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 lonely, lonely, that is me (lola&grace)

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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptySam 1 Fév 2020 - 15:01

Elle franchit les portes de la clinique de jour et, d’un coup, sans prévenir, l’appréhension lui chope le coeur. Comme ça. Au vol. Sans égard pour sa surprise, ni pour la façade de grand calme et d’habitude qu’elle essayait si passionnément de maintenir, le muscle se met d’un coup à faire des bonds, et Grace est obligée de faire une pause dans l’entrée pour se contenir. Les employés qui passent la regardent bizarrement, suspectent sûrement l’espace d’un instant qu’une des patientes est en train de s’enfuir, mais Grace les rassure avec un sourire aussi détendu que possible et un pouce en l’air qu’elle espère concluant. Puis, enfin, elle se décide à rentrer, laissant ses pieds la guider pour elle - elle connaît le bâtiment par coeur, maintenant. Et elle déteste le fait que la secrétaire à l’accueil lui demande comment son weekend s’est passé avant de lui donner son badge, comme si elles se connaissaient depuis toujours. Maintenant, Grace est une habituée ici. On connaît la fratrie Coughlin, et par extension, on la connaît. Lola la connaît, et c’est ainsi que lui incombe la tâche d’aller lui annoncer la rupture prof-élève, propre et nette.

Ses pieds s’échouent naturellement à un mètre de la porte de la salle où se tient la session d’art thérapie, et comme d’habitude, elle attend patiemment qu’elle se termine. Enfin la porte s’ouvre, le flux d’élèves se glisse avec plus ou moins de hâte à l’extérieur et, pour la première fois, Grace ne cherche pas son frère des yeux. Cette fois-ci, c’est Lola qu’elle regarde.
Elle l’aime bien, Lola. Parce qu’elle parle toujours d’une voix douce et optimiste, et qu’elle sait tout transformer en bonnes nouvelles. Elle apprécie sincèrement Jeremy, aussi, et la pitié diffuse que Grace sent chez les autres pour son frère, elle, elle ne l’a pas. Elle a simplement hâte de le revoir, de bosser avec lui, et d’apprendre à le connaître. Très curieusement, c’est réciproque. Jeremy parle tout le temps d’elle aux repas, attends les jeudis avec impatience pour venir la voir et rentre toujours dans la clinique avec une impatience manifeste. Enfin, rentrait. Car maintenant, c’est fini. C’est ce qu’elle est venue annoncer à Lola. Et sur l’instant, il n’y a rien de plus terrifiant. La brune a beau se répéter que c’est rien, si, c’est quelque chose. C’est la première fois qu’elle vient sans Jeremy. Et elle a jamais su que l’autre fois était la dernière. C’est bien ça le problème : il n’y aura pas d’au revoirs, pour Lola. Et Grace a l’impression que c’est un décès qu’elle doit lui annoncer. Quand enfin elle aperçoit la jeune femme, elle va à contresens de la dernière flopée d’élèves à sortir pour se glisser dans la salle à son tour.

Salut”, envoie-t-elle pour capter l’attention de la jeune femme, soudain gênée d’être là, seule, sans que sa visite ne soit même prévue. “T’as deux minutes pour parler ?

Elle attend à peine un assentiment pour se rapprocher un peu, jusqu’à faire face à l’artiste. Elle la regarde, la détaille un instant et se demande comment elle réagira, s’il y a une bonne ou une mauvaise façon de présenter la chose. “Bon… Jeremy va plus venir”, c’est tout ce qu’elle trouve et merde, merde, merde, c’est nul. “Enfin, je sais pas s’il reviendra. Je suis désolée qu’il soit pas là pour te l’annoncer lui-même, mais il a commencé un boulot hier et...voilà, je voulais pas le distraire en lui parlant de toi”, ajoute-t-elle rapidement, comme pour compenser. Elle détaille à nouveau le visage de Lola, craint un instant d’y lire du soulagement sans même y croire une demi-seconde. Lola s’est trop investie avec son frère pour n’accorder à la nouvelle qu’une attention polie de circonstance. D’un coup, Grace se sent embarrassée, de trop, face à cette jeune femme qu’elle n’a jamais vu autrement que par le prisme de son frère. Les mots semblent durs à trouver, le pied sur lequel danser est impossible à choisir.

Mais il te dédie sa dernière oeuvre, quand même.

Elle tend à la jeune femme une feuille pliée en deux. Jeremy avait passé deux jours à la réaliser chez eux, puis une heure à la contempler, à l’imprimer dans son cerveau avant d’enfin décréter que Lola la méritait, parce que c’était grâce à elle qu’il savait si bien dessiner les alligators. Grace la laisse prendre, examiner quelques secondes, puis c’est plus fort qu’elle : il faut qu’elle défende son aîné, au cas où. Elle vient se placer plus près de Lola, pointe du doigt un détail nébuleux sur le dessin : “C’est un alligator, pas un crocodile, tu vois ? A cause du…” Elle effectue un geste vague en direction du museau. “C’est plus large. Ou quelque chose comme ça.” Sourire contrit : elle n’a pas trop retenu. Peut-être qu’elle aurait dû prendre des notes, ou quelque chose comme ça. Avec le déménagement, elle n’y a même pas pensé.

Ah. Et il a insisté pour que je te dise que tu es la meilleure prof de l’univers.” Exactement en ces termes. Cette fois, son sourire est un peu plus large, un peu plus complice. “Et je pense qu’il a raison. Tu l’as vraiment beaucoup aidé.” Petite excuse indirecte pour l’avoir mentalement maudite et insultée pendant près d’un an. Offrande de paix tacite.

@Lola Wright
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptySam 1 Fév 2020 - 16:01

Lonely, lonely, that is me

June 2019, psychiatric hospital

Kathy lève la main pour montrer son aquarelle à Lola, et celle-ci fait un grand sourire : elle adore les créations de cette quadragénaire qui est atteinte d'un complet mutisme psychologique depuis un accident de voiture. Toute sa poésie et son imaginaire apparaissent en couleurs, dans des oeuvres abstraites qu'elle fait et montre avec grand plaisir. Lola s'est habituée à communiquer avec elle par images, et à ne jamais, jamais lui demander de prononcer des mots. Elle n'était pas là pour la pousser à faire ce qu'elle ne voulait pas, mais pour l'aider à avancer à sa façon. L'aquarelle du jour était toute de bleu et vert, des mouvements comme des vagues qui rencontrent le ciel. C'était si plein d'espoir que Lola en eut les larmes aux yeux. Elle demanda : "Je peux ?", et une fois que Kathy eût acquiescé, elle prit l'aquarelle délicatement, et la mit à sécher avec des pinces au mur. Elle ne l'enlèverait jamais des murs de cette salle. C'était un si beau témoignage du processus de guérison. Elle se tourna vers l'horloge et vit que l'heure était terminée. "Merci à tous d'être venus, c'était un si grand plaisir. A la semaine prochaine !" Elle savait que tous étaient attendus, certains par des infirmières, d'autres par des parents ou des frères ou des soeurs. Elle devait faire attention à ne pas les garder plus longtemps que prévu, car ça inquièterait forcément quelqu'un, et ça dérèglerait des journées qui étaient organisées au millimètre près.

Elle afficha toutes les nouvelles créations, et les regarda le temps d'une seconde, impressionnée comme à chaque fois par tout ce que l'être humain était capable de réaliser, même dans des conditions aussi compliquées que celles qui les amenaient là. Lola suivit ensuite ses élèves vers le couloir, où elle vit... Grace ? Immédiatement, elle se précipita vers elle, en panique. "Est-ce que Jeremy va bien ?" Grace hocha de la tête avant de lui demander du temps pour discuter. Oh-oh. Never good. Never fine. Elle sut au visage de Grace qu'il n'était rien arrivé de grave à Jeremy. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait donc bien avoir à lui annoncer ? Elle espérait juste que ce n'était pas un départ. Elle vivait très mal les au revoir. Très, très mal. Non, c'était sûrement une absence d'une semaine ou deux. Grace savait qu'elle avait été très préoccupée la dernière fois, elle venait juste pour la rassurer, pour anticiper. Hein ? Pas vrai, Grace ? Lola scrutait le visage de la jeune femme, qui, enfin, lâcha : “Bon… Jeremy va plus venir. Enfin, je sais pas s’il reviendra. Je suis désolée qu’il soit pas là pour te l’annoncer lui-même, mais il a commencé un boulot hier et...voilà, je voulais pas le distraire en lui parlant de toi”.

Lola ne prononça pas un seul mot. Elle sentit l'air lui manquer, comme si on lui avait foutu un coup de poing dans l'estomac. Elle fixa en vain le visage de Grace. Elle y cherchait inconsciemment des traits de Jeremy, une expression. Elle refusait de croire qu'elle perdait un de ses humains préférés, tout ça parce que... Stop. Tout ça parce qu'il avait trouvé un nouveau travail ? Mais c'était incroyable ! Mais c'était si bien pour lui ! Mais comment était-elle censée naviguer toutes ces émotions ? (Oui, ironiquement, c'était elle la thérapeute dans ces ateliers. Allez savoir qui l'avait engagée.) "Je suis tellement heureuse pour lui", répondit-elle, la voix chevrotante. Elle l'était sincèrement, mais pouah, ça ne rendait pas la chose plus facile pour autant. Et là, Grace, qui était déjà venue avec une vérité difficile, se décida à la rendre K.O. Elle se vengeait, en fait. Non, mais clairement, lui donner le dessin le plus mignon de la planète allait arranger quoi, exactement ? Lola préférait s'enrager plutôt que se calmer, car dès qu'elle vit l'alligator - "Evidemment que c'est un alligator", ne put-elle s'empêcher de lancer à Grace - elle sentit les larmes arriver toutes seules. FUCK. Pas devant la soeur d'un patient. Un ex-patient. Elle se retourna pour entrer dans la salle de nouveau. Elle allait afficher le fucking alligator et garder son calme et ne pas fondre en larmes. C'était un plan solide.

Ah. Et il a insisté pour que je te dise que tu es la meilleure prof de l’univers. Et je pense qu’il a raison. Tu l’as vraiment beaucoup aidé.” Lola ne se retourna pas vers Grace, qui l'avait suivie. Elles étaient seules dans la pièce, vide mais remplie d'art. De dos, Lola accrochait l'alligator, et, aussi discrètement que possible, elle essuya une larme traîtresse qui n'avait rien du tout compris au plan (virée !). Elle prit une grande inspiration et se retourna, prenant un air tout à fait naturel alors que pas du tout, du tout. "Merci d'être venue me prévenir. Je me serais fait un sang d'encre s'il avait juste arrêté de venir. C'est vraiment bien qu'il ait trouvé du travail." Elle ne savait pas où se mettre de tant d'émotions. Elle avait besoin d'un verre. C'est ça. "Tu fais quelque chose, là ? J'ai besoin d'un remontant." Elle regarda sa montre : il était 18h. "C'est à peu près acceptable comme horaire." Elle s'arrêta d'un coup, se tourna vers l'alligator, et secoua la tête. "Je peux pas ne pas le revoir, juste comme ça. Je pourrai passer le voir de temps en temps ? Ce serait okay pour toi ? Je ne veux pas rendre les choses difficiles."

