Il était temps de reprendre ma vie en main, de saisir avec détermination les derniers rêves qu'il me restait afin de les concrétiser et d'en extraire fierté comme félicité. J'avais depuis un certain temps entamé le processus pour devenir sapeur-pompier ; mes premières démarches dataient de 2018 désormais, bien que mon ambition de devenir infirmier sapeur-pompier datait du début de ma vingtaine. J'avais toujours justifié mon inertie à exaucer ce vœu par de multiples motifs : il y avait eu Chloe et mon couple que je voulais prioriser comprenant quelques projets de vie, ma place à St Vincent's que je voulais m'assurer. Par la suite, ce rôle de frein avait été endossé par mon histoire avec Ginny et ma difficulté à prioriser les vingt-quatre heures qui nous sont allouées dans une même journée. J'étais un jeune homme très actif et investi, je participais régulièrement aux actions de la Croix-Rouge, lorsque je ne travaillais pas au centre hospitalier qui m'avait embauché, j'étais volontaire pour accompagner les médecins des Flying Doctors lors de leurs interventions dans les zones les plus éloignées de l'Australie. Par ailleurs, j'étais également entraîneur bénévole de football australien, l'une de mes passion de laquelle j'avais convoité faire ma vie mais que des blessures m'avaient cruellement et perpétuellement placé sur la touche, en dépit des sacrifices que j'avais pu effectuer pour me hisser parmi les joueurs professionnels.

L'on ne faisait pas le passé, cependant, et aujourd'hui, j'avais le futur qui se dessinait devant moi. Si j'avais validé les épreuves théoriques qui me permettraient de devenir sapeur-pompier, j'avais encore des modules pratiques à acquérir. Je poussais ainsi ce jour les portes de la caserne de pompiers et un sourire naquit derechef sur mes lèvres en constatant que les lieux n'avaient pas tant changé depuis la dernière fois où j'y avais mis les pieds. Comme les peintures et l’ameublement similaires me confortaient dans l'idée que je n'avais pas perdu tant de temps et qu'il était encore, justement, temps.

« Saluut ! T'as besoin de quelque chose ? T'es nouveau ? » Une jeune femme brune en uniforme vient me saluer. Je lui rendais son large sourire sympathique et expliquais en m'appuyant sur la banque d'accueil. « Salut. En fait, j'ai entrepris des démarches pour devenir sapeur-pompier volontaire il y a quelques temps. J'ai dû me stopper en plein parcours, notamment pour des raisons de santé, et j'aimerais m'y remettre. » Je jetais machinalement un coup d’œil à l'ordinateur branché à quelques mètres comme s'il contenait toutes les informations sur mon cas. Mais ceci relevait d'une déformation professionnelle : nous n'étions pas à l'hôpital et je n'étais pas un patient qui venait de s'identifier devant l'agent de régulation, il n'était possiblement pas question ici de pianoter quelques lettres pour retrouver l'historique d'un malade. Ou du moins, je ne le pensais pas. « Je m'appelle Isaac Jensen, » je me présentais, jugeant que ce serait déjà un bon début pour que mon cas soit analysé.

Je passe ma journée à la caserne. J’ai l’impression que je ne suis pas venue depuis bien trop longtemps. Je retrouve quelques personnes que je connais déjà un peu mais je reste en majorité dans mon coin. J’ai encore du mal à me sentir à ma place ici. J’ai l’impression de ne pas être aussi forte que les autres, ou d’être un peu trop fragile pour ce genre de métier. Mais mon envie de sauver les gens est plus forte que la peur. Donc je tiens le coup, et j’essaie de venir le plus régulièrement possible. Bien évidemment j’ai toujours mon téléphone allumé dans une poche, au cas où quelqu’un ait besoin de moi au refuge ou au lone pine. J’ai des activités très prenantes, et pourtant, je n’ai pas envie d’en abandonner une seule. Alors je m’accroche et je dors peu, comme je l’ai toujours fait en réalité. Je n’ai jamais eu besoin de beaucoup dormir, et c’est tant mieux pour moi.

