. « Je n’ai rien à te dire, va-t’en ou j’appelle les flics ! Tu es sur une propriété privée…»
La porte étouffe le son des pas qui dévalent l’escalier à l’intérieur, mais pas assez pour échapper à mon oreille collée à celle-ci dans l’espoir d’entendre un signe de vie ; et elle est là, la preuve que Mina est présente, qu’elle m’entend. Le bruit feutré de sa démarche hagard, prise par surprise au milieu de la nuit, arrachée à sa tranquillité et son impunité. Alors je frappe de plus belle, comme si l’insistance par la violence lui ferait m’ouvrir, quand la vérité est que la terreur que cet élan de rage lui inspire cloue ses pieds au sol. "Va t'en !" qu’elle me somme, la lâche. Non, Mina n’a pas le courage de me faire face, de regarder le fruit de sa vengeance droit dans les yeux, et de scruter dans le détail les premières heures de la chute d’un homme qu’elle a elle-même instigué. Cela ne serait qu’admirer le résultat de son travail. Oui, se délecter de ma condition, de ma rage qui transforme le voile de détresse devant mon regard en larmes de colère, en quête d’un coupable. Ne s’accorde-t-elle pas cette récompense ? Ne viendra-t-elle pas me rire à la figure et me jauger une dernière fois d’un “bien fait” mérité ? Moi, je ne bougerais pas d’ici. Tant que mes phalanges n’auront pas rougi la porte de mon sang, je pourrais demeurer sur ce seuil indéfiniment. Et continuer de frapper, frapper, jusqu’à ce que le son la hante le reste de cette nuit et des suivantes. "Je ne vais nulle part !" j’hurle, abattant à son tour mon pied contre le battant. Il y a quelque chose de transcendant dans la force et la détermination que peut vous conférer la réalisation que votre vie est fichue. Ce n’est pas un sentiment nouveau ; dans ma vie, cela revient plutôt à recroiser une vieille amie. Car plus d’une fois j’ai été à terre, et autant de fois me suis-je relevé. Mais se peut-il que ce soit Mina Farrell qui me condamnera à être pieds et poings liés, dos au mur, impuissant face au spectacle de dizaines d’années de travail réduites à néant, d’un mariage malheureux et d’une famille au bord du précipice ? “Je n’ai rien à te dire, va-t’en ou j’appelle les flics ! Tu es sur une propriété privée… - J'en ai rien à faire !" je coupe, mes préoccupations ayant désormais amplement dépassé les simples lois de tranquillité du voisinage. "Appelle la police si ça te chante, tu crois que je suis à ça près ?!" Qu’on vienne me juger, qu’on m’arrache à ce paillasson ; il faudra au moins cela, et deux hommes résolus, pour me faire partir sans avoir obtenu mon du. Juste la voir. Juste lui dire. Juste plonger mon regard dans le sien et qu’elle n’y perçoive qu’une haine sans limites. Juste lui faire prendre conscience qu’elle avait le canon contre ma tempe, et que c’est elle qui a décidé le tirer sur la gâchette. Comment vais-je me sortir d’affaire, cette fois ? Comment vais-je faire en sorte que l’entièreté de ma vie ne s’échappe pas comme du sable entre mes doigts ? Y aura-t-il seulement quelque chose à sauver ? Carrière, fichue. L’opinion publique est autant en ébullition qu’une foule enragée armée de fourches et de torches. Je ne peux pas rentrer chez moi et les trouver en train de fouler le gazon de mon jardin. Je ne peux pas aller chez moi et subir le regard de Joanne, l’incompréhension de Daniel, et le futur de Louise désormais marqué au fer rouge du nom d’un père qui manipule des rentières ambitieuses. Mina s’est-elle seulement rendue compte de tous les dommages collatéraux que son ego blessé allait lui faire causer ? C’est fort de toute la colère supplémentaire puisée dans ces pensées que je recommence à taper inlassablement, ordonnant à nouveau ; "OUVRE ! Je te jure que si tu n'ouvres pas tout de suite je dis à tous les paps de la ville où te trouver ET TU L'AURAS ENFIN TA PUTAIN D'HEURE DE GLOIRE FARRELL." C’est ce qu’elle veut après tout, depuis le début. Qu’on parle d’elle. Elle voulait une couverture, même, mettre son minois en Une. Se donner en spectacle, comme le reste de ces millenials qui pensent que la célébrité est une fin en soi. Que fera-t-elle quand elle sera harcelée à son tour ? Est-elle vraiment prête à prendre dans la figure l’ampleur de son acte ? Car même à cette heure, si l’on siffle les paparazzis, ils viendront. Ils viennent toujours. Et en attendant que leurs yeux soient rivés sur nous, ce sont ceux du voisinage qui commencent à scruter la scène, discrètement, derrière leurs rideaux.
