(mai 2009) Le départ précipité de Ginny a fait bien plus de mal au peintre que jamais il ne l’avouera. Il ne la connaît que depuis trois ans, la gamine qui passe son temps à écouter les cours avec bien trop d’attention et qui reproduit les dessins avec bien trop d’application quand lui prend seulement tout son temps pour trouver une chaise sur laquelle s’asseoir et juger de ses yeux noisettes tous les pseudo-peintres de la salle. Elle n’est personne, Ginny, elle n’est qu’un nom parmi les milliers d’autres à l’Académie, elle n’est qu’une fille de plus comme il n’en connaît que bien trop en Australie. Il n’a littéralement aucune raison de ressentir ne serait-ce un pincement au coeur du fait de son départ, mais toutes les raisons du monde que de continuer à semer la zizanie autour de lui parce que ça au moins, personne ne lui pourra le lui retirer. Il n’a besoin de personne pour devenir détestable et par conséquent l’absence de la brune l’amène à se retrancher dans sa zone de confort, laquelle il n’avait jamais réellement quitté. Il avait seulement appris à la partager, ce qui aujourd’hui ne lui sert plus à rien.

Le problème avec Auden quand il ressent une émotion ressemblant de près ou de loin à de la faiblesse, de l’amertume ou un ego brisé, c’est qu’il n’a jamais appris à réagir de manière convenable et adéquate à la situation. Il n’a jamais appris à prendre sur lui non plus, à se remettre en question ou tout simplement apaiser ses conflits intérieur. Quand quelque chose ne va pas, il repose la faute sur tout le reste du monde et à ses yeux c’est la meilleure manière de gérer tous les problèmes. Cette fois ci seulement, il a fait beaucoup d’efforts : il ne laisse la faute reposer que sur une seule et unique personne et ce n’est même pas Matt, alors qu’il le déteste assez pour le laisser être le coupable de tous les maux du monde. Les émotions n’ayant cependant aucune logique, sa nouvelle cible toute trouvée dans son esprit devient Ezra, parce que ça lui semble être la meilleure des pires choses à faire. Et que dans son esprit il a rayé le “pire” pour seulement garder le qualificatif de “meilleure chose à faire”, accouplé à celui de “meilleure personne sur qui défouler sa rage”.

Alors il arrive comme un fanfaron, le peintre qui n’en a pour l’instant encore que le nom. Il a embouti sa voiture en fonçant malencontreusement sur celle de son voisin qu’il n’aimait pas, a détruit un rétroviseur parce que de toute façon ce n’est pas à lui de vérifier pour les autres mais à eux de faire attention à lui. En bref, il a simplement cherché à se faire encore un peu plus détester dans le voisinage avant d’aller se faire détester par le mécanicien un peu plus encore. Auden a toujours préféré compter ses ennemis par milliers et s’amuser à se faire une liste mentale de comment chacun d’eux aimerait le voir mourir mais en parallèle il n’a jamais pris le temps d’en faire de même pour ses amis, sûrement parce qu’il n’en a pas réellement et que c’est ce qui lui convient le mieux. Le mécanicien est une cible de choix, aussi parfait qu’empli de défauts, aussi omniprésent que totalement absent de sa vie. Auden a toujours tout su en avance à son sujet ou presque, de son rapprochement à Ginny jusqu’à l’annonce de sa grossesse. Le seul moment où il n’a rien su fût celui où Matt lui annonça qu’ils allaient partir à l’autre bout du monde, littéralement, et ce n’est pas en quelques jours à peine que le brun a su accepter la nouvelle. ”Fille ou garçon ?” Il n’a pas le temps de prendre des pincettes, seulement d’arborer son sourire de façade, celui qu’il a quand il a une très mauvaise idée en tête. Il vient seulement pour faire mal, viser en plein coeur, attaquer le premier pour ne pas qu’on ait à l’attaquer ensuite ; comme si Ezra en avait réellement quelque chose à faire de l’inconnu qui passait son temps à tagger le casier de Ginny. ”Ah oui pardon, elle est partie à l’autre bout du monde. Difficile de gérer une gender party d’ici.” La portière de sa voiture claque, il pose son coude sur la carrosserie de manière toujours un peu plus hautaine, au cas où le brun pourrait douter à un simple instant de ses intentions. Il a un grand sourire sur le bout des lèvres mais un coeur qui bat bien plus vite que le normale et cela n’a rien à voir avec le spectacle d’un Ezra en train de plonger ses mains dans le moteur d’une voiture. Ezra n’a même rien à voir avec tout ça, il est une victime collatérale d’un jeu dont il n’aurait jamais dû faire parti. ”On a cassé mon rétro.” Il conclue, presque certain qu’on va réellement le lui réparer, presque certain aussi qu’en ayant une attitude de gagnant il en ressortira en ayant l’impression de tout avoir gagné. Certaines choses ne changeront jamais, l’ego surdimensionné d’Auden et son incroyable capacité à ne jamais ô grand jamais montrer ses faiblesses, doutes et appréhensions en font parti.

@Ezra Beauregard

(mai 2009)
Elle était partie, tel un nuage de fumée sur lequel on aurait soufflé un peu trop fort.
Elle était partie alors que la lumière semblait enfin venir au bout du tunnel.
Elle était partie, le cadeau de la vie en son sein.
Ginny était partie.
Le coeur d’Ezra n’avait eu le temps d’encaisser la nouvelle, pas plus qu’il n’avait pas eu réellement le temps de comprendre ce qui se passait. Il se souvenait des mots de la jeune femme, lui annonçant qu’elle était enceinte. Il se rappelait avec détail l’énergie qui l’avait traversé de part en part, les émotions qui avaient fait surface à ce moment là. La joie qui se trahissait d’elle même à travers le sourire sur son visage et les larmes aux coins des yeux. Encore fraichement gravé dans sa mémoire, d’un autre côté, il avait Matt qui venait le voir chez lui, la pluie battante sur les fenêtres du petit appartement où Ezra faisait les cent pas en attendant que la plus jeune des McGrath daigne de nouveau pointer le bout de son nez. Les mots qu’il avait à la suite prononcé lui semblait sans queue ni tête. On part, qu’il avait osé. Tu la reverras pas, elle veut pas de toi, qui était venu ouvrir son coeur pour de bon. Les sanglots qui avaient éclaté à travers le silence pesant, une fois que Matthew avait tourné les talons et était reparti comme une fleur d’où il venait. La fin d’une histoire à peine développée, l’avortement d’une amitié de laquelle il peinait à se cacher. Les McGrath avaient plié bagages à une vitesse qu’Ezra n’aurait pas cru capable. Le lendemain, plus aucune trace de vie au manoir, comme s’ils n’avaient jamais existé. Il avait pensé rêver, mais tout ce qui tournait autour de lui et qui était resté sur place continuait d’avancer avec le simple fait qu’ils étaient partis. Le laissant lui, la pièce rapporté, l’élément dépareillé, de côté. Lui qui avait tant vu une deuxième famille en ces personnes qui ne semblaient même plus avoir une once de respect pour lui désormais.
Mais dans toute cette histoire, ce n’était pas ce qui peinait le plus Ezra. Qu’il se fasse rejeter par le reste de la famille n’était rien comparé à ce qu’il commençait tout doucement à intégrer, une journée entière passée à comprendre que ce n’était pas un rêve mais un cauchemar éveillé. Ginny était partie. La jeune femme, le sourire aux lèvres l’instant d’avant, bercée dans les bras du Beauregard, l’enfant de leur union grandissant au creux de ses reins, avait déserté à la première opportunité. Il pouvait encore sentir son parfum dans chaque pièce de son appartement, entendre son rire dans le silence qui s’était imposé comme maître. Londres était la destination que Matt lui avait mentionné. L’autre bout de la planète, là où les bras d’Ezra ne seraient surement pas assez longs pour la rattraper - après tout, ça avait été dit clairement, elle ne voulait plus de lui. S’était-il voilé la face depuis tout ce temps ? Il avait ouvert son coeur à une demoiselle au regard de biche, le coeur perdu dans l’immensité du monde qui s’ouvrait à ses pieds. Il avait préféré la cueillir au creux de ses bras, au bord de ses lèvres, plutôt que de profiter des autres poissons de l’océan. Parmi ces visages en coeur qui s’étaient tournés vers lui, parmi tous les regards en coin qu’on lui avait lancé, son coeur s’était arrêté sur ces fossettes et cette espièglerie dans les yeux. Il avait juste fallu que la nature les rattrape. Juste, ça. Alors que leur idylle avait un gout de perfection pour Ezra, il avait fallu que la peur rattrape le bien qui les entourait lorsqu’ils pouvaient enfin être à deux, heureux.
La bague ornée d’une pierre dans une main, les larmes vinrent essuyer les joues d’Ezra. Du revers de la manche, il les effaça et à la suite jeta l’écrin dans le tiroir de sa commode, refermant les planches de bois d’un coup sec. Elle était partie sans lui donner la monnaie de sa pièce, en choisissant celui en lequel sa confiance n’était plus complète depuis des semaines, des mois. Elle avait préféré fuir sans affronter son regard une dernière fois, plutôt que d’assumer son ressenti et ses idées à ce nouveau sujet de conversation qui s’immisçait entre eux. Ils n’avaient jamais eu de sujet tabou jusque maintenant, la conversation avait toujours été ouverte et prête à accueillir n’importe quel doute, quelle peur. Mais ce n’était que des paroles en l’air de son côté, il fallait croire. Ginny était partie sans un regard en arrière, sans un remord auquel se raccrocher. Ne laissant qu’un coeur meurtri et un espoir brisé en plein élan. Ezra n’avait jamais vécu si douloureux que la situation se déroulant telle une parfaite pièce de théâtre sous ses yeux. Ce soir là, ce fut pour la première fois l’alcool malheureux qui vint le cueillir, orphelin d’amour qu’il était devenu.

