Lennon rangeait frénétiquement son bureau avant de partir à son rendez-vous. Elle avait eu à peine le temps de manger, car elle avait préféré consacrer toute sa matinée à préparer son rendez-vous important avec un homme d’affaires assez riche. Donc toutes ses recherches, ses idées, ses inspirations devaient être bouclées avant 14h. Même si les affaires roulent comme sur des roulettes pour Lennon, et qu’elle n’est pas du tout à plaindre. Ce genre de contrat avec des hommes d’affaires ayant des postes à responsabilités, Lennon ne crache pas dessus loin de là. Non seulement, cela lui rapporte de l’argent, de plus cela va lui faire de la publicité. Que ce soit auprès des salariés, des collaborateurs et du bouche à oreille que monsieur-grosse-entreprise peut faire si le travail de l’architecte d’intérieur lui plaît. Mais il n’y avait pas de « si », il va lui plaire un point c’est tout.
Lennon était très carrée, très perfectionniste et visait toujours juste. Un peu control freak sur les bords mais elle ne laisse rien paraître afin de ne pas froisser le client. Et général, tout se passe bien et les clients sont très satisfaits de son travail. C’est donc grâce à sa créativité, à sa rigueur et à sa persévérance qu’elle s’est faite un nom à Brisbane et qu’aujourd’hui elle arrive à dénicher de bon contrat comme celui-ci. Même si son côté control freak pouvait parfois être insupportable, on ne pouvait pas reprocher à Lennon son sens de la décoration et la passion qu’elle éprouve pour ce qu’elle fait dans la vie. Elle sait qu’elle a la chance d’avoir un métier qui la rend heureuse, et qui la motive à sortir de son lit tous les matins. C’est une workaholic, son travail est ce qui la tient en haleine, qui lui fait oublier ses problèmes et qui la fait sentir entière. Oui, on peut dire que la jeune trentenaire vit pour son travail.

Le lieu où son rendez-vous aurait lieu était également à Spring Hill, son quartier de résidence même si à vol d’oiseau son appartement et l’immeuble en question n’étaient si éloignés, à pieds ce n’était pas la porte à côté. Elle tapota sur l’écran de son téléphone afin de commander un uber avant de continuer à ranger son bureau et de prendre ses dossiers nécessaires au rendez-vous. Lennon avait l’achat, il y a deux ans, d’un sublime appartement à Spring Hill. Son salaire lui permettait de rembourser le crédit à la banque, elle avait donc décider d’investir dans la pierre afin de placer surement son argent. Investir à Spring Hill était également une valeur sûre. Quartier prisé par la classe aisée pour son bon vivre et sa localisation, les loyers ne cessaient d’augmenter dans le quartier et Lennon avait donc décidé de ne pas perdre de temps pour acheter.
Son appartement était très grand et lumineux avec une vue sur un joli espace vert. Mais le plus qui fait qu’elle a craqué pour cet appartement, c’est la présence d’un immense bureau. Un bureau, nécessaire, obligatoire, primordial pour son travail car elle ne voulait pas investir dans des locaux pour son travail, enfin pour le moment en tout cas. Elle pouvait travailler à pas d’heure ou se réveiller et se mettre directement au travail.  Bref, avoir son lieu de travail chez elle, c’était tellement pratique pour Lennon.

Une notification sur son téléphone la prévient que son uber était arrivé et l’attendait en bas de son immeuble. Elle dévala les escaliers, dossiers en main. Son rendez-vous était à 14h30, et elle ne devait pas être en retard. D’ailleurs, elle détestait être en retard. Elle regarda sa montre, 14h15. Bon, elle était dans les temps, et puis la circulation était fluide à cette heure-ci. 14h29, Lennon était devant la porte et elle sonna. Pile poil, à l’heure, comme d’habitude. La porte s’ouvrit sur un homme, qui devait avoir le même âge qu’elle, tiré à quatre épingles, vêtu d’un costard sans doute de haute couture. Il lui serra tout de suite la main et se présenta, sourire aux lèvres. « Bonjour, Lennon Warner, architecte d’intérieur. Je suis celle qui va transformer vos bureaux ! » Dit-elle en entrant dans la pièce sans attendre que l’homme l’invite à entrer. Les yeux de Lennon se posèrent partout et analysèrent la pièce. Elle était chargée, en effet, de décorer et de donner vie aux bureaux de la société de l’homme d’affaires. Dossiers et carnets en main, Lennon avait pleins d’idées et de propositions de couleurs, de meubles mais également de plante pour faire en sorte que les bureaux respirent et ne soient pas un noyau de stress pour les salariés de l’entreprise. « Eh bien, très bon choix de bureaux. Vous avez l’œil. Je pense que nous avons matière à faire ici, et que tout est possible. C’est spacieux, c’est lumineux. Il y a beaucoup de potentiel. » Lennon continuait à marcher tout en prenant des photos de chaque recoin afin de rien louper, pour faciliter le travail qu’elle aura chez elle, de son côté. Le bruit de ses talons résonnait dans les locaux vides.
D’ailleurs, une jeune femme ne faisait que la suivre d’un œil inquisiteur afin de pas rater une miette de ce que Lennon faisait. Ce devait être sans doute l’assistante ou la secrétaire de monsieur Campbell. Son comportement commençait à ennuyer fortement Lennon, elle n’aimait déjà pas qu’on la suive ou qu’on la colle et encore moins quand on essayait de voir ce qu’elle écrivait dans son carnet. Elle lui jeta discrètement un regard avant de se tourner vers son client. « J’ai tellement d’idées en tête. Mais commençons tout d’abord, par ce que vous souhaitez vous. Ce que vous font ressentir ces bureaux, quelles couleurs vous aimez, quels styles voudriez-vous pour vos meubles ? Et surtout, qu’est-ce que vous voulez faire ressortir à travers la décoration ? »