Je croise le regard d’une personne que je n’ai jamais vu. Alors rapidement j’en profite pour me rapprocher et lui sourire. J’espère que je n’ai pas l’air d’une folle et que mon arrivée ne va pas le faire fuir. Je garde mon sourire ancré sur mon visage et je lui pose quelques questions. Ca fait toujours du bien de croiser de nouvelles têtes. “Oh moi aussi je suis pompier volontaire !” Il est nouveau, et volontaire. Ca nous fait déjà quelques points communs et ça me rassure de ne pas être la seule. “Molly Oak… heu Ivywreath.” J’ai encore du mal avec cette présentation là mais je commence à m’habituer à mon nouveau nom de famille. Celui de Léo. “Je suis pompier volontaire depuis quelques mois, et je suis vétérinaire au refuge de Brisbane pendant toutes les autres heures que j’ai de libre.” Je ris légèrement. Oui, je passe bien plus de temps à bosser qu’à faire autre chose.  

La jeune femme qui m'accueille lorsque je pénètre la caserne est très chaleureuse. Son sourire me met derechef à l'aise et aucunement regretter le fait d'avoir enfin franchi le cap de reprendre en main ce projet que j'entretiens depuis des années mais qui semble toujours avorter au cœur de chaque élan que je lui impulse. “Oh moi aussi je suis pompier volontaire !” Elle s'exclame et mon sourire s'élargit contre mes lippes. Elle se présente comme étant Molly Ivywreath et son hésitation sur son nom de famille me fait gentiment et brièvement rire. “Changement récent ?” Je demande, davantage pour justifier son bégaiement que par curiosité.

Molly m'explique être pompier volontaire depuis quelques mois. En parallèle, elle exerce le métier de vétérinaire à un refuge de la ville et apparemment, sa profession lui occupe beaucoup de son temps libre. Je souris doucement, impressionné par l'emploi du temps de l'australienne qui de plus, me semble bien jeune pour être déjà vétérinaire. Cependant, peut-être n'est-ce qu'un leurre, il y a des gens qui font bien plus jeune que leur âge réel. Puis, elle n'a pas vraiment la silhouette des pompiers qu'on a l'habitude de croiser en intervention ou d'apercevoir à la télévision, ce qui ne l'empêche pas de se tenir devant moi et sans doute d'être entièrement capable d'assumer ses responsabilités aussi bien que les autres. Sinon, on ne l'aurait pas accepté dans ces rangs. “Tu as l'air d'avoir de sacrées journées !” Je commente, admiratif. “Est-ce que tu sais s'ils acceptent de nouveaux pompiers volontaires ? En fait, il faudrait que je finisse de passer mes examens pratiques,” je lui signifie, de plus en plus désireux d'accomplir cet objectif. “Tu fais d'autres activités bénévoles ?” J'interroge ensuite, intrigué par les démarches entreprises par mon interlocutrice. Peut-être avions-nous des causes communes ?

Je reste dans la caserne et j’accueille cet homme que je ne connais pas encore. Sourire aux lèvres je me rapproche du jeune homme, prête à l’aider s’il a une quelconque question. Je butte sur mon nom de famille et ça le fait rire, je ne suis pas encore vraiment habituée à mon nouveau nom de famille. “Oui… C’est compliqué.” Je ne vais pas l’embêter avec mes histoires, il est certainement venu là pour tout autre chose. Je me suis mariée il y a quelques mois déjà, mais ce n’était pas prévu. J’ai entendu mon nouveau nom de famille pour la première fois le jour de mon mariage et c’est particulier comme situation.

Je lui explique un peu ce que je fais, je sais que je peux facilement trop parler alors j’essaie de me contrôler. Il a l’air gentil alors je me sens à l’aise avec le grand brun. J’espère que l’accueil lui va et qu’il ne va pas partir en courant. “Je suis un peu hyperactive.” Je déteste rester en place trop longtemps et j’aime aider le monde entier. Je garde espoir, c’est possible de sauver tous ceux qui le méritent. “Oh oui on est jamais trop nombreux !” Mon sourire s’agrandit et je me retiens de taper dans mes mains comme une enfant un peu trop joyeuse. “Le chef devrait arriver d’une minute à l’autre !” Et j’espère qu’il sera assez rapide pour pouvoir voir le brun qui se tient encore debout devant moi. On discute et je suis ravie de voir qu’il est gentil. “Oui je fais du bénévolat pour les enfants à l’hôpital.” Je ne suis presque jamais chez moi. “C’est une association, on se déguise en personnage disney et on va voir les enfants, je fais ça de temps en temps.” J’aime vraiment beaucoup redonner le sourire aux enfants malades.