Ses paupières lourdes vinrent s’ouvrir sur un nouveau jour. Le soleil venait lécher sa peau à travers les rideaux tirés qu’à demi de sa chambre à coucher. Les draps froids à ses côtés - et surtout le pivert dans sa tête - lui rappelèrent que la réalité s’était bien installée. Elle était partie et par la force des choses, il se devait continuer de vivre sa vie. Se laver, s’habiller, et arriver un brin en retard au travail. Ce fut un Frank tapant la mesure du pied qui l’accueillit, une mine de six pieds de long collés au visage. Ezra sentit la force se retirer de son être aussi rapidement qu’il en fallut à Frank pour parcourir les quelques mètres qui le séparaient de l’entrée du garage à la voiture d’Ezra. « T’étais où. » Ce n’était pas une question, insinuant ici qu’il n’avait d’autre choix que de répondre à son patron. Rares se trouvaient les fois où il arrivait en retard, malgré toutes les beuveries qu’il avait pu faire aux côtés de Matt les trois dernières années durant, en travaillant parallèlement ici. Il n’était pas toujours arrivé avec tous les neurones dans le même sabot - ou à une expression près -, mais il s’était toujours appliqué à être présent et appliqué la journée d’après. Le soleil était presque à son zénith aujourd’hui, alors qu’il s’osait à se pointer au boulot. « Ezra… » Le ton de Frank indiquait clairement qu’il n’était pas là pour jouer et que sa patience était déjà arrivée à sa limite. Le jeune homme leva une main en direction de son mentor, lui indiquant par la même occasion de parler moins fort, tout en s’appliquant à claquer la portière de sa voiture. Il s’en voudrait par la suite d’un tel comportement, mais il n’était vraiment pas d’humeur - il se contenta donc de simplement éviter les invitations de Frank quand à faire son mea-culpa, préférant se diriger vers la cafetière de l’atelier. Plusieurs regards se tournèrent sur son passage, et très franchement ça lui passait bien au dessus. « Ezra ! » Cette fois ci, la voix forte de Frank résonna à travers toute la tôle, faisant baisser le museau même aux plus aventuriers des carrossiers. Leur moment n’était pas à fouiner mais plutôt à éviter la colère du courroux qui était prête à s’abattre sur le Beauregard. « Mon bureau. » Ses pas trainèrent en direction de la petite pièce, sans broncher cette fois ci. A dire vrai, il n’avait aucune envie d’obéir aux dires de Frank, mais Ezra avait secrètement peur de cet homme puissant, de cette figure paternelle - et n’avait pas la force de coeur de résister bien longtemps face à lui. « Tu m’expliques. » La négociation n’était toujours pas de mise. Elle était partie, et les mots qui restaient coincés dans la gorge d’Ezra, alors que sa bouche était ouverte, prête à s’exprimer. Son coeur, ou plutôt ce qui devait désormais en rester, qui se serrait encore davantage rein qu’à l’idée d’évoquer les faits à haute voix. Nombreuses étaient les personnes qui étaient passées par là, nombreux étaient ceux qui avaient vu leurs coeurs brisés. Ezra n’était pas un habitué. Il n’avait jamais aimé si fort, si vite, à s’en perdre en chemin. Alors les larmes furent, pour la première fois de sa vie, la première explication qu’il réussit à donner. Lui qui n’aimait en rien être le centre d’intérêt, le clown de foire, il se donnait en spectacle gratuitement devant Frank. Le regard de ce dernier s’adoucit à l’instant même où il comprit ce qu’Ezra tentait de lui exprimer. Les larmes n’étaient pas les mêmes, lorsque vous vous retrouviez sur le carreau. Elles brillaient de cette lueur de rêve brisé. Ginny était bel et bien partie.

Les crissements de pneus à quelques mètres de lui ne firent même pas relever le regard d’Ezra du moteur dans lequel il était plongé. S’occuper les mains pour se vider l’esprit était désormais sa seule priorité du jour. Il se devait de ramener ses idées vers autre chose, et qui plus est serait constructif. Frank comptait sur lui, mais désormais Ezra savait qu’il pouvait compter sur quelqu’un en retour. Parce-qu’une épaule pour pleurer un peu et une présence pour se reposer, se ressourcer était tout ce dont il risquait d’avoir besoin dans les temps à venir. Alors non, le bruit de la portière qui s’ouvrit à la volée ne le fit pas plus réagir, parce-que ses pensées n’étaient presque plus en cet instant - il n’existait plus que les rouages, le cambouis et les clefs de dix. « Fille ou garçon ? » La question fut cependant cueillie à peine sortie des lèvres d’Auden par les oreilles d’Ezra. Il fut tant surpris d’entendre de tels propos qu’il vint se cogner le crâne dans le capot, ouvert au dessus de lui. Lorsqu’il s’osa, dans les quelques instants à suivre, à venir planter ses yeux dans ceux de l’italien, le sourire qu’Auden portait lui donna la nausée - et pourtant, du couple ce n’était pas lui qui portait l’enfant, il ne devrait pas avoir les nausées lui. Il était tellement secoué par sa présence en ces lieux et surtout ces paroles là qu’il s’était osé à prononcer, qu’il ne sut prendre la parole avant que les lèvres d’Auden ne vinrent déverser un  autre ramassis de flèches empoisonnées directement encochées vers son coeur. « Ah oui pardon, elle est partie à l’autre bout du monde. Difficile de gérer une gender party d’ici. » Un premier, et un seconde battement de loupé pour son coeur détruit. Une respiration altérée qui allait parfaitement avec, alors que le bruit de la portière qui claque vint le réanimer quelque peu. Sans s’apercevoir de ses gestes, Ezra s’était lentement relevé du dessus du moteur, se postant désormais droit face à un Auden plein de confiance et d’audace. La première question qui effleura l’esprit d’Ezra fut comment. Les nouvelles voyageaient donc si vite, il faudrait croire. Assez pour que la seule envie d’Auden en cette journée douce de mai soit de venir se pavaner devant un Ezra démuni, au plus bas, écorché vif en plein vol. « On a cassé mon rétro. » Il s’attendait à une nouvelle slave d’imbécilités, à un K.O. par trois-zéro. Il s’attendait à ce qu’Auden le rende plus bas que terre désormais, qu’il jouisse de cette information pour lui faire comprendre qu’il ne l’aurait de toutes façons jamais mérité. Au lieu de ça, il vint faire part de l’état de sa voiture. Les yeux d’Ezra se risquèrent un instant à quand même vérifier s’il disait vrai - et il n’aurait pas pu avoir on ne peut plus raison, le rétro en question avait carrément disparu de la voiture. Les pupilles rougies par les larmes vinrent se bloquer de nouveau sur le visage d’Auden, alors que quelque-chose se passa au sein d’Ezra. Jamais, ô grand jamais, il n’avait ressenti ce genre d’émotion. Lui qui mettait un point d’honneur à laisser tout ça derrière lui, à ne pas céder à ce genre d’imbécilité. Pourtant, à partir du moment où il avait senti ce déclic, il ne réagit que de la seule façon qu’il sentait juste. L’instant d’après, son poing s’écrasait violemment sur le visage d’Auden, parfait uppercut dans sa ligne de mâchoire. Oh, ne versez pas de larmes pour sa gueule d’amour, c’était presque comme s’il avait demandé à ce que ça lui soit délivré sur un plateau d’argent. Les jointures de la main gauche d’Ezra qui brulaient désormais, et ses poumons qui s’étaient tenus prêts jusque maintenant pour déverser le reste de sa colère. « Ton rétro est cassé ? Hein ? ET TA GUEULE D’ENCULE ELLE VA COMMENT ?! ? » Même pour jouer, douze grammes d’alcool dans chaque bras, il n’avait jamais été tant violent. Comme si la mauvaise mouche venait de le piquer. Laissant la colère se déverser dans ses veines, à travers son sang, il vint empoigner le col du polo du jeune Williams. A partir de là, il ne savait plus trop qu’elle était la démarche à suivre. Ezra faisait normalement partie de ceux qui arrêtaient les débordements, plutôt que ceux qui les commençaient. Il ne s’était probablement jamais réellement battu de sa vie, et pourtant c’était la seule chose qu’il désirait en cet instant même. Sentir l’adrénaline l’envahir de nouveau, sentir tout son corps se tendre sous la colère - se sentir vivant, en quelques sortes. Et Auden arrivait à pic pour lui procurer ce petit plaisir. Un nouveau coup fut porté par le blond, à l’arcade qui se mit à saigner telle une belle petite fontaine. Tous les hommes restaient fragiles aux mêmes endroits. « TU VEUX QUOI CONNARD ?! » Apparement, paroles et gestes s’étaient mis de concert pour rendre l’état d’Ezra misérable devant tous.

@Auden Williams

Ce serait erroné que de dire que qui que ce soit dans ce foutu pays supporte moins le départ de Ginny que moi (et on ne parle pas de tristesse, non, ce n’est pas ça, ça n’a rien à voir avec de la tristesse ou un quelconque sentiment associé et ce serait vraiment bête que de penser une telle chose), mais si une seule personne pourrait avoir un sentiment quelque peu semblable, ce serait bien Ezra. Solidarité masculine oblige, je veux être le premier à le mettre à terre pour qu’il n’ai pas l’occasion d’en faire de même avec moi si jamais une si stupide idée passerait au travers de sa si stupide tête. Il est la cible idéale parce qu’il est le seul encore resté au pays tout comme le seul pour qui je suis certain il est affecté par le départ de la brune, notamment et surtout à cause de son enfant qu’elle porte. Qu’elle porte loin. Loin, du genre à l’autre bout du monde. Rien que ça. L’artiste n’a jamais eu pour habitude de faire les choses à moitié.

Les yeux rouges d’Ezra sont dus au vent. Ou aux fumées toxiques qui s’échappent des pots d’échappement. Ou à ce moment où il a mis un truc super nocif dans ses yeux, ou n’importe quoi d’autre qui tendra vers cette idéel selon laquelle ça n’a absolument rien à voir avec Ginny. Ce n’est pas une réalité que je cherche ni même une que je veux écouter, entendre, encore moins comprendre. Il n’est pas triste pour elle, il n’est même pas triste du tout il est simplement un imbécile sur une longue liste d’imbéciles qui ont traversé un jour sa vie sans jamais n’y rester. Et si j’arrive à me convaincre de tout ça alors je n’ai aucun mal à rester impassible face à lui pour le moment encore. On se fait face et c’est pitoyable puisqu’à côté de moi le rétroviseur de ma voiture pend dangereusement et sûrement qu’il va me tomber sur le pied d’une minute à l’autre, bien avant qu’Ezra daigne faire quoi que ce soit de plus que lui donner un simple coup d’oeil.

