| I was looking for redemption |
| | (#)Lun 3 Fév - 0:06 | |
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I was looking for redemption
Elle a raison. Je le sais désormais. Je pris la mesure de mon addiction dans la chambre de Raelyn, alors que je m’étais privé d’alcool pour la veiller. Mes mains tenaient à peine droit le verre d’eau que je lui tendais. Mes bras s’agitaient de tremblements compulsifs et je suais à grosses gouttes. Ça n’était jamais arrivé auparavant. Sans doute parce que je n’avais jamais astreint mon sang à circuler dans mes veines sans une goutte de Johny Walker. Certes, j’étais conscient que boire dès le petit matin est une mauvaise habitude, mais je n’avais pas saisi que c’était à ce point. Je n’avais pas réalisé jusqu’à je vienne à trébucher et à mentir pour que ma fierté n’en souffre pas trop. Je n’avais pas trébuché sur les pieds de son lit ou de sa causeuse. Je l’annonçai, les mains en l’air pour cultiver un air coupable et non penaud, mais ce n’était qu’un mensonge, des foutaises pour préserver mon orgueil. Autant dire que je n’étais pas fier de moi aujourd’hui. Je n’arrivais plus à distinguer, entre l’état d’ivresse et de sobriété, lequel recelait ma personnalité et c’est douloureux. C’est contraignant parce que je comprends Sarah et sa volonté de divorcer. Je saisis ce qui la motiva à me jeter à la porte. Alors, puisqu’il m’est si pénible d’affronter l’évidence, j’enfile mes œillères. Elle me sied bien. Elle me rassure. En avançant vers la chambre d’hôpital de mon frère, je me sentais homme neuf, loin de mes considérations honteuses de la veille. Sauf que j’ai croisé Kelly et son air pincé pour la seconde fois sur quelques jours. Nos regards s’entrechoquèrent et elle m’arrêta d’un geste ou d’un regard, je ne sais plus trop. Elle me stoppa dans mon élan pour souligner que je pue le scotch bon marché – elle n’y connaît rien cependant - et la cigarette froide. Elle avance que je sens le sexe à plein nez également et je la détaille comme si elle était sorcière au pouvoir divinatoire. Elle me met aussi tôt mal à l’aise, pas tant que je regrette mon geste, mais parce qu’elle me mit à nu tant par ses accusations que par le conseil qui s’ensuivit. Me faire aider, dit-elle. Assister à des réunions au cours desquelles des types comme moi – je me demande encore ce qu’elle n’entend pas là – échangent sur leur us, leur coutume et leur maladie. De quoi parle-t-elle exactement ? Des AA ? Je me souviens lui avoir ri au nez et, pourtant, pour avoir frôlé le coma éthylique, pour avoir manqué de crever, seul, dans mon misérable studio, je m’y traînai, emmitouflé dans une doudoune à la capuche relevée sur ma tête. Il n’était pas question qu’on me reconnaisse, que quelqu’un sache… Je ne l’ôtai qu’une fois à l’intérieur, quand je fus certain que mon identité serait préservée.
Assis sur l’une des ses chaises habituellement destinées aux étudiants, je me fais plus petit que je ne le suis réellement pour ne pas attirer l’attention. J’observe, de mes pupilles inquisitrices, mais je ne pipe mot. J’analyse. Je ne m’émeus pas devant le récit des quelques alcooliques en rédemption qui témoigne de leur abstinence. Pour être tout à fait honnête, je les plains. Je n’admire pas leur courage, je me demande dans quel vice ils se sont plongés corps et âme pour compenser. Comment en pourrait-il être autrement ? Ce type-là, à deux rangées de moi, l’air absent et concentrée, il mate, de son œil lubrique, les petites fesses rebondies de la trentenaire qui n’a que ça de beau. Je le soupçonne devant son PC, à la nuit tombée, discuter sur des chats malsains en téléchargeant des films pornographiques. Et, l’autre là, cinquante ans, la silhouette comparable à celle d’un rachitique, ses dents ne sont plus que chicots qui rebuteraient n’importe quelle femme. Il se came au crack. Le seul, mis à part moi, qui a l’air normal, c’est le gamin dont je peine à deviner l’âge assis à deux chaises de moi. Il a l’air bien de sa personne. Son air rieur laisserait sous-entendre qu’il n’a pas de problème avec le whysky, lui, mais en repérage ou en voyeur, histoire d’alimenter son stand up dans un bar à scène ouverte. Quoique… je n’en suis pas convaincu et, qu’importe, mon attention se détourne de lui pour m’enquérir de l’heure. Il est tôt encore et je désespère. Je n’ai pas envie de me lever et que l’animateur me retienne devant tout le monde. Je me sens pris au piège de ma propre connerie et je songe, à voix haute : « Mais qu’est-ce que je fous là ? »
Dernière édition par Amos Taylor le Jeu 13 Fév - 18:21, édité 1 fois |
| | | | (#)Mer 5 Fév - 21:24 | |
