| A princess will always get what she wants ~ Saül Williams |
| | (#)Mer 22 Jan 2020 - 0:13 | |
| - Song:
https://www.youtube.com/watch?v=SJ-KGGS_SY0
I live my life with no regrets. S'il y a bien une phrase qui devait définir Sixtine, c'était celle-ci. La jeune femme était carriériste, ambitieuse, un tantinet capricieuse et très travailleuse. A partir de là, elle considérait que ce qu'elle voudrait, elle l'aurait. Si jamais des obstacles se dressaient au travers de sa route, elle les écarterait, les plomberait insidieusement ou les atomiserait, en fonction. Dans tous les cas, rien ne saurait la freiner dans ses désirs. La fraîcheur et le punch de la jeunesse l'aidaient toujours à avoir cette vision qui n'était pas d'un optimisme innocent et naïf, mais d'une détermination sans failles. Ce jour était probablement celui où elle prendrait le plus de risques en son début de carrière, et peut-être que ça ruinerait une partie de sa réputation. Tant pis; pour savoir se démarquer lorsque l'on a rien de beaucoup plus qu'un autre candidat à un stage, un autre numéro sur une épaisse pile de C.V. aussitôt jeté par un employé des ressources humaines peu regardant, il fallait savoir donner du sien. Ça, la blonde savait faire, et pouvait être très ingénieuse quand elle le désirait. De plus, on lui collait souvent l'étiquette de "la soeur de", et si elle savait l'utiliser dans son intérêt, elle ne voulait pas être que la cadette de Camil aux yeux du monde. Elle voulait apposer sa patte dans l'univers professionnel, faire ses preuves, comme son aîné les avait faites avant elle.
Cette période d'immersion dans une nouvelle entreprise, elle avait décidé que ce serait au siège de Michael Hills, le regroupement international de joalliers sous la houpe de Saül Williams qu'elle la passerait. La blonde était d'ailleurs très contente que la fac les oblige à avoir une période de stage dans un autre cadre que celui où les étudiants accomplissaient leurs trois années d'alternance. C'était là l'occasion rêvée pour elle de passer de la mairie de Brisbane - où elle travaillait avec et pour son frère, ce qui lui allait très bien car ils étaient toujours dans une osmose confondante - qui ressortait forcément du domaine public, à une entreprise des plus privées qui soit. Le souci ? Elle avait beau eu envoyé curriculum vitae sur lettre de motivation, appeler les ressources humaines de l'entreprise, solliciter un rendez-vous ou au moins une relance à l'accueil, on ne l'avait jamais rappelée. Ah oui, c'est ce que vous croyez ? qu'elle avait répliqué avec une voix échauffée à la dernière potiche qui lui avait dit qu'ils ne prenaient pas de stagiaires actuellement; comme si une aussi grande boîte n'en prenait pas. Ils favorisaient juste les enfants des employés, rien d'étonnant. A bientôt, qu'elle avait simplement conclu en tournant les talons. Là, elle avait commencé à élaborer son plan.
En réalité, ça avait été très simple. Elle avait fait en sorte d'obtenir un uniforme qui ressemblait à s'y méprendre à celui que portaient les employés de l'entreprise missionnée par Michael Hills pour la gestion des machines à cafés et à snacks - elle s'était renseignée en amont, forcément - et s'en était vêtue ce matin. Dans la grosse valise roulante qu'elle tenait devant elle, point de recharges en cappucino et kinder bueno, mais ses affaires de rechange, pour apparaître bien vêtue devant le CEO, tout de même. Oui, c'était bien lui en personne qu'elle ciblait. A l'accueil, portant une casquette et des cheveux attachés dessous, peu reconnaissable pour une personne ne l'ayant qu'entrevue trois semaines plus tôt, elle demanda avec complaisance: Mr Williams est-il dans son bureau actuellement ? Je ne voudrais pas interrompre une réunion, ou quoi que ce soit... Oh non, ne vous en faites pas, il est dans l'aile du marketing, il reviendra peu avant la pause de midi. Parfait. La blonde remercia d'un signe de tête, et partit vers l'ascenceur le plus proche, prétextant aller d'abord gérer les machines du plus haut étage.
Moins d'un quart d'heure plus tard, elle était devant la porte du bureau de Saül Williams. Couloir désert, qui oserait marcher dans le sas d'entrée des locaux du patron en sachant qu'il n'était pas là ? Haha, si prévisible. Une épingle à cheveux, et Sixtine entra. Elle referma soigneusement derrière elle, après avoir fait entrer sa grosse valise. Se cachant derrière un rideau, la petite blonde prit tout le temps de s'habiller et de se mettre sur son 31, pour un rendez-vous professionnel s'entend. En effet, malgré son entrée totalement ubuesque et outrageusement culottée, Sixtine n'en oubliait pas le côté "bonne impression" et le style assez rigide qu'il se fallait d'adopter dans le cadre d'un entretien.
Une robe-tailleur très ajustée, avec un joli décolleté aussi charmeur que discret grâce à ses motifs dentelés, des talons légèrement ornementés, une large pochette dans laquelle elle avait prit soin de ranger ses documents professionnels, et une veste légère blanche. Classe et assez détonnant des classiques jupe-chemisier-blouse-talons noirs. Un coup de brosse dans les cheveux, un peu de mascara, un chouilla de rouge à lèvres bien rouge... Elle pinça ses pommettes pour leur amener un peu de rosé. Un bracelet au poignet gauche, une montre au droit. Fin prête. Elle laissa la lourde valise roulante cachée derrière le rideau, et alla s'asseoir sur la chaise qui faisait face au bureau de Mr Williams, comme si l'entretien avait déjà été prévu par le Destin. Malgré tout son culot, son petit coeur commençait à battre à tout rompre dans sa poitrine. Une chose était cependant sûre, quoi qu'il arrive: elle ne se démontrait pas.