Mon sourire disparaît en même temps que je grogne après le coup de poing porté à mon menton mais fort heureusement pour le bien du monde entier, mes lèvres s’étirent à nouveau la seconde suivante. Il n’y a rien d’étonnant dans le fait qu’il s’énerve et rien n’est moins étonnant que cette même colère se matérialise sous la forme d’un coup de poing. Le contraire m’aurait déçu. Je profite d’un instant de répit pour passer une main sur ma mâchoire et m’assurer qu’il ne s’est pas trop défoulé, parce que je risque d’être encore plus exécrable et que cet uppercut n’est sûrement que le premier d’une longue liste. « Ton rétro est cassé ? Hein ? ET TA GUEULE D’ENCULE ELLE VA COMMENT ?! ? » Oh heureusement que les gueules de bois ne font plus parties de mon quotidien depuis longtemps parce que rien qu’en parlant aussi fort j’en ai mal au crâne. Il hurle de toutes ses forces, il a les yeux exorbités, il a les veines saillantes partout où je peux les observer. Mon esprit tout entier se concentre sur les éléments que je pourrais tourner en dérision plutôt que de vouloir considérer un seul instant qu’il y a réellement un problème. Je suis convaincu que si on l’ignore assez longtemps alors il finira par disparaître de lui même, parce qu’aucune autre issue ne saurait être préférable. Elle ne reviendra pas. Ni pour lui, ni pour moi, ni pour personne d’autre. Elle va rester là bas, loin de tout et de tous, avec seulement son enfant.

Ma gueule d’enculé a une douleur qui la lance au niveau du menton, bizarrement. Mais déjà qu’il ne veu pas s’occuper de mon rétroviseur alors je doute qu’il veuille jouer à l’infirmière pour moi, là. Il semble au contraire opter pour un rôle à l’opposé de celui d’infirmière, décidant de continuer à user de ses poings en me frappant une nouvelle fois au visage, au niveau de l’arcade sourcilière cette fois ci. La douleur se sent tout autant, tout comme le sang chaud que je sens couleur le long de ma joue au même moment. Quel enfoiré. J’étais calme. Je jure que j’étais calme et que je comptais seulement lancer quelques mots pour lesquels il m’aurait détesté. Je jure que tout a commencé de là mais qu’ensuite si ça s’est envenimé c’est de sa faute et seulement de la sienne. « TU VEUX QUOI CONNARD ?! » Il crie toujours, cet espèce d’imbécile de Beauregard qui n’a rien dans le crâne comme aucun des autres de sa famille.

J’ai assez servi de punching ball pour une vie, là, et j’ai aussi emmagasiné assez de rage contre lui pour vouloir le tuer dans deux vies différentes. ”C’est bon, t’es calmé là ?” J’aurais cru arriver à rester plus sage mais il se peut qu’à mon tour j’ai crié sur lui, la haine mêlé à tout le reste l’ayant emporté. ”Tu comptes chialer longtemps, Beauregard ?” Non, vraiment, toujours pas. Le calme ce sera pour une autre vie, pour un autre moment. Ce sera aussi pour un autre contexte dans lequel cet enfoiré ne m’aura pas donné deux coups de poing en un laps de temps si réduit sans que je ne me donne le droit de répliquer alors que j’en meurs pourtant d’envie. Mes doigts s’enroulent vivement autour de son poignet pour qu’il me lâche sans avoir à le demander oralement - parce que ça aussi ça reste dans la liste des choses infinies que je ne stipulerai jamais de vive voix. ”Elle est partie pour tout le monde, y’a pas que toi.” Le sang coule, il coule de partout, il perle sur mes habits et ça devient aussitôt une énième raison pour laquelle je déteste le mécanicien. Rien ne m’empêche de continuer à le regarder dans les yeux et à le toiser sans aucune honte, sans doute prêt à y ajouter ma touche personnelle pour le descendre plus bas que terre s’il ose montrer une once de faiblesse à un moment donné. Il n’est ni dans la liste de mes ennemis ni dans celle (inexistante) de mes amis, mais ce n’est pas pour autant que j’en fais mon allié ou une personne de confiance. Il n’a pas de place d’honneur, il n’a même aucune place. Il n’est rien pour moi mais je sais qu’il était beaucoup pour elle. Qu’il est encore beaucoup, sûrement. ”Il t’a dit quoi ?” Matt, la seule personne qu’il a peut être plus envie de tuer que moi en ce moment. On doit regrouper les informations, démêler le vrai du faux, démêler ses mots à lui dans ce qu’elle aurait peut être voulu dire. Si elle l’avait pu. ”Insulte moi encore une fois et je te tue.” Moi même je ne sais pas pourquoi je ne lui ai pas encore rendu ses coups mais une chose est sûre : je n’aurais aucune honte à le faire, que ce soit aujourd’hui ou demain.

(mai 2009)
Alors, bien sûr que la colère qu’il ressentait en son sein en vint à être exprimée de façon exacerbée. Bien sûr qu’elle était au plus haut, au plus fort et qu’il n’avait jamais rien ressenti d’autant ravageur. Il avait l’impression que chaque cellule de son corps venait se désolidariser de sa voisine, pour venir former une alliance plus que malvenue avec une autre consoeur un peu plus loin. Que le chaos devenait maitre des lieux, pratiquant le meilleur coup-d’état dont il puisse avoir été témoin. Et ce qui l’énervait le plus, dans tout ça, ce qui le faisait sortir encore si possible davantage de ses gonds, c’était de voir le sourire impeccablement étiré sur les lèvres d’Auden. De voir que cette ordure arrivait à en tirer du positif, à soustraire à l’équation des notes joyeuses. Assez pour sourire, assez pour se moquer. Il pensait pouvoir se présenter ici comme une fleur, fair comme s’il était le plus beau et le plus puissant, sans venir déclencher les vagues à l’intérieur d’Ezra ? Ou était-il tant auto-centré qu’il voulait faire tout ça tout en déclenchant des vagues chez Ezra ? La seconde option était probable, tout autant palpable du bout des doigts, lorsque le second poing vint s’alourdir sur le visage d’Auden. Le gestes d’Ezra l’étonnait lui-me^me, mais il n’était pas assez lucide pour venir les remettre en cause. Pour le moment, sa seule préoccupation - et ce depuis les derniers jours - c’était d’occuper ses mains pour libérer son esprit de toutes pensées se ramenant trop près d’elle. Réduire et retailler le visage d’Auden à la main n’était pas le premier choix de sa liste, mais ce n’était pas une mauvaise idée non plus. Ca ferait l’affaire pour aujourd’hui, disons. « C’est bon, t’es calmé là ? » Sauf que, apparemment, ce n’était pas l’idée qui plaisait à Auden. Le jeune homme ne semblait pas prêt à rester là, sans rien faire, et à recevoir une pluie de coups de la part d’un homme désespéré. Voyons, comme c’était étrange. Si Ezra n’avait pas été autant aveuglé par la colère, il aurait surement levé les yeux au ciel suite au ton que l’autre homme venait d’employer. Il n’aimait guère se faire crier dessus, surtout quand il n’était pas celui en tord dans la situation. Etait-ce si difficile à comprendre, à voir, pour Auden qu’il n’était pas celui qui avait son mot à dire tout de suite, maintenant ? Il osait pénétrer dans son antre, dans son domaine, et lui crier dessus comme on criait sur un vulgaire enfant faisant un caprice dans un supermarché ? A croire qu’il ne tenait pas autant qu’Ezra l’aurait pensé à son beau visage. Et comme si ce n’était pas suffisant, il vint en rajouter une couche - épaisse. « Tu comptes chialer longtemps, Beauregard ? » Et pourtant, les larmes n’avaient pas coulé devant ses yeux depuis que le Williams avait mis un pied au garage. Seuls les yeux rougies l’avaient accueilli, ayant séché d’avoir déjà trop pleuré. Si certaines larmes s’étaient échappées, contre son gré, depuis le début de leur - altercation - discussion, elles étaient uniquement faites de colère et d’amertume. Il considérait de se montrer misérable devant un tel individu, mais les larmes ne seraient pas de mise devant lui avant un bon brin de temps. Il n’irait pas jusqu’à se réduire à ça. Alors, tenant toujours fermement le col du jeune homme, il vint le secouer un peu. Asséner de nouveau un coup n’apporterait rien d’autre qu’un autre vague sourire. Le faire rebondir délicatement contre la carrosserie de sa propre voiture, en revanche, lui permettrait peut-être de remettre ses neurones dans le bon sens - s’il lui en restait un tantinet. Cependant, le jeu semblait terminé et Auden lassé. En effet, il vint à son tour attraper le poignet d’Ezra, montrant que s’il désirait, il n’était pas le seul à pouvoir user de la force. Cela importait peu pour Ezra, il n’était pas ici pour faire un combat de coq, mais simplement pour défendre son orgueil, son égo, sa dignité face à cette personne le répugnant tant désormais. Auden n’aurait vraiment pas pu choisir pire - meilleur ? - moment pour apparaître au garage. Aucune bride de mot n’arrivait cependant à s’échapper de nouveau des lèvres d’Ezra, les dents tellement serrées qu’il risquait d’en perdre une ou deux sans qu’Auden n’ait besoin d’y assener un coup. « Elle est partie pour tout le monde, y’a pas que toi. » L’herbe coupée sous le pied, car même perdu dans cet amas de nouvelles émotions, il ne semblait pas savoir dissimuler aussi bien que prévu son chagrin face à cette nouvelle épreuve qui se dressait devant lui. Ils n’étaient pas proches, Auden et lui - loin de là même. Les seules informations qu’il avait réellement à son sujet, il les avait eu grâce à elle. La réciproque devait être plus que vraie. Alors pourquoi venir ici, aujourd’hui ? Pourquoi décider de perdre du temps face à ce qui était pour lui qu’un abruti qui n’en valait pas la peine ? Pourquoi venir remuer le couteau dans la plaie, en y ajoutant sel et citron au passage ? Elle est partie et son coeur devenait encore plus meurtri à entendre à tiers le dire à haute voix. Parce-que ça ne faisait que confirmer ce qu’il affirmait, seul, depuis les derniers jours écoulés. Si quelqu’un d’autre quel lui pouvait narrer cette version, elle ne pouvait devenir fausse, rejetée, oubliée. Elle est partie et la vérité devenait, si c’était possible, encore plus dur à supporter. Comme s’il venait d’être soufflé, emporté par une bourrasque de vent à mille lieux d’où il se trouvait jusque maintenant, les mains d’Ezra vinrent desserrer quelque-peu le col d’Auden. Juste là, d’un iota, pas de quoi faire une cérémonie en grandes pompes - elle est partie et il ne savait s’il était possible de s’en remettre. « Il t’a dit quoi ? » Les oreilles d’Ezra qui sifflaient, peinaient désormais à capter les mots prononcés par Auden. Mais il jurait que cette fois ci, il avait parlé d’un il et non d’un elle. Qu’était-ce donc, ce qu’il lui avait dit ? Les idées qui s’embrouillaient, la colère qui ne se dissipait pourtant pas dans son sang. Ces émotions contradictoires qui faisait de lui l’être le plus instable de l’endroit pour le moment. A la fois tant dans l’envie de se défouler, de laisser tout ça ressortir une bonne fois pour toutes - mais en même temps cette soif de connaître et reconnaître les événements, de comprendre ce qu’il se déroulait sous ses yeux. De quel il il parlait ? Le seul idiot qu’il avait vu aujourd’hui était Auden, et Ezra espérait qu’il n’était pas si imbu de lui-même pour s’énoncer à la troisième personne. Elle ne pouvait pas être tombée si basque ça. « Insulte moi encore une fois et je te tue. » Tue moi alors. Ces mot s’étaient précipités dans ses pensées sans qu’il n’ait pu avoir le moindre contrôle, la moindre retenue. S’il était apte à réaliser ce qu’il se passait, Ezra n’aurait su croire ce qu’il s’autorisait à penser. Il ne pouvait pas souhaiter ce genre de chose, le chagrin, si grand fut-il, n’en valait pas la peine. Et pourtant, les mots s’étaient précisés tout naturellement dans sa tête lorsqu’Auden s’était exprimé. Parce-que de toutes façons, elle était partie, s’était enfuie, avait préféré se livrer à l’inconnu plutôt que de le rejoindre de nouveau. « Alors tue moi. » Et ce qu’il ne souhaitait pas arriva. Comme si un filtre s’était de nouveau envolé. Que les voiles se levaient. Il était d’un ridicule inassumé que d’oser parler de pensées si futiles face au Williams. Tout le monde, sauf lui. Il n’était pas son allié, il n’était pas son ami. Cet homme était venu aujourd’hui pour s’attirer les foudres du Beauregard, pour attiser un feu déjà bien démarré, pour jeter de l’huile sur le feu. En aucun cas, un élan de générosité ou de bienveillance émanait de son comportement. Et pourtant, les pensées les plus sombres qui n’aient jamais traversé l’esprit d’Ezra en vinrent à être formulées à haute voix devant lui. Presque murmurées, susurrées, pour sa simple présence. Ce fut comme une décharge électrique, l’inverse de tout ce qui avait animé jusqu’alors Ezra. Il se sentit parcouru d’un frisson, dérangeant, le long de son échine, et en vint à détacher finalement ses mains du col d’Auden. « Parce-que de toutes façons, t’es venu là pour me mettre à terre, tue moi connard et ça sera terminé. » Tout, de toutes façons, était terminé. C’était elle qui l’avait dit.

