| (noralfie) once you're gone, you can never come back |
| | (#)Lun 10 Fév 2020, 13:00 | |
| NORAH & ALFIE ⊹⊹⊹ Out of the blue, Into the black. They give you this But you pay for that. Once you're gone, You can never come back. « Avance un peu ton pied. » Il ordonne à sa filleule au dos appuyé contre ses jambes, alors qu’il a ses deux mains sur ses épaules s’assurant de la rattraper en cas de chute, malgré que son pied droit bloque les roues du skate, empêchant ainsi celui-ci d’avancer. « Comme ça ? » Alfie rattrape de justesse l’enfant qui est déséquilibrée par la planche qui s’élève soudainement. Il fronce les sourcils et secoue légèrement la tête. « Non, je voulais dire plutôt sur... » Il perd ses mots et agite l’une de ses mains vers la droite de la planche tandis que l’autre maintient fermement l’épaule d’Anabel pour éviter toute nouvelle maladresse. La petite l’écoute et les quatre roues regagnent le sol, permettant à Alfie de reprendre son souffle. Il ne manquerait plus qu’il rende Anabel à son père avec un bras cassé. Quoi que, peut-être que ça aura cicatrisé d’ici qu’il revienne, mais autant ne pas prendre de risque. Depuis qu’il s’occupe d’elle, elle s’est déjà mangé deux murs et une porte en jouant à la course-poursuite dans l’appartement, et a manqué la commotion lorsqu’il l’a un peu trop expulsée dans les airs au parc et qu’elle a bien failli se prendre cette branche d’arbre dont il n’avait pas calculé la présence. Autant éviter d’allonger la liste. Pourtant, promis, il fait de son mieux et il est persuadé d’être très attentif – le problème, avec Alfie, c’est que ça ne suffit jamais vraiment vu que son attention est minime. « Et là ? » La voix de la petite le ramène à terre, et Alfie affiche un sourire tandis qu’il acquiesce fièrement. « Parfait, tu comprends vite. » Il lui confirme, tandis qu’elle affiche son sourire le plus angélique et qu’il plisse instantanément les yeux. Elle a une idée derrière la tête lorsqu’elle affiche cette moue. « Alors je peux y aller ! » Qu’elle s’exclame, terminant à peine sa phrase que de son pied droit elle prend de l’élan et commence à filer, et Alfie est ravi d’avoir récupéré quelques pauvres réflexes pour fléchir légèrement ses jambes et se dépêcher de placer son bras au niveau du torse d’Anabel pour arrêter celle-ci avant qu’elle ne file, la faisant reculer alors que sa main libre appuie sur le dos de la petite pour l’empêcher de tomber en arrière. « Tu peux aller perdre tes dents sur, sa main dessine des cercles en voulant montrer le bitume, le sol, oui. » « T’es pas drôle. » Qu’Anabel boude face à un Alfie qui porte sa main à son cœur avant de s’essuyer le coin des yeux tel un clown triste, esquissant une moue exagérée. Anabel affiche un fin sourire, tandis qu’il reprend son sérieux et pose ses mains sur ses épaules. « Je te lâcherai quand je serai sûr que tu peux te… débrouiller. D’ici-là, je te tiens. » Il précise, tandis qu’il lui fait un bref signe de la tête pour qu’elle reprenne un peu d’élan et qu’il trottine à côté d’elle en s’assurant toujours de bien la tenir. Son équilibre n’est pas revenu à la normale, mais il ne manque plus de s’étaler par terre tous les trois pas – ce qui en soi est un véritable progrès. Un peu comme ses mots qu’il perd encore un peu, mais qu’il retrouve plus vite qu’il y a un mois. Il bégaie encore par moments, mais les difficultés résident plus dans des oublis de vocabulaire que dans l’échange de mots. Son œil a repris son axe, il ne louche plus même s’il a toujours besoin de ses lunettes. Oui, tout revient presque à la normale. Presque.
26 janvier. Invasion Day (que d’autres appellent fête nationale). Des festivités, des défilés, des feux d’artifice. Des pétards, qui s’ajoutent déjà au brouhaha ambiant du quartier, alors même que celui-ci n’est pas encore plongé dans l’obscurité nécessaire au début des réjouissances. Peut-être est-ce son rapport critique à ce jour particulier qui lui donne l’impression de ne plus être à sa place pendant un bref instant, de ne plus même être dans son propre corps et d’en être dissocié. D’observer les choses depuis une autre perspective, qui lui est étrangère alors qu’il l’a pourtant vécue. Ses yeux papillonnent autour de lui ; pourtant il reconnait les lieux, il sait qu’il se situe devant son immeuble, que nous sommes fin janvier, qu’il apprend à la prunelle de ses yeux à partager sa passion et qu’il était ravi par cette perspective. Tout ça, il le sait, car il est ancré dans la réalité. Alors pourquoi tout cela semble si irréel ? Pourquoi est-ce qu’il a l’impression de l’être lui-même ?
Pourtant, il s’est absenté, Alfie. Une fraction de seconde, peut-être moins. Il jure que ça n’a pas duré plus longtemps, que ça ne peut pas avoir duré plus longtemps. Peut-être même que ça n’a pas eu lieu. Mais s’il prêtait attention aux signes, il le comprendrait. Que le visage de l’idiot qui a lancé une poignée de pétards en leur passant à côté pour effrayer Anabel a pris d’autres traits pendant un instant, que la douleur dans son dos s’est réanimé un bref instant comme si elle était fraîche. Et surtout, qu’il a sursauté. Un simple sursaut qui lui fait relâcher sa prise autour des épaules de sa filleule dont il a oublié l’existence jusqu’à ce que ses pleurs remplacent les détonations qui résonnent dans ses oreilles et qu’il parvienne enfin à sortir de sa torpeur pour se précipiter jusqu’à sa filleule. Il s’agenouille rapidement et entoure sa frêle silhouette de ses bras en alternant entre des jurons auto-adressés et des tentatives de réconfort pour l’enfant qui, laissée à elle-même pendant une seconde, n’a pas manqué de perdre l’équilibre. Il finit par lui faire regagner sa liberté pour l’examiner et découvrir une belle égratignure sur son bras qui le fait paniquer alors qu’il se confond toujours en excuses auprès d’Anabel qu’il reprend dans ses bras pour regagner l’appartement, oubliant son skate sur le trottoir, car plus rien d’autre n’existe. « Désolé, désolé, désolé. » Qu’il poursuit alors qu’il monte quatre à quatre les marches et finit par arriver au numéro nonante-cinq, allongeant l’enfant, dont la crise de larmes commence à s’atténuer, sur le canapé. L’anthropologue fouille le congélateur à la recherche de glace, tout en pianotant sur son téléphone d’une main et revenir précipitamment vers Anabel. « Je suis désolé Anabel, je suis vraiment désolé. » Qu’il ne peut s’empêcher de répéter alors qu’il dépose la glace sur son bras et qu’entre deux larmes la petite esquisse un sourire. « Ça fait mal mais ça va. » Il secoue la tête par la négative ; non ça ne va pas. Non, parce qu’elle souffre car il a manqué à sa mission. Parce que c’est une enfant et qu’elle ravale ses propres sentiments parce qu’elle est trop mature pour son âge et réalise que c’est ce qu’il faut dire, ce que son parrain a besoin d’entendre. « Ne bouge pas, j’ai … appelé une amie, elle va venir s’occuper de toi. » Il la rassure en caressant ses cheveux, priant pour que Norah réponde à son message. « Je suis désolé, t’auras le droit à deux semaines de… desserts au caramel à chaque repas, je t’assure. » Anabel secoue la tête par la négative et Alfie se mord la lèvre. « À la vanille. » « À la vanille. » Qu’il confirme alors qu’il se penche pour embrasser son front, et peut-être pour qu’elle n’aperçoive pas la larme qui perle au coin de son œil.
La sonnerie retentit et Alfie se précipite pour ouvrir la porte d’entrée et faire face à Norah. Il tente un sourire alors qu’il l’invite à entrer d’un geste et se veut silencieux quelques instants après les politesses d’usage, le temps de trouver ses mots et de parvenir à présenter la situation. « Je suis désolé, qu’il débute, à croire qu’il n’a que ce mot-là à la bouche, je savais pas quoi faire. » Il avoue avant de rapidement reprendre. « On jouait dehors, et elle, enfin je-j’ai, il se masse la tempe un instant, s’agace de se perdre encore une fois et d’avoir autant de peine à faire une simple phrase, je l’ai laissé échapper, et elle est tombée. » Il soupire, en colère contre lui-même, alors qu’il reprend. « Je peux pas aller à l’hôpital. Pour elle, c’est… compliqué. Et ses ga-grands-parents, ils vont me faire la misère s’ils l’apprennent. » Il se passe une main sur son visage, tandis qu’il avance un peu dans la pièce jusqu’à arriver à hauteur de la petite. « C’est son bras. Je crois pas qu’il soit a… cassé, mais je… j’en sais rien. » Qu’il finit par dire alors qu’il prend ses distances et recule de quelques pas. Il n’en sait rien. Et dans sa tête, il y a ces voix qui résonnent, qui prennent le ton de ses parents, de son oncle, de sa tante, de Stephen et même de Juliana, qui répètent toujours la même chose : tu seras toujours un incapable. Et peut-être même qu’il commence à y croire.
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| | | | (#)Mar 11 Fév 2020, 15:30 | |
| ONCE YOU'RE GONE, YOU NEVER CAN COME BACK it's better to burn out than to fade away | |
Il disait avoir besoin d'air. esoin de s'éloigner afin de remettre de l'ordre dans ses idées. Norah était tombée des nus lorsque son jumeau lui annonçait qu'il comptait partir quelques temps de Brisbane. Pour faire le vide. Ou refaire le plein. Qu'importe. Au fond, elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Il venait de perdre son boulot, avait révélé à sa famille qu'il était divorcé depuis un an. Il avait honte, il s'en voulait terriblement d'avoir déçue sa jumelle, de l'avoir mis dans le même panier que les autres alors que leur relation fraternelle avait tout d'exclusive et fusionnelle. Il était parti, et voilà qu'elle se sentait terriblement seule. Elle ne l'était pourtant pas, elle savait que si elle appelait Anwar, il décrocherait dans la demi-seconde. Ses grands frères savaient se faire présents également. Elle déposait l'une de ses mains sur sa nuque afin de la masser, alors qu'elle était restée debout, statique, au beau milieu du séjour, à se demander ce qu'elle pourrait bien faire d'elle-même. Norah n'était plus qu'un fantôme, l'ombre d'elle-même. Tous ces récents événements la poussaient à bout et chaque jour vécu devenait de plus en plus insupportable. Les nuits blanches étaient quotidiennes, les migraines aussi. Le point constant qui comprimait sa poitrine lui demandait de doubler ses efforts quand il s'agissait de se lever le matin et de démarrer une nouvelle journée. Elle puisait son énergie dans une sourcie tarie depuis longtemps. Sa main passait ensuite sur son visage, afin d'effacer un sillon de larmes qu'elle n'avait même pas sentir couler. Elle était épuisée, Norah. Peut-être qu'elle commençait à croire qu'elle avait besoin d'une pause. Ou que tout s'arrête. Elle n'en savait rien. Elle avait un peu maigri, aussi. Non pas qu'elle ait perdu le goût de cuisiner, loin de là. Norah trouvait toujours un peu de plaisir à pâtisser et cuisiner, sauf qu'elle ne se faisait jamais plaisir à elle. Le retentissement de son téléphone l'effraya de plus belles, faisant galoper subitement son coeur dans sa poitrine. L'espace d'un instant, il y avait cette angoisse, la crainte qu'il ne s'agisse d'une mauvaise nouvelle. Elle ignorait d'où venait cette peur mais elle était pourtant bien là. Il s'agissait finalement d'Alfie qui avait maladroitement écrit un SMS. Ses inattentions le faisaient parfois bégayer, lui provoquaient des moments d'absence. Norah n'allait pas paniquer avec ces quelques lettres en trop qui laissaient plutôt croire qu'il avait écrit le message à grande vitesse. Ce n'était que des mots, mais elle devinait qu'ils étaient alarmistes. Comme un robot qui sortait de son mode veille, Norah se dirigeait dans la salle de bains d'un pas pressé afin de mettre dans un petit sac ce dont elle pouvait avoir besoin pour soigner Anabel. Elle voyait large, ne sachant pas trop à quoi s'attendre. L'armoire à pharmacie était toujours bien équipée. Norah ne se cachait pas vraiment d'être un brin kleptomane à l'hôpital en chipant deux-trois compresses et du désinfectant ici et là. Rien qui ne pourrait causer la ruine de l'établissement, en somme. Soudainement, elle se sentait moins vide. Grâce au message de son ami, Norah s'était trouvée un but, une raison d'exister et de quoi occuper une petite partie de sa journée. Une fois arrivée sur place, Alfie ouvrit la porte d'entrée dans les courtes secondes après avoir sonné. Elle ne s'attendait pas à ce que la porte soit ouverte si vivement par un Alfie des plus paniqué. L'infirmière n'avait définitivement pas l'habitude de le voir comme ça. Il l'invita à rentrer d'un geste, sans prononcer le moindre mot pendant quelques temps. "T'en fais pas. Je faisais rien de particulier de toute façon." lui répondit-elle en le fixant attentivement. Elle l'avait déjà vu perdre ses moyens, mais jamais de cette façon là. En colère contre lui-même, étouffé par le poids d'une culpabilité qui le dépassait totalement. Alfie n'avait pas eu le contrôle sur les événements et il s'en voulait énormément pour cela. Il lui expliquait rapidement la situation, devant redouble d'effort pour stimuler ses neurones et parvenir à tout remettre en place. "Alors les grands-parents n'en sauront jamais rien." lui assura-t-elle avec un fin sourire. Comme toujours, le ton de sa voix reste calme et apaisant, même en voyant Alfie faire les cent pas. Elle allait gérer l'énergumène un peu plus tard car si elle ne s'occupait pas d'Anabel en premier lieu, elle n'allait rien pouvoir faire avec lui. Alors Norah s'installait au bord du canapé, à côté de la fillette. "Salut Anabel." dit-elle à voix basse, un sourire sympathique étirant ses lèvres. "Toi et moi, on se connaît pas. Mais je connaissais bien ton papa." Ils avaient prévu, à l'époque, de passer une journée au parc afin qu'Anabel fasse la connaissance des petits Lindley. Mais le temps leur manquait et Stephen avait fini par partir. "J'ai un garçon qui tombe très souvent aussi, alors les bobos là, je les connais par coeur." lui assura-t-elle."Tu me laisses regarder ton bras ?" La petite semblait intrépide, et malgré les larmes apparentes, elle semblait bien gérer la douleur. Il y avait en effet un très bel hématome qui s'était formé sur son avant-bras et elle félicitait le réflexe d'Alfie d'avoir mis du froid dessus. Il avait un instinct parental bien plus marqué qu'il ne pourrait un jour l'admettre. Norah demandait à la petite de bouger son coude et l'articulation de son poignet. C'était en général un bon indicateur pour savoir s'il y avait une fracture ou non et le fait qu'elle ne hurle pas de douleurs à chacune de ses mouvements était particulièrement rassurant. "On va continuer à mettre du froid dessus. Si ça te fait du bien, tu peux en mettre aussi longtemps que tu veux, mais, pense toujours à mettre une serviette autour de la glace, ou sinon, tu mets un gilet. Jamais du froid directement sur ta peau, d'accord ?" lui expliqua-t-elle avec un large sourire. Prise d'affection pour cette petite, elle se permit de déposer un baiser sur son front. "Tu es bien courageuse." On voyait que ça lui faisait mal, mais Anabel était d'un self-control des plus surprenants. Pour avoir passé quelques minutes avec elle, Norah se disait qu'elle pouvait autant bien s'entendre avec Aidan qu'avec Julie, malgré la différence d'âge. Norah lui donnait quand même une dose de paracétamol et comptait filer une bouteille à Alfie tout en lui écrivant les doses à administrées si les douleurs étaient menées à revenir. "Je te laisse te reposer un petit peu là, je vais aller discuter avec ton parrain. Je reviens te voir après, mais si jamais tu commences à avoir très mal, faut pas hésiter à me le dire, d'ac ?" "Nan, j'aimerais bien aller jouer. Ca fait déjà moins mal. C'est le médicament je pense." La magie de l'effet placebo. "Promis, je fais attention." "Alors, si tu le promets..." répondit Norah en levant les mains en l'air, ne comptant certainement pas l'en empêcher. Elle semblait savoir quand s'arrêtait si ça lui faisait trop mal. Elle relativisait vite. Anabel maintenait précieusement le froid sur son bras pour aller jouer un peu plus loin. Voyant que ce côté là était géré sans trop de peine, il était temps de se focaliser sur Alfie. Norah passa une main délicate dans les cheveux de la fillette avant de se lever et de se diriger vers un Alfie qui était en train de perdre les pédales. "Hey." dit-elle en effleurant la peau de son bras afin d'avoir son attention. "Viens t'asseoir trente secondes." Le ton lui laissait largement comprendre qu'elle ne lui laissait pas le choix. Faire les cent pas indéfinimement ne lui était absolument pas bénéfique. Ce n'était que le reflet de sa contrariété, de la déception qu'il ressentait envers lui-même, de la peur panique ressentie en voyant sa filleule au sol. Elle le guida jusqu'à un fauteuil et déposa ses mains sur ses épaules pour le forcer à s'asseoir. Il avait beau être un grand gaillard, elle arriverait tout de même à s'imposer à un moment donné. "Tout va bien, Alfie." lui souffla-t-elle tout bas. "Regarde-moi." Une fois qu'elle avait ses iris ancrés dans les siens, elle répéta. "Tout va bien." Quelques mois plutôt, c'était Juliana qu'elle devait rassurer. "C'est juste une très gros bleu, il y a rien de plus." Elle n'était pas médecin mais à force de travailler aux urgences, elle arrivait à repérer les caractéristiques d'un bras fracturé. "Et tu as eu le très bon réflexe de mettre de la glace dessus." ajouta-t-elle avec un sourire encourageant. "Des gamelles et des bleus, elle en aura encore plein d'autres." Aidan n'avait que quatre ans mais il avait un talent certain pour se casser la binette. "Tu t'y connais aussi très bien en hématome et tu sais que ça prendre un certain temps à partir, mais il y a pas de signe de gravité." Attendrie et touchée qu'il acceptait qu'elle le voit dans une telle situation de faiblesse, Norah fut prise d'affection pour lui. Elle était tentée d'effleurer son visage mais refoula rapidement cette pensée, se disant que son geste ne pouvait qu'être mal interprété. Elle, avoir le béguin pour lui ? Pff, n’importe quoi. L'infirmière prit finalement ses mains. Ca, ils l'avaient déjà fait. Ca avait toujours été un peu étrange, mais pas désagréable. "Qu'est-ce qu'il s'est vraiment passé pour que ça te retourne autant ?" Il devait y avoir autre chose, c'était évident. Il était le premier à encourager Aidan à continuer de trébucher sur un sol parfaitement plat, alors pourquoi autant paniquer pour une chute d'Anabel ?
