WITH A MILLION LIES THE TRUTH WILL RISE to tear you apart

Claquant la porte de son vestiaire et le verrouillant avec le cadenas, Norah fut bien contente d'en avoir fini avec cette matinée plus qu'animée. Elle n'avait pas arrêté du moment où elle avait mis le pied dans le service et ce jusqu'à la fin, n'ayant pas même le temps de se poser pour manger son repas de midi. C'était comme ça, parfois. Au fond, elle aimait ces moments-là. La montée d'adrénaline lui permettait d'avoir une vitesse de réaction d'une fraction de secondes seulement et de garder la tête sur les épaules tandis que d'autres seraient en proie à une panique totale, surtout devant une telle hémorragie massive. Avec Andy, ils formaient un bon duo, ils savaient comment chacun fonctionnait, ainsi que les autres infirmiers présents en chambre, sans avoir à hurler ou à devoir gérer le stress des autres. A la sortie de l'hôpital, elle passait par le food truck qu'elle connaissait grâce à Anwar pour se prendre des fish and chips et une bonne dose de mayonnaise. Parce que oui, Norah ne mangeait pas des plus sainement quand elle rentrait d'une journée qu'elle jugeait compliquée. Après, pour ce qu'elle en mangeait, elle ne risquait franchement pas de prendre du poids ou d'abuser sur sa consommation de cholestérol. Elle avait envoyé un message à Jasper pour lui proposer d'aller courir un peu, histoire de se défouler un peu. Vu la météo annoncée pour le weekend qui arrivait, l'infirmière pouvait faire une croix sur les activités extérieures qu'elle avait prévues avec ses enfants. Des pluies diluviennes dès vendredi soir. A croire qu'on faisait exprès. Elle passait rapidement chez elle pour opter pour une tenue plus adéquate pour courir et pour rejoindre le brun à la plage. Il y avait un petit chemin pédestre qui longeaient les étendues de sable blanc et qui était propice aux promeneurs amoureux de la mer. Les enfants étaient à l'école et elle avait donc encore un peu de temps pour elle. Elle ne se faisait pas des plus loquaces ces derniers temps et ses proches l'avaient bien remarqué. Courir n'était peut-être pas ce qui lui était le plus recommandé ces derniers temps, mais elle trouvait que ça lui faisait un bien fou de se vider la tête. Elle ne l'avait pas proposé à Alfie, pour la simple et bonne raison qu'il n'était pas en bonne état. Elle s'inquiétait véritablement pour lui depuis leur dernière rencontre. Le voir aussi tourmenté lui faisait beaucoup de peine, alors qu'elle en avait déjà pour bien d'autres raisons. "Hey. On y va ?" dit-elle à Jasper une fois qu'ils s'étaient retrouvés au lieu de rendez-vous. Le début de leur course fut tout aussi silencieuse. L'infirmière n'oubliait certainement pas ce que son jumeau lui avait révélé, notamment le fait que sa perte d'emploi était aussi liée à celle de Jasper. Elle se sentait aussi profondément stupide de ne pas avoir su faire le lien. Elle savait, pourtant, qu'ils étaient menés à travailler ensemble. Contrariée, elle accéléra intentionnellement la foulée jusqu'à s'arrêter sur le haut d'une butte pour lui faire face. "Pourquoi tu m'as rien dit ?" lui demanda-t-elle sans prendre le temps de reprendre un peu sa respiration. Ses joues étaient rougies par l'affluence de sang que demandaient son corps pour les efforts physiques qu'elle lui imposait. Quelques mèches de cheveux s'étaient échappés du chignon qu'elle s'était rapidement fait avec l'aide d'un élastique. "De Caelan et toi, tu as été le plus intelligent et le plus censé pour avoir eu la décence d'esprit de m'en parler dès que t'étais sur le point de perdre ton boulot." fit-elle remarquer. Jasper savait qu'elle l'avait toujours beaucoup apprécié pour son honnêteté et sa loyauté. "Alors pourquoi t'as pas jugé bon de me dire qu'il était aussi dans le coup ?" Il n'était plus à ça près, il venait d'être divorcé, sa vie professionnelle était compromise et il ne voulait certainement pas se mettre Norah à dos. "D'un côté, je peux comprendre que tu veuilles lui être loyal au possible ou que tu voulais pas me contrarier, mais franchement..." Globalement, Norah avait horreur qu'on lui mente, même si ce n'était que par omission. Ca restait une forme d'imposture quand même. "Si j'avais du être énervée à cause de quelqu'un, ça aurait été lui de toute façon." Sauf que maintenant, elle en voulait à Jasper également. "Et de me le cacher, ça n'aurait pas arrangé son affaire de toute façon. Parce qu'en matière de mensonges, je peux t'assurer qu'il frôle l'épique." Et c'était un euphémisme. Sans avoir la moindre idée de la conséquence de ses cachotteries, Caelan avait ébranler la confiance aveugle que Norah lui portait depuis trente-cinq ans. Elle se sentait tomber de bien haut. "Et le voilà parti pour une durée indéterminée parce qu'il avait besoin de remettre de l'ordre dans ses idées. Au moins là, il a la gentillesse de me prévenir.".C'était déjà ça, dirait-on. Norah espérait surtout qu'il revienne effectivement avec des idées nouvelles, l'esprit plus clair et plus cohérent, à prioriser l'essentiel et à savoir vers où il pouvait aller. "Alors, juste, dis-moi, qu'est-ce que ça t'as apporté de ne rien me dire ?"

@Norah Lindley & Jasper Wickham ⊹ You can have a sound of the thousand voices calling your name. You can have the light of the world blind you, bath you in grace, but I don't see so easily what you hold in your hands, 'Cause castles crumble, kingdoms fall and turn into sand

Jasper avait été libéré de ses fonctions d'enseignant depuis près d'un mois maintenant, mais ses journées n'en étaient pas plus calmes et reposantes. Passée la phase de panique de voir son équilibre -déjà rendu précaire par son divorce- s'effondrer totalement, c'était désormais de nouvelles opportunités qu'il avait voulu saisir, et parmi elles, se lancer à corps perdu dans le rétablissement de la vérité qui l'avait fait passer par la case discrédit scientifique. Il fallait croire qu'il n'avait pas retenu la leçon, que d'avoir joué au pot de terre contre le pot de fer avec une grosse entreprise ne lui avait pas suffit, car c'était un nouveau chapitre de cette bataille qu'il écrivait aux côtés de Callahan ; il n'avait plus rien à perdre à défendre son point de vue, si ce n'est s'éloigner encore un peu plus de sa famille, et marquer ainsi son indépendance face à ce clan qui commençait doucement à lui tourner le dos. Le divorce était une chose, la perte de son statut de professeur en était une autre, et presque aucun de ses proches ne semblait être prêt à le comprendre, alors même qu'il estimait faire ce qui était juste à ses yeux. La solitude commençait à lui peser peu à peu ; ne plus se rendre au laboratoire, ne plus enseigner. Le Wickham avait toujours su qu'il y aurait eu un prix à payer pour s'être ainsi livré en pâture à une cause perdue sur le papier, mais il n'aurait jamais accepté se trahir lui même ... et avait donc foncé tête baissée, embarquant dans sa chute Caelan ; s'en mordant les doigts depuis. A aucun moment il n'avait glissé un couteau sous la gorge du Leckie pour qu'il le suive, mais ce n'était pas pour autant qu'il ne se sentait pas coupable de le savoir ainsi rendu au même statut que lui. Les deux ne s'étaient pas parlés depuis un moment sans que Jasper ne s'en inquiète, mais peut être aurait il de ses nouvelles aujourd'hui car si ce n'était pas lui qui venait de lui écrire, il s'agissait en revanche d'une personne dont il était très proche. Norah proposait un jogging qu'il avait accepté dans la foulée, lui proposant de se retrouver sur la plage, ce qui était tant mieux puisqu'il n'aurait pas besoin de bien longtemps pour s'y rendre. Troquant ses chaussures pour des baskets, l'océanographe s'était échauffé en trottinant jusqu'au lieu de rendez vous, accueilli sur le sable par l'infirmière qu'il saluait brièvement. "Hey. On y va ?" Donc ils ne perdraient pas de temps. D'ordinaire ç'avait toujours été le cas, mais aujourd'hui l'atmosphère était ... étrange, comme similaire à la météo dont les nuages rendaient le temps électrique. "Si tu veux, oui allons y." Voilà les seuls mots qu'ils s'étaient échangés en dix bonnes minutes. Une part de lui même poussait Jasper à croire que Norah savait ce qu'il s'était passé dans les détails entre Caelan et lui, et qu'elle le tenait pour responsable de ce fiasco. Mais pourquoi vouloir le voir dans ce cas ? Sans qu'il ne s'en rende compte tout de suite, la brune avait fini par accélérer le pas, le poussant à se tirer de ses pensées s'il désirait pouvoir la suivre. Quelque chose clochait, et il fallait être idiot pour ne pas le remarquer. "Pourquoi tu m'as rien dit ?" Les joues rosies, la respiration saccadée, Norah s'était brusquement arrêtée au détour d'une montée, lui demandant des explications sans lui préciser tout de suite de quoi elle parlait. De son côté il s'était arrêté, ne lui faisant pas l'affront de demander des explications qu'elle finissait de toute façon par lui donner. "De Caelan et toi, tu as été le plus intelligent et le plus censé pour avoir eu la décence d'esprit de m'en parler dès que t'étais sur le point de perdre ton boulot." Oui. Mais ça ne faisait pas de lui le plus légitime pour dévoiler à l'infirmière que son frère s'était aussi grillé que lui. Pinçant les lèvres, Jasper ne répondait pas tout de suite, piqué au vif par ces souvenirs qui refaisaient brusquement surface. Il restait persuadé que de ne pas en parler à Norah si elle ignorait tout était la meilleure chose à faire, à ses yeux c'était une certitude. "Alors pourquoi t'as pas jugé bon de me dire qu'il était aussi dans le coup ?" Se passant une main fatiguée sur le visage, le brun finissait par s'avancer d'un pas, tâchant de peser ses mots pour répondre : "Je savais pas. Quand je suis venu te voir, j'ai pas réfléchi au fait qu'il ait pu t'en parler ou non." Égoïstement, sans doute, il avait totalement occulté le fait que Caelan puisse ne pas parler de leur déclin à sa soeur, ou qu'elle puisse prendre mal le fait qu'il ne la mette pas dans la confidence. Le jour de son divorce, il avait eu le besoin de se confier, et avait vraisemblablement oublié de réfléchir à la situation dans son ensemble. "D'un côté, je peux comprendre que tu veuilles lui être loyal au possible ou que tu voulais pas me contrarier, mais franchement..." Il ne lui faisait pas l'affront de lui servir l'excuse façon mensonge par omission. A sa place lui non plus n'aurait pas apprécié d'être ainsi tenu à l'écart, mais ne pouvait plus changer quoi que ce soit à cela. Il ne le pouvait plus du moment même où il avait informé Norah de la possible perte de son emploi. "Si j'avais du être énervée à cause de quelqu'un, ça aurait été lui de toute façon." "Et là tu m'en veux à moi ?" répondait-il du tac au tac, bien que le savoir ne puisse pas changer grand chose à la suite de cette discussion qu'ils entamaient. Jasper avait besoin de connaître dans quel état d'esprit se trouvait Norah à son égard, car de façon générale, l'énervement semblait prendre le pas sur tout le reste. "Et de me le cacher, ça n'aurait pas arrangé son affaire de toute façon. Parce qu'en matière de mensonges, je peux t'assurer qu'il frôle l'épique." Sur ce point il n'en savait rien, penchant la tête sur le côté en tentant de connecter les informations que la brune lui livrait. Avec Caelan ils n'étaient plus aussi proches qu'à l'époque de leurs études, ayant pour unique sujet de conversation depuis plus d'un an cette contre expertise qui leur avait valu de perdre leur emploi pour de bon. Jasper ne savait pas exactement de quoi l'infirmière parlait, mais pour l'heure s'il pouvait au moins arrondir les angles sur un sujet c'était sur celui là alors il essaierait. "J'ai trop de respect pour toi pour te dire que c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît, mais c'est le cas. Norah, ça dure depuis des mois. Et jusqu'au bout on pensait pouvoir sauver nos carrières. Ça n'aurait jamais dû se passer comme ça." Ils auraient dû, ils auraient pu y arriver. Jasper prenait les responsabilités de tout ce fiasco, et comprenait malgré tout que Caelan n'ait rien voulu dire à Norah. Dans un sens, car la réalité avait été dure à encaisser. "Et le voilà parti pour une durée indéterminée parce qu'il avait besoin de remettre de l'ordre dans ses idées. Au moins là, il a la gentillesse de me prévenir." Le Wickham fronçait les sourcils. Parti pour une durée indéterminée ? J'étais pas au courant." répondait-il sans détour, se demandant bien quelle mouche l'avait piqué pour partir aussi subitement en laissant sa famille. S'il y avait bien une réaction à laquelle Jasper ne se serait pas attendu de la part du Leckie c'était bien la fuite. "Alors, juste, dis-moi, qu'est-ce que ça t'as apporté de ne rien me dire ?" Rien, mais il avait du mal à la voir ainsi lui reprocher son comportement. Par orgueil mais aussi car il s'estimait dans son droit de ne pas avoir interféré entre discussion qu'auraient dû avoir les jumeaux entre eux. "Caelan et moi on se connaît depuis quinze ans Norah, à ce stade c'est plus qu'un simple collègue à mes yeux. C'est ma faute s'il se retrouve là dedans, moi qui lui ai proposé de se mouiller sans savoir à l'époque qu'on allait y laisser nos jobs. Il avait déjà perdu beaucoup. T'aurais fait quoi à ma place ? C'était son droit de t'en parler ou non, et je ne dis pas que c'est malin, loin de là, mais j'ai déjà assez bousillé sa vie sans avoir à l'enfoncer encore plus en te révélant quelque chose dont il voulait te parler quand il aurait été prêt à le faire." Du moins à son sens. Se pinçant à nouveau les lèvres, Jasper eut besoin d'une pause avant de poursuivre, tâchant de réfléchir à ses mots pour qu'ils fassent sens, car rien ne laissait présager qu'ils tiendraient cette discussion ici et maintenant. "J'avais pas prévu non plus qu'on renoue contact. J'aurais dû agir différemment, je dis pas le contraire, mais j'ai pas su quoi faire. C'était trop. Beaucoup trop à gérer pour une seule personne. Et je suis désolé si ce que j'ai dit -ou plutôt, ce qu'il n'avait pas dit- ait pu t'affecter d'une façon ou d'une autre." Car s'il n'avait pas prévu de ruiner sa carrière et d'entraîner avec lui l'une de ses amitiés les plus précieuses, Jasper n'avait pas non plus songé à retrouver la brune et lui laisser une place dans sa vie comme elle l'avait aujourd'hui. Les circonstances n'avaient pas été bonnes, ne lui avaient pas laissé l'opportunité d'épargner tout le monde, et malgré lui, il s'était fichu dans un sacré pétrin.  

