Tout autre personne s’aventurant à lui donner des surnoms ridicules risque la peine capitale de finir en masque victorien dont elle a fait collection à une certaine époque de sa vie - une lubie qui est arrivée, qui est restée puis qui est repartie aussitôt. Mais quand c’est Elwyn qui les invente et qui les prononce à tour de bras, Birdie n’a rien d’autre à faire que de les accepter. Elle a passé des années quand elle était plus jeune à pester contre les ‘‘fleur des îles’’, ‘‘cerisette’’ et autres ‘‘bouchons’’ mais tout n’a été que peine perdue. Elwyn s’y accroche, le bougre, et il est sacrément imaginatif quand il s’y met.

Birdie ne peut pas s’empêcher de maugréer deux secondes parce que l’imaginaire et le fantasque, c’est marrant cinq minutes mais là, il est plus dans le concret qu’autre chose. Il lui reproche d’être pessimiste et elle lui balance un regard noir en guise de réponse. « Je suis réaliste, c’est pas pareil. Regarde, t’es le premier à me parler que des oursins meurent tous les jours de la pollution. Donc toi-même tu sais que tout n’est pas forcément beau dans le monde, Elwyn. Et ma température va bien, doc. » Il y a bien qu’avec son aîné que Birdie peut se montrer plus ou moins raisonnable. Une habitude parce que son frère part toujours loin, trop loin et qu’elle ne veut pas le perdre au profit de stupides défis et expériences dans lesquels il se lance. Comme si elle a besoin d’être là pour la rappeler le sens des réalités, elle, Birdie Cadburry. Ironique quand on y pense. Mais la cadette ressent comme le besoin de protéger son aîné et cela, depuis longtemps. Surtout depuis que le monde lui a appris à grandir et arrêter de rêver. Chose qu’Elwyn avait eu la chance d’échapper. « T’as intérêt. Enfin, si tu veux être encore plus super comme frère, tu m’écroulerais sous une avalanche de fraises tagada et de langues de chats. » Birdie papillonne des yeux de cette tête adorable ; plus qu’une suggestion, une véritable idée pour lui faire avaler la pilule que son frère évidemment super et adoré va se marier à une sombre inconnue.

« On est partis du principe que tu n’as rien lu du contrat, Wynnie, donc tout est possible. Peut-être qu’on va te momifier. Il parait qu’on extrait le cerveau avec un crochet en passant par le pif. Je sais pas comment on fait pour sortir un truc aussi gros par des voies aussi petites mais ça sera peut-être l’occasion de le découvrir ? » Birdie le regarde du coin de l’œil, petit sourire coincé à la commissure, bien fière d’elle. Au moins, le documentaire sur la momification qu’elle a regardé la semaine dernière lui servira peut-être à faire (un peu) flipper son frère. « La dernière fois où je l’ai eu, ils faisaient du nudisme dans un clan d’aborigènes. Depuis, plus rien. Pas de nouvelle, bonne nouvelle, non ? Même si franchement, ils pourraient au moins envoyés une carte ou un grigri de là où ils sont, quand même. » La cadette se renfrogne un peu ; non pas parce que l’absence d’un signe parental l’agace - la fratrie a l’habitude - mais plus parce qu’elle aurait aimé pouvoir les contacter pour les tenir informé de l’idée de génie (ou pas) de l’aîné.