| I was looking for redemption But all I found was cigarettes and alcohol ◊ ◊ ◊ Je ne me souviens plus de quand, ni comment je me suis retrouvé à pousser les portes de ce groupe de paroles. Le pourquoi quant à lui est évident, il me semble même que j’avais beaucoup trop bu la première fois que j’ai posé mes fesses sur l’une de ces chaises. C’est peut-être pour ça que cela m’avait semblé bien mieux que l’idée que j’avais pu me faire de ce genre de thérapie. Il est là le problème, c’est toujours mieux avec un verre dans le nez ! J’ai vite déchanté, ô que oui. Au début, c’était sympa parce que j’étais le petit nouveau à qui on n’osait pas trop en demander. Je venais, je tapais la causette à quelques membres du groupe et fourrais mes poches des petits club sandwich qui garnissaient le buffet. Puis des nouveaux sont arrivés et de novice, je suis devenu « un habitué » sauf qu’on ne m’avait pas prévenu que ça voulait dire que j’allais devoir me confier. La première fois j’ai refusé, la seconde fois j’ai prétexté devoir y aller et la troisième fois je ne me suis pas pointé. J’ai laissé passer une semaine pendant laquelle j’ai élaboré une stratégie puis j’y suis retourné. Aujourd’hui c’est mon moisiversaire, rigolez si vous voulez mais c’est déjà plus long que certaines des relations que j’ai pu avoir dans le passé ! J’aimerais bien dire que ça fait un mois que j’ai pas touché à une goutte d’alcool, mais non. On fête juste les soixante fois où j’ai poussé la porte du groupe de parole. C’est peut-être con pour vous, ça l’est encore pour moi aussi mais ici on fête tout. Pendant ce mois on a déjà fêté la naissance du bébé d’Olivia ; les trois jours de sobriété de Jack ; le nouveau job de Kristie ; on a même fêté le divorce de Mia, c’est pour dire. Ce serait mentir que de dire que c’est une corvée de venir ici parce que je me suis quand même attaché à cette belle brochette de bras cassés. Ils me font rire, j’ai le droit au buffet à volonté et j’ai même réussi à chopper quelques numéros de nanas plutôt pas mal. L’avantage de fréquenter une fille du groupe c’est qu’elle ne pourra jamais me reprocher mon amour pour la bouteille. J’ai oublié de préciser qu’ici on me nomme « Mercy » et non Peter parce que sur mon étiquette après « Hello, my name is » j’ai toujours marqué « Non merci » qui veut dire « No, thank you » en français. Est-ce que ça me donne le droit de postuler pour le job de Dieu ? Je me retrouve donc assis à la même place que d’habitude en attendant que les chaises à côté de moi se remplissent pour qu’on puisse démarrer. Je me lève par moment pour dire bonjour à ceux que je considère un peu comme une « deuxième famille », un verre de jus de pomme à la main.
« Et bien, je crois que nous allons pouvoir commencer ! » la voix de Richard résonne dans la salle de cours et met fin aux différentes discussions qui animaient ce début de soirée. Mes yeux font le tour du cercle que nous formons comme l’aiguille d’une horloge sonnant l’heure du début de la séance. Je souris lorsque mon regard tombe sur le petit nouveau, je plisse les yeux pour tenter de lire le prénom encré sur son étiquette, mais sans grand succès. « Ce soir nous accueillons un nouveau venu, Amos » dit Richard toujours aussi heureux de voir un étranger pousser les portes de son projet. « Bonsoooooiiiiiir Amos » Ma voix se mêle à celle des membres du groupe de parole avec un fin sourire sur le bord des lippes. Oui, c’est un fait et non un stéréotype et c’est même l’un de mes moments préférés. Il a une bonne tronche, pas trop rongée par l’alcool comme celle de Roger par exemple. J’essaye de deviner son âge, je mise sur la quarantaine. Il a une bonne gueule d’homme d’affaire, je l’imagine avoir un job important auquel il se devait d’accorder beaucoup trop de temps. On connait la suite, plus au boulot qu’à la maison, il a fini par délaisser sa femme s’en est suivi un divorce, des soirées à picoler seul dans un bar et ainsi de suite. « Bonjour, je m’appelle Gloria et je suis alcoolique » C’est Glo’ qui passe en première et on sait tous que ça va prendre longtemps, bien trop longtemps. Elle est sympa, mais qu’est-ce qu’elle peut parler. C’est le genre de nana qui a toujours une nouvelle aventure à raconter, parfois je me demande si tout ce qu’elle peut dire est vrai. « Mais qu’est-ce que je fous là ? » Je ne peux m’empêcher de rire, j’ai l’impression de me revoir y’a trente jours sauf que lui, il a le culot de dire ça à voix haute. Heureusement, celle de Gloria est assez forte pour que je sois l’un des seuls à l’avoir entendu. Je fais signe à Diego d’échanger sa place avec moi pour me retrouver à côté du brun. « C’est typiquement la question que se pose un alcoolique quand il se retrouve dans un groupe de parole comme celui-ci. » Je lui tends ma main en guise de présentation. « Mercy, enchanté mec ! » En bon miséricordieux que je suis, j’peux pas m’empêcher de me sentir mal pour lui. Il a l’air d’avoir touché le fond et à l’odeur, j’ai comme l’impression que l’alcool n’est qu’une addiction parmi tant d’autres. Je regarde Gloria et je mêle mes applaudissement à la foule pour faire mine d’écouter mais il faut que je trouve un moyen de l’aider, je connais Richard et généralement c’est en deuxième position qu’il fait passer les nouveaux. Sûrement parce qu’il sait pertinemment que dans la plupart des cas, ils ont déjà envie de se barrer après que la première personne soit passée. « Ok, écoute-moi, t’es le prochain sur la liste. Tu vas devoir monter sur l’estrade et te présenter puis expliquer pourquoi t’en es arrivé à rejoindre le groupe. » Je marque une pause sentant le regard bien trop insistant de Gloria sur ma personne. « T’as plusieurs solutions qui s’offrent à toi : soit tu te décides à parler, tu peux simplement dire que t’es pas prêt ou alors il te reste encore bien dix-minutes pour te barrer avant que Gloria ne termine son monologue. »