- Tenue Sixtine:
https://zupimages.net/up/20/04/fpvd.jpg
@Saül Williams
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| | | | (#)Mer 22 Jan 2020 - 19:46 | |
| « Juste une petite signature ici, M. Williams. » Des heures qu'il se foule le poignet à signer leurs papiers de merde, Saül. Trop longtemps que ça dure. Bientôt, sa patience arrivera a son terme. Où sont les gens qu'il a désigné pour les signer à sa place, ces foutus papiers ? Après un énième 'et ici en bas de page, je vous prie', il congédie tout le monde d'un bureau qui n'est même pas le sien. Tout le monde, sauf sa secrétaire, à qui il confie le très clair 'je ne veux pas être dérangé' de la journée. Lorsque enfin, l'italien choisit de prendre la porte, tout son dos craque comme un bâton lumineux.
Saül arpente les couloirs d'un pas faussement pressé, pour rejoindre son antre. Là où personne ne le dérangera. Là où il pourra avoir une sieste bien méritée sur un canapé qui n'attend que lui, la porte fermée à clef. Payé à rien foutre. Oui, c'est l'avantage d'être en haut, tout en haut de l'échelle sociale. Tellement haut qu'il ne s'occupe presque plus de rien, à part de taper du poing sur la table dans des réunions qu'on convoque pour lui; tellement haut qu'il ne regarde même plus les têtes qui bossent avec lui. Sa journée est peuplée de 'quel est votre nom, déjà ?' qui ne sont pas le fruit d'une perte de mémoire précoce. L'italien n'en a tout simplement rien à faire, de tous ces jeunes trop pleins d'énergie qui gravitent autour de lui comme s'ils espéraient s'attirer des faveurs imaginaires. La vérité, c'est que personne ne les a, ses faveurs. La vérité, c'est qu'il s'en fiche complètement, tant que tout le monde passe devant son bureau avec déférence, sans trop de bruit. Tant qu'on respecte sa sieste, et ses 'je ne veux plus être dérangé'. Les petits nouveaux ne savent pas encore. Les plus anciens s'amusent souvent à envoyer leurs jeunes collègues au casse-pipe, dans l'antre du crocodile, juste pour les voir ressortir de la pièce blancs comme neige. Saül les trouve désespérément ennuyeux, tous.
Une main sur la poignée de le battant de bois qui porte son nom, les yeux rivés sur sa montre, il s'apprête à passer le pas de son petit chez-lui - qui fait parfois plus office de 'chez-lui' que sa propre maison. La pièce est si bien isolée qu'il peut aisément y rester des heures, dans le silence le plus complet. Avant que ne revienne la tempête. Avant une autre réunion, d'autres coups de poings sur la table, d'autres 'je ne veux plus être dérangé'. C'est la pause de midi, voilà pourquoi le couloir grouille si peu. Et pourtant, il y a les petits jeunes qui font du zèle, qui l'évitent en lui lançant un regard fier, celui du 'je-ne-prends-pas-ma-pause', 'je-suis-toujours-sur-le-pont'. Il était comme cela, plus jeune. Comme cela, mais en moins clinquant. Lui n'a jamais eu à faire le malin pour grimper comme une étoile dans le firmament. Une petite femme lui adresse une salutation, à laquelle il répond du bout des lèvres. Et le voilà qui passe enfin la porte, après ce petit moment d'égarement à contempler les locaux faussement animés - alors qu'il sait comment ces gens là parlent de ceux qui sont hiérarchiquement au dessus d'eux.
Il retient la porte, le regard perdu sur ses pieds, distrait par une tâche sur sa chaussure. La serrure cliquette, tourne mal. Saül fronce les sourcils, finit enfin par la claquer complètement et tourne le loquet. Deux fois. Le voilà seul. Il fait encore face à la porte lorsqu'il entend comme un froissement de tissus. Quelqu'un est installé en face de son bureau. Quelqu'un, ou plutôt quelqu'une. « J'ai dit que je ne voulais plus être dérangé. », qu'il marmonne en s'avançant dans la pièce éblouissante de blanc. C'était un critère, les grandes fenêtres. Le besoin d'espace, ce faux espace qu'il s'imagine, lui qui est emprisonné dans une boîte un conséquent nombre d'heures dans la journée. L'italien fait le tour de son bureau, les main dans les poches. C'est drôle, il lui vient en tête cette fameuse scène de Alice au Pays des Merveilles, celle pendant laquelle la Reine de Cœur hurle 'qui ose peindre mes roses en rouge ?!'. Qui ose rentrer ici sans y avoir été invité ? Mais il n'éructe pas, le visage impassible, les traits blasés. « Je croyais que la politesse voulait que l'on n'entre pas dans un lieu privé sans y avoir été invité. » C'est peut-être l'une de ces gamines que les plus anciens de la boîte s'amusent à envoyer chez lui : le baptême du feu. La jeune femme, en robe noire, a l'air trop jeune pour ne serait-ce que faire partie de ces petits moutons là, ceux que l'on envoie à l'abattoir et qui sont interchangeables. « Votre nom. » Nul part ne vibre l'intonation de l'interrogation. Pas ici. Ce n'était pas une question. Qu'elle me dise son nom, et qu'elle sorte. |
| | | | (#)Mer 22 Jan 2020 - 21:21 | |
| 12h05.
Sixtine venait de consulter sa montre, une toute fine dans des teintes cuivrées, mais au cadran un peu plus large que la moyenne, dû aux rouages visibles à l'intérieur, donnant à l'ensemble une allure steampunk qui permettait de rajouter un peu de fantaisie dans ses tenues les plus classiques. La jeune femme essayait toujours de marcher sur la ligne fine des codes sociaux, à la limite entre ce qui faisait rentrer dans un moule obligatoire pour être accepté de ceux que l'on visait et la touche la rendant tellement unique, si différente des autres. De la masse. Sortir du lot, là était son objectif. Elle ne gravirait pas les échelons en léchant les bottes et les fesses de ses supérieurs; enfin, pas que. Avant tout, elle voulait s'affirmer pour ce qu'elle était, pour son savoir-faire comme son savoir-être, qui pouvait être tout à fait convenable lorsqu'elle s'estimait en pleine possession de ses droits et de ses pouvoirs.
12h15.