@Grace Coughlin
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptySam 1 Fév 2020 - 16:41

Elles se sont jamais trop parlées seule à seule, et la perspective fait travailler les maxillaires de Grace. Comment l’aborder ? Comment lui dire ? C’est Jeremy qui sait lui parler, pas elle ; et pour une fois, elle a l’impression que c’est elle, l’handicapée sociale du duo. Ses chaussures frottent le sol et l’une contre l’autre alors qu’elle traîne ses pieds en direction de Lola, toujours hésitante. "Est-ce que Jeremy va bien ?" C’est la première question - bien sûr, que c’est la première question, et elle aurait au moins pu se préparer à ça, d’entre toutes les choses. Sauf qu’elle n’est prête à rien, présentement, à absolument rien, sa bouche refuse de trouver quoi que ce soit à articuler et son cerveau ne sert pas à grand-chose non plus. elle sait à quelle réaction s’attendre mais, paradoxalement, elle ne sait pas comment gérer celle-ci. Au fond, c’est un peu toute la relation qu’elle a avec Lola : elles se connaissent assez pour comprendre ces bases, leur sensibilité respective ; pas assez pour savoir qu’en tirer, qu’en dire, qu’en faire, au fond c’est Jeremy leur entremetteur et passerelle, et sans lui Grace ne sait plus trop comment se comporter.

Alors elle saute dans le vif du sujet, parce qu’elle n’a jamais vraiment appris à tourner autour du pot, et elle n’en a jamais trop trouvé l’utilité. Aujourd’hui, ç’aurait été bien. "Je suis tellement heureuse pour lui”, lui répond finalement Lola, même si elle n’a pas l’air heureuse du tout. Pudique, Grace détourne ses yeux des siens, fait semblant de ne pas y avoir vu des larmes s’accumuler, soucieuse de ne pas la gêner, ou peut-être craintive d’être encore plus gênée elle-même. Elle poursuit en lui donnant le cadeau de Jeremy, lequel quitte un peu trop vite ses mains. Elle ne sait plus trop où se mettre, alors elle met ses mains l’une dans l’autre, main gauche massant la droite immobile, comme toujours. "Evidemment que c'est un alligator." Le ton lui semble un peu sec, malgré les larmes qui le mouillent, et elle se dit que c’est une jolie façon de présenter les choses. Elle le dirait, si elle n’avait pas peur de se prendre un chevalet dans la gueule en guise de réponse. Lola, de son côté, trottine jusqu’à l’endroit où sont affichées toutes les oeuvres d’art et Grace la suit par mimétisme, cherchant du regard lesquelles pouvaient être à Jeremy - elle n’est jamais vraiment rentrée, avant. Elle ignore pourquoi elle n’a jamais essayé de s’intéresser davantage à ce côté de son frère, toujours si renfermé, dans son monde. Et elle aussi, commence à éprouver de la tristesse pour son départ.

"Merci d'être venue me prévenir. Je me serais fait un sang d'encre s'il avait juste arrêté de venir. C'est vraiment bien qu'il ait trouvé du travail."

Lola prend sur elle, et Grace le sent. Elle la gratifie d’un sourire qui se veut rassurant, hoche la tête pour la convaincre un peu plus : “C’est dans un truc de revente de machines à laver et lave-vaisselles. C’est pas énorme, mais pour lui c’est déjà beaucoup. Puis il aime bien.” Lola le savait, sûrement même mieux qu’elle, mais dans le coeur de Jeremy, il n’y avait que les reptiles, les machines à laver, et Lola. Elle aurait aimé lui dire sans la faire pleurer. Elle ne s’y risque pas. Au lieu de ça, son visage prend cette espèce d’expression penaude, histoire de lui dire pleure pas, s’il te plaît, je sais pas faire. "Tu fais quelque chose, là ? J'ai besoin d'un remontant." La brune extirpe son portable de sa poche et consulte l’heure : dix-huit heures. Moins de trois heures depuis sa séance dejor kiné. Le Docteur Leslie lui aurait sûrement fortement déconseillé la prise d’alcool. Elle décide que c’est tant pis.

Je t’offre un verre. Mais il faudra que tu me guides, je connais aucun bar sur Brisbane.

C’est le moins qu’elle puisse faire, estime-t-elle, même si elle ne sait pas trop ce qu’elle aurait pu faire de plus. Distraite, peu à l’aise, Grace emboîte le pas à la volontaire, manque de lui rentrer dedans quand elle se retourne. Elle suit son regard, jusqu’à l’alligator qui trône fièrement sur le tableau d’affichage. Quelques secondes se passent durant lesquelles Grace étudie son visage, la façon dont ses traits se contractent pour maquiller la tristesse, et ça achève de la convaincre qu’elle ne peut pas faire grand-chose d’autre que l’accompagner boire. “Je viens d’emménager ici, il viendra sûrement me voir de temps en temps alors… Oui, je te tiendrai au courant. T’auras qu’à me passer ton numéro et…” Sa phrase demeure en suspens. Elle se sent obligée de préciser, même si Lola le sait déjà sûrement : “Il répond jamais au téléphone.” Ca lui semble important, parce que c’est ce qu’elle dit à tout le monde. Mais pour Jeremy, Lola n’a jamais été tout le monde. “Je pense qu’il m’en voudra à jamais si je te préviens pas quand il vient, de toute façon.

Elle suit Lola jusqu’à la porte, fait de son mieux pour marcher à son allure. Ses yeux parcourent tantôt son dos, tantôt le décor de l’hôpital, s’échouant à l’occasion sur les patients et les soignants qui traversent les couloirs à des allures diverses. “Vous avez le droit, au fait ? De vous revoir en-dehors de ce cadre ?” C’avait toujours été une limite, parce que Jeremy avait du mal à établir des différences claires entre les sphères sociales dans sa vie. Mais dans le cas présent, elle ne voit pas où est le mal. Ni, d’ailleurs, où est le bien de le priver d’une personne si importante. “Je t’ai jamais demandé ce que tu faisais en-dehors de tout ça. Tu travailles ici ?” Jeremy lui avait déjà parlé d’art, mais il associait toujours Lola à l’art et Grace n’avait jamais pu savoir si celle-ci avait d’autres occupations que celle d’aider des patients à l’hôpital.

On va où, alors ?” qu’elle demande, distraitement, parce qu’elle a peur que parler de quoi que ce soit d’autre déclenche un torrent de larmes, et sans alcool, elle n’est pas des plus équipées pour y faire face.

@Lola Wright
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyDim 2 Fév 2020 - 18:39

Lonely, lonely, that is me

June 2019, psychiatric hospital

Jeremy en train de vendre des lave-vaisselles. Lola se demanda soudain si elle avait besoin de changer le sien. Non, pas vraiment. Elle s'imagina aller lui en acheter quand même, pour qu'il lui explique en détails interminables chaque fonctionnalité. Et puis, elle louerait un grenier chez quelqu'un juste pour entreposer les milles machines qu'elle achèterait au fur et à mesure. Ce serait bien. C'était un bon plan. "Je t’offre un verre. Mais il faudra que tu me guides, je connais aucun bar sur Brisbane." Lola hocha de la tête. Clairement une meilleure stratégie. On boit, oublie tout, on reset, et on ne parle plus jamais de Jeremy. Trop extrême ? Les émotions sont d'un compliqué. "Je viens d’emménager ici, il viendra sûrement me voir de temps en temps alors… Oui, je te tiendrai au courant. T’auras qu’à me passer ton numéro et… Il répond jamais au téléphone." Lola se mordit la lèvre pour ne pas crier (oui, elle était passablement de mauvaise humeur, malgré tout) qu'elle savait parfaitement qu'il ne répondait pas au téléphone, merci bien. Mais elle fut prise de course par la phrase suivante de Grace : "Je pense qu’il m’en voudra à jamais si je te préviens pas quand il vient, de toute façon." Elle eut même un tout petit sourire qui se dessina en coin, comme si ça réaffirmait son importance pour Jeremy, comme si elle avait besoin de ça pour savoir qu'ils tenaient l'un à l'autre, et que son absence de l'atelier ne changerait jamais ça.

Et toutes ces montagnes russes confirmaient sa soif. Elle fit un geste vers la sortie et entraîna Grace à sa suite, à travers les couloirs qu'elle fréquentait tant depuis des années, avec le même plaisir chaque semaine, une curiosité inlassable, le sentiment d'avoir trouvé comment améliorer le monde un tout petit peu, à son échelle. "Oui, on a le droit. La seule chose qui est interdite, c'est que je sorte avec lui. Mais ça, on l'a mis au clair très tôt, lui et moi, sur le fait que ce serait purement un amour platonique." Le deuxième degré revenait déjà. Une vague de soulagement traversa Lola. Tant qu'il y avait de l'humour, il y avait de la vie. "A côté de ça ? Je- Je- Je fais pas mal de petits boulots. J'essaye de travailler dans le milieu de l'art, en fait, mais c'est pas si simple. Bon, mais ça viendra. Je crois." Redescente de l'humour. Il fallait rattraper le coup. "Je peux t'avoir des coupons dans un magasin de chaussures, si tu veux. Deux paires moches pour le prix d'une, ça ne se rate pas."

Lola réfléchit. Elles allaient où, elles allaient où, c'était une bonne question, ça. "On va à un bar de rock'n'roll qui sent la bière et le whisky. Ca va me requinquer." Ce n'était pas forcément ce que Grace avait en tête, mais là, il y avait urgence, et elle lui avait promis un verre. "Tu fais quoi dans la vie, toi ?" Elle ne savait rien d'elle, en fait. Jeremy parlait beaucoup de la vie des alligators, mais peu de sa famille. Elles sortirent de l'hôpital, rejoignèrent l'artère principale du quartier, là où ça bougeait un peu, tournèrent à droite, à gauche, à droite, et c'était là. Skulls.

June 2019, Skulls

C'était prometteur comme nom, et l'intérieur l'était tout autant. La femme derrière le comptoir ressemblait à une biker d'un autre temps. Les deux hommes face à elle sirotaient une pinte de bière tranquillement. Il régnait une atmosphère paisible, le tout avec une bande-sonore des Doors qui était plus que bienvenue. Lola choisit la table au fond, dans le coin, là où ça sentait le bois un peu humide. La tenancière arriva prestement et prit leur commande. "Une pinte de blanche." Lola remarqua la grimace que fit son interlocutrice : de la blanche, vraiment ? Elle lui fit un grand sourire de gamine prise la main dans le sac et confirma d'un hochement de tête.