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Même s'ils ne s'étaient que fréquentés quelques et mois et perdus de vue des années durant, Jasper connaissait suffisamment la belle brune pour pressentir que quelque chose clochait. Elle n'avait pas besoin de le dire, ni de le montrer. Il avait bien saisi quelques semaines plus tôt que quelque chose clochait chez elle. Des détails, des mimiques imperceptibles qui suffisaient à le rendre inquiet. Ici, pendant leur course, elle voulait lui faire comprendre qu'elle était particulièrement contrariée. Elle ne comptait pas non plus laisser régner cette atmosphère tendue pendant tout ce temps car, même fâchée, il y avait une partie de Norah qui désirait profiter du temps passer avec lui. L'avantage avec elle, c'était qu'elle n'attendait jamais bien longtemps et qu'elle n'y allait jamais par quatre chemins. De ce côté là, le brun se montrait incroyablement patient et indulgent avec elle, malgré l'incompréhension totale qu'il avait avec la première question qu'elle lui avait posé. Interloqué, il s'était arrêté en face d'elle sans craindre de la regarder droit dans les yeux. Il n'avait jamais eu peur de cela. A croire que Norah avait une préférence pour les hommes qui n'avaient pas de regards fuyants lorsqu'il s'agissait de gérer ses contrariétés. "Alors pourquoi tu es venu me voir moi ?" Même s'il se devait se sentir horriblement seul suite à son divorce et à la perte soudaine de son emploi, Jasper était un homme apprécié, et bien entouré. Du moins c'était ce qu'elle pensait, ce qu'elle savait de lui. "En dehors de notre histoire, l'un de nos plus gros dénominateurs communs reste Caelan." Ils partageaient de nombreux points communs, c'était évident. Mais peut-être justement parce qu'elle était la soeur de Caelan, il aurait pris soin de se confier à quelqu'un d'autre au sujet de son divorce, car il devait bien se douter que de cette conversation allait découler tous les changements récents de sa vie. "Et pourtant, c'était vers sa soeur jumelle chez qui tu étais venu te confier." Norah comprenait très bien que, sur le coup de l'émotion, il n'avait pas songé aux dommages collatéraux. Il avait bien trop en tête. Mais alors, pourquoi elle ? Cette question restant en suspend dans sa tête, elle continuait à tourner sa colère envers son frère. Jasper et lui étaient des amis de longue date, des collègues loyaux l'un envers l'autre. Au fond, ça n'avait rien de surprenant que la chute de l'un ait entraîné l'autre avec. "Oui, je t'en veux aussi." répondit-elle tout aussi rapidement qu'il lui avait rétorqué sa question. "Mais disons que sur une échelle allant de zéro à dix sur ma contrariété, tu es à deux. Caelan, lui, par contre, il est à huit." Un petit truc d'infirmière, de se créer des échelles à tout va pour donner un ordre d'idées sur certaines choses. Un sacré réflexe. Ca partait de l'échelle de la douleur, initialement. Elle en avait aussi instauré une dans son service pour les étudiants qui font une multitude de fautes d'orthographe dans leur démarche de soin : c'est de là qu'était né l'échelle d'Hector. Norah n'était peut-être pas infaillible non plus, mais cet étudiant battait tout le monde, et de loin, très loin. Jasper ne semblait pas être informé de tout ce qui se tramait dans la vie de son ami, vu l'expression perplexe de son visage quand Norah lui assurait que son jumeau avait quelque peu dépasser les limites en matière d'abus de confiance. "Tout est toujours compliqué, Jasper". répliqua-t-elle d'un ton à la fois exaspéré et sincère. Elle ne se fichait pas de lui, elle ne se le permettrait pas dans ce contexte là. "Pour tout le monde." Aucune histoire était simple, toutes avaient son lot de retournement de situation. "Et à ce que je sache, je ne me suis jamais montrée réfractaire à écouter quelqu'un, ou peu encline à entendre les problèmes des autres. En quoi c'est différent cette fois-ci ?" lui demanda-t-elle. "Que ça se passe bien ou que ça se passe mal, qu'est-ce qui fait qu'il n'ait jamais voulu m'en parler ?" Car, selon les informations qu'elle avait, Norah avait fini par deviner que l'ensemble de cette histoire là était loin d'être récente, qu'elle s'était étalée sur de nombreux mois. "A la limite, toi, je peux comprendre. Je veux dire, ça fait pas si longtemps que ça qu'on se revoit, tu voulais parler d'autre chose. Des trucs qui te préoccupaient bien plus que ça, surtout si tu pensais que ça finirait autrement." Le brun apprit ensuite sur le tas que son ami de fac s'était fait la malle pour quelque semaines. Il ne cachait pas sa surprise et Norah se devait de reconnaître que ça n'avait pas été annoncé de la façon la plus délicate qui soit. Mais, au moins, il le savait désormais. "Il ne t'avait pas prévenu ?" lui demanda-t-elle tout de même, interloquée qu'il n'ait pas fait part de son voyage à son collègue. Malgré cette surprise, le brun continuait de le défendre autant que faire se peut devant la jumelle Leckie. "C'est pas le fait qu'il ait choisi de te rejoindre dans votre projet qui m'embête. Vous êtes fidèle à votre cause et c'est tout à fait respectable, il en faut des gens comme vous. Et quand vous êtes investis, vous l'êtes à fond. Et si vous avez bien un point commun tous les deux c'est que dès que vous avez une idée en tête, c'est impossible de vous en défaire tant que vous n'avez pas atteint votre but. C'est tout à votre honneur. Vous deux, vous savez que c'est pas moi vais vous juger pour ce que vous choisissez de faire. C'est pas mon job de vous tenir la main, de dire ce qui est bon ou pas, je donne mon avis quand on le veut bien et quand on me le demande. Vous êtes tous les deux grands et vaccinés, vous savez ce que vous faites." Jamais Norah ne viendra fourrer son nez dans une affaire et les voir se vautrer en beauté pour le dégainer le traditionnel je vous l'avais dit. Ce n'était vraiment pas son genre. Les choses étaient comme elles étaient et elle faisait au mieux pour faire avec, même si c'était parfois difficile. "Il t'a rejoint en toute connaissance de cause. De là, t'as rien à te reprocher parce qu'il savait les risques, tout autant que toi. Même si vous étiez sûrs de ce que vous faisiez." Ce n'était pas le point là que Norah lui reprochait, mais cela semblait être ce qui le culpabilisait le plus. "A sa place, j'aurais pas attendu tout ce temps pour lui dire. Parce que je pense que vous le saviez depuis un petit moment, quand vous vous êtes faits griller et que vous aviez perdu votre boulot, non ?" Quelques semaines, peut-être. L'infirmière n'en savait rien. "On se connaît aussi depuis au moins si longtemps, et même s'il y a eu ce trou où on ne s'est pas vus, tu n'as pas attendu très longtemps pour me dire ce qui se tramait." Elle haussait les épaules. "A la place, j'ai mon frère jumeau, en qui j'avais une confiance qui dépassait les limites du raisonnable, m'a cachée ça et le fait qu'il soit divorcé de plus d'un an." Elle lâchait rire jaune et bref, en croisant les bras. Là aussi, elle devait sûrement lui apprendre quelque chose. Caelan avait précieusement conserver ce secret là à autant de personnes que possible. "Qu'est-ce que tu aurais fait différemment ?" Norah était bien curieuse de sa réponse. "Parce qu'au fond j'aurais pas voulu que tu fasses les choses différemment. Tu as été honnête avec moi. Et même si ça t'a semblé maladroit ou inadapté, j'ai apprécié que tu joues cartes sur table." Qu'importe le nom que pouvait porter leur relation. Étaient-ils de simples amis ? Elle en doutait. Juste des ex ? Encore moins. C'était indéfinissable et il lui semblait indécent parfois qu'il ait repris une telle importance dans son entourage. Une autre figure masculine avec qui elle se sentait proche, à qui elle savait qu'elle pourrait tout dire. "J'en ai ma claque qu'on cherche à mettre du baume, ou à arrondir les angles sous prétexte que... que Frank soit mort et que je doive gérer les petits, le boulot, la maison. C'est pas une excuse pour m'exclure de ce qu'il se passe dans vos vies. Et je sais que t'es bien placé pour me dire que c'est l'hôpital qui se fout de la charité parce que je t'ai exclu de la mienne à un moment où peut-être j'avais besoin d'être entourée. Mais le fait était que j'avais besoin d'être seule." Car l'indépendance de Norah lui hurlait de savoir se débrouiller seule, de se débrouiller avec ce qu'elle avait sans faire appel à une tierce personne. Pourtant Anwar avait été là pour chaque étape administrative et sentimentale après la mort de Frank, leur supérieur ayant tout fait pour que Norah puisse obtenir sa pension de veuve le plus rapidement possible, Caelan était resté au premier rang pour s'assurer de ne pas voir sa soeur sombrer, tant il avait peur de la voir disparaître. Et il n'avait pas tord, au fond. Seulement, ce phénomène là était à retardement et se passait des années plus tard que la période où l'on pensait que ça allait se dérouler. "On se connaît depuis au moins autant de temps et tu as été plus sincère et plus honnête avec moi que Caelan. Tu trouves ça normal, toi ?" La confiance aveugle qu'elle avait pour son frère était ébranlée. Voir sa vie s'effondrer était ce qu'il y avait de plus déstabilisant pour elle. Voir tous ces piliers s'effondrer. Elle tombait en ruines avec et le plus malheureux dans tout ça, c'était que ça n'allait être visible que lorsqu'il sera trop tard.