On ne pouvait pas réellement dire que ses parents lui manquaient. En réalité, Elwyn n'avait jamais eu la sensation d'avoir eu besoin d'eux à un moment donné de sa vie. Il avait vite fait de partir pour l'université, laissant derrière lui des gitans incapables de se fixer à un endroit, avec une famille, une vie normale. Le quarantenaire avait même bien du mal à croire qu'il leur ressemblait sur quelques points, pourtant, c'était un fait avéré. Lui non plus n'avait jamais réussi à s'engager dans la durée, à concevoir le mariage ou autres concepts ridicules parce qu'il s'occupait tout le temps de ce qui le dépassait, plutôt que de sa propre petite vie. A force d'être noyé dans des notions scientifiques, Elwyn en avait oublié qu'il était une âme errante comme eux et que, même s'il restait tout le temps dans la même ville, son âme continuait de voyager à travers le monde pour répondre aux multitudes de questions qu'il se posait. Bien sûr, il n'était pas à même de le réaliser à l'heure actuelle, lui qui avait toujours tout mis en oeuvre pour éviter de se connaître et surtout d'avoir honte de la personne qu'il était. Autant ne penser à rien, écouter sa petite soeur et se dire qu'elle devait avoir raison sur quelques points majeurs mais sans l'enregistrer fermement et éternellement au fond de son esprit. "Réaliste... Mais du tout, mon Chupa Chups. Je veux dire, y a des choses qui existent pour une raison, voire tout tu vois. L'Ophiocordyceps sinensis est un remède utilisé au Tibet comme tonifiant et pour accroitre la virilité masculine. Appelé aussi "champignon chenille", il a la particularité d'être à la fois un animal et un végétal et ça c'est magique, non? C'est trop moche le réalisme, j'en veux pas." Et cela au moins, c'était une vérité avec Elwyn. Il préférait rêver que de garder les pieds à terre parce qu'il avait toujours eu cette peur idiote de souffrir. Au final, il allait forcément en baver avec cette histoire de mariage mais c'était trop tard pour reculer. "N'abuse pas non plus, je tenterai les Dragibus mais c'est tout." Aller demander de telles extravagances à la production n'allait pas être une chose aisée mais avec Cadburry, on pouvait compter qu'il le ferait, il n'avait pas franchement de limites, encore moins quand il s'agissait de rendre sa petite soeur heureuse comme un soleil. "Si tu savais tout ce dont le cerveau est capable. Alors sortir par le pif, je suis sûr que c'est faisable et puis, ouais, je serais tenté de voir, quitte à être le cobaye, ça m'intéresse. Tout pour l'avancée de la science et la survie des espèces, ma cocotte en papier." Et là aussi, il disait la vérité, ce qui était beaucoup moins distrayant mine de rien parce qu'il était un poil cinglé, le Elwyn, à croire que le monde lui rendrait tous ses sacrifices avec un merci venu du ciel. "Dis toi qu'ils doivent fumer le calumet de la paix en notre honneur, ça doit nous protéger d'une manière ou d'une autre donc estime toi heureuse déjà. La vitesse d'expansion de l'Univers est d'environ 67 kilomètres par seconde par mégaparsec, étant donné que c'est énorme, on peut éventuellement fêter ça, non?" Avec du chewing gum, hein, pas de l'alcool, plus jamais." Ce qui n'était pas plus mal vu ce qu'il tentait quand il en avait dans le cornet, une disgrâce.

« Pourquoi, t’en as besoin, de virilité masculine, Wynnie ? Non non, ne dis rien, je veux pas savoir, je sais pas me taire, c’est pas un sujet qu’on aborde, ça, pas avec toi en tout cas. » Birdie lui met la main sur la bouche de son frère parce qu’il y a des choses qu’elle préfère ignorer. Et surtout, Elwyn est un grand enfant, il est pur, il est innocent, c’est doublement plus perturbant de parler de ça avec lui. La cadette secoue la tête d’un air dépité, plus envers elle-même qu’autre chose à vrai dire. « Tu vois, encore une fois, tu prouves mon point de vue. ‘‘C’est moche le réalisme’’, évidemment que c’est moche. Sinon on serait tous des abrutis heureux et contents et ça serait terriblement ennuyant. Comment tu ferais si tout était parfaitement beau, sans aucun mystère, sans rien à aller chercher sous la couche de crasse de l’humanité, hein ? Absolument rien, tu ne servirais à rien, Wynnie. A part venir gonfler ma bouée pélican, bien sûr. » Birdie se mord la lèvre tout en balançant sa jambe en dehors du canapé d’un geste absent. « Des Dragibus, qu’est-ce que tu veux que je fasse avec des Dragibus ? Je te les jetterais à la figure en espérant qu’y en ait une qui rentre ton oreille et qui fasse comme une boule de Flipper dans ton crâne pour te remettre les neurones en place. » Voilà un plan qui ne demande qu’à être exécuté, pense-t-elle en faisant la moue à Elwyn. Il ne va pas l’attendrir à coups de Dragibus ça, elle en est certaine. « Je suis pas sûre que ce soit pour l’avancée, là, mais plutôt pour expliquer le passé, tu crois pas ? Tu voudras qu’on te momifie quand tu mourras ? Tu deviendras mon Osiris personnel à moi. Faut me le dire, c’est important, ces choses-là. Bon, il faudra sûrement aller en Egypte parce que c’est eux qui sauront sûrement mieux faire mais hey ! On trouvera un moyen. Ailleurs que cette fichue émission ceci dit. » Déjà qu’on lui parle de partager son frère avec une autre fille, qu’elle-même ne connait pas, ça lui plait moyennement. Instinct de protection quand tu nous tiens. « Tu m’étonnes, t’es privé d’alcool jusqu’à ce que tu deviennes momie, c’est clair ! » Quant à leurs parents… N’ayant jamais attendue rien d’eux, Birdie les verra quand ils daigneront à donner un signe de vie. Elle se lève et file dans la cuisine pour aller prendre deux verres et une bouteille d’ice tea green dans le frigo - il n’y a bien qu’avec son frère qu’elle se montre raisonnable. « J’espère que ton expérience se passera mieux que la mienne, quand même. C’est même pas allé jusqu’au bout et j’ai failli mourir étrangler. A croire qu’y a que toi qui réussit sur tous les domaines. » Il faut dire qu’Elwyn ne boit pas (sauf son alter égo requin marteau), il ne fume pas, il ne consomme pas non plus. Il a sa part de folie mais celle de Birdie n’était-elle pas celle la plus autodestructrice des deux ?