Puis, elle s'appuya contre le mur, et poussa un grand soupir. "Bon, t'as complètement ruiné ma journée. Je propose que tu te rattrapes. J'ai le droit à trois questions hyper personnelles. Et t'as le droit de répondre n'importe quoi, tant que tu réponds une histoire. T'es prête ?" Ready or not, here comes Lola. Prête à tout déménager, comme d'habitude. "Est-ce que tu t'entends bien avec tes parents ?" Facile, classique, mais généralement problématique. "De qui es-tu tombée amoureuse la toute première fois ?" Et une troisième. Lola prit son temps pour réfléchir. "Si tu pouvais demander trois voeux, ce serait quoi ?" Elle se demanda furtivement si le troisième voeu serait de demander trois voeux de plus ou une infinité de voeux. Elle laisserait faire, ça voulait déjà dire beaucoup.

@Grace Coughlin
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyDim 2 Fév 2020 - 20:45

"Oui, on a le droit. La seule chose qui est interdite, c'est que je sorte avec lui. Mais ça, on l'a mis au clair très tôt, lui et moi, sur le fait que ce serait purement un amour platonique."

La réponse de Lola la fait pouffer – déjà, parce qu'elle imagine tout à fait Jeremy face à ce genre de conversation, complètement perdu et frustré de perdre du temps précieux qu'il aurait pu accorder à fignoler les détails des yeux de ses reptiles. Un sourire est revenu sur le visage de son interlocutrice et Grace choisit de ne rien répondre, de ne pas étayer sur la fois où Jeremy avait proposé un rendez-vous à une fille qui pensait être en couple avec lui depuis sept mois. Au point où elles en sont, elle a peur que n'importe quelle évocation du nom de l'aîné Coughlin fasse repartir Lola dans une crise de larmes et qu'elle n'en sorte plus jamais. La photographe n'est pas très douée pour gérer la tristesse des autres. Raison de plus pour changer délicatement de sujet et remettre Lola au cœur de la conversation tandis qu'elle claudique derrière elle autant que faire se peut pour ne pas la perdre. "A côté de ça ? Je- Je- Je fais pas mal de petits boulots. J'essaye de travailler dans le milieu de l'art, en fait, mais c'est pas si simple. Bon, mais ça viendra. Je crois. Je peux t'avoir des coupons dans un magasin de chaussures, si tu veux. Deux paires moches pour le prix d'une, ça ne se rate pas." Les sourcils se froncent en même temps que la commissure de ses lèvres se hausse. “C’est un art, ça, balancer des coupons pour des chaussures moches à des inconnus ? C’est novateur. Très contemporain.” Le milieu de l'art, elle l'aurait deviné – l'hôpital ne prenait pas n'importe qui pour s'occuper de ses cas, et l’art thérapie était suffisamment prise au sérieux pour qu'on embauche quelqu'un de relativement doué dans le domaine. Ça l'intrigue, d'autant plus que Lola ne s'épanche pas, trébuche sur ses mots, et finit par lui parler de chaussures. “On va à un bar de rock'n'roll qui sent la bière et le whisky. Ca va me requinquer." La brune acquiesce vigoureusement alors qu'elles quittent l'enceinte de la clinique. “Tout ce que j'aime”, elle lui retourne, d'une part parce que c’est vrai, de l'autre, encore et toujours par peur qu'elle pleure pour de bon.

Grace sort maladroitement ses lunettes de soleil d'une main un peu fatiguée et les chausse sur ses yeux quand Lola lui retourne la question. “Je suis photographe.” C'est vrai, mais ça ne suffit pas. Et d'ailleurs, ça ne lui convient pas forcément non plus. “De plateau, tu sais, les films et tout. J'étais photographe de nature avant.” Ça lui paraît toujours important de préciser ça, qu'importe si ça remonte ; c'était ça, qu'elle aimait. Loin d'elle l'idée de cracher sur son travail actuel – elle adore le cadre, l'équipe, la variété des tâches. La recherche de l'essence propre aux photographes reste la même. C’est juste qu'elle n'a plus son libre arbitre. Ou ses grandes étendues du Tibet, ou de la Laponie, ou de la Moldavie. On ne ressent pas l'art de la même manière quand on est restreint dans un cadre préconstruit et qu'on slalome au milieu des équipes tech en plein tournage.

Une pinte de blanche.” Le bar est toujours un peu vide quand elles y arrivent et la musique discrète n'est pas encore couverte par les discussions. Un instant, Grace jauge l'endroit, la carte des boissons, la barmaid aux traits durs mais chaleureux, le vieux chien à poils rêches qui cherche la fraîcheur du sol dans le coin. De leurs tables, les deux jeunes femmes sont encore plus éloignées du cœur de la pièce. Distraite, Grace pianote des ongles sur le revêtement bois ramolli par le temps de la table. “Oh, merde. Une rousse”, fait-elle en s’excusant, parce qu'on l'attend. Maladroite, elle tire son porte monnaie de son sac à dos et tend un billet à la serveuse. Pas raisonnable, elle le sait, elle peut entendre la voix du Dr. Leslie qui lui rappelle que ça augmente les risques d'une rechute ; et surtout sa propre voix qui lui rappelle combien elle a l'air conne quand son cerveau accidenté est assailli par trop d'alcool. Mais tant pis ; après tout, Lola lui a foutu le cafard, aussi, avec ses larmes aux yeux et son air touchant de gamine désœuvrée. Et puis, elle lui a promis de l'accompagner. Elle imagine qu'elle lui doit bien ça. “Une histoire, carrément ?” La jeune femme face à elle lui semble repartie, remarquant à peine son sourire un peu perplexe. Elle accepte le défi d'un haussement d'épaule rapide, sourire en coin qui s'élargit alors que les questions affluent. Un silence s'impose. Les bières sont placées devant elles et Grace lève la sienne pour trinquer, enchaîne avec une remarque amusée :

Tu déconnes pas, sur les questions, toi.”

Et elle aime bien ça. Grace pose sa main sous son menton, regard levé vers le ciel comme si la réponse la plus simple s’y trouvait. Ça marche pas ; pas plus que les 499 fois précédentes. “Pour la première, oui, en général. J'ai toujours été très proche de mon père, même s'il bossait beaucoup et qu'on le voyait pas souvent… Ma mère, c’est un peu compliqué. Mais on y travaille. Ils sont cools.” Ils avaient été cools d'avoir accepté qu'elle abandonne la fac et qu'elle se barre au bout du monde. Ils avaient été cools d'avoir à peine levé les yeux de leur boulot quand Grace leur avait avoué qu'elle préférait les filles. Ils avaient été cools sur beaucoup de plans, mais en fait, ils avaient passé tant de temps à se soucier de Jeremy que même la période gothique punk de leur plus jeune ne les avait pas choqués outre mesure. C'était un avantage, elle suppose. “Merde, tu voulais une histoire.” Elle claque la langue contre son palais, descend une gorgée de bière. “Mon père a failli se faire suspendre à son travail parce qu’il a collé un poing à un garçon de l'école qui m'avait mis des mains au cul plusieurs fois. Puis il a pleuré sur le trajet du retour. Mais vraiment pleuré-pleuré.” Après ça, la gamine avait noté qu'il passait nettement plus de temps avec la fratrie le soir et les weekends ; encore plus après le divorce. Elle n'avait jamais su, en revanche, si les deux événements étaient corrélés, car son père n’en avait jamais plus reparlé.

Pour la deuxième, facile. Claire, en dernière année de lycée. Elle portait de grosses lunettes, elle mettait des crop tops avec des Uggs en hiver et elle avait un petit-ami.” Elle ne mentionne pas le fait que le petit-ami en question s'était allègrement fait tromper pendant plus d'un an et que la rupture entre eux deux avait été presque aussi rude que celle, officieuse, que Claire lui avait infligée. Ça ne fait pas partie de la question. “Elle a dormi chez moi après une soirée, je me suis réveillée bien plus tard et quand je suis descendue, elle était intensément concentrée sur le labyrinthe derrière le paquet de Kellogg’s de ma petite sœur. C'est là que j'ai su.” Ça la fait pouffer, parce que c’est complètement stupide, mais c’est vrai. C'était le moment précis où elle avait compris qu'elle était amoureuse, et, surtout, que son désintérêt pour les garçons comparés à son amitié un peu collante envers Claire n'était pas anodis. “Je suis allée vomir direct tellement ça m’a fait flipper.” Lola a demandé des histoires, et Grace n'aime pas jouer qu'à moitié.

Trois vœux, par contre, ça fait beaucoup. Je sais pas.”

La dernière question lui semble la plus rude, parce qu'il y a tant et si peu à y répondre à la fois ; et rien qui lui convienne. Mais elle n'hésite qu'à peine avant de dire : “Ne plus être handicapée, déjà. C’est beaucoup de contraintes pour rien. Tu vois, là, j'aimerais trop attraper ma bière de ma main droite. Ou répondre au téléphone avec ma main droite. En somme, faire des trucs avec. On m’a déjà dit que c'était peut-être une bénédiction, que ça changerait ma vision des choses, tout ça, mais pour conclure le débat : c’est de la merde, 0/10, je recommande pas du tout.” Deux ans et et elle ne voyait toujours aucun bénéfice à arrêter de boire, de fumer, à ne plus avoir aucune crédibilité auprès de ses conquêtes parce qu'elle était droitière et que sa main droite ne fonctionnait pas ; à ne même pas pouvoir voyager et faire un job décent dans la vie de tous les jours. Ça l'amène lentement au deuxième voeu : “Deuxio : gagner des prix pour mes photos. Mais des belles photos, tu vois, des photos qui racontent le monde.” Pas la pochette du DVD de Brokeback Mountain. “Et, pffff...je sais pas. Je demanderais que tout le monde sur terre ait droit à un voeu. Sauf Scott Morrisson. Et Kanye West. En fait, c’est une idée de merde. Mon dernier vœu, ce serait d’interdire les voeux à tout le monde. Ça partirait trop facilement en couilles et on a déjà frôlé cinq-six guerres mondiales, ça suffit comme ça. Ou peut-être que je demanderais un golden retriever.” Elle appuie sa conclusion d'un hochement de tête satisfait et d'une gorgée de bière, puis elle s'enfonce dans sa chaise et contemple sa comparse du jour l'espace d'un instant.

À moi, mais j'en pose quatre, parce que t’es drôlement chiante avec tes questions et que celle sur les vœux, franchement, c'était de la triche. Et t’as intérêt à développer aussi.