Elle soupira, se demandant bien à quelle heure pouvait être la pause déjeuner, ici. Déjà vingt longues minutes qu'elle patientait. A sa place, n'importe qui aurait stressé à mort, et elle ne pouvait pas cacher le fait d'être assez tendue mais à son sens, il s'agissait plus d'excitation et d'adrénaline que de peur. Au pire, que risquait-elle ? D'être prise pour une gamine effrontée ? Se faire sortir par la sécurité ? Ce serait certes blessant pour son ego, mais ça ne tuerait pas sa carrière, loin de là. Pour en avoir déjà fréquenté, des patrons de grandes entreprises, elle savait très bien ce qu'elle serait pour Saül Williams s'il la rejetait aujourd'hui. Rien. Absolument rien. Tout au mieux, une anecdote à raconter en soirée mondaine ou familiale comme une histoire pittoresque, rien de plus. Alors franchement, autant tenter le tout pour le tout. Elle mordilla sa lèvre inférieure, prenant son mal en patience autant que possible.
12h21.
Au fait, quel genre d'homme pouvait bien être Saül Williams ?
12h28.
Plus encore que son potentiel recruteur, l'étudiante était curieuse de le savoir. Après tout, quand on est aussi haut placé dans les sphères sociales, économiques et professionnelles, à quoi peut-on encore bien aspirer ?
...
Soudainement, après une attente qui avait semblé être une éternité, des bruits de pas derrière la porte. Pas des quelques-uns qu'elle avait pu entendre en tendant l'oreille, feutrés et rapides, comme si ceux qui passaient devant le bureau de leur CEO avaient le diable aux fesses. Non, là, il s'agissait bien d'une démarche sûre d'elle-même, pressée d'arriver à son but non par crainte d'une remarque désobligeante, d'un regard ennuyé ou d'une engueulade, mais par envie d'atteindre son seul but. Le bureau. Avant qu'il n'entre, Sixtine prit une dernière grande inspiration. L'instant de vérité arrivait, et était plus proche que jamais.
Première impression ? Assez vague à vrai dire, car ce n'est qu'un bougonnement indescriptible qui est parvenu jusqu'aux oreilles de la petite blonde. Elle sentit une présence, imposante de charisme passer dans son dos; un frisson indescriptible lui parcourut même l'échine, c'est pour dire. Il fallait avoir une sacrée présence pour créer cet effet sur la demoiselle, sans même lui avoir encore parlé ou être face à elle. Je croyais que la politesse voulait que l'on n'entre pas dans un lieu privé sans y avoir été invité, dit finalement l'homme à la tête de Michael Hills. La jeune femme ne relève pas, pas tout de suite. Elle se contenta d'esquisser une moue presque enfantine, impertinente et pas intimidée pour deux sous. En fait, la froideur de Saül la rassérénerait presque. La jolie alternante observa, sans mot dire, l'homme contourner son bureau, tout comme il la regarde. Echange silencieux, de quelques secondes.
Il a l'air si... las. Ça en ferait presque de la peine à Sixtine de voir ça, d'autant plus de la part d'un homme si puissant. Dommage pour lui, elle n'était pas psychologue. Pas assez potiche non plus pour se laisser intimider au point d'en perdre ses moyens, aussi puissant fut-il.
Votre nom, qu'il dit alors, d'une voix tranchante, presque impatiente. Oh, quelle jolie perche il lui tendait là ! Elle pourrait presque l'en remercier. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres si bien maquillées, juste ce qu'il faut pour être mises en valeur: Je croyais que la politesse voulait que l'on se présente soi-même avant de demander à son interlocutrice de décliner son identité. Le "s'il-vous-plaît" est également un terme approprié pour une entrée en matière... courtoise. Et vlam, dans les dents. Elle croisa les jambes, faisant simplement un petit signe sur sa poitrine pour montrer l'absence de badge que portaient tous les employés de l'entreprise, hormis les grands chefs qui n'en avaient certes pas besoin pour être reconnus de Saül. Sans se départir de son sourire mutin, la jeune femme ajouta: Bien que je sache parfaitement qui vous êtes, Mr Williams. Je n'aurais pas fait tous ces efforts pour m'introduire dans votre bureau si vous étiez n'importe qui.
12h32.
Combien de temps cet entretien durerait-il ? L'horloge tourne...
@Saül Williams |
| | | | (#)Mer 22 Jan 2020 - 22:52 | |
| Et elle ne prend pas la fuite, l'intruse. Elle reste sagement assise face au bureau du quarantenaire, qui a braqué ses yeux dans les siens. Plus le temps passe, plus il voudrait la jeter par la grande fenêtre qui sépare la pièce d'un vide de plusieurs étages. C'est presque si Saül entendait son canapé - la sieste - l'appeler. Il n'a pas faim. Il n'a pas soif. Il veut du silence. Ce n'est pas grand chose, tout de même. Personne ne le lui a jamais refusé. On ne lui refuse jamais rien, d'ailleurs. Jamais. L'italien ne se dit pas encore qu'il trouvera ici de la résistance. Pour l'instant, tout ce qu'il voit, ce sont les secondes qui s'égrainent, le temps qu'il perd sur sa sieste. Et cette situation lui provoque un mal de crâne tonitruant. Une migraine qui guette. Le mal de tête de la lassitude. « Je croyais que la politesse voulait que l'on se présente soi-même avant de demander à son interlocutrice de décliner son identité. Le "s'il-vous-plaît" est également un terme approprié pour une entrée en matière... courtoise. » Les mains du brun sortent de ses poches, un mouvement agacé qui ne monte pourtant pas jusqu'à ses yeux, restés impassible tout le long de la tirade. Ne sait-elle pas lire ? Les lettres dorées qui ont pris place sur la porte de l'homme d'affaires viennent pourtant d'être rafraîchies. Saül se souvient encore de l'horrible odeur de peinture qui avait collé aux murs du couloir pendant des jours.