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Jasper savait que Norah le confronterait tôt ou tard, qu'elle finirait par évoquer Caelan, et ce qu'ils avaient fait. Il ne s'était pas senti légitime de venir lui parler de l'ensemble de la situation lorsque cette dernière avait implosé, mais ce n'était pas pour autant qu'il en avait honte, ou qu'il n'assumerait pas en se cherchant des excuses. Conscient de s'être planté sur toute la ligne, le brun ne feindrait pas la fausse innocence. Il savait qu'il s'était loupé, et que le Leckie l'avait fait lui aussi. La colère de Norah -si l'on pouvait l'interpréter ainsi- était juste, quelque part, et il prenait sur lui de la voir son regard lancer des éclairs. "Alors pourquoi tu es venu me voir moi ?" Une question à laquelle il avait encore un peu de mal à répondre de façon rationnelle. Ses lèvres s'entrouvraient puis se fermaient sans qu'aucune réponse concluante n'en franchisse leur barrière. Pourquoi elle ? Pourquoi pas quelqu'un qui ne soit pas aussi impliqué que ne l'était Norah dans la vie de son plus proche collaborateur ? La réponse lui était évidente, mais bien trop égoïste pour qu'il ne se risque à la prononcer, alors Jasper se taisait. C'était sans doute préférable de toute façon, car mieux valait se focaliser sur le fond plus que sur la forme. "En dehors de notre histoire, l'un de nos plus gros dénominateurs communs reste Caelan." Certes, mais il avait fini par les dissocier. Elle était loin, l'époque de l'université et de la compétition permanente qui régnait entre lui et l'aîné des deux Leckie. Ils avaient changé. Tous les trois. "Et pourtant, c'était vers sa sœur jumelle chez qui tu étais venu te confier." La mâchoire carrée, Jasper semblait en proie à une sorte de lutte interne entre ce qu'il s'autorisait à ressentir et comment il pensait devoir (pouvoir ?) réagir. "Tout est tellement différent d'il y a quinze ans Norah. J'aurais dû faire preuve de plus de lucidité, vraiment. Mais ce soir là j'avais envie de venir te voir, et ça n'aura jamais rien à voir avec ton frère, même si je ne l'explique pas." Pour sûr il n'était pas plus stupide qu'un autre, et comprenait facilement que son comportement n'était pas très judicieux. Jasper en était toutefois arrivé à un point de sa vie où il avait besoin de prendre les choses telles qu'elles venaient. Il s'était conditionné à rentrer dans une case durant des années ; à trente six ans il était temps de changer, et bien qu'il n'ait jamais cherché à faire en sorte que Norah lui en veuille, il espérait qu'elle comprenne que rendre cette situation plus compliquée qu'elle ne l'était n'était en rien son intention. "Oui, je t'en veux aussi." soufflait elle toutefois, alors qu'il encaissait tant bien que mal. "Mais disons que sur une échelle allant de zéro à dix sur ma contrariété, tu es à deux. Caelan, lui, par contre, il est à huit." Deux sur dix, hein. Peu habitué à rationaliser les choses de cette façon, Jasper arquait le sourcil, rétorquant que : "Je vais essayer de ne pas creuser vers le trois en t'apprenant tout, alors." Car pour sûr à ses yeux l'histoire méritait d'être racontée dans son intégralité, et Norah risquait de ne pas être au bout de ses surprises en apprenant qu'ils avaient, en plus d'avoir sacrifié leurs carrières respectives, causé un cataclysme dans le petit monde industriel du Queensland. Trois fois rien. "Tout est toujours compliqué, Jasper" Son ton trahissait un agacement latent, plus quelque chose comme de l'inquiétude. L'infirmière semblait en être rendue au bout de ce que ses nerfs pouvaient supporter, et lui sentait son cœur se serrer à cette idée. Il s'était toujours senti plus ou moins impuissant face aux malheurs de Norah, mais aujourd'hui il avait l'opportunité de ne pas laisser les choses s'envenimer davantage. En théorie. "Et à ce que je sache, je ne me suis jamais montrée réfractaire à écouter quelqu'un, ou peu encline à entendre les problèmes des autres. En quoi c'est différent cette fois-ci ? Que ça se passe bien ou que ça se passe mal, qu'est-ce qui fait qu'il n'ait jamais voulu m'en parler ?" Cette affaire était hors normes, et si la comparaison n'était pas à faire entre la réaction des deux océanographes, Jasper n'avait pas été capable d'en parler à ses proches lorsque tout commençait à partir trop loin. Il ne s'y était résolu que lorsque la partie avait été perdue, et peut être que Caelan avait réagi de la même manière. "A la limite, toi, je peux comprendre. Je veux dire, ça fait pas si longtemps que ça qu'on se revoit, tu voulais parler d'autre chose. Des trucs qui te préoccupaient bien plus que ça, surtout si tu pensais que ça finirait autrement." Il n'y avait pas grand chose qui le préoccupait plus que la perte de son job qu'il appréciait tant. Son mariage avec Gia avait aussi (mais surtout) volé en éclats parce qu'il s'était renfermé sur lui même durant les quelques mois où il avait hésité à sauter le pas avec Caelan. Si c'était à refaire il referait tout de la même manière, mais de rouvrir les brèches de ce qu'il estimait être une injustice faisait renaître chez lui un agacement qu'il avait du mal à contenir. "Sûrement parce qu'on a détruit nos vies, Norah. C'était déjà assez dur à encaisser sans vouloir t'inquiéter davantage. Tu dis que ça va, mais c'est faux, et je sais pas ce qu'il lui ait passé par la tête pour qu'il te mette de côté, mais on a été ballotés dans un rollercoaster d'émotions contradictoires depuis des mois, et c'était bien trop pour que tu ne t'inquiètes pas." C'était sûrement pour cette raison que le Leckie avait décidé de prendre le large, de filer. Jasper ne lui en voulait pas bien au contraire, il était simplement surpris par cette réaction. "Il ne t'avait pas prévenu ?" Non, et il secouait le menton en guise de réponse. Ils avaient beau être devenus plus que de simples collègues au fil des années (et surtout ces derniers mois) le brun avait pensé qu'il aurait été prévenu d'un tel voyage. "Mais c'était beaucoup trop à gérer, alors je peux comprendre." Il ne prenait pas non plus sa défense, mais tentait d'arrondir les angles. "C'est pas le fait qu'il ait choisi de te rejoindre dans votre projet qui m'embête. Vous êtes fidèle à votre cause et c'est tout à fait respectable, il en faut des gens comme vous. Et quand vous êtes investis, vous l'êtes à fond. Et si vous avez bien un point commun tous les deux c'est que dès que vous avez une idée en tête, c'est impossible de vous en défaire tant que vous n'avez pas atteint votre but. C'est tout à votre honneur. Vous deux, vous savez que c'est pas moi vais vous juger pour ce que vous choisissez de faire. C'est pas mon job de vous tenir la main, de dire ce qui est bon ou pas, je donne mon avis quand on le veut bien et quand on me le demande. Vous êtes tous les deux grands et vaccinés, vous savez ce que vous faites." Mais. Il y aurait toujours un mais quelque part, et Jasper le voyait venir comme le nez au milieu de la figure. "Il t'a rejoint en toute connaissance de cause. De là, t'as rien à te reprocher parce qu'il savait les risques, tout autant que toi. Même si vous étiez sûrs de ce que vous faisiez." Ils étaient sûrs de pouvoir se tirer de là, oui. Une main fatiguée qui glissait sur ses traits sans qu'il ne puisse se redonner meilleure mine, Jasper tachait toutefois de prendre sur lui pour ne pas tiquer sur les mots, pour ne pas se replonger dans le passé et se sentir inutile. Il avait bousillé sa carrière pour une cause louable mais qui ne lui avait pas laissé la moindre chance de ne pas laisser de plumes, et c'était encore douloureux. "A sa place, j'aurais pas attendu tout ce temps pour lui dire. Parce que je pense que vous le saviez depuis un petit moment, quand vous vous êtes faits griller et que vous aviez perdu votre boulot, non ?" Depuis quelques semaines, oui. "Quand je suis venu te voir, c'était presque terminé. Pas encore rendu officiel mais ça l'a été dans les jours qui ont suivi." Sa voix était plus calme, mais pas forcément dépourvue du feu qui l'animait. Le sentiment d'injustice était sans doute le pire de tous, celui qui le laissait à fleur de peau depuis que sa carrière avait implosé. Par sa faute. "On se connaît aussi depuis au moins si longtemps, et même s'il y a eu ce trou où on ne s'est pas vus, tu n'as pas attendu très longtemps pour me dire ce qui se tramait." Non, et il ne savait pas pourquoi Norah était la seule personne à qui il avait voulu en parler à l'instant T. Au fil des semaines, ils avaient fini par se retrouver, et quelque part, dans ce renouveau qui s'imposait à lui la brune était l'une des seules à lui faire mettre un pied devant l'autre. "A la place, j'ai mon frère jumeau, en qui j'avais une confiance qui dépassait les limites du raisonnable, m'a cachée ça et le fait qu'il soit divorcé de plus d'un an." Divorcé ? Caelan était divorcé ? Jasper fronçait les sourcils, interloqué. Le rire sans joie de l'infirmière laissait sous entendre qu'elle avait dû obtenir toutes ces révélations sous forme de package ; un ensemble indigeste. Il ne lui ferait pas l'affront de radoter, de rabâcher encore que tout était bien trop compliqué car Norah était loin d'être une idiote, à la place il pinçait les lèvres, soufflant un : "C'est pas très malin." qui tombait sous le sens. Caelan avait foiré sur toute la ligne, et lui même ne savait plus comment se positionner, comment réagir face à tout cela. "Qu'est-ce que tu aurais fait différemment ?" Il aurait commencé par ne pas planter sa carrière, quoique. Son ressenti n'aurait pas été changé s'il pouvait être en mesure de faire machine arrière, L'océan serait toujours sa priorité sans qu'il ne sache trop l'expliquer. C'était son élément, mais en ce qui concernait Norah, tout était bien trop différent maintenant. "Parce qu'au fond j'aurais pas voulu que tu fasses les choses différemment. Tu as été honnête avec moi. Et même si ça t'a semblé maladroit ou inadapté, j'ai apprécié que tu joues cartes sur table." Il ne l'avait pas fait d'entrée de jeu, alors même qu'il avait essayé de comprendre ce qu'il se passait dans la vie de la brune pour qu'elle ait l'air si affectée par quelque chose qui lui échappait. Ce n'était pas juste, et à sa place Jasper aurait très certainement mal pris d'avoir vu quelqu'un qui lui cachait une montagne mettre le doigt sur ses problèmes personnels. "J'ai plus véritablement de recul sur la situation. Quand on a recommencé à se voir c'était déjà le foutoir, mais on n'était pas aussi proches pour que je me sente de t'en parler. Maintenant j'aurais aimé te le dire plus tôt." C'était toujours compliqué d'imaginer des scénarios différents maintenant que la situation était telle qu'elle était, mais à défaut d'être réaliste il tentait au moins de se montrer sur un meilleur jour et de faire la lumière sur ce qu'il pensait vraiment. Si toute cette histoire avait éclaté maintenant, Norah en aurait été l'une des premières informées. "J'en ai ma claque qu'on cherche à mettre du baume, ou à arrondir les angles sous prétexte que... que Frank soit mort et que je doive gérer les petits, le boulot, la maison. C'est pas une excuse pour m'exclure de ce qu'il se passe dans vos vies. Et je sais que t'es bien placé pour me dire que c'est l'hôpital qui se fout de la charité parce que je t'ai exclu de la mienne à un moment où peut-être j'avais besoin d'être entourée. Mais le fait était que j'avais besoin d'être seule." Il était d'accord sur certains points, aussi que leurs deux situations n'avaient rien de comparable, mais pas totalement sur le fait que ni l'un ni l'autre ne lui ait fait part de toute l'histoire en jugeant qu'elle était à protéger. Jasper avait toujours respecté les décisions de Norah ; parce qu'il la considérait suffisamment pour lui laisser le crédit de savoir mieux que personne ce qui était bon pour elle. Cela n'avait rien d'évident, comme elle le soulignait, mais si l'infirmière avait eu le besoin d'être seule à une époque, lui avait eu besoin de temps pour dresser le constat de sa vie désormais désastreuse, tout comme son frère, peut être. "Je ne t'ai jamais reproché le fait d'avoir voulu être seule, et je suis prêt à mettre ma main à couper que c'est le cas de Caelan aussi, mais tu ne peux pas nier qu'en ce moment tu as l'air de nous cacher quelque chose à tous, et ce n'est pas vouloir mettre du baume que de t'épargner notre chute. Au delà du fait qu'elle soit difficile à digérer pour nous. C'est compliqué à intégrer, l'échec." Cette situation était à prendre dans son ensemble, et si pour l'heure (de son point de vue) Norah ne voyait que l'affront de son frère, lui voyait aussi l'inquiétude qu'il ressentait alors même qu'ils n'étaient pas aussi proches que l'étaient les jumeaux. Le Wickham ne cachait plus vraiment le fait que l'infirmière avait une importance particulière dans sa vie, alors que Caelan ait voulu la protéger de son propre chaos ne lui semblait pas si improbable. "On se connaît depuis au moins autant de temps et tu as été plus sincère et plus honnête avec moi que Caelan. Tu trouves ça normal, toi ?" Non, cela n'avait rien de normal. Il n'aurait pas aimé qu'Alex le laisse de côté de cette façon, et elle n'était que sa cousine. "C'est peut être plus facile pour moi de te dire que j'ai bousillé ma vie que lui de le faire. Justement parce que c'est ton frère." Ce n'étaient que des suppositions, et le discours du brun n'était ponctué que de "peut être", mais c'était là le mieux qu'il puisse faire. Il ne se permettrait pas d'interpréter le comportement de son collègue et ami, même s'il n'en pensait pas moins. "Je t'avoue que j'ai encore du mal à être tout à fait transparent sur toute cette affaire. Je comprends qu'il soit parti, dans un sens. Mais ne pas t'en avoir parlé était une erreur." De ne pas lui avoir parlé de tout. Du mariage comme du reste. Norah devait tomber de haut ; ce n'était pas bien compliqué à imaginer si déjà lui était saisi du fait d'apprendre que Caelan était divorcé, et qu'il n'en avait pas dit le moindre mot. "Écoute je sais pas ce qu'il pense, ni pourquoi il réagit comme ça. A vrai dire ça ne m'importe plus pour le moment." Non parce qu'il s'en moquait mais plus car il pensait que Caelan avait le droit de se mettre en retrait pour digérer le tout. Le Leckie n'avait pas répondu aux appels de Quinn ni aux siens, et si désormais tous les deux avaient une explication, ils accepteraient aussi le silence de leur collègue. "Mais si ça t'impacte d'une façon ou d'une autre alors je me sens responsable. Parce que rien de tout ça ne serait arrivé si j'avais pas eu la brillante idée de vouloir jouer au justicier des mers, et j'ai jamais voulu te rajouter quelque chose en plus sur le dos. J'aurais certainement pas embarqué ton frère avec moi là dedans si j'avais su qu'on en serait là aujourd'hui. -la nature du là était toute la question, et causait une demie seconde d'hésitation chez lui- Parce que je connaissais les risques, et qu'on avait de fortes chances de terminer comme ça. On en était conscients, ou plutôt on était inconscients." C'était un trait d'humour qui n'en était pas un, l'un de ceux qui laissaient traduire la fatigue qui lui pesait sur les épaules. A nouveau Jasper passait sa main sur les traits de son visage, puis soufflait d'un ton bien trop fermé : "Je suis désolé Norah, vraiment." mais bien qu'il était sincère, son regard dépeignait plutôt des dizaines et des dizaines d'émotions contradictoires. Quitte à jouer la transparence, il ne prétendait plus que tout allait parfaitement bien.

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Les mots manquaient à Jasper pour une partie des questions que la brune pouvaient lui poser. Elle mentirait s'il lui arrivait de tirer une certaine satisfaction à dérouter ses proches par ses questions qui visaient tellement justes que les phrases ne venaient pas, et que ces points d'interrogation demande une certaine réflexion sur soi-même pour trouver de quoi il en retourne. Elle avait beau être affaiblie, elle n'allait certainement pas oublier ce qu'elle venait tout juste de lui demander. Quand elle posait une question, elle voulait une réponse, tôt ou tard. Ce n'était pas le sujet principal de leur conversation mais elle allait y revenir quand bon lui semblera. Caelan et Jasper se connaissaient depuis très longtemps aussi. L'esprit de compétition avait été remplacé par un lien quasi fraternel, bien au-delà que de simples collègues qui se côtoyaient au quotidien. Au-delà de ça, il avait beaucoup de considération pour sa jumelle, dont il était éperdument amoureux pendant ces quelques mois de relation. Il avait désiré la voir elle plus que n'importe qui au beau milieu de la nuit. Et même lui ne semblait pas être capable de se l'expliquer. C'était comme ça. Il écoutait ce que sa raison ou son coeur voulait lui faire entendre et que ce soit l'un, l'autre ou les deux, ils l'avaient mené jusqu'à elle. Bien que touchée par l'importance qu'il semblait lui accorder dans sa vie, Norah lui en voulait. Mais certainement pas autant qu'à son frère jumeau. "Donc tu ne me raconteras jamais toute l'histoire ?" lui demanda-t-elle, afin de savoir si elle aurait un jour connaissance de l'ensemble des détails. Elle n'allait pas le forcer non plus s'il répondait de façon négative. Suite à quoi l'infirmière s'était un petit peu emportée (mais ce n'était comparé à une Norah véritablement énervée – Jasper ne voudrait jamais la voir comme ça), à exprimer une partie du fond de ses pensées. Ce à quoi Jasper répondait sans détour les siennes, faisant partie à pointer du doigt, textuellement, que Norah non plus n'allait pas bien. Pas de constatations de ça fatigue, pas de questions pour lui demander si ça allait bien. Là, non, Jasper lui fournissait la réponse exacte sur un plateau d'argent. Et sur le coup, Norah ressentait un mélange d'incompréhension et de perplexité. Comment ça, elle n'allait pas bien ? Elle fronçait brièvement les sourcils. "On en a déjà parlé de cette histoire d'inquiétudes, Jasper." coupa-t-elle sèchement. Elle avança d'un pas en sa direction, le fixant droit dans les yeux. "Que tu me le racontes, ou que tu me le racontes, tu reste logé à la même enseigner, je te l'ai déjà dit la dernière fois." Il pourrait s'agir d'une conversation sans fin. La problématique était la même et ils l'agrémentaient bien malgré eux. Ils se faisaient beaucoup de soucis pour l'un l'autre et ils n'arrivaient pas à faire avec. Ils ne voulaient pas inquiéter. "Et je vais bien." se sentit-elle obligée de préciser. Elle peut encore encaisser. Elle en était persuadée. Malgré la surprise qu'il ressentait en apprenant que Caelan était parti prendre l'air, il prenait un peu sa défense auprès de sa jumelle. "Tu le comprends parce que tu voulais aussi te faire une virée au Costa Rica ? D'ailleurs, c'est toujours à l'ordre du jour ou pas ?" lui demanda-t-elle avec un haussement de sourcils. Parce qu'elle savait que l'idée lui avait effleuré l'esprit. Et pourtant, il ne l'avait pas fait. Il se trouvait là, en face d'elle, à accepter de faire au mieux pour ramasser les pots cassés. Il apprenait dans la foulée le divorce de Caelan et surtout le fait qu'il l'avait caché à sa jumelle. "Non, vraiment pas malin." répondit-elle aussitôt. Norah trouvait que c'était inutile d'imaginer comment se seraient passées les choses si les décisions avaient été différentes. Du moins, c'était bien plus délétère que bénéfique, et pourtant, elle se retrouvait à y songer. Tout comme Jasper, qui laissait comprendre qu'il avait du mal lui-même à palier tout ce qu'il se passait dans sa vie. Son boulot, son divorce, et même la réapparition de Norah dans son quotidien. "C'était déjà le foutoir où ? Ton divorce, ton boulot ?" lui demanda-t-elle. "Est-ce que ma présence dans ta vie a empiré la situation ?" Autant qu'il le dise si c'était le cas.  Quoi qu'il en soit, Jasper semblait regretté de ne pas s'être montré totalement transparent avec elle depuis le début. Il ne se doutait peut-être pas que son regard le trahissait assez souvent. Il parlait pour lui. Encore une fois, Norah fronçait les sourcils par perplexité plus qu'autre chose quand Jasper lui disait être persuadé qu'elle lui cachait quelque chose. "J'ai rien à cacher." dit-elle, dans le plus grand déni. "Juste un peu fatiguée, mais ça c'est un secret pour personne." C'était surtout devenu l'excuse universel. Mais c'était sûr pour des âmes aussi compétitrices et perfectionnistes que Caelan et Jasper, l'échec cuisant était difficile à accepter pour l'un comme pour l'autre. Le brun s'entraînait ensuite dans une tirade concernant toute cette affaire, ses confessions, l'impact que ça avait pu avoir sur ses proches. En particulier sur Norah. Il préférait prendre alors l'entière responsabilité de tout ce qu'il se passait et se sentait prêt à encaisser tous les reproches que Norah pouvait faire si elle en avait besoin. "Tu as toujours voulu être un justicier des mers." reprit-elle d'un ton bien plus calme. "Et ça, je le sais depuis très longtemps." Cette volonté là, il l'avait déjà quand ils s'étaient connus à l'université. Norah s'en souvenait très bien. A croire qu'elle était attirée par les hommes qui voulaient défendre une cause juste. Il présentait ses plus plates excuses. Il s'en voulait, ça crevait les yeux. "Je sais." lui souffla-t-elle, un sourire discret arborant enfin son visage. Elle soupira et s'approcha encore d'un pas. "De toute façon, de tous les scénarios possibles de vie, tu l'aurais quand même fait. Je me trompe ? Qu'il y ait eu Caelan ou non, qu'on soit resté ensemble ou pas ou qu'on se soit jamais côtoyé, tu l'aurais quand même fait." Ca, Norah en était persuadée. Un long moment de silence et d'accalmie survenait entre eux. Mais elle ne perdait pas une miette de son regarde. Elle y trouvait bien d'autres choses que de la culpabilité. "Qu'est-ce que tu as en tête ?" finit-elle par lui demander d'un air bienveillant. "J'ai l"impression qu'il y pas que le boulot, pas que le divorce." Mais ça ne restait qu'une impression, ce qui signifiait que ça pouvait être faux. "Et t'as toujours pas répondu à l'une de mes questions." lui rappela-t-elle. En gros, il y a beaucoup d'émotions qu'il semblait passer sous silence et Norah ne demandait qu'à l'entendre les verbaliser. Il n'y avait rien de pire que de n'avoir personne à qui se confier (pour plusieurs raisons). Elle ne voulait pas qu'il se sente seul. "T'as pas à te sentir responsable des décisions qu'avaient prises Caelan, et encore moins des conséquences qui me tombent dessus s'il arrivait quoi que ce soit." Plus facile à dire qu'à faire, ça, l'infirmière le savait bien. "Tu vois, tu n'es pas allé au-delà de trois." dit-elle avec un peu plus de légèreté. "Mais j'aimerais bien savoir ce que cette paire d'yeux bleus tentent de me crier, là." Jasper laissait tomber tous les murs, tous les filtres qui auraient pu l'aider à dissimuler un tant soit peu ce qu'il gardait pour lui. Norah tenait à être là pour lui. Tout autant qu'elle pouvait l'être avec ses enfants, Anwar, Alfie ou Yasmine. Il lui était encore difficile de se dire que Jasper et elle n'étaient que de simples amis. Il y avait un quelque chose qu'elle ne définissait, et ça la contrariait, de savoir ce dont il pouvait bien s'agir. Son coeur était en vrac, elle commençait à avoir des sentiments pour une personne qui était déjà prise. Elle ne s'en rendait pas encore franchement compte, mais elle savait que c'était du grand n'importe quoi. Un véritable cataclysme d'idées noires fracassaient peu à peu les barrières de son esprit, et le plus triste dans cette histoire était qu'elle ne se rendait compte de rien. Le déni dans ses plus beaux jours. "A moins que tu ne préfères reprendre la course. Mais sache qu'à un moment, je te redirai la même chose et je te reposera les questions pour lesquelles je n'ai pas encore eu de réponses." Norah savait se montrer patiente. Et comme lui, comme Caelan, quand elle avait quelque chose en tête, elle allait jusqu'au bout, qu'importent les conséquences.