J’essaye de faire de mon mieux pour ne pas simplement devenir fou à mon tour et venir frapper son si joli minois sur le coin tranchant de ma voiture, laquelle je ne suis sûr qu’il ne réparera absolument rien cet espèce d’imbécile. Il clamera le contraire aussi haut et fort que se fasse mais la vérité est que je suis réellement venu ici avec des intentions pacifistes, sinon on aurait simplement sauté au moment où on s’insulte, se frappe, hurle, rage, et c’était au dernier qui faisait un pas dans l’enceinte de l’hôpital qui gagnait la manche. J’aurais pu envisager les choses de cette manière et avec le recul je commence à me dire que j’aurais réellement dû le faire ainsi ; pourtant je suis con moi aussi et le sujet n’est pas comme tous les autres. Cette fois ci c’est aussi différent pour moi que ça l’est pour lui, pour une infinité de raisons qu’on ne partage mais qu’on pourrait au moins comprendre. Ce n’est pas n’importe qui. C’est Ginny. C’était Ginny.

C’était Ginny mais lui n’entend rien, ne voit rien non plus. Je sens ses mains sur mon col mais par dessus tout je les sens s’y reprendre à plusieurs reprises pour se replacer et maintenant sa prise, je sens ses phalanges gratter mon cou comme si tout ceci était réellement normal. Je rage de cette proximité que je n’ai pas demandé comme je rage encore plus quand lui ne se calme pas, quand je le soupçonne de lire dans mon esprit pour utiliser mes idées contre moi dès lors que mon front vient violemment se heurter à la carrosserie du véhicule. Je vais le tuer, je jure que je vais le tuer. « Alors tue moi. » Et ça semble être le seul sujet sur lequel on s’accorde, malheureusement. Pour une fois ce n’est pas la raison première de ma venue mais c’est celle que tout le monde retiendra sans jamais se demander ‘pourquoi’. La paume de mes mains se place au niveau des fenêtres dans le but de canaliser la puissance avec laquelle ma tête est projeté sur le métal mais je ne saurai même pas dire si ce geste est réellement utile.

Il avait beaucoup de joker dans sa main, je lui en ai donné mille, je lui ai donné toute ma patience pour une vie, je lui ai tout donné et jamais il ne le saura mais là il vient de tout épuiser, aussi. Il avait droit à un temps de deuil, il avait droit de rager, il avait droit de pleurer que je n’aurais rien relevé ni aujourd’hui ni jamais non plus. Il avait le droit de franchir la limite de sécurité entre nous et un coup, un seul, pour la forme, pour qu’il se sente bien, pour tous les moments où j’étais à ses côtés à elle et que lui n’y était forcément pas. Pour ce moment particulier où on a monopolisé les toilettes des filles de l’Académie pendant une heure entière parce qu’elle avait un test de grossesse à faire et qu’il a tourné positif. C’est pour toutes ces raisons là que je ne l’ai pas encore tué, Ezra, et ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque.

Quand il ne rage pas avec ses poings il le fait avec ses mots. On a bien plus de points communs qu’on ne se l’avouera jamais, ce petit con et moi. « Parce-que de toutes façons, t’es venu là pour me mettre à terre, tue moi connard et ça sera terminé. » Il ne comprend toujours rien et m’exaspère, le seul réflexe que j’ai est de rendre les coups qu’on me donne et ce même s’il vient enfin de cesser de faire teinter (exploser, le bon mot c’est exploser) mon crâne. Le monde tourne et les tambours n’ont de cesse de jouer leur cacophonie dans ma tête mais par un miracle incertain j’arrive quand même à placer les doigts de ma main gauche autour de son cou pour le coller contre la carcasse de la voiture. Il a la gorge largement compressée, ce qui l’aidera peut être à calmer ses élans de dramaqueen en puissance puisque ce n’est ni l’heure ni le lieu pour ce genre de choses. ”Je te relâche et tu montes dans la voiture.” Il va refuser, je ne le sais que trop bien puisqu’à sa place j’en aurais fait de même. Ca me fait mal de l’avouer mais on est faits du même bois, entre espèces d’imbéciles de merde. ”Tu veux continuer à te battre avec un client, à ton boulot ? Prends une pause et monte dans cette putain de voiture.” Je vais le pousser, je jure que je vais le pousser, le jeter dans le coffre, garer la voiture au milieu du Bush et attendre qu’il cuise à l’étouffée et comme ça tous les problèmes seront réglés.

Le liquide chaud coule depuis une plaie que je n’avais pas détecté et je l’efface rageusement du revers de la main, toujours bien trop concentré sur le cas Beauregard. ”Tu conduis, t’arrêteras peut être d’essayer de me tuer comme ça.” Il conduit parce que je suis incapable de garder l’esprit clair et que de nous deux il est le plus con mais le moins amoché. C’est un choix par dépit pleinement assumé. ”Plus vite tu te bouges le cul et plus vite je sors de ta vie.” Et on ne se reverra plus jamais, le genre de ‘jamais’ définitif qui fait que je vais rapidement oublier les traits de son visage que j’ai une envie folle d’amocher. ”Et tu t’débrouilles avec le rétro cassé.”