A mon entrée dans la caserne, je suis accueilli par une sympathique jeune femme qui m'offre son aide et se présente en butant sur son nom de famille. Ce dernier point me fait gentiment rire et je ne peux m'empêcher de conjecturer que ce doute provienne d'un récent changement, comme lorsqu'on hésite sur l'âge que nous avons peu après que notre compteur ait gratté une année supplémentaire. “Oui… C’est compliqué.” J'adresse un rictus compatissant à mon interlocutrice et me permets de prier : “J'espère que ça va quand même, alors.” De ma connaissance, la romance et le compliqué ne font jamais bon ménage, mais je suis loin d'avoir eu un volet amoureux très lumineux. De plus, malgré ce point, la prénommée Molly ne parait en aucun point déprimée.

L'australienne est par ailleurs très investie dans le volontariat, ce que je juge admirable. Curieux, je lui demande si elle a connaissance de l'éventualité que de nouveaux sapeurs-pompiers volontaires soient acceptés au sein de la caserne. La Ivywreath me répond derechef qu'ils ne sont jamais nombreux, ce qui fait naître un large sourire sur mes lippes, à la fois ravi et soulagé. Peut-être parviendrais-je enfin à concrétiser ce projet. “Le chef devrait arriver d’une minute à l’autre !” J'acquiesce, conservant mon sourire heureux. “Super, merci beaucoup,” je prononce sincèrement avant de continuer la conversation sur les activités bénévoles de la mariée, ce qui me permets par la même occasion de ne pas être trop nerveux à l'idée de devoir me promouvoir auprès du chef pompier. “Oui je fais du bénévolat pour les enfants à l’hôpital.” Un éclat apparaît dans mon regard. “C’est une association, on se déguise en personnage disney et on va voir les enfants, je fais ça de temps en temps.” Je fronce doucement les sourcils, ayant déjà croisé de bons samaritains déguisés en princesses et princes égayer les journées des petits patients de St Vincent's. “Vous faites ça dans plusieurs hôpitaux ? Je suis infirmier à St Vincent's, si ça se trouve, je t'ai déjà croisée là-bas,” je présume sur un ton amical. “C’est vraiment génial ce que vous faites. Ca a un impact extrêmement positif sur les enfants, non seulement ça leur fait passer une excellente journéeet leur permet d'oublier la maladie, mais ça a aussi un grand bénéfice sur leur santé et ça leur donne pêche et courage pour continuer à se battre,” je valorise avec franchise. Le psychologique était crucial dans le processus de guérison. Avec un moral d'acier, j'étais persuadé qu'on maximisait inexorablement les chances de regagner la santé.

Je suis ravie de voir une nouvelle personne, un homme qui a l’air vraiment adorable. Toutes les personnes qui travaillent ici sont géniales, et c’est certainement pour ça que je suis déjà aussi attachée à ce métier malgré le fait que ça ne soit pas facile tous les jours. Je souris, je discute, mais je reste à l’affût du moindre mouvement et de la moindre alarme. Je ne voudrais pas qu’on puisse louper une intervention importante parce que je ne sais pas tenir ma langue. Je peux être une vraie pipelette parfois.  

On continue de se raconter nos vies et je finis même par apprendre qu’il travaille à l’hôpital. Il doit être une vraie bonne personne. “Vous faites ça dans plusieurs hôpitaux ? Je suis infirmier à St Vincent's, si ça se trouve, je t'ai déjà croisée là-bas,” Je hoche la tête et continue de sourire un peu plus. “Mais oui, je me balade souvent en robe  avec une longue tresse c’est certainement pour ça que tu ne me reconnais pas.” Je pouffe de rire, quand je suis dans les hôpitaux, je me transforme en princesse pour apporter du baume au coeur aux enfants. . “C’est vraiment génial ce que vous faites. Ca a un impact extrêmement positif sur les enfants, non seulement ça leur fait passer une excellente journéeet leur permet d'oublier la maladie, mais ça a aussi un grand bénéfice sur leur santé et ça leur donne pêche et courage pour continuer à se battre,” Je souris encore, sans m’arrêter. Ravie d’apprendre que c’est réellement bénéfique. “Ca me rassure de savoir qu’on est vraiment utile.” Je n’ai jamais vraiment confiance en moi, et ce qui me dit me donne envie de continuer d’aller à l’hôpital dès que je le peux.

L’alarme sonne pour la première fois de la journée. “C’est à notre tour !” Je me lève rapidement pour rassembler les affaires. “Peut-être qu’on se reverra à l’hôpital !” Moi, je saurai le reconnaître.