@Norah Lindley & Jasper Wickham ⊹ You can have a sound of the thousand voices calling your name. You can have the light of the world blind you, bath you in grace, but I don't see so easily what you hold in your hands, 'Cause castles crumble, kingdoms fall and turn into sand

Cette affaire avait heurté Jasper plus qu'il ne l'avouerait jamais à quiconque. Sa fierté entrait certes en ligne de compte, mais il y avait aussi tout le reste, comme sa volonté de ne pas voir ce qui s'imposait à lui ; il avait échoué, et s'était obstiné jusqu'à ce sacrifier et entraîner Caelan dans sa chute pour une cause perdue d'avance. Le Leckie était certes maître de ses décisions, et personne ne lui avait mis de pistolet sur la tempe pour qu'il accepte de fermer les yeux sur les résultats falsifiés que l'océanographe avait renvoyé à l'étude, mais si c'était à refaire il se serait débrouillé seul. Ne pas renier ses principes était bien différent du fait de faire justice seul et de façon inconsciente. "Donc tu ne me raconteras jamais toute l'histoire ?" Quand il l'aura digéré, qu'il aura intégré le fait d'avoir été trahi et relégué au rang d'illuminé par toute une communauté scientifique, peut être. Haussant doucement les épaules, Jasper avait fini par répondre : "Si, bien sûr. Je n'ai plus grand chose à cacher de toute façon." Et cela ne le soulageait même pas de l'admettre. Longtemps il avait voulu en parler, se confier. Si ce n'était à Quinn (et encore, parce qu'ils n'avaient pas eu le choix) le Wickham était demeuré parfaitement silencieux à ce sujet. Ni Gia ni Alex n'avaient été informés de son chemin de croix pour faire valoir la vérité ; et le pire dans tout ça était qu'il avait échoué. Norah lui en voulait, elle avait ses raisons. Mais si lui avait remarqué qu'elle semblait être sur une pente glissante, peut être que Caelan aussi. Jasper n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait bien se passer dans la tête de son ami -la sienne contenait déjà suffisamment de soucis à régler- mais il se laissait guider par son ressenti, et si celui ci l'avait amené à se pointer chez l'infirmière au beau milieu de la nuit, il l'avait aussi amené à constater qu'elle allait mal. "On en a déjà parlé de cette histoire d'inquiétudes, Jasper." En parler ne voulait certainement pas dire de mettre de côté ce qui lui sautait aux yeux, et si le brun avait été saisi par la voix sèche de Norah il n'en était pas moins destabilisé pour un sou. C'était un trop plein d'agacement qui répondrait -ses nerfs fusaient déjà- alors la mâchoire rendue carrée par la nervosité il encaissait. "Que tu me le racontes, ou que tu me le racontes, tu reste logé à la même enseigner, je te l'ai déjà dit la dernière fois." L'avoir dit ne signifiait pas vraiment qu'il l'intégrait mieux, mais soit. "Et je vais bien." Vraiment ? Qu'elle le précise ne changeait rien à l'état d'esprit dans lequel était plongé Jasper et qu'il gardait pour lui, ne se sentant pas vraiment légitime d'en parler à Norah avant. Aujourd'hui les barrières semblaient voler, alors c'était le moment ou jamais. Dans tous les cas, il saisissait l'opportunité sans lui laisser le temps de se présenter d'elle même en rétorquant que : "Tu en as parlé. C'est toi qui dit que tu vas bien alors que ça saute aux yeux que ce n'est pas le cas. Je ne sais pas ce qui t'arrives, je me retiens de ne pas insister en me disant que ce n'est pas à moi de venir te voir, que ce n'est pas à moi de m'inquiéter, et c'est vrai. Je suis censé ne pas le faire, mais c'est plus fort que moi et même si je travaille dessus tu peux pas me reprocher de m'en faire. Je pense pas en être au stade de te couver loin de là. Tout ce que j'ai voulu faire c'était ne pas te rajouter une charge de tracas supplémentaire sur le dos. Tu peux continuer à me loger à la même enseigne." D'ordinaire, Jasper conservait son calme en toutes circonstances. Il était vraiment très compliqué de le tirer de sa retenue permanente, mais avec Norah les choses étaient un peu plus compliquées, car s'il tachait de ne pas s'en faire il s'en faisait quand même et vivait mal le fait d'être systématiquement débouté. Il la laisserait toujours faire comme bon le lui semblerait, mais n'irait pas à l'encontre de ce qu'il ressentait en affirmant qu'il était d'accord avec ce qu'elle lui lançait alors que c'était tout l'inverse. Jamais il ne se contredirait ; que ça lui gâche la vie ou non. "Tu le comprends parce que tu voulais aussi te faire une virée au Costa Rica ? D'ailleurs, c'est toujours à l'ordre du jour ou pas ?" Caelan avait mis les voiles, et si Jasper le comprenait, il comprenait aussi que cela puisse avoir blessé sa jumelle. Cette façon de faire n'était pas à cautionner. Si lui était parti, il l'aurait dit à ses proches. Il aurait même été capable d'en parler à Gia tant il avait été habitué à lui parler de façon quasi quotidienne pour s'écorcher et divorcer dans les éclats ces derniers mois. "Non, ça ne l'est plus. J'ai encore quelques cartes à jouer histoire de sauver ma carrière. Partir maintenant ce serait me tirer une balle dans le pied." bien que ça lui ait traversé l'esprit de nombreuses fois. Finalement, la situation de Caelan n'était pas si différente de la sienne, et bien qu'il dépeigne le bourbier dans lequel le Leckie s'était empêtré comme peu malin, il était mal placé pour juger dans la mesure ou sa propre existence ressemblait à une vaste blague. "C'était déjà le foutoir où ? Ton divorce, ton boulot ?" C'était un tout, et d'avoir échoué dans sa vie alors qu'il aurait juré que le monde lui appartenait il y a encore quelques mois lui faisait un mal de chien. "Les deux. Ma vie était loin d'être parfaite mais ça reste compliqué de s'avouer avoir tout détruit." Bien que c'était le cas et qu'il faudrait tôt ou tard assumer. "Est-ce que ma présence dans ta vie a empiré la situation ?" Empiré n'était pas le bon terme, et d'un claquement de langue Jasper réprimait ces quelques mots. Il ne savait pas jusqu’où son honnêteté pouvait aller, il ne savait d'ailleurs pas s'il était honnête envers lui même. "Non. Je sais plus ou j'en suis." répondit il alors simplement, en toute transparence. Il se passait une main fatiguée sur le visage, l'impression de rendre cette discussion encore plus compliquée qu'elle ne l'était déjà qui ne la quittait pas d'un pouce. "J'ai rien à cacher. Juste un peu fatiguée, mais ça c'est un secret pour personne." Oui, bien sûr. Le brun n'en pensait pas un traitre mot, mais ne se risquerait pas à une nouvelle discussion sans fin. Il prenait toutefois la responsabilité de ses problèmes, arguant qu'il n'avait certainement jamais voulu mêler Norah à cela et qu'il aurait âgi différemment si dès le départ, leur relation était telle qu'elle l'était aujourd'hui. "Tu as toujours voulu être un justicier des mers. Et ça, je le sais depuis très longtemps."  L'infirmière lui avait répondu d'un ton plus calme, comme une accalmie au beau milieu de cette conversation qui prenait des allures de montagnes russes. Jasper en profiter pour s'apaiser un instant, croisant son regard sans avoir à s'imaginer que le ton pouvait revirer d'un moment à l'autre. "Il faut croire que c'est une vocation." qui ne lui réusissait pas, mais il n'aurait jamais été capable de vivre différemment. L'océan était son premier amour, son refuge, et jamais le Wickham n'aurait su se résoudre à se retourner contre ses récifs bien qu'il s'en veuille pour l'immensité du bazar auquel il avait contribué. "Je sais." Norah avait soufflé, se rapprochant d'un pas en précisant : "De toute façon, de tous les scénarios possibles de vie, tu l'aurais quand même fait. Je me trompe ? Qu'il y ait eu Caelan ou non, qu'on soit resté ensemble ou pas ou qu'on se soit jamais côtoyé, tu l'aurais quand même fait." sans que son ton ne trahisse un quelconque reproche. Il s'agissait plutôt d'un constat, d'une vérité que Jasper aurait été de mauvaise foi de nier. Il laissait quelques secondes avant de répondre, se risquant à replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. Cette proximité le lui permettait, et silencieusement il avait répondu d'un mouvement du menton. Oui, il l'aurait fait. "Qu'est-ce que tu as en tête ? J'ai l"impression qu'il y pas que le boulot, pas que le divorce." Décidément, entre ces deux là, tout était question d'interprétations. L'océanographe se demandait un bref instant s'il s'était aussi transparent qu'il se prétendait l'être avec Norah, et si lui même l'était envers lui. "Le boulot et le divorce, c'est déjà pas mal, non ?" Ce n'était pas très malin d'éluder de cette manière, d'entretenir un suspens qui n'en était pas un, mais Jasper ignorait ce qu'il avait en tête, ou plutôt en l'instant présent c'était à elle qu'il songeait. C'était souvent le cas ces derniers temps, mais il ne se risquerait plus à l'énoncer. "Et t'as toujours pas répondu à l'une de mes questions." La retenue dans laquelle se murait le brun était une barrière réconfortante, un cadre qui l'empêchait de se laisser atteindre par toutes les émotions qui menaçaient de lui faire perdre le contrôle. Il n'aurait jamais accepté se montrer sous un jour différent de celui qu'il arborait en permanence, bien qu'il ait l'impression d'être consumé par un feu ardent depuis des semaines, des mois entiers. "Seulement une ?" Il s'agissait sans doute d'un réflexe ; se soustraire aux inquiétudes des autres. Jasper réagissait de la même façon que le faisait Norah dans un sens, et la comprenait un peu mieux l'espace d'une seconde. "T'as pas à te sentir responsable des décisions qu'avaient prises Caelan, et encore moins des conséquences qui me tombent dessus s'il arrivait quoi que ce soit." Un demi sourire sans joie lui naissait au coin des lèvres ; il ne se déculpabiliserait pas si facilement. "Je suis pas responsable, mais j'aurais été à l'initiative de tout et tu ne pourras pas me le retirer du crâne." Cette réponse n'avait pas vocation à suciter de la pitié, ou un besoin de se dédouaner. Il s'agissait d'un fait, ni plus ni moins. "Tu vois, tu n'es pas allé au-delà de trois." Malgré tout, un peu de légèreté pointait dans cet échange, et les traits de Jasper se déridaient doucement. "Mais j'aimerais bien savoir ce que cette paire d'yeux bleus tentent de me crier, là." Lentement, il s'était penché pour déposer un baiser sur le sommet de son crâne, se perdant un instant dans le parfum que dégageait ses cheveux. Lui même ne le savait pas, ou peut être que si. Jasper avait activé le pilote automatique depuis si longtemps déjà qu'il comprenait à peine ce que ses émotions lui dictaient de voir. "A moins que tu ne préfères reprendre la course. Mais sache qu'à un moment, je te redirai la même chose et je te reposera les questions pour lesquelles je n'ai pas encore eu de réponses." Il comptait bien finir cette course, il comptait bien finir toutes les courses qui lui permettraient de se vider l'esprit, mais pour l'heure il n'était pas question de fuir puisque comme le soulignait Norah, cette discussion finirait par pointer à nouveau. "J'ai pas de réponses à tout. Mais si tu veux savoir à quoi je pense là maintenant, je dirais que je suis en train de maudire la terre entière de t'avoir replacé sur mon chemin alors même que ma vie est un gigantesque chaos." Il avait peur de transmettre sa noirceur, sa panique, sa rancoeur. Jasper tentait tant bien que mal d'intérioriser, mais n'était pas le plus à même de juger l'image qu'il pouvait renvoyer et les inquiétudes qu'il pouvait susciter. "J'ai toujours su ce que je voulais, et là ce n'est pas le cas du tout. Je crois que quelles que soient les circonstances j'aurais été heureux de te retrouver." Que son mariage n'ait pas volé en éclats, que Frank soit toujours en vie, qu'il ait gardé son boulot ... que le malheur ne se soit pas abattu sur eux, en somme. "Mais là c'est différent. J'ai jamais voulu te mettre sous cloche, ni prétendre que je pourrais comprendre tout ce par quoi tu es passée. Je suis très certainement égoïste et complètement paumé, mais assez lucide pour mettre de la distance. Enfin j'essaie." Si c'était nécessaire pour que ses inquiétudes soient réduites au silence, pour qu'il reprenne une place qui devrait être la sienne, alors il n'hésiterait pas.
       