(mai 2009)
Alors tue moi parce-que de toutes façons, la vie s’était arrêtée autour d’Ezra. L’impression que tout autour de lui venait au ralenti, avait perdu de sa saveur, ne possédait plus les bonnes couleurs. Il avait perdu Ginny, mais ce n’était pas que ça. Si elle n’avait plus été de ce monde, il aurait eu de la peine et du chagrin, c’était certain. Il aurait mis des mois à s’en remettre, il aurait été l’ombre de lui même pendant au moins autant de temps. La vie aurait tourné grise de la même façon surement qu’elle l’était désormais en ce moment même. Cependant, en son sein, là où son coeur peinait à battre, tout aurait été différent. Elle était partie, mais n’avait pas disparu. Elle était partie, mais était toujours là dans un sens. Ce n’était pas que sa présence qui n’était plus là, c’était tout le reste qui allait avec. Son rire, sa joie, ses yeux. Tout lui avait été retiré, et lui avait demandé de tout oublier. Comment pouvait-on oublier ce genre de personnage, une fois qu’il avait traversé votre vie ? Elle n’était pas comme les autres, Ginny. Elle avait cet aura si particulier qu’une fois qu’il vous avait effleuré, vous remarquiez son absence. Cette absence qui pesait désormais sur Ezra, car elle lui avait été imposée. Pas par accident, non plus par un mauvais concours de circonstances. Ginny n’avait pas disparu parce-qu’elle n’était tout simplement plus. Elle avait disparu parce-qu’elle avait choisi de disparaitre. Imposer une telle décision à un autre être vivant n’était pas chose aidée, et pourtant il n’avait fallu qu’un seul instant, une fraction de seconde, un fragment de temps pour prendre cette décision. Le premier instant elle était là, dans ses bras, et celui d’après sa silhouette se dérobait à la vue d’Ezra derrière ce pan de bois qu’était la porte de son appartement. Entre ses doigts elle avait filé, tel un mirage qui s’effritait avec le retour fracassant de la réalité. Elle avait préféré prendre et lui imposer la fuite plutôt que d’affronter ce qui se trouvait sous leurs yeux. Elle s’était consciemment arraché à sa vie, à ses désirs, à ses rêves, et Ezra devait désormais composer avec un puzzle dont nombreuses étaient les pièces manquantes. Alors, peut-être que la proposition de Auden était la bonne. S’il s’adonnait à simplement le réduire en morceaux, réellement cette fois-ci, peut-être que tout ceci toucherait à une fin inexorable. C’était égoïste, mais c’était l’idée qui pouvait réchauffer durant les rudes nuits de l’hiver - plaine désertique couverte de froid et de regrets qu’était devenu son coeur.
Les pensées d’Ezra s’étaient tellement mises à défiler, à s’imposer à lui qu’il en avait presque oublié la raison de cette descente accélérée aux enfers. Il en avait oublié que ses mains tenait un col, tenait une raison, avaient été en tous cas placées de la sorte à un moment donné car il avait cette rage à dépenser à l’intérieur. Auden en avait été à la fois la source, l’accélérateur et le receveur - sans qu’il ne l’ait explicitement demandé. Il y avait été de bon coeur pour que les choses se déroulent de cette façon, mais n’avait pas exprimé l’idée d’être propulsé contre sa propre voiture par les bras tant forts et faibles d’Ezra. Ce dernier ne se vint se connecter de nouveau à la réalité seulement lorsque la main d’Auden finit par venir enserrer son cou. Juste avec assez de pression pour ne pas le priver d’air, mais qu’il puisse cependant se rendre compte que quelque-chose ne tournait pas rond dans cette affaire. La seule chose qui tournait en rond, c’étaient les émotions et sentiments qu’Ezra ressentait. Williams vint le plaquer, à son tour, contre sa voiture. L’air lui manquait quelque-peu, juste assez pour concentrer de nouveau sa vue, sa conscience, sur la situation qui se déroulait à ses pieds. « Je te relâche et tu montes dans la voiture. » Les mains d’Ezra avaient, quand à elle, relâché progressivement le col de polo d’Auden. Comme si s’accrocher à la réalité ne valait plus la peine - elle avait décidé de ne plus en faire partie. Ce n’était pas pour autant que le plan que semblait vouloir lui exposer le jeune homme sonnait comme douce mélodie à ses oreilles. Son attitude était d’ailleurs étrangement calme pour quelqu’un à qui on venait de proposer une élimination sans remords ou regrets. Il pourrait être en train de labourer le corps de Beauregard sans ciller une fois qu’il décidait de prendre la voix de la sagesse. Etrange comportement, surtout si c’était uniquement pour proposer une balade champêtre à bord d’une voiture à moitié défoncée par la suite. Ezra tenta alors de secouer la tête, voulant montrer son désaccord, mais la main d’Auden était trop ferme sur sa peau pour qu’il puisse pratiquer ce mouvement. Ses yeux, qui avaient eu repris conscience de la situation, semblaient vouloir lancer des éclairs. Ils se contentaient de paraitre plus exorbités qu’ils ne pouvaient déjà l’être. « Tu veux continuer à te battre avec un client, à ton boulot ? Prends une pause et monte dans cette putain de voiture. » Le ton d’Auden était mesuré, ses paroles étaient justes. Ezra n’avait imaginé pouvoir se dire ça un jour, mais il suffisait de constater les faits. Certains des autres employés du garage avaient arrêté leur activité pour se concentrer sur ce qu’il se passait plus loin. Bientôt, leurs regards furent rejoints par celui de Frank, le propriétaire de l’établissement. Celui qui connaissait l’histoire, celui qui se montrait présent pour Ezra qu’importe le pas de travers qu’il pouvait commettre ou subir. Et ce fut uniquement parce-que le regard de Frank se porta sur lui qu’Ezra comprit les beaux draps dans lesquels il se glissait lentement aujourd’hui. Auden avait raison. Il ne supportait pas quand ses propre collègues se servaient de leur lieu de travailler pour régler leurs comptes, et il était en train de faire bien pire. Coeur brisé n’était pas une fragrance qui semblait lui sied à merveilles. « Tu conduis, t’arrêteras peut être d’essayer de me tuer comme ça. Plus vite tu te bouges le cul et plus vite je sors de ta vie. » Les derniers mots prononcés avaient alors attiré davantage son attention. Je sors de ta vie était là des termes qui pouvaient lui convenir. Il n’avait jamais souhaité d’Auden dans sa vie, ni dans sa vie, dans celle de n’importe qui. Des traits qui avaient été peints de lui, aucun ne le satisfaisait. Mais il avait appris à le tolérer, de loin, parce-que l’autre était important pour elle. Désormais, il n’avait plus à le tolérer du tout. Il avait juste à faire en sorte qu’il ne soit qu’un lointain souvenir - et c’était la solution qui semblait satisfaire aux deux, qu’il lui tendait sur un plateau d’argent. Alors, dans un geste pénible et presque imperceptible, Ezra opina du chef. Une fois, pas deux - il n’était pas devenu fou au point d’acquiescer deux fois des dires d’Auden. « Et tu t’débrouilles avec le rétro cassé. » C’était pisser dans un violon, il ne comptait pas lui donner le moindre coup de main là-dessus. Il avait voulu jouer les imbéciles avec un engin qu’il ne maitrisait pas, c’était à lui de venir ramasser les pots cassés, Ezra ne comptait pas le moins du monde intervenir là-dedans. Alors, lentement, alors que les doigts d’Auden vinrent se détacher de sa gorge, Ezra déglutit. La tête le tournait légèrement, mais sa vision restait claire. Ses yeux vinrent se poser un instant sur Frank, dont le regard était teinté d’une certaine déception et son coeur semblait en prendre un nouveau coup. S’il y avait bien une personne qu’il ne souhaitait pas décevoir, c’était le vieille homme - et il venait de tout gâcher en une scène sans même compléter l’acte. Dans un geste rapide, à la suite, Ezra vint ouvrir la portière côté conducteur pour s’installer derrière le volant. Avant même qu’Auden ait eu le temps d’en faire de même, le moteur rugissait déjà. Il ne pipa mot cependant. C’était l’idée de l’autre abruti, il pouvait deviner tout seul qu’à un moment donné, il allait devoir monter à bord également. Quelques instants plus tard, Ezra inséra le véhicule dans la circulation. Le soleil continuait sa course vers son zénith, inlassablement, quotidiennement, et le jeune Beauregard se força de ne pas penser qu’il venait juste de se lever sur sa journée à elle. Ses coups de volant n’étaient pas délicats dans sa conduite, mais il n’y prêtait aucune attention. Il se contentait de faire avancer le véhicule - qui n’était vraiment pas une pièce glorieuse, soit dit au passage, et rétro cassé par Auden lui-même à part, elle avait besoin d’une bonne révision. Le vent s’engouffrait dans l’habitacle, venant frapper son visage, balayer ses émotions. Son coeur avait presque abandonné la chamade et l’adrénaline s’effaçait de sa circulation sanguine. A ceci venait donc s’ajouter une légèrement douleur au niveau des jointures de sa main gauche, main avec laquelle il avait refait le portrait d’Auden. Ce dernier ne lui avait pas donné d’indication particulière quand à la suite de son plan, si bien qu’Ezra roulait sans aucune destination en tête. Si d’ordinaire il aimait cette sensation de liberté que pouvait lui apporter ce genre de balade, aujourd’hui il n’en était guère de même, n’aimant pas cette sensation qu’Auden maitrisait bien mieux la situation que lui. « On va où, là ? » Les seuls mots qu’il avait daigné lui adresser dans les dernières bonnes vingt dernières minutes. Son ton de voix était presque clair, point important à souligner. Son coeur était toujours gorgé d’émotions bien plus négatives que positives, mais il réussissait à garder un semblant de calme désormais - l’évolution était à noter.

Après avoir voyagé avec Ezra je n’ai désormais plus le droit de dire que je n’ai jamais eu peur de mourir en étant dans une voiture. Ce n’est apparemment pas parce qu’on est mécanicien qu’on peut aussi prétendre être un bon conducteur - et non, je ne mettrai pas sa conduite sur le dos des récents minimes changements de sa vie, ce serait trop simple. Ce n’est pas parce qu’il vient de perdre la mère de son enfant et la supposée amour de sa vie que cela lui donne un quelconque capital sympathie ; surtout pas de ma part. Il reste en vie par simple miracle parce que j’estime qu’on a le droit à un jour de paix mais demain les hostilités reprendront de plus belles puisque je ne doute pas de notre capacité à s’en vouloir à mort même si Ginny ne fait plus partie de l’équation. « On va où, là ? » Le ton qu’il utilise avec moi semble être un très bon point de départ pour la chose, d’ailleurs, alors que je rêve à nouveau de le noyer dans la flaque d’eau la plus proche et lui faire ravaler son ego de merde. Il fait tout graviter autour de sa petite personne alors qu’il n’a jamais été question de lui, ce stupide imbécile qui n’a même pas su la garder auprès de lui, pas même quand elle lui offrait un enfant. "On va à #37 de ‘arrête d’essayer d’écraser les passants on n’est pas dans un jeu vidéo’." Je m’en veux déjà d’avoir eu cette idée et je m’en veux encore plus d’être borné au point d’aller jusqu’au bout et de le laisser faire un pas dans mon monde à moi. Je râle et crache et rage parce que c’est tout ce qu’il me reste, parce que c’est aussi la seule ligne de défense que j’ai alors que contrairement à lui l’option ‘m’apitoyer sur mon sort’ n’est en rien envisageable.