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| | | | (#)Dim 16 Fév 2020, 15:58 | |
| L’arrogance d’Alfie n’est plus à prouver ; si elle est particulièrement flagrante dans le domaine professionnel, au fil des années elle a dépassé ce strict cadre pour s’exprimer également dans la société de manière plus large ainsi que dans le domaine privé, auprès de son entourage proche autant qu’à l’égard d’individus qu’il considère comme quelconques et qui n’ont jamais plus recroisé son chemin (parce qu’il s’agit d’un concours de circonstances ou parce qu’il les en a dissuadé, c’est une autre histoire). Mais Alfie n’a jamais eu honte de sa confiance en lui ; bien au contraire, c’est grâce à elle qu’il est parvenu à franchir la plupart des obstacles qui se sont dressés sur son chemin et qu’il en est arrivé là où il en est aujourd’hui. Ses parents lui ont toujours apporté un soutien timide – que, dans sa vision égoïste des choses, il tend à considérer comme simplement inexistant même si, dans les faits, c’est plus compliqué que cela – il a ainsi dû trouver des parades pour compenser ce manque. Cela s’est d’abord traduit par une autosatisfaction visant à lui permettre de considérer ses buts comme atteignables, et la réussite ainsi que l’expérience acquises au fil des années ont progressivement transformé cela en une confiance prenant parfois la forme d’un mépris à l’égard des autres. Mais il ne s’en est jamais excusé ; considérant qu’il n’avait pas à le faire s’il se sait supérieur aux autres dans certains domaines, comme c’est le cas de son travail. Il sait ce qu’il vaut, et s’il considère que c’est pertinent de douter de soi, lorsque cela en devient trop handicapant, il se fie à ses excellentes notes au cours de son cursus, la liste interminable des articles auxquels il a contribué et les collaborations pour lesquelles on est venu le chercher. Il est efficace dans son travail, Alfie, et il n’a jamais compris pourquoi la certitude de l’être est ainsi mal perçue, dans une société qui pousse pourtant à l’individualisme et à la compétition, nécessitant ainsi d’avoir pleinement conscience et satisfaction de ses propres capacités. À ses yeux, l’arrogance en devient un défaut lorsqu’utilisée pour dissimuler des insécurités et des instabilités, ce qui n’est pas son cas. Évidemment que non.
Et pourtant. Instable, Alfie est catégorisé comme tel depuis son enfance ; et les insécurités sont apparues au fil des derniers mois, alors que des responsabilités auxquelles il n’aurait jamais pensé être confronté se sont imposées à lui. Son agression, tout d’abord, et toutes ses obligations légales et médicales liées à celle-ci. Lancer la procédure judiciaire en tentant de reconstruire son corps et son esprit ; des instants difficiles par lesquels il est passé deux ans plus tôt et qu’il aurait voulu ne jamais connaître à nouveau. Et si son entourage proche tend à considérer qu’il s’agit de l’épreuve la plus éreintante à laquelle il a été confronté, de son côté Alfie n’envisage pas les choses sous cet angle : ce sont bien ses engagements auprès d’Anabel qui s’avèrent les plus difficiles à subir au quotidien ; parce qu’il réalise avec le recul qu’il n’était pas prêt, et que de toute évidence, il ne l’aurait jamais été. Il n’est pas seulement question de son état physique qui le restreint au quotidien, bien plus qu’il ne veut l’admettre, ni de son aversion générale à l’idée d’avoir une vie de famille, mais bien de la prise de conscience, sournoise, qui le met de plus en plus face à l’évidence : il a des choses à régler, quand bien même il prétend le contraire. Et peut-être que ses proches ont gagné, finalement. Peut-être était-ce leur volonté en tentant de le persuader de la mauvaise idée proposée par Stephen ; qu’il n’est pas à même de s’occuper d’un enfant et que les capacités qu’ils n’ont cessé de remettre en cause n’ont rien à voir avec sa personnalité, mais avec la personne qu’il est devenue ces derniers mois. Qui sursaute au moindre bruit, qui devient agressif à la moindre contrariété, qui s’emmêle dans ses propres mensonges pour tenter de garder le contrôle d’une situation sur laquelle il n’a pourtant aucun pouvoir. Comme trop souvent, la machine qui lui sert de boîte crânienne s’active, et ne tarde pas à surchauffer alors que son regard se perd sur Anabel et Norah devant lui, sans parvenir à les voir, alors que les pleurs de sa filleule ont remplacé les détonations qui résonnent d’ordinaire en boucle dans sa tête. Et finalement, c’en est que plus insupportable, parce qu’il se sait coupable cette fois-ci. Il ne peut pas imputer la responsabilité à autrui, considérer qu’il ne s’agit que d’un malheureux concours de circonstances. Non, s’ils en sont là aujourd’hui, c’est uniquement à cause de lui. Et il aurait pu l’éviter, s’il avait mis sa fierté et son arrogance de côté pour le bien d’Anabel. Mais Alfie n’en a pas été capable, s’est cru plus fort que tout ce qui parasite son esprit et qui prend de plus en plus de place dans son quotidien. Il s’est cru invincible, alors même que les derniers mois lui ont prouvé qu’il ne l’était pas ; bien au contraire, il ne voit plus que ses faiblesses.
Et même l’assurance que les parents de Rachel ne seront jamais au courant de cet accident (même s’il ne peut pas prévoir les faits et gestes de la petite) ne parvient pas à calmer son rythme cardiaque alors que, les pleurs toujours en fond sonore, il ne cesse de se questionner, jusqu’à s’en flageller. Il ne revient à lui que lorsque la silhouette d’Anabel lui passe devant pour aller jouer dans la chambre et c’est un « et surtout, tu nous av-appelles, hein, si ça va pas ? » étouffé par la culpabilité qui se heurte au maigre sourire d’Anabel qui lui brise le cœur. Reportant ensuite son attention sur Norah dont la présence se fait sentir à ses côtés, il formule de nouvelles excuses : « désolé, encore, du dérangement » il murmure alors que Norah se veut plus ferme en posant ses mains sur ses épaules afin de l’obliger à prendre place sur le fauteuil. Affaibli, il se laisse faire, finissant par relever les yeux sur ordre de l’infirmière. « Non, c’est... » Il débute en passant une main sur son visage et en demeurant silencieux dans une tentative de remettre de l’ordre dans ses pensées. Ce n’est pas qu’un bleu, c’est bien ça le problème. C’est tout un engagement qu’il a juré être capable de tenir qui est réduit en poussière, c’est toute la déception mêlée à de la satisfaction dont il est à l’origine qu’il verra dans le regard des Forbes, et peut-être même dans les yeux de ses propres parents. C’est toutes ces capacités dont il s’est cru capable au fil des semaines, commençant à apprécier ce rôle malgré ses doutes, et ce retour à la réalité est des plus brutales. « Mais c’est pas suffisant. J’aurais dû y penser, que… enfin, pas directement sur la por-peau, mais je l’ai pas fait. » N’importe quel être humain le sait, lui le premier pour avoir bien trop souvent eu besoin de glace sur les multiples blessures qu’il s’inflige – volontairement ou non. Un rire léger, nerveux, s’échappe d’entre ses lèvres alors que Norah évoque sa propre expérience en la matière, laissant supposer qu’il est le mieux placé pour savoir que ce n’est rien de très grave. « Ce n’est pas une excuse pour autant. » Il se perd dans ses pensées un instant avant que le contact des doigts de Norah sur ses mains le ramène à lui. « C’est juste que… j’ai pas le droit à l’erreur, c’est ça, le problème. » Il finit par admettre ; car finalement, ce n’est pas le bleu que l’enfant a qui est problématique, mais tout ce que cela va impliquer pour son parrain. Et le plus terrible dans tout ça, c’est que son inattention ne peut pas être pardonnée ; parce qu’elle aurait pu être évitée. Si seulement il acceptait de s’ôter ses œillères, et d’accepter la réalité qui est désormais la sienne. « J’ai merdé, et c’est pas la première fois. » Et il ne serait pas surpris qu’une assistante sociale débarque à l’improviste. Il ne maltraite pas Anabel, oh ça, jamais de la vie, mais il n’est pas assez attentif, et c’en devient grave. Et malgré ce constat, sa fierté l’empêche d’accepter la défaite et de convenir d’un retour d’Anabel chez les Forbes. « J’arrive pas à gérer, j’arrive pas à… j’arrive pas à être assez pro-présent pour elle, attentif, à être assez bien, ou responsable. » Non, c’est tout l’inverse, même. C’est une véritable catastrophe, et Stephen n’est pas encore de retour avant plusieurs semaines. « J’en suis pas capable, et je crois que… ça me fait ra-réaliser que c’est quelque chose que je peux pas offrir à Jules. » Et il le verbalise pour la première fois. Ce rêve d’une vie de famille que Jules porte, et qu’il a piétiné en confiant ses doutes, tout en expliquant qu’il n’était pas totalement réfractaire. Et s’il y a quelque chose qu’Anabel lui a fait comprendre, c’est qu’il ne l’est absolument pas, au contraire. Mais il n’en est pas capable, et c’est une autre histoire. Et n’importe quelle parole bienveillante ne parviendra pas à le faire changer d’avis ; il l’a laissée tombée. Au sens propre, mais surtout au sens figuré. Et ça, il ne sera jamais en mesure de se le pardonner. « T’as l’air fatiguée. » Qu’il finit par reprendre en relevant les yeux vers elle ; et si Alfie tend à changer de sujet pour que l’attention soit portée ailleurs, la constatation est pourtant bien réelle, et elle ne pourrait prétendre qu’elle va aussi bien pour cacher son mal-être à quelqu’un qui exécute le même mécanisme de défense.
