Tu t'accroches au bras de Saül. Tu souris. Tu joues à la petite femme parfaite, alors que ce soir, ton cœur n'y est pas. Une bombe a éclaté au sein de votre famille pendant les fêtes. Une bombe qui a fait un sacré ravage. Plus n'est pareil. Saül et toi, vous vous adressez la parole simplement si c'est réellement nécessaire, et encore là, tu préférerait passer par sa secrétaire. Sans ça, c'est le silence totale. C'est terrifiant le silence, pire que les coups bas tant qu'à toi. « J'vous laisse parler affaire. Je vais aller faire un tour. » que tu finis par dire. Quand ça se met à parler trop d'argent, trop de boulot, oui, tu finis par t'éclipser. C'est plutôt ennuyeux et ça ne te regardes pas vraiment de toute façon. Et puis, Saül, il se sent mieux quand t'es pas là. Tu le sais que dès que tu te détaches de lui, ses épaules se décrispent. Un baisée échangé entre vous deux, les hommes d'affaires poursuivrent leurs discussions et toi, tu te sauves. Tu essaies de te trouver un petit coin à l'écart des autres, histoire que personne ne remarque cette air blasée que tu avais du mal à cacher. Tu te dis même que d'ici trente minutes, tu pourrais simuler une migraine pour retourner chez toi. Enfin, c'est ce que tu t'étais dis jusqu'à ce que tu entendes quelqu'un d'interpeller. Tu te retournes doucement, fronces un peu tes sourcils sur le coup. « Carlisle ? » Ton coeur manque un battement. La surprise se fait lire sur ton visage. Après près de vingt-cinq ans, tu n'aurais jamais pensé recroiser son chemin un jour. « Wow! Ça fait.... longtemps » que tu ajoutes en le détaillant discrètement. Il avait changé. Tu ne l'avais presque pas reconnu sur le coup. Il avait bien vieillit. Vous étiez tous deux très loin des adolescents maladroits que vous aviez été. « Tu es venu sauver les koalas ? » Une question plutôt rhétorique. Que sera t-il venu faire d'autre ?
Carlisle s’empressa de plonger sa main dans la poche de son pantalon de costume, pour en extirper son téléphone portable. Il sourit en voyant qu’il était pile vingt-et-une heures, et nota mentalement de remercier Carmina dans les grandes largesses. Comme ils en avaient convenu, elle l’appelait pour lui donner une excellente raison de quitter cette soirée. Il préférait mille fois délaisser ce monde de strass et paillettes, au profit de quelques heures en compagnie de sa famille. « Je ne vais pas tarder à rentrer. » Confia-t-il à voix basse au téléphone, alors qu’il déambulait dans le hall d’accueil. Il fit quelques pas supplémentaires, et sortit sur le perron du hall. « Maya dort déjà ? » Il espérait sincèrement que Carmina Farrell lui répondrait non, mais il n’y croyait pas vraiment : leur fille était réglée comme une horloge. Il fit la moue lorsqu’il entendit l’héritière lui dire que Maya s’était assoupie quelques minutes plus tôt, et eut la désagréable sensation d’avoir perdu une soirée, loin de sa fille et de sa compagne. « Je serai là dans une heure. » Déclara-t-il finalement, le coeur gros. Une heure, une très longue heure à devoir faire semblant auprès de personnalités plus ou moins en vue de la ville de Brisbane. « Tu m’attendras ? » Murmura-t-il à voix basse. Depuis le Nouvel An, la relation des deux Australiens était repartie de plus belle. Il sentit le poids de la frustration s’envoler lorsqu’elle lui confirma qu’elle avait pris des affaires, pour rester la nuit. Il raccrocha quelques instants plus tard, à regret, en promettant qu’il se montrerait souriant et accessible. Il tira une cigarette qu’il alluma aussitôt, et tira franchement dessus. Pourquoi fallait-il que son père l’ait forcé, une fois de plus, à faire quelque chose qu’il détestait de tout son coeur ? Pourquoi l’avait-il envoyé dans un gala de charité, en représentation, alors qu’il était profondément mal à l’aise dans ce rôle ? Carlisle aimait la discrétion, la modestie, l’humilité — trois qualités qui n’étouffaient pas les personnes qui se rendaient habituellement dans ce genre d’événement. S’il restait poli et courtois avec chaque personne qui prenait la peine de lui adresser la