WITH A MILLION LIES THE TRUTH WILL RISE to tear you apart

Ce n'était pas tant le fait qu'on ne veuille pas donner de détails à Norah sur ce qu'il s'était précisément passer pour voir les deux hommes perdre leur emploi qui la dérangeait. C'était la façon dont elle l'avait découvert, le temps qu'on avait pris pour bien vouloir en lui dire quelques mots. Il semblerait quoi, que ce soit plutôt difficile pour lui de se confier. Pas le fait qu'il doive bien en parler avec Norah, mais plutôt le fait qu'il ait besoin d'accepter les récents événements lui-même. Son égo, sa fierté en avaient pris un certain coup. Son esprit de compétition également. Il se voyait tomber de très haut et ne désirait certainement pas voir Norah en être le témoin. "Je suis sûre que tu restes un homme plein de secrets." souffla-t-elle avec un brin de légèreté. C'était lui qui disait qu'il ne pensait plus en avoir, mais il devait bien avoir des choses qu'ils n'osait pas ou ne voulait pas confier à qui que ce soit. Ils étaient là, bien enfouis, alors que ce n'était que les mêmes sujets de conversation qui revenaient à chaque fois, dont celui de l'inquiétude mutuelle qu'ils avaient sur l'un l'autre. La mauvaise mine de Norah devait vraiment être évidente et mettre ses insomnies en cause avaient été jusque là une excellente excuse. Jasper n'était pas le premier à constater une faille et ne serait certainement pas le dernier. Toujours est-il que le déni total de l'infirmière semblait le mettre hors de ses gonds, suffisamment pour qu'il perde son sang froid quasi légendaire face à elle. Face à cela, Norah fronçait les sourcils. "Qu'est-ce que tu veux que je te dise, hein ?" répliqua-t-elle. "Je pense qu'avec deux petits à charge et les heures supp' que je fais pour leur offrir ne serait-ce que la moitié des choses que j'ai envie de leur offrir, je pense avoir le droit d'avoir un coup de mou de temps en temps, tu penses pas ?" Norah était sèche, totalement rebutée. C'était certainement le plus triste à constater, de voir qu'elle refusait de faire face à tout ce qu'il y avait de sous-jacent. Pour elle, le problème s'arrêtait là, à la fatigue cumulée au fil des dernières années. Mais qu'on lui dise en face qu'il y avait autre chose lui commençait à faire réaliser qu'il y avait quelque chose d'irrésolu. C'était devenu une habitude pour Norah, de se lever le matin avec beaucoup de peine, ressentir chaque pas comme une épreuve à part entière. Une souffrance qu'elle mettait en sourdine parce qu'elle pensait qu'elle était juste fatiguée. "Et pour la charge de tracas, comme tu dis, un peu plus, un peu moins..." Norah n'était pas à ça. Elle aura beau s’époumoner en lui rappelant que ça ne la dérangeait pas, qu'elle préférait largement ça que d'être laisée sur le bas-côté, ses proches faisaient quand même bien comme ils le voulaient. Le poids de ses paroles semblait avoir moindre importance. Qu'il pouvait être têtu. "Et si tu penses franchement que c'est autre chose que de la fatigue, t'as qu'à me dire ce dont il s'agit parce que moi j'en n'ai pas la moindre idée." le provoqua-t-elle en le fusillant du regard. Il n'était pas psychologue à ce qu'elle sache. Mais, il la connaissait. Elle était bien loin, la Norah de l'université et elle avait toutes les raisons du monde de changer, mais si même Jasper avait noté que quelque chose avait foncièrement changé chez elle, c'était qu'il y avait effectivement quelque chose qu'elle couvait et qui n'était pas de bon présage. S'en rendre compte annoncerait sa propre chute, et elle serait particulièrement brutale. D'où le changement de sujets et la curiosité de savoir si Jasper comptait lui aussi prendre le large dès qu'il en aurait l'occasion. "Il y a moyen que tu retrouves ton boulot ?" demanda-t-elle avec un peu de surprise. La dernière qu'ils en avaient parlé, Jasper laissait comprendre qu'il avait annihilé la totalité de sa carrière. "Tu n'as pas tout détruit, si tu as des chances de sauver ta carrière." lui répondit-elle alors qu'il pensait avoir ruiné la totalité de sa vie, autant sentimentale que professionnelle. Il n'en restait pas moins perdu et chamboulé par les récents événements. Il ne savait plus où il en était et la présence de Norah dans sa vie ne semblait rien arranger non plus.  Elle le  regardait passer une main sur son visage et reprenait ensuite la parole. Elle se souvenait qu'il avait déjà la détermination de sauver les océans de la pollution dans globalité et ses convictions l'avaient mené là où il était. Contre toute attente, le brun se permettait de glisser d'une main délicate une mèche de cheveux de Norah dernière son oreille. Un geste affectueux que certains de ses proches aimaient faire de temps à autre. Cela était plus surprenant venant de lui cela dit, car ils étaient plutôt radins et hésitants en terme de gestes affectueux depuis qu'ils se parlaient à nouveau. Mais cela ne l'empêchait pas d'esquiver la question qu'elle venait de poser en se contentant de revenir sur des sujets qu'il avait déjà abordé. Il gardait bien caché ses autres tracas. Peut-être parce qu'ils ne voulaient pas la rendre bien plus inquiète qu'elle ne l'était déjà. Elle le regardait avec un air désobligeant, du style really, dude ?. Elle leva brièvement les yeux au ciel, décidée à abandonner d'insister puisqu'il évitait constamment le sujet pour on ne sait quelle raison. Et s'il n'éludait pas les questions posées, il choisissait précieusement ses mots et la tournure de ses phrases. Du politiquement correct, ou plutôt, il usait de tous les moyens possibles sûrement pour ne pas contrarier Norah davantage. Malheureusement pour lui, ça ne prenait pas. "Donc, tu te sens quand même responsable." Il était celui qui était au départ de cet effet domino, au final. Et Jasper avait trop d'empathie et accordait trop d'importance à ses proches pour ne pas assumer ses responsabilités, qu'importe les efforts que pouvaient fournir Norah pour lui alléger un peu la conscience. Contre toute attente, Jasper diminuait encore le peu de distance qu'il restait entre eux deux pour déposer délicatement ses lèvres sur son front. Il y restait, bien plus longtemps que le baiser qu'il faisait. Norah n'était absolument plus habituée à ce genre de signe d'affection. Elle frémissait encore qu'on voulait bien lui effleurer les doigts. C'était agréable, mais ça lui rappelait en parallèle que cela faisait plusieurs années qu'elle n'en avait plus droit. Et à chaque nouveau geste, ce vide se creusait de plus en plus sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit. Alors elle restait immobile, incapable de réagir de quelque façon que ce soit. Elle recroisait son regard, tout aussi perdu que le sien. "Tu aurais voulu qu'on se revoit quand, si tu en avais le choix ?" C'était une question rhétorique car elle disposait déjà de plusieurs éléments. "Si ça avait été dans les trois dernières années, ça aurait été à peu de choses près la même chose. Si ça avait été avant ça... On aurait eu ce genre de double date assez bizarre. Tu étais maquée, j'étais maquée. Notre relation aurait été dernière mais reconnais que ça aurait fait vraiment bizarre." Frank ne se sentirait pas menacé pour un sou par l'ex de sa femme car les Lindley étaient profondément amoureux l'un de l'autre. Mais il fallait reconnaître que la situation aurait été assez singulière et inconfortable. "Et après que je nous ai fait rompre, je doute que ça soit judicieux qu'on se revoit quelques temps après." Elle haussait les épaules. "Il n'y avait pas vraiment de bon moment pour qu'on se revoit Jasper." Norah ne croyait pas trop à la destinée, ce genre de choses. La vie était celle qu'elle était. Certains vivaient un siècle, d'autres partaient bien trop jeunes. C'était injuste mais il fallait faire avec. Elle était triste qu'on lui ait arraché Frank, mais elle n'allait pas non plus en vouloir au monde entier. Son frère aîné vivait cette injustice là bien plus mal qu'elle et exigeait que l'on mette la main sur cet assassin toujours en cavale. "Paumé, tu dois sûrement l'être, égoïste, par contre, je suis pas tout à fait d'accord, à moins que ces dernières années t'aient totalement changé." souffla-t-elle.  "Je suppose que ça doit être inné, de vouloir mettre quelqu'un comme moi sous cloche, comme tu dis. Imagine le tableau. La veuve d'un policier assassiné durant l'exercice de ses fonctions, avec deux enfants en bas âge à charge. Et après ça, c'est mort. T'es étiqueté comme tel ad vitam aeternam." Il n'y en avait qu'une poignet qui la voyait comme Norah, et pas seulement la veuve du flic mort. Anwar, Alfie... Elle leur en était reconnaissante. Mais beaucoup de ses collègues au boulot ne la résumait plus qu'à cela. Au début elle n'en avait rien à cirer, mais avec le temps, ça commençait à lui peser, un peu. "Comment je suis supposée à avancer si tout le monde reste coincé sur cette idée là ? Oui, il y aura des fois où j'aurai besoin d'en parler, et non, j'utilise pas ça comme un excuse universelle." Seulement tenter de l'écarter du quotidien n'était pas ce qu'il y avait de plus judicieux à ses yeux. Elle savait que la vie continuait, elle le voyait bien. Elle le voyait d'autant mieux car elle, elle restait figée et que les autres semblaient courir, vers de bonnes et ou de mauvaises directions. "Je veux juste avancer. Ou en avoir l'impression, du moins." Même si ce n'était que d'un pas.

@Norah Lindley & Jasper Wickham ⊹ You can have a sound of the thousand voices calling your name. You can have the light of the world blind you, bath you in grace, but I don't see so easily what you hold in your hands, 'Cause castles crumble, kingdoms fall and turn into sand

Jasper avait toujours été un homme plutôt avare en paroles. Il gardait bien des choses pour lui, se contentant d'arrondir les angles un maximum afin de ne pas -jamais- placer un mot qu'il pourrait regretter. La perte de son emploi couplée à son divorce avait été l'une des choses les plus difficiles à encaisser pour lui, et si le brun n'avait jamais été du genre à baisser les bras, cette défaite l'avait tout de même bien refroidi. Suffisamment pour qu'il n'en parle que très peu. "Je suis sûre que tu restes un homme plein de secrets." avait soufflé Norah, et lui esquissait l'ombre d'un sourire en retour ; plus par réflexe qu'autre chose. Il l'était et le resterait probablement toujours. Gia avait été la seule à creuser (un peu) sa carapace, mais même en dix ans de mariage la petite blonde n'avait pas cerné toutes les nuances de son mari. Norah non plus ne se laissait pas décrypter si facilement, et si Jasper avait manifesté de maintes et maintes fois la crainte de sentir la brune sur une phase descendante ces derniers temps, il se retenait bien de se risquer à en parler davantage. Elle le déboutait chaque fois, et lui ne s'estimait pas être le plus légitime à imposer ses impressions comme si elles étaient des vérités ; après tout ils ne s'étaient plus vus depuis un moment. L'infirmière disait peut être vrai bien qu'il ne réussisse pas à s'en persuader. "Qu'est-ce que tu veux que je te dise, hein ?" Les sourcils froncés après un énième déballage de ses inquiétudes, Norah poursuivait sur le même ton qu'il avait pu emprunter, et l'idée qu'ils tournaient en rond s'imposait à lui, tristement. "Je pense qu'avec deux petits à charge et les heures supp' que je fais pour leur offrir ne serait-ce que la moitié des choses que j'ai envie de leur offrir, je pense avoir le droit d'avoir un coup de mou de temps en temps, tu penses pas ?" Oui, mais à défaut d'être devin où mentaliste, Jasper était persuadé qu'il y avait plus. Visiblement il était seul. "Et pour la charge de tracas, comme tu dis, un peu plus, un peu moins..." Certes, mais il aurait aimé contrôler ce qui était contrôlable. Sa logique était peut être discutable, mais Jasper était sincère lorsqu'il disait avoir voulu épargner Norah. Elle n'aurait jamais du pâtir de ses conneries. "Et si tu penses franchement que c'est autre chose que de la fatigue, t'as qu'à me dire ce dont il s'agit parce que moi j'en n'ai pas la moindre idée." Il encaissait bien, et se moquait éperdument qu'elle puisse le fusiller du regard tant qu'il était droit dans ses bottes et qu'il exprimait sa vérité. Pour un homme qui venait de perdre son travail pour avoir falsifié des résultats, c'était peut être un peu se moquer du monde que d'affirmer être honnête, mais pourtant à ses yeux il l'était. C'était un défaut comme une qualité. "Je me risquerais pas à ça, c'est pas mon rôle et j'ai pas la prétention de m'imposer parce que je n'ai pas mon mot à dire. Mais au moins tu sais ce que j'en pense. Pour moi c'est plus qu'un coup de mou, je le sens pas." Parce qu'ils tournaient en rond, que Norah ne voyait pas ce qu'il essayait de dire et que lui ne pouvait pas se targuer de suffisamment la connaître pour se porter en opposition. C'était une lutte perdue d'avance et il n'avait pas envie d'y perdre des plumes. Il aspirait à une vie meilleure, à se rafistoler avant de rafistoler ceux qui comptaient pour lui, bien que ce soit dans sa nature. "Il y a moyen que tu retrouves ton boulot ?" Norah semblait un peu surprise, et il y avait sans doute matière à l'être. "Tu n'as pas tout détruit, si tu as des chances de sauver ta carrière." Pas tout, peut être. En vérité il n'en savait rien. Ce qui était sûr, c'est que c'était la fin d'une époque, celle où il entrait dans le moule d'une vie politiquement correcte. L'universitaire aux loisirs bobo menant une vie rangée dans une maison de banlieue lui manquait parfois, mais à défaut d'avoir sauvé les apparences, Jasper s'était montré honnête avec lui même. Le prix de cette épreuve avait été conséquent mais il pouvait toujours se regarder dans une glace. "J'ai repris un poste d'océanographe. Pour une ONG. C'est tout récent, mais j'espère aussi pouvoir ... rétablir la vérité et retrouver mon statut d'enseignant. J'aurais jamais cru dire ça un jour mais mes étudiants me manquent." Aussi bien les première années qui se retrouvaient dans ses amphithéâtres un peu par hasard que ses masters qui n'hésitaient pas à le déranger à des heures frôlant l'indécence. Jasper commençait doucement à se retrouver d'un point de vue professionnel, et quelque part heureusement qu'il avait cet ancrage puisque sa vie personnelle était un bazar sans nom. Il était paumé, autant qu'il était possible de l'être, et ne se risquerait pas à avouer qu'il perdait pieds plus qu'il ne le faisait déjà. Il avait de nombreux défauts, et parmi eux une fierté qu'il avait bien du mal à contenir. Être percé à jour n'avait rien de plaisant. Le brun était prêt à subir les regards désobligeants de l'infirmière si cela pouvait le soustraire à une discussion qu'il éludait volontairement. Il ne faisait même pas cela pour lui renvoyer l'impression que lui même avait, en miroir. Jasper n'était pas ce genre d'hommes, et là c'était simplement son ego qui entrait en compte. "Donc, tu te sens quand même responsable." Dans un sens oui. Il n'avait pas pour prétention de porter tous les malheurs du monde sur ses épaules, mais lors de situations aussi dramatiques où deux carrières avaient été brisées ... oui. "Je peux pas vraiment dire le contraire." avouait-il dans un demi sourire crispé, presque amer. L'océanographe n'était pas bien compliqué à cerner ; il avait simplement des codes, et une sorte de loyauté qui défiait les années. Sa relation avec Norah avait beau avoir évolué depuis l'université, elle n'en demeurait pas moins quelqu'un qui comptait énormément à ses yeux, et qui ces dernières semaines avait pris une place particulière à ses yeux sans qu'il ne sache encore trop quelle importance lui conférer. Après avoir déposé un baiser sur sa chevelure dans un geste d'affection qu'il n'accordait que rarement (il n'avait jamais été la personne la plus tactile qui soit) Jasper avait croisé le regard de la brune, et s'il décelait une certaine incompréhension il tachait de ne pas la relever verbalement. "Tu aurais voulu qu'on se revoit quand, si tu en avais le choix ?" Bonne question. Aucune période n'aurait été meilleure qu'une autre au final. "Si ça avait été dans les trois dernières années, ça aurait été à peu de choses près la même chose. Si ça avait été avant ça... On aurait eu ce genre de double date assez bizarre. Tu étais maquée, j'étais maquée. Notre relation aurait été dernière mais reconnais que ça aurait fait vraiment bizarre." Oui très clairement, et il approuvait d'ailleurs d'un hochement de tête. "Et après que je nous ai fait rompre, je doute que ça soit judicieux qu'on se revoit quelques temps après." Lui même avait rencontré Gia et en avait été parfaitement heureux. Le Wickham n'avait plus pensé à son ex depuis que Caelan lui avait annoncé qu'elle avait perdu Frank. Il avait voulu lui amener son soutien, et l'aurait fait quelle que soit sa situation, tout simplement car les choses entre eux ne s'étaient pas mal terminées. La vie avait suivi son cours et l'un et l'autre avaient trouvé leurs moitiés respectives. "Il n'y avait pas vraiment de bon moment pour qu'on se revoit Jasper." Pas exactement, mais s'il avait pu éviter de la retrouver au beau milieu de tout ce désastre environnant il aurait préféré. "On a pris deux chemins complètement différents, et je ne prends pas trop de risques en affirmant que nos vies nous correspondaient totalement." Il avait divorcé, certes, mais cela n'enlevait rien au fait que Gia et lui avaient eu un quotidien qui lui convenait (et lui aurait encore convenu aujourd'hui) pendant plus de dix ans. "Mais tu restes quelqu'un qui a compté, et comme on ne s'est pas séparés en se hurlant dessus ... je suppose que dans un sens j'ai envie que tu ailles bien." C'était son mode de fonctionnement. Il laissait peu de monde entrer dans sa vie, dans ses considérations, tout simplement car il était du genre à entretenir ses liens et à ne pas les prendre à la légère. Il était de nature empathique, c'était un fait qui ne changerait certainement jamais bien que sa charge émotionnelle soit mise à rude épreuve ces dernières semaines. "Paumé, tu dois sûrement l'être, égoïste, par contre, je suis pas tout à fait d'accord, à moins que ces dernières années t'aient totalement changé. Je suppose que ça doit être inné, de vouloir mettre quelqu'un comme moi sous cloche, comme tu dis. Imagine le tableau. La veuve d'un policier assassiné durant l'exercice de ses fonctions, avec deux enfants en bas âge à charge. Et après ça, c'est mort. T'es étiqueté comme tel ad vitam aeternam." Le brun pinçait les lèvres, peu (voire pas) enclin à imaginer que quiconque puisse mettre Norah dans une case. Elle était plus que ça. N'importe qui aurait été plus qu'un deuil, mais surtout elle. "En ce qui me concerne ce n'est pas ce que je cherche à faire." la rassurait-il, d'un ton assuré. C'était sans doute la seule affirmation qu'il pouvait poser sans le moindre petit doute. Il aurait certes aimé pouvoir la décharger, mais jamais de cette manière. "Tu as traversé une épreuve à laquelle personne ne devrait se confronter mais tu restes une personne entière et non une sorte de chose fragile. Si ça peut te rassurer." Le terme n'était pas exact car la brune devait bien se douter qu'elle était à des kilomètres de cela, mais elle tirait sur la corde et devait se trouver dans un tourbillon de sentiments contradictoires qu'il osait à peine imaginer. "Comment je suis supposée à avancer si tout le monde reste coincé sur cette idée là ? Oui, il y aura des fois où j'aurai besoin d'en parler, et non, j'utilise pas ça comme un excuse universelle." Jasper se demandait si quelqu'un pouvait encore limiter Norah à sa peine, si quelqu'un lui faisait l'affront de prendre des pincettes avec elle et prendre le risque de la faire se sentir différente. Elle était une femme blessée, mais une femme avant tout. Ce n'était pas l'aider à aller de l'avant que de poser sur elle un regard biaisé. "Je veux juste avancer. Ou en avoir l'impression, du moins." C'était légitime, et certainement nécessaire. Jasper n'avait pas la moindre idée de comment pouvait se sentir l'infirmière, car dans les faits s'il pouvait s'imaginer être à sa place, ce type de deuil dépassait de très loin ce qui était envisageable et jamais il n'aurait l'indécence de lui poser une main sur l'épaule en balançant une banalité. "Tu pourras jamais changer le regard des gens s'ils se persuadent d'une chose qu'ils ne comprennent pas. Ceux qui te connaissent vraiment devraient être les seuls à qui tu accordes de l'attention ... et si tu as besoin d'aide pour avancer, pour parler, c'est vers eux que tu peux puiser de la force. Te limite pas aux étiquettes, tu es cent fois plus que ça. Tes enfants ne seraient jamais aussi épanouis si tu t'étais limitée au cliché de la veuve détruite." C'étaient eux les plus importants, et à la façon dont Julie et Aidan réussissaient à poursuivre une vie équilibrée, Norah n'avait pas à subir ce genre de prévenance malsaine qu'elle dépeignait. "On peut essayer de prendre le problème à l'envers. Ce serait quoi pour toi, avancer ?" Peut être qu'ils réfléchissaient différemment, sûrement même, mais à défaut de se sentir véritablement utile, Jasper pouvait essayer de comprendre.
       