Il faut de l'audace, tout de même, pour se présenter au bureau de Saül et ne pas répondre à ses questions pressantes. Pour corriger son langage. Personne n'est aussi passif-agressif avec lui, jamais, hormis Elise. Elise à qui il ne pense pas, surtout pas ici. Elise est loin. Cette gamine est définitivement trop proche de mon bureau. Le quarantenaire croise ses avants-bras sur ses reins, sans lâcher la blondinette du regard. Elle a un peu plus de son attention, maintenant qu'elle l'a rabroué. Et la partie ne fait que commencer. « Bien que je sache parfaitement qui vous êtes, Mr Williams. Je n'aurais pas fait tous ces efforts pour m'introduire dans votre bureau si vous étiez n'importe qui. » « Vous êtes quoi, une journaliste ? », qu'il gronde en marchant sur les derniers mots de l'intruse. Une journaliste, et pourquoi faire ? S'intéresser à son parcours flamboyant, à son caractère glacial ? Les gens s'en fichent. Ces articles ne font baver que les sous-fifres qu'embauche Saül - qu'embauchent des gens bien moins payés que Saül - dans son fier bateau au chiffre d'affaire exemplaire.
Si rien ne fait démordre cette jeune impertinente, Saül la fera lâcher prise de lui-même. Elle est comme une mauvaise herbe que l'on voudrait couvrir d'herbicide. Et l'italien s'apprête à la servir. « Vous vous êtes trompée de bureau. Je ne reçois que ceux que je convoque. Et votre tête ne me dit absolument rien. » Le brun marque une pause. « Si vous avez un papier à faire signer, adressez-vous à quelqu'un d'autre. J'ai déjà rempli le quota du jour. » Ses bras se délient enfin... mais pas ses épaules. Son attention se porte à présent sur la montre qui brille à son poignet, alors qu'il rejoint son côté du bureau. Le regard fixé sur une pile de dossiers cartonnés de toutes les couleurs, il ne daigne pas relever ses pupilles vers l'effrontée. « Sortez. Il n'y a pas écrit 'garderie'. Mais en même temps, vous m'avez déjà fait étale de vos piètres qualités de lectrice. » 'Pas n'importe qui'. Mais il le sait déjà. |
| | | | (#)Mer 22 Jan 2020 - 23:43 | |
| Une journaliste. Une fichue rédactrice de papiers que quelques ménagères de quarante ans liront, fans des éternels tabloïds croustillants sur la vie des célébrités locales et internationales. Là voilà comparée à une simple fouineuse de potins croustillants ! La jeune femme laissa échapper un simple ricanement. Vraiment, Monsieur ? Si les journalistes se donnaient toute cette peine pour sortir des articles, le monde se porterait bien mieux. L'homme semble passablement agacé de voir sa pause-déjeuner retardée par la présence de Sixtine; tant mieux, au moins a-t-elle son attention. Ce, même si ça ne semble pas pencher à son avantage pour l'instant, il faut bien l'avouer. Qu'importe, elle parviendra à obtenir ce pour quoi elle est venue; elle s'est donnée bien trop de mal pour que ça s'arrête là, juste à cause du caractère glacial et impatient de cet homme. Qui n'était pas pour lui déplaire, d'ailleurs; il est toujours plus agréable de se confronter à un supérieur hiérarchique, qui plus est une forte tête. Ce n'était là que la seule manière de s'améliorer, de tendre vers le haut. Toujours s'entourer de plus puissants, plus riches, plus intelligents que soi, au moins un peu; ça permet de s'élever. Rester parmi les idiots ne fait qu'amener un nivellement de ses propres capacités vers le bas.
La jeune femme lève les yeux au ciel. Si elle n'avait pas été bien élevée, elle aurait reprit les paroles de Saül pour les tourner en dérision d'une voix moqueuse. "Je ne reçois que ceux que je convoque"; quelle pédance ! Bien sûr, il pouvait se l'autoriser, vu son influence et tout le patacaisse. Sauf que Sixtine s'en fichait bien de la manière dont il avait décidé de lui parler. Elle n'était clairement pas décidée à se laisser faire, quelque soit la condescendance avec laquelle il la traiterait. Elle hausse les épaules: Bien évidemment que ma tête ne vous dit rien; vous ne convoqueriez pas de vous-même quelqu'un qui ne s'écrase pas face à vous. D'où la blonde tenait-elle son insolence, mais qui était si juste ? Oh, de bien des choses. De son caractère tout d'abord, qui avait toujours été assez volcanique, capricieux, incisif et déterminé à la fois. De ses expériences, aussi. La vie lui avait montré que pour obtenir ce que l'on veut, il faut savoir se hisser plus haut que ce que l'on est réellement. Savoir se mettre en valeur, et y faire adhérer l'interlocuteur. Enfin, de son expérience à la mairie de Brisbane, qui formait déjà à elle seule un beau microcosme politique, avec son lot de requins. Les plus difficiles à éviter étaient ceux faisant justement mille courbettes pour mieux donner un coup de poignard dans le dos, afin de gravir les échelons pour être au plus proche du pouvoir suprême. Une entreprise fonctionnait sans aucun doute de la même façon, c'était là la nature humaine. L'homme est un loup pour l'homme. Si Saül était au sommet d'un système de castes, Sixtine était encore de ceux navigant dans des sphères privilégiées mais où il fallait savoir faire ses preuves. Elle saurait se démarquer, et passer d'une classe à l'autre, telle une vraie self-made woman. Elle ne relève même pas sa deuxième remarque, sur des papiers à signer. Quelle vie difficile que celle de cet homme, qui avait pléthore de sous-fifres pour exécuter ses moindres désirs.
Pour une piètre lectrice, je trouve que je me débrouille plutôt bien, répliqua-t-elle d'un ton venimeux. Il la prenait pour une idiote ? Elle allait lui prouver que non, et de la meilleure des manières. Laissez-moi deux minutes. Pas une question, une demande, ni même une supplique. Un ordre.
D'un pas vif, elle passa non-loin de lui, et alla se cacher derrière les rideaux. Moins de deux minutes plus tard, elle réapparaissait, vêtue du même uniforme grâce auquel elle s'était introduite jusqu'ici le matin, la même casquette sur ses cheveux, et sa grosse valise sensée contenir délices sucrés et boissons caféinées devant elle. L'image parlait d'elle-même. Derrière cette intrusion, se dévoilait un immense travail de recherches: sur les différentes manières d'accéder au bâtiment, puis à Saül lui-même; les horaires des services, les métiers pouvant pénétrer de temps à autres dans l'entreprise sans en faire partie. Puis, un véritable travail de fourmi, à rechercher un type d'uniforme crédible, avec un nom d'entreprise et un SIRET tout à fait en règle. Ensuite, l'élaboration de l'uniforme, donc le fait d'avoir pris la peine d'aller chez une couturière pour avoir un travail de professionnel. Enfin, tout le courage et la témérité nécessaires pour se lancer dans une telle épopée aux nombreux risques.