Ses yeux pétillent, maintenant : elle ne sera pas tendre. Les idées affluent, et elle les trie avec patience, sans lâcher Lola du regard, comme pour y déceler les questions parfaites. “C’est bon, j'ai tout”, annonce-t-elle fièrement. “Déjà, si t'avais un conseil à donner à ton toi d’il y a dix ans, ce serait quoi ?” Un classique, un gentillet, et un qui en disait long sur la personne selon sa réponse. “Mais c'est facile, ça. Alors deuxième : imagine, on voit ta tête à la télé, là, tout de suite, et on annonce que t’es recherchée. Tes proches, ils penseraient que t’as commis quoi, comme crime ?” Elle est sûre que ce serait une question top, pour un entretien d'embauche. “Troisième, parle moi de l'œuvre dont t’es la plus fière.” Le sourire moqueur a disparu parce que la question est franche. “Me sors pas ton truc de coupons. Même si l'offre m'intéresse.” La brune se redresse dans sa chaise, étire son dos fatigué de la séance de kiné. L’alcool va vite monter, elle le sait, et elle en regrettera la moindre goutte d'ici un moment suffisamment court.

And last but not least : c’est quoi le pire truc que tu aies fait dans un bar ?

@Lola Wright
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyLun 3 Fév 2020 - 15:52

Lonely, lonely, that is me

Lorsque Grace mit ses lunettes de soleil, Lola perdit le fil de la conversation. Elle la trouvait belle, et ça la mettait mal à l'aise. Bien sûr, elle avait déjà parlé de sa bisexualité à certaines personnes, comme à Jordan, qui en avait tout de suite profité pour glaner des informations sur les détails graphiques de ses interactions avec des filles (il faut dire qu'à l'époque il avait seize ans, donc ça se comprenait assez bien). Elle ne trouvait pas étrange l'idée abstraite d'être attirée par les garçons et les filles. En revanche, elle ne savait plus où se mettre chaque fois qu'une femme attirait son regard, et qu'elle sentait son corps répondre, et que soudain l'évidence était telle que la théorie n'était plus suffisante. Bref, pour la première fois depuis qu'elle l'avait rencontrée, Lola vit Grace, pour de vrai, comme un être humain à part entière, et non la soeur de Jeremy. Et ça lui fit assez peur pour qu'elle mette une seconde de trop à répondre. "Photographe de nature ? Ca a l'air génial ! Pardon, ton travail actuel aussi, mais c'est vrai que je suis surtout intéressée par l'idée de t'imaginer prendre en photo des paysages. Enfin, pas de t'imaginer toi en particulier, mais de...", mais qu'est-ce qu'elle racontait, ça y est, ça recommençait, la moulinette à parole du stress, "... enfin, j'aimerais bien voir tes photos, quoi. T'as un site ? Ou tu les as sur ton portable ? Ou tu préfères que je les vois en grand format, imprimées et tout ? Je comprendrais."

Une fois au bar, lorsque Grace commanda, Lola commit sa deuxième bourde. Elle avait demandé une rousse, forcément, alors Lola questionna avec toute l'innocence du monde, en regardant autour d'elle : "Où ça ?" Elle se facepalma intérieurement, et fit un sourire gêné. "Je rigole." Mais oui, tu rigoles, bichon, c'est ça. Heureusement, Grace accepta de répondre à ses questions, et cela concentra toute l'attention de Lola, qui se sentait pousser des ailes chaque fois que quelqu'un racontait sa vie. Il y avait une magie dans le fait de partager des souvenirs, des détails, des images, avec un autre être humain, dont elle ne se lassait jamais. Et dès la première histoire, elle se détendit encore plus, revenant complètement dans le moment présent, les mains autour du menton, les yeux rivés dans ceux de Grace. "Ton père a pleuré ? Devant toi ? Je ne peux même pas imaginer mes parents faire ça." Elle avait prononcé pleurer comme on dit vomi ou morve, malgré le fait qu'elle avait elle-même versé une larme en présence de Grace, quinze minutes avant. Of course.

A la deuxième histoire, Lola déglutit difficilement. Heureusement, la serveuse posa les bières, et elle put boire quelques gorgées de suite, avant de s'interrompre. "Pardon, santé !" Elle cherchait ses mots. "Et à... Claire ? Ou Jeremy ? Ou toi ? Ou tu sais quoi, le chien, là-bas." Elle adorait les chiens, et puis c'était un sujet moins sensible que les trois précédents. Elle essaya de se concentrer sur la texture des poils du chien, de ce qu'elle pouvait percevoir à distance : tout pour ne pas laisser son cerveau enregistrer l'information que Grace était intéressée par les femmes. Et Lola était une femme. Et Grace aussi. On en était là, oui : ses neurones avaient tout à fait renoncé à mener un chemin de pensées à peu près cohérent. A la mention du vomi, ceci dit, Lola éclata de rire. "T'es honnête. C'est rare." Et là, précisément là, elle se mit à rougir, ce qui, sur sa peau, était cramé à mille kilomètres. Elle joua avec une mèche dans l'espoir que celle-ci recouvre l'entièreté de son visage.

A la troisième histoire, les émotions de Lola firent l'ascenseur en panne, de haut en bas, de bas en haut, en mode escalator qui perd la boule. "Tu ne peux pas te servir de ta main droite du tout ?" Elle avait un truc bien précis en tête. "Mais tu es droitière ou gauchère ?" Toujours le même truc bien précis. Elle se fit la réflexion qu'elle aurait surtout dû demander comment c'était arrivé. Elle se réserva la question pour plus tard. Si Grace avait décidé de ne pas en parler là, comme ça, quand c'était venu, c'était peut-être pour une bonne raison. "Pour les photos, je t'aiderai. Enfin, pas à les prendre, mais j'adore me renseigner sur les compétitions, les résidences, et tout. Je suis super bonne à remplir les formulaires. Et à les envoyer, si c'est pour d'autres gens." L'honnêteté appelait l'honnêteté, et Lola en venait à dévoiler beaucoup de choses dont elle ne parlait avec personne. Sur la surface, il s'agissait de formulaires. Dans la réalité, c'était surtout le fait qu'elle en avait rempli des dizaines et qu'elle n'avait jamais envoyé quoi que ce soit, car l'idée de montrer son travail la terrifiait. D'autant plus depuis la mort de Sofia. Mais elle ne parlait jamais de Sofia. A personne.

Elle ne répondit rien au golden retriever, mais se le nota dans un recoin de la tête, car elle s'imagina un jour offrir à Grace un mug avec un golden retriever dessus. Ou un calendrier de golden retrievers. Ou un golden retriever. (Au cas où vous vous posez la question, oui, Lola s'épuisait elle-même quotidiennement.) Elle ne s'attendait en revanche pas à ce que Grace retourne les questions. "Non, mais c'était parce que tu devais te rattraper, moi je n'ai rien fait." Elle aurait voulu creuser un trou, s'y terrer, refermer le tombeau sur elle-même vivante, rester là-dedans avec une bougie pendant une heure et demie parce que ça ferait un film super sympathique pour un dimanche après-midi en famille. Un conseil à donner à son soi de dix ans auparavant ? "De faire moins d'efforts à l'école. Je trouvais ça tellement important d'avoir des bonnes notes dans toutes les matières, de ne froisser personne, que tout le monde soit satisfait de mon travail. Et je me rends compte maintenant que personne n'en a rien à faire, en fait, que ça n'a pas du tout changé ma vie. Et moi c'est des années que j'ai perdues à me concentrer là-dessus plutôt que sur autre chose." L'autre chose, en revanche, elle n'en parlerait pas. Et puis, elle ne dirait pas non plus que le vrai conseil qu'elle se serait donné, au fond, c'était celui d'être libre, d'être elle-même, de s'imposer, de savoir dire non, d'être aventurière. Il y a mille choses qu'elle aurait voulu faire différemment. Peut-être que tout simplement elle se serait conseillé de s'aimer un peu plus, de se faire confiance. Mais tout ça, il n'y avait aucune chance qu'elle le partage avec quelqu'un qu'elle venait de rencontrer. Ou avec quelqu'un tout court, peut-être.

"Facile !" La deuxième question la fit éclater de rire, car cela la ramenait vers de l'hypothétique, du léger, et des histoires, elle s'en était racontées. "J'aurais braqué une banque avec Jordan Fisher. On avait choisi nos noms de gangsters et tout, en plus. Et on aurait été très mauvais, donc on se serait fait arrêter, clairement." Elle se fit la réflexion que ce n'était pas du tout la réponse à la question qui lui avait été posée. "Mais mes proches ne sauraient probablement pas ça, en fait." Elle faillit ajouter qu'elle n'avait pas vraiment de proches. Elle avait des amis à qui elle tenait plus qu'à elle-même, mais, hormis Eros, elle ne s'épanchait jamais sur l'émotionnel. Et elle avait pris bien soin de ne présenter Eros à personne d'autre de son cercle, justement pour ne pas que tout se mélange. "Breeeeef, question suivante." Elle fit un grand sourire, tandis qu'à l'intérieur, ça se bousculait. En entendant la dite question, elle perdit le smile immédiatement. "Oeuvre, c'est un grand mot." Allait-elle vraiment parler de sémantique pour se sortir de là ? Tout à fait. "J'ai plein de croquis, d'esquisses." Lola, tu mens, t'as des toiles qui sont terminées que tu n'as jamais montré à personne. "J'ai aussi travaillé avec de la couleur." Ca ne veut rien dire, Lola, réponds quelque chose de cohérent. "Je pense qu'elle est à venir, honnêtement. Je n'ai pas de fierté par rapport à ce que je crée. Plutôt de la honte, d'ailleurs. Ca doit être un réflexe de mon éducation catholique." Bon, elle avait donné une information sur son enfance en échange de zéro information sur son art, c'était déjà ça.

Heureusement, la dernière question était plus dans ses cordes. Elle prit le temps de réfléchir et de se remémorer toutes les soirées qu'elle avait passée entre alcool et comptoir, jeu de fléchettes et piste de danse. Dans sa tête, elle voyait des partenaires d'une nuit, des séquences, des arrêts sur image. "Je crois que le plus fou, c'était le soir où j'ai pris un verre avec un mec qui venait de hurler en sortant de derrière une poubelle, entièrement habillé en clown. J'aurais clairement dû appeler la police, mais à la place, je l'ai invité à discuter, et je ne le regrette pas du tout. C'est un ami auquel je tiens beaucoup. Je te le présenterai un jour, si tu veux." En parlant d'arrêt sur image, Lola se figea intégralement. Je te le présenterai un jour, si tu veux. MAIS DE QUOI PARLES-TU ? Elle balaya le néant devant sa main, juste pour dire : passons à autre chose, évacuons mes gaffes à la chaîne, faisons semblant que je suis un être socialement adapté.