@Amos Taylor (c) oxymort |
| | | | (#)Jeu 6 Fév - 0:38 | |
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I was looking for redemption
En toute sincérité, je crois que si j’avais pu croiser mon regard dans la vitre de mon téléphone – je le scrute dans l’espoir de recevoir un appel qui me délivrera de cette réunion – et avancer que, si je m’étais pointé ici par simple curiosité, que je m’en serais senti revigoré. Certes, ç’aurait été malsain. C’est ce qu’expliquait le révérend – qui devint plus tard mon beau-père – à ses fidèles durant ses sermons. Mais, suis-je à ça près ? Je m’acoquine avec une baronne des temps modernes qui ordonnent à des types louches de vendre la mort à la sortie des écoles, en boîte de nuit ou dans les ruelles sombres. J’ourdis des plans tous plus diaboliques les uns que les autres pour que tombent son associé, non plus aux mains de cette justice incompétente, mais dans le fond d’un trou dont il ne ressortirait jamais. Je le rêvais ruiné, anéanti, méprisé par ceux qui l’ont craint. A quoi bon, aujourd’hui, m’encombrer de bon sentiment ? En quoi vérifier si ce qu’on nous montre dans les films est plus proche de la fiction que de la dure réalité de ses tristes sires heureux de se retrouver dans ce groupe de paroles ? Vraisemblablement, aucun. J’aurais pu envisager d’y rester en spectateur, mais entendre mon prénom scandé par tous ces gens acheva de me dégoûter et je ne parviens pas à me mentir à moi-même. Je ne suis pas venu assouvir un penchant infect, mais parce que Kelly a réussi à m’en convaincre à cause de cette défiance qu’elle traîne perpétuellement derrière elle. Je la revois encore me cracher ses jugements au visage en prétendant qu’elle souhaitait veiller sur moi, que sa colère envers la duplicité de mon frère n’y était pour rien, qu’elle ne cherchait pas à se venger, mais à rester fidèle à ses croyances profondes. A moins qu’elle n’ait rien dit ? Que j’ai tout simplement imaginé ce discours d’avoir dépensé trop d’énergie à interpréter son propos ? Peut-être que je matérialisai mes craintes d’être un alcoolique, un vrai, un qui ne sortira jamais le nez de son verre et qui ne se débarrassera jamais de son inclination pour la bouteille ? Je ne suis plus sur de rien désormais et inviter Sarah au cœur de cette remise en question aggrave mon cas. Combien de fois ne m’a-t-elle pas répété que j’étais un cas désespéré ? Un pauvre type ? Un gars sans caractère dépourvu de la force nécessaire à se relever de la tragédie qui balaya notre couple ? Je n’aurais pas assez de mes deux mains pour les compter et, en mon for intérieur, je suis conscient que toutes ces reproches n’y changèrent pas grand-chose. J’y étais hermétique d’antan, je pouvais toujours l’être aujourd’hui, parce que c’est plus confortable, parce que le déni me va bien, parce que je me sens mal dans mes baskets au milieu de ces gens aux traits contrits. Il me rappelle les grenouilles de bénitier qui espère encore que l’ostie, la chair du Christ, les délivrera de leur pécher. Rien de moins étonnant, dès lors, que j’exprime à voix haute, peut-être plus fort que je ne le désirai, que je ne trouve aucun sens à ma présence ici.
Si mon insolence n’était pas vouée à attirer l’attention sur moi, je fus presque soulagé d’avoir pu la partager. Mon voisin me tend déjà la main et, quoiqu’une part de moi s’offusqua qu’il me qualifie d’alcoolique, je ne pouvais décemment lui en tenir rigueur. Il ne sait rien de moi, si ce n’est que je suis mortifié devant l’histoire pathétique de la dénommée Gloria. Il sait aussi que mes pas ne m’ont pas conduit jusqu’ici au hasard et la généralité souligne que seul un alcoolique tende à déposer ses fesses sur l’une de ses chaises bigrement inconfortables. « Je suis même pas sûr d’être alcoolique » me défendis-je tout de même, conscient que cette remarque-là, il avait dû l’entendre mille fois sortir de la bouche d’autres types comme moi, ceux qui s'illusionne de ne pas être malade. Je lui serrai tout de même la main, malgré le pathétique que m’inspire mon comportement. « Amos, mais je suppose que tous l'ont bien imprimés. » crachais-je avec dédain. « Je pensais que ça n’existait qu’au cinéma ce genre d’intrusion. J’aurais préféré l'anonyma. » La nervosité me prête des qualités dont j’ignorais l’existence. Je ne crains plus d’épuiser mon compteur de mots, je redoute que l’avertissement de Mercy soit trop proche de la vérité. Il paraissait habitué, lui. Moi, j’étais de la bleusaille et, un regard pour l’animateur me confirma que je tenais lieu de cible. Ni une ni deux, je me levai, non sans adresser à mon acolyte un signe de tête en guise d’au revoir et de remerciements. Je filai sans demander mon reste et sans même me rincer le gosier d’une tasse de café, mais je ne rentrai pas chez moi de suite. Je demeurai là, debout sur le trottoir d’en face, m’interrogeant sur mes motivations à m’être déplacé jusqu’ici et mon empressement à renoncer. Etait-ce du courage ? De la lâcheté ? C’était difficile à dire. Alors, j’attends l’inspiration. J’attends