Et Charlie. C'est probablement la seule chose que j'ai à la bouche, depuis que j'ai su. Depuis que Cian m'a informé qu'elle était là, entre ces murs, quelque part où je ne peux pas la rejoindre. Dans un endroit où elle est seule, où je ne veux pas qu'elle se réveille seule alors que nous sommes tous là, à faire connaissance avec ses enfants sans elle. C'est beaucoup d'émotion, pour Timothy. C'est beaucoup d'émotion, et ma blague sur les crevettes passe inaperçue. C'est probablement pour le mieux. Mes yeux font des allers-retours entre Cian, que je voudrais rassurant, et les deux bébés. Deux. Bébés. J'ai toujours du mal à me figurer qu'ils sont deux. J'ai toujours du mal à me figurer que Charlie est mère, que soudain nous grandissons très vite - trop vite, si on demandait mon avis - et que tout semble soudain chamboulé. Le présent, comme le futur.

Alors que Timothy s'effondre contre Cian, mon regard trouve celui de Matt. Qu'est-ce qu'on fiche ici, à rencontrer les bébés alors que Charlie n'est pas ici ? « On reste avec les crevettes. » Les crevettes qui s'agitent doucement, dans leurs petits berceaux. « Oh boy, Charlie est maman. », que je marmonne à Matt. C'est compliqué de l'imaginer en train de leur donner à manger, alors que j'ai plutôt l'habitude de la voir avec une bière à la main - ou les doigts couverts de toute la Poleen qu'elle s'est renversée dessus en voulant trinquer avec moi. J'ai plutôt l'habitude de nous imaginer en soirée, ensemble, à critiquer des films à l'eau de rose et à faire des doublages ridicules des longs-métrages sur Netflix. Tout ça, qu'on met derrière nous. Je me sens un peu égoïste, de m'imaginer tout ça. Et pourtant, c'est ce qui est en train de se passer, non ? Nous tournons une page immense. « Vraiment ça va aller. » « Mais oui. Elle cuisine comme un pied, par contre, je ne suis pas sûr que tu veuilles lui confier l'éducation culinaire de vos enfants. », que je relève, l'index tendu vers le plafond et la mine très sérieuse. Même moi, je sais mieux faire bouillir des pâtes qu'elle.

Je nous trouve étranges, tous, dans cette salle blanche qui sent un mélange de désinfectant et de... bébé. On croirait qu'on a tous vieilli - sauf Cian, qui est déjà vieux.
Je plaisante.
Peut-être pas.
« Ça va aller, et tu feras un super papa. » Je ne le connais pas, mais je peux l'affirmer simplement parce que je sens toute l'inquiétude qu'il ressent concernant l'état de Charlie. Un homme si préoccupé ne peut être qu'un homme bon. Je ferai en sorte de m'en assurer.

Le soulagement gagnait du terrain face à la panique qui les habitait tous depuis de longues minutes. Tim avait l'impression qu'on lui ôtait un poids au fond de la poitrine avec cette nouvelle et instantanément, il reprit une grande bouffée d'air, juste avant d'aller s'effondrer dans les bras de l'oncle de Charlie parce qu'elle allait bien. Que tout irait bien. Que tout le monde était en parfaite forme et que les bébés étaient entourés comme ils le méritaient. Decastel ne sentit même pas les quelques larmes qui roulaient le long de sa joue parce que son émotion était palpable à souhait, complètement à l'aise dans ce rôle là, d'homme qui gérait comme il le pouvait mais qui savait désormais où il allait. Même si c'était sombre en tous points, Tim n'avait aucun modèle de parents pour l'aider à tenir le choc mais ce n'était peut être pas si grave parce qu'il avait des gens autour de lui désormais, une armée même de garçons qui étaient prêts à tout faire pour les enfants si jamais quelque chose arrivait. Ce n'était pas d'actualité et Timothy put se détacher de Cian avec cet air soulagé perdu sur ses traits. Il eut même un éclat de rire face à la remarque de Léo parce que cela semblait tant être Charlie d'être mauvaise en cuisine, un domaine où Tim pouvait dépanner, fort heureusement. Le meilleur ami de sa sirène était drôle et Tim avait besoin dee cela à l'heure actuelle, pour tout dédramatiser, pour se dire qu'il avait le droit d'aller voir Charlie en premier pour tout lui annoncer. Essayer d'expliquer cela, même si rien n'allait être simple, pour sûr. "Merci, les gars. Je vous laisse les crevettes, comme le dit si bien Léo et... Ma place juste après. Elle sera contente de vous voir aussi, vous êtes sa famille, tous." Peut être plus que lui en bien des points parce que Timothy n'avait pas pu être là sur tout le chemin. Il le regrettait en s'évacuant de la pièce pour aller la rejoindre, se promettant de ne plus jamais la laisser derrière lui. Ô jamais.

« Ça va aller, et tu feras un super papa. »  oh, oh, oh, oh, oh y'a soucis là, c'était pas prévu que je passe de la rage à l'émotion, que mes poings se détendent et que je sente une larme apparaître au coin de mes yeux pour rouler sur ma joue. Sérieux Matt ressaisis-toi c'est Charles qui a l'excuse des hormones pas toi.

Mais ils sont beaux à voir, tous. Léo qui rassure, Cían qui a une veine dans la nuque qui pompe mais qui camoufle ça ça comme un roi, Tim qui respire enfin un peu mieux, et les bébés, bon dieu, les bébés. Je suis médusé à scruter leurs pieds et leurs mains, je reste gaga devant leurs joues joufflues, j'ai encore une foutue larme à l'oeil ça arrête pas ces trucs ça se multiplie et Léo me regarde et il voit tout. Mais ça va il est chill Léo, il me vendra pas - pourquoi est-ce que ça me dérange qu'on me vende? C'était assuré que j'allais passer par toutes les gammes d'émotions aujourd'hui.

La voix de Tim est enrouée, je pose mon bras autour de ses épaules en bon pote compatissant quand la mienne de voix doit être aussi nouée si c'est pas plus, pour le quart des raisons valides. "Merci, les gars. Je vous laisse les crevettes, comme le dit si bien Léo et... Ma place juste après. Elle sera contente de vous voir aussi, vous êtes sa famille, tous." oula. Si je vais la voir, là par contre, va falloir que je renfloue mon stock de blagues de merde et d'humour vaseux en tous genres rien que pour lui donner de quoi râler et déjà, mon cerveau passe en vitesse supérieure pour répertorier tout ce que je pourrai lui dire quand ça sera à notre tour.

« Va t'occuper d'elle, on gère. » on gère pas du tout, mais ça va le rassurer de l'entendre. Et j'ai pas menti, je suis sûr, on va finir par gérer un jour, ensemble, j'y crois.