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Du temps de leurs études, Jasper et Norah formaient un couple assez posé. Il fallait dompter le caractère de la brune et lui avait cette capacité à l'écouter, parfois la canaliser ou à lui répondre quand il le fallait. Une force tranquille avec une autre faisait plutôt bon ménage, sauf quand leur sentiment de compétition respectif revenait à la charge. Mais ce n'était que de bonne guerre. Elle avait souvenir de leurs après-midis libres passés à la plage, parce que Jasper se sentait toujours mieux quand il n'était pas loin de l'eau, vivant leur couple de façon parfois un peu niaise, parfois un peu plus passionnée. Dieu seul savait comment ça aurait pu finir si Frank n'était pas réapparu. Difficile pour Norah de l'envisager dans la mesure où elle désirait avoir des enfants. Mais jamais elle ne lui aurait fait un coup aussi bas que celui fait par l'ex-femme de l'océanographe. Toujours est-il que Jasper semblait encore accorder beaucoup d'importance à l'affection qu'il portait à la belle brune, ne cherchant même plus à dissimuler l'inquiétude ressenti à son égard. Il la voyait dépérir sans qu'il ne puisse faire quoi que ce soit. Elle voyait bien qu'il n'était pas convaincu par la réponse qu'elle lui donnait. Ce qui le confirmait, c'était les paroles qu'il lui lançait ensuite. Quand il racontait qu'il ne voulait pas trop se mouiller en lançant des suppositions sur l'état de la brune. "Dis-le moi, Jasper." lui  lança-t-elle en plongeant son regard dans le sien. "Il y a rien ni personne qui t'empêche de partager ton opinion et je suis bien curieuse de l'entendre." Norah était une grande partisane que les avis extérieurs ne pouvaient qu'être utiles. Quand on a la tête dans le guidon, on n'arrivait plus à prendre de recul, de se rendre compte de certaines évidences qui semblait être invisible jusque là. "Franchement, on n'est plus à ça près en terme d'avis partagés. Et je suis bien curieuse de savoir ce que tu en penses." dit-elle d'un ton qui pourrait presque paraître comme de la provocation (mais qui n'en était pas vraiment). Si ce n'était pas son rôle, d'en parler, alors c'était le rôle à qui ? Caelan ? Dommage, il était on ne savait où et il n'était pas vraiment en mesure de pointer du doigt ce qui n'allait pas. Anwar aussi, avait remarqué quelque chose, mais il ne s'avançait pas trop sur le sujet. Il s'agissait d'un sujet épineux, mais ils en avaient déjà aborder d'autres sans avoir trop de casse. En attendant, Jasper révélait qu'il avait apparemment une opportunité pour récupérer le poste qu'il chérissait tant. Le visage de Norah se radoucit alors. "C'est génial, ça, Jasper." lui dit-elle avec un sourire qui lui demandait beaucoup d'effort, mais qui n'était pas moins sincère. Elle posa brièvement une main délicate sur sa joue avant de la retirer aussitôt. Elle était heureuse pour lui, vraiment. "Toujours des envies de justicier, malgré tout." ajoutait-elle avec un sourire taquin. Au fond, elle n'était pas surprise. On pourrait croire que l'expérience qu'il venait de vivre aurait servi de leçons qu'il ne se risquerait plus à ce genre d'ouvrage. Donc, Jasper faisait partie de ceux qui ne toléraient pas les injustices. "Un justicier pédagogue, qui plus est." Norah espérait pour lui que ses projets réussissent et qu'il parvienne à regagner sa place et sa crédibilité aux yeux de ses confrères. S'il en avait la détermination, il était capable de tout. Il allait de l'avant, mais cela ne l'empêchait pas se sentir responsable de toutes les conséquences de ses actes, de ces dommages collatéraux auxquels il n'avait jamais songé. Norah avait parfois l'impression qu'il vivait avec le poids du monde sur ses épaules. Il était un peu trop empathique pour le coup. Norah était la première à savoir que c'était un chemin dangereux, surtout dans sa pratique. C'était tout aussi attendrissant qu'inquiétant. Ils s'enfermaient quelques secondes dans un monde qui n'était fait que de suppositions. Tous ces et si qui  auraient changé la phase du monde si ça s'était vraiment passé comme ça. Norah avait exprimé sa vision des choses et désirait plus que tout entendre les pensées de son ex à ce sujet. "Tu crois que nos vies ne nous auraient pas correspondu si on était resté ensemble ?" lui demanda-t-elle alors. Elle n'accusait personne, elle se questionnait juste. "Si on met à part le sujet des enfants." Car c'était là où ça aurait beaucoup buté entre les deux. Est-ce que Norah aurait fini par réussir à le convaincre ? Il ne cachait plus l'affection qu'il ressentait toujours pour elle et Norah se surprit à être particulièrement touchée par ses propos. Ca se voyait sûrement dans ses iris bleus, au-delà de son regard mi-absent, mi-perdu. Elle ne le montrait pas autrement. Elle aurait voulu se blottir une fraction de secondes dans ses bras mais ses jambes semblaient être enracinés dans la terre plate du sentier. A moins qu'elle ne voulait être dans ceux d'Alfie ? Ou ceux de Frank ? Elle ne savait plus. Elle était perdue. Norah pouvait être aisément identifiée comme étant un robot, ayant pour seule priorité le bien-être de ses enfants. On ne savait plus d'où elle tirait cette énergie, étant donné qu'elle ne dormait plus et qu'elle s'alimentait à peine. Pourtant la machinerie semblait toujours fonctionner. Jasper tenait à préciser qu'il ne la voyait pas comme la veuve dont il fallait avoir pitié. Leur passif devait aidé, mais il voulait qu'il sache qu'il la voyait comme une personne à part entière. Et que même si Norah n'était absolument plus celle qu'il avait connu quelques années plutôt, il la voyait toujours comme telle. "C'est pas faute de les ignorer, ces regards-là. Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, tant qu'ils le gardent pour eux et se comportent normalement. C'est pas la mer à boire, non plus." L'infirmière ne se rendait peut-être pas compte que c'était sa dégradation désormais évidente qui rendaient peut-être les gens aussi soucieux. Seulement, ils l'exprimaient très mal. Car la pitié n'aidait en rien. Même si Jasper n'était pas père, il semblait avoir compris toute la dynamique qu'il pouvait y avoir entre un parent et ses enfants, et était des plus compréhensifs face à la quasi dévotion que Norah vouait à ses rejetons. Ils étaient tout ce qu'elle avait et les aimait plus que tout au monde. Et là Jasper posait la question à mille balles. Les yeux un peu plus ouverts qu'à l'accoutumée, elle fit comme un véritable blocage, incapable de trouver une réponse descente et construite. Le problème était là. Jamais, depuis plus de trois ans, Norah ne s'était projetée. En tant que femme, que soignante. En tant que mère, si. Tout ce qui dépendait de ses enfants étaient au point. Le reste, en revanche, c'était le néant total. Norah restait immobile, muette, comme paralysée par cette question pourtant si simple. "Je..." Son regard devenait fuyant. Elle aussi, elle reprendrait bien la course à ce moment précis. "Je sais ce que je veux pour que mes enfants avancent. C'est pas pour rien que la pension de veuvage va sur un compte pour pouvoir leur payer leurs études et tout ce qui en découle quand ils seront grands." Est-ce que ça répondait à la question ? Absolument pas. Pour le coup, Norah la détournait inconsciemment. "C'est le plus important. Le reste..." Elle secouait négativement la tête, le regard dans le vague. "Ca n'a pas d'importance." dit-elle dans un souffle. Il s'agissait surtout d'une pensée dite à haute voix. La belle brune passait une main nerveuse sur sa nuque. Cette question la rendait nerveuse. Elle avait l'impression de passer à côté de sa vie et c'était en même temps le cadet de ses soucis. "Je... Je sais pas." conclut-elle d'une voix minimisée par une gorge serrée, totalement bouleversée. "Est-ce qu'on peut reprendre ?" dit-elle en faisant un geste vif de la main afin de ne pas laisser une toute petite larme tentant de s'échapper de sa paupière, faisant volte-face à Jasper pour commencer à marcher, dans l'espoir qu'il ne l'ait pas remarqué.