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| | | | (#)Dim 16 Fév 2020, 22:21 | |
| ONCE YOU'RE GONE, YOU NEVER CAN COME BACK it's better to burn out than to fade away | |
L'angoisse à l'idée d'avoir des petits êtres sous sa responsabilité et qui comptaient sur eux pour grandir comme il se doit avait été des plus présentes dans l'esprit de Frank dès que son épouse avait fait part de son envie d'enfanter. Elle ne s'en était jamais cachée et l'assurance et la confiance qu'elle avait en en parlant le déroutait plus qu'autre chose. Frank n'avait pas de famille. Enfin si, mais il s'y était éloigné pour de nombreuses raisons, car elle ne lui apportait rien de bon et que lui souhaitait de tout coeur forger la sienne, de ses propres mains. Le frère qu'il avait, il préférait n'avoir plus aucun contact avec lui. C'est pourquoi Norah ne pouvait, à l'heure actuelle, ne compter sur aucun membre des Lindley. Il avait puisé sa force à la fois chez sa femme, mais surtout en demandant conseil à Anwar. Mais dès que Julie avait vu le jour, tout l'amour qu'il pouvait ressentir pour cette tout petite chose lui octroya une force qu'il ne pensait même pas avoir. Et devenir père devenait alors une évidence, s'en voulant encore d'y avoir tant douté. Ce n'était pas un métier fait pour tout le monde. Par peur, par choix, par envie. Ils s'étaient toujours sus imparfaits et aucun des deux n'allait dire que leur éducation était parfaite, mais ils cherchaient à la tendre vers l'idéal qu'ils visualisaient. Alfie, lui, n'était absolument pas dans cette optique là. Pourtant, il prenait son rôle de parrain très à coeur en s'occupant d'Anabel au quotidien. A croire qu'il avait fait appel à Norah à la fois pour ses compétences d'infirmière, mais aussi de Maman. Le voir aussi déstabilisé était perturbant. Le Maslow, qui jusque là faisait le fier, l'intrépide, le téméraire, se retrouvait totalement perdu et paniqué. "Tu me déranges pas. Pour ce que j'avais à faire." lui souffla-t-elle d'un ton calme. Elle imposait à son ami de s'asseoir, afin qu'il souffle un coup et se détendre. Le plus important, c'est que la petite aille bien, et c'était le cas. Abattu au possible, le bel homme passait une main sur son visage. La brune comprenait bien que le simple fait d'avoir filleule sa filleule debout sur ses deux jambes, prête à jouer comme si de rien n'était. Il restait fixé sur les erreurs qu'il avait commises, à se flageller encore et encore sur les récents événements. "C'était suffisant." lui rétorqua-t-elle d'un ton ferme. "Ce sont des détails, Alfie. Dans la panique, on fait les premières choses qui nous viennent en tête, à se concentrer sur les priorités. Tu as eu le bon réflexe, point à la ligne." D'une main délicate, elle était venue saisir la sienne non sans une certaine hésitation. Elle appréciait pourtant ce contact, alors pourquoi l'avoir craint, l'avoir trouvé bizarre au point de l'éviter pendant toutes ces années ? "Pourquoi t'aurais pas droit à l'erreur ?" Norah avait légèrement froncé les sourcils. "Tu crois que j'en fais jamais ?" Bien sûr, ses connaissances infirmières l'avaient beaucoup aidé sur beaucoup de choses, mais Norah n'était pas médecin, encore moins pédiatre. "J'en fais encore. Souvent, même." C'était inscrit dans le rôle maternel. A ses yeux, la mère parfaite n'existait tout simplement pas. "C'est comme ce qu'on leur dit, que c'est en faisant des erreurs qu'on apprend. Ca compte toujours pour nous. Qu'on soit parent, oncle, parrain, marraine,... On est logé sous la même enseigne." Parce que l'instinct maternel n'existait tout simplement pas chez l'Homme. Ce n'était pas inné. C'était un terme piqué pour décrire les talents d'une mère. Mais ça n'existait au fond que chez les animaux. Bien sûr que les hormones les mettaient totalement en vrac, mais il n'y avait aucun phénomène biologique scientifiquement prouvé qui puisse confirmer qu'une femme était dotée d'un instinct maternel. Il y avait de l'intuition, de l'expérience, un quelque chose, ça oui, mais rien d'instinctif. "Tu penses pas que le simple fait que tu penses que t'as pas le droit au moindre pas de travers prouve à lui seul que tu es un bon parrain ?" l'interpella-t-elle en serrant sa main un petit peu plus fort. "Le simple fait que tu te poses des questions prouve que tu es un bon parrain, Alfie. Qu'elle tombe, c'est pas de ton fait. Tu pourras pas la rattraper à chaque fois, et crois-moi, je sais de quoi je parle. Quand Aidan se vautrait à chaque fois, tu n'avais pas idée combien je paniquais à cette idée, combien je culpabilisais. Et après que Frank... Bref, c'était pire. Je me sentais seule et la personne que j'aimais le plus au monde n'était plus là pour me dire que j'étais une bonne mère, que je devrais laisser Aidan tomber, que ça le forgera. Et au fil des semaines, ça s'est calmé, et j'ai appris à repérer les fois où c'était grave ou pas." Un faible sourire vint étirer ses lèvres alors qu'elle restait plongée dans son regard. "La première personne qui osera douter de tes capacités à éduquer Anabel, je lui frappe la tête contre un mur." Il arrivait à Norah d'avoir des propos parfois violents, alors qu'elle ne l'était pas. Quoi que parfois sa répartie en détendait plus d'un. Qu'Alfie se sente aussi pessimisme à son propre sujet inquiétait beaucoup son amie. Il n'était pas du genre à se laisser abattre. "J'en mettrai ma main à couper que si là, maintenant, on demande à Anabel si elle pense que c'est de ta faute qu'elle soit tombée, elle dirait non." La gamine semblait être très mature pour son âge. Mais ce que Norah préférait chez les gosses, c'était que leur sincérité était sans filtres. Ils disaient ce qu'ils pensaient, sans se soucier de jouer la carte de la diplomatie. Et quand ils mentaient, ça crevait les yeux. Alfie, lui, remettait tout en question. Peut-être même les paroles de son amie. "Tu en es capable." La preuve, Anabel était toujours envie, elle ne se plaignait pas de quoi que ce soit; elle était heureuse. La frustration allait au-delà du rôle à responsabilités de son ami. Il s'en voulait certainement d'avoir toujours ces moments d'absence, ces bégaiements et ces hésitations que Norah ne tenaient même pas compte. "Mais est-ce que c'est quelque chose que tu veux ?" D'avoir un enfant. Entre vouloir et pouvoir, la limite pouvait tout aussi étroite qu'éloignée. Effectivement, Juliana ne cachait pas ses envies de fonder une famille et son compagnon semblait voir cela comme un poids supplémentaire, un rôle auquel il ne pouvait consentir. Du fait de sa personnalité, de son incapacité à se montrer sédentaire, et plus récemment, de son traumatisme à la fois physique et psychique qu'il a eu il y a quelques mois. C'était donc de ce projet de ce projet d'enfants qu'ils n'avaient pas en commun, ce à quoi la brune faisait allusion quand elles avaient discuté ensemble quand il était encore hospitalisé. Norah n'était pas certaine d'apprécier ce statut qu'elle avait, cette impression de se trouver au beau milieu du couple, de connaître les avis de l'un et l'autre. "Tu serais pas seul à l'éduquer, ce petit." reprit-elle d'une voix douce. "Je cherche pas à te convaincre de quoi que ce soit, Alfie. C'est pass mon problème et c'est quelque chose qui reste entre vous deux. Mais dans tout ça, dis-toi que tu seras pas seul. Juliana sera là, tu as des proches sur qui compter." Norah était à deux doigts de se proposer baby-sitter parce que bon Dieu, qu'est-ce que ça lui manquait de porter un nouveau né dans ses bras, mais elle ne voulait pas effrayer Alfie en envoyant des plans pareils sur la comète. "Je veux pas prendre de parti, c'est pas mon job, là, de toute façon. Je veux..." Norah soupira. "Je veux juste le meilleur pour vous deux, vraiment." Elle se surprenait à avoir un pincement au coeur en disant cela alors qu'elle pensait chacun de ses mots. Quelle impression désagréable, elle avait horreur de ça. "Je sais que t'es quelqu'un qui manque parfois cruellement de patience. Mais prends-toi le temps de réfléchir à ça. Je sais que tu l'as déjà fait. T'occuper d'Anabel t'a permis de considérer les choses autrement, peut-être. Tu l'adores, cette petite." Mais pour le moment, la balance semblait pencher vers un refus catégorique de concevoir. "Juste... Prends pas une décision sur le coup de l'émotion. Ne la prends que lorsque tu seras certain que, quoi que tu décides, tu n'auras pas de regrets." Car il n'y avait rien de pire que ça, que de vivre avec des regrets. C'était le cas de l'infirmière, qui s'épuisait face à des pensées qui voûtaient son dos et qui martelaient son âme au quotidien. Détail qui semblait sauter aux yeux et le Maslow ne se gênait pas de le faire remarquer. Elle lâchait un soupir exaspéré, lassée d'entendre cette phrase encore et encore. Ils eurent un échange de regard, incroyablement long. De ceux qui voulaient dire "on arrivera jamais à se berner l'un l'autre pas nos tours de passe-passe." Sauf que Norah n'était pas venu pour parler de soucis qu'elle refusait elle-même de voir. Ce serait un bien triste constat, de voir que l'on est plus qu'un pantin dépourvu de toute vivacité, dont les ficelles ne sont plus tirées que par des automatisme peu à peu abîmées par des idées noires contre lesquelles elle tentait de lutter au quotidien. Mais les cordes cédaient, une à une. A se demander comment elle arrivait encore à communiquer, à marcher, à rouler. Son épuisement sera sa perte, un jour. "Je le suis." admit-elle sans détour. Exactement la même réponse à la même remarque qu'Anwar lui avait fait quelques temps plus tôt. Cette fois-ci, elle n'avait plus l'excuse du fait que son fils fasse des nuits blanches parce qu'on l'avait persuadé qu'il y avait un monstre sous son lit. Monstre que son parrain avait vaporisé et qui avait disparu. Depuis, Aidan dormait sur ses deux oreilles. Elle ne pouvait non plus prétendre que c'était parce qu'elle avait bossé la nuit d'avant. On en avait enlevé certaines séries de nuit parce qu'on pensait qu'elle avait besoin de repos et qu'elle devait arrêter de tirer sur la corde. Norah en avait assez que ses supérieurs pensaient croire qu'ils savaient mieux qu'elle ce qui était le meilleur pour sa santé. Elle pensait qu'ils avaient tort, alors qu'ils avaient raison. Si ça ne tenait qu'à Andy, il lui collerait une mise à pieds pour le simple fait qu'elle n'ait pas à retourner au boulot. A la place, il avait songé à une méthode plus délicate, même s'il savait que son amie s'en vexerait. Le papier était sur son bureau, il n'arrivait juste pas à se décider quand le lui donner. "C'est rien." lui dit-elle en forçant un sourire. "Quelques insomnies, rien de bien méchant." Quelques ? C'était quotidien depuis quelques temps déjà. S'il y avait bien un point commun qu'ils partageaient tous les deux, c'était qu'ils avaient une sainte horreur de se sentir en position de faiblesse. Et par cette simple constatation, Alfie l'y contraignait. Et ça non plus, Norah n'aimait pas. Elle ne voulait pas qu'il ait une telle influence sur elle. Surtout pas pour ça. Et encore, elle devait se montrer contente que personne ne lui ait fait de remarques cinglantes sur sa perte de poids. Norah avait beau aimer cuisiner et pâtisser, elle ne mangeait pas pour autant. Elle n'avait pas faim, de toute façon. "Et pour le peu que je dors, c'est loin d'être reposant." Des cauchemars, systématiquement. Son esprit n'avait trouvé que pour le moment ce seul moyen pour exprimer ne serait qu'un soupçon de sa souffrance, à défaut de voir son hôte refuser encore et encore de l'exprimer à haute voix, à admettre une détresse qui la consumait. A en voir l'expression d'Alfie, sa réponse était loin d'être suffisante. Mais par ces simples mots, à force d'être répétés par plusieurs personnes chères à l'entourage de la brune, il continuait à gratter un mur sur le point de s'effondrer et il ne voudrait certainement pas voir ce qu'il y avait derrière cette muraille poreuse. "T'en fais pas pour moi. T'as déjà bien assez à penser de ton côté et deux nénéttes à gérer au quotidien. Tu veux certainement pas t'en coltiner une troisième." dit-elle en tentant une pointe d'humour. "On en a tous, des coups de mou." relativisa-t-elle, encore une fois. Elle franchirait le point de non-retour bien plus rapidement qu'elle ne pourrait le penser, de toute façon. Autant le retarder autant que faire se peut.
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| | | | (#)Lun 24 Fév 2020, 20:01 | |
| Il a essayé. Il a vraiment essayé, de conserver cet optimisme qui l’a longtemps caractérisé, au point d’en devenir une part de lui-même, une part qui s’est fragilisée avec le temps et qui commence à s’effacer sans qu’il ne puisse l’en empêcher. Lui-même ne comprend pas ; si les derniers événements ont évidemment eu un impact sur sa façon de voir les choses, ce ne sont pas les premiers obstacles qui se dressent sur son chemin ; et Alfie est passé par des situations bien plus complexes sans que cela ne mette à mal sa bonne humeur et sa tendance à voir le verre à moitié plein. Il n’arrive pas à l’expliquer lui-même, pourtant il se rend compte qu’il a changé même s’il refuse de l’admettre. Il n’a jamais été très patient, Alfie, et il met cet agacement constant qu’il ressent depuis quelques semaines sur le dos d’Anabel et la manière dont celle-ci a bouleversé son quotidien. Mais ce n’est pas légitime – et il le sait. Quand bien même l’enfant fait à quelques rares occasions des caprices (si possible devant sa marraine, sans quoi ce n’est pas drôle), Anabel coche toutes les cases de l’enfant dont rêve les parents. Elle est obéissante, malléable, s’adapte sans difficultés, responsable et mature malgré son jeune âge. Alfie n’a pas le droit de se plaindre de la fillette tant elle lui facilite la vie, et tant il adore. C’est la raison pour laquelle il est très difficile d’assumer les sentiments ambivalents que cette situation lui cause ; partagé entre la joie d’avoir une partenaire de jeu de son niveau, et celle d’avoir dû renoncer à une part de sa liberté alors qu’il s’apprêtait enfin à la retrouver. Peut-être même qu’il lui en veut un peu, et à Stephen aussi, de l’avoir brimé alors qu’il se sentait prêt à reprendre sa vie là où il l’a laissée deux ans auparavant. Et l’agression récente dont il a été victime n’a rien à voir dans cette irritation nouvelle, parce qu’Alfie va bien. Non, il persiste et signe, le seul élément perturbateur dans son quotidien est cette enfant dont il a provisoirement la garde, parce que c’est une situation sur laquelle il a un minimum de maîtrise et dont l’issue lui sera favorable lorsque Stephen rentrera au pays. Il y a une solution à ce qui n’est pas vraiment un problème dans le fond, c’est lui qui a accepté et s’est battu pour avoir la garde d’Anabel contre les Forbes, et il ne changerait pas sa réponse s’il avait la possibilité de revenir en arrière. Il aime Anabel, de tout son cœur, tel qu’il ne pensait pas avoir de l’affection pour un quelconque autre être humain à part lui-même, et s’il n’a jamais pu se racheter auprès de Rachel de son vivant, cette possibilité lui est désormais offerte et il ne peut abandonner Anabel comme elle a été abandonnée par tous les adultes autour d’elle. Lui compris, lorsque sa réaction face à la maladie de Rachel a été de partir à l’autre bout du monde et espérer y rester à sa place. Peut-être est-ce la raison pour laquelle son accident n’a jamais été considéré comme aussi tragique que son entourage le voyait ; parce qu’il a touché son objectif du bout des doigts et il aurait pu partir avant elle, évitant la douleur d’être dépossédé d’une partie de son être, écorché vif des bouts que Rachel avait façonné au fil des années et qu’elle a repris avec elle au moment où elle a poussé son dernier soupir. Elle est morte et eux sont restés ; ils ont un devoir de mémoire, et peut-être même qu’il déteste aussi un peu Rachel pour ce rôle qui pèse sur ses épaules depuis ce jour de février 2018. Et ça ne lui ressemble pas, tout ça. Si son caractère l’a souvent amené à se faire des ennemis, Alfie n’a jamais été en colère de cette manière ; pas gratuitement du moins. Parce qu’ils n’ont rien fait, Anabel, Stephen, Jules, même Norah et son ton compatissant qui pourrait presque l’agacer. Ils n’y sont pour rien, mais Alfie ne parvient pas à voir les choses de cette façon et tente de contenir cette irritation qu’il sait injustifiée sans pour autant s’en débarrasser. Elle le persécute depuis des semaines, et ne compte pas s’en aller malgré tous ses efforts pour la chasser de son quotidien.