Mes yeux restent résolument fixés vers l’horizon, refusant tout coup d’oeil à son égard pour ne pas avoir à observer ni ses yeux rougis ni même ses lèvres encore tremblantes - et encore moins la main qu’il garde résolument accrochée au levier de vitesse. Il tient à elle, certes, mais apparemment pas assez pour la retenir. C’est tout ce qu’il y a à retenir de cette mascarade. C’est tout ce que je veux en retenir, aussi, quand il est bien plus simple de rejeter la faute sur lui plutôt que qui que ce soit d’autre. Surtout pas moi. "Bayside. Numéro 517." Je finis par annoncer une fois que la plaisanterie a assez duré et qu’on passe le même carrefour pour la troisième fois en cinq minutes, les deux gars louches qui ont les yeux rivés vers l’extérieur comme s’ils cherchaient une nouvelle proie à amener à l’arrière de leur voiture. Si je finis par emmener qui que ce soit à l’arrière de la voiture, ça sera le Beauregard, et ça sera pour le découper en petits morceaux quand il aura recommencé à m’insulter et dépassé toute sorte de frontière possible et inimaginable. Il a déjà eu le droit à Auden patience extra plus, maintenant c’est terminé.

Du bout du doigt je lui pointe où se garer alors que le rétro tape contre la carrosserie toutes les deux secondes, son récurrent qui m’aurait rendu fou il y a de ça quelques jours encore mais qui est désormais le cadet de mes soucis. Il n’a pas le droit à de plus amples informations alors je me contente de sortir les clés de la poche de mon pantalon, tentant de lui faire comprendre à ma manière que c’est chez moi que j’ai décidé de l’emmener. C’est d’autant plus évident une fois que j’ouvre la porte sans ne plus la refermer, quand la maison vide de décoration est habitée par des dizaines de tableaux en tout genre ayant comme seul point commun d’être inachevés. Malgré les fenêtres toujours ouvertes, l’odeur de peinture est omniprésente. Je ne la sens désormais plus mais je le sais, ça reste une évidence. "Aucune porte va se ferme subitement derrière toi et personne va enclencher de musique de suspens." Ca veut dire entre, fais comme chez toi dans le langage Williams qui a un ton acerbe mais qui ne prévoit toujours pas de découper aucun Beauregard en morceaux.

Je fuis à l’étage sans un mot de plus, reviens une dizaine de seconde plus tard à peine puisque je n’ai pas eu à chercher ce que je voulais lui donner. C’était posé sur mon lit, comme si j’attendais une bonne raison pour l’ouvrir de nouveau, comme si j’attendais que par l’opération divine du Saint-Esprit ou n’importe quelle autre merde ça pourrait la faire revenir. C’était stupide et ça n’aurait jamais rien changé de toute façon. Elle est partie et cela ne me regarde pas. C’est sa vie, leur vie, pas la mienne. "C’était à elle. Ca l’est toujours." Mes yeux cherchent ceux du mécanicien alors que mon expression reste de marbre. Dans la main gauche que je lui tends, le carnet de Ginny. Le sien autant que le mien, à vrai dire, quand toutes les pages sont gondolées de l’encre de ses dessins mais que les coins sont marqués par l’insolence des miens. "J’en ferai rien. Prend le." Je ne veux de toute façon plus le voir et c’est mieux comme ça.

(mai 2009)
Si d’ordinaire, il adorait passer un temps monstre au volant d’une voiture sans savoir où il se rendait, la situation actuelle ne favorisait pas un tel comportement. Ezra s’était déjà lassé de conduire sans but final, de se laisser berner par un homme qui méritait qu’on lui refasse le portrait des deux côtés et pas seulement d’un seul. Mais les mains d’Ezra se devaient de rester sur le volant s’il ne voulait pas les amener tous les deux vers une mort plus que probable - quoi que l’idée lui avait traversé l’esprit plus d’une fois depuis qu’Auden lui avait donné, ou plutôt ordonné l’indication de monter à bord de l’engin. « On va à #37 de ‘arrête d’essayer d’écraser les passants on n’est pas dans un jeu vidéo’. » Auden n’eut même pas le temps de terminer sa phrase que déjà les yeux d’Ezra était à deux doigts d’être exorbités, tellement il les levait au ciel. Il aurait pu être docile et mignon et comprendre par ce message pas du tout subliminal que sa conduite ne plaisait pas à monsieur, mais il n’était pas d’humour aux concessions et fit d’autant moins attention à être délicat lors de ses changements de direction. S’il n’était pas content, il pouvait toujours descendre de la voiture - en cours de route, bien sûr. Ezra n’avait pas demandé non plus à conduire. D’ailleurs, s’il n’était pas content, il n’avait pas été forcé à venir le voir tout court, il était venu au garage de son plein gré. Le silence vint reprendre sa place de choix dans l’habitacle et un petit soupire s’échappa d’entre les lèvres d’Ezra à ce moment là. Il pouvait presque tolérer la présence d’Auden, mais l’entendre parler, surtout pour faire de telles remarques, c’était beaucoup lui demander pour aujourd’hui. Son coeur tenait à peine la course, ses nerfs étaient à deux doigts de définitivement lâcher, il n’avait pas besoin de cette nuisance sonore en permanence à son oreille. Il lui semblait qu’ils roulaient depuis une éternité cependant lorsque l’autre se mit de nouveau à parler sans y avoir été invité. « Bayside. Numéro 517. » Ou plutôt en y ayant été invité bien plus tôt dans le temps mais en ayant décidé de répondre à la question d’Ezra seulement maintenant. Et parce-qu’il avait fait exprès de faire trois fois le tour du même quartier pour lui montrer que son petit jeu de je connais la réponse et pas toi était ridicule. Après tout, s’il ne voulait pas lui dire où ils allaient à la base, il n’aurait pas du lui dire de monter dans la voiture. Ezra se résigna à obtempérer à prendre la bonne direction cette fois ci. L’adresse qu’Auden venait de gentiment partager avec lui ne lui donnait aucune indication sur le type d’endroit où ils se rendaient. Ezra savait où ça se trouvait, mais ne connaissait aucun commerce ou lieux public appartenant à cette adresse. Le coupe-gorge était donc la solution la plus probable. Ezra savait qu’il avait demandé pas plus tard qu’une demi-heure plus tôt à Auden de l’éliminer avec joie et bonheur, mais l’idée de finir dans une ruelle d’un quartier qu’aucun de ses proches ne côtoyait ne l’enchantait guère. A pourrir derrière une poubelle, on mettrait bien plus d’une semaine à s’apercevoir qu’il se trouvait là. Ce fut un mouvement de la part d’Auden dans sa direction, ou plutôt pour désigner quelque-chose qui se situait de son côté de la chaussée, qui sortit Ezra de ses pensées. Il vint alors arrêter la voiture sur le bas-côté dans un mouvement de frein à main maitrisé. Ce n’était pas un drift, mais les pneus de la voiture avaient vu un minimum rouge avec ce mouvement. C’était gratuit et bien fait pour lui, les réparations lui couteraient d’autant plus à la fin de cette journée pour la peine. Auden finit par descendre de la voiture, trousseau de clefs en main, sans piper mot. Ezra en fit de même, le suivant la patte qui traine à quelques mètres en arrière - distance de sécurité de survie oblige. Après quelques tours dans la serrure, l’autre vint finalement ouvrir une porte et daigna enfin reprendre la parole. « Aucune porte va se ferme subitement derrière toi et personne va enclencher de musique de suspens. » Cette fois ci, Ezra ne prit pas mal sa remarque, étant donné qu’il était toujours persuadé qu’il ne passerait pas la journée. Poussant le battant de bois, un léger clac se fit entendre alors que les yeux d’Ezra étaient déjà en train de s’attarder ailleurs, d’observer autre chose. Devant lui s’étendaient un nombre de tableaux et peintures en tous genres digne d’une galerie d’art. Plusieurs styles se faisaient voir mais pourtant la même signature se retrouvait, telle un fil rouge, de tableau en tableau. Certains à peine entamés, alors que d’autres montraient fièrement leurs couleurs terminées. Ezra était tellement absorbé par le contenu de ce que lui rapportaient ses yeux qu’il ne s’était pas aperçu qu’Auden avait quitté la pièce, s’éclipsant dans son dos, se dérobant aux escaliers - peut-être était-il parti chercher l’arme du crime, bien cachée dans un tiroir de sa penderie ? « C’était à elle. Ca l’est toujours. » Presque imperceptiblement, de façon involontaire surement, le ton employé par Auden avait changé. C’était fin, c’était presque rien, mais ça l’était quand même. Une heure plus tôt, il aurait joué de ses mots, usé de leur sens pour ruiner davantage ce qui restait dans la poitrine d’Ezra. Là, il montrait simplement, avançait une constatation. Lentement, la silhouette d’Ezra vint se mettre complètement dans le champ de vision du jeune Williams, ses pupilles s’accrochant un instant aux siennes. Un sourcil qui se fronçait en haut de son visage, marquant l’incompréhension qui prenait part de lui. Son regard finit par descendre sur ce que tient la main d’Auden - oh boy comment était-ce encore possible de ressentir ce genre d’émotions avec un coeur autant à l’arrêt sentimentalement. « J’en ferai rien. Prend le. » Ce fut tremblante et écorchée que sa main vint en contact avec le carnet de cuir. Le froid qui se répandit à travers ses doigts, à peine la couverture touchée. Avec peine, Ezra finit par saisir complètement l’objet. Il savait qu’il devait faire quelque-chose de ce qu’Auden venait de lui donner - le remercier n’était pas envisagé cependant. La moindre parole aurait été, elle aussi, la bienvenue, mais la seule chose qu’Ezra réussissait à peu près à faire correctement en ce moment même, c’était ne pas tomber dans les pommes. Il ne s’avait plus si son coeur pompait trop ou pas assez, si c’était les lueurs du matin ou du soir qu’on apercevait à travers les vitres du séjour, et cette odeur de peinture insoutenable qui l’empêchait en même temps de partir dans un tout autre monde. « Que… » Qu’était-ce ? Pourquoi ? Les questions défilaient sous ses yeux et pourtant sa bouche n’arrivait à formuler correctement rien de tout ça. Si Auden ne l’avait pas encore trouvé idiot depuis qu’il était apparu au garage, là c’était le moment. Lentement, il releva le carnet à niveau d’yeux, n’osant cependant pas l’ouvrir de suite. « C’est quoi ? » Sois pas idiot comme ça, Ezra, tu fais de la peine.