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Jasper ne savait plus bien si rester sincère lui était bénéfique, ou s'il valait mieux adoucir sa vérité. A ses yeux il avait toujours mieux valu se montrer le plus honnête possible, mais certains avis n'étaient peut être pas à formuler. Norah lui semblait aller mal, c'était indéniable, mais à quel point était il légitime pour le lui dire ? A quel point lui accordait-elle de l'importance pour considérer son avis ? C'était bien elle qui lançait pourtant : "Dis-le moi, Jasper." en plongeant son regard dans le sien. Regard qu'il n'avait pas du mal à soutenir ; il assumait toujours. "Il y a rien ni personne qui t'empêche de partager ton opinion et je suis bien curieuse de l'entendre." Ça, il en doutait, et comme il l'avait annoncé un peu plus tôt il n'avait pas envie de se mouiller dans une affaire qui ne semblait pas le concerner alors même qu'il n'arrivait pas à se résoudre à demeurer en arrière plan. "Franchement, on n'est plus à ça près en terme d'avis partagés. Et je suis bien curieuse de savoir ce que tu en penses." Il l'avait agacée c'était un fait, et plutôt que de penser que de l'avoir piquée à vif était une bonne chose (au moins il récoltait autre chose qu'un "tout va bien je te promets") Jasper demeurait sur la défensive en concédant, presque les lèvres pincées, "T'as pas l'air de vivre pour toi. C'est comme si tu t'étais mise en pause. Tu fais des heures supplémentaires pour Aidan et Julie, pour qu'ils ne manquent de rien, et ça peut se comprendre, mais je te connais Norah, ou du moins, je te connaissais, et j'ai pas la prétention d'avoir un troisième oeil mais tu sembles t'accrocher pour tes enfants, pour ta famille, mais pas pour toi." car c'était ça, le fond de sa pensée, et que son avis ne changerait pas de si tôt. Jasper n'avait jamais gardé sa langue dans sa poche, et si ce trait de caractère le desservait parfois, il y avait d'autres moments ou cela pouvait se montrer utile. Il était un passionné qui avait perdu son boulot en voulant protéger cette côte qu'il aimait depuis toujours, et qui en trouvait un autre pour ces mêmes raisons. L'ONG dans laquelle il avait trouvé refuge lui permettait d'exercer en attendant de retrouver son poste à l'université. Il ne perdait pas espoir, et cette information semblait radoucir l'infirmière. "C'est génial, ça, Jasper." Un sourire lui ornait le coin des lèvres, puis sa main venait se poser contre sa joue l'espace d'une seconde à peine. Il avait fermé les paupières un instant, opinant du chef, comme soulagé dela voir constater qu'il faisait un pas devant l'autre et dans la bonne direction malgré le : "Toujours des envies de justicier, malgré tout." qu'elle ajoutait d'un air taquin. "Un justicier pédagogue, qui plus est." Oh, ça, rien n'était moins sûr. Jasper espérait pouvoir redorer son image auprès de l'université et récupérer son crédit scientifique ; ce qu'il avait fait était une belle connerie, mais même s'il ne l'avouerait pas, il estimait ne pas avoir à voir sa carrière détruite pour une cause qui lui tenait à coeur. Il se battrait jusqu'au bout et ne s'en tiendrait pas à cette première défaite. "Il y a des choses qui ne changeront jamais." et à ce sujet, jamais était une vérité des plus vraies. Dans le fond -du moins, jusqu'il y a encore quelques semaines- le brun n'avait pas véritablement évolué depuis l'époque de l'université. Il était passé du statut d'élève à celui d'enseignant, avait toujours les mêmes passe-temps, côtoyait toujours les mêmes personnes ... si l'implosion de son mariage n'était pas venue le confronter au monde extérieur il aurait très certainement pu rester dans cette boucle indéfiniment, oscillant entre le sport, l'océan, et les voyages à travers le monde. C'était Gia qui était venue le ramener sur terre en désirant faire évoluer leur relation, mais en avait-il seulement envie ? Sur le moment il avait renié l'idée en bloc, parce qu'elle la lui avait imposée. Sa vie aurait pu être différente si seulement il avait réussi à l'envisager sous un angle différent, mais pour l'heure tout n'était que suppositions. "Tu crois que nos vies ne nous auraient pas correspondu si on était resté ensemble ?" lui demandait Norah, mettant le doigt sur une chose qui aurait certainement posée problème à l'époque. "Si on met à part le sujet des enfants." Il hausse doucement les épaules en retour, prenant quelques secondes pour répondre que : "Je pense que quand on aime vraiment quelqu'un on finit par trouver un équilibre. C'était le cas à l'époque." Même si après tout il ne pouvait pas en être sûr. Si lui était du genre à demeurer constant, ce n'était peut être pas le cas de Norah à qui il retournait la question d'un : "Et toi ?" , curieux d'entendre son point de vue bien que la brune semblait perdue, comme en pleine tempête alors que le monde extérieur l'excluait avec une prévenance à outrance. Elle était bien plus qu'une simple femme qui venait de perdre son mari ; elle était une femme avant tout, et qu'importe le lien qui ait pu les unir, personne ne méritait de se voir uniquement limité à son deuil. "C'est pas faute de les ignorer, ces regards-là. Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, tant qu'ils le gardent pour eux et se comportent normalement. C'est pas la mer à boire, non plus." Non ça ne l'était pas, et cette remarque lui aurait peut être arraché un demi sourire si le désespoir n'était pas aussi présent. Au moins Aidan et Julie avaient toute l'attention de Norah pour ne pas pâtir de ces idiots, mais s'ils étaient sa priorité, Jasper demandait -à juste titre- ce qu'il en était d'elle, et ce qu'elle voulait pour avancer elle. Sans trop qu'il ne s'y attende, Norah avait mis de longues secondes avant de répondre, ses grands yeux semblant s'écarquiller toujours un peu plus. Le "Je..." qu'elle énonçait semblait équivoque ; elle n'en avait pas la moindre idée, il déduisait. "Je sais ce que je veux pour que mes enfants avancent. C'est pas pour rien que la pension de veuvage va sur un compte pour pouvoir leur payer leurs études et tout ce qui en découle quand ils seront grands." Oui, mais cela concernait ses deux têtes blondes. Jasper penchait la tête sur le côté, les lèvres pincées dans un geste qui traduisait son incompréhension. "C'est le plus important. Le reste..." Le reste était important aussi, bien que l'infirmière lui précise le contraire avant même qu'il ne puisse rétorquer quoi que ce soit. "Ça n'a pas d'importance." Ses mots n'étaient plus qu'un souffle, et Jasper n'eut pas besoin de réfléchir trop longtemps pour sentir que son intuition le guidait peut être vers la vérité, et que Norah n'avait pas la moindre idée (envie ?) de comment gérer sa vie maintenant que Frank était parti. Il ne la confrontait toujours pas, et ne retirait aucune satisfaction à cela. Plutôt que de sauter sur l'occasion pour tenter de comprendre davantage il l'observait se passer une main sur la nuque, comme en proie à la nervosité. Après un instant Norah finissait par poursuivre : "Je... Je sais pas." d'un ton qui ne lui reconnaissait pas, et puis finalement elle concluait : "Est-ce qu'on peut reprendre ?" joignant le geste à la parole en se soustrayant à cet échange duquel elle devait avoir fini par se sentir prisonnière. "Attends deux minutes, ensuite on reprend si tu le veux toujours." soufflait il en déposant délicatement sa main sur son coude afin de venir se poster face à elle. Il ne désirait pas poursuivre dans cette voie, simplement clore le sujet d'une façon plus concluante. "Je t'obligerai jamais à me répondre. Je sais même pas quelle légitimité j'ai dans ta vie pour m'imposer comme je le fais, mais si tu veux que je parle sans filtres alors je le ferais, et tu connais déjà tout mon ressenti à ce sujet." Il ne reviendrait pas là dessus, ce n'était pas le moment. "Mais tu peux pas me dire de ne pas m'en faire ou que ce n'est pas important si tu ne sais même pas toi même comment tu comptes procéder pour mettre un pas devant l'autre. Tu assures pour Julie et Aidan, tu cumules les heures supp. Tu n'as peut être pas le temps pour toi, mais ça ne t'oblige pas à ne pas avoir de projets, d'envies. Peut être que c'est moi, peut être que tu me diras rien ou ... je sais pas, on s'est pas parlés pendant quinze ans, je suis pas la première personne à qui tu te sens d'évoquer tout ça, et dans ces cas là dis le moi je te laisserais tranquille. Mais tu peux pas prendre la fuite. Je pense quand même te connaître, malgré toutes ces années et même si on a changé tous les deux, mais .... merde, Norah." soufflait-il, se passant une main fatiguée sur le visage avant de reprendre sur le même ton : "Je sais plus quoi dire ou quoi faire, je sais plus si tu me tiens à l'écart ou si je vois juste et que tu te mens à toi même. Je sais plus si tu me connais autant que j'ai l'impression de te connaître encore, et j'ai jamais demandé à ce que ce soit le cas. Juste, je sais plus sur quel pied danser, ni quoi penser, encore moins quoi dire." En somme il était paumé, et pour lui qui détestait être dans le flou le plus total, cette situation était difficilement gérable au delà de l'inquiéter plus qu'il ne l'avouerait jamais. "Quelque part j'ai l'impression que ce que je dis n'a pas de poids, et je suis ok avec ça. Je veux juste savoir. J'ai jamais aimé rester dans ce genre de situation." et bien que l'envie de poursuivre cette course le démangeait à son tour Jasper ne se résignait pas à bouger. C'était lui qui avait demandé des réponses, après tout.

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La modestie de Norah rendait illusoire les efforts gargantuesques qu'elle fournissait pour rendre les quotidien de ses enfants le plus normal possible. Et elle s'était bercée là-dedans, pendant toutes ces années, à n'en plus se rendre compte de la quantité d'énergie qu'elle utilisait. C'était éreintant, usant, mais cela faisait jusqu'alors partie d'une normalité dont elle s'était rapidement accoutumée car cela empêchait à son inconscient de faire face à ce qu'il y avait de plus dure; d'accepter la perte d'un proche. Ce mécanisme infernal et bien huilé avait fonctionné pendant longtemps mais il semblerait que les engrenages venaient à rouiller. Qu'un petit grain de sable était venu perturber ce déni de masse et qui révélait au grand jour une jeune femme à bout de souffle. Et même Jasper, qu'elle n'avait que très peu côtoyé pendant plusieurs années, qu'elle n'avait retrouvé que récemment, l'avait remarqué. Alors qu'il savait que le temps et les événements pouvaient changer une personne, mais il avait repéré là, comme beaucoup d'autres de ses proches, des signes de gravité qui lui donnaient tous les droits de s'inquiéter pour elle. Il savait que la brune préférait que l'on soit franc et honnête avec elle. Et ce n'était vraiment pas facile, d'entendre ce genre de discours. D'entendre un ami, une personne qui la connaissait bien, lui dire qu'elle n'allait pas bien et que ça ne relevait pas du simple coup de mou qui allait passer le lendemain. Non, la blessure était plus enfouie, plus profonde. "Ils sont tout ce qu'il me reste de lui." lui souffla-t-elle en levant les yeux vers lui. Un regard vide, mais triste. "Je pense pas qu'il y ait encore grand chose à tirer de moi." Elle voulait ironisait, par ce petit rire qui s'était échappé à la fin de sa phrase. Mais au fond, peut-être le pensait-elle vraiment. L'infirmière en avait discuter avec Anwar. Que Julie était déjà venue la voir quelques mois plutôt en venant assurer à sa mère qu'elle avait "le droit d'avoir un nouveau chéri". Un choc pour Norah que sa propre fille vienne d'elle-même aborder ce sujet (mais rien de surprenant en soi car Julie a définitivement hérité d'une franchise venant de ses deux parents). Mais à ce moment-là, elle avait l'impression de faire une infédilité à son feu mari rien qu'en envisageant de passer à autre chose de ce côté-là. Quoi qu'à l'heure actuelle, ce n'était pas trop dans ses projets. Et Jasper avait raison sur ce point : elle ne s'était prévue aucun projet. Du moins, rien de personnel, qui lui soit propre. A côté, le brun avait déjà réussi à rebondir, à trouver où se harponner pour relancer sa carrière professionnelle et Norah ne pouvait être qu'encourageante et heureuse pour lui. Oui, certaines choses ne changeraient jamais. Et au fond, c'était rassurant, de savoir qu'il y avait des détails d'une vie que ni le temps, ni les événements vécus ne sauraient changer. En se basant sur ces constantes là, ils se demandaient comment la vie serait si Frank n'était pas réapparu dans la vie de Norah. Pour cette dernière, difficile d'envisager une vie de femme mariée sans avoir de petites têtes à chérir. Ca aurait été là peut-être les négociations les plus difficiles sûrement le sacrifice le plus rude qu'aurait à faire Norah. Jasper ne cachait pas le fait qu'il ne songeait même pas à avoir d'enfants. "Donc tu penses qu'on s'en serait sortis, malgré des débats qui auraient sûrement été très houleux ?" Il n'y aurait pas eu que les débats qui auraient été houleux entre eux mais ce n'était pas là le sujet principal de leur conversation. Norah, de son côté, s'accordait un petit moment avant de répondre à son tour. "Si on met à part le sujet des enfants... Je pense aussi que ça aurait marché. Mais comme ça reste pour moi un sujet inévitable, je sais pas. J'aurai jamais fait ce que ton ex t'a fait, c'est sûr. Et ça aurait été extrêmement dur de voir que la personne que l'on aime n'ait pas le même projet de vie. On se dit tous qu'on est capable de tout par amour et j'y aurai sûrement renoncer, à ce rêve-là. Mais je ne serais pas restée si jamais tu n'avais pas pris par la  suite en considération l'ampleur de ce sacrifice que j'aurais fait pour toi." Car Norah avait très bien donner d'elle-même, elle l'avait montré à plusieurs reprises. Et elle n'attendait jamais beaucoup en retour. Mais là, un minimum de considération et de reconnaissance aurait été de mise. Au moins, il savait. Suite à quoi, Jasper posait une question qui mettant en avant toute une problématique. Il visait quasiment droit dans le mile, ce qui perturbait Norah au plus haut point. Si bien qu'elle ne trouvait plus les mots. Comme bloquée dans ses pensées, les éléments de réponse se trouvant dans une boîte encore bien scellée malgré les nombreuses fissures qui étaient apparues ces derniers mois. La seule chose qu'elle arrivait à faire était de lui répondre ce qu'elle venait tout juste de lui dire. Ce pourquoi elle pensait que reprendre leur course était la meilleure chose à faire, car, à ses yeux, le sujet était clos. Il n'y avait rien de plus à ajouter que ce que avait déjà été dit. Le brun n'était pas de cet avis, bloquant la route à Norah le temps de pouvoir dire haut et fort son propre désarroi face à la situation. Il n'avait jamais été des plus bavards, mais il s'était lancé là dans une tirade à laquelle elle ne s'attendait pas. Il se sentait déjà démuni face à sa situation personnelle, mais avoir du mal à se positionner par rapport à le jeune femme semblait être tout autant perturbant pour lui. Son discours la touchait. Bien qu'elle n'avait jamais été la plus expressive qui soit, elle ne s'attendait pas à ce que Jasper ne sache plus comment interpréter son attitude.  "Tu as ta place, dans ma vie." lui souffla-t-elle. "Et ce que tu me dis a de l'importance." Norah prenait en considération chacune de ses paroles, jamais n'avait-elle dénigré le moindre de ses mots. Elle s'approcha de lui et déposa son front contre le haut de son torse. "Laquelle de place, je sais pas. Je sais pas dans quelle case tu rentres." Norah pensait pouvoir tout simplement le compter parmi ses amis, mais il y avait des circonstances atténuantes. "Tu restes le mec que j'ai plaqué à l'université pour un autre homme. Et même si ça s'est relativement bien passé, ça change rien aux faits. Même si je t'appréciais beaucoup après coup, et je t'apprécie toujours autant. Ca non plus, ça n'a pas changé. J'aime toujours passer du temps avec toi." Pas que Norah regrettait son choix. Elle avait vécu ses plus belles années aux côtés de Frank. Et elle savait que tout se serait bien passé avec Jasper si les choses avaient été différentes. Mais il était devenu un dommage collatéral à cause d'elle. Même s'ils étaient tous les deux au clair là-dessus, c'était toujours là. "Malgré tout, tu es toujours là, même des années après. Même lorsque ta propre vie a changé du jour au lendemain." Entre sa perte d'emploi et son divorce, il aurait certainement bien d'autres chats à fouetter. "Et je te tiens pas à l'écart. Je suis désolée si c'est comme ça que tu le ressens parce que c'est vraiment pas mon intention." Jasper avait par conséquence raison pour la seconde option, ce que Norah ne réalisait toujours pas. A force de prétendre, elle avait fini par s'en convaincre. Elle pivota sa tête afin de coller désormais sa tempe contre lui, s'étant approché un peu plus de lui, elle se trouvait quasiment blottie. "C'est juste indescriptible, à dire ce qu'il se passe." Au moins, elle avait le mérite de reconnaître qu'il y avait quelque chose. Mais ça ne signifiait qu'elle en réalisait la gravité. "Je veux pas que tu partes. Je veux pas que tu me laisses." Son attitude et son indépendance pouvaient laisser penser qu'elle avait besoin d'être seule, ce qui était sûrement le cas, mais certainement pas de se sentir seule. A force de voir ses proches se décliner chacun à sa façon, Norah développait une sorte de crainte de l'abandon qu'elle avait bien gardé pour elle-même jusqu'à ce que jour. Elle ne voulait plus que quelqu'un l'abandonne comme Frank l'avait fait.  "Surtout, ne change pas." Qu'il ne déforme pas ce qu'il est pour lui faire plaisir ou pour essayer de mieux comprendre quelle était sa place dans sa vie. Il semblerait qu'aucun des deux ne sache vraiment comment placer l'autre dans leur vie, comme se considérer. "Est-ce que ça répond à tes questions ?" lui demanda-t-elle finalement, pour vraiment s'il était moins perdu qu'avant. Elle restait figée là, sans rien dire, sans oublier qu'ils avaient une course à poursuivre. Mais pour le moment, elle était bien là et n'avait trop envie de bouger pour le moment.    