Alors peut-être que c’est suffisant pour un regard extérieur, pour le sien ça ne l’est pas ; et il n’a pas su s’occuper de sa filleule comme il l’aurait fallu, même si les propos de Norah tentent de le persuader du contraire. Et il s’agace silencieusement un bref instant, fatigué que tout le monde suppose savoir mieux que lui, constamment. Depuis son enfance, durant son adolescence, et même sa vie adulte est contrôlée par les opinions d’autrui – et dire qu’il se prétend être un esprit libre. Il entrouvre la bouche pour répondre à Norah, s’arrête dans son élan alors qu’elle persiste et tenter de le raisonner ; mais c’est peine perdue et mal connaître Alfie que de penser qu’il est capable de changer d’avis lorsque ses idées sont bien arrêtées. Nombreux s’y sont essayés, beaucoup ont cessé de se frotter à l’exercice. Relevant les yeux vers elle alors qu’elle explique faire des erreurs encore régulièrement, Alfie se veut muet tout en l’écoutant. Mais elle ne comprend pas, personne ne comprend jamais. « Visiblement, non. » Qu’il finit par souligner lorsqu’il prend la parole. Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, les Forbes sont vraisemblablement des êtres parfaits dotés de capacités hors du commun, estimant que seuls eux sont en mesure de subvenir aux besoins d’Anabel. Déjà du temps de Rachel, puis de Stephen, et maintenant c’est à son tour d’apprécier (non) ce côté de son oncle et sa tante. « À la première occasion, ils lancent une prof-procédure pour récupérer Anabel. » Il admet en se pinçant la lèvre. « Ils n’attendent que ça. » Et pourtant, même si Alfie persiste à aimer sa famille malgré toutes les couleurs qu’il a pu voir grâce à eux, il peine à accepter ceci. Il le comprend, pourtant, et probablement que si les rôles étaient inversés il serait tout aussi attentif, mais les Forbes sont comme ses parents ; ils s’arrêtent à celui qu’il a été, et non à celui qu’il est devenu. « Ils l’ont fait avec Stephen, ils n’ont pas hésité et pourtant c’est son père. » Peut-être pas biologique, mais c’est un détail auquel Alfie n’a jamais accordé d’importance. « Je ne suis que son parrain. » Un titre honorifique, bien moindre que le statut de grands-parents qu’ils prônent. « Son parrain qui l’a blessée à plusieurs reprises. Inva-involontairement, mais qui l’a blessée malgré tout. » Et sa maladresse n’excuse pas les bleus ou les frayeurs. « Je ferai pareil à leur place. » N’importe quel être humain normalement constitué le ferait. Une enfant qui est blessée, souffre, à cause de l’inattention d’un adulte, c’est un problème, il en est le premier à avoir conscience. « Mon historique est ce qu’il est. S’ils se lancent, ils gagnent sans même avoir à se battre. » Il conclut, légèrement abattu. Parce qu’au-delà d’avoir trahi la promesse faite à Stephen et la mémoire de Rachel, c’est Anabel qu’il laisserait tomber ; et probablement qu’ils feront de leur mieux pour ne pas que le parrain approche sa filleule, corrompue dès l’instant où il participe activement à la nécessité de lui développer un caractère qui lui permettra de survivre dans une famille aussi fermée d’esprit et stricte que les Forbes/Maslow. Norah reprend la parole et il demeure à nouveau silencieux, secouant légèrement la tête par moment pour signifier sa désapprobation. « Tu peux donc con-commencer par moi. » Qu’il débute avec un léger sourire. « T’en fais pas, ma tête a l’habitude. » Il persiste, tentant de désamorcer cette situation qui devient anxiogène pour lui. Et comme souvent, le moyen de le faire est de parler. Mais il ne parvient plus à déblatérer des futilités sans s’arrêter, ses capacités ne le lui permettent plus ; et il n’y a plus de place dans les futilités dans son esprit malmené par des pensées qui s’ancrent bien dans la réalité de son quotidien, de son histoire. « Je pense surtout que je ne devrais pas avoir à y réfléchir autant. » Il avoue en levant les yeux vers le plafond un bref instant tandis qu’un soupire s’échappe d’entre ses lèvres. « Que ça devrait être naturel, que je devrais pas… que je ne devrais pas avoir à coller des pe-posts-it partout pour me souvenir de m’occuper d’elle. » Qu’il lance en jetant un coup d’œil autour de lui. « Que je devrais ca-comprendre tout seul quand j’ai de mauvaises idées. » Et pas que Jules s’interpose pour faire la police – et heureusement qu’elle est là, d’ailleurs. « Que je devrais pouvoir être attentif quand elle tombe, et essayer au moins de la rattraper au lieu d’avoir oublié son existence. » Il ajoute, les souvenirs de cet instant d’absence ayant découlé à la blessure d’Anabel. Ce n’est pas la première fois qu’il se sent hors de son corps, ce n’est probablement pas la dernière fois. Mais que faire ? Que faire de ses absences de plus en plus récurrentes, de plus en plus longues, de ces moments où il n’est plus lui-même ? « Je ne devrais pas être un danger pour elle. » Il termine ; parce que dans le fond, c’est ce qu’il est, c’est ce qu’il a toujours été. Pour lui-même, principalement, et ça n’a jamais posé problème avant que cette manière d’être ne déborde et finisse par atteindre les autres ; Anabel la première. « Elle dirait non parce qu’elle a appris à pre-protéger les adultes plutôt que d’être protégée par eux. » Et c’est dramatique, quand on y pense, qu’une gamine de six ans soit celle qui porte tous les adultes qui l’entourent à bout de bras. Il n’y a que sur Jules que l’enfant peut se reposer, Jules qui les gère alors même que la situation doit terriblement la faire souffrir ; elle qui se retrouve avec une enfant qui n’est pas la sienne alors qu’elle ne rêve que de fonder sa propre famille, avec un petit ami qui a prétexté ne pas se sentir prêt et qui retourne le monde pour les beaux yeux de sa filleule. « Mais est-ce que c’est quelque chose que tu veux ? » Il marque un temps d’arrêt. Pour lui, la question a surtout été de savoir s’il se sentait prêt, s’il voyait un futur à trois. Et c’est une configuration qu’il n’envie pas, mais qu’il peut envisager. Mais s’il ne l’envie pas, il ne sait jamais vraiment penché sur la raison. La conversation ne s’y est jamais prêtée, comme si tous les adultes devaient nécessairement avoir en eux la volonté de créer la vie, comme si c’était l’ultime finalité de toute vie. Ça l’est, dans cette société. Mais pas dans sa vision du monde. « Non. » Il finit par admettre, une révélation sincère qu’il n’a pas même partagée avec Jules. Parce que ça l’anéantirait et que des deux, il est celui qui serait le plus capable de faire des concessions. Il en a déjà fait, et même si ça l’insupporte d’avoir l’impression d’être le seul à se sacrifier dans leur couple, il est celui qui parviendrait le mieux à vivre si sa perspective de vie était chamboulée pour convenir à l’autre. Il n’a pas envie d’être père, mais il pourrait l’accepter. Seulement, ce ne serait pas de bonnes bases pour une vie de famille, et le problème en revient toujours au même : il ne peut pas rendre Jules heureuse à terme. Et elle ne le peut pas non plus. « Sauf que la seule personne sur laquelle je dois cr-compter, c’est moi-même. » Il ne pourra pas indéfiniment planqué le bébé dans les bras d’une Jules qui saura tellement mieux s’y prendre que lui ; il ne pourra pas toujours exiger de ses parents qu’ils le gardent si sa compagne n’est pas là. Il ne pourra pas toujours repousser le problème, se contenter d’être le géniteur d’un bébé pour lequel il ne sera pas certain d’éprouver la moindre affection compte tenu des conditions dans lesquelles il aura été conçu. « Je suis pas certain que ce soit possible. » Qu’il finit par admettre lorsque Norah explique vouloir le meilleur pour chacun d’eux. Leurs rêves sont trop éloignés ; et finalement Alfie réalise de plus en plus qu’ils tentent de maintenir en vie une relation qui est vouée à l’échec. Mais il ne changera pas sa façon de faire pour autant, ni ne prendra la décision qui s’impose ; car ce serait signer son arrêt de mort à lui que de renoncer à tout ceci. Quant à savoir si s’occuper d’Anabel l’a aidé à considérer les choses autrement, ce n’est pas une question qu’il s’est posé, ni qu’il souhaite se poser, au risque de reconfigurer l’ensemble de sa vie et de ses projets – et, dans une perspective égoïste, d’abdiquer face à Jules. Cette fois-ci, ce ne sera pas lui. Il ne saurait dire s’il se sent soulagé d’être parvenu à évacuer ces quelques pensées de son esprit, s’il est affaibli par cette mise à nu ou s’il est enseveli sous de nouveaux questionnements amenés par ces révélations. Mais une chose est certaine ; c’en est trop, raison pour laquelle il fait dériver la conversation sur la jeune femme, en une transition indélicate, mais nécessaire pour lui permettre de sauver les apparences. Celle de Norah, en tout cas, s’avère différente, et elle ne pourrait mentir en prétextant qu’elle n’est pas aussi fatiguée que ses traits tirés et les cernes sous ses yeux le laissent penser. Et loin de se cacher derrière des prétextes comme il l’aurait fait de son côté, l’infirmière reconnaît être épuisée. Dans le cas contraire, il ne lui aurait pas accordé le moindre crédit, mais il aurait respecté son souhaite de faire usage du déni – quelque chose qu’il comprend et maîtrise à la perfection. « Quelques insomnies, du genre sec-sept jours par semaine, je les connais bien. » Il se permet, lui laissant le choix quant à son envie de rebondir sur ce constat ou de le laisser glisser. Mais il n’est pas dupe, Alfie, et dès le moment où elles se conjuguent au pluriel, elles sont méchantes, ces insomnies, autant que tout ce qui s’y accompagne et n’ont rien de reposant. « Ce n’est pas moi qui les gère, ce sont elles qui me gère. » Il précise avec un léger sourire. Anabel, mais surtout Jules, dont la patience et la bienveillance ne peuvent pas être égalées. Cette femme est précieuse, et il est pourtant incapable de la traiter comme le diamant qu’elle est. « Alors, je peux largement m’en coltiner une supplémentaire. » Il souligne, avant de légèrement grimacer, preuve en est qu’il n’est guère convaincu, l’air de dire « mais oui, bien-sûr ». « Un simple coup de mou ne fait gen-généralement pas de toi un figurant d’un film de zombies. Sans offense. » Mais elle le connaît suffisamment pour savoir que la délicatesse n’est pas dans ses cordes. « Je pense que tu m’as assez écouté pour que les rôles puissent s’inverser. » Et de la part d’Alfie, connu pour très peu porté attention aux sentiments des autres, ça veut dire beaucoup. |
| | | | (#)Mar 25 Fév 2020, 21:50 | |
| ONCE YOU'RE GONE, YOU NEVER CAN COME BACK it's better to burn out than to fade away | |
Un syndrome post-traumatique se manifestait de bien des manières différentes. Les symptômes étaient multiples et pouvaient durer pendant longtemps si le problème initial n'était jamais résolu. Travail personnel ou psychothérapie, les choix étaient multiples mais il fallait s'y mettre si l'on ne se voulait pas se voir sombrer. Alfie avait d'une part des séquelles de ce qui lui était arrivé (Norah ne refusait d'employer le mot accident parce que son petit doigt lui disait que c'en n'était probablement pas un), mais de l'autre, des manifestations d'un traumatisme certain. Et ça le frustrait, ça l'énervait au possible de ne plus aussi être capable qu'avant. Ses absences, ses moments d'inattention, de bégaiement. La situation serait peut-être moins compliquée pour lui s'il n'avait pas une petite de six ans sous sa responsabilité. Il se rongeait les sangs pour elle et se laissait abattre par le poids de la culpabilité à chaque fois que la petite se retrouvait avec un nouveau bleu. Et ça l'énervait. Ca l'énervait tout autant qu'on le materne un tant soit peu, ne serait-ce que se faire un peu de soucis pour lui. C'était pourtant plus fort que son amie, qui tentait au mieux de rattraper ce manque d'optimisme qu'il avait ces derniers temps. Elle était perturbée de le voir dépourvu de son sourire (même de son rictus d'enfoiré), paniqué au possible face à la gaffe qu'il venait de faire. Son esprit restait focalisé sur les répercussions possibles et il n'envisageait que les pires scénarios. Difficile de le sortir de cette engrenage infernal. Les grand-parents d'Anabel semblaient être des personnes bien peu clémentes envers Stephen et Alfie, fermement déterminés à récupérer la garde la petite. "Pourquoi s'acharnent-ils autant à vouloir récupérer Anabel ?" lui demanda-t-elle, les sourcils froncés. Elle ne savait pas grand chose de cette famille, seulement quelques détails concernant Rachel. La dynamique semblait être des plus complexes et Norah manquait cruellement d'informations afin de tout comprendre. Encore trop de données à analyser, à percuter. "C'est bien la première fois que je te vois te dénigrer à ce point." releva-t-elle en le fixant droit dans les yeux. "Je vais pas te dire que t'as tort et que tout ira bien parce que c'est le monde des bisounours et que nous vivons dans le meilleur des mondes. Et de toute évidence, j'ai clairement pas assez d'infos pour tout comprendre avec ces histoires de famille, c'est pas à moi de faire juge de ce qui est bon ou non. Ma parole ne vaudrait rien de toute façon." Pas face à un juge, en tout cas. On en avait rien à faire, de l'avis de l'amie du parrain de la petite. "Si jamais tu en viens là, toi, t'as pas envie de te battre pour elle ?" lui répondit-elle du tac au tac. "T'as peut-être des lacunes, que tu vois ses bleus comme des blessures involontaires, mais il n'empêche que tu l'aimes plus que tout, cette gosse." Ca crevait les yeux. Il s'y était attaché, il adorait passer du temps avec elle. Aussi abattu qu'il était, Alfie n'était pas moins attristé d'envisager la voir partir de chez lui un jour parce qu'on le jugeait irresponsable. L'infirmière proposait de s'en prendre aux personnes qui doutaient des capacités de son ami, et ce dernier se pensait être en tête de liste. "T'as déjà été plus insupportable que ça et on a jamais eu besoin d'en venir aux mains, je compte pas m'y mettre aujourd'hui." dit-elle avec un air amusé, et un regard brièvement pétillant, avant de se ternir à nouveau. "Et ta tête a déjà bien assez pris dernièrement de toute façon." Hors de question de s'en prendre à lui alors qu'il se remettait à peine de ses blessures. Norah notait bien que ce sujet de conversation, sur lequel ils pouvaient débattre pendant des heures, était des plus anxiogènes pour lui. Ca l'agaçait de devoir contre-carrer les arguments de son amie et celle-ci comprenait qu'elle ne parviendrait pas à lui faire changer d'avis sur sa propre personne. Qu'est-ce qu'il était têtu. "Ta mémoire te fait encore défaut, ça prendra le temps qu'il faut, ça c'est sûr. Mais ça reviendra." A force d'exercice de mémoire, il allait finir par y parvenir. Et elle ne doutait pas de sa volonté pour cela. Alfie n'était pas toujours enclin à se confier, mais là, il baissait toutes les barrières et faisait part d'un mal-être qui le rongeait depuis bien plus longtemps que depuis qu'il avait la garde de la petite. "C'est comme ça que tu te vois ? Comme étant un danger pour elle ? Pour ton entourage ?" le questionna-t-elle. Norah avait pleinement conscience que la situation était loin d'être simple dans cet appartement. Quand Jules lui avait confié que l'un et l'autre avaient des projets d'avenir bien différents, elle soupçonnait qu'il s'agisse d'enfants. Peut-être qu'il y en avait d'autres. Mais parler de progéniture pouvait être parfois être très épineux, et même séparer les couples qui s'aimaient énormément. Et Jules... Elle avait indéniablement le profil d'une personne qui désirait des enfants. Ce pourquoi Norah posait la question à son compagnon. Qu'en était-il d'Alfie dans toute cette histoire ? Il lui fallait un temps de réflexion. L'infirmière ignorait pourquoi ni comment, mais elle connaissait la réponse à cette question avant même qu'il ne la dise. Il n'avait émis aucune hésitation lorsqu'il finalisa ce mot à trois lettres qui se mit à serrer le coeur de la soignante, sachant que les problèmes du couple Maslow-Rhoses étaient loin d'être finis. Alfie exprimait indirectement son profond manque d'indépendance. Il ne voulait que compter sur lui-même. "T'en as marre de devoir compter sur quelqu'un d'autre ? Par rapport à ce qu'il t'es arrivé, j'entends." Le fameux "accident". "Tu ne veux même plus pouvoir compter sur Jules ?" lui demanda-t-elle alors, sachant qu'il aimait cette personne plus que toute autre chose en ce bas monde. "Ou est-ce que l'appel de l'indépendance surpasse absolument tout ?" D'un personne indépendante à une autre, elle ne pouvait que le comprendre. Norah avait beau adorer la vie de couple, elle avait besoin de ses moments à elle, ce que Frank lui autorisait toujours (même si c'était parfois à contre-coeur), sachant bien que ses moments à lui, il les passait au boulot en compagnie d'Anwar. Malgré les divergences de caractère d'Alfie et de Jules, la brune espérait le meilleur pour eux. Un idylle amoureux qui était visiblement impossible aux yeux du bel homme. Supposant qu'ils comptaient chacun camper sur leur position, difficile de prévoir l'avenir du couple. "Elle le sait, que tu te vois pas fonder une famille ?" lui demanda-t-elle finalement, soulevant là certainement une problématique des plus délicates.