« Oh, vous êtes Californien. Je me disais bien à l'accent que vous n'étiez pas d'ici ! » Lennon scrolla les photos qu'elle venait de prendre avec son smartphone. Elle avait été tellement subjuguée par les idées que lui inspirait ces si beaux bureaux qu'elle ne s'était pas rendue compte que son téléphone avait désormais une centaine de photographies des lieux. Elle fera bien évidemment un tri ce soir dans son bureau. Et, il y a des chances qu'elle travaille jusqu'à pas d'heure ce soir mais c'est ça qu'elle aime dans son métier : d'être passionnée à chaque mission qu'un client lui donne. « Exactement. Spring Hill est le quartier le plus chic et le plus prisé de Brisbane. Donc, soyez en sûr, vous êtes au bon endroit.  » Dit-elle avec un clin d'oeil avant de replonger son nez sur son téléphone portable. Cette fois-ci, elle regardait les nuanciers de couleurs et prenait en même des notes sur son carnet afin de ne rien oublier. Ces bureaux doivent être à l'image de la société (...) Prochainement, nous comptons investir dans des projets prônant la responsabilité écologique. C'est un de nos projets phares en Australie. J'ai besoin que l'on montre l'exemple avec ces bureaux. Lennon hocha la tête. Collaborer avec M. Campbell semble couler de source. Elle était motivée, lui déterminé et inspiré autant qu'elle. Cela changeait énormément des clients indécis, insatisfaits qui donnaient du fil à retordre à l'architecte d'intérieur. Puis, l'assistance arriva et montra un plan de décoration à Lennon qui se pencha d'un air sérieux et attentive. Elle analysa chaque élément du plan. Des bonnes comme de moins bonnes choses, mais c'était question de s'inspirer de celui-ci et d'avoir une base sur laquelle travailler. De toute façon, Campbell et Lennon feront à leur sauce afin de faire ressortir l'identité de l'entreprise à travers chaque meuble et chaque vase.  Elle écoutait attentivement les paroles de son client tout en prenant note, des idées lui venaient à la tête. Dès qu'il eut fini, elle leva la tête  vers lui son carnet de notes dans les mains. « Écoutez, je suis très satisfaite que vous soyez venu avec énormément d'idées tout en ayant un schéma très précis de ce que vous voulez. » Elle jeta un coup d'oeil sur son carnet. « En ce qui concerne les matériaux nobles, le marbre est très à la mode. Donc on pourrait faire un mix de marbre mais également de bois recyclé. Afin d'être dans cette démarche de modernité, de classe mais tout en faisant ressortir la responsabilité écologique de votre projet. Et puis, les meubles en bois recyclé sont également en vogue parce qu'on le sait tous que le respect de l'environnement et la transition écologique c'est le monde demain. Il faut baser nos ambitions sur les nouvelles problématiques d'aujourd'hui, et ça passe d'abord par notre façon de consommer. » Elle se posta aux côtés de son client afin de lui montrer les couleurs qu'elle avait sélectionné sur son téléphone portable. « En ce qui concerne les couleurs, j'avais également pensé  des neutres afin d'avoir des bureaux apaisants et de rester dans la modernité et la simplicité. J'avais donc pensé à du gris alpaga, du Manhattan, du minéral ou encore du granit. Et couper tout ça avec un vert d'eau, qui rappelle la nature. Je peux vous envoyer des nuanciers par mail ce soir et vous me dites ce que vous en pensez ? » Elle passa rapidement les couleurs sur son téléphone. « Pour la pièce qui servira de salle de repos, il faut d'abord qu'elle soit lumineuse et assez spacieuse. On pourrait mettre des chauffeuses ou encore des poufs. Cette salle de pause pourrait être peinte en gris doux, ou encore en blanc cassée. Ce sont des couleurs qui calment et qui apaisent. On pourrait même faire appel à la lithothérapie en mettant à disposition quelques cristaux pour absorber les mauvaises énergies.  » Lennon espérait vraiment que ses suggestions plaisaient à son client car il semblait vraiment être sûr de ce qu'il voulait et bien décidé dans ses idées. « On pourrait mettre de l'eucalyptus car c'est une plante avec une verrue désodorisante et purifie l'air d'une pièce. On pourrait aussi mettre un mur végétal donnerait un côté 100% nature à vos bureaux.  »

Après sa tirade, l'assistante, du nom de Gloria, partit chercher des verres d'eaux. Lennon leva les yeux vers son client