Ezra comprend vite mais il faut lui expliquer longtemps, et autant dire qu’on ne se trouve pas dans un contexte dans lequel j’ai la patience ou même l’envie de lui expliquer quoi que ce soit, quand toutes mes forces sont utilisées seulement pour canaliser mon envie de me battre avec lui. Si je savais comment avoir une expression faciale chaleureuse, compatissante, et tout le bordel allant avec alors je crois que c’est celle que je lui montrerais. A la place il doit se contenter de mon expression figée au possible et de l’inexistence totale de sourire de merde sur mes lèvres, ce qui est le meilleure que je puisse pour le moment lui offrir. Je ne me réjouis en rien de ce moment et lui non plus. On a chacun nos raisons mais je crois qu’on est dans le même bateau ou presque, parce que le sien est quand même sacrément plus merdique si on prend en compte le simple et petit détail de rien du tout stipulant qu’elle porte son enfant. Le mieux que je puisse faire pour lui c’est de soutenir son regard sans ployer et attendre qu’il comprenne le reste de lui même. Il pourra de nouveau penser que je suis le grand méchant de l’histoire dans cinq minutes si c’est ce qui lui fait plaisir ; cela m’importe peu de savoir quelle étiquette il peut me donner à moi tant qu’il la laisse en dehors de tout ça. Elle a beaucoup à se reprocher et je ne la défendrai pas, mais ils ont tous les deux joué à un jeu trop dangereux et ils ont perdu. Il est aussi coupable qu’elle l’est, sauf que des deux elle est la seule à avoir été déracinée et que lui se contente de larmoyer dès qu’il le peut. C’est ça, qui m’enrage. Ça et mille autres choses, sûrement, quand il met un temps fou à prendre le carnet entre ses mains et qu’il faut tout lui expliquer comme il faudrait le faire aux touts petits (comme il n’aura sûrement jamais à le faire à son propre enfant, maintenant qu’elle semble partie pour ne plus revenir).

Mon bras retombe le long de mon corps et je m’en veux de ne rien avoir pour m’occuper les mains, désormais, quand le mieux que je trouve à faire reste encore de les fourrer dans les poches de mon jean. « Que… C’est quoi ? » Mon souffle est aussi long et profond que exaspéré mais je ne cherche pas à le cacher. Ce n’est pas parce que je fais preuve d’une clémence doublée d’une patience relative envers le Beauregard que je suis pour autant devenu un enfant de chœur. Sa réaction m’exaspère pourtant d’autant plus qu’il devrait savoir ce qu’il est en train de tenir entre les mains tout comme il devrait savoir la place que tenait (que tient, la place que tient) l’art dans la vie de sa petite amie. (Ou est ce qu’on passe déjà au moment où je lui demande si en même temps qu’elle s’est enfuie avec leur enfant elle a aussi pris son coeur avec et les restes de sa dignité, faisant d’eux des ex - ou le couteau a déjà bien assez été remué dans la plaie du gamin perdu ?) Nan trop tôt Auden, trop tôt, ferme la. Je retiens un ‘t’es con ou tu fais exprès ?’ qui naît le plus naturellement du monde sur le bout de mes lèvres mais je sais que je ne dois pas céder à l’appel pourtant bien que tentant. On a arrêté de se battre comme des chiffonniers, ce n’est pas le moment de recommencer, encore moins alors qu’ici personne n’entendrait nos grognements de rage et qu’une de nos deux têtes (la sienne, bien sûr) finirait fatalement par venir se cogner contre le rebord tranchant de l’escalier de béton. Pas sûr qu’on puisse se relever de ce genre de malencontreuse chute, si jamais vous voulez mon avis. Et je n’ai pas envie de tester pour montrer qu’une fois de plus j’avais raison. Mieux vaut encore supporter de faire les baby sitter de Beauregard quelques minutes de plus, quand apparemment je n’ai plus rien de mieux à faire de mes journées maintenant. « Ouvre. » Ouvre et regarde, ça sera peut être un bon début pour savoir ce dont il s’agit, non ? On n’est pas dans Harry Potter, faut pas caresser le livre huit mille ans avant de l’ouvrir, tu passes juste pour un con là. « Elle l’aurait donné à personne d’autre qu’à toi. » Elle n’aurait jamais donné son carnet à qui que ce soit si jamais elle avait eu le choix, à vrai dire. Moi je me contentais de le lui voler fréquemment sans lui demander son avis. Lui, ça lui tombe aujourd’hui entre les mains parce que je sais qu’elle lui faisait confiance et même si ce sentiment n’est pas partagé pour ma part, peu importe. Ca lui donnera de quoi s’occuper, ça m’évitera d’y penser. Gagnant-gagnant. Bon débarras, comme on dit. « Y’a tes portraits dedans. » Elle est naïve et elle l’aime, c’est tout ce qu’il y a à retenir de cette histoire. « T’as moins l’air d’un con à l’intérieur, tu devrais regarder les pages plutôt que de te regarder dans le miroir maintenant. » Fais pas le con Beauregard, prends le carnet et dégage. Il n’y a rien que je puisse dire qui saurait arranger ta situation alors que la mienne est déjà périlleuse. Mes yeux quittent le carnet dans l’optique de ne plus jamais avoir à le regarder et dès lors je ne trouve rien de mieux que de les poser sur Ezra, lui qui devient paradoxalement mon seul pilier dans cette maison remplie d’oeuvres qui ne font plus aucun sens. Il est un pilier de merde, certes, mais au moins il est là, lui. « C’était son carnet préféré. Elle l’a depuis que je la connais. » Et je la connais depuis avant toi, donc je sais mieux que tu ne le pourras jamais ; quelque chose à rajouter là dessus ou ça ira ? « Je fais pas ça pour qu’on soit amis. Je veux juste m’en débarrasser. » C’est presque crédible, tout ça.

(mai 2009)
Ezra ne prêta pas attention au souffle d’Auden, à l’exaspération qui en échappait sans se cacher. Il ne prêtait à dire vrai plus réellement attention aux gestes que le jeune homme pouvait faire, ses yeux posés sur le carnet, ses pensées toutes accaparées par ce dernier. C’était un coup de poker, un joker sorti de nulle part. Auden n’aurait pu y penser plus tôt, il avait juste ce talent particulier pour réussir à trouver ce qui dérangeait le plus Ezra - et tout ça en direct, sans répétition. Il était doué, et même s’il le détestait de tout son être, Ezra devait admettre qu’il avait touché un point particulièrement sensible. Il n’avait pas pu garder tant de biens appartenant à la demoiselle, quelques bricoles laissées en arrière, à son appartement. Même si Matt les avait demandé, même s’il avait levé les yeux au ciel lorsqu’il avait refusé de céder. Ezra avait réussi à garder près de lui une ou deux choses, mais ce n’était rien comparé au carnet qu’Auden venait de lui tendre. La couverture ne lui était pas inconnue, son contenu devait aborder le même angle surement. Ginny et les carnets qu’elle laissait trainer derrière elle à longueur de temps, c’était une histoire en trois volume. Ezra avait d’ailleurs été étonné, sans vraiment s’en apercevoir car aveuglé par le chagrin, qu’elle n’en ait pas laissé un chez lui par mégarde. « Ouvre. » La douce suggestion d’Auden qui parvint à ses oreilles, et avec laquelle il s’accordait pour dire qu’elle était bonne. Cependant, il n’arrivait pas à faire le moindre geste, à prononcer la moindre parole supplémentaire. Il était comme figé dans le temps. « Elle l’aurait donné à personne d’autre qu’à toi. » Good job to cheer him up, Auden. Il savait qu’il avait raison, et ça l’emmerdait plus d’autre chose sur bien des niveaux. « Y’a tes portraits dedans. T’as moins l’air d’un con à l’intérieur, tu devrais regarder les pages plutôt que de te regarder dans le miroir maintenant. » A ces mots là, Ezra dévia légèrement son regard pour venir sonder un instant celui d’Auden. Bien sûr qu’il se devait d’avoir une attitude à déplorer en cette instant, il venait de comprendre à quel point son coeur était définitivement brisé. Enfin, comprendre était un bien grand mot - disons que l’idée que cette situation qu’il désirait temporaire soit permanente était en train de faire son bout de chemin. Elle était partie, idiot, des mots qu’il allait devoir se répéter pendant un long moment encore. Jour après jour. La suite des événements risquait d’être un poil longue et ennuyeuse. « C’était son carnet préféré. Elle l’a depuis que je la connais. » Les yeux dans les yeux et il était obligé d’ajouter ce genre de détails dont Ezra se serait bien passé en cet instant même ? Il avait la rage au ventre bien plus que ce qu’il avait présenté jusque maintenant. Si Ezra était encore en vie, ça tenait du miracle, et il ne faisait rien pour qu’Auden n’ait plus envie de le tuer. Cependant, ce dernier n’avait pas une attitude qui allait de paire avec de telles attentes quant au comportement de Beauregard non plus. Il était à la fois partagé entre l’idée de venir l’étrangler comme il s’était prêté à le faire sur lui au garage, plus tôt dans la journée, ou à venir lui faire bouffer chaque page de ce maudit carnet, jusqu’à ce qu’il n’arrive plus à filtrer la moindre particule d’air jusque ses poumons. D’un autre côté, cependant, il y avait toute cette grande partie de lui qui était juste anéantie, sans autre façon réelle de la décrire. « Je fais pas ça pour qu’on soit amis. Je veux juste m’en débarrasser. » L’option devenir amis n’avait jamais été envisagée de toutes façons, ça tombait bien. Ezra ne pourrait porter de telles attentes à quelqu’un qui se comportait comme Auden le faisait présentement. Un ami n’aurait pas profité de son état général pour danser prématurément sur sa tombe. Il l’aurait aidé à se relever - et il était loin d’adopter ce comportement. Se débarrasser d’Auden, en revanche, semblait être une opportunité qui sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles. Ne plus jamais le revoir, ne plus avoir à supporter sa tronche d’enflure sur pattes… A y réfléchir, c’était lui que Matt aurait du emmener avec lui, ils auraient fait la paire. Et il aurait pu lui laisser Ginny en échange. Donnez une heure et un lieu de rendez-vous, Ezra était prêt à faire l’échange sur le champ. Cependant, ce n’était pas ce que lui proposait Auden là, loin de tout ça. Il lui proposait de prendre, gratuitement et sans rien en retour - c’était louche - le carnet préféré de Ginny et de l’emmener chez lui, pour ensuite ne plus entendre parler de lui. Il y avait forcément baleine sous gravillon, mais Ezra n’avait pas les neurones prêts pour la trouver maintenant. A dire vrai, il n’était pas prêt pour grand chose, et surtout pas pour a walk down memory lane. A coup sûr, son coeur exploserait et il n’en sortirait pas vivant. L’instant n’était pas le bon, l’ambiance était mal choisie - ou l’inverse, ses pensées devenaient de nouveau confuses. Tout ce que Ezra savait, c’était qu’il avait besoin de sortir d’ici, de partir loin d’Auden et de son expression satisfaite de la vie qu’il menait actuellement. Si Ginny était tant importante à ses yeux, comme il semblait le sous-entendre depuis qu’il avait mis un pied au garage plus tôt, il n’aurait pas cette attitude je m’en foustisme parfaite, il y aurait de signes d’effraction dans cette chose que devait être son âme. Alors, venant appuyer le carnet contre le torse d’Auden, Ezra le lâcha, ne prenant même pas le temps de vérifier si l’autre idiot l’avait rattrapé au vol. Il ne voulait pas de ce carnet. Jamais - ou plutôt, jamais maintenant. Il aurait besoin de laisser son regard se porter sur les lignes qu’il contenait, mais plus tard. Pour le moment, il avait juste la nausée et le besoin de prendre l’air. Sans attendre son dû, il ressortit de chez Auden avec une démarche bien plus active que celle avec laquelle il était arrivé. Les clefs de la voiture de Williams toujours en mains, il vint monter à bord de l’épave ambulante et mis les gaz. Sans lancer le moindre regard à l’autre.