Sujet malencontreux, sujet qu'ils ne veulent pas aborder, ni l'un ni l'autre. Enfin, si, au final, Elwyn n'en serait pas tellement dérangé. Il a l'habitude de parler de la vie sexuelle des autruches ou des pangolins -espèce dont on taira le nom à partir d'aujourd'hui pour ne pas créer de crises d'angoisse à outrance au sein des populations occidentales- alors la sienne, quel changement? Aucun, absolument aucun. De toute manière, il ne se voit pas franchement comme une personne mais plutôt comme un reliquat de l'espèce humaine et toute expérience scientifique est bonne à tenter à partir de là. Alors, s'il doit raconter ce qu'il se passe au niveau de sa virilité à sa petite soeur pour le bien commun, évidemment que Cadburry n'y manquerait pas, il a des principes dans la vie mine de rien. "Et bien écoute, non, pas spécialement. Rien qui me vient là mais si tu veux savoir des trucs sur le même sujet, je peux te dire que selon une étude réalisée par Smartdate Labs, les femmes dont le prénom finit par "a" ont plus de partenaires sexuels que les autres. Du coup, t'es pas dedans... Enfin, t'es chaste de toute façon." Dans la tête d'Elwyn, c'est plus facile de penser qu'elle l'est alors que sa frangine a plus de trente berges, que personne ne l'avait cachée dans une grotte jusque là et qu'elle a donc eu tout à loisir d'expérimenter à droite à gauche. Ce cher Elwyn est sûrement bien trop terre à terre lorsqu'il s'agit de protéger sa cadette, chose qu'il devrait mettre à profit pour éviter de s'enfoncer dans les emmerdes de son côté puisque Birdie n'aurait pas dû être invitée à le surveiller avec cette histoire de mariage sauvage. "Eh, c'est pas vrai! On est toujours utiles, dans n'importe quel contexte et puis moi, j'aime bien les bouées pélicans. Bon, pas autant que les bouées samouraïs mais tout de même!" Mine faussement outrée, douleur exagérée au plexus histoire de marquer le coup et il continue sur sa lancée, pour changer. "Non, pas la momification. Je pourrais pas vraiment donner mon corps à la science en faisant ça et puis, quitte à garder une trace de moi sur cette planète tu vois, je préfère être enfermé dans un bloc de glace comme les mammouths et voir ce que ça fait de se faire découvrir mille ans plus tard, truc du genre. Oui, un vrai scénario de science fiction." Il aime bien toutes ces conneries, autant que la science, même s'il geint tout le temps devant ce genre de films pour leur côté surréaliste. Puritain à souhait dans ce genre de contexte, le pauvre Cadburry ne s'arrête pas. Jamais. "Si je suis privé d'alcool, toi, t'es privée de bonbons, voilà! Pas de Dragibus ni rien du tout. De toute façon, ça fracasse ta plaque dentaire tout ça et tout le monde sait chez Colgate qu'il faut pas abuser." Il aurait pu devenir leur mascotte, tiens, juste à mettre ses lunettes, sortir son sourire de dandy du vendredi et hop, affaire dans le sac. Elwyn y réfléchirait à l'avenir... S'il survit pour pouvoir y penser, bien évidemment. "De quoi tu parles? T'as fait quoi? Me dis pas que t'as essayé de faire des calculs sans parenthèses. La "notation polonaise inverse" (NPI) est une forme d'écriture des formules arithmétiques sans utiliser de parenthèses. Ainsi le calcul : A * (B + C) + D * (E + F) s'écrira en NPI : B C + A * E F + D * + mais tu sais pas gérer ça, ma crevette, tu le sais, olala." Un drame, voilà ce que c'est, toutes ces histoires.

Il pense qu’elle est chaste.
Alors évidemment, Birdie éclate de rire tout en lui tapotant la tête. « Bien sûr, Wynnie, si ça te permet de mieux en dormir la nuit de le penser. » Même si la vérité est loin, très loin de ça. Elle n’est pas chaste, elle n’est pas une sainte et elle est encore moins un rayon de soleil comme il semble vouloir le croire. Mais ce n’est pas grave parce que c’est Elwyn et qu’elle ne lui en veut pas. Elle veut même l’épargner de la face cachée de son univers. Le préserver de toutes les saloperies qui ont pu l’abattre, la réduire à néant, la faire courber. Elle ignore comment Elwyn pourrait réagir face à tout ça et pour l’instant, sa cadette n’est pas encore prête à vouloir savoir ses réactions. Il est l’aîné mais il est aussi trop candide - c’est en tout cas le point de vue de Birdie qui ne cherche qu’à le préserver. Du monde, d’elle-même mais aussi de lui.