Elle jeta un regard lourd de sous-entendus à l'homme, en déclarant: Vous devriez faire plus attention à vos procédures d'entrée; il m'a été d'une simplicité quasi-enfantine de venir jusqu'ici. Elle avança ainsi jusqu'à revenir devant le bureau du CEO, et bloqua l'imposante valise à roulettes à côté d'elle.
Je vais sortir, annonça Sixtine d'un air décidé. Mais seulement une fois que j'aurais obtenu ce que je veux. Elle sortit alors de sa pochette son curriculum vitae et sa lettre de motivation, qu'elle posa sur le bureau de l'homme. D'un air très sérieux, elle énonça alors: Je sollicite l'honneur de faire un stage dans votre entreprise.Oui, ce serait sûrement pour Saül une issue inattendue à ce sketch; oui, il trouverait cela grotesque, culotté et parfaitement incroyable... Totalement l'inverse de ce qu'il vivait au quotidien, en somme.
@Saül Williams |
| | | | (#)Jeu 23 Jan 2020 - 22:50 | |
| « Vraiment, Monsieur ? Si les journalistes se donnaient toute cette peine pour sortir des articles, le monde se porterait bien mieux. » Elle énerve Saül autant qu'elle caresse son ego dans le sens du poil, à l'appeler 'Monsieur'. Comme si son insolence était pleine d'une déférence qui allait retenir Saül de lui faire prendre la porte. L'italien les déteste, les journalistes. Il n'a pas le temps de lire la presse, n'écoute la radio que d'une oreille distraite. Seuls les chiffres de la bourse ont son attention quotidienne.
Le quarantenaire s'est détourné, pour mieux faire le tour de son bureau. Pour ne pas trop s'éloigner de cette jeune femme, pour la garder bien en vue. Qu'elle ne prenne rien de ce qui pourrait se trouver sur son bureau. D'un geste machinal, il remet droit un de ses stylos Mont-Blanc. Cette femme fait désordre. Elle l'agace, à ne pas partir. Elle l'agace, à lui prendre son temps, son air, son attention. « Bien évidemment que ma tête ne vous dit rien; vous ne convoqueriez pas de vous-même quelqu'un qui ne s'écrase pas face à vous. » « Je ne convoque pas les gens qui me donnent mal au crâne. », qu'il marmonne entre ses dents. Ça y est, le feu couve. Sa patience est mise à rude épreuve, si tôt dans la journée. Elle est de plus en plus volubile, ces dernières années. Il lui faut un séjour loin, dans des montagnes éternellement enneigées, dans des eaux thermales, loin du monde et de toutes ses contraintes. Non, vraiment, la tête de cette jeune femme ne lui dit absolument rien. Une gamine aussi hargneuse, il s'en serait peut-être souvenu, au bout d'un moment. En tout cas, elle vient de battre un record incroyable : celui de longévité. D'habitude, personne ne reste très longtemps dans cette pièce à l'atmosphère pesante. Saül espère de tout cœur qu'elle ne continuera pas dans cette veine, qu'elle n'entretiendra pas la performance, mais la voilà qui lâche à nouveau son poison. « Laissez-moi deux minutes. » « Je n'ai pas deux minutes à vous accorder. » Trop tard. Elle a déjà filé. Un grand soupir impuissant plus tard, l'italien se met à observer consciencieusement sa montre, en marmonnant dans la barbe qu'il n'a pas. « Je vais appeler la sécurité. », lâche-t-il enfin, appuyé contre son bureau. Lorsqu'elle revient, Saül manque de s'étouffer avec l'oxygène de la pièce.
Elle est véritablement méconnaissable. Casquette, tenue d'ouvrier. Tout. Le brun s'appuie de tout son poids sur le bureau, les bras croisés et les sourcils froncés. C'est le plus expressif qu'il puisse faire. Ça, et la bouche entrouverte d'un homme que l'on croirait trompé jusqu'à l'os. Mais c'est ce qu'il est, finalement. Aussi surpris que lorsqu'il se rend compte de la transformation physique que nécessite le fait de jouer au théâtre. Et pourtant, le quarantenaire n'a toujours pas saisi ce qui pousse cette petite à venir lui jouer la plus grandes comédie. Il en aura vu, dans sa carrière, des drôles de farces. Mais celle-ci est de loin l'une des plus incroyables. « Vous devriez faire plus attention à vos procédures d'entrée; il m'a été d'une simplicité quasi-enfantine de venir jusqu'ici. » L'homme d'affaires ne répond rien, encore trop impressionné par le culot de cette gamine. Le manque de sommeil doit lui donner des hallucinations. Personne ne le croira jamais, lorsqu'il racontera cette aventure au prochain dîner mondain. La jeune femme fait à nouveau le tour du bureau, et Saül la suit des yeux sans se redresser, toujours figé dans cette position d'observateur abasourdi. « Je vais sortir. » « Oh, je commençais à m'amuser. » C'est plus fort que lui. L'amertume revient toujours plus fort que le reste. Et pourtant, il garde ses yeux braqués sur l'intruse. « Mais seulement une fois que j'aurais obtenu ce que je veux. » Alors elle n'en a pas terminé, avec ses bizarreries ? Quoi maintenant, un lapin dans un chapeau ? Non, mais une feuille sortie d'une chemise cartonnée, oui. « Je sollicite l'honneur de faire un stage dans votre entreprise. »