Contre toute attente, Alfie décidait de lui-même de centrer le sujet sur son amie et sa fatigue apparente. Il ne mâchait pas ses mots et allait droit au but. Et sans même chercher à relativiser ou à trouver un prétexte pour parler d'autre chose tant on lui fait déjà fait cette remarque, elle lui répondait avec tout aussi directement. Ils étaient tous les deux champions pour parler d'autre chose et dissimuler leurs tracas par des tours de passe-passe, mais Norah se doutait qu'ils en étaient à un stade où cette méthode ne fonctionnait tout simplement plus. Ils étaient las, frustrés par des événements sur lesquels ils n'avaient que très peu de contrôle. La brune en avait assez de se battre. "Moi aussi." dit-elle avec un sourire triste. "Au moins je peux me vanter d'avoir plus de temps pour gérer ce que j'ai à gérer." Autant voir le verre à moitié plein. Gérer les factures au beau milieu de la nuit, voire pâtisser l'occupait bien quelques heures par ci par là quand elle en avait assez de lire ou de regarder Netflix ou Amazon Prime. Elle dirait bien qu'elle irait courire une heure ou deux mais il lui était inconcevable de laisser les petits seuls à la maison, même endormis, au beau milieu de la nuit. Alors elle tournait en rond à la maison et trouvait toujours de quoi faire. Mais aucune de ces activités n'étaient faites pour prendre soin d'elle. Alfie disait à voix haute, avec sa délicatesse légendaire, ce que beaucoup devaient penser tout bas lorsqu'on lui faisait remarquer les cernes qui marquaient de manière très peu esthétique son visage. "None taken." lui répondit-elle avec un sourire léger qu'elle perdit aussitôt. Elle leva immédiatement les yeux en sa direction lorsqu'il l'invitait subtilement à parler d'elle. Norah le fixait, longuement, suffisamment longtemps pour comprendre que ses paroles étaient loin d'être une plaisanterie, et que, malgré les inattentions dont il était victime depuis plusieurs mois, il s'efforçait de rester concentré au possible. Pas qu'il ne s'était jamais intéressé à elle, mais rares étaient les fois où il semblait véritablement vouloir en savoir plus. Elle ignorait combien de temps elle l'avait regardé afin de le sonder, de le cerner, avant de lâcher un long soupir et s'asseoir finalement par terre, en tailleur. "C'est juste... Une drôle de période." soupira-t-elle. Ses doigts incertains jouaient entre eux. A son tour d'avoir le regard fuyant. "Mon frère jumeau m'a cachée qu'il était divorcé depuis un an et m'a annoncée le même jour qu'il a perdu son boulot. Boulot où il travaillait depuis une bonne quinzaine d'années avec quelqu'un tout aussi passionné que lui, et qui s'avère être un de mes ex. On s'entend bien, c'est pas ça le problème." Le courant passait même plutôt bien entre eux, en dépit des années et des événements qu'ils avaient chacun de leur côté. "A côté, l'ancien co-équipier de Frank va bientôt se retrouver avec un nouveau bébé "accident". En parlant d'accident, il y a eu le tien. Je suis en train de voir une de mes collègues, et amie proche, plonger dans le pire des burn outs, le chef de mon service me menace de me mettre en arrêt pour une longue période si je finis pas par prendre des vacances parce qu'apparemment, j'en ai besoin. On se connaît depuis plus de dix ans mais je crois pas qu'il ait souvenir que j'ai deux petits à charge."dit-elle en haussant les sourcils. J'en oublie d'autres, sûrement, mais... tu vois le tableau. La vie, quoi. Elle est juste plus éreintante par moments." Norah se sentait tout à fait capable gérer les problèmes des autres. Et c'était le cas. A vrai dire, c'était bien plus facile d'écouter les autres que de parler de ses propres problèmes, surtout quand on avait quelqu'un comme Norah qui ignorait totalement son état. Quoi qu'elle se sentait faiblir. Ses insomnies, ses cauchemars qui la hantaient pour que le peu qu'elle dormait. Chaque pas franchi frôlait l'exploit alors qu'elle ignorait quelle direction prendre. Norah n'avait aucun but que celui de faire grandir ses enfants. Aucune perspective d'avenir, elle ne pensait pas pouvoir reconstruire sa propre vie. "Au fond, ça va. J'arrive à gérer. J'ai envie d'être là pour mes proches, autant que possible." La brune avait conscience qu'il y avait un problème, seulement elle ne savait pas quoi. La grande inconnue. Le regard perdu dans ses pensées, elle restait longuement silencieuse. "Ca fait plus de trois ans que je vois le monde continuer d'avancer sans moi." La brune se surprenait à prononcer cette pensée à voix haute. "J'ai beau avoir déménagé, il y a toujours où je jurerai voir Frank. Avec le temps, on s'y habitue." Du moins Norah s'en était accommodée, même si, à chaque fois qu'elle réalisait qu'elle ne le reverrait plus, la douleur ne faisait qu'empirer. Et au quotidien, une souffrance lancinante la dévorait petit à petit. "Je suis juste... Un peu fatiguée." Sans s'en rendre compte, Norah faisait comprendre par là qu'il ne s'agissait pas que d'un manque de sommeil. Son regard vide, ce léger sourire qui ne venait qu'étirer que trop rarement ses lèvres dernièrement. C'était tout le mental de Norah qui était à bout, desséché, effrité. Personne ne savait d'où lui venait la force de rester encore debout. Et sa source, d'origine inconnue, venait à se tarir. "Rien d'insurmontable. Ca me passera." relativisa-t-elle. Eh bon Dieu, qu'est-ce qu'elle avait tort.
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| | | | (#)Jeu 26 Mar 2020, 17:20 | |
| Et c’en est un autre, de paradoxe auquel Alfie fait face sans comprendre comment et surtout pourquoi il tolère cette situation. Lui qui prône que son bonheur passe avant celui des autres ; qui se vante de n’en faire qu’à sa tête et de se détacher des autres avec une facilité qui ne lui impose jamais de regarder en arrière, il persiste à s’accrocher à ces relations perdues avec sa famille. Incapable de se détacher d’eux, incapable de leur tenir tête, incapable d’y trouver son compte dans ces liens qui ne demeurent que par l’obligation sociétale de s’y soumettre ; et s’il se cache derrière Anabel pour justifier le fait de leur garder une place qu’ils ne méritent pas dans sa vie et dans son cœur, la vérité est qu’Alfie a peut-être plus peur de la solitude qu’il ne veut l’admettre ; et que si les rapports avec sa famille sont délicats, il n’en demeure pas moins qu’ils sont toujours là. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il a en réalité accepté de faire des concessions et de mettre ses valeurs de côté pour accueillir Anabel, parce qu’il a la certitude qu’elle sera toujours là. Une certitude qui est pourtant mise à mal face au principe de réalité ; et comme le souligne justement Norah, que les Forbes s’acharnent à vouloir récupérer sa garde. Ils ont déjà essayé par le passé, ils ont réussi et ce n’est pourtant pas ce qui l’a privé de la fillette. Alors pourquoi n’a-t-il pas été en mesure de mettre sa fierté de côté pour le bien de l’enfant ? Car même si cela lui coûte de l’admettre, l’environnement que les Forbes auraient pu lui offrir aurait été bien plus sécurisant et adapté que celui qu’il lui offre actuellement. Ils ont des principes étriqués ; ils auraient probablement restreint la liberté de sa filleule, mais est-ce que cela aurait réellement été la source de son malheur ? N’est-il pas lui-même à l’origine de celui-ci, alors qu’elle ne cesse d’enchaîner les blessures, qui s’apparentent certes à des bobos mais qui sont bien réelles, depuis qu’elle vit chez lui ? Même Jules n’arrive pas à contrer l’ensemble de la maladresse dont il fait preuve. S’il peut réellement appeler cela de la maladresse, et à cette pensée Alfie ferme les yeux un bref instant pour s’en convaincre. C’en était. C’en était, ça ne peut qu’en être. « Parce qu’ils pan-pensent être mieux pour elle, et qu’ils ont raison. » Qu’il avoue ; peu importe si cela rejoint le discours de Norah et confirme qu’il se dénigre plus que de raison. C’est peut-être le cas ; mais c’est surtout bâti sur une stricte vérité. Ses proches à lui ne s’en rendent pas compte parce qu’ils sont biaisés par l’affection qu’ils lui portent, toujours est-il que n’importe quel observateur extérieur à la situation réaliserait que les grands-parents d’Anabel sont les plus à même de subvenir à ses besoins. Certes, l’âge est un facteur qui restreint les jeux en famille ; mais ils ont les moyens financiers, la stabilité, le temps et l’expérience pour lui offrir une éducation en mesure de favoriser son épanouissement. Rachel pouvait aussi s’en vanter de son vivant ; et même si Stephen s’est approché de la perfection il n’a jamais su cocher tous les critères. Quant à lui, il est très loin de ne pouvoir s’en vanter de n’en posséder que la moitié qui parviendrait à satisfaire les attentes de Forbes. Ils se soucient de leur petite fille, et personne ne peut le leur reprocher ; encore moins quand ils ont su épauler Rachel et qu’ils ont toujours été là pour l’enfant, contrairement à Stephen et Alfie qui ont saisi des occasions de fuir. Alors il se dénigre ; mais à raison : et peu importe s’il est le seul à comprendre qu’ils ont raison, et ce, depuis le début. « Mais ça ne suffit pas. » De l’aimer plus que tout. Tout le monde se cache derrière ce faux prétexte de l’amour pour justifier ses lacunes et ses manquements ; mais l’amour n’est qu’une valeur abstraite propre à chacun qui ne vaut rien dans le concret ; pas comme l’expérience ou cette stabilité qu’il ne possède pas. « Je sais pas. » Qu’il finit par répondre quant à savoir s’il a envie de se battre pour elle. Bien-sûr qu’il aimerait avoir la certitude de vouloir le faire ; mais il n’oublie pas que si le départ de Stephen ne l’avait pas forcé à s’occuper d’Anabel, il n’aurait probablement pas fait les démarches de lui-même. Ce n’est pas sa priorité ; ça ne le sera jamais, ni avec elle, ni avec son propre enfant. Peu importe si ça fait de lui un égoïste, au moins, il est un égoïste heureux. « Ce n’est pas mon enfant. Et je n’ai pas l’en-l’énergie. » De faire face aux parents Forbes, de se lancer dans une bataille judiciaire qui prendra des mois avant de connaître une conclusion qui laissera forcément un des partis malheureux. Il a vu ce par quoi Stephen est passé quelques années est plus tôt ; et il ne désire pas prendre sa place. Mais au-delà de ça, c’est surtout son cousin par alliance qu’il trahirait s’il venait à échouer sa mission ; et que les Forbes en profitent pour retourner la situation à leur avantage. Alfie abandonnerait ainsi trois personnes à la fois ; et encore une fois il se maudit d’avoir pensé que de telles responsabilités lui étaient adaptées. Pas en temps normal, encore moins vu sa situation actuelle.
Il pourrait argumenter plus longuement, s’opposer aux propos de Norah, essayer de lui faire entendre raison, mais il n’en a pas l’énergie. Il est fatigué ; parce qu’au final elle n’est pas différente des autres : elle le prend avec des pincettes, tente de le rassurer alors qu’il ne voudrait qu’entendre la vérité. Elle se berce d’illusions, bernée par l’affection qu’elle a pour lui. Pourtant les faits sont explicites ; et Anabel n’est pas en sécurité et l’amour ne suffit pas. Mais il sent ses muscles qui se tendent et son sang qui bouillonne, alors il préfère se retirer dans un mutisme bienvenu pour ne pas dire des choses qu’il serait amené à regretter ; ça ne lui ressemble pas. Pas uniquement parce qu’il regrette très rarement ce qu’il peut dire, mais surtout parce que même s’il essaie de déverser sa colère sur ses proches, il a compris avec Leah que ce n’était pas une solution et qu’il se doit de trouver des équivalents pour ne pas s’enfermer dans ce rôle de parfait connard qu’il a pourtant envie d’assumer plus que jamais. Et si Norah veut s’en prendre à ceux qui doutent de lui ; elle peut commencer par le principal concerné. « Tu sais que je ferais qu’une bouchée de toi. » Qu’il s’amuse, sarcastique, parce qu’en l’état des choses il est évident que les rôles seraient inversés et qu’elle n’aurait aucune difficulté à prendre le dessus sur lui. « Peut-être que ça m’aiderait à ce que tout ref-refonctionne là-haut. » Il poursuit sur le même ton, partisan du « vaincre le mal par le mal », et peut-être que quelques coups supplémentaires auraient une vertu thérapeutique. « C’est l’amie qui parle ou l’infirmière ? » Il demande quant à l’assurance que ses capacités reviendront. Car le discours de l’autre n’est pas forcément de concert avec celui de l’autre. Haussant finalement les épaules à la question de Norah, l’air de dire « peu importe » Alfie passe une nouvelle main sur son visage, conscient d’avoir été trop loin dans ses confessions. Ce ne sont pas des sujets qu’il a envie d’aborder avec Norah, ni avec quiconque, dans la finalité. Et de plus en plus, il regrette de l’avoir faite venir. « Elle s’épuise pour moi, c’est pas normal. » Ce n’est pas normal que toute l’énergie de la jeune femme passe dans le besoin de rassurer son conjoint autant que la nécessité de l’aider ; au détriment de ses propres besoins à elle. « Est-ce que tu le supporterais, à ma place ? » Qu’il retourne la question en guise de réponse, parce que dans le fond il ne sait pas si c’est plus une question d’indépendance ou de liberté, mais une chose est sûre : la réponse est susceptible de lui déplaire. « Elle sait que ce n’est pas ma pa-priorité. » Qu’il justifie par la suite. Parce que finalement, il est lui-même pas réellement certain d’être absolument contre l’idée. Ou du moins, il espère qu’il arrivera à se faire changer d’avis.
Tout comme il est parvenu à changer le centre de la conversation en l’orientant désormais sur Norah. Il n’est pas aveugle, Alfie, et si d’ordinaire il aime le prétendre pour ne pas s’encombrer du poids des tourments des autres alors qu’il peine déjà à mettre de l’ordre parmi les siens, il n’est pas dupe face au teint gris et aux cernes de Norah ; et peut-être qu’au fond ça l’arrange d’avoir une excuse pour ne pas s’agacer et s’ouvrir davantage. « Est-ce vraiment un bon point ? » Que de pouvoir gérer les choses suite à une privation de sommeil. Il est le premier à se plaindre que les journées ne font que 24h, mais Dieu sait qu’il aimerait pouvoir se vanter d’en passer huit à dormir et de ne pas prendre de l’avance sur la liste des tâches à faire uniquement parce qu’il ne parvient pas à dormir. Et sans surprise, face à une Norah qui sous-estime la situation, Alfie manque de délicatesse pour lui confirmer que ses paroles rassurantes n’auront pas d’effet sur lui et qu’il n’est pas dupe ; parce qu’il tient exactement le même discours au quotidien. On ne ment pas à un miroir, et affichant un léger sourire alors qu’elle prétend ne pas être offensée, il l’observe s’asseoir en tailleur tandis qu’il reste appuyé à l’écart, restant silencieux pour ne pas perturber ses confessions. Il ne connait pas grand-chose de la vie de Norah, dans le fond ; si ce n’est qu’elle a connu la tragédie de perdre son mari et qu’elle est proche de son frère jumeau. Alors qu’elle présente la situation, Alfie profite de son regard fuyant pour pincer les lèvres un bref instant ; s’accrochant au récit dont elle lui fait part alors que la fuite de ses idées n’est plus à prouver. Il sent que ce sera compliqué pour lui de suivre la conversation qui s’annonce, mais il doit s’y atteler. Autant pour être présent pour Norah que par vision égoïste qu’on n’en revienne pas à lui maintenant qu’il est parvenu à s’échapper. Fronçant les sourcils alors qu’elle évoque son accident, Alfie ne comprend pas – encore une fois – pourquoi son entourage s’avère aussi touché que cela. C’est la répétition du schéma post-Colombie, lorsqu’il s’agaçait de constater que les autres tiraient la couverture à eux. Pas qu’il aime être le centre de l’attention (un peu, mais pas dans de telles circonstances), mais il ne comprend pas toujours que le poids de ses actes peuvent avoir des conséquences au-delà de ce qu’il envisageait, et qu’il n’est pas le seul concerné. Dans sa tête, il l’est, et il réfute l’idée que d’autres puissent l’être. Ça rend les choses tellement plus faciles. « J’ai l’impression que c’est justement parce qu’il sait que tu as-que tu as deux petits à charge qu’il veut te prét-préserver. » Qu’il se contente de souligner dans un premier temps, tentant de ne pas se montrer ni jugeant ni accusateur, alors qu’il s’avère d’un simple constat de son interprétation de la situation. « Ça fait beaucoup pour une seule personne. » Qu’il précise également, parce que c’est la vérité et que Norah n’est pas surhumaine, comme n’importe qui. C’est une accumulation qui amène à une explosion inévitable, il est bien placé pour le savoir. « Tu ne peux pas te cacher derrière Julie et Aidan ; t’es payée pendant un arrêt, tu as des proches qui peu… peuvent prendre le relai en cas de besoin. » Pas comme l’a fait Stephen ; mais de quoi lui permettre de respirer quelques jours. « Et qui est là pour toi, Norah ? » Qu’il finit par demander, question rhétorique, avant de reprendre. « Ce n’est pas à toi de les gérer. » Il en sait quelque chose, pour suffisamment se dédouaner de cette charge qui pèse plus que jamais sur les épaules de Norah. « Tu ne peux pas être là pour eux, si ça t’empêche d’être là pour toi-même. » Parce que c’est l’avantage de sa vision égoïste ; les autres passeront toujours après lui. Et c’est ce qui l’aide à tenir, contrairement à Norah. « Regarde dans quel état tu es, à cause d’eux. Est-ce qu’ils sont dans le même… même état pour toi ? » Non. Malgré toute l’affection qu’il porte à Anwar, ce dernier n’est probablement pas aussi épuisé que Norah. Et malgré toute l’affection que lui-même porte pour son amie, leurs rôles ne pourraient être échangés. « Tu le dis à voix haute pour t’en convaincre ? » Il interroge, sans délicatesse, mais avec bienveillance malgré tout alors qu’elle prétend que ce n’est rien d’insurmontable, que ça lui passera. « Tu peux être là pour eux, Norah, mais tu ne peux pas penser ou ressentir pour eux. » Ce qu’elle semble faire, vu l’état dans lequel elle se trouve. « Tu n’as pas de pa-poids sur ces aspects-là de leur vie, de notre vie. » Puisqu’il s’agit aussi de lui, a priori. « Il faut que tu le comprennes, et que tu t’autorises à lâcher prise. » Qu’il propose en haussant les épaules. « Au moment où tu acceptes de te détacher des autres, tu réapprends à respirer. » Il conclut, d’expérience, tandis qu’il lui adresse un regard. Il n’est pas le meilleur pour réconforter les autres ; toujours est-il qu’il est très observateur et qu’il sait quand une situation n’est pas tenable à terme.