Comme en ce moment, où il a décrété qu’un mariage au goût fictif mais pourtant bien réel a l’air d’être la meilleure idée du siècle.
Bien sûr que non. Mais c’est l’aîné Cadburry. Aussi intelligent et brillant soit-il, il n’y a rien qui puisse l’arrêter. Il pourrait même y avoir le warning, le panneau danger, clignotants et néons combinés en tout phare en plein milieu de la route qu’il foncera quand même dedans sans réfléchir à deux fois. C’est sûrement bien là le problème mais aussi ce qui fait qu’il est absolument adorable. « Tsk tsk, la bouée pélican est quand même bien plus jolie. Tu peux t’accrocher à quelque chose alors que la samouraï, t’as juste un truc qui te coince les fesses et toute cette partie-là, c’est comme si t’étais un bébé nageur. » Même si dans l’eau, Birdie reste toujours un bébé nageur parce que l’eau et elle, c’est une grande histoire. Mais elle maintient que l’humain est inutile à part pour créer le chaos et la destruction. C’est un fait et même Elwyn le dit, alors il n’a juste qu’à hocher la tête et être d’accord avec elle.

« Dans mille ans ? C’est beau d’avoir l’espérance que la Terre n’aura pas éclaté d’ici là à cause d’une foutue météorite qui aura sûrement tout détruit sur son passage. » Parce que ça, ça devrait bien arriver un jour aussi, n’est-ce pas ? Depuis le temps qu’ils en parlent, qu’ils argument, c’est qu’un jour ou l’autre, la Terre explosera en mille morceaux et eux, la civilisation, sera réduite à néant. Birdie espère seulement qu’elle ne sera plus de ce monde quand cela arrivera. « Bon, pas de momification mais un bloc de glace. Ceci dit, avec le réchauffement climatique, ça va être plus compliqué à trouver, ça. » Elle est bien placée pour le savoir ; elle présente la météo tous les jours.

Birdie lâche un cri outré. « Je te jures, Wynnie, si je n’ai pas ma dose de sucrerie, je te fais vivre un enfer. Tu le sais que j’en suis capable. T’as pas besoin d’alcool mais moi, j’ai besoin de mon paquet de bonbons par jour. C’est v-i-t-a-l, Elwyn, je rigole même pas. Sinon, je te fous ton dentifrice là où je pense. » Parce que la cadette ne rigole vraiment pas avec les bonbons. Il y a bien aussi le lsd dont elle aime bien se fourrer pour vivre de trépidantes aventures mais ses bonbons, c’est son eau et sa nourriture à elle. Elle en a besoin pour survivre chaque minute de chaque jour et Elwyn vient de lui faire le plus grand affront à ses yeux bleutés. Birdie finit par de nouveau foutre la main sur la bouche de son frère pour le faire taire. « Ça suffit le charabia incompréhensible. Je me sens conne quand tu commences à déblatérer comme tes trucs scientifiques avec plein de lettres. Comment on peut faire un calcul avec des lettres d’ailleurs ? C’est complètement stupide, ça a pas de sens. » Elle, elle est une littéraire dans l’âme (bien profondément, cachée, tapie dans l’ombre certainement) alors les sciences la dépassent totalement. « Ta crevette a failli devenir un vraie poisson rouge - ou alors une crevette en asphyxie, c’est possible ça ? » Birdie boit quelques gorgées de son thé tout en haussant les épaules. « J’ai rien fait, tu me connais, Elwyn. Sage comme une image. » Bien sûr et les mammouths n’ont jamais existé. « Mais Carter m’a lancé un défi et tu le sais, je peux pas ne pas faire honneur à un défi. On devait tenir menottés vingt-quatre heures. Résultat, on a tenu à peine trois heures et je crois que j’ai encore ses traces de doigts sur ma nuque. » C’est faux mais il faut bien qu’elle en rajoute une couche. Se plaindre à son frère comme une enfant en se faisant passer pour plus banche que neige qu’elle ne l’est réellement, une spécialité.