Il faut environ cinq secondes de silence pour qu'enfin, Saül s'anime de nouveau. L'homme en costume part d'un rire tonitruant, qui lui secoue la poitrine et manque de le plier en deux. Jamais il n'aura rien vu de plus absurde, de plus culotté, de plus audacieux que cette drôle de femme là. Enfin, il la voit. Elle a fini d'être un énième personnage ennuyeux, au moins pour les quelques minutes qui suivront. Elle a gagné. Lorsque, enfin, l'italien reprend son sérieux, un sourire au bord des lèvres et la larme à l’œil, il vient reprendre la place qui lui revient, derrière l'immense bureau qui est sa propriété. « Vous postulez pour le rôle de comédienne-stagiaire ? Le théâtre est en bas de la rue. », qu'il raille sans poser les yeux sur la feuille écrasée sur la surface de bois sombre. « Vous avez un culot sans égal. On ne peut pas vous l'enlever. Votre nom ? » Cette fois-ci, son ton marque l'interrogation. Et pourtant, ses prunelles ne tombent pas sur les papiers amenées par cette actrice aux tenues changeantes. « C'est pour ça que je dois vous prendre ? Parce que vous savez outrepasser la sécurité de ce bâtiment ? Et vous voulez que je lise ces papiers ? » Il n'en a plus très envie, c'est très ennuyeux le papier, lorsqu'on a une vraie comédienne en face de soi. L'homme d'affaires retrouve sa chaise, s'y laisse tomber sans quitter la jeune femme des yeux. « Maintenant que vous êtes là, présentez-le moi vous-même. » Une oreillade à sa montre plus tard, ses yeux océan retrouvent ceux de cette drôle d’énergumène. « Je vous donne deux minutes. » |
| | | | (#)Ven 24 Jan 2020 - 12:12 | |
| Cachée derrière les rideaux pour se changer, Sixtine s'empressait de se dévêtir pour se rhabiller d'une toute autre manière. Drôle de situation, se retrouver quasiment nue auprès d'un inconnu, mais encore plus un CEO d'une entreprise que l'on veut faire un stage. Ca avait un petit côté stressant, émoustillant, électrisant; l'adrénaline monta d'un coup en pression, comme le sang dans les veines de la jeune Smith. Pourvu que tout ce qu'elle entreprenait ne soit pas vain, ce serait vraiment frustrant; plus que la déception de ne pas obtenir le stage, la jeune femme serait vraiment vexée d'avoir dû se travestir et déployer autant d'efforts pour rien. Ces pensées ne sont cependant que de la narration, et elle-même n'envisageait aucune forme d'échec possible alors qu'elle revêtait l'uniforme d'employé technique. La seule raison pour laquelle elle pressait le pas tenait en un seul mot: patience. La demoiselle se doutait bien que celle de Saül Williams avait des limites, et qu'elles seraient bientôt atteintes. Comme une confirmation, quelques mots lâchés d'un ton plus qu'agacé: Je vais appeler la sécurité. Oups. Heureusement, la voilà fin prête.
Autant dire que l'effet qu'elle créa sur l'homme lorsqu'elle ré-apparut de derrière les rideaux fut au-delà de ses espérances. Totalement bouche-bée - ou plus exactement, bouche grande ouverte - il l'observe, appuyé sur son bureau, bras croisés, visiblement abasourdi. Cet état de surprise permet à Sixtine de lui envoyer une petite pique bien placée, avant d'en arriver au fait. Elle dépose l'énième exemplaire de son curriculum vitae, déjà bien fourni pour son jeune âge, sur le bureau du leader de Michael Hills, et formule enfin la demande pour laquelle elle a créé cette comédie: un stage.
Silence. Une seconde. Deux. Trois. Quatre... Cinq. Et soudain, un éclat de rire, tonitruant et totalement incontrôlé. Sixtine observe le chef d'entreprise dans un mélange d'étonnement et de ravissement. A partir de cet instant, elle sait qu'elle a atteint son but. Oh, pas l'ultime, le stage n'était pas encore décroché. En revanche, elle aurait au moins l'occasion de formuler sa demande de stage, d'être entendue voire même, avec un peu de chance, écoutée. Bref, tout ce qu'elle n'avait pas eu la chance d'obtenir en harcelant le service ressources humaines pendant des semaines. Pourtant, un instant, elle en oublierait presque l'objet de sa requête, car sous l'impitoyable chef d'entreprise, elle découvrit une facette de l'homme. Il était très clairement impensable que quelqu'un qui pouvait se montrer aussi glacial quelques secondes auparavant possédât un rire aussi chaud. Les tonalités de son hilarité étaient franches, expansives, et avaient comme un accent roulant sur sa langue. Vraiment, Saül Williams se révélait être... intéressant.
Finalement, il retrouva son sérieux, bien qu'encore prompt à repartir dans un rire, et ce fut de bonne grâce que la blonde accepta sa raillerie sur un stage dans un théâtre. Elle l'avait mérité, et ne pouvait rien répondre à cette petite moquerie. Le moment où son coeur fit un bond dans sa poitrine se produisit lorsqu'enfin, le richissime homme d'affaires lui demanda de décliner son identité, mais d'une manière bien plus respectueuse et intéressée. Les discussions allaient pouvoir s'ouvrir. Avec un petit sourire narquois, la jeune femme retira sa casquette en se courbant dans une révérence de circonstance, quitte à être dans le théâtre, prolongeons encore un peu le plaisir: Sixtine Smith, pour vous divertir. Elle se redressa ensuite et reposa sa casquette sur sa tête, préférant la savoir dans ses cheveu que de risquer de jouer avec si elle la gardait dans ses mains. Bien que déterminée et culottée, elle n'en restait pas moins une jeune femme de vingt-deux ans face à un homme de pouvoir; or elle se refusait à montrer le moindre indice de l'intimidation qu'elle pouvait ressentir en son for intérieur. La demoiselle ne précisa pas spécialement qu'elle était liée par le sang à Camil, qui était de plus en plus fameux à Brisbane, pressenti pour être le prochain maire. Sans doute que Saül le connaissait, au moins de nom; mais l'étudiante voulait faire ses preuves par elle-même, et ce sans avancer d'elle-même l'influence de son aîné. Si on lui demandait, bien sûr, elle répondrait. Seulement dans ce cas, dans le cadre de cet entretien en tout cas.
Le quarantenaire se laissa alors tomber dans sa chaise de bureau, alors que Sixtine le suivait des yeux, en attente de sa décision pour la suite. Un sourire de conquérante s'afficha sur ses lèvres alors que l'homme décida de la laisser le convaincre. Parfait. Oh, deux minutes ? Très bien, elle allait le faire.