que le Saint-Esprit descende sur moi et me guide sur le bon chemin. N’aurais-je pas été d’un scepticisme à toute épreuve qu’il aurait pu accéder à ma requête, mais je n’ai jamais été croyant. Si Dieu existait, il ne m’aurait pas arraché ma gosse aussi violemment. Je ne m’adresse donc pas à lui, pas vraiment, si je patiente, c’est pour accorder à mon véritable sauveur de s’être montré si miséricordieux à mon égard. Je l’accostai peu de temps après qu’il soit sorti de la bâtisse, même si c’était tout, sauf mon genre. Puis-je encore me fier à ce que je suis ? J’ai franchi un cap ce soir. Je n’aime pas ce qui se profile à l’horizon, mais c’est trop tard désormais, je n’ai plus qu’à assumer. « Tu étais pas obligé de m’offrir cette porte de sortie. Je tenais à te remercier, de vive voix. » J’aurais pu en rester là. J’aurais dû d’ailleurs. Mais, une force en moi, indéfinissable et particulièrement dérangeante, me poussa à engager la conversation. « Tu viens souvent à ce genre de réunion ? » Aucune trace de jugement. J’ambitionne uniquement de l’inviter à prendre un verre, mais je n’aspire pas à jouer les tentateurs s’il est sobre depuis des jours, voire de longs mois. « Je veux dire, depuis assez longtemps pour fréquenter un bar en t’astreignant à une tournée minérale ? »
Dernière édition par Amos Taylor le Jeu 13 Fév - 18:22, édité 1 fois |
| | | | (#)Mer 12 Fév - 18:03 | |
| I was looking for redemption But all I found was cigarettes and alcohol ◊ ◊ ◊ « Je suis même pas sûr d’être alcoolique » J’ai de la peine pour ce type que je viens tout juste de rencontrer. Il n’a pas l’air mauvais, je jauge les visages familiers qui nous entourent, ils n’ont pas l’air mauvais non plus. Le truc c’est qu’on est comme ces bouteilles qu’on adore consommer, on nous colle facilement une étiquette difficile à enlever. Je me dis que c’est peut-être pour ça qu’on nous demande toujours d’écrire notre nom sur un bout de papier. Au début, je pensais que c’était pour pouvoir faciliter les rencontres mais je crois que c’est aussi, et en grande partie, pour nous laver de toutes ces étiquettes qu’on a pu nous coller sur la tête. Un moyen de retrouver notre propre identité. Je suis Peter, pas l’alcoolique ni l’habitué du bar ou celui qui empeste le whisky à plein nez. Non, je suis moi avec une histoire de vie qui m’est propre. Je me souviens encore du premier jour où je suis devenu « l’alcoolique », j’ai passé la soirée à en chercher la définition comme on cherche les symptômes d’une grippe sur Doctissimo. « Ensemble d’une consommation excessive de boissons alcooliques » ; « perte de liberté de s’abstenir » c’est drôle quand on sait que les seuls moments où je me sens libre c’est lorsque j’ai plus d’un gramme d’alcool dans le sang. « Tu peux toujours dire qu’il y a erreur et que tu te nommes Bryan. » C’est vrai qu’il a une bonne tête de Bryan bien que son faciès a l’air d’avoir été marqué par des soucis qu’il n’a certainement pas su gérer sinon il ne serait pas assis à mes côtés en ce moment même. « Je préfère Amos, je suis le miséricordieux et toi t’es celui qui est chargé d’un fardeau. » Je ne peux m’empêcher de rire de la situation. Amos et Mercy, je suis à deux doigts de proposer à Richard de faire une crèche de Noël géante pour les fêtes de fin d’année. Bizarrement ça n’a l’air d’avoir fait rire que moi puisque je regarde l’inconnu se lever et quitter la pièce non sans grande discrétion. Gloria est bien trop absorbée par son histoire pour notifier l’absence du newbie. Elle claque néanmoins des doigts pour récupérer l’attention des membres bien trop occupés à reluquer le novice sortir rapidement de la salle de cours. Mon regard se pose sur Richard qui grimace, déçu mais peu surpris de l’incident qui vient de se produire. Je me gratte la gorge et décide d’aller me servir deux cafés, j’en profite pour prendre trois sucres que je mets dans la poche de ma veste ainsi que deux touillettes.
Je tire ma révérence, un fin rictus aux coins des lèvres alors que je quitte la salle à reculons en espérant pouvoir rattraper le garçon. « Tu étais pas obligé de m’offrir cette porte de sortie. Je tenais à te remercier, de vive voix. » Je souris lorsque j’entends le son de sa voix parce que rare sont les fois où on me remercie mais aussi parce qu’il a finalement choisi de rester même si c’est devant la salle et non dedans. « Tu pouvais pas partir sans profiter du buffet à volonté ! » dis-je d’un ton faussement indigné. Je lui tends un des gobelets tandis que je fouille ma poche à la recherche des sucres que j’ai pris le soin de planquer. « Avec ou sans sucre ? » J’en plonge un dans mon café, mélangeant ma boisson chaude. « Deux à trois fois par semaine, ça dépend de mon emploi du temps. » J’hausse les épaules puis j’attrape une cigarette de mon paquet et le lui tend en guise de proposition. « Je vois pas ça comme une thérapie. Je viens surtout pour taper la causette, profiter du buffet et écouter ce qu’ils ont à raconter.» C’est mon petit truc à moi de toujours minimiser mes expériences. La vérité c’est que même si parfois les réunions pouvaient être ennuyeuses à souhait, il y avait un respect mutuel, un lien qui nous unissait.