"Pourquoi tu ne fais plus de photo de nature ? C'est lié à ta main ?" Elle n'avait pas pu s'empêcher de poser la question, finalement. Elle avait vu un tel éclat dans les yeux de Grace lorsqu'elle en avait parlé... "J'aimerais bien peindre des paysages de nouveau. Je le faisais plus, enfant." C'était sorti, tout seul. Ca devait être l'alcool. Ou le regard de Grace. Ou son sourire. Les yeux de Lola s'attardèrent sur le sourire en question. Elle se reprit. "Et depuis, je me concentre plus sur l'urbain. Je lis plein de trucs sur l'architecture en ce moment." Enfin un sujet neutre : l'architecture. Qu'est-ce qui pouvait être plus carré et moins ambigü que ça ? "T'habites dans quel quartier, d'ailleurs ?" Elle essayait de s'imaginer à quoi ça ressemblerait chez Grace. Est-ce que ce serait aussi lumineux et doux qu'elle ? Est-ce que ce serait chaotique ? Bien rangé ? "T'es plutôt maniaque ou le contraire ?" Elle repensa à son propre studio, se demanda s'il était en ordre, juste au cas où, pour une raison inexplicable, le verre se prolongeait. Cette pensée la perturba tellement qu'elle s'étouffa en buvant sa bière (si, si, je vous jure). Elle eut du mal à respirer, pointa vers la porte des toilettes, genre 'je reviens', et s'éloigna. Une fois dans la cabine, elle se sentit enfin protégée et se dit que finalement elle ne ressortirait peut-être pas. Genre jamais. C'était confortable ici. Elle s'imaginait tout à fait y rester. Et au bout de deux minutes, évidemment, elle revint à la table, et s'assit à côté de Grace, mais nettement plus loin d'elle : distance de sécurité maximale.

@Grace Coughlin
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyMar 4 Fév 2020 - 8:53

Grace a souvent tort. Et elle a beau se targuer à qui veut bien l’entendre de son instinct infaillible et légendaire, c’est rare qu’il ne lui fasse pas défaut. Elle se plante souvent, en fait ; pour le choix des cadeaux à ses meilleurs potes ou à ses parents, pour la bouffe préférée de Kim Possible, pour des décisions importantes qui feront prendre un tournant irrémédiable à sa vie. Toute chose bien considérée, elle s’en est peu ou prou plutôt bien sortie, pour voir qu’elle s’était mis le Darwinisme entier à dos. Elle ne s’est jamais rendue compte de ses manquements ou de ses torts - et ça aussi, c’était le manque de discernement qui parlait, parce que n’importe qui aurait pu voir que les charentaises suisses qu’elle avait ramené à sa soeur après son tour du monde n’avaient pas trouvé grâce auprès de cette dernière. Mais cette fois-ci, elle est sûre. Elle est sûre d’avoir à peu près cerné Lola, cette personne bornée, sûre d’elle qui court toujours après le temps. Un peu sèche parce que c’est évident, putain, fallait réfléchir avant de demander (après tout, elle savait, pour les alligators, alors Grace veut bien lui accorder ce point-là). Les secondes passent et tous les signes pointent vers l’inverse, mais Grace s’entête parce que le temps du multitâche cérébral est derrière elle et qu’aujourd’hui, le simple fait d’ouvrir un étui à lunettes suffit à lui voler toute ses capacités mentales.

"Photographe de nature ? Ca a l'air génial ! Pardon, ton travail actuel aussi, mais c'est vrai que je suis surtout intéressée par l'idée de t'imaginer prendre en photo des paysages. Enfin, pas de t'imaginer toi en particulier, mais de..."

Le vomi de mots sort d’un coup et Grace a du mal à raccrocher les wagons. Un sourire malicieux qui dévoile ses dents s'étale sans gêne sur son visage, et elle jette un regard en coin à la jeune femme. “J’ai pas vraiment grand-chose sur moi, là.” Hormis quelques photos prises à la mords-moi-le-noeud d'elle bourrée avec des potes, de sa sœur endormie la bouche ouverte sur le canap, et de Kim Possible coincé sur une étagère trop petite pour son gros corps. “Mais je te montrerai, un jour, si tu veux.” Parce que ça faisait longtemps que Grace n'avait pas renoué avec sa passion et l'idée qu'on s'y intéresse suffisamment pour lui demander à voir ses photos la fait un peu rougir, très discrètement.

Le jeu des questions commence et la brune s'y prête de bonne grâce, répondant en fouillant sa mémoire à la recherche des meilleurs détails. Son père, Claire, des voeux possibles – ça fait longtemps qu'elle n'y a pas pensé, pour peu qu'elle y ait réfléchi un jour. Claire lui revient en tête comme un bon souvenir qu'on a oublié et qui refait surface d'un coup ; un peu surprenant mais majoritairement positif. Elle se souvient des larmes, de l'attente qu'elle a traversée, des tromperies dans le dos du petit-ami qui la foutaient plus bas que terre ; tout ça pour rien, parce qu'il lui était apparu sans aucune hésitation que Claire ne plaquerait jamais Mark pour elle ; ni l'approbation de ses parents, ni sa réputation, et que tout ça valait plus qu'une amourette de lycée. Grace avait pensé en avoir tiré des leçons, à l'époque – et aujourd'hui pourtant, elle sortait d'une relation de quatre ans avec une femme incapable de s'assumer. Le parallèle était un peu trop gros pour être ignoré, mais elle décide que l'ignorance, pour le moment, c’est plutôt pas mal. Autant trinquer. “Au chien. Ca marche.” Elle ne remarque qu'à peine le trouble de Lola, et poursuit son histoire comme si de rien n'était. Sa compagne du jour ne réagit que pour se moquer d'elle, et ça la rassure un peu – mieux vaut ca que rien du tout.

"Tu ne peux pas te servir de ta main droite du tout ? Mais tu es droitière ou gauchère ?"

Grace fait une moue évocatrice et regarde sa main droite en biais. “Droitière”, répond-elle par automatisme. “Enfin, gauchère maintenant, j’ai plus vraiment le choix.” Mais elle peut dire avec fierté qu’elle s’en sort pas trop mal. En deux ans, mine de rien, elle a réappris à écrire, à manier des ciseaux, à ouvrir des paquets de mouchoirs sans les défoncer ; sans compter le réapprentissage de la parole et de la marche. De quoi foutre la rage à des morveux de six ans. “Je peux m’en servir, un peu.” Elle flex un peu, Grace, alors elle essaie de tendre son bras vers l’extérieur avec une grimace d’effort puis déplie un auriculaire vainqueur, tandis que les autres doigts s’obstinent à rester immobiles. “Bon, pas trop. Mais ça va venir.” Ses yeux disparaissent dans son sourire. Puis Lola veut se rendre utile, et Grace reprend sa position sterne : “Je peux encore écrire des formulaires, tu sais.” Elle essaie de se souvenir, comme toujours, que ça part d'une bonne intention. Mais, là encore comme toujours, Grace n'aime pas se sentir diminuée, dépendante, incapable ; indépendamment du fait qu'elle le soit. Elle se mord la lèvre, retient un air tendu – après tout, ce n'est pas la faute de Lola si elle écrit comme un enfant de sept ans et que ça la frustre. “Mais si quelqu’un se propose gracieusement de le faire pour moi, qui suis-je pour refuser ?” Retour du sourire, parce qu’elle découvre peu à peu que Lola appelle toujours le sourire, d’une façon qu’elle ne s’explique pas trop. Et la moquerie, parce qu’elle a fâcheuse tendance à rougir facilement et que l’opportunité est trop belle. “D’ailleurs, si t’as besoin d’aide pour envoyer les tiens…J’adore poster des trucs, c’est un de mes nombreux talents.

Et, toujours parce que Lola a cette moue qui lui tire des rictus malgré elle, elle décide de se venger et de lui renvoyer des questions. La première réponse lui prouve un peu plus qu’elle a tort : maintenant, elle voit Lola en gamine studieuse, à la Taylor dans you belong with me, la tête toujours baissée et la honte que tout ce qu’elle pouvait produire s’apparenterait à une énième horreur. Elle se demande quelles séquelles cette enfance a laissé derrière elle. La deuxième réponse lui prouve tout l’inverse, mais c’est un détail qui attire son attention : “Jordan Fisher ?” Sa bière est en suspens et heureusement qu’elle est déjà moitié vide, parce qu’elle penche dangereusement en direction de ses cuisses. “Le Jordan Fisher, le grand blond qui fait de la musique ?” A.k.a. son pote de toujours, son pilier ultime, son idole un peu secrète ? “Putain. Le monde est minuscule.” Deuxième surprise : “Par contre, je t’imagine pas du tout braquer une banque. Déjà, t'aurais mis quoi comme masque ?” Pas quand elle confondait une bière avec une femme, tout du moins.

"Oeuvre, c'est un grand mot."

La troisième question lui offre une Lola qui joue sur les mots et qui balbutie ses réponses, et Grace se demande si la gamine qu’elle lui avait décrite un peu plus tôt n’était pas toujours là, cachée quelque part, à macérer dans sa honte et dans sa peur de s’exposer au monde, ne serait-ce qu’un tout petit peu. “Maintenant, je m’attends à des peintures de la Cène”, ironise Grace en reposant son verre sur la table en bois. Elle se demande vaguement si c’est pour ça que Lola a affiché intentionnellement l’expression la plus neutre possible quand Grace a mentionné la première femme dans sa vie, et si elle va lui sortir une petite carte de visite de la Compagnie des Homosexuels Réformés avant la fin de leur sortie. Peut-être qu’elle est secrètement adepte de Jésus, ou de Yahvé, ou n’importe quel dieu qui aime bien jouer avec la peur des mortels. Alors Grace teste, pose l’ultime question, et la réponse lui tire un énième sourire un peu rassuré. “Un clown dans une poubelle. Ca me tente, tu me le présentes quand tu veux.” Elle se demande comment c’est possible pour Lola de passer d’un sujet à l’autre aussi rapidement, parce que ses photos reviennent un peu trop vite dans la conversation, mais elle estime que c’est un talent non-négligeable. “Euh, oui, en quelques sortes. J'ai eu un AVC et avec la rééducation, les risques de rechute, tout ça, l'envie de tout plaquer pour aller au bout du monde m'est un peu passée.” Rictus contrit. Grace n’aurait jamais dit non pour parcourir le monde une autre fois. C’est juste qu’elle ne se faisait pas confiance pour ne pas mourir en chemin.

"J'aimerais bien peindre des paysages de nouveau. Je le faisais plus, enfant."