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| | | | (#)Lun 30 Mar 2020, 23:17 | |
| ONCE YOU'RE GONE, YOU NEVER CAN COME BACK it's better to burn out than to fade away | |
Alfie était une tête de mule. Et encore, c'était un euphémisme. Autant Norah aimait habituellement en jouer parfois dans le simple but de le taquiner ou de le provoquer, tout comme lui pouvait aimer le faire également. Mais là, il était impossible de lui retirer ses propres pensées, ou du moins de les rectifier pour qu'il ait une vision un tant soit peu positive de sa propre personne. Pourtant, il était expert en matière d'égoïsme et d'égocentrisme et avait toujours préféré passer ses propres besoins devant les priorités des autres et ne s'en était jamais vraiment caché. L'homme qui n'avait jamais manqué d'assurance semblait l'avoir perdu et on ne pouvait pas vraiment le lui reprocher. Seulement, après toutes ces années d'amitié, Norah était touchée de le voir aussi vulnérable, tout en sachant qu'il avait horreur de ça. Et pourtant il acceptait de se montrer comme ça face à elle et elle ignorait. Pourquoi elle ? Elle se demandait si elle devait se sentir spéciale ou si c'était la conversation de trop et qu'il avait fini par baisser les armes à force d'insister. Elle lui rentrait dans le lard, il ne changeait pas d'avis, elle pouvait se montrer aussi empathique qu'elle le voulait, cela n'avait que pour seul résultat une mâchoire un peu plus serrée, signe d'un agacement et d'une impatience bien présente. Dépassé par son propre vécu, en voilà une première, chez les Maslow, qui, jusqu'ici, avait la fâcheuse tendance à prendre la moindre de ses blessures à la la légère. Norah ignorait si elle devait s'en agacer, à croire qu'il se fichait d'elle alors qu'il se sentait complètement démuni face à la situation qui concernait Anabel. Le sens des responsabilités était apparemment l'une de ses angoisses les plus grandes. Et il avait tellement du se persuader, pendant toutes ces années, qu'il serait toujours incapable de pouvoir avoir quelqu'un à charge, ou être père qu'il avait fini par s'en convaincre. Une idée bien ancrée, imprégnée dans une tête toujours trop pleine et aux synapses bien trop réactives pour certains. Impossible de l'en détacher, il continuait à se morfondre dans un futur qui lui paraissait inévitable et de ne pas faire preuve du moindre optimisme avait la fâcheuse tendance à hérisser le poil de Norah. Pas parce que c'était Alfie. Surtout, parce que c'était Alfie. C'était presque exaspérant de le voir aussi abattu, si bien qu'à un moment donné, elle se demandait si une paire de claques le secouerait un petit peu. L'infirmière n'était pas une personne des plus physiques ni agressives, loin de là, mais elle avait parfois des sacrés envies de les secouer pour qu'il se réveille un peu. On devait sûrement avoir envie de la secouer elle aussi de temps en temps. Il rejoignait l'avis des grand-parents d'Anabel. "Alors dis-moi." dit-elle d'un ton moins doux qu'elle avait pu adopter auparavant. Là, c'était juste neutre, impassible, peut-être même un peu plus sec et direct. "Si tu es si persuadé qu'ils récupèrent la garde et si tu te sens si incapable d'avoir la responsabilité de la garde d'un enfant, qu'est-ce que tu attends pour la rendre ?" Jouait-elle la carte de la provocation ? Bien sûr que oui. Elle n'en avait rien à faire qu'il s'énerve, que ça le fasse rire, qu'il soit vexé, choqué. Mais sa quasi léthargie et cette sorte d'apitoiement devenait assez agaçant. "Parce que tu l'as promis à Stephen ? Parce que tu dis être son parrain ?" Alfie ne manquait pas de loyauté, certes, mais c'était à se demander s'il préférait se concentrer sur sa petite personne que de mettre en avant les engagements qu'il avait tenu auprès d'autrui. "Sérieux, Alfie. T'as pas envie qu'on te console, t'as pas envie qu'on te rassure sur tes capacités et clairement, là, je te saoule à insister." Elle haussait les épaules, l'air de rien. "Alors autant aller dans ton sens." C'était ce qu'il voulait après tout. Norah ne s'avouait pas vaincue, loin de là. "Mais demande-toi juste si tu préfères mettre en avant ta loyauté ou ta personne." Et c'était une confrontation personnel qui semblait le mettre sans dessus-dessous pour qu'il soit dépité à ce point. "Tu peux certainement pas nier que tu adores cette petite et que même si tu ne te sens pas capable de cette responsabilité là, tu t'en préoccupes quand même beaucoup. Plus que tu ne voudras jamais l'admettre." Et de ce fait, il était évident que même s'il avait passé ces dernières minutes à s'apitoyer, il ferait tout pour garder la garde de la petite Anabel. "Et tu peux agir et faire en sorte qu'on croit que tu ne fais que penser à toi et que t'en as rien à cirer des conséquences. Là, c'est juste pas le cas parce que ça t'anéantirait de voir Anabel partir avec ses grand-parents." Alfie était solide. Mais disons qu'il n'était pas au top de sa forme, dernière. Norah non plus, d'ailleurs.
Cependant, il y avait des moments où il ne perdait pas de son pétillant et de sa répartie légendaire. "I'd like to see you try." rétorqua-t-elle avec un ton amusé. "On m'a bien entraînée." Avec trois frères, elle avait toujours eu de quoi faire. Et elle savait que le fait qu'elle appartienne à la gente féminine n'allait pas le calmer sur la force de ses coups. Et il était apparemment même prêt à servir de punching ball, dans l'espoir de remettre en place ses idées et ainsi que tout refonctionne comme avant. "Pour le coup, c'est pas comme ça que ça marche." lui annonça-t-elle avant qu'il ne place trop d'espoirs dans cette technique relativement barbare. En terme de guérison, la soignante se montrait toujours d'un optimisme hors pair, trouvant du positif là où on ne semblait plus en voir. Alfie était logé sous la même enseigne, même si elle savait qu'elle ne pourrait pas le berner avec le blabla habituel qu'elle pouvait dégainer aux patients les plus faciles à convaincre. "Les deux." lui répondit-elle avec assurance et un doux sourire. "Si c'était pas vrai, tu sais que je te l'aurais déjà dit depuis longtemps. Et Andy est aussi très honnête à ce sujet, il aime pas donner de faux espoirs." Même si ce genre d'annonces, pour un médecin, était loin d'être facile. Alfie n'appréciait qu'à moitié que sa chère et tendre lui soit tant dévouée. C'était étrange, qu'il ne cautionne pas l'attitude de Jules, cela dit. Perplexe, Norah se demandait bien pourquoi. Il lui demandait si elle, elle accepterait un tel sacrifice de la part de sa moitié. "Je n'ai pas d'autre choix que de m'y faire." lui répondit-elle. "Il y a eu une période, surtout quand j'étais enceinte de Julie où Frank avait tellement peur pour moi qu'il voulait rendre Brisbane aussi sécurisé que possible. Il se tuait à la tâche et passait des journées pas possibles parce qu'il avait tellement peur pour moi et qu'il s'était mis en tête de... nettoyer la ville. J'avais beau désapprouver et lui faire largement comprendre mon agacement, rien n'y faisait." Frank était déterminé, et têtu. Jules semblait être tout aussi bornée et Alfie avait des difficultés à s'en accommoder. "Ca m'a pris du temps, et beaucoup de prises de tête avant de me faire à l'idée que je ne pourrai rien y changer et que je devrais mieux le laisser faire. Même si que quelqu'un fasse le chevalier justicier, c'est pas trop ma came." concéda-t-elle avec un rire nerveux. "Je le supportais parce que je l'aimais. Ca peut te sembler trop pompeux comme phrase, mais une fois qu'on se retire de ce poids-là, il y a certaines choses qui sembleront plus simples... Même pour toi." De par sa dernières phrase, Norah comprenait aisément qu'au fond, avoir des enfants n'étaient pas non plus une option qu'il éloignait de ses plans d'avenir. Juste, pas pour tout de suite. Norah n'insista pas davantage sur le sujet, ayant bien noté qu'elle le contrariait de plus en plus et que cet échange pourrait durer une éternité tant chacun restait campé sur sa position.
A juste titre, Aflie avait décidé d'échanger un petit peu les rôles, usant de son direct naturel et de son manque de tact pour faire remarquer la mine effroyable qu'arborait normalement son amie depuis plusieurs semaines. A croire qu'il s'en inquiétait. Norah aimait faire valoir les avantages que d'avoir des nuits blanches. Ses iris clairs se relevèrent directement vers lui dès qu'il supposait, par une simple interrogation sur le fait qu'elle usait de son temps libre pour remplir ses obligations. "C'est l'hôpital qui se fout de la charité là." répliqua-t-elle en arquant les sourcils avant de laisser échapper un rire bref. "Tu restes quand même le premier et le seul à répondre présent pour un footing à trois heures du matin." Un sourire amusé arquait sensiblement ses lèvres l'espace d'un instant. Désormais installée plus confortablement sur le sol, Norah passait en revue ses tracas sans parvenir à percer et faire face à ce qui posait véritablement problème. Et, aussi étrange cela pouvait-il être, Alfie restait à l'écoute. Peut-être pas toujours attentif car elle savait bien qu'il avait quelques difficultés pour resté pleinement concentré. "Je suis loin d'être la seule mère célibataire de la ville." répondait Norah à voix basse, le regard bas. Et pourtant, elle avait parfois l'impression qu'elles s'en sortaient mieux qu'elle. "Franchement, rien que la perspective de confier les petits à des proches pour avoir du temps pour moi me faire culpabiliser. Eux aussi ont leur temps libre, eux aussi ont leur soucis, et il devraient s'occuper de deux enfants dont un qui tient difficilement en place ?" Aidan était un amour, mais son énergie pouvait aisément dépasser la patience de certains. "Je me sentirai redevable ou j'aurai l'impression d'abuser de leur générosité. Et j'ai pas envie d'avoir en plus sur la conscience que je leur dois quelque chose parce que je sais que j'aurai pas le temps de leur rendre la pareille." Car elle n'avait qu'une parole et elle ne voulait pas prendre les devants lorsqu'elle ne pouvait pas garantir d'honorer ses promesses. Ses yeux se relevaient vers Alfie quand il lui demandait qui était là pour elle. A cette question, elle n'avait d'autres réponses qu'un haussement d'épaules. "Je suis presque surprise que tu t'en soucies." répondit-elle avec un rictus amusé, vague tentative d'esquive, qui aboutirait nécessairement à un échec. "Si tu sous-entends qu'il serait peut-être tems que je sois de nouveau maquée, ça fait pas vraiment partie des mes priorités et je doute honnêtement qu'il y ait quelqu'un qui soit amateur d'une nana de trente-cinq ans, qui aime cumuler les heures supp et qui n'a que des horaires décalés, avec deux enfants à charge." Elle arquait brièvement ses sourcils. A dire vrai, Norah ne cherchait pas vraiment mais savait et comprenait que son métier et ses enfants soient des éléments dissuasifs. Et les coups d'un soir, ce n'était vraiment pas son truc non plus. "J'ai mes amis, ça me suffit." Et elle ne se voyait décemment pas leur demander de prendre soin de ses enfants et d'elle, car ce n'était que de l'abus à ses yeux. "Je veux pas me mettre en avant ou quoi, mais s'ils viennent vers moi, c'est qu'ils ont besoin de moi. De parler, de soigner des bobos, et je le fais avec plaisir. Je me demande juste ce qui a bien pu se passer pour que tout déconne en même temps." Norah savait peut-être très bien faire preuve de détachement envers ses patients sans mettre de côté l'empathie et c'était souvent pareil lorsqu'il s'agissait de ses proches. Mais son épuisement exponentiel la rendait plus propice à une réceptivité accrue au fil des derniers jours. Alfie avait cependant raison sur un point; Norah avait tellement peu pensé à elle ces derniers temps et laisser le temps de digérer ses propres soucis (dont un deuil qui virait au pathologique alors que les jours avançaient), qu'elle finissait dans un état qui ne lui ressemblait pas. Et ça, même Alfie, au bout de quelques années d'amitié, le notait. Son regard se baissait, l'air las. "Il y a moyen, oui." répondit-elle alors qu'il demandait si elle tentait de se convaincre que ça va aller, qu'elle se réveillait un beau matin du bon pied et que tu repartirait comme si son prétendu coup de mou n'avait jamais existé. "Je peux pas, Alfie. Lâcher prise." reprit-elle à voix basse. Au fond, elle espérait qu'il saisisse aisément que ce qu'il lui suggérait était au-dessus de ses capacités. Elle pinçait ses lèvres avec nervosité. Ils avaient pour point commun avoir horreur d'être en position de faiblesse. Et pourtant, ça ne semblait pas la dissuader d'essayer de lui faire comprendre son ressenti. Elle croisant son regard, un peu plus brillant qu'à l'accoutumée. "Je peux pas." Dans le sens où, elle était tétanisée à l'idée de ce qu'il pourrait se passer si elle ne tenait plus le rythme de vie qu'elle s'était imposée de cette année. Elle bloquait totalement, surtout pour sauver le peu de retenue qu'elle avait et par conséquent pour sauver le peu de santé mentale qui lui restait. Comme pour maintenir une pression élevée et de ne pas risquer de laisser paraître la moindre défaillance, auquel cas la chute serait des plus douloureuses. Déglutissant difficilement la salive, elle passait une main sur sa nuque. Au fond, elle espérait qu'il saisisse ce qu'elle ne parvenait pas à lui dire. Que s'il pensait qu'elle était dans sale état, qu'il se rende compte qu'elle était déjà au bord du gouffre. "Ca me plaît pas de l'admettre. Tout autant que ça me déplaît de savoir que tout ça, c'est pas moi." Elle soupira, exaspérée de sentir aussi fragile, pire que de la porcelaine. "Ca me manque presque, l'époque où on me disait que je faisais peur et qu'on me prenait pour un robot." dit-elle dans un souffle, avec un sourire forcé par cette pensée qui la traversait.