C’est qu’un putain de con, le Beauregard.
T’avais le monde à tes pieds et tu l’as laissé filé. Et tu t’en rends même pas compte.

Il avait tout et il n’en a rien fait et maintenant que je fais du mieux que je peux pour rattraper les choses à sa place, il continue de faire de la merde. Il est une saleté de Beauregard qui n’apprend jamais de ses erreurs. Mes mains ne se posent pas sur le carnet quand il le pose contre mon torse parce que jamais ô grand jamais je ne lui montrerai que j’y tiens, moi, à ces bouts de papiers entartinés de beaucoup trop d’encre. J’étais prêt à les lui céder et ça aurait été la plus grosse preuve que j’étais prêt à faire des efforts pour lui. Il l’a refusée, il l’a repoussée et au lieu même de retourner à la case départ il fait mille pas de plus davantage en arrière encore. Je ne le lâche pas du regard alors qu’il recommence à faire se crise en laissant croire au monde entier qu’il est le plus à plaindre dans cette histoire alors que lui n’a en rien été déraciné de chez lui et de tout ce(ux) qu’il aime. Aujourd’hui je le déteste de s’obstiner à toujours vouloir tout faire tourner autour de lui et c’est bien pourtant Auden l’égoïste et l’égocentrique qui dit ça.

Je perds peu à peu de mon calme et tout s’accélère encore quand on entend le carnet s’ouvrir de lui même lorsqu’il tombe au sol, quand les pages se plient et que toutes celles qu’elle avait recollé à la main et ajouté de ci de là se retrouvent désormais étalées sur tout le carrelage. Il l’a laissée tomber, encore une fois, et pour ça non plus il n’y aura jamais d’excuses. Il fuit à nouveau, son épaule heurte la mienne et je déglutis tout en ravalant ma fierté une dernière fois. Dès lors que je le sais assez loin de moi, je m’accroupis pour en ramasser toutes les feuilles et les remettre chacune à leur place. Je lisse les pages, referme la couverture une dernière fois avant de me relever et de le garder entre mes mains. Il ne cesse de jouer avec alors cette fois-ci je le garderai entre mes mains ou dans ma maison ou qu’importe où ailleurs. Mais plus jamais je ne le confierai à qui que ce soit et surtout pas Ezra.

Pourtant j’ai encore une dernière chose à lui dire, une toute dernière, parce qu’entre rois des cons j’arrive quand même à le comprend au fond. Un peu, juste un peu, un tout petit peu, pas de quoi en faire tout un plat et surtout pas de quoi le lui notifier. Ça nous ferait gerber tous les deux, de toute façon.

Mes ongles s’enfoncent dans le cuir du carnet et mes pas se pressent jusqu’à la porte d’entrée maintenant que je réduis mes efforts au minimum et ayant désormais décidé que je ne lui ferai pas l’honneur de sortir de nouveau de chez moi. Qu’il fasse ce qu’il veut avec la voiture cela m’est égal. « Je peux avoir de ses nouvelles. » Je ne sais pas comment mais je trouverai un moyen. Matt me déteste un peu moins que lui, certes, mais il me déteste quand même assez pour ne rien laisser fuiter. Il est à proscrire mais pour ce qu’il en est du reste je sais que je trouverai un moyen. Je ne sais ni quoi ni comment, mais ça arrivera. « Des siennes et des leurs. » Son enfant. Leur enfant. « Dis moi juste ‘ok’ et je te les ferai passer. Si jamais ça t’intéresse encore. » Je n’étais pas doux ni même docile quand je suis arrivé au garage et maintenant qu’il a fait toutes les erreurs possibles et inimaginables, je le suis encore moins. Ma voix est froide, mon ton sarcastique au possible. Qu’il soit d’accord ou qu’il ne le soit pas je n’en ai plus rien à faire, il n’est pas mon problème.

(mai 2009)
Le tourbillon d’émotions qui passait en travers de sa cage thoracique aurait eu mille occasions de venir l’étouffer. Il était même surpris de tenir encore debout. C’était comme si la pire des blagues était jouée en boucle, encore et encore, jusqu’à temps qu’il n’en puisse plus. Et pourtant, ses pas réussirent à le mener de nouveau à la voiture d’Auden. Ezra ne savait pas où il voulait aller, il savait juste qu’il voulait partir d’ici - loin de l’autre, loin de chez lui, loin de la situation et de tout ce qui lui rappelait que le château de cartes s’effondrait presque au ralenti. Le coeur qui pompait, à contrario, bien trop rapidement. L’écho de son sang qui  venait taper le rythme dans ses oreilles. Le bille amer qui emplissait sa bouche. Il vint monter à bord du véhicule d’un mouvement presque maladroit, la portière claquant à sa suite. S’il n’avait pas été dans cet état second, si tout autour de lui avait rimé avec normalité, il aurait entendu les pas d’Auden à sa suite, aurait pressenti que la conversation n’en était guère finie, qu’il avait encore quelque-chose à rajouter - un instant de plus à se pavaner. Mais tout ça n’était pas d’actualité, si bien qu’Ezra mit un instant, peut-être un de trop en plus, à entendre la phrase que Auden venait de lui lancer, à la volée, alors qu’il démarrait le moteur de la bagnole. « Je peux avoir de ses nouvelles. » Les paroles résonnaient dans son esprit, comme un mauvais rire du joker mis en boucle sur un bande son. Avoir de ses nouvelles - il avait l’impression qu’il se foutait de sa gueule. Et puis, dans quel but ? Elle avait fait son choix, elle avait préféré rayer une partie de son existence de la carte pour parcourir le planisphère à la recherche d’un autre coin de paradis. Ezra n’était même pas sûr de désirer avoir de ses nouvelles. Autant son coeur pleurait la perte de la demoiselle dans sa vie, autant son coeur vomissait de colère à l’idée d’avoir de ses nouvelles - ressenti plus que contradictoire avec lequel il ne saurait composer de suite. « Des siennes et des leurs. » Auden se situait à quelques mètres de la voiture, et le pied prêt à appuyer dans la foulée sur l’accélérateur, Ezra avait cependant parfaitement entendu ses mots. Des leurs - nuance presque imperceptible pour quiconque passait à leurs côtés. Mais nuance qui venait retourner tout le monde d’Ezra. C’était des leurs, de nouvelles, qu’il voulait. Parce-qu’elle n’était pas partie seule, et jusque preuve du contraire, une partie de lui grandissait dans son ventre à elle. Un enfant pas prévu, mais pour lequel le coeur d’Ezra s’était empli d’amour à la première seconde. « Dis moi juste ‘ok’ et je te les ferai passer. Si jamais ça t’intéresse encore. » Le cou d’Ezra qui vint se tendre, se tordre, aux dernières paroles de Williams. Bien sûr qu’il ne saurait s’empêcher de rajouter un commentaire, il n’était pas sage et ce n’était pas une vraie surprise. Les doigts pianotant sur le volant, la mâchoire serrée, la proposition était plus que tentante. Assez pour qu’Ezra sente une vague chaleur enrober son palpitant. Ce n’était peut-être pas grand chose, mais dans l’état actuel des choses, c’était mieux que ce qu’il avait déjà - c’est-à-dire rien du tout. Mais ça venait de Auden, et c’était dit avec une telle délicatesse et un amour sans pareil qu’il n’avait qu’une envie, lui tirer de nouveau le portrait et de devenir le futur Picasso. Pendant presque une minute, bien plus que trente longues secondes en tous cas, le pour et le contre menèrent un combat sans pareil au sein d’Ezra. Ce fut avec un soupire sans gêne qu’il vint tourner son regard vers le jeune homme. Leurs pupilles qui se croisèrent, s’électrocutèrent, avant qu’il ne vienne hocher légèrement la tête. Juste ça, mais assez pour s’apparenter au ok qu’Auden attendait. S’il ne comprenait pas la réponse, ça viendrait juste confirmer le niveau d’intelligence qu’Ezra lui prêtait intérieurement depuis qu’il avait mis un pied au garage. Il vint dire ok, parce-que même si c’était de la part d’Auden et que son ton était hautain et qu’il avait envie de l’étrangler, de l’autre côté son coeur saignait et suppliait silencieusement d’avoir un allier d’une telle taille dans cette bataille. Comme le partenaire inattendu, la main tendue invisible, qu’il n’aurait pensé avoir. Même si c’était une ordure, Ezra pourrait toujours avoir de leurs nouvelles. Et ça, il en crevait intérieurement. Alors, appuyant à hauteur de sa peine sur l’accélérateur, Ezra quitta le parvis de chez Auden - non sans lever son plus beau majeur en son honneur.