La sonnerie de mon téléphone qui se déclenche une énième fois. Numéro inconnu. Indicatif australien. Probablement Levi. Je ne répondrais pas. Pas aujourd’hui. Peut-être même jamais. Je ne veux pas lui parler. Ni à lui ni à personne d’ailleurs. Qu’on me laisse tranquille. Qu’on m’oublie même. Je voudrais juste disparaître un peu, que l’on ne sache plus qui je suis, me retrouver seul. Juste un peu seul. Au loin, j’entends le rire de mes nièces probablement en train de jouer dans le salon pendant que ma sœur les surveille. Tandis que je me cache dans ce lit bien trop petit pour moi. Emma m’a laissé toutes ses peluches préférées, j’en ai gardé une près de moi. Celle que Connor était parti acheter en courant le jour de sa naissance, parce qu’elle était arrivée avec trois semaines d’avance et que l’on avait aucun cadeau. Un petit lapin blanc qui est rapidement devenu le préféré de ma petite nièce. Je revois Connor revenir avec le doudou sous le bras si fier de lui. Il aurait été un papa parfait. Je serre les dents. Je ne vais pas pleurer. Je pose la peluche et reprends le carnet que j’avais laissé sur la table de nuit prêt à reprendre mes écrits pour mon mari.
Et mon téléphone sonne une nouvelle fois. Toujours le même numéro. Laisse moi tranquille Levi. Je ne veux pas lui répondre. Il a probablement fini par apprendre ce qui se passe ici. Ma sœur a dû trouver un moyen de le prévenir. Et qu’est-ce qu’il va dire ? Que c’est probablement mieux comme ça ? Qu’il est désolé ? Que ça va aller ? Qu’il est là pour moi ? Je ne supporte plus d’entendre ce genre de paroles. Non ça ne va pas. Non ça n’ira pas. Oui Connor ne souffre plus, mais ça ne suffit pas. Ça ne suffit plus. Je voudrais juste que l’on me laisse tranquille, que l’on arrête de chercher à me joindre. Je ne veux pas répondre. Si Ava n’avait pas autant insisté, je serais resté enfermer chez moi pour des mois encore. C’était mieux comme ça. Juste moi et mes pensées. Je me serais probablement laissé crever, mais c’était mon choix. Et la sonnerie s’enclenche une fois de plus. Je ne tiens plus, attrape le téléphone et décroche violement. « Putain, mais quoi ?! »
Il dort, enfin. Ça aura pris presqu'une journée entière pour qu'il arrête de faire l'idiot Levi, pour qu'il laisse sa tête tomber sur l'oreiller sans avoir peur qu'une fois ses paupières closes il retombe dans l'inconscience de merde dans laquelle Matt l'a trouvée. Il est brûlé l'anglais, il l'est tellement qu'il me brise le coeur, mais je montre rien. C'est pas mon rôle d'être larmoyante, c'est pas mon rôle d'être celle à porter, quand je le porte lui-même à bout de bras depuis des semaines. Son malaise qui nous a tous secoués, lui évidemment encore plus que le reste. On a cru qu'il allait y passer, et par on je m'inclus et pour ça je me déteste, je me répugne au point de rager pour rien, bien plus qu'à l'habitude.
Le personnel infirmier évite mon regard, personne me demande si ça va, me conforte dans l'idée que de faire des allers et des retours rageurs dans le couloir adjacent à la chambre de Levi aura le moindre effet thérapeutique. Ils ont depuis longtemps abandonné l'idée de venir me porter un café, de m'inviter à m'assoir, de m'encourager à leur parler. Je tourne comme un lion en cage avec le numéro d'Hugo entre les mains, comme si ça avait le moindre poids, comme s'il servait à quoi que ce soit. Le pote de Londres ouais, ouais, le gars qui écrit des livres d'horreur, dont on entend jamais parler mais qui a tous les droits d'être mis au courant. Il a rien mentionné à son sujet Levi, j'ai tiré moi-même mes conclusions, mais je me dis que si son Hugo est si cool que ça, qu'il est si important que ça, il a pas à être à l'autre bout du monde quand son meilleur ami se meurt ici. Raison de principes.