@Norah Lindley & Jasper Wickham ⊹ You can have a sound of the thousand voices calling your name. You can have the light of the world blind you, bath you in grace, but I don't see so easily what you hold in your hands, 'Cause castles crumble, kingdoms fall and turn into sand

Norah cachait bien sa fragilité, et si Jasper ne retirait aucune satisfaction à pointer du doigt le mal-être de la brune, il le ressentait pleinement. "Ils sont tout ce qu'il me reste de lui." soufflait-elle, relevant son regard bleuté vers lui. Lui, Frank. Le passé auquel elle se raccrochait, celui qu'on lui avait enlevé injustement. Jasper ne pouvait que s'imaginer ce que Norah pouvait ressentir, mais s'il ne lui ferait jamais l'affront de parler à sa place, il pouvait en revanche faire état de ce que ses yeux notaient. L'infirmière allait mal, et plus qu'elle ne semblait être encline à le dire. "Je pense pas qu'il y ait encore grand chose à tirer de moi." C'était faux, mais rien de ce qu'il pourrait dire ou faire ne pourrait faire changer quoique ce soit. L'initiative devait venir de Norah, et pas même le petit rire qu'elle concédait n'arrivait à suffisamment maquiller les apparences. "Et je pense le contraire, si ça t'intéresse." soufflait il toutefois, un demi sourire au coin des lèvres. Ce dernier n'avait pas vocation à marquer l'amusement, plutôt à dérider l'atmosphère, un peu comme elle l'avait fait en riant. Il espérait que l'épisode des divergences soit derrière eux, et bien que cela ne risquait pas d'être le cas -pas tout de suite du moins- la pause orchestrée par les échos du passé pointait de façon opportune. Comment auraient été leurs vies si ils étaient restés ensemble ? Auraient-ils été heureux ? Jasper n'en savait rien, mais était certain d'une chose ; il avait profondément aimé Norah à l'époque. Il aurait été capable de s'adapter, de trouver des compromis pour ne pas mettre en péril leur histoire. Le bonheur aurait pu s'étioler au fil des années, mais ce dont l'océanographe était certain, c'était qu'il avait pris leur idylle au sérieux. "Donc tu penses qu'on s'en serait sortis, malgré des débats qui auraient sûrement été très houleux ?" Il haussait doucement les épaules. "Que serait un couple sans débats houleux ? C'est cliché, mais on ressort plus fort après les disputes. Et toi comme moi n'avons jamais été adeptes des grands éclats de voix. On aurait su gérer." Quitte à s'imaginer une réalité alternative dans laquelle ils ne se seraient pas séparés, Jasper préférait rester réaliste. S'ils étaient venus à se séparer, ç'aurait uniquement été si les sentiments s'étaient éteints. "Si on met à part le sujet des enfants... Je pense aussi que ça aurait marché. Mais comme ça reste pour moi un sujet inévitable, je sais pas. J'aurai jamais fait ce que ton ex t'a fait, c'est sûr. Et ça aurait été extrêmement dur de voir que la personne que l'on aime n'ait pas le même projet de vie. On se dit tous qu'on est capable de tout par amour et j'y aurai sûrement renoncer, à ce rêve-là. Mais je ne serais pas restée si jamais tu n'avais pas pris par la  suite en considération l'ampleur de ce sacrifice que j'aurais fait pour toi." Il y avait effectivement peu de chances que Norah agisse comme l'avait fait Gia, car l'infirmière aurait d'entrée de jeu affirmé qu'elle voulait des enfants là où son ex femme avait prétendu ne pas s'y intéresser ; ce qui avait été vrai sur le moment. "J'ai jamais voulu en avoir parce que j'avais envie de vivre librement, mais ça ne veut pas dire ... que ça n'aurait pas été le cas si ça avait été toi et pas elle. Vous êtes différentes, et elle même était différente à l'époque. Enfin, c'est étrange d'en parler au passé. On est pas si vieux, ni toi ni moi. C'était juste pas la bonne personne, pas le bon moment, ça ne veut pas dire que ça ne changera pas plus tard. Ou que ça ne changera pas, j'en sais rien." Non pas qu'il ait déjà songé à pencher du côté de la paternité, pas vraiment du moins. Aux yeux de Jasper demain était un autre jour, et le destin se rappelait quotidiennement qu'il valait mieux ne pas se reposer sur ses acquis, qu'il était préférable de rester aux aguets. L'avenir avait quelque chose pour eux en réserve, et ça ne pouvait (devait) pas être négatif ; Norah avait déjà suffisamment souffert. C'était sans doute pour cela qu'il perdait son sang froid, qu'il s'autorisait à montrer un peu plus que sa retenue ne désirait contenir. Il se sentait perdu, paumé au possible dans une situation qui lui échappait et sur laquelle ils avait pertinemment qu'il n'avait pas son mot à dire. Pourquoi le ferait il de toute façon ? "Tu as ta place, dans ma vie." lui assurait pourtant la brune, se tournant pour lui faire face puisqu'il ne l'avait pas laissée filer. "Et ce que tu me dis a de l'importance." Ces mots lui faisaient du bien, sans qu'il ne sache encore trop si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Où allaient ils ? Il n'en avait pas la moindre idée et pourtant, alors que Norah venait reposer son front contre son torse, le temps leur faisait cadeau de quelques secondes de flottement. Il lui fallut quelques secondes pour réagir, pour prendre la mesure de ce qu'il se passait, puis il venait passer ses bras autour de ses épaules, la serrer un instant contre lui. "Laquelle de place, je sais pas. Je sais pas dans quelle case tu rentres." C'était sans doute stupide d'y accorder de l'importance, mais Jasper avait toujours eu besoin de savoir, de classer. Ne pas avoir de place cadrée lui était un peu compliqué à intégrer, et ça l'était d'autant plus que lui même ne savait pas qui était Norah pour lui aujourd'hui. "Tu restes le mec que j'ai plaqué à l'université pour un autre homme. Et même si ça s'est relativement bien passé, ça change rien aux faits. Même si je t'appréciais beaucoup après coup, et je t'apprécie toujours autant. Ça non plus, ça n'a pas changé. J'aime toujours passer du temps avec toi." Et il n'avait jamais manifesté le moindre regret à ce sujet. Il avait rencontré Gia, et elle avait fait un mariage heureux. Leurs chemins auraient pu ne jamais avoir à se croiser à nouveau si le destin ne s'était pas joué d'eux. "Malgré tout, tu es toujours là, même des années après. Même lorsque ta propre vie a changé du jour au lendemain." Une part de lui se disait qu'il serait toujours là, mais que c'était sans doute prétentieux de viser aussi loin. "Et je te tiens pas à l'écart. Je suis désolée si c'est comme ça que tu le ressens parce que c'est vraiment pas mon intention." Ce point ci était sans doute celui sur lequel il tiquait le plus. Qui était il pour elle ? On en revenait toujours aux mêmes bases. Jasper savait s'adapter, mais il avait besoin de se retrouver une base à chaque étape. Avec Norah il évoluait à tâtons, déjà car il ne savait pas ce qu'elle pouvait bien penser, et ensuite car il ignorait ce qu'il ressentait à ce sujet. Un imbroglio gigantesque auquel il n'avait encore jamais été confronté. "Te justifie pas sur ce que j'interprète. Mais au moins tu le sais. Je veux pas te laisser filer." soufflait-il, comme si les mots qu'il prononçait n'auraient pas eu la même saveur à voix haute. Presque blottie contre lui, le visage tourné contre son torse, Norah semblait montrer une parcelle de fragilité à laquelle il n'était pas habitué. Ils avaient baissé les armes, tous les deux. "Surtout, ne change pas." Pour sûr il finirait par changer, par vieillir, par évoluer, mais en l'instant la brune demeurait l'étudiante qu'il avait connue, l'esprit libre qui l'avait marqué, et qui quinze ans plus tard continuait de compter pour lui. Elle était bien plus qu'une ex petite amie, et qu'importe la place qu'elle possédait dans son esprit ordonné, le bazar avait décidé d'y élire domicile. Restait à déterminer dans quelle mesure. "Est-ce que ça répond à tes questions ?" Oui, et non à la fois. Jasper était un éternel insatisfait, et pourtant en se penchant pour déposer un baiser sur le sommet de son crâne il répondait que : "Ça m'éclaire un peu plus." sans -au passage- lui faire l'affront d'avouer qu'il s'en faisait toujours. Pour l'heure il profitait de cet instant, disciplinait les mots qui lui brûlaient les lèvres, son regard qui avait envie de déceler les mauvais songes. Il resserrait son étreinte, nouait ses bras autour de sa taille et non plus ses épaules. C'était un moment hors du temps, mais qui pourtant n'avait rien d'heureux. Au fond, peut être qu'il ne saurait jamais clairement dans quelle mesure l'esprit de Norah était véritablement noirci, peut être qu'il avait tord sur toute la ligne aussi. Jasper se demandait s'il se montait l'esprit lui même, si tout cela n'était pas que dans son esprit ... mais non. Ce n'était pas possible. A nouveau ses lèvres déposaient un baiser sur sa chevelure cuivrée, puis d'un ton plus doux il répétait : "Je ne te laisserais toujours pas filer, Norah Lindley. Mais ça me fait du bien de t'avoir retrouvé, et je sais pas non plus quelle place tu as dans ma vie, toujours est il ... qu'elle est là. C'est déjà un bon début." Du moins, il ne pouvait se contenter que de cela, car ni l'un ni l'autre ne semblait prêt à définir un cadre maintenant. "On devrait rentrer, si ça te dit." L'idée de rester ici n'était pas déplaisante non plus, mais cette discussion venait de se clore sur une note bien plus positive qu'elle n'avait débutée, et sans doute fallait-il s'en satisfaire. Pour le moment.

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Si la gentilllesse et le calme étaient les deux qualificatifs qui décrivaient le plus justement Jasper, cela ne l'empêchait pas d'avoir un sens de la répartie qu'elle avait toujours aimé chez lui. Il avait toujours eu beaucoup de respect pour les opinions de Norah mais il faisait aussi entendre sa voix, sans pour autant chercher à la convaincre de penser autrement, ni de lui faire entendre raison. Il ne cherchait pas à lui faire un lavage de cerveaux, à la convaincre d'une vérité qui était différente de la sienne. Mais il tenait à ce qu'elle sache qu'il en pensait autrement, et que, par conséquent, il pensait sincèrement qu'elle avait encore toute la vie devant elle pour se reconstruire alors qu'elle était incapable d'avoir des projets qui  ne la concernaient qu'elle. Le regard de Norah restait rivé sur lui à la prononciation de sa phrase. Bien sûr que son opinion l'intéressait. Elle était curieuse de connaître les arguments qu'il avait pour être si sûr de lui, mais pour une raison qui la dépassait, elle n'osait pas le lancer là-dessus. La conversation fut de toute façon partie sur un autre sujet où ils se penchaient sur leur hypothétique relation si celle-ci avait perduré dans le temps. Le beau brun restait persuadé qu'ils auraient été capables de surmonter les tensions qu'auraient traversé leur couple. Il était si sûr de lui en disant cela. Mais là où il la surprenait de plus était lorsqu'il confessait à demi-mot qu'il n'aurait pas été totalement contre avoir des enfants si ça avait été avec elle. Lors de leurs conversation précédentes, Wickham était particulièrement positionné sur le sujets des enfants, et voilà qu'il ne rayait pas non plus cette possibilité de sa vie. Comme il le disait, ils n'étaient pas si vieux. "Tu n'élimines donc pas totalement l'éventualité d'avoir des enfants." conclut-elle en tournant sa phrase avec autant de conditionnel possible. Norah ne cherchait absolument pas à le pousser dans la voie là, loin de là. Mais de voir qu'il avait fait du chemin en matière de réflexion lui faisait plaisir à voir. Une chose qu'il parvenait à faire et dont elle était incapable. Malgré cela, Jasper finissait par perdre un petit peu ses moyens en attendant de Norah qu'elle clarifie certaines choses, surtout sur la position qu'elle lui accordait dans sa vie. Elle n'avait pas l'habitude de le voir aussi dérouté, exigeant d'elle le fond de ses pensées pour qu'il s'y retrouve. N'ayant rien à cacher, la belle brune lui partageait sans détour le fait qu'elle n'arrivait pas à le caser uniquement dans la case amis ou ex, car cela ne lui rendait pas justice selon elle. Cela ne l'aidait pas pourtant de savoir où elle pourrait le mettre. Il était là, il avait beaucoup d'importance pour elle et elle espérait que ces données lui suffisent à s'y retrouver également. "J'avais remarqué que tu étais particulièrement persévérant." s'amusa-t-elle à lui répondre. Entre le justicier des mers qu'il était et le fait qu'il n'ait jamais abandonné à revenir vers Norah depuis le décès de Frank en étaient les preuves les plus évidentes de sa détermination. Alors qu'elle était blottie contre lui, Jasper se permit de déposer un baiser sur son crâne tout en resserrant un peu plus son étreinte en laissant ses mains glisser de ses épaules jusqu'à sa taille. Norah se sentait bien, là, dans les bras de quelqu'un. Elle n'était pas celle qui était le plus en recherche d'affection, ni la plus tactile qui soit. Pourtant, c'était durant ces instants là qu'elle réalisait que ça lui manquait bien plus qu'elle ne saurait jamais l'admettre. En trois ans de veuvage, jamais ne s'était-elle accordée de se montrer intime avec un homme. Jusque là, cela lui était totalement impossible. Bien que c'était rare, elle ne s'était jamais opposée à une étreinte de la part de ses proches. Par son geste, Jasper jugeait bon de le compléter par quelques paroles, en lui répétant une nouvelle fois qu'il ne comptait plus vraiment la laisser partir ou sortir de sa vie d'une façon ou d'une autre. Peut-être qu'en plus de veiller sur les mers, il ressentait le besoin de veiller sur elle également. Les océans avaient beau être pollués par la main de l'Homme, le mental de Norah l'était par un deuil irrésolu virant péniblement au pathologique. Les réponses qu'elle lui avait donné à son questionnement avait permis pour lui d'y voir un peu plus clair, bien que Norah sentait que tout n'était pas non plus aussi limpide qu'il ne l'aurait certainement voulu. Seulement, pour l'heure, l'infirmière était incapable de lui apporter plus de réponses tout simplement parce qu'elle ne les avait pas et qu'elle était tout aussi perdu que l'on pourrait le penser. Ils s'accordaient sur le fait qu'ils n'arrivaient pas à définir vraiment quelle place ils avaient l'un pour l'autre, mais Norah avait l'impression que cela perturbait bien plus Jasper qu'elle. Il avait l'esprit très scientifique, avec une curiosité insatiable, une capacité d'analyse certaine et surtout ce besoin quasi vitall de tout expliquer et tout catégoriser pour qu'il puisse être parfaitement serein et satisfait. Sa relation avec Norah allait lui donner du fil à retordre, vu comme il ne s'en sortait pas pour la classifier, savoir quoi en faire exactement. Il restait pour le moment focaliser sur les choses dont il était certain à son égard et cela semblait l'apaiser pour un certain. La belle brune restait silencieuse. Elle se redressait finalement afin de pouvoir le regarder et échanger avec un lui un sourire peut-être un peu plus léger, mais le coeur toujours aussi lourd. "Tu vas devoir t'en contenter jusqu'à ce que tu t'y retrouves." dit-elle d'un ton un peu plus taquin. "Tu penses pouvoir survivre ?" Jasper suggéra ensuite de rentrer, écourant ainsi leur course à pieds. Mais une telle discussion était parfois tout aussi physique et demandant encore plus d'énergie et Norah se devait de reconnaître qu'elle était un petit peu lessivée. Elle ne put qu'acquiescer d'un signe de tête avant qu'ils ne tournent ensemble les talons pour rentrer chez eux. Norah n'aurait pas pu garder le silence plus longtemps. Elle n'était pas du genre à ressasser et à devenir aigrie à force de tout garder pour elle. A ses yeux, il fallait que les choses soient dites et il ne fallait surtout pas tourner autour du pot à moins que l'on cherchait à la contrarier davantage. Fort heureusement, Jasper savait qu'il ne valait mieux pas jouer avec le feu et jouait tout autant carte sur table qu'elle. Et pour cela, elle lui en était très reconnaissante.