Silence se fait, l’espace d’un instant, parce que la voix de Lola a perdu son revêtement anxieux pour se faire toute petite, se perdre dans une confession un peu abrupte. La photographe décèle dans son ton le même abattement qu’elle a entendu tantôt, quand Lola parlait déjà d’art. Ca lui étreint un peu le coeur et ça lui donne envie de serrer sa main dans la sienne, mais la seule dont elle bénéficie étreint déjà sa rousse. Alors elle relève les yeux, à la place, et cherche ceux de Lola. Elle les découvre baissés en direction de ses lèvres, et sans qu’elle cherche trop à comprendre, ça élargit davantage son sourire et elle chasse la sensation qui enserre son coeur en l’allégeant d’une nouvelle gorgée de bière. “Fortitude Valley”, répond-elle dès que le verre retrouve la table, tandis qu’elle se demande en quoi l’urbanisme peut bien être intéressant à peindre. “Je passe pas beaucoup de temps chez moi, c’est vraiment un pied-à-terre alors c'est... c'est un peu en désordre. Et puis j'ai un chat.” Comme si la dernière partie de la phrase suffisait à excuser tout son bordel – certes, Kim Possible se plaisait à flanquer des lampes par terre, des bouts de verre se perdaient, mais, pour les fringues sur la table de la cuisine, les contrats soigneusement cachés sous une pile de DVDs en Tetris, c'était une autre coupable vers laquelle il fallait se tourner.

Elles n’ont pas le temps de continuer quoi que ce soit, car d’un coup Lola n’est plus devant elle, mais de l’autre côté du bar, ou peut-être dans une autre dimension dont le portail lui a échappé. Qui sait si elle ne s’est pas enfuie par la fenêtre. Polie, élève sage, Grace attend, mains posées sur son jean, rejoue leurs interactions dans sa tête, se demande ce qu’elle a pu dire et si, seulement, elle a dit quelque chose. Mais, ouf, Lola revient, décale sa chaise et, fidèle à elle-même, la brune met les pieds dans le plat : “Quelque chose ne va pas ?” Elle choisit de formuler ça de manière délicate, sans demander ce qu’elle avait fait de mal précisément, histoire de. Elle préfère penser que ce n’est pas son identité de lesbienne éclopée petite soeur d’un jeune homme Asperger qui lui porte préjudice. Peut-être que Lola couve une gastro-entérite et que ces histoires de vomi l’ont un peu remuée. Peut-être que c’est le regard qu’elle a surpris plus tôt. Tant pis : “Je t’offre une deuxième tournée ? La rousse était pas top.” Esquisse d’un sourire narquois pour faire comprendre à Lola qu’il n’y a toujours pas de rousse au bar. Coup d’oeil à son portable : il n’est même pas dix-neuf heures. Heure correcte pour rentrer, si Lola a besoin de s’éclipser, parce que l’excuse sera toute trouvée. Mais la serveuse revient, Lola opte quand même pour un second verre et Grace reprend quand même une rousse.

Qu’est-ce que tu aimes vraiment peindre, Lola ?

Elle la détaille comme pour la lire, laisse à son tour descendre ses yeux des siens à son nez, à ses lèvres pour s'y attarder, légèrement. Retour aux yeux. Elle veut savoir, parce qu’une femme qui donne autant d’elle-même auprès de personnes en difficulté, ça ne peut pas se contenter d’esquisses çà et là. Ca ne peut pas vraiment se contenter d’aider les autres à s’inscrire à des concours et penser qu’on n’a soi-même aucune chance. Et elle se promet de ne pas lâcher un mais pourquoi ? si la réponse s’avère être “des bâtiments” ou “des scènes bibliques”. “Sérieux, cette fois. Qu’est-ce qui t’a donné envie de peindre ? Pourquoi ça et pas...j’sais pas, architecte, ou chorégraphe ?” Elle soutient son regard comme pour en extraire directement la réponse. “T’as toujours vécu à Brisbane ?” Parce que ça pourrait expliquer bien des choses.

Ca fait beaucoup de questions, pardon. T’as le droit de m’en poser trois autres hyper personnelles. Ou à voir mes photos, si t’es sage.”

@Lola Wright vas-y prochaine fois promis, je fais pas quatre pages.
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyMer 5 Fév 2020 - 16:22

Lonely, lonely, that is me

Lola essayait de s'imaginer les photographies de Grace. Elle ne savait pas pourquoi, mais ça l'intriguait plus que tout. Elle voulait savoir les angles de vue, les couleurs, les contrastes, si elle les retouchait, si elle les prenait debout, assise, allongée, combien d'heures elle marchait jusqu'à arriver à l'endroit exact où ça y est, c'était la photo. Elle voulait savoir si elle prenait des guides, si elle montait à cheval, si elle dormait dans des tentes. Il y avait un tel air d'aventure dans ces histoires qu'elle soupçonnait et qu'elle s'empêchait de demander, car elle ne voulait pas lui refaire vivre tout ce qui lui manquait, tout ce qu'elle avait perdu. Et Lola, qui ne s'était cassé le bras et la jambe qu'en grimpant l'arbre du jardin de sa maison, voyait des paysages de carte postale et essayait de caser Grace dedans, quelque part, au premier plan, ou sur le pic de la colline, là-bas, au fond, avec un imperméable, une capuche, une expression fière et enthousiaste sur le visage. Et elle se sentait pousser des ailes rien qu'en voyant tout ça dans sa tête.

Elle se sentit gênée à voir Grace démontrer qu'elle pouvait se servir de sa main gauche. Elle ne voulait pas être mal à l'aise, mais elle l'était. Il y avait un deuil à faire qu'elle sentait en cours, pas tout à fait fini, et déjà, elle voulait l'aider, mais il y avait un tel côté farouche chez son interlocutrice qu'elle n'osait pas. Alors, elle restait en retrait... jusqu'à ce que Grace lui rende la pareille, en parlant de son talent pour envoyer des formulaires. Lola éclata de rire, prise au dépourvu, ravie et étonnée que l'autre ait lu si clair dans son jeu. "On est tellement complémentaires, dis donc, c'est incroyable." Elle revoyait la pile d'enveloppes, avec les adresses calligraphiées avec soin, les formulaires dedans, cette pile si belle sur son bureau, puis dérangeante, là, toujours là, quand elle rentrait, quand elle partait, puis le papier qui devenait vieux, poussiéreux, puis rien, la pile qui resta là encore des mois avant qu'elle ne se décide à tout jeter et passe deux jours de suite dans sa chambre à ruminer à quel point elle pouvait être minable parfois.

La bulle du souvenir explosa tout à fait lorsque Grace répéta le nom Jordan Fisher, comme si ça signifiait quelque chose pour elle. Elle en fit la description, beaucoup trop juste au goût de Lola, qui détestait mélanger ses mondes, ses gens. Elle donnait une partie d'elle, très restreinte, à chacun, et si ça se mélangeait, trop se savait. Et Jordan en savait beaucoup, beaucoup trop. A l'époque où elle l'avait rencontré, elle se déversait en paroles beaucoup plus facilement que maintenant, sur des sujets personnels, des choses vraies, des choses qu'elle ne dirait plus maintenant même si on la torturait. "Tu connais Jordan ?" Elle eut un rire nerveux, incontrôlable. "Celui-là même." Elle baissa les yeux, chercha comment se sertir du rabbit hole vertigineux de deux personnes qui se connaissaient entre elles et qu'elle connaissait aussi. "Tu ne lui parleras pas de moi, hein ?" C'était comme une promesse qu'elle demandait, à demi-voix, morte de honte. "J'étais un peu sa groupie au lycée." Y avait-il plus gênant comme aveu ?

"Et pourquoi je ne braquerais pas une banque ?" Elle fit semblant de s'indigner, à l'aise dans ce rôle. "J'ai un esprit très stratégique, je vous ferais savoir, madame. Même que je jouais aux échecs à l'école primaire, et je n'étais pas la dernière au classement. Pas la première non plus, on s'entend." Elle rit, ça lui faisait du bien, ça lui faisait du bien de sentir que l'image de Jeremy s'estompait un tout petit peu, juste pour le moment, et qu'un nouveau visage prenait toute la place, celui de Grace. "J'aurais mis le masque de V pour Vendetta, évidemment." Rien qu'à parler de ce film, elle sentait son coeur qui se serrait d'émotion. "La relation entre les deux personnages, c'est tellement... c'est tellement..." Elle cherchait ses mots. Ca lui tenait à coeur, cette histoire, beaucoup plus qu'elle ne l'aurait admis à quiconque d'autre, mais Grace la mettait à l'aise, et ça commençait à se faire ressentir. "C'est tellement profond. Ils arrivent à partager des choses que jamais personne n'arrive à communiquer. Comme s'ils allaient au-delà. Je n'explique pas ça très bien."

Le reste de la conversation se perdit dans un flou généralisé lorsque Grace mentionna son AVC et que Lola sentit son coeur se briser, comme si elle était en train de la perdre dans l'accident, là, tout de suite. Elle avait du mal avec la temporalité, Lola, elle vivait tout comme si c'était dans l'instant présent. Heureusement, dès qu'il y a mention d'un chat, le monde s'illumine, car Lola fit une grimace si visible que ça ne pouvait qu'être ridicule. "Ah, mais t'es team chat ?" Elle hocha de la tête, la main sur le menton, genre juge qui doit décider à quel point c'est grave. "Oui, c'est embêtant, ça, quand même. Mais on t'a forcée ou c'est venu naturellement, comme ça ?" Elle plaisantait, la Lola, mais pas trop quand même, mais un peu, mais pas trop. Elle n'avait aucune affinité avec les chats. Elle les trouvait super jolis de loin, à se pavaner, avec tous leurs mouvements alambiqués, mais elle, son truc, c'était les chiens. Et le monde était divisé en deux, et il y avait un fossé de millénaires de débats qui se formaient entre Grace et Lola.

Ceci dit, c'était pas pour ça qu'elle courait aux toilettes, c'était plutôt parce que le fossé n'était pas assez large et que ça la faisait flipper. Et le regard de Grace au retour lui donna envie de fuir illico presto de nouveau. "Ah non, tout va bien." Elle la regarda droit dans les yeux, fixement, genre duel de regards. Elle n'allait quand même pas lui dire qu'elle était troublée par sa beauté à la lueur de la Lune. En plus, la Lune n'était même pas visible dans le bar, donc ça n'aurait pas du tout été crédible. Pourtant, quand Grace lui proposa un autre verre, elle bondit sur l'occasion trop vite pour que ça passe inaperçu : "OUI SEIGNEUR DIEU, AVEC GRAND PLAISIR !" Trop enthousiaste, et trop catholique. Elle creusa intérieurement sa tombe, se terra dedans, et s'y sentit si bien.