Est-ce qu'il allait commenter, se faire encore plus de mal en imaginant sa petite soeur entre les mains de diverses personnes? Vu la tête de dégoût qu'il fit, Elwyn préféra s'épargner de multiples cauchemars: non, hors de question, Birdie avait encore cinq ans, il lui lisait des Tchoupi en mangeant des glaces, c'était beaucoup mieux ainsi. Pourquoi avait-elle grandi, vraiment? De taille, certes, pas beaucoup, mais dans sa tête, elle avait pris un bon quart de siècle quand lui devait s'en tenir à trois ou quatre ans en quatre décennies. Autant dire qu'ils ne jouaient pas sur un pied d'égalité là et c'était le genre de faits qui renfrognaient Cadburry. Il aimait bien penser qu'il était totalement à jour, le mec le plus hype de la planète avec tous les savoirs qu'il avait emmagasinés en lisant à droite à gauche, en regardant toutes les émissions documentaires qui passaient à la télévision. Il était un sacré perdu de la vie, clairement, mais il ne le voyait pas, c'était sûrement bien plus aisé de vivre ainsi. Elwyn s'évitait pas mal de désillusions mine de rien et si cela l'aidait à mieux dormir la nuit comme l'invoquait sa cadette, c'était sûrement cela de gagné. "C'est pas parce que c'est plus joli que c'est plus efficace, c'est faux comme argument ça! Je veux dire, le caca, c'est pas joli, si? Et ben pourtant, la bactériothérapie fécale, ou greffe fécale est un traitement médical pour soigner la colite. Cela consiste à transplanter un échantillon vivant de flore bactérienne humaine provenant d'une préparation à base de selles et hop, guérison. Tu vois, faut pas se fier aux apparences, ma myrtille." Pourquoi est-ce qu'il choisissait toujours de l'appeler avec un nom de fruit? L'informaticien n'en avait aucune idée, il se laissait juste aller à ce que son cerveau lui demandait, ce qui n'aurait pas dû exister d'ailleurs vu le merdier qu'il y avait là haut, autant demander à un Schtroumpf d'aller cueillir des pommes en haut de la Tour Eiffel sans prendre l'ascenseur. "Depuis la création du monde, c'est toujours la même eau qui coule sur Terre. Nous buvons donc aujourd'hui la même eau que les dinosaures il y a des millions d'années alors je suis sûr qu'un bloc de glace, ça se trouve easy et que la Terre sera encore bien en place dans mille ans pour exécuter mon plan, va." Il était optimiste, trop optimiste en réalité mais c'était sûrement beaucoup trop tard pour imaginer le changer, lui et ses idées saugrenues qui l'entraînaient dans des aventures étranges. "J'aurais dû devenir dentiste, en fait. Fais gaffe à ton email, j'ai dit!" Il aurait fait fureur dans la pub pour le dernier dentifrice Signal mais cela, Birdie devait déjà se le dire, c'était une évidence qu'il avait la tête de l'emploi avec ses petites lunettes de premier de la classe et ses diatribes qui ne finissaient vraiment jamais, d'où le geste de sa soeur pour le faire taire. "Les maths, mon asperge, c'est un régal, je t'apprendrai un jour... Quand t'auras fini de te noyer dans un bocal apparemment. Et de faire des conneries aussi, olala." Il lui ébouriffa les cheveux parce qu'elle se lançait dans une histoire à dormir debout et après, on disait de lui. Un comble. "Menottés? Mais quoi? Purée, je préfère regarder un documentaire sur les animaux du pôle, je t'assure... D'ailleurs, tu savais que avec 63 cm de longueur, le morse mâle possède le plus grand os pénien de tous les mammifères actuels? Non, parce que là, t'es en train de me dire que tu t'es fait agresser par un fou furieux avec des menottes? Je sais pas si mon cerveau est apte à enregistrer, il est codé en binaire, je te rappelle! Tu fais plus ça hein, ma barbichette, parce que s'il t'arrive quelque chose, ton frère, il devient quoi?" Un débile qui se mariait au premier regard, apparemment.

« Si la merde pouvait aussi guérir la connerie humaine, ça, ça serait une véritable avancée qui m’impressionnera. Mais en attendant, les apparences sont peut-être trompeuses mais primordiales, mon chaton, je suis bien placée pour le savoir. » En tant que Miss Météo, Birdie se doit de subir toute sorte d’opérations absolument affligeantes mais dont elle s’accommode plutôt bien puisque son travail, elle l’aime quand même. « Après, j’aime les vieilles choses, les trucs défraichis et le style vintage, tu le sais. Mais quand même, même moi j’ai mes limites dans la vision de la beauté. » Après tout, on parle de la fille qui va chiner dans les brocantes et autres vides greniers pour vêtir sa chambre et son corps alors question apparence et ouverture d’esprit, il est assez large chez la cadette Cadburry. Mais elle maintient que sa bouée pélican a toujours plus de classe que n’importe quelle bouée ninja que le monde puisse porter.