Ce lieu me permet d’être moi-même, de me faire passer pour Mercy aka le mec qui peut parler de son addiction sans en avoir honte. Et même si je n’ai jamais été plus loin qu’une simple présentation sous un faux pseudonyme, ils en connaissent certainement bien plus que la moitié des gens que je peux côtoyer dans la vie de tous les jours. Je ne parle pas de mes amis ou de Molly avec qui j’ai toujours été sincère même lorsqu’il n’y avait pas de quoi être fier des situations dans lesquels j’avais pour habitude de me mettre. « Richard est un chouette type. Et ça peut paraître égoïste, mais la plupart du temps tu ressors d’ici avec le sentiment que ta vie n’est finalement pas si merdique. » Je ne compte plus les fois où j’ai eu le sentiment d’être un imposteur parmi ses gens qui, malgré les merdes de la vie, se battent encore aujourd’hui pour ne plus avoir à sombrer tête première dans un verre d’alcool. Tandis que moi, je suis là, à prétendre vouloir changer alors que je sais bien que ce n’est pas prêt d’arriver et qu’au fond si je me déplace c’est aussi pour pouvoir dire à mes proches que j’ai envie de me reprendre en main. Ce groupe est à mes yeux un alibi pour excuser les crimes que je peux commettre. « Je sais, j’ai déconné mais j’essaye ! Je vais même aux alcooliques anonymes plusieurs fois par semaine. » La plupart du temps ça attise la compassion des gens, pauvre garçon qui tente de s’en sortir. Je suis juste pas prêt à faire la connaissance du « Peter en état de sobriété », cette version-là m’est inconnu et l’inconnu me fait peur. « Non, je bois toujours. Peut-être un peu moins qu’avant, mais j’ai pas pour ambition d’arrêter pour le moment.» À quoi bon lui mentir, il n’est pas né de la dernière pluie. « Et toi ? Qu’est-ce qui t’amène ici ? » Je tire une latte de ma cigarette qui s’est déjà consumée de moitié. Cette question peut paraitre intrusive, elle l’est mais c’est aussi une façon de lui tendre la main. Cela ne veut pas dire qu’il est dans l’obligation d’y répondre, mais au moins il sait que je suis ouvert à la discussion. J’ai toujours été plus doué pour écouter que pour parler même si ce groupe de parole m’a appris que pour savoir recevoir il faut d’abord pouvoir s’ouvrir. Je bois une gorgée de mon café alors que je m’assois sur l’une des marches de l’établissement. C’est un comble de me retrouver ici, en quête de rédemption lorsqu’on sait que c’est aussi ici que j’ai pris ma première cuite. « Tu fais quoi dans la vie ? Quelles sont les choses qui te font vibrer ? »
(c) oxymort |
| | | | (#)Jeu 13 Fév - 19:00 | |
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I was looking for redemption
Serais-je venu de mon plein gré, je n’aurais pas été dérangé que mon prénom soit partagé avec la plèbe. Et, si, un seul de mes cheveux avait sérieusement envisagé de rester avec ces gens, me lever et prendre la parole pour leur raconter mon histoire, je l’aurais barré à la hâte et, l’air confus, j’aurais avoué mon pseudo-mensonge en me retranchant derrière une salve de justifications bidons, auxquels ils sont certainement habitués. Je ne devais pas être le premier à me pointer en ces lieux, un soupçon de mépris au fond des yeux, non pas envers ces gens, mais envers soi-même. Je ne serais pas non plus le dernier à prétendre que je n’ai rien à faire ici, que je ne suis pas alcoolique, qu’évidemment, je bois tous les jours pour de mauvaises raisons, mais dit-on à un consommateur de café qu’il est un drogué ? Pourquoi, sous prétexte qu’il s’agit de Whisky ou de Vodka, devrais-je supporter d’être qualifié d’addict ? Pourquoi faire deux poids deux mesures ? Parce que le premier fait moins de ravage sur la santé que le second ? Qu’il est moins dangereux au volant, par exemple ? Je déteste l’admettre, mais cette réunion m’angoisse. Peu me chaud que la compagnie de ce Mercy me paraisse agréable, s’il est vrai que j’aurais pu sourire devant son trait d’esprit, je quitte ma chaise, sans demander mon reste et je fuis, littéralement. Je fuis, mais pas très loin. Je ne rejoins pas ma voiture pour m’y réfugier et hurler toute ma rage contre Kelly, contre le sort ou contre Sarah. Je demeure sur un bout de ce trottoir, stoïque, statique, droit comme un I, pensant à ce verre que j’engouffrerai à la première occasion et la chaleur dont il m’enveloppera. Je songe que, celui-là, je ne l’aurai pas volé. Je me déculpabilise en m’imaginant affirmer avec aplomb, devant l’expression désabusée de mon ex-belle-sœur, qu’elle avait tort, que j’ai essayé, mais que je suis parti, parce que je n’avais rien à faire là, parce que je ne suis pas concerné par le mal qu’elle me prête. Je me rappelle également la sympathique du gosse qui m’a ouvert en grand une porte de sortie quand moi, en proie à ma frustration et à ma honte, je cessai de réfléchir. Je me dis que j’ai eu de la chance de m’être asses à ses côtés et qu’il se penche sur mon cas. Alors, je l’attends. Je patiente gentiment que cette réunion s’achève, non par excès d’aménité, mais parce que je n’ai nulle part où aller.
L’exercice est compliqué cependant. Je présume que chaque regard que je croise traduit du mépris de la pitié. Pauvre type, pensent certainement les passants qui, en réalité, m’ignorent complètement. Mon imagination est sans limites quand je me sens mal à l’aise. Je jette un coup d’œil à ma montre, puis sur la porte et, dès lors que Mercy apparaît, je le happe dans le torrent de mes remerciements. Dans ses mains, il tient deux cafés et ça m’étonne. Comment pouvait-il savoir que je l’attendrais ? Suis-je prévisible à ce point ou est-ce à nouveau l’un de ses comportements pathétiques qui abîment la fierté de la bleusaille ? « Si ! J’aurais pu, mais… je ne peux pas dire non à un café. » Quoique ce n’est pas exactement ce que mon corps, mon cœur et ma tête me réclamaient ardemment. « Un sucre. Ça ira. Et merci. » Je levai le gobelet, comme si je portais un toast, et je me fis la réflexion que je n’avais jamais rien connu de moins festif. Un peu comme cette conversation un soupçon trop grave finalement. Lui, il se mélangeait à la misère des autres près de trois fois par semaine, façon Edward Norton dans Fight Club. La comparaison m’arracha un sourire. « Parce que c’est censé servir de thérapie ? » ironisais-je non sans une forme de dédain. « Mais, quand tu as entendu ce qu’ils ont à dire, tu as juste besoin d’un verre de plus. » L’histoire de cette mère, ivre morte, qui laissait son fils baigné dans ses couches sales, n’avait rien de glorieux ou de motivant. « C’est quoi le but, exactement ? Nous faire croire qu’on s’en sort bien et qu’il y a pire ailleurs ? » ajoutais-je en saisissant une cigarette dans le paquet qu’il me tend.