★ @Jamie Keynes & Mina Farrell Évidemment qu’elle avait peur. Comme d’habitude, elle avait laissé sa soif de vengeance parler pour elle et elle n’avait pas réellement pensé aux conséquences. Elle voulait frapper fort pour lui prouver qu’elle n’était pas de ces filles qu’il pouvait utiliser et jeter sans être inquiéter. Elle n’avait demandé qu’une seule chose et il n’avait pas été capable de tenir ses engagements. Peut-être s’était-il trompé de victimes, parce que oui, c’était ainsi qu’elle se voyait. Manipulée et candide, elle avait avalé les parole du rédacteur en chef de QG. Bien sur, il ne lui avait pas mis le couteau sous la gorge, elle était parfaitement consciente de ce qu’elle faisait mais elle avait pensé avoir à faire à un homme de parole. Elle avait été bête de lui faire confiance mais il l’avait été encore plus de penser qu’elle s’arrêterait là. Mina n’était pas le genre de personne à se laisser faire. Elle avait grandi parmi des requins et comme eux, elle n’hésitait à écraser en première. Elle n’avait eu aucun scrupule à poster cette photo Instagram. Boum. En moins de trente secondes, les premiers commentaires s’étaient mis à pleuvoir à l’encontre du salaud. Lynchage sur la place publique, le réseau social s’était transformé en tribunal à ciel ouvert. Tout le monde avait son mot à dire et certains s’improvisaient même avocat des deux parties. Elle n’avait eu besoin que d’un clique pour le détruire et c’est probablement la facilité de son acte qui ne l’avait empêché de réfléchir aux conséquences. Avait-elle au moins le droit de faire cela ? Moralement, elle n’avait pas l’air de s’en inquiéter puisqu’elle s’autorisait tous les coups avec ses ennemis mais sa famille dans tout cela. Elle était la mieux placée pour savoir que chaque action aurait forcément des répercussions sur la famille. Cela faisait quelques mois qu’elle ne faisait plus bloc seul. Il y avait désormais Maya et Carlisle et bien sûr, dans sa petite vendetta elle n’avait pas imaginé que ça les atteindrait également. Sans le vouloir, elle les avait embarqué avec elle. Ils n’avaient plus la possibilité de faire marche arrière. Il était désormais là. De l’autre côté de la porte. Dans leur rivalité, ils se ressemblaient pourtant. L’un comme l’autre était désormais habité par la peur et l’incertitude. Leur haine envers l’autre pourrait les emmener à leur perte. Seuls quelques centimètre de bois massive protégé l’héritière, mais jusqu’à quand. A sa façon de tambouriner sur la porte, il serait capable de la casser. Et là ? Elle n’osait imaginer la suite. « Je ne vais nulle part ! » son cœur battait la chamade et elle ignorait de quoi cet homme était capable. Elle était seule et elle n’avait aucune idée de comment sortir de cette passe. Sa seule arme restait encore son téléphone portable. « Je suis sérieuse, je vais vraiment les appeler. » menace-t-elle une seconde fois, alors qu’elle compose le numéro de la police. Il n’était pas en état de discuter et elle n’était pas suicidaire pour lui ouvrir. « J'en ai rien à faire ! Appelle la police si ça te chante, tu crois que je suis à ça près ?! » il était fou à lier et il avait de quoi. Elle venait de le mettre KO. Elle imaginait au son de sa voix et aux secousses de la porte son énervement contre elle. Il devait la détester. À son tour, il apprenait ce que c’était de s’en prendre à Mina. Elle ne voulait pourtant pas envenimer la situation plus qu’elle ne l’était déjà. Elle ne cherchait pas à le provoquer cette fois-ci. Mina n’était pas du genre à mettre des coups à un homme déjà à terre. « Tu devrais pourtant. Ça ne sert à rien ce que tu fais… Je ne compte pas t’ouvrir. » cris-t-elle de nouveau, alors qu’elle n’est qu’à quelques centimètres de l’entrée. Elle ne lui fait pas confiance et elle connaît son passé violent. N’est-ce pas lui qui s’en est pris à sa propre femme par le passé. Il ne ferait qu’une bouchée de la jolie milliardaire. Elle préfère ne pas jeter de l’huile sur le feu. Elle garde ses reproches pour une autre fois et évite de lui montrer qu’elle a peur. « OUVRE ! Je te jure que si tu n'ouvres pas tout de suite je dis à tous les paps de la ville où te trouver ET TU L'AURAS ENFIN TA PUTAIN D'HEURE DE GLOIRE FARRELL. » Elle sursaute. Non, elle ne veut pas les voir débarquer chez Carlisle. Elle n’est pas prête à faire ça à leur fille non plus. Ce mot la fait trembler de l’intérieur et elle espère qu’il ne mettra pas sa menace à profit. Elle ne voulait pas de cette gloire. D’ailleurs, elle n’en voulait plus du tout. Pour la première fois, elle préférait qu’on la laisse tranquille alors même qu’elle avait enclenché seule la bombe. « Tu ne feras rien. » dit-elle d’un ton ferme en s’appuyant sur la porte. « Je sais également où tu vis et où vivent tes enfants et ta femme. Tu sais de quoi je suis capable Jamie et tu n’as pas envie de ça pour eux…» Elle est sincère, au fond, elle n’a pas non plus envie de les embarquer encore plus dans l’erreur de leur père. Seulement s’il l’oblige, elle sera de nouveau obligé de répliquer jusqu’à que cette histoire atteigne un point de non-retour. « Rentre chez toi et ne t’avise plus de revenir. »
hs: désolé du temps de réponse. je n'étais pas présente ces temps-ci .