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| | | | (#)Ven 10 Juil 2020, 23:08 | |
| L’ensemble de cette conversation permet de passer en revue, un à un, les défauts d’Alfie ; et ce n’est pas être pessimiste que de le constater. Caché derrière la bienveillance souvent perçue, à tort, comme motivation quant à son choix de carrière, il parvient souvent à surprendre par son égoïsme. Pourtant, il ne s’en cache pas : ses intérêts ont toujours primé sur ceux des autres et même si son travail consiste à défendre les droits des minorités, il n’en demeure pas moins que, dans la finalité, ce sont bien ses profits qui s’en retrouvent valorisés. De la même manière, il ne cache pas son arrogance et sa confiance en lui : Alfie sait très exactement quelle est sa valeur et n’a aucune honte à l’affirmer, quitte à ce que cette estime de lui-même soit jugée provocatrice dans un monde qui prône le dénigrement. Les affaires sur lesquelles il travaille s’avèrent passionnantes et évidemment que s’il n’avait pas un minimum d’intérêt pour l’Humain il n’aurait jamais pu être à ce stade de sa carrière ; pour autant ce sont bien les louanges qui peuvent découler des situations difficiles qu’il démêle qui lui permettent de continuer à se lever le matin sans jamais avoir regretté tous les sacrifices opérés pour en arriver à ce niveau. Alfie n’est pas de ceux qui ont besoin d’être félicité à chacun de leur acte, au contraire : il tend à croire que c’en est ridicule cette façon de toujours congratuler l’autre par besoin de respecter des règles sociales implicites. S’il aime que son travail soit apprécié à sa juste valeur, il apprécie encore plus d’en être le premier satisfait ; et on en revient au fait qu’il peut probablement être imbuvable pour quiconque ne le connaît pas. De la même manière, ces défauts sont considérés comme tels par une société dans laquelle il ne trouve pas sa place ; à ses yeux l’égoïsme est à percevoir comme une qualité qu’il ne faudrait pas avoir honte de renier. Mais Alfie a bien conscience que la plupart de ses idées, que sa vision du monde, se heurte souvent à celle en vigueur et qui, de plus en plus, lui est insupportable. Comme le fait de conserver un minimum de cordialité avec Norah sous prétexte qu’elle est une amie proche, quand ses propos tendent à lui déplaire fortement et qu’il se voit contraint de ronger son frein pour ne pas être trop virulent – là encore, ce ne serait pas accepté socialement de s’en prendre de cette façon à quelqu’un qu’il considère. Oh, ce n’est pas qu’Alfie ait envie de hurler sur l’infirmière, bien au contraire, seulement leurs visions s’opposent et dans la continuité de son arrogance, il considère nécessairement que son point de vue prime sur les restes ; après tout il s’agit bien de sa situation et de sa vie, il devrait être l’actionnaire majoritaire de l’opinion finale qui vise à juger celle-ci. Une situation difficile, évidemment liée à l’instabilité actuelle de son état, mais aussi et surtout à tous ces aspects sous-jacents qu’il peine à assumer, parce que finalement, il n’est pas aussi libre qu’il ne le pense, Alfie. Et ça le tue de l’admettre, lui qui s’est toujours vanté de n’avoir jamais de compte à rendre à personne. Le voilà enseveli sous ceux-ci, auprès de sa petite amie, auprès de son cousin par alliance, de sa propre famille ou même du fantôme de sa cousine. Il doit se justifier, justifier son envie d’avoir voulu qu’Anabel vive sous son toit alors qu’en réalité, il ne parvient pas vraiment à l’expliquer lui-même. Bien-sûr, il y a l’affection qu’il porte pour l’enfant, mais, au fond, il sait que ce n’est pas suffisant. Que malgré les belles excuses qu’il prône, centrées sur le fait que jamais il n’aurait pu abandonner celle-ci après toutes les épreuves qu’elle a eue à subir, il s’agit surtout d’essayer de s’en convaincre lui-même. La vérité, c’est qu’Alfie a toujours abandonné les autres, sans jamais se retourner. Il est de ceux qui usent et abusent, se servent pour mieux disparaître et qu’il aurait pu en faire de même avec Anabel. Passé l’attrait de la nouveauté d’être un père de substitution, l’ennui et les responsabilités l’ont rattrapé ; au point où il aimerait rendre le jouet, maintenant, comme un gamin pourri gâté qui ne sait jamais ce qu’il veut. Ça tombe bien, c’est le juste reflet de la réalité.
« Je la ci-connais, la réponse à cette question et elle est-n’est pas celles qui sont socialement acceptables. » Qu’il rétorque après être resté silencieux quelques minutes, le temps d’écouter les arguments de la jeune femme. Et même si cela lui semble bien plus évident de faire passer sa personne avant sa loyauté (qui n’est pas des plus grandes), Norah sait autant que lui qu’il n’y a pas que ça. Que son esprit, aussi libre veut-il qu’il soit, peut aussi être conditionné ; et que l’amour d’un enfant parvient à briser des barrières qu’il a toujours prétendues invulnérables. Et c’en est insupportable, dans le fond, de savoir que derrière cet égoïsme, se cache peut-être plus d’altruisme qu’il ne veut l’assumer. Bien-sûr, il y a la promesse faite à Stephen, il y a son rôle de parrain ; mais par le passé il n’a pas eu de peine à faire s’envoler ces deux aspects en partant pour la Colombie alors que son cousin par alliance et sa filleule avaient besoin de lui face à la maladie de Rachel. Alfie n’a pas réfléchi à deux fois et s’est éloigné de tout ce monde, seulement par désir de ne pas se confronter à la déchéance de sa cousine. Et le pire dans tout cela ? Il n’hésiterait pas une seule seconde si c’était à refaire. « Mais je m’en remettrais. » Qu’il affirme par la suite, car c’est la vérité. Il en faut beaucoup pour l’atteindre et passé les premières semaines de vide dans son appartement, sans les cris enthousiastes d’une Anabel qui résonnent, il serait passé à autre chose. Parce que c’est toujours ce qu’il fait. Du moins, il essaie de s’en persuader. Comme il essaie depuis des semaines de se convaincre que ce état dans lequel il est plongé ne découle que d’un accident ; d’un hasard, pourtant tout son être lui supplie de croire en son intuition. Mais il ne le fait pas, par volonté d’aller de l’avant, quand bien même il est maintenu par des fils invisibles qui ne cessent de le retenir. « Dommage. » Qu’il soupire avec un léger rire ; ne dit-on pas vaincre le mal par le mal ? En ce sens, il serait agréable pour lui que d’être malmené jusqu’à ce que ses neurones puissent reprendre leur position initiale et que, lui, puisse reprendre le cours de sa vie. « De toute façon, je vous cir-colle un p-procès aux fesses si vous avez tort. » Il ajoute, avec un sourire amusé sur les lèvres ; la menace du procès de sa part, elle l’a connue dans d’autres circonstances. Blague à part, il aimerait les croire, Alfie. Il aimerait croire en sa guérison, mais les progrès semblent si lents que son espoir se réduit de jour en jour. Et si certains tentent de comprendre son ressenti, dans les faits ils ne peuvent pas y parvenir ; il ignore pourquoi il lui pose cette question qui implique de se mettre à sa place. Malgré l’affection qu’il a pour Norah, il sait que la réponse ne saura le satisfaire, parce qu’il en revient à la même problématique : personne ne peut comprendre. « J’attends de voir. » Qu’il avoue à l’issue du discours de Norah, sceptique. Oh, bien-sûr qu’il aime Jules, de tout son être. Mais cela ne suffit pas à effacer certains défauts de plus en plus prédominants, dont ce soin presque étouffant. Bien-sûr, il lui en est redevable et il la remercie chaque jour de pouvoir se reposer sur elle ; mais encore une fois cela va à l’encontre des valeurs d’Alfie et cette indépendance qu’il a toujours prônée, qui lui a été enlevée (bien avant cette agression, par ailleurs, même si là-aussi il s’agit de quelque chose qu’il n’est pas encore en mesure d’affirmer). « Mais je... crois que je vois où tu... où tu veux en venir. Et que je ci-comprends un peu mieux le point de vi-vue de Jules. » Qu’il souligne, un sourire timide, mais marquant sa gratitude à l’encontre de Norah.
Norah qui devient à son tour le centre de la conversation ; parce que malgré l’affection qu’Alfie a pour elle, c’est bien son envie d’être oublié qui prime sur son inquiétude et qui permet à la jeune femme d’être mise en avant – même si c’est pour les mauvaises raisons. Pour autant, il n’est pas sans cœur et l’état dans lequel est plongée la jeune femme depuis peu le déstabilise. Parce qu’il n’aime pas jouer au psychologue pour les autres et tend à ne pas être une bonne oreille – ce qui fait que la situation le rend quelque peu mal à l’aise – mais aussi parce qu’il est soucieux, évidemment. Il émet un rire face à ses accusations, avant d’argumenter rapidement : « hé, ça t’arrange bien ! » reprenant finalement la parole « mais c’est vrai, sauf que chez-chez moi, c’est pas nouveau. » Il a toujours fonctionné ainsi, Alfie, avec un sommeil parfaitement déréglé ; chez Norah il s’agit d’une nouveauté, raison pour laquelle il se permet de le souligner. « Peut-être, mais j’en ai ril-rien à foutre des autres. » Qu’il précise avec sa franchise habituelle ; bien-sûr qu’elle n’est pas la seule mère célibataire, mais il se fiche éperdument des autres. « Ils-ils vont pas mourir pour deux heures dans la si-semaine. » Qu’il argumente en haussant les épaules. Pourquoi culpabiliser, dans ce cas ? Et s’il est le premier à partir du principe que chaque seconde compte vu son emploi du temps très chargé ; encore une fois quand cela concerne les autres ce ne sont pas les mêmes règles qui s’appliquent. « Tu crois pas que, que tu leur rends assez sév-service pour ne pas avoir besoin de leur rendre l’api- la pareille ? » Car il a des yeux, Alfie et il voit la manière dont Norah se met toujours en retrait pour que la lumière éclaire mieux les autres et ce n’est pas vivable sur le long terme. Elle peut considérer qu’il agit ainsi, mais la vérité est qu’elle se cherche tout autant d’excuses que lui et qu’elle est ferme sur ses positions. « À ce point ? » Qu’il demande par la suite, main sur le torse, faussement vexé. Faussement, car il ne peut pas lui en vouloir d’être surprise qu’il lui accorde suffisamment d’intérêt pour s’inquiéter pour elle ; rares sont ceux qui peuvent s’en vanter. « Non. » Qu’il précise dans un léger rire avant de reprendre la parole. « Je sous-entends que les- les autres se sont assez ri-reposés sur toi pour que toi tu puisses te reposer sur, sur eux. » Il souligne, avant de hausser les épaules. « Tes histoires de fesses, ça me concerne pas. » Riant légèrement, il est néanmoins sérieux. Il ne lui dira pas que tirer un coup pourrait lui faire du bien et la détendre, parce qu’elle est libre de faire ce qu’elle veut et que si Alfie est le premier à être très ouvert et à ne pas s’offusquer lorsque ses amis lui racontent les moindres détails de leur vie intime, il n’est ici pas question de cela. « Mais pour ce que ça-ça vaut, y’a sûrement des mecs que ça intéresse, si tu-tu savais ce que les gens aiment, parfois, hein. » Il parle en connaissances de cause, de nombreuses expériences lui certifiant qu’une nana de trente-cinq ans, avec deux enfants à charge peut trouver des amateurs et largement. « Vraiment ? » Qu’il demande par la suite, l’air de dire « est-ce que tu essaies de te convaincre ou tu le penses vraiment ? » alors qu’elle prétend que ses amis lui suffisent. Encore une fois, il n’est pas question de trouver un remplaçant à Frank, mais seulement d’apprendre à penser pour elle, sans se préoccuper des autres et, surtout, en cessant de leur donner la main et qu’ils en profitent pour exiger le bras. « C’est pas parce qu’ils ont bi-besoin de toi que tu dois toujours être à leur dispa-disposition. » Il se permet, parce que dans l’histoire, le besoin le plus important, ce n’est pas celui des autres, mais bien le sien. Est-ce qu’elle peut le supporter ? Pour combien de temps encore ? À terme, ce n’est pas une solution et c’est la preuve que sur ce point, ils sont si différents. Parce que là où Alfie prône le détachement, Norah n’en est pas capable. Pourtant, c’est la vérité selon lui : se détacher des autres est un premier signe de liberté, de bien-être, de bonheur, quand bien même cela semble être le contraire qui s’opère. « C’est pas que tu ne peux pas, c’est que-que tu ne veux pas. » Elle l’avait provoqué quelques instants plus tôt ; ce n’est qu’un juste retour des choses. Un équilibre qu’ils ont trouvé, une manière de secouer les autres, de le faire sortir de sa zone de confort par quelques mots bien sentis et il ne peut s’empêcher de lui renvoyer la monnaie de sa pièce. Pour qu’elle comprenne, enfin, qu’elle ne peut pas continuer ainsi, s’épuisant pour éviter que ce soit les autres qui le soient. « C’est clou-cliché ce que je vais dire, mais parfois, c’est quand tu ti-touches le fond que tu peux mieux te relever. » Il parle en connaissance de cause. Mais il n’est pas le mieux placé pour tenir ce genre de conseils ; il adore toucher le fond alors que le commun des mortels en est effrayé. Lui, il en redemande, encore et encore, se complaisant dans une souffrance qui lui échappe. C’est ce qui le fait vivre, même si cela est terriblement contradictoire. « Tu sais ce que mes vir-voyages m’ont appris ? » Qu’il questionne, marquant un silence pour réfléchir au bon usage des mots qui s’apprêtent à franchir ses lèvres. « Que parfois, c’est par des cy-signaux comme ça que tu te connais le mieux. » Et s’il avait la pleine capacité de ses fonctions cognitives, il aurait pu détailler pendant des heures, évoquer les idées spirituelles auxquelles il croit, partager ses idées souvent mal perçues mais cohérentes à ses yeux. Aujourd’hui, il se contente d’abréger, de ne pas s’épancher plus que de raisons ; parce que l’un et l’autre l’ont suffisamment fait pour éviter de forcer des confidences qui pourraient mettre à mal ce cadre de confiance instauré entre eux. « Tes limites, par exemple. » Qu’il conclut avec un sourire entendu et elle fera ce qu’elle souhaite de cette information : elle le sait, il n’est pas là pour s’occuper des autres sur le long terme. |
| | | | (#)Jeu 16 Juil 2020, 21:57 | |
| ONCE YOU'RE GONE, YOU NEVER CAN COME BACK it's better to burn out than to fade away | |