Encore debout, elle débuta sa présentation: Je suis étudiante en troisième année de bachelor, droit-communication, à l'université du Queensland. Dans le cadre de notre formation, nous sommes en alternance; je travaille ainsi comme assistante dans le cabinet du maire de Brisbane depuis plus d'un an. Rien qu'avec ces quelques phrases, son parcours était tracé: formation exigeante par le rythme imposé, par la densité des cours et par le va-et-vient entre théorie et pratique.
Plus qu'une minute trente. Elle prit sa chaise, la rapprocha un peu du bureau, tout en continuant de parler: On nous demande cependant un stage de deux mois, de mars à avril, dans un autre cadre que celui de notre alternance régulière. Ok, période et raison du stage validées. La blonde s'assit, posa ses coudes sur rebord du bureau, se permettant une proximité presque insolente, jouant à nouveau avec les limites de la bienséance, mais ne les franchissant pas, s'arrêtant juste au bord du précipice. Je recherche en particulier un poste d'assistante de direction. Assistante de Saül, bien évidemment. Pas la peine de le dire; les flammes de l'ambition qui brûlaient dans ses yeux verts forêt étaient bien assez explicites. En plus, en ne le disant pas, elle se gardait le plan B d'être positionnée dans un autre pôle de l'entreprise, si jamais l'homme ne souhaitait pas d'elle comme assistante, quelle qu’en soit la raison. Stratégique.
Encore une minute. Maintenant que les bases étaient posées et expliquées, et sachant qu'il lui restait du temps, la jeune femme pouvait se permettre de parler un peu plus d'elle-même. Coupant court au contact rapproché qu'elle avait initié, elle se remit droite dans sa chaise, mains sur ses cuisses. Je suis plus impertinente que Cléopâtre, aussi têtue qu'Antigone, plus peste que Madame de Montespan. Belles références antiques et royales pour illustrer des "défauts", et petit clin d'oeil à l'entrée de Cléopâtre dans un tapis pour atteindre Jules César. Elle ajouta à cette petite liste: Je ne me laisse pas marcher sur les pieds, mes collègues pourraient vous l'assurer. Dans une autre situation, avec plus de temps, elle aurait raconté la fois où, ayant entendu une femme d'une hypocrisie incroyable casser du sucre dans son dos, elle avait fait en sorte qu'elle jette elle-même dans une broyeuse, des documents nécessaires au maire pour une présentation d'unité médicale le lendemain. Quelques photocopies, un échange, rien de bien sorcier. Mais cette anecdote serait pour une autre fois, peut-être. Mais je suis surtout perspicace, adaptable à toute situation, déterminée et travailleuse. Très travailleuse.
Dix secondes. D'un air amusé, elle demanda comme si c'était elle l'employeur: Avez-vous des questions ?
@Saül Williams |
| | | | (#)Sam 1 Fév 2020 - 23:27 | |
| Silence. Rire. C'est rocambolesque. On dirait une pièce de théâtre, un vieux vaudeville, le théâtre que Saül déteste le plus de la planète Terre. Malheureusement, on ne trouve plus que ça, au théâtre, de nos jours. Ça, et les pièces contemporaines auxquelles Saül ne trouve aucun intérêt, auxquelles il ne comprend rien - et il déteste les choses qu'il ne comprend pas, Saül. Et puisqu'il prend cela comme un échec personnel, il s'y accroche. Sa haine se cristallise, il se fatigue à détester des choses pour lesquelles il ferait mieux de laisser tomber.
L'Italien hésite. Il ne sait pas si cette jeune femme l'amuse ou si elle lui fait perdre un temps fou. Probablement les deux à la fois. Mais l'audace, c'est assurément ce qu'il recherche, pour son entourage d'homme d'affaires. Il lui est difficile de nier ce point là de ses standards, mais l'accepter fait mal à son ego. Elle s'est introduite impunément chez lui, dans son bureau, sa maison dans l'entreprise. Le lieu où, plus que tout, il règne en maître, où personne n'ose le remettre en place, exceptés de rares élus. Saül se laisse à nouveau tomber sur sa chaise, alors qu'il laisse la jeune femme se présenter. Deux minutes. C'est peu, et beaucoup à la fois. Il lui faudra savoir s'en contenter et bien s'en servir. Accoudé au bureau, le quarantenaire détaille du regard cette jeune femme qui se tient devant lui, une aura de confiance solidement accrochée au corps. Elle transpire ce côté farouche qui lui rappelle ses débuts, son envie de tous les envoyer chier partagée par son envie de tous les rejoindre, ces hommes en costards. Deux salles, deux ambiances. Deux tons, deux mesures. Et maintenant, ce costume lui colle à la peau comme un mauvais pardessus, qui lui fait presque mal aux épaules.
Saül a retenu son prénom - c'est déjà ça. Il a déjà oublié son nom de famille. Sixtine. C'est joli, comme prénom. Tous les prénoms en -s lui plaisent. La jeune femme déballe ses compétences, son curriculum vitae. De nouveau, Saül s'emmerde. Il aura suffit de deux phrases. « On nous demande cependant un stage de deux mois, de mars à avril, dans un autre cadre que celui de notre alternance régulière. » « Mmh. » La voilà qui transgresse une autre des règles de l'italien : son espace vital s'étend bien au delà de celui des autres, il déteste que l'on s'installe en face de lui sans y avoir été invité. Son regard glacial semble vouloir brûler les coudes de Sixtine, qui se sont plantés dans son bureau de ministre. Sa propriété. C'est plus fort que lui. Il n'écoute plus. Ses pupilles, resserrées comme des étaux, ne retrouvent les yeux clairs de la blonde que lorsqu'elle franchit à nouveau la ligne en sens inverse. Là, la main droite de Saül se plante contre sa mâchoire. Son index passe et repasse contre sa bouche, comme s'il était traversé d'une intense réflexion. Ou peut-être est-ce la manifestation de son grand manque de patience. « Je suis plus impertinente que Cléopâtre, aussi têtue qu'Antigone, plus peste que Madame de Montespan. » Il croit l'avoir entendu parler du poste qu'elle convoite, précédemment. Il n'est pas sûr, préfère ne pas demander. « Le théâtre est en bas de la rue. », qu'il siffle à nouveau entre ses dents, sans parvenir à être aussi méchant que la première fois. « Je ne me laisse pas marcher sur les pieds, mes collègues pourraient vous l'assurer. » « Je n'irai pas leur demander. » Pas besoin. C'est ce qui se rapprochera le plus d'une sorte de compliment, d'une preuve qu'il abonde dans son sens, lorsqu'elle évoque son côté affranchit, qui ne se laisse pas faire. « Mais je suis surtout perspicace, adaptable à toute situation, déterminée et travailleuse. Très travailleuse. » C'est la qualité qui achève de convaincre l'Italien. « Avez-vous des questions ? »
Silence.