parole, l’Australien restait pourtant relativement vague dans ses propos. Oui, il était venu seul. Oui, sa fille et sa compagne se portaient bien. Oui, Maya grandissait vite — trop vite, même. Il s’apprêtait à retourner dans la cage aux lions quand, soudainement, il entendit qu’on l’interpellait. « Elise ? » Finit-il par dire, avec une certaine touche d’hésitation dans la voix. Il était toujours étrange de recroiser quelqu’un, des années plus tard. « Au moins vingt ans. » Confirma-t-il en hochant légèrement la tête, alors que l’Australienne s’approchait de lui. Voilà qui ne le rajeunissait pas : à croire que, depuis un an, la vie s’amusait à lui filer de grandes claques. Il avait passé la quarantaine depuis peu, et était devenu père il y a quelques mois à peine. Et voilà qu’il était désormais ici, pour signer un chèque à quelques zéros, pour la défense de la biodiversité en Australie. « En quelque sorte. » Répondit-il en haussant les épaules. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait préféré mettre ses quelques heures à profit en se rendant au plus proche des désastres que les feux avaient provoqué. Il n’aurait eu aucun mal à accepter une mission temporaire, au cours de laquelle il aurait pu apporter son aide aux secours. En les aidant à éteindre les feux, par exemple : en tant qu’ancien pilote, prendre les commandes d’un avion pour larguer de l’eau sur les feux indomptables. Ou encore aider les habitants qui devaient être évacués en urgence, à cause des feux qui menaçaient leurs vies. Il s’était senti frustré de n’être qu’un simple spectateur de ces désastres, qui avaient eu un écho international. « Toi aussi, j’imagine ? » Demanda-t-il en souriant légèrement. « Je ne t’avais jamais vue, avant, dans ce genre d’événement. Tu représentes quelle entreprise ? »
« Elise ? » Pour une surprise, ça en était toute une. Carlisle était bien la dernière personne sur qui tu pensais tomber ce soir. Ça faisait si longtemps que vous ne vous étiez pas revue tous les deux. Pas depuis qu'il avait quitté Brisbane depuis déjà plusieurs années. « Au moins vingt ans. » Et même plus que ça. Voilà maintenant vingt-deux ans que tu as quitté Brisbane pour la première fois, alors oui, bien plus de vingt ans depuis la dernière fois où vous vous êtiez dit au revoir. « Ça nous rajeunis pas » que tu lui réponds alors qu'un mince sourire vint s'installer sur tes lèvres. « Toi aussi, j’imagine ? Je ne t’avais jamais vue, avant, dans ce genre d’événement. Tu représentes quelle entreprise ? » Donc il était revenue depuis un certain temps ? Et dire que vous aviez probablement tous les deux été dans une même soirée -probablement même à plusieurs reprises- sans jamais vous croisez. Pourquoi était-ce autant ironique que tu tombes sur lui aujourd'hui ? à ce moment précis de ta vie ? « Oh tu sais, il y a tellement de personnes que c'est un peu dure de s'y retrouver » que tu commences en haussant un peu les épaules. Personne ne voyait jamais tout le monde dans ce genre de soirée. On voyait ceux qu'on voulait voir et les autres, on ne s'en occupait pas vraiment. « Michael Hills... Enfin, pas moi. C'est mon mari. Désolé, je n'ai pas tenu ma promesse. Je ne t'ai pas attendue » que tu ajoutes par la suite en riant doucement. Et oui, tu avais fait partie de ce genre de fille cliché qui promet à l'amour de sa vie qu'elle attendra son retour, alors que le déménagement de Carlisle avait eu raison de votre amourette d'adolescent. En y repensant, c'est plutôt embarrassant. La même chose se reproduirait aujourd'hui et jamais tu ne réagirais de la même façon. Ton orgueil a probablement triplé depuis la dernière fois que tu as vu Carlisle. Tu étais aujourd'hui une personne complètement différente, le caractère forgé par les dures épreuves de la vie d'adulte. C'était probablement la même chose pour lui. « Et toi ? Celle de ton père je présume ? » que tu lui demandes ensuite. Ces souvenirs étaient plutôt lointain, mais tu te rappelles d'un Carlisle dont le destin était déjà tracé à l'avance, destinée à suivre les traces de son père.