Comment en était-il arrivé là ? allait très bientôt devenir la principale question que le Keynes aurait tout loisir de se poser à longueur de journée. Mais en attendant que la sobriété ne lui ouvre les yeux sur tous les tenants et les aboutissants ayant mené à ce moment précis de son histoire, c’était le whisky qui parlait et manipulait ses actes comme la vulgaire marionnette de ses violentes émotions. S’il se voyait, il se mépriserait. Il se haïrait d’être cet homme-là, celui qui tabasse une porte en pleine nuit, celui qui s'époumone furieusement comme un loup hurle à la lune. Et il rageait intérieurement, oui. Il brûlait, se consumait, mais pas contre lui-même. Contre la jeune femme de l’autre côté de cette porte, celle qu’il pourrait étrangler de ses mains nues, celle qu’il rêve de détruire au moins autant qu’elle y est parvenue pour lui. « Tu ne feras rien. Je sais également où tu vis et où vivent tes enfants et ta femme. Tu sais de quoi je suis capable Jamie et tu n’as pas envie de ça pour eux…» A aucun instant Jamie n’avait songé à prendre Mina au sérieux. Que ce soit son ambition puis ses menaces ; elle n’était, à ses yeux, qu’une jeune écervelée comme une autre avec des yeux plus gros que le ventre. Rien ne laissait présager qu’elle était bien plus dangereuse et déterminée, qu’elle finirait par appliquer ses menaces, même des années après les faits. Oh, elle avait fait preuve de bien plus de patience qu’il n’en fallait avec lui, mais l’anglais ne s’étonnait pas moins de se retrouver au pied du mur, écrasé contre les briques de plein fouet. « Rentre chez toi et ne t’avise plus de revenir. » conseilla Farrell une dernière fois. La moindre des choses pour Jamie, après avoir douté de sa capacité à passer des mots à l’action une première fois, aurait été de tourner les talons avant que les sirènes ne se fassent entendre au bout de la rue. Mais si la raison l’aurait normalement poussé à partir, elle l’aurait également empêché de venir jusqu’ici initialement, et désormais il était hors de question pour cet esprit embrumé de quitter le seuil de cette porte avant d’avoir pu poser ses yeux sur l’auteure de sa disgrâce. “Et tu vas faire quoi, hm ? Comment tu pourrais faire pire ?!” Elle avait toujours moyen de faire pire. Elle jouait sur un terrain que lui ne maîtrisait pas assez bien. Il ne réalisait pas à quel point la jeune femme avait le pouvoir d’alimenter encore et encore le dossier contre lui sur le tribunal du world wide web. Une autre publication sur les réseaux sociaux ? Peut-être une vidéo de ces menaces à travers la porte de son refuge afin de prouver un peu plus au monde à quel animal elle avait affaire. Rien ne pouvait l’obliger à ouvrir. La cause était perdue d’avance, à la minute où Jamie avait décidé de conduire irresponsablement jusqu’à cette adresse. L’alcool dévorant ses forces une fois l’adrénaline passée, le brun posa son front sur la porte qui demeurait close. Il frappa, encore une ou deux fois, avec ce qui lui restait d’énergie insufflée par la rage -avant que la détresse prenne le relais. “Je ne sais même pas si j’ai encore un chez moi où aller, Mina !” Les serrures seraient-elles changées ? Joanne sera-t-elle partie ? Aura-t-elle emporté les enfants avec elle ? Acceptera-t-elle de lui parler, de le laisser s’expliquer ? Le laissera-t-elle continuer d’être un père pour Daniel et Louise ? Ou n’y avait-il que la froideur d’un foyer vide pour l’accueillir ce soir, et tous les suivants ? “Est-ce que tu te rends compte de ça ? Est-ce que tu réalises ce que tu as fait ?” Il n’était plus seulement question d’une histoire locale de violences conjugales. Mina l’avait jeté en pâture au monde entier, lâché dans la fosse pour être lapidé perpétuellement. “J’ai perdu mon travail, ma réputation, et je vais sûrement perdre ma femme. Tout ça pour l’orgueil d’une sale gosse.” Dans ce monde en mutation, un homme accusé de la sorte était terminé. Personne ne savait comment se relever, si telle chose était possible. Personne ne savait s’il existait un après. Il en était terrifié. “Alors vas-y, Mina. Appelle la police. Au moins je saurais où aller ce soir.” Tremblant des pieds à la tête, Jamie prenait pleinement conscience de la traversée du désert qui l’attendait, toute la haine qu’il allait essuyer. Sa voix était ébranlée, désormais brisée. Toutes ses pensées finissaient par tourner autour de Joanne, de leur famille, entraînée dans cette histoire malgré elle. C’était une énième souffrance qu’il leur infligeait, et ce mélange de honte et de rage inondait ses joues de larmes.