Je n’avais pas atteint ce stade, personnellement. L’alcool ne m’empêchait pas de fonctionner. Je n’avais jamais rien fait d’irresponsable non plus. Mais, pour combien de temps encore ? Ce constat, somme toute terrorisant, prit mon estomac en étau. Aussi, ai-je tiré une profonde bouffée de nicotine, histoire d’éteindre mes émotions. « Si, quand je bois, ma vie n’est pas merdique, pourquoi arrêter ? » ponctuais-je sans douter un instant que Richard était, effectivement, quelqu’un de bienveillant. Sarah animait parfois ce genre d’événements pour ses paroissiens. Elle ne leur voulait que du bien, mais les a-t-elle vraiment aidés ? Les a-t-elle tous sauvés ? Bien sûr que non. Elle en pleurait, souvent, sans que je ne trouve les mots pour la consoler. Elle ne méritait pas de supporter la misère du monde sur ses épaules. Personne n’est taillé pour ça. C’est pour ça que l’alcool existe. C’est pour permettre aux altruistes de respirer, de souffler, de ne porter que leur fardeau déjà bien assez lourd. « Moi ? » répétais-je en avalant une gorgée de café. « Je suis venu parce que… parce que l’ex-femme de mon frère. » Prononcé à voix haute, c’est encore plus gênant. Je déteste l’influence que Kelly peut avoir sur moi, parfois. « Et parce que ma femme ou mon ex-femme, je ne sais plus très bien, n’arrêtent pas de répéter que je suis alcoolique. » Accessoirement, je les aurais renvoyés dans leur but sans hésiter si je n’avais pas constaté par moi-même que, sans un verre, mon corps est capricieux à m’obéir. « J’ai voulu leur prouver qu’elles avaient tort. Je me suis dit qu’en venant jusqu’ici, j’aurais la preuve que je n’y ai pas ma place. » Sous-entendu, je ne suis pas comme eux. « Sinon, je… je vais m’acheter un bateau que j’ai l’intention de rénover. Et je suis ce qu’on pourrait appeler un pro du poker. » mentis-je en partie, désappointé, puisque la vérité n’est pas avouable. C’est la vengeance qui fait vibrer la corde de mon violon, mais est-ce moins pathétique. « En bref, j’ai tous les vices selon cette société. Et toi ? Qu’est-ce qui t’amené ici la première fois ? Tu bosses ? »
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| | | | (#)Ven 21 Fév - 20:30 | |
| I was looking for redemption But all I found was cigarettes and alcohol ◊ ◊ ◊ « Parce que c’est censé servir de thérapie ? » C’est ce qu’ils vendent sur le papier alors en théorie c’est le cas mais en pratique j’en suis pas si sûr. Peut-être qu’il marque un point et que ça marche sur un type de personne mais pas sur tout le monde. C’est sans doute comme l’hypnose, soit t’accroches soit t’accroches pas et à voir nos gueules, ça n’a pas l’air d’être fait pour nous. Ce sera sans doute un truc de plus à ajouter sur la liste des choses que je ne sais pas faire. Ma mère, en bonne avocate, a toujours eu l’habitude de dire et de répéter que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Ça m’a toujours fait rire parce que s’ils avaient pu ajouter un astérisque, je pense qu’ils l’auraient fait du moins je ne me serais pas gêné pour le faire. J’aurais sans doute ajouter quelque chose comme « * En droits seulement et encore ça reste à voir. Ne vous méprenez pas, certains naissent avec une cuillère en argent dans la bouche tandis que d’autres sont juste des accidents de la vie. » Ça me fait sourire cette hypocrisie, pas difficile de savoir dans quel camp se trouve celui qui s’est un jour levé avec l’envie d’écrire une telle connerie. Il faut arrêter de donner de l’espoir aux gosses, l’espoir ça tue. C’est certainement sponsorisé par Redbull parce que ouais, au début c’est cool, ça donne des ailes mais en prenant de la hauteur on prend aussi le risque de finir en chute libre et pour les gens qui font partie des « accidents de la vie » c’est généralement le cas sauf que tu te casses la gueule une fois, deux fois puis tu ranges l’espoir au fond du placard. « Mais, quand tu as entendu ce qu’ils ont à dire, tu as juste besoin d’un verre de plus. » Là encore il marque un point, je l’aime bien ce type. Il est loin d’être bête et j’ai toujours eu beaucoup d’estime pour les gens cortiqués. Je lâche un rire, hochant la tête en guise d’approbation alors que mes mains viennent entourer le gobelet pour accueillir la chaleur qui s’en dégage.