« Je te le fais pas dire. » Répliqua l’Australien en faisant la moue. S’il n’avait pas toujours passé des moments faciles, il réalisait aujourd’hui qu’il ne s’en sortait pas si mal. Il avait pu vivre de sa passion pendant des années, et était le père d’une petite fille merveilleuse. Il ne regrettait pas ses choix, qui l’avaient mené à une forme de calme et d’apaisement — même si, jadis, certains choix n’avaient pas été faciles à assumer. Quand il avait annoncé à Elise son intention d’aller étudier à l’université de Berkeley, en Californie, l’Australienne n’avait pas compris son choix. Pourquoi s’éloigner, prendre le large, alors qu’ils vivaient le grand amour (pensaient-ils) et que Carlisle pouvait étudier dans n’importe quelle faculté Australienne ? Il n’avait pas eu le courage, à l’époque, de lui dire que c’était une nécessité. Que s’il restait à Brisbane, il en crèverait. Il avait eu envie de lui proposer de le suivre, mais il n’en avait pas eu le temps : elle était partie, furieuse et blessée. Ils ne s’étaient revus que la veille du départ de Carlisle, où ils avaient eu des adieux déchirants. « C’est vrai. » Confirma-t-il en hochant légèrement la tête. Trop de monde, et surtout, trop de monde voulant être vu. ici, ce n’était pas les corps qui prenaient le plus de place : c’était les égos surdimensionnés des convives. « Et pourtant, j’ai l’impression de ne voir personne, dans ce genre d’événement. » Avoua-t-il du bout des lèvres, conscient que son père lui arracherait la tête s’il l’entendait dire un truc pareil. Il était là pour représenter l’entreprise : il devait sourire, rire aux blagues des investisseurs, serrer des mains, se montrer poli, faire preuve d’esprit et d’intelligence. Les soirées mondaines n’étaient ni plus ni moins que des mascarades. Chacun jouait son rôle — et Elise et son mari n’échappaient pas à la règle. « Quel est son nom ? » Demanda-t-il en fronçant les sourcils, cherchant à savoir s’il connaissait l’époux de son ancienne petite-amie. L’ancien pilote éclata de rire lorsqu’elle lui fit remarquer que, contrairement à ce qu’ils s’étaient jadis promis, elle n’avait pas respecté sa promesse. Sans rancune, pour Carlisle. « Je ne vais pas te blâmer. » Admit-il, hilare. Quand ils s’étaient quittés, ils s’étaient promis de rester en contact. Ça avait été le cas, pendant les premiers mois de leur éloignement. Et puis, lentement, la distance avait fait son oeuvre : les deux anciens camarades de classe s’étaient perdus de vue, et chacun avait poursuivi sa vie comme il l’entendait. « J’ai moi-même évolué, depuis. » Même si aucun anneau ne venait encercler son annulaire, Carlisle était épris. Épris de la mère de sa fille. Il avait mis du temps avant de s’en rendre compte, mais il ne pouvait désormais plus se mentir : il était plus heureux quand Carmina était dans les parages. « Tout a l’air de bien se passer pour toi. » Fit remarquer Carlisle en écrasant son mégot de cigarette. Il s’accroupit pour le ramasser, et après avoir vérifié qu’il ne restait aucune trace rougeoyante, fit quelques pas pour le mettre directement dans la poubelle. « Je me trompe ? » Demanda-t-il en se retournant, et en constatant qu’Elise faisait la moue. Comme si elle n’était pas pleinement convaincue par ce que Carlisle venait de lui dire. « Je confirme. » Admit Carlisle en hochant la tête. Il avait tout fait pour échapper le plus longtemps possible à sa condition d’héritier, tout en sachant qu’il s’agissait d’une course contre la montre. Et, finalement, le moment était venu. Il l’avait lui-même précipité, en mettant enceinte l’héritière directe de la compagnie aérienne pour laquelle il travaillait alors. « Tu partais ? » Demanda-t-il, conscient qu’ils n’étaient que deux sur le parvis.