Et bien sûr, il fallait que Grace revienne sur la peinture. Elle ne lâchait vraiment rien. Qui était cet être humain et pourquoi, pourquoi, pourquoi, l'avait-elle invité à prendre un verre ? Lola évita de poser ses yeux sur le visage de son interlocutrice parce qu'elle allait perdre ses moyens de nouveau, donc elle noua ses doigts en crochets, presque une écharpe d'hiver tellement c'était emmêlé, et elle réfléchit à une vraie réponse. "J'aime", chaque mot lui coûtait, c'était désagréable d'être vulnérable, "peindre", non, vraiment, ce n'était pas une sensation qui lui plaisait, "des", ça y est, ça arrivait, on était au bout, "gens". Bon, ce n'était pas fou sur le papier, mais c'était dingue à quel point c'était difficile à sortir. On y arrivait, ceci dit, on y était. Elle n'allait rien ajouter tout de suite, même si elle avait envie de dire qu'elle faisait des auto-portraits parce qu'elle n'osait pas demander aux gens de poser pour elle, sauf Arthur parfois, mais Arthur c'était différent, et donc, elle se tut, c'était plus simple.

"Je suis psychologue de formation, en fait, tu sais. Donc ç'aurait pas été architecte, ç'aurait été du travail à l'hôpital ou en cabinet. Et j'adore ça. Mais depuis toujours, ça a été le dessin. Je me souviens quand on m'a acheté le kit de peinture pour enfant de maternelle, le monde s'est arrêté de tourner. Pas en mal, hein, en bien. J'étais hors du temps." Elle souriait à s'en décrocher la mâchoire tellement c'était incroyable, cette sensation, à cette époque-là. Dessiner et peindre pendant l'enfance avait une magie qu'elle trouvait difficile de retrouver maintenant. Les responsabilités, la productivité, la pression, tout ça lui avait fait perdre la simplicité de la création, et ça lui manquait profondément. Elle se demandait si c'était quelque chose que Grace comprendrait. Pas assez pour lui poser la question. Ca demanderait trop de révélations de sa part, et elle n'en était pas là.

"Born and raised", répondit-elle sur Brisbane. C'était fou de se dire qu'elle n'avait jamais bougé, finalement. Charlotte et Patrick avaient tout vu, et Grace aussi, apparemment. Elle était la seule à s'être terrée dans son nid, confinée dans le poulailler de la maison, où ça sentait le renfermé mais aussi le familier. Elle qui se disait artiste, elle n'avait jamais vu les grandes toiles maîtresses, les architectures d'époque, Venise, Amsterdam, elle n'avait jamais goûté la cuisine locale des villes dont elle rêvait. Elle n'était jamais allée nulle part. Et l'envie lui vint soudain de découvrir un lieu, au moins un, n'importe lequel à vrai dire. Elle se demanda si c'était l'effet Grace, genre on se mettait près d'elle et puis on était prise d'inspiration soudaine, de courage. "Tu pourrais me raconter un souvenir de voyage ?" Elle se demanda si c'était égoïste, si ça lui rappellerait des souvenirs compliqués. "T'es pas obligée, je peux tout à fait épiloguer sur ce que je pense des chats, sinon." Elle lui sourit, toujours aussi loin physiquement d'elle, mais de plus en plus sereine en sa présence. "Une odeur qui n'existe pas ici. Ou un animal que t'aurais jamais imaginé voir. Ou une couleur de roche qui n'est pas grise ou noire." Lola adorait qu'on lui raconte des histoires. En ça, elle n'était pas très différente du Petit Prince. Il y avait d'autres similarités. Comme le fait qu'elle n'avait jamais rencontré son renard. Mais peut-être que c'était enfin arrivé ?

@Grace Coughlin
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyJeu 6 Fév 2020 - 9:40

Grace est intriguée. Il y a chez son interlocutrice une candeur presque anxieuse qu’il lui semble pouvoir atteindre du bout du doigt, par moments. Elle pense y arriver, se sent capable de lui tirer un peu plus d’informations sur des allusions faites auparavant, puis elle sent Lola se refermer, son esprit quitter l’instant pour retourner se cacher dans un monde secret bien gardé. Un pas en avant, puis trois en arrière, la danse décrit un schéma répétitif mais Grace ne l’arrête pas, parce que Grace est chiante, qu’elle ne sait pas toujours s’arrêter quand il le faudrait, et qu’elle est trop intéressée pour laisser passer l’occasion d’en apprendre plus sur Lola. Car il s’avère que celle-ci est plus que la prof de Jeremy, ou que l’employée timide un peu butée de la clinique psychiatrique, et il y a une authenticité dans sa recherche des émotions que Grace a envie de caresser à son tour. "On est tellement complémentaires, dis donc, c'est incroyable." Nouvel échec, mais Grace ne s’en formalise pas. Elle lui retourne un sourire complice, léger, qui indique à demi-mots qu’elle le pense, quand même.

Nouveau renfermement quand éclate la vérité qu’elles connaissent toutes les deux Jordan. Ce qui motive Grace à en apprendre et en partager plus semble gêner davantage Lola, qui lui demande à demi-mots comment, et surtout (mais elle peut se tromper), pourquoi elle le connaît. “Bien sûr. J'étais une de ses témoins à son mariage, et tout.” Le sourire de Grace, lui, n’arrête pas de s’élargir. Ce n’était pas juste ça ; ça remontait à leur enfance, à leurs premières clopes, leurs premiers amours et scandales dans leur groupe de potes un peu éclectique, leurs premières peines, jusqu’à l’ultime, la perte de Rosa. Ils avaient assisté à tout l’un de l’autre. "Tu ne lui parleras pas de moi, hein ?" Haussement de sourcils caractéristique : “Pourquoi, t’as enterré un corps et c’est le seul à être au courant ?” Mais Lola se tortille sur son siège, mal à l’aise, avoue à demi-mot que le passé est plus honteux que plaisant à déterrer : “Nan, promis, je lui demande rien… si tu lui demandes pas non plus. Il a trop de dossiers sur moi, et c’est trop tôt pour ternir mon image.” Grace joue le jeu et donne le change, saute d’un sujet à l’autre en tentative de redresser ses torts, et Lola mord à l’hameçon, trop heureuse d’avoir son échappatoire.

"J'ai un esprit très stratégique, je vous ferais savoir, madame. Même que je jouais aux échecs à l'école primaire, et je n'étais pas la dernière au classement. Pas la première non plus, on s'entend."

Ca la fait rire, à nouveau. Elle aime cette entrouverture sur la vie de Lola, sur ce qui s’est passé avant qu’elle n’apprenne la peinture à des personnes handicapées, et sur ce qu’elle fait à côté. "J'aurais mis le masque de V pour Vendetta, évidemment." Lola s’ouvre sur un de ses films préférés, semble-t-il, et à mesure qu’elle en parle, une grimace prend forme sur le visage de sa vis-à-vis. “Oh-oh.” qu’elle lâche à la fin, avec sa subtilité légendaire et recommandée. “C’est une idée, ou je risque de me faire virer du bar si je te dis que j'ai jamais vu ce film ?” Moue navrée, parce qu’elle ne veut pas casser quelque chose, être responsable d’un autre pas en arrière. Elle roule une épaule en arrière comme pour la hausser, sans se démonter : “Faudra que tu me le montres”, déclare-t-elle, l'air de rien, avec son sourire plein de dents.

"Ah, mais t'es team chat ? Oui, c'est embêtant, ça, quand même. Mais on t'a forcée ou c'est venu naturellement, comme ça ?"

15 à 0 pour Lola, au moins. Encore un échec pour Grace qui, cette fois, le prend avec le sourire, yeux écarquillés, bonne perdante mais un peu attristée, quand même. “Team chien jusqu'au bout du monde. Mais les chiens assistants pour AVC, ça court pas l'Australie, et mon appartement est trop petit.” Elle grimace un peu, parce qu’elle aurait quand même beaucoup aimé avoir un golden retriever. “Je préfère les gros chiens”, précise-t-elle, comme si ça modifiait complètement sa réponse. Ca la modifie, quelque part, parce qu’elle n’est pas sûre qu’un bichon ou un carlin soit d’excellents guides d’aveugles ou détecteurs de crise de panique, mais allez savoir. “J’ai grandi avec un berger australien, il s’appelait Chicken Salad. Sur demande express de Jeremy.” Bien sûr. Elle ne mentionne pas l’ancien labrador de son père qui s’appelait Grandma. “Mais mon chat est sympa. J’suis sûre qu'il te réconcilierait avec l'espèce.” Là aussi, les non-dits priment, parce que Kim Possible n’est pas très intelligent ou particulièrement développé, mais elle ne veut pas d’avance ternir l’image de la pauvre bête. “Ca se voit, que j’essaie à tout prix de rattraper mon image, ou pas ?” Elle aussi, elle plaisante, mais pas trop non plus. “T’as des animaux ?

Et puis, quand elle croit que Lola cherche une excuse pour partir de là, elle propose un second verre, et les compteurs sont remis à zéro. Mais Grace ne serait pas Grace si elle n’en profitait pas pour reprendre ses questions, et elle sent son score baisser instantanément, mais tant pis, parce que cette fois-ci, Lola lui répond, avec toute la gêne dont l’humain puisse faire preuve, lui semble-t-il ; mais elle répond. Les premiers aveux, on dirait qu’elle se les fait arracher de la bouche, et Grace est prête à battre en retraite, mais alors Lola continue de son plein gré, les yeux pétillants, et c’est au tour de la brune de la fixer, attentive à son histoire, souriant à son tour malgré elle. “T’as toujours su, alors”, résume-t-elle, question sans trop l’être. Mais alors de quoi a-t-elle peur ? La voilà, la question logique qui suit, mais elle la garde pour elle, parce que préserver l’éclat de bonheur qu’elle a vu dans les yeux de Lola lui importe plus qu’être usuellement chiante, pour une fois.

"Tu pourrais me raconter un souvenir de voyage ?"