Et ça sonne, une fois. Deux fois. Trois fois et vraiment, c'est la pire chose qu'il aurait pu faire le gars, me laisser mariner à ce point-là, me laisser rager autant que ça.
« Putain, mais quoi ?! » « Toi, putain. » son accent anglais coupé au couteau me répugne. C'est exactement celui que j'imagine le jumeau de Levi arborer à ses dîners de famille de merdeux, à ses événements de bourgeois crapuleux. « T'es sourd ou t'as fait exprès? » parce que d'office il s'est grillé le con. Il a laissé l'appel virer, il l'a laissé sonner trois fois parce que sa petite vie l'autorisait pas à prendre un appel le pauvre. Parce que son quotidien beige à se gaver de scones et à boire du thé bouillant que j'aimerais bien utiliser pour le noyer vivant vaut mieux que de savoir dans quel merdier on est, ici. « Et ta boîte vocale est pleine, au passage, du con. » je sais même pas pourquoi j'ai tenu à lui téléphoner, et en vrai, il aura pas grand chose à faire pour que je lui raccroche au nez.
« Toi, putain. » La voix résonne dans le combiné. Voix que je ne connais pas. Surpris, je recule le téléphone pour voir à nouveau l’écran. Indicatif Australien. Ça aurait dû être Levi. Pourquoi ce n’est pas lui ? Les questions s’enchaînent soudainement. J’oublie pourquoi je ne voulais pas répondre. J’oublie pourquoi je me terre dans cette chambre. J’écoute juste l’autre qui hurle. « T'es sourd ou t'as fait exprès? » Je voulais pas répondre. C’est ce que j’aimerais placer, mais je sens que ce serait mal venu. Peut-être qu’elle se trompe de numéro ? On ne se connaît pas, mais elle semble bien familière. Elle pense peut-être joindre quelqu’un d’autre. Je ne connais personne en Australie excepté celui qui a longtemps été mon meilleur ami. Celui qui l’est encore ? Je n’en sais trop rien. J’ai pas vraiment le temps de me poser la question que la jeune femme enchaîne encore une fois. Elle assène ses coups tel un boxeur sans âme. Elle veut abattre. « Et ta boîte vocale est pleine, au passage, du con. » Et si par habitude, je suis patient, aujourd’hui, je n’ai réellement pas envie de l’être. « C’est cool, et ? » Je sais que ma boîte est remplie. Je laisse sonner mon téléphone dans le vide depuis des semaines. Je ne réponds à personne. Je filtre. Je me fiche des appels de mon agent, de mon éditeur. Je ne veux pas leur parler. Je veux encore moins avoir la mère de Connor au téléphone ou ses anciens collègues. Je veux juste que l’on me laisse tranquille. Visiblement, il va falloir faire passer le message d’une autre manière. « Je peux savoir qui t’est ? » Et surtout ce que tu me veux. « Tu dois te tromper de numéro. » Et je me retiens de dire que je ne connais personne en Australie. Je ne sais pas qui est cette femme. Je ne veux pas trop en dire, ne rien dévoiler. Pourtant, j’ai cette sensation qui me colle à la peau. « Tu connais Levi, c’est ça ? » Et soudainement cette colère qui monte en moi sans que je sache le pourquoi du comment. « Il est pas assez grand pour appeler tout seul ? » I snapped.
« Je peux savoir qui t’est ? » aucune importance. « Tu dois te tromper de numéro. » nope, t'inquiètes pas j'ai validé 15 fois, j'aurais préféré parler à n'importe qui d'autre qu'à ta tête de connard que j'ai jamais vue et que mine de rien j'ai pas du tout envie de voir. « Tu connais Levi, c’est ça ? » ding, ding, ding, on a un gagnant. « Il est pas assez grand pour appeler tout seul ? » oh you gotta be kidding me.