«Je sais pas pour toi mais je crois qu’on a généralement pas besoin d’entendre ce genre de choses pour avoir besoin d’un verre de plus et c’est bien ça le problème. » C’est vrai, au début j’avais tendance à me trouver des excuses pour chaque verre que je buvais me jurant que ce serait le dernier. Plus je buvais et plus les justifications devenaient rocambolesques jusqu’à ce qu’un jour j’épuise la totalité de la machine à prétextes et qu’elle se retrouve hors service. Pourtant je manque pas d’imagination c’est pour vous dire à quel point j’ai bu et à quel point je suis tombé bien bas. Aujourd’hui j’assume, j’ai balayé le déni qui stagnait devant ma porte mais ça veut pas dire que je bois plus, je prends toujours ça à la rigolade parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer et que j’ai beau boire à gogo, je préfère encore pisser des litres que me mettre à chialer. « Non, le but c’est de pouvoir se retrouver avec des gens qui ont, certes, une histoire différente de la nôtre mais qui ont le même problème. Parfois c’est cool de pouvoir parler sans avoir peur de se faire juger. » Plus facile à dire qu’à faire, je suis bon en conseil mais putain qu’est-ce que je suis nul quand il est question de les appliquer. Je m’assois sur l’une des marches après avoir écrasé ce qu’il me reste de mégot. « Et parce que ma femme ou mon ex-femme, je ne sais plus très bien, n’arrêtent pas de répéter que je suis alcoolique. » Bingo, j’étais pas loin de la vérité. Quand c’est pas le couple, c’est le boulot et quand c’est pas le boulot c’est souvent l’enfance merdique. « Il date de quand ton premier verre ? Celui qui a provoqué l’avalanche des verres qui ont suivi ? » L’alcoolisme c’est ça, c’est une avalanche qui te tombe dessus sans crier gare. Je crois que c’est le cas de toutes les addictions, un évènement en guise de tremblement, un verre en guise de la première chute de neige et puis on se retrouve rapidement enseveli sous un tas de poudreuse à suffoquer sous des problèmes qui parfois nous empêchent de respirer. « Le syndrome de l’imposteur, on est tous passé par là mais y’a que toi qui peut savoir si t’as ta place ou pas et je pense qu’au fond tu le sais déjà. » Je bois une gorgée de mon café parce qu’on aura beau se voiler la face, rares sont les personnes qui poussent les portes des alcooliques anonymes sans avoir la conviction d’en faire partie.
« Tu comptes l’appeler comment ton bateau ? Et je veux bien faire office de matelot ! » Oh que ouais, étant môme j’adorais les histoires de pirates et il m’arrivait même de transformer mon lit en navire prêt à conquérir les terres inconnues de ma chambre à la recherche de trésors – vieilles chaussettes- que je rangeais dans un coffre en carton. «Joueur de poker hein ? Est-ce que c’est mal de dire que tu dois être un sacré bon menteur ?» Pas de chance, la communication non verbale c’est mon dada. Il pourra peut-être essayer de me mentir avec des mots mais le corps ça pardonne pas. Quoiqu’en bon joueur de poker, il doit connaitre les vices sur le bout des doigts. « Hm, je suis pas certain d’être l’exemple parfait. » Je grimace et termine de boire mon café. « J’y suis allé pour avoir une excuse à offrir à mes proches enfin… pour leur montrer que je me prends en main. » Je secoue la tête parce que c’est complètement ridicule et que je me trouve franchement pathétique. « Oui, je suis architecte scénographe ! Il m’arrive aussi de faire des scènes ouvertes dans les bars de la ville. » Je lève la tête pour le regarder tandis qu’il finit de fumer sa cigarette. « Ça fait combien de temps que t’es marié ? Et tu l’aimes toujours ? » Je me lève essuyant mes fesses pour ne pas me retrouver avec des tâches sur les poches arrières de mon jean. « T’as envie de bouger ? »
(c) oxymort |
| | | | (#)Sam 22 Fév - 22:36 | |
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I was looking for redemption
Il a de l’esprit, ce môme. Tout porte à croire que malgré son jeune âge – il atteint a peine la trentaine – il a déjà bien roulé sa bosse et que, comme la mienne, elle a été arrêtée dans son élan par quelques coups durs. Celui qui me heurta de plein fouet, celui qui m’apparut aussi infranchissable qu’une montagne pour qui n’est pas alpiniste, c’est la mort tragique de ma fille. Et lui ? C’est quoi, son histoire ? Ai-je le droit de lui demander ? De m’intéresser à ce qui le chahuta assez pour que son premier verre d’alcool découle sur une série d’autres ? Et si je me trompais ? S’il était juste le pur produit de sa génération ? Celle qui boit en soirée un peu trop de Breezer sans pressentir le danger ? Celle qui, pour renouer avec cet état de plénitude dans laquelle les quinze bouteilles à moins de 5 degrés les ont plongés, s’essaie à la bière, puis au gin, pour finir par de la vodka en passant le whisky ? L’offusquerais-si j’exprimais à voix haute mes hypothèses, quelles qu’elles soient ? J’en doutais. Il se dégage de lui une forme d’assurance et de sympathie qui laisse sous-entendre qu’il est une bonne nature, plus soucieux de converser autour d’un café (ou autre chose, de préférence), que de s’offusquer pour une indiscrétion. Il a le regard trop franc pour s’encombrer de ce genre de sentiments. Il parle haut et clair également. Il ne fuit pas et assume son opinion sans s’inquiéter d’être jugé et moi, je ne peux qu’affirmer en dodelinant de la tête. Sur ce point, j’aurais pu l’envier. Je n’irais pas jusqu’à prétendre que je souffre d’un manque cruel de confiance en moi, mais force serait d’admettre que la vie m’a considérablement abîmé. L’idée de partager mon histoire avec des inconnues m’est dès lors insurmontable, pas seulement parce que j’ai honte, mais car je détesterais être au cœur de « oh », de « ah » ou de « mon dieu » de pitié. Sans doute – quoi que je ne leur souhaite pas – certains détiennent leur lot de misère. Peut-être même est-elle bien pis que la mienne. Mais quand bien même se tairait-il que je la devinerais, leur commisération. Je l’interpréterais derrière chaque regard qui se poserait sur moi. Je leur prêterais plus de compassion que je ne saurais supporter et malgré tout, je suis toujours là, sur ce trottoir, à bavasser avec un parfait inconnu. Il m’est agréable, mais n’est-ce pas le prétexte de ma raison qui me dicte de ne pas m’enfuir de suite ? Parce que j’ai peur de ne plus jamais revenir de m’accrocher à cette expérience avortée par ma lâcheté ? Je n’en sais rien. Je ne sais même pas si ma place est ici ou ailleurs quand lui s’en crée une sur la marche d’un immeuble.