« Quel est son nom ? » « Saül Williams » Se connaissaient-ils tous les deux ? Rien n'est impossible, mais les chances qu'ils se soient croisé dans ce genre de soirée sans que tu ne t'en rende compte était quand même très mince. Tu n'en manquais pas une. Et, tu avais quand même l'habitude de n'être jamais bien loin de lui. Sauf ce soir apparemment. Bref, un sourire vint toutefois s'installer sur tes lèvres, alors que Carlisle éclate de rire à ta réplique, au souvenir de ces promesses de jeunesse, de cette belle naïveté que tu avais eu à cette époque. « Je ne vais pas te blâmer. J’ai moi-même évolué, depuis. » « Tu t'es aussi marié ? » que tu lui demande curieuse. Sans vraiment savoir pourquoi tu aurais voulu qu'il te réponde que non, même si tu te doutais bien que la réponse était bel et bien oui. Ou du moins, il partageait sa vie avec quelqu'un. « Tout a l’air de bien se passer pour toi. » Tu roules les yeux dans ta tête alors qu'il se retourne le temps de quelques secondes. Enfin, tu croyais bien que ça s'était passé dans ta tête puisque visiblement tu n'avais pas l'air convaincu. « Je me trompe ? » Tu n'étais pas prête à dire que tu étais malheureuse aux côté de Saül. Il t'offrait une belle vie. Il t'a donné un fils. Mais l'amour n'était simplement plus au rendez-vous. Elle ne l'avait possiblement jamais été. Personne ne comprendrait vraiment pourquoi vous vous infligez ce genre de vie. C'est très complexe, voilà. « Non, tu ne te trompes pas. J'ai beaucoup de chance » que tu lui réponds doucement avant de choisir plutôt de lui retourner la question sur son boulot. Tu n'avais pas particulièrement envie de t'étaler sur ta vie amoureuse chaotique, plus chaotique que jamais en fait. « Je confirme. » Tu hoches doucement la tête, alors qu'il confirme tes pensées. Il avait bel et bien suivit les traces de son père. « Tu partais ? » Malheureusement non. Ou heureusement ? Tu ne savais plus trop en fait. Tu ne t'attendais pas du tout à un tel revirement de situation dans ta soirée. « Non, ça commençait à parler un peu trop d'argent à mon goût. J'ai décidé de m'éclipser. » La vérité ? Tu avais juste eu besoin de te sauver de cette soirée où le coeur n'était pas au mensonge ce soir.
Il secoua la tête négativement, signifiant ainsi qu’il ne connaissait pas l’époux d’Elise. Ce n’était pas une grande surprise : il avait tout fait pour retarder au maximum son entrée dans ce monde impitoyable, qu’il abhorrait. Si son mari était un chef d’entreprise impliqué et assidu, il le rencontrerait probablement tôt ou tard pour les affaires — ou, à défaut, Elise ferait sans doute les présentations. Elle occulterait probablement quelques détails pour le bien commun — et ce serait mieux ainsi. Même si leur relation datait d’il y a plus de vingt ans, Carmina n’apprécierait que très moyennement de savoir que le père de sa fille fréquentait encore, de temps à autre, une ancienne compagne. « J’ai failli. » Répondit l’ancien pilote en souriant. Il avait longuement été fiancé, mais ne s’était jamais marié. D’une certaine façon, c’était les préparatifs de ce grand événement qui lui avait fait ouvrir les yeux, dans un premier temps. Se marier aurait été, dans son cas, une pure folie. « Mais ça ne s’est pas fait. » Non, à la place, il avait fait un enfant à une autre, et rompu avec sa fiancée. Dans cet ordre très précis. Ce n’était pas quelque chose dont il était fier — il avait toujours été honnête et fidèle — mais c’était la pure vérité. « J’ai eu une petite fille, il y a quelques semaines. » Avoua l’ancien pilote, alors qu’un sourire sincère étirait sur ses lèvres. Il s’empara de son téléphone portable, et alla dans la galerie de photographie. Il fit glisser son pouce sur l’écran, jusqu’à s’arrêter sur la photo que Mina lui avait envoyé, pendant les vacances. Il tenait sa fille dans ses bras, et regardait vers le ciel. « Elle s’appelle Maya. » Précisa-t-il, un sourire sincère ayant naturellement glissé sur ses lèvres. L’arrivée de sa fille dans sa vie avait été un véritable chamboulement. Cet événement l’avait rendu plus heureux que jamais, et chaque seconde qu’il passait avec sa progéniture le comblait. Il la regardait avec des yeux brillants d’admiration, et débordait d’amour pour elle. « Je suis content pour toi. » Déclara l’ancien pilote en souriant, sincèrement heureux d’entendre que l’Australienne avait trouvé chaussure à son pied. Ils s’étaient quittés dans la douleur, et l’éloignement géographique avait eu raison de leurs promesses respectives. « Tu le mérites. » Et il le pensait. Elise avait été son premier coup de coeur, la première femme qui l’avait chamboulé. Leur relation avait été semblable à toutes celles que des adolescents avaient pu vivre : forte, passionnée, intense.
« Les affaires sont les affaires. » Commenta Carlisle en haussant les épaules. Il avait beau être riche à millions, l’argent ne l’avait jamais réellement intéressé. Il n’avait jamais été perverti par les billets de banque, et avait souvent trouvé leur odeur nauséabonde. Ce que Carlisle souhaitait avant tout, c’était de vivre heureux. « La plupart des gens ici présents ne le sont pas pour le bien de l’humanité, contrairement à ce qu’ils prétendent. » Et c’était exactement pour cela que Carlisle détestait ce type de manifestation, prétendument bien-pensante, prétendument organisée pour le bien-commun. Il n’appréciait déjà pas de devoir se rendre aux soirées organisées par Cathay Pacific, alors qu’il n’avait qu’un rôle de représentation ; maintenant qu’il représentait l’entreprise familiale et qu’il devait avoir un rôle actif, il les détestait carrément. Il eut un petit sourire amusé lorsqu’elle lui dit qu’elle s’était éclipsée parce qu’elle n’aimait pas la tournure que prenaient les conversations. « Tu veux qu’on aille boire un verre ? » Demanda l’ancien pilote en désignant d’un coup d’oeil l’intérieur de la salle. Puisqu’il devait encore faire acte de présence pendant au moins une heure, autant qu’il en profite pour renouer avec une vieille amie. « Promis, je ne te parlerai ni d’économie, ni de stratégie de développement. » Ils avaient quelques années à rattraper, avant de se pencher sur les affaires. Carlisle se demandait quel chemin Elise avait suivi. Avait-elle terminé ses études ? Avait-elle eu des enfants ? Quelle profession exerçait-elle aujourd’hui ? Croisait-elle encore quelques uns de leurs anciens camarades ? « Et ça sera en tout bien, tout honneur. Je ne voudrais pas que ton mari me tombe dessus. » Plaisanta Carlisle en souriant.
« J’ai failli. Mais ça ne s’est pas fait. » Tu te contente de faire un oh silencieux. Avait-il quelqu'un dans sa vie ? Ce n'était pas vraiment claire à vrai dire. Tout ce que tu savais c'est qu'il n'était pas marié, mais qu'un mariage avait eu l'intention d'être préparer. Une histoire qui peut être jeune comme vieille, va savoir ! « J’ai eu une petite fille, il y a quelques semaines. » « Oh c'est vrai ? Félicitation ! » Tu ne peux t'empêcher de sourire de voir le visage de Carlisle s'illuminer lorsqu'il parle de sa fille. Visiblement le nouveau rôle de père de Carlisle le ravissait. Dire que vous aviez à peine deux ans d'écart et que lui avait un bébé, alors que toi, ton bébé, il a vingt ans. Bon, c'est vrai que ce n'était pas tout le monde qui avait la chance de rencontrer son mari dans un aussi jeune âge que toi. À vingt-deux ans, tu étais maman. Oui, c'était plutôt rare. Tu finis par t'approcher de lui, alors qu'il sort son cellulaire pour te montrer une photo de lui et de Maya. « Elle est adorable » que tu lui réponds en lui souriant doucement alors que tu reportes ton regard dans le sien. « La maman est à la maison pour s'en occuper ? » que tu lui demandes ensuite. Il semblait seul et il fallait bien quelqu'un pour s'occuper de ce poupon. Logiquement, elle devait être resté pour s'en occuper. « Je suis content pour toi. Tu le mérites. » Au fond, ce n'était peut-être pas l'amour fou entre Saül et toi, mais ta vie n'était pas si mal pour autant. Ça pourrait probablement être mieux. Tout comme ça pourrait être bien pire. « Les affaires sont les affaires. La plupart des gens ici présents ne le sont pas pour le bien de l’humanité, contrairement à ce qu’ils prétendent. » C'est de toi qu'il parle là ? Oui, mais il ne le sait tout simplement pas. Les apparences. Toujours les apparences. Voilà la véritable venue des Williams ce soir. Probablement même que Michaël Hills a donné le plus gros chèque ce soir. Quel homme généreux! C'est quand même ça qui sera sur toutes les lèvres ce soir. Tu te contente donc de hausser les épaules. Tu n'allais clairement pas t'embarquer dans ce terrain glissant. « Tu veux qu’on aille boire un verre ? » La surprise se laisse lire sur ton visage. Vraiment ? Est-ce que ça se faisait ? De passer une soirée avec un autre homme ? De s'afficher avec quelqu'un d'autre ? Même s'il n'y avait aucune arrière pensée ? Les potins partent si rapidement dans ce genre de soirée. « Je sais pas... » que tu réfléchis un peu à voix haute. « Promis, je ne te parlerai ni d’économie, ni de stratégie de développement. Et ça sera en tout bien, tout honneur. Je ne voudrais pas que ton mari me tombe dessus. » Tu laissa échapper un rire doucement. Pouvais-tu vraiment le lui refuser ? Non, tu ne pouvais pas. « Très bien. Juste un alors » que tu lui réponds sourire aux lèvres. Vous vous dirigiez donc, tous les deux de nouveau à l'intérieur. Tu en profites pour chercher ton époux des yeux à ton entrée. Toujours là, et il semble toujours aussi envenimé dans sa conversation, n'ayant probablement même pas remarqué ton absence. « Qu'est-ce que tu me conseils ? » que tu lui demande alors que vous veniez tout deux de vous accoster au bar.
« Merci. » Murmura-t-il, alors qu’une immense fierté gonflait son coeur. Lui qui avait toujours été d’un naturel modeste était désormais ravi dès lors qu’on complimentait sa progéniture. La chair de sa chair. Il rangea son téléphone portable, non sans avoir jeté un dernier coup d’oeil au visage de poupon de Maya. « Oui. » Mina aurait probablement été ravie de prendre sa place à cette fichue soirée mondaine, mais le père de Carlisle aurait fait une attaque s’il avait appris que son fils avait laissé sa compagne représenter la compagnie familiale. Nul doute que des rumeurs de fiançailles auraient été émises — ce qui, clairement, n’était pas à l’ordre du jour. Par ailleurs, l’héritière Farrell était, dans l’esprit des gens, bien trop associée à Cathay Pacific pour être venue défendre les intérêts d’une autre entreprise que la sienne. « Elle aurait bien aimé venir, mais sa présence n’était pas impérative, ce soir. » En réalité, les raisons de son absence étaient plus complexes qu’il ne voulait bien l’admettre : depuis quelques temps, Mina était en froid avec la famille Farrell. Sa récente maternité et ses déboires médiatiques n’avaient pas facilité le dialogue, ces derniers temps. À l’inverse même, puisque ça avait été une source de tension.
« Je te promets de ne pas te draguer devant témoin. » Plaisanta-t-il en laissant échapper un léger rire. Plus de vingt ans après, être troublé par la présence d’Elise aurait été ridicule. Ils avaient fait d’autres rencontres, avaient eu d’autres amours, avaient pris des chemins différents. Ils avaient grandi, évolué, ils étaient devenus matures et responsables — ou en tout cas, plus responsables qu’ils l’étaient à l’époque où ils s’étaient fréquentés. « Et encore moins devant ton mari, je ne voudrais pas m’attirer d’ennui. » Mari qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, et avec lequel il ne voulait aucun conflit. Il savait que, dans ce genre de soirée, les ragots pouvaient circuler rapidement. Il se méfierait donc, et garderait naturellement ses distances avec Elise. « Juste un. » Confirma l’ancien pilote en hochant légèrement la tête. Il n’avait pas vu Elise depuis une vingtaine d’années ; cependant, l’Australien n’en oubliait pas pour autant qu’il avait une famille. Et notamment une fille en bas-âge, qu’il mourait d’envie de voir, de serrer dans ses bras, d’embrasser. « Il faut savoir être raisonnable. » Ajouta-t-il en souriant, amusé. Ces soirées mondaines n’avaient pas pour but de se donner en spectacle — même si, à chaque fois, certains ou certaines en faisaient des tonnes pour se faire remarquer. Les deux anciens amis quittèrent le calme de l’extérieur, et se frayèrent un chemin jusqu’au bar. Ils s’arrêtèrent devant le comptoir, où de nombreuses personnes attendaient déjà pour être servies. « Habituellement, je suis plutôt scotch. » Admit Carlisle en haussant les épaules. Avec glaçons, évidemment. Voilà bien un des rares points communs qu’il partageait avec son père — son goût pour ce liquide ambré, réconfortant et noble. « Mais comme je m’apprête à reprendre la route et que je dois me montrer raisonnable, je vais plutôt opter pour une eau pétillante. » Les inconvénients d’une vie rangée, avec des responsabilités ; voilà comment beaucoup auraient jugé ses impératifs familiaux. Pas Carlisle : cette stabilité, il l’avait espérée et attendue toute sa vie. Maintenant qu’il l’avait trouvée, il n’aspirait qu’à une chose : la garder. « Avec une rondelle de citron, si possible. » Ajouta-t-il en tournant légèrement la tête en direction de la serveuse, alors qu’un sourire enjôleur étirait ses lèvres. Il s’empara des verres qu’ils avaient commandé, et tendit le sien à Elise. Ils s’éloignèrent du bar, trouvèrent un mange-debout auquel s’accouder, et trinquèrent finalement. « A nos retrouvailles ? » Proposa Carlisle après une seconde d’hésitation.
« Je te promets de ne pas te draguer devant témoin. » Tu ris doucement. « Et encore moins devant ton mari, je ne voudrais pas m’attirer d’ennui. » Tu te demandes si Saül serait du genre jaloux ou à n'en avoir rien à faire. Tu ne lui avais jamais donner une raison de l'être. Lui non plus, en quelque sorte. Disons simplement que tu savais être territoriale devant ses secrétaires -ou peu importe ce qu'elles étaient- au décolté trop plongeant qui battait des cils un peu trop fort à ton goût. « Tu fais bien. Il est du genre qu'il vaut mieux ne pas contrarié » que tu lui réponds plus ou moins sérieusement en lui adressant un clin d'oeil. Saül restait tout de même une grosse tête dans le monde des affaires qui pouvait abattre qui il voulait en un claquement de doigt, mais bon Carlisle n'avait quand même pas à s'inquiéter. Du moins, pas à ce que tu penses. « Juste un. Il faut savoir être raisonnable. » Raisonnable. Un mot qui te définissait que trop bien. Aucun danger que cette soirée ne dégénère. Pas avec toi. Il doit bien s'en souvenir. Ça n'as pas vraiment changer avec le temps. C'est peut-être même pire en vieillissant. Bref, vous décidez donc de retourner à l'intérieur direction le bar où vous commandez chacun vos boissons, sans alcool quelle sagesse ! « A nos retrouvailles ? » « À nos retrouvailles » que tu répètes en venant trinquer ton verre avec le sien juste avant de porter le verre à tes lèvres. « Comment tu trouves ta nouvelle vie de papa ? » que tu lui demande ensuite même si la réponse te semble évidente. Carlisle avait des étoiles dans les yeux quand il t'a parler de sa fille pour la première fois. Donc, il va de soi que sa nouvelle vie de père se porte à merveille. « Ça change une vie, n'est-ce pas ? » que tu ajoutes ensuite en lui souriant doucement. La vie était complètement différente avec des enfants, mais pour le mieux. Tu en savais quelque chose. Cosimo avait été une vrai bouffée d'air dans ta vie de jeune mariée. Il avait, en quelque sorte, donner un sens à ta vie -et à ton mariage surtout- Mais pas pour les bonnes raisons malheureusement.
Si Carlisle était content d’avoir croisé par hasard ce visage appartenant au passé, il ne nourrissait pourtant pas d’arrières pensées inavouables à son égard. Elise et lui, c’était une histoire révolue. Leurs souvenirs communs remontaient à vingt ans plus tôt, et il aurait été absurde de croire qu’une quelconque flamme pourrait être rallumée. Aucun des deux n’y tenait. Ils avaient eu le temps de grandir, de changer, d’expérimenter. Ils avaient dévié des plans qu’ils avaient fait lorsqu’ils s’approchaient de la fin de leur adolescence — et c’était mieux ainsi. « Vraiment ? » Demanda Carlisle, curieux d’en apprendre davantage sur l’époux d’Elise. Quel type d’homme avait-elle choisi pour partager la reste de sa vie ? « Il est du genre caractériel ? » Le ton de sa question était neutre : comme à son habitude, Carlisle veillait à ne porter aucun jugement de valeur. « Tu es mariée depuis longtemps ? » Questionna-t-il, alors qu’ils se faisaient quelques pas en direction du bar. L’essentiel de l’agitation se trouvait dans ce coin ; si Elise voulait miser sur la discrétion, ils seraient au bon endroit. Ils prirent tous les deux un verre d’eau pétillante, ce qui fit arquer un sourcil de surprise au serveur. Visiblement, les convives avaient plutôt opté pour des boissons alcoolisées, jusqu’à maintenant. « Occupée. » Répondit l’ancien pilote en souriant, après avoir hésité quelques instants. Ses nuits étaient courtes, ponctuées par les réveils réguliers de sa fille. Les biberons, les longues balades nocturnes pour calmer les pleurs de Maya, les moments du bain : tout était, à ses yeux, parfait. Il ne troquerait aucun de ces moments passés en compagnie de sa progéniture, qu’il couvait des yeux dès l’instant où ils étaient dans la même pièce. « Mais honnêtement, je crois que je suis le plus heureux des hommes. » Admit-il, alors que le visage poupon de sa fille s’imprimait sur sa rétine. Elle commençait d’ailleurs à répondre à ses sourires, et à s’agiter plus qu’auparavant. Il avait hâte de la voir se déplacer à quatre pattes dans toute la maison, hâte de l’entendre essayer de prononcer ses premiers mots. « Ça a changé la mienne, en tout cas. » Confirma l’ancien pilote. Il avait quitté son poste chez Cathay Pacific, s’était séparé de sa fiancée, et avait fait un enfant à une autre femme. Un couple en berne et nuit d’ivresse à New York : voilà ce qui avait été l’élément déclencheur de sa nouvelle vie — et il ne le regrettait en rien. « Et toi ? » Demanda-t-il, avant d’enchaîner : « Dis-moi en davantage. As-tu des enfants ? » Il la savait mariée et heureuse, ce qu’il considérait être une bonne chose. Mais Elise avait-elle eu d’autres chances dans la vie ? Fonder une famille ? Avoir un travail épanouissant ? « Est-ce que tu as réalisé tes rêves d’adolescente ? » Ou, à défaut, avait-elle concrétisé d'autres projets, d'autres ambitions ? « As-tu des projets en cours, ou à venir ? »
« Vraiment ? Il est du genre caractériel ? » Un sourire en coin vint s'installer contre tes lèvres. Caractériel. Le mot était faible pour décrire ton cher époux. Tu n'étais pas une partie de plaisir toi non plus. Qui se ressemble s'assemble ? « On peut dire ça, oui. » C'est là que vous vous êtes tous deux mises en marche pour retourner à l'intérieur, direction le bar. « Tu es mariée depuis longtemps ? » Tu opines. Une éternité oui. Une très longue éternité. « J'ai du mal à me souvenir qu'un jour je l'étais pas. » Tu ris doucement. La vérité est que tu as vécu plus longtemps avec lui que sans lui. « Ça va bientôt faire vingt-et-un ans qu'on est marié » que tu lui précises. L'anniversaire de mariage qui approchait sous peu. Un anniversaire qui ne serait pas souligner comme toujours. En fait, heureusement que la secrétaire de Saül s'en rappelle elle, comme ça il peut faire semblant de t'avoir offert ce bijou lui-même, n'importe quoi ! Bref, le sujet retombe toutefois sur la nouvelle venue dans la vie de Carlisle, la douce Maya. Il est comblé le nouveau papa. Ça se voit et il le confirme par ses paroles. « Et toi ? Dis-moi en davantage. As-tu des enfants ? » Ah le voilà ton véritable sujet préféré, ton fils. Franchement, tu pourrais passer des heures à dire à tout le monde à quel point il est exceptionnel. Ouais, t'es vraiment fatiguante. « J'ai un fils, mais elles sont loins derrière les couches. Il vient d'avoir vingt ans » Vraiment, niveau famille. Vous n'étiez absolument pas à la même place dans la vie. C'est quand même fou de se dire que vous aviez à peine deux ans de différence et vos enfants en ont vingt ans ou presque. « Est-ce que tu as réalisé tes rêves d’adolescente ? » Tu souris. La question t'amuse. Personne ne t'as déjà laisser la chance d'en avoir des rêves d'adolescente. Tu as fait ce qu'on entendait de toi que tu fasses; te marier rapidement à quelqu'un d'important, fonder une famille, être une femme exemplaire. « Hum, je- » Tu t'interrompt lorsque tu attends ton prénom au loin. Ton regard se retourne pour croiser celui d'un Saül qui s'impatiente. « Désolé, je crois que je vais devoir te laisser » que tu lui annonce en te retournant de nouveau vers Carlisle. « Ça m'a fait très plaisir de te revoir. J'espère qu'on va avoir la chance de se recroiser » Tu lui souris doucement avant d'aller rejoindre ton mari qui avait monsieur je-sais-plus-qui à te présenter. Pas trop mal finalement cette soirée...