« Il est pas assez conscient ouais. » et là j'espère de tout mon coeur lui faire mal. J'espère qu'il s'en morde les doigts, j'espère qu'il voit à quel point sa crise à l'autre bout du monde ne me fera qu'encore plus détester les anglais au-delà le portrait qu'un Levi rageur m'en a fait. Il se la joue occupé et hautain, il se la joue distant et stupide, et ça me fera bien plaisir de tourner le couteau dans la plaie et de tordre tous les nerfs que j'ai à disposition pour qu'il se sente sans-coeur ; parce que c'est ce qu'il est. Je l'entends qui tousse dans la pièce d'à-côté Levi, je l'entends qui est réveillé mais qu'on va pousser à se rendormir parce qu'il doit reprendre des forces, parce qu'il n'en a presque plus. Alors vas-y Hugo, joue les bourgeois au-dessus de leurs affaires, endosse le rôle de la parfaite cible qui ne sortira plus jamais de ma ligne de mire.
« Il a eu un malaise, il va pas. » c'est pas tout de suite le moment pour lui parler de son cancer. C'est pas tout de suite le moment pour lui pointer du doigt à quel point il est un égoïste fini à mes yeux et à quel point il ne le sera jamais aux yeux de Levi. Parce que McGrath va prendre sa défense contre vents et marrées et que ça risque de me faire très chier. Déjà, c'était pas du tout dans mes plans de piler sur mon orgueil au point de devoir le supplier, faut pas m'en vouloir si mon invitation à quitter son île de ratés pour venir fouler la nôtre n'est pas envoyée en bonne et due forme, un timbre bien scintillant au coin de l'enveloppe, la calligraphie douce à l'oeil.
« T'as d'autres questions faciles comme ça? » son silence que je snobbe, parce que je me dis qu'il a 5 secondes à peine pour me donner un autre argument faux, une autre raison lâche, rien qu'un seul et unique détail pour que je l'abandonne avec ses regrets et ses remords, que je retourne au chevet de Levi comme j'aurais toujours dû y rester.
« Il est pas assez conscient ouais. » Like I care. Je devrais probablement m’inquiéter de la tournure de sa phrase. Elle attend que je m’intéresse, que j’interroge, mais j’attends la suite des explications. Il n’est pas conscient d’avoir fui l’Angleterre sans jamais se retourner ? Il n’est pas conscient de ne pas avoir donné de nouvelles depuis près d’une année ? Il n’est pas conscient d’avoir foutu un bordel monstre dans ma vie la dernière fois qu’il est apparu par surprise ? Vraiment, je veux en savoir plus.
« Il a eu un malaise, il va pas. » Like I care. Elle m’appelle pour un stupide malaise ? Comme s’il était à l’article de la mort ? Comme s’il n’y avait pas plus grave dans la vie. Je ne comprends plus rien. La sensation de flotter dans un monde parallèle où Levi à besoin d’un intermédiaire pour s’adresser à moi. Elle s’en est réduit là notre amitié ? Incapable de se parler réellement. Devenir deux connards qui se manquent. « C’est qu’un malaise. » que je concède alors que je n’ai qu’une seule envie : raccrocher. Je ne cherche pas à connaître les moindres détails de la vie de Levi. Je n’en ai ni la force ni l’envie, là maintenant, de suite. Il est parti, il a fait son choix. « T'as d'autres questions faciles comme ça? » Non. Je m’en fous. Je ne sais pas. S’il était si mal elle aurait tout craché d’un coup dans sa colère et son accent Australien. S’il allait si mal elle serait affolée. Alors non, je n’ai plus de questions, plus d’envie non plus. « Il a qu’à m’appeler lui. » Il a qu’à faire le premier pas, je l’ai fait trop de fois sans réponse. Et je ne veux pas replonger là-dedans quoique ce malaise soit. Qui dit malaise dit hôpital. Alors c’est non. Tout simplement non. « Au revoir. » Et je raccroche, parce que c’est probablement mieux comme ça.