« Tu sais très bien que ce n’est pas trouvé de la glace, le problème, mais de garder ledit bloc de glace pendant mille ans. La fonte des icebergs, ça te parle, ou faut que je te fasse un dessin ? » L’optimiste d’Elwyn la peine presque parce que Birdie sait que ça ne sera malheureusement pas possible de le garder dans un bloc de glace pendant mille ans. « Sinon, faut faire la technique de Star Wars. L’ultime recours. Moins classe qu’un bloc de glace mais on garde une copie de toi absolument remarquable. » Elle hausse les épaules d’un geste négociateur parce que c’est toujours quelque chose d’intéressant à essayer, ça aussi. « En tout cas, moi, j’espère que mes cendres deviendront arc-en-ciel et surtout, tu les envoies pas dans l’eau parce que sinon, je viendrai te hanter quoiqu’il arrive. »

Birdie lui tire la langue avant de lui faire un doigt d’honneur parce que les dentistes, elle n’aime pas ça. « Mon email se porte très bien, occupe-toi plutôt de contrôler ton alcool, toi. » C’est bas mais c’est mérité, tant pis pour lui. Sa cadette ne rigole pas avec ses sucreries et c’est un véritable sacrilège que de jouer les papa poules protecteur des gencives soudainement.

« Ce qui arrivera jamais, god bless me ! » Elle ne veut pas apprendre les maths, les sciences, la chimie et tous ces trucs-là. Elle n’aime pas ça, elle n’y a jamais rien compris et elle ne cherche pas non plus à le faire. « Me noyer dans l’infinité de mes conneries est mon mode de vie, Wynnie. Foutu pour foutu, c’est trop tard pour essayer de rendre ta sœur honorable ou même intelligente. On a pas le même cerveau, le tien est brillant, le mien est cramé. Mais c’est gentil de garder l’espoir. » Birdie lui tapote le genou d’un air compatissant. Il faut parfois accepter la vérité, qu’importe si elle est négative ou non.

« 63 cm ? Putain. J’espère que les morses femelles ont le trou assez profond pour un tel pieu. » Elle en frissonne de douleur pour ses collègues morses. On ne pense vraiment pas à ce genre de détails, heureusement qu’Elwyn est toujours là pour apporter les bonnes informations, même dans les moments les moins opportuns. « C’est bon, j’en suis sortie vivante. Mon égo brisé mais vivante, regarde. » Birdie lui pince le bras pour lui prouver qu’elle est belle et bien vivante. « Je sais pas, peut-être que je vais réessayer, histoire de tenir trois heures et une minute. On peut vraiment pas me supporter, Wynnie ? Faut dire qu’il était pas agréable. » Et qu’ils avaient consommé. Et bu. Avant midi. Mais ça, c’est le genre d’informations qui ne parviendra pas aux oreilles d’Elwyn. « Je suis sûre que mon frère s’en sortira parce qu’il a nos deux cerveaux dans le sien donc je partirai jamais vraiment. » Même si c’est absurde comme idée parce qu’Elwyn est bien plus intelligent qu’elle, c’est un fait.

Parler de matière fécale à des heures indécentes, c'était bien du Elwyn tout craché et voir sa soeur y répondre avec un ton totalement normal, c'était le signe qu'on se trouvait en compagnie des Cadburry. Rien ne les choquait ou ne les perturbait, ils étaient toujours les premiers à s'enfoncer dans leurs délires sans espoir d'en sortir avant d'avoir fait le tour du bocal trois ou quatre fois au minimum, autant dire que l'affaire pouvait être très longue et qu'on n'était pas très sûr de ce qu'on allait retrouver en les repêchant au terme de l'histoire. "Tu devrais pas. Puis la beauté, c'est subjectif, j'aime pas ce mot. Je considère que tout ce qui fait le monde est beau, je suis un philanthrope." Et un abruti aussi accessoirement mais il n'allait tout de même pas l'assumer aussi aisément, lui, le génie de la famille qui avait réussi à survivre à la faculté on ne savait pas encore comment. A croire qu'il avait obtenu un diplôme en survie en milieu sauvage parce que le monde était une zone ingérable, comme pouvait le penser Birdie mais Elwyn était l'innocent du lot, celui qui, à quarante piges, n'avait toujours pas compris que la bonté humaine était une notion surfaite qui n'avait plus lieu d'être depuis quatre ou cinq siècles, au minimum. "Une copie de moi en version glace ou en terre? Détail important parce que là, je veux pas penser à la fonte des glaces, ça me brise trop le coeur, mon hirondelle, je suis pas prêt. Es-ce qu'y aura les Powr Rangers dans tes cendres? Sinon, je propose de te filer aux oiseaux parce que bon, Birdie... Logique. Simple." Leurs parents avaient dû fumer un certain nombre de joints en choisissant leurs prénoms, à tous, mais Elwyn n'était pas le plus mal loti. Clairement, il s'estimait heureux même si personne ne savait prononcer le bordel normalement. Même lui, certains jours, il n'y arrivait pas. "Je bois pas, vieille branche. Une fois, ça y est, tu me catalogues, c'est moche!" Bon, ok, c'était légèrement plus que cela mais il avait eu besoin de lâcher du lest récemment, qui allait les blâmer d'être un homme normal? Cela ne lui était jamais arrivé, pas une fois en quarante années de vie et il allait sûrement en entendre parler jusqu'à sa mort, une honte implacable. "T'es très intelligente, mon bouchon, t'as juste pas une intelligence pratique mais c'est autre chose. T'es ma petite cerise rêveuse préférée va, je te voudrais pas autrement." Elle étouffa ensuite un rire en entendant sa réaction à son savoir sur les morses, après les excréments, rien de mieux que de passer sur la version pénis de cette affaire, histoire de garder une bonne entente dans la fratrie. "T'en demandes trop aux gens, va. Ils peuvent pas nous comprendre, on est des visionnaires dans la famille et eux, ils sont arriérés alors, forcément, on subit leurs idées noires et leur impatience mais faut pas plier, ma petite poire, garde ton enthousiasme, on a raison. Et puis, eh, je te rends ton cerveau, tu vas en avoir besoin pour expliquer à papa et maman que je fais une expérience scientifique et sociale. Même pour les frangines, ça pourra t'être utile, tiens." Il était clairement assez lâche pour envoyer sa petite soeur faire la lutte finale, il ne fallait pas lui en demander trop, à Elwyn.