Il balance son mégot. Son geste entraîne le mien. Je me dis que j’en refumerais bien une, de cigarette, mais je me rabats sur mon café. Il n’est pas mauvais. Je n’aurai pas tout perdu au cours de cette soirée, si ce n’est quelques aveux. « À longtemps. » remarquais-je d’un air évasif, comme s’il m’était impossible de me souvenir du jour où boire est devenu une nécessité. Or, c’est un mensonge que je réparai parce que c’était le début de la rédemption que d’être honnête. « J’ai dépassé le stade du festif en 2008, mais je ne pense pas que c’était un vrai problème à l’époque. » J’avais ma fille. Face à son sourire, deux ou trois verres pour passer une bonne nuit me suffisaient amplement. « C’en est devenu un en 2015. » L’année durant laquelle mon bébé a fêté ses 21 ans. « D’après Sarah toujours. Évidemment. » Je ricanais devant l’aveu de ma mauvaise foi. « Sarah, ma femme donc. Ou mon ex-femme. Je ne sais toujours pas depuis ces cinq dernières minutes. Et, ouais. Je crois que je le sais aussi dans le fond. Sinon, je serais parti, pas vrai ? » Question rhétorique. Pas besoin d’assentiment. Il sait. Je sais. J’ai laissé le déni sur le pas de ma porte au moment où, au lieu de me braquer, j’ai daté ce jour funeste de mon aliénation à l’alcool. « Et toi ? Quand ? Pourquoi, si je peux me permettre ? » Et si tant est qu’il y ait de l’espace pour la bienséance, outre celle de rigueur, dans cette discussion.
Nous avons échangé autour de mon boulot. J’ai nommé mon épouse. J’ai admis à mots couverts que je suis bel et bien coupable de ce dont on m’accuse. Les risques de froisser sont réduits à leur plus simple expression désormais. J’allai même jusqu’à parler de mes projets d’acquisition. « Sofia. Il s’appellera Sofia. Et je t’emmènerai y faire un tour si tu veux. C’est moins dangereux en mer que sur terre quand on a picolé. Tu ne risques rien. » Je tus mon passé dans la Navy, mais un voilier de la taille du convoité n’est pas grand-chose comparés aux navires sur lesquels j’ai vogué. « Et, tu seras surpris d’apprendre que je ne suis pas menteur. Je maîtrise plutôt bien le non verbal, mais ça s’arrête là. En général, je préfère me taire plutôt que d’avoir à mentir. Je dirais même qu’habituellement, je me tais. J’ai déjà rechargé mon compteur de mots trois fois depuis que je suis arrivé » Et, je ne regrette pas. M’ouvrir un peu, ça me fait du bien. Ça me conforte dans l’idée qu’est seul celui qui veut, que l’être est différent que d’en avoir le sentiment. Je ne le suis pas tout à fait moi, même si quelquefois, j’aimerais qu’on me lâche la grappe, surtout elle, surtout Sarah. « Et tu ne te prends pas en main ? Tu es là. Tu entres. Tu écoutes et… tu vends plutôt bien le truc finalement. Je ne dis pas que tu me donnes envie de revenir, mais je ne suis pas encore totalement fermé à l’idée. » Je le gratifiai d’un clin d’œil enjoué parce que sa révélation m’a confirmé qu’il ne brassait du vent. Il comprend parfaitement ce que je ressens en aversion d’être forcé de rassurer ma famille.
Peu pressé de partir, bien que je sois désarçonnė par sa dernière question, c’est moi qui lui tends mon paquet de cigarettes. Dans mon gobelet, le café est bien entamé. Il n’en reste plus que quelques gorgées et je me demande si le jeter dans la poubelle au bout du trottoir signera la fin de cet échange et si, plus important encore, j’en ai réellement envie. « Des scènes ouvertes. Ça veut dire que tu es musicien ? Je n’ai plus écouté de musique depuis des années. Je ne me rappelle même pas c’est quand la dernière fois que j’ai allumé la radio dans ma voiture. » expliquais-je davantage pour moi que pour lui. Je tire ce constat en proie à mes souvenirs. Je cherche le nom de l'ultime morceau qui a bercé ma peine et qui m’a obligé à pactiser avec mon courage afin que plus jamais je ne verse une larme pour quelques notes de musique trop poignantes et trop émouvantes. « Quel instrument ? » Ma fille jouait du violon et si mes pensées tendent à vagabonder vers mes précieux souvenirs, je les rattrape d’une main habile. Pas maintenant. Pas tout de suite. Ou ce gosse, je vais l’entraîner dans un bar et je m’en voudrais d’avoir piétiné ces maigres efforts. Qu’importe qu’il soit parfois trop curieux. Sa compagnie m’est appréciable. Elle m’empêche de m’embourber dans la fange des remords. « 24 ans. Mais, on est séparé depuis trois ans déjà. » Déjà ! Trois ans que je lui refuse le divorce et qu’elle m’accueille quand je perds l’équilibre. « Mais, on se voit toujours. Trop souvent sans doute. » Assez pour que je me sente infidèle dès que mes yeux se posent sur le fessier rebondi de Raelyn. «Et je ne sais pas si je l’aime encore. Je ne sais pas grand-chose en fait. C’est un truc à graver sur ma tombe ça : Amos, le Jon Snow de Brisbane. » Et j’ai ri, bêtement. « Par contre, je vais devoir y aller. Mais, si ça te tente, tu peux toujours passer sur la Marina.» Je lui ai donné quelques indications supplémentaires dans l'éventualité où l'idée le brancherait et j'ai ajouté. « J'ai toujours des gâteaux apéritif en plus. Allez, à bientôt l'ami.» Ainsi, ai-je pris congé . |
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