S'il y avait bien une chose qui avait toujours dépassé ses collègues lorsqu'Alfie se retrouvait hospitalisé, c'était bien son caractère. Ca les arrangeait bien, au final, que Norah parvienne à le cerner un tant soit peu. Tout d'abord, l'on pensait qu'elle le tolérait simplement; mais lors que l'on apprenait qu'elle l'appréciait, elle avait vu plus d'une mâchoire tomber par terre. Elle était, pourrait-on dire, fascinée de la façon de penser de son ami. Ca ne rentrait dans aucun moule, dans aucune gamme de stéréotypes que l'on aimait accorder parmi le panel de patients qui se présentaient au quotidien. Clairement, Alfie faisait partie de ce que les soignants aimaient appelés des chieurs. Pas très glamour comme mot, mais parfois c'était pourtant bien vrai. Alfie avait une vision foncièrement différente du monde et de la place qu'il y occupait. Grâce à lui, Norah parvenait à voir les choses sous un tout nouvel angle, qui s'entend et se comprend. Que si tout le monde pouvait prendre une partie de sa façon de penser, le monde tournerait un petit peu plus rond. Il était rafraîchissant, il forçait à garder l'esprit à l'affût et à se montrer réceptif à tout ce qu'il disait. Avec les années, et beaucoup de patience et d'ouverture d'esprit sûrement, elle avait fini par le comprendre, à à peur près savoir quand il plaisantait ou non, s'il laissait transparaître des fissures pour lesquelles il faisait tout son possible pour dissimuler. "J'ai perdu le compte du nombre de trucs socialement inacceptables que tu m'as déjà dite, ou faite. Alors une de plus, une de moins..." dit-elle en haussait les épaules, le sourire à la fois taquin et complice. Alfie savait user d'incivilités par provocation, parce qu'il savait que cela serait pris comme tel. Mais ça ne l'était pas forcément pour lui. Norah était jusque là restée particulièrement passive, mais attentive, à chacune de ses tentatives de la faire sortir de ses gonds. Alfie n'avait jamais réussi à obtenir ce qu'il voulait, et devait être surpris de voir qu'elle était plus à-même de renchérir ou voire même d'aller dans son sens. Pour l'heure, Alfie s'exaspérait surtout de son état de santé, la lenteur des améliorations, ses neurones un tantinet déconnectés qui ne lui permettaient pas de prononcer une phrase sans un petit bégaiement. Norah pouvait imaginer combien cela devait le contrarier, de ne pas pouvoir être au top de ce qu'il était capable de faire; à la fois intellectuellement et physiquement. Il prônait l'idéologie de guérir le mal par le mal, ce à quoi, Norah le contredisait en lui assurant qu'un nouveau coup sur la tête ne l'aiderait en rien. "Comme si c'était la première fois que tu essayais de me coller un procès aux fesses." dit-elle avec un rictus nostalgique. La rémission allait encore prendre un certain temps. Elle n'allait certainement pas mentir à Alfie en lui promettant la lune alors que la réalité était bien plus amère. Tout comme elle n'avait pas menti à Jules lorsqu'elle lui avait assuré que les mois qui suivraient sa sortie d'hospitalisation allait être difficile. Ce n'était pas son genre, d'arrondir les bords, de faire croire à une vérité plus douce alors que ce n'était pas le cas. Elle préférait largement qu'ils s'attendent au pire et qu'ils soient agréablement surpris si les améliorations se font plus rapides que prévu plutôt que l'inverse. Même si Alfie était une tête de mule, qui préférait généralement se cantonner à ce que lui pensait (parce qu'il avait forcément raison), il se montrait particulièrement à l'écoute des paroles de la brune. Il en était même reconnaissant. Concluant cette partie de leur conversation sur le discret sourire de l'anthropologue, celui-ci ne désirait plus parler à coeur ouvert, laissant ce bien dur labeur à Norah, qui, elle non plus, n'était pas vraiment amatrice de confidences. Surtout lorsque ça la concernait elle et quand il fallait se concentrer sur le véritable fond du problème. Alfie était un persévérant et il appuyait là où ça faisait mal. Pour son bien, dirait-il. Il avait noté les yeux inhabituellement fatigués de son amie. Pas qu'il ne l'avait jamais vue lessivée par une journée trop intense au travail. Non, ce n'était pas la même chose. Il était de ceux qui n'allaient pas se gêner pour le lui dire, sachant bien qu'il ne la froisserait pas (et si c'était le cas, il lui dirait quand même de toute façon). Si l'insomnie était de notoriété commune chez le Maslow, elle l'était beaucoup chez Norah. Cela était vraisemblablement suffisant pour l'inquiéter. "Touché." dit-elle en empruntant ce mot français communément utilisé. C'était un détail qu'elle ne pouvait cacher à personne et encore moins minimiser devant Alfie, car il ferait partie des premiers à se rendre compte qu'elle n'était vraie envers lui et envers elle-même. Elle cherchait malgré tout à relativiser en se disant que le quotidien des autres mères célibataires n'étaient pas faciles non plus, qu'elle n'était certainement pas la plus à plaindre sur le marché. Le brun le disait haut et fort, il n'en avait rien à faire des autres, la seule pour laquelle il se permettait d'être inquiet était celle postée en face de lui. Rien que quelques heures dans la semaine lui ferait probablement du bien; Anwar avait toujours été le premier à lui proposer cette trève là pour qu'elle se permettre de se recentrer sur elle. Alfie s'alignait sur le même avis, sans mâcher ses mots. "C'est pas faute d'avoir déjà tenté, de prendre quelques heures ici et là. Sinon on ne se serait pas retrouver à courir ensemble, ou à nager de nouveau." Elle soupira. S'il y avait bien une sensation qu'ils partageaient à ce moment là, mais qu'ils ne disaient pas à voix hautes était la même; personne ne pouvait comprendre. Cela creusait un sentiment de solitude que Norah jugeait inexplicable. Elle poussa un soupir et une main passait rapidement sur son visage. "Mais ces derniers temps, quand je rentrais de ces moments-là, la coupe se retrouvait de nouveau toute pleine." Elle lui lança alors un regard empli d'une émotion qu'elle n'aurait jamais voulu laisser transparaître : de la détresse. Selon Alfie, il était temps qu'elle se laisse bichonner. Sauf que Norah n'aimait pas vraiment se reposer sur les autres. Son indépendance et sa fierté en prendraient un sacré coup. Il parvenait tout de même à lui arracher un sourire lorsqu'il disait qu'il n'en avait rien à faire des histoires intimes de la soignante. "Et si on n'arrive pas à se relever ?" lui fit-elle remarquer. Norah ne pouvait décemment pas faire preuve d'autant de détachement qu'Alfie pouvait le faire. Elle l'enviait sur ce point-là, tout comme elle pouvait envier son jumeau qui avait eu besoin de prendre l'air et beaucoup de recul. Norah n'était pas suffisamment égoïste au point de parvenir à retirer ses enfants de l'équation. Difficile de détacher une habitude bien ancrée depuis trois ans, elle ne vivait plus que pour eux depuis trois ans. Peut-être qu'Alfie ne voulait pas la voir couler, il préférerait qu'elle se batte autant que lui lorsqu'il atteignait son propre point de rupture. Certes, elle était aventureuse et téméraire, mais pas au point d'avoir un goût du risque aussi prononcé que le brun. "On verra bien ce que ça donnera le jour où ça me tombera dessus." dit-elle d'une voix plus légère que son sourire. Norah redoutait ses propres limites, elles semblaient lointaines et elle avait la certitude que si elle s'en approchait de trop, la chute jusqu'au point de non retour serait particulièrement rude. La belle brune balayait d'un geste de la main l'atmosphère alourdit par une conversation qui n'avait plus trop de sens à son goût. Il se sentait incompris, elle aussi. Et la solitude se creusait, encore et encore. Elle échangeait malgré tout un sourire particulièrement reconnaissant avec Alfie. Ce n'était pas donné pour lui, d'écouter les confidences d'autrui et pourtant il avait été là pendant ces quelques minutes de faiblesse. C'était dire à quel point leur lien amical était devenu solide, car Norah avait conscience qu'il n'accorderait pas le temps qu'il venait d'offrir à Norah à n'importe qui. Il avait trop à se soucier de son propre bien-être d'abord. "Allez, j'arrête de t'emmerder avec ça." dit-elle après avoir furtivement essuyer l'ombre d'une larme qui se perlait au bord de l'un de ses yeux. Ses iris se rivèrent vers Anabel, qui semblait avoir oublié depuis longtemps sa mauvaise chute. "Elle a l'air de bien s'en remettre, déjà." dit-elle avec un sourire complice alors qu'elle se redressait sur ses jambes. "Mais si jamais il y a quoi que ce soit qui te semble chelou, tu sais comment m'appeler. Même si c'est par rapport à toi." Cela allait totalement à l'encontre des conseils qu'Alfie venait lui donner. "On va dire que vous faites partie des exceptions. Tu devrais te sentir chanceux." ajouta-t-elle alors avec un sourire amusé. Elle mentirait si l'envie de lui faire un quelconque geste d'affection à cet instant précis ne lui avait pas traversé la tête. Elle l'appréciait vraiment. Mais ce n'était pas son rôle et cela lui semblait de toute façon très inapproprié. "Je te dirais pas de prendre soin de toi, tu vas en faire qu'à ta tête, de toute façon." Et si c'est le cas, cela montrerait qu'Alfie ne pouvait tendre que vers le mieux, ce que Norah lui souhaitait plus que toute autre chose.
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| | | | (#)Mar 18 Aoû 2020, 22:29 | |
| Certains se seraient cachés derrière une fausse maladresse verbale pour justifier d’une idée aussi provocatrice que celle verbalisée par Alfie ; or de son côté il s’agit d’un je m’en foutisme avéré et, mieux, assumé. Sans les détester ou leur souhaiter du mal, il n’a guère d’intérêt pour les autres lorsqu’il se place également dans l’équation ; et en ce sens il se considérera toujours comme plus important que le reste du monde. C’est égocentrique, arrogant et tout le dictionnaire des synonymes pourrait être utilisé, il n’en demeure pas moins que c’est foutrement vrai ; et qu’Alfie assume de moins en moins d’avoir accepté la garde d’Anabel lorsqu’il voit le résultat. Et si son affection pour l’enfant a effectivement pesé dans sa décision d’accepter la demande de Stephen, ce n’est pas pour autant que cela a été la motivation principale de son choix. Au contraire, ça n’a été qu’un facteur minime en comparaison de son égoïsme et de sa volonté de démontrer à quel point son entourage se trompait sur lui. Pointant constamment du doigt ses incapacités, il se surprend encore, malgré l’âge et son caractère, à rechercher leur approbation. Une approbation qu’il n’obtiendra probablement jamais, mais qu’il persiste à provoquer : pourtant, une fois encore, le résultat n’est pas à la hauteur de ses attentes. Ils ne l’ont pas félicité pour la manière dont il s’occupe de la petite, ils pointent constamment du doigt ses mauvais choix d’éducation et mettent en avant cette bombe à retardement qui pèse sur les épaules du parrain et sa filleule. Le moment où Alfie en aura marre de ce nouveau jouet et qu’il demandera à en changer ; et il ne peut même pas s’en plaindre : c’est bien son envie d’un nouveau challenge qui l’a poussé à chambouler ainsi son quotidien. Un challenge au timing désastreux ; il est vrai : mais c’est dans la difficulté qu’il s’épanouit le plus. C’est ce qui a toujours dicté sa vie, sans savoir qu’il atteindrait ce point de non-retour où sa satisfaction ne serait possible qu’en lien avec sa souffrance ; et où la difficulté qu’il s’inflige n’est alors plus qu’un euphémisme. Mais le fait est qu’il n’est plus seul et qu’il est forcé de se penser conjointement avec tant de monde autour de lui que tout ceci n’est pas vivable à terme : et à ce moment-là, oui, il regrette de s’être battu pour la garde temporaire d’Anabel. Haussant simplement les épaules à la réflexion de Norah, il esquisse malgré tout un léger rire. Néanmoins, le cœur n’y est pas, trop préoccupé par le fait d’admettre que la petite est un fardeau reviendrait à la trahir, elle qui n’a jamais cessé de l’être par tous les adultes qui ont gravité autour d’elle. Il ne peut pas lui faire ça, il le refuse et il s’agit là d’un challenge susceptible d’adoucir son point de vue sur la situation : il veut être celui qui n’abandonnera pas Anabel, quand tant d’autres l’ont fait. Ce serait une belle victoire, que d’être celui qui sera toujours là pour elle, alors qu’il a toujours persisté à ne pas être là pour les autres.
Pourtant, il fait une exception à ce principe pour se soucier de Norah ; mais là aussi il ne s’agit pas d’une bienveillance désintéressée, bien au contraire. Il est question de retourner une situation qui échappait à son contrôle, d’un intérêt qu’il ne veut pas être centré sur lui. Oh, bien sûr qu’il adore se mettre en avant, Alfie, démontrer aux autres à quel point il est intéressant et doué dans de nombreux domaines, à la recherche d’une attention qu’il juge méritée quant à sa personnalité – et peu importe si cela équivaut à être arrogant. Mais pas ainsi, pas dans ces circonstances déplaisantes qui ne parviennent pas à le mettre en valeur en soulignant autant ses faiblesses. À défaut, il souligne alors celles de Norah, brusquement, trop, peut-être, mais elle le connaît suffisamment pour ne pas s’en offusquer. Et même si elle en était vexée, il ne s’excuserait pas pour autant : tous les moyens sont bons pour que les choses puissent aller dans la direction dont il le veut, au détriment des autres si nécessaire. Il ne lui est donc pas difficile de retourner les propos de Norah contre elle, comme cette insomnie qu’elle tente de minimiser en la comparant avec son propre état. Mais encore une fois, Alfie n’est pas le sujet et il esquive la pique sans difficulté. Un sourire de satisfaction sur les lèvres, lié au fait d’être parvenu à son objectif ou de soutien, allez savoir, Alfie reste néanmoins silencieux pour laisser à l’infirmière l’occasion de s’exprimer, l’incitant même à le faire. Il n’est pas intrusif, en temps normal, mais pour se préserver et préserver ses intérêts, il en serait capable, peu importe les conséquences que cela peut avoir sur son amitié avec Norah, peu importe si cela va à l’encontre de l’accord tacite qui leur a permis de construire leur amitié, qui implique que leurs difficultés, même si elles sont identifiées, doivent toujours être minimisées, voire oubliées, par l’autre. « Mais c’est très alv-aléatoire. » Il se permet de commenter lorsqu’elle évoque les quelques heures qu’elle peut lui accorder afin qu’ils se retrouvent pour courir. Elle cherche des excuses ; il refuse de les lui céder avec autant de facilité. Et la preuve est ce qu’elle : Norah l’admet, cela ne suffit plus. Même lorsqu’elle parvient à trouver du temps pour elle, ça ne lui permet pas de lâcher prise et l’accumulation ne cesse jamais vraiment. « On apprend à vivre avec. » Qu’il finit par répondre après un long silence, de façon à ne pas bégayer. Il ne s’épanchera pas sur la raison pour laquelle il a cette réponse à cette question, elle peut s’en douter, mais cela ne sera jamais un partage entre eux. Pour autant, l’expérience lui a démontré que, à défaut de pouvoir se relever, il n’y a d’autres choix que de vivre avec. Une phrase simple, pourtant lourde de sens : Alfie n’est pas aussi optimiste qu’il ne le laisse penser. « Vivre avec » ne veut pas dire que c’est oublié, réparé, effacé. Ça ne l’est jamais ; ce n’est même pas synonyme de positif. « Vivre avec », ça peut aussi être douloureux, terrifiant et insupportable. Cela ne rend pas le quotidien plus facile, ni ne l’apaise. Ça n’a pas été son cas et ça ne le sera probablement jamais, mais il ne le verbalise pas, car ce sont des paroles dont Norah n’a pas besoin à cet instant. Un jour, quand elle sera prête, peut-être qu’il pourra reconnaître qu’apprendre à vivre avec est parfois pire que tout le reste et amène à d’autres dégâts, mais pas aujourd’hui, pas à cet instant alors qu’une larme roule le long de sa joue. « Je ne te le s-souhaite pas. » Qu’il conclut, superficiel, mais sincère. Ce n’est pas parce que toucher le fond peut être bénéfique qu’il veut qu’elle l’expérimente ; bien au contraire.
Laissant échapper un léger rire, il hausse les épaules à sa réflexion, comme pour la remercier silencieusement de clôturer le sujet. Anabel dans leur champ de vision leur donne une formidable excuse pour laisser la poussière sous le tapis et le regard d’Alfie se porte sur sa filleule dont il avait oublié l’existence. « C’est noté. » Pour Anabel. Pour lui, c’est une autre histoire. Posant sa main sur le cœur dans un geste théâtral afin de certifier de sa chance, il reprend son sérieux pour glisser, sur le ton de la confidence : « la réci-réciproque est vraie aussi. » Elle peut l’accuser de tous les torts, c’en est un qu’ils partagent. L’accompagnant jusqu’à la porte d’entrée après qu’elle ait récupéré ses affaires et dit au revoir à l’enfant, il lui adresse un sourire, un « Merci, Norah. » des plus sincères et un dernier regard avant que la porte ne se referme sur sa silhouette.
- sujet terminé -
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| | | | | | | | (noralfie) once you're gone, you can never come back |
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