La rue semble avoir arrêté son brouhaha, qu'on entend d'habitude un peu malgré la très bonne isolation de la pièce. Saül ne détache pas ses yeux de la jeune femme. Il voudrait la jeter dehors, appeler la police pour qu'il emmènent cette folle qui a forcé la porte de son bureau, lui faire payer son culot. Il voudrait qu'elle prenne peur, qu'elle tremble comme les autres en entendant ses pas dans la pièce, qu'elle guette l'endroit de ses pupilles claires, billes effrayées sur fond blanc cassé, comme on observerait avec méfiance l'enclot des lions ou des crocodiles. Elle l'agace. Son index passe une dernière fois sur sa lèvre inférieure. « Vous n'entrerez plus jamais ici sans mon autorisation. Je ne vous veux pas devant la porte si je n'y suis pas. Je ne vous formerai pas. Vous apprendrez en silence. » Saül n'a jamais pris sous son aile que des 'fils-filles de', des jeunes qu'il a toujours refilé à ses assistants au bout de dix minutes très exactement. « Je ne fais pas de babysitting. Si vous rejoignez l'équipe, j'attendrai de vous autant de choses que les autres. Plus, au poste que vous convoitez. Je déteste les râleurs. » Sa main gauche, en partie couverte d'or, se pose à plat sur son sous-main vert émeraude. Ses yeux azurs se plantent au fond de ceux de son interlocutrice. Et, un mauvais sourire aux lèvres, il parodie son ton. « Avez-vous des questions ? » |
| | | | (#)Dim 8 Mar 2020 - 20:57 | |
| Malgré le culot dont elle avait fait preuve, la situation restait tout de même éminemment stressante pour la petite étudiante que restait Sixtine Smith. Autant dire que plus les minutes passaient, et plus elle sentait la soupape de décompression se fissurer; si tout cela ne se terminait pas sous peu, elle ne savait pas du tout comment elle allait terminer. Pourtant, la blondinette tint le rythme et même, l'imposa pour que rien ne ralentisse, sans quoi elle n'aurait pas manqué d'ennuyer le fameux Saül Williams. Cela se voyait, dans son regard perçant de PDG d'entreprise millionnaire: le mot de trop, le silence de trop, l'incartade de trop, et la sécurité débarquerait dans la seconde pour l'évacuer manu militari, lui faisant oublier toute perspective de stage chez Michael Hills, tout en lui foutant une bonne humiliation en même temps. Donc oui, malgré toute sa pêche, son dynamisme et son effronterie, intérieurement, Sixtine restait morte de trouille. Heureusement que l'adrénaline avait pris le pas, la portant pour la maintenir à flots. Elle restait d'aplomb, dos droit, menton haut, alors qu'elle déclinait ses compétences et ses principaux traits de caractère.
La sentence tomba. Vous n'entrerez plus jamais ici sans mon autorisation. Je ne vous veux pas devant la porte si je n'y suis pas. Je ne vous formerai pas. Vous apprendrez en silence. Le ton était à couper au couteau, au point qu'un instant, le coeur de Sixtine sombra dans ses entrailles, croyant qu'elle avait échoué. Mais au fur et à mesure que les paroles de l'homme d'affaires avançaient, la gamine réalisait. Son organe vital remonta puissance mille dans sa poitrine, tambourinant comme s'il allait la déchirer, ses yeux se mirent à pétiller d'une des meilleures satisfactions qu'elle eut jamais ressenti - après avoir obtenu de ses parents de vivre en Australie, avec son frère - et ses joues se colorèrent d'un rose-plaisir intense. Soudainement muette, elle ne fit qu'obtempérer en hochant la tête, peut-être un peu trop vigoureusement, pour signer son accord avec les paroles de celui acceptant enfin, après toute cette mascarade, de l'embaucher pour un stage. Lorsqu'il dit qu'il détestait les râleurs, elle sourit, mais ne dit rien de plus. Avait-elle des questions ?
Absolument pas. Juste, merci beaucoup, Monsieur Williams !
Si elle ne s'était pas tenue face à lui, Sixtine se serait déjà mise à sautiller, danser, rire depuis une bonne période. Bien que son regard trahisse son excitation, elle sut se retenir le temps que l'homme lui griffonne un mot comme quoi il était d'accord pour la prendre en stage, et il signa, sans même se plaindre. La jeune fille reprit le chariot qui lui avait servi d'alibi pour entrer, et quitta son bureau rapidement, ne souhaitant pas l'importuner plus longtemps et ayant surtout hâte de laisser éclater sa joie. Le temps de passer au secrétariat faire sa demande de convention de stage à une femme qui se demandait bien comment cette employée pour machine à café avait bien pu obtenir un entretien avec le terrifiant maître des lieux, mais qui n'osa pas commenter, et la blonde fut libre. Elle garda avec elle le papier écrit à la main de Saül, en souvenir de ce moment incroyable, et dès qu'elle fut dans la rue, elle explosa de joie, sautillant et dansant en avançant avec son chariot, se fichant bien des regards des autres. Elle attrapa son portable, pour envoyer un SMS à son frère: ce soir, ce serait la fête !
@Saül Williams
- FIN -
- Spoiler:
Encore sorry pour le retard
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| | | | | | | | A princess will always get what she wants ~ Saül Williams |
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