Grace lève un peu la tête, contemple le plafond, comme pour réfléchir. Sa deuxième bière est bien entamée et elle se rend compte, pendant le mouvement, qu’elle est un peu saoule. Cruel manque d’entraînement. “Ca marche”, consent-elle. “Pour le discours sur les chats, je veux bien aussi, mais attends de rencontrer le mien.” Peut-être que ce sera pire après. Pour l’instant, Grace réfléchit à un souvenir particulièrement marquant. Il y en a trop; toute une vie, elle a l’impression, certains en Espagne, d’autres au Honduras, beaucoup avec Jessian, un peu partout. “Je crois que mon meilleur souvenir, c'était au Tibet”, elle lâche après une longue minute d’hésitation. “Tout à l’Ouest, pas loin du mont Kailash, y a un village qui s’appelle Darchen. Elle doit avoir à peine un millier d’habitants et les maisons sont vraiment rudimentaires. Parce qu'en général, les gens ne font que passer. Les gens sont souvent nomades, et le Tibet c’est une région qui réunit trop de paysages pour qu'un seul puisse te suffire à survivre toute l'année. Le reste ce sont des touristes chinois qui ne restent que quelques jours pour les souvenirs.” Elle en parle avec patience, détails et étoiles dans les yeux, parce qu’elle a l’impression de revivre le séjour. “Tu vois une ville du far west américain, comme on peut en voir dans les films ? Darchen ressemblait à ça, avec des voitures importées et quelques vieilles publicités accrochées un peu partout. Moi, j'y suis allée pour monter le Kailash. C'est un lieu sacré pour pleins de religions, parce qu’on pense que c’est là que demeure Shiva.” C’était surtout un pèlerinage aussi connu que peu tenté, pour sa longueur, sa difficulté, et son altitude qui rendait l’oxygène rare. “Et bien sûr, c'était super con de ma part, parce que presque personne réussit à le gravir, ce putain de mont, c'était impossible. Surtout qu'à l'époque je fumais et je buvais, beaucoup, et j'avais les capacités sportives d'un paresseux mort-né. Mais j'ai trouvé une famille au village qui se rendait pas loin, pour une ascension spirituelle. Alors j'ai demandé, enfin, j'ai essayé de faire comprendre, que je voulais partir avec eux. On est partis de Darchen, donc. C'était drôle, parce que tu tournais la tête d'un côté, et la nature avait tous les droits : la flore poussait en désordre, t’avais pas un signe de l'humain… et puis tu faisais volte-face et t’avais ce hangar à touristes, duquel ils pouvaient prendre des photos.” Elle lui décrit : du gris rocailleux à perte de vue, clairsemé par du vert fatigué durant les bonnes saisons. Le Tibet était une région presque désertique par sa hauteur et les quelques prairies, denrées précieuses, se perdaient entre les routes construites de force par la Chine et les glaciers qui bordaient tout le reste. Elle parle à Lola de leur randonnée, de la difficulté à tenir avec le soleil qui tapait, et, finalement, de son malaise une fois la première minuscule montagne passée. “Finalement j’ai passé trois semaines dans la famille de Qiangba, celui qui m’a recueillie, et j’ai aidé un peu. Les femmes récoltent le lait et le battent pour en faire du beurre, tissent et fabriquent des cordes pour la tente… Moi je savais pas faire tout ça, alors j’ai été chargée de façonner des galettes de bouse de leur troupeau. Ca servait de combustible pour éclairer la tente et cuisiner.” Elle lui parle de cette famille qui avait incluse la petite blanche ignorante qu’elle était sans hésitation, de Zhaolan, la maîtresse de maison qui avait deux maris, que ses enfants voyaient comme des pères égaux. De leurs prières, et, le jour où Grace a décidé de partir, de sa randonnée avec le fils aîné de la famille, qui l’a guidée plus haut, puis l’a ramenée sur le chemin du retour à Darchen. “On est passés à côté d’un ancien monastère, complètement en ruine, et il y avait des inscriptions sur les murs. Je comprenais rien, bien sûr, mais Ped a pris ma main et il l’a posée sur les pierres. J’ai rien senti de religieux, ou de transcendant, mais il avait l’air de vouloir m’inclure, alors j’ai fermé les yeux et j’ai essayé de répéter ce qu’il disait. Ca devait être un bon gros yaourt sans rapport avec l’original, il a rien dit de plus et on a repris la route, mais il avait l’air satisfait.

Puis il l’avait escortée à Darchen, où Grace avait fait son retour à Lhassa en voiture puis jusqu’en Chine, et elle avait dormi pendant une semaine dans un hôtel pourri du Sichuan qui ressemblait maintenant à un cinq étoiles. “Finalement, je l'ai jamais escaladé, ce putain de mont, parce que mes poumons déconnaient déjà avant même l'ascension. Mais rien que de le voir de loin, après tout ça, j'avais l'impression d'avoir vu tout ce qu'on pouvait voir sur terre.” Soudain Grace revient à Brisbane, s’ancre sur la chaise dans laquelle elle est assise et sent que sa bouche est sèche : elle a beaucoup trop parlé. “Désolée, peut-être que c’était un peu trop.” Elle offre à Lola un sourire d'excuses. Elle sait rarement se contenir quand on lui parle de voyages. C’est encore plus le cas quand on en vient précisément au Tibet. “C'est mon pays préféré au monde. Pour l'instant. Ça peut changer. Mais j’ai pleins de photos, chez moi. Enfin, pas tant, parce que mon appareil était à plat et j’avais pas de chargeur.” Elle a soudain une conscience aiguë qu'elle en fait peut-être trop ; que peut-être Lola s'en fiche, et que d'ailleurs ce n'était probablement absolument pas ce qu'elle avait demandé. Pourtant, c'est plus fort qu'elle et quand la question sort, elle ne peut rien faire pour la retenir : “Tu voudrais voir ?

@Lola Wright
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Message(#)lonely, lonely, that is me (lola&grace) EmptyDim 9 Fév 2020 - 11:42

Lonely, lonely, that is me

Grace n'avait pas un visage comme les autres. Ni une personnalité comme les autres. Ni rien de bien ordinaire, finalement. Elle avait eu une vie différente, palpitante. Elle avait des yeux qui faisaient de ses interlocuteurs la personne la plus spéciale sur la planète. Elle avait une voix qui berçait Lola, comme lorsqu'elle entendait la pluie tomber, petite, dans sa chambre, en dessinant, et qu'elle se sentait en harmonie avec la galaxie. Pourtant, touce que Grace disait venait la déranger, la piquer, la troubler. Et son aveu sur V pour Vendetta en faisait partie. Elle réagit si vite, "Ah oui, ça, je dois absolument te le montrer", qu'elle ne prit même pas le temps de penser que ça voulait dire qu'elles seraient dans la même pièce, dans le noir, l'une à côté de l'autre, face à un écran de télévision. Et soudain, Lola se fit toute petite sur son siège. L'idée lui faisait autant envie que peur, et ça faisait trop d'émotions d'un coup, comme d'habitude.

Heureusement qu'on parlait de chats et de chiens, raining cats and dogs, parce que c'était facile, que ça lui ramenait le sourire, qu'elle se sentait à l'aise. Elle fut rassurée d'entendre que Grace était team chien, et amusée par l'énergie qu'elle dépensait à essayer de se justifier, de se défendre : elle comprenait donc bien tout l'enjeu du débat. Et elle avait envie que Lola l'apprécie. Lola eut un sourire : si Grace savait combien elle n'avait pas besoin de faire des efforts pour la charmer, si elle savait qu'elle avait déjà gagné la partie. "Je n'ai pas d'animaux parce que je ne peux pas encore leur donner la stabilité dont ils ont besoin. Je change trop souvent d'appartement, de travail, d'humeur. Mais ça viendra ?" Elle avait fini sur une question parce qu'elle n'était plus sûre. Chaque fois qu'elle s'était dit que ça y est, ça se stabilisait, elle trouvait sa voix, quelque chose s'effondrait et tout le château de cartes s'envolait dans l'océan, se noyait dans les remous. Alors, maintenant, elle y allait à l'improviste, pas trop sûre de ce qui allait se passer, un peu inquiète mais aussi enivrée de la liberté qu'elle avait trouvée.

Liberté qu'elle retrouvait démultipliée par cent vingt millions dans le récit de voyage de Grace. Lola s'allongea à moitié sur la table, la tête sur son bras replié, les yeux vissés sur son interlocutrice, dont le visage s'illuminait tandis qu'elle parlait du Tibet. Elle rit à la comparaison avec un paresseux mort-né. Elle rêva des paysages rocailleux. Elle se sentit jalouse que quelqu'un, n'importe qui, ait touché la main de Grace pour la poser sur une pierre ancestrale - ç'aurait dû être elle, comme si elle aurait toujours dû être là, comme si c'était une évidence. Elle en fut presque soulagée que Grace n'eût pas réussi de révélation, d'épiphanie, à ce moment-là. Peut-être que ça leur arriverait à elles, quelque part. Elle parvenait à s'immiscer dans l'histoire, à marcher aux côtés du souvenir, et elle se sentait les poumons pleins d'oxygène pur, d'air de la montagne. Elle aurait voulu que ça ne s'arrête jamais, mais le récit finit par arriver à son terme, et Lola se redressa, des étoiles dans les yeux.

Lorsque Grace l'invita à aller chez elle, quelque chose en Lola cria que oui, que bien sûr, qu'elle n'attendait que ça, qu'elle voulait voir les photos, et puis les meubles, et comment Grace avait organisé son appartement, ce qu'elle avait dans les placards de sa cuisine, si elle avait un miroir, des guirlandes, quelle couleur de couverture elle avait choisie. Et pourtant, Lola secoua la tête, là sans être là, et répondit : "Pas ce soir. J'ai passé une longue journée et je vais rentrer me reposer." Elle baissa les yeux tellement ça lui serrait le coeur de refuser, et pourtant elle s'obstinait, il fallait qu'elle remette de la distance, qu'elle ne prolonge pas ce contact avec quelqu'un qui la troublait autant, qui menaçait l'équilibre fragile qu'elle s'était construit. Il fallait qu'elle parte sans rien ajouter, qu'elle la remercie pour le verre, qu'elle paye et file, mais elle ne put s'empêcher de tendre son téléphone à Grace : "Est-ce que tu voudrais me donner ton numéro ? Je pourrais t'appeler la semaine prochaine et je pourrais venir voir tes photos. Si tu en as toujours envie à ce moment-là. Mais ce n'est pas obligé." Elle était sur le point de reprendre son téléphone et disparaître au bout du monde lorsque Grace le saisit et enregistra son numéro, au grand soulagement de Lola. Elle ne savait pas ce qu'elle aurait fait si Grace avait dit non. Elle serait probablement allée boire trop d'alcool pour rentrer avec n'importe qui pour ne pas ressentir la déception, la peine. Elle était forte à ça.

Une fois l'addition payée, Lola se retrouva avec Grace devant le bar. Elle se dit que sa vie avait changé pendant le temps qu'elles avaient passé à l'intérieur. Elle se fit la réflexion que c'était une sensation qui n'était ni rassurante, ni désagréable, un entre-deux, un remue-ménage. Elle fit la bise à Grace, en sentant le plus discrètement possible son odeur, juste pour emmener un peu d'elle dans sa mémoire olfactive, la plus puissante de toutes. Puis, elle partit dans une direction et Grace dans l'autre, sans la moindre certitude qu'elles se reverraient.

@Grace Coughlin
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