C’est sûrement ce qui est beau avec cette famille ; de pouvoir parler de tout et de rien avec une facilité et un naturel déconcertant. A part leurs vies sexuelles. Birdie aussi a ses propres limites, après tout. Mais son frère l’a toujours fasciné. Il a toujours été plus intelligent que les autres et il a toujours été le plus gentil que tous les autres réunis. Ses sœurs, elles se chicanaient facilement avec mais Elwyn et les neuf d’écart qui les séparent jouent beaucoup (trop) en la faveur de la cadette. Mais son aîné est un être hors du commun - sûrement qu’ils le sont tous à leur façon dans cette famille - et Birdie n’est jamais la dernière pour l’observer agir, que ce soit en société, pour ses expériences folles ou les derniers savoirs qu’il a à partager avec tout et n’importe qui. « Je serai le verre à moitié vide de ton verre à moitié plein, mon grand ourson philanthrope. » Compter sur Elwyn pour venir égayer n’importe quelle journée ou situation rien que par sa présence gauche et ses paroles aussi inattendues que surprenantes si on n’est pas habitué. En somme, l’inverse total de Birdie qui n’a que les cheveux de rayonnant et les yeux qui sont clairs ; le reste, tout est bien moins glorieux. « D’accord, d’accord, on ne parle pas de la fonte des glaces ni de l’extinction de plein d’espèces ni même qu’un jour, on finira sûrement par finir en pénurie de cacao - et c’est là, un bien grand drame pour la santé mentale du monde. Donne-moi à bouffer aux oiseaux mais tu prends le risque à ce qu’ils s’intoxiquent. Je ne suis pas certifiée bio. » Vu tout ce qu’elle prend, consomme et fume, pas sur que les pauvres volatiles s’en sortent indemne à manger un repas aussi pourri de base qu’elle.

« La vieille branche, elle constate qu’il suffit d’une fois pour que tu fasses des conneries. Et puis sérieusement, de l’alcool à une fête pour enfants, qui a bien pu avoir cette idée ? » Même Birdie sait que ce n’est pas normal. Normalement, son frère aurait au pire eu un accès de sucre avec des punchs aux fruits mais pas avec de l’alcool. Du whisky. Complètement irresponsable. Pour les enfants ou pour Elwyn ? Les deux, certainement. « Donc plus d’alcool pour toi, à vie. Sinon, la prochaine fois, tu vas signer pour aller faire cette émission débile où ils te foutent à poil dans la jungle pendant une semaine. » Et ça, elle ne pourrait pas le survivre.

Birdie a presque de la peine qu’il la voit encore comme rêveuse. Un poil mélancolique parce qu’elle l’a été, un moment. Parfois, elle l’est toujours un peu mais tout ce qui la rendait rêveuse à l’époque a dû se confronter à la réalité. Alors la cadette ne dit rien mais elle enlace son benêt de frère parce que visiblement, qu’importe ce qu’il se passe dans leurs vies, qu’importe les dérapages qu’elle peut faire, elle restera sûrement toujours la gamine qui le maquillait et le coiffait à outrance alors qu’il jouait aux jeux vidéo. Pour rien au monde la blonde veut que cela change.

« J’aime bien tes pep talks, Wynnie. » Cela ne manque jamais de la rebooster un peu, surtout quand il lui dit qu’elle a raison. Enfin, ça, c’est avant que son cerveau, celui dans sa coquille, se mette à buguer. « Attends attends… Comment ça, je vais en avoir besoin pour expliquer ? » Birdie se lève du canapé avant de prendre un coussin et de taper son frère avec. Plusieurs fois. « J’explique rien du tout, Elwyn. C’est ton expérience, c’est toi qui vas dire. Tu sais très bien comment Aurora va réagir. Elle va sûrement criser, elle va s’énerver et elle va vouloir me faire des mèches vert dégueulasses pour se détendre. C’est hors de question que ça arrive, le vert ne me va pas et c’est moche ! » La plus vieille des filles de la fratrie est sûrement la plus responsable et certainement celle qui va se fâcher le plus. Hors de question pour la cadette de se foutre entre les deux aînés.

Il ne savait pas se restreindre, encore moins faire attention à ce qu'il pouvait dire ou faire, le sacré Elwyn. Il y avait quelques dommages collatéraux lorsqu'il se perdait un peu et les conséquences étaient très désastreuses la plupart du temps parce qu'il était encore un môme et qu'il avait sûrement besoin qu'on le guide une dizaine d'années encore, voire plus. Cadburry ne le réalisait pas bien sûr puisqu'il se donnait l'image de l'homme en parfaite maîtrise de la moindre situation mais on parlait tout du même du bonhomme qui faisait exploser tout et n'importe quoi sur le dos de la science, juste parce qu'il s'ennuyait et qu'il n'avait jamais su quoi faire de son intelligence. C'était certainement ce qui était le plus triste dans sa situation car il aurait pu devenir un grand homme, pourquoi pas un astronaute ou bien un navigateur renommé, avec tout ce qu'il connaissait de l'univers, il aurait été un atout considérable. Le problème avec Elwyn, c'était qu'il ne savait pas quoi, quand et où utiliser ses connaissances. Il fallait qu'il sorte tout en désordre durant les conversations mondaines, quitte à ce que la personne qui l'accompagnait à ce moment là se récolte la pire honte du monde. Avantage, avec Birdie, c'était impossible, elle était comme lui sur pas mal de points, surtout sur les discussions sans queue ni tête, elle avait clairement tout appris du maître. "J'ai dit quoi, ma pomme cerise? On parle pas de sujets qui fâchent, encore moins du chocolat qui va disparaître, j'en ai encore diablement besoin pour réussir à faire des toiles d'araignée en version bonbon. Et personne va s'intoxiquer avec ma cerisette parce que tu vas rester campée là et en un seul morceau, parole de frère." Non pas que l'idée de la transformer en appât pour les loutres lui déplaisait mais Elwyn avouait aisément qu'il avait encore besoin de sa cadette pour le suivre dans ses délires. A qui il aurait dit sinon qu'il allait se marier pour le compte d'une émission de télé-réalité? Personne, absolument personne puisque ses autres soeurs ne le suivaient jamais lorsqu'il avait une idée de génie, ce qui brisait le coeur du brun assurément. "Pas moi, je t'assure! C'était un concept dans le show que j'ai regardé... Gossip Girl, tu connais?" Mon dieu, il s'enfonçait mais dès qu'il y avait un truc nul à la télévision, il se mettait devant, pour la culture qu'il vous dirait alors que tout le monde savait qu'il était juste un curieux de nature et donc, par extension, un danger public. "Oh, j'adorerais, inscris moi, ma noisette, s'il te plaît! Je serais génial en survivant à poil, tu penses pas?" Ne pas avoir de vêtements et chasser des bestioles, un concept qui ne pouvait que plaire à Elwyn mais Birdie n'avait pas dû faire attention à ce genre de détails avant de parler. Evidemment, le grand Cadburry ne fronça pas les sourcils alors que sa petite soeur fonçait dans ses bras, combien de fois l'avait-il bercée pour qu'elle s'endorme? Oui, même en étant adulte, elle était sa petite crème et il en prenait toujours soin, question de principe. Même quand elle refusait une mission sauvetage d'envergure, apparemment. "Même pas tu ferais ça pour ton frère chérie? Je note que tu préfères que je meurs que d'oser me rendre un micro service, tu me vexes, soeurette, je vais devoir vendre le super cadeau d'anniversaire que je comptais te faire... Et même le paquet de M&M's que j'avais acheté rien que pour toi. Ce que tu m'obliges à faire par dépit... T'aurais pas été une péripatéticienne du temps d'Aristote, toi, même pas cap' de tenir tête à Aurora. Où est ta bravoure, soldat?" Là où était la sienne certainement, enterrée au fond d'un trou qu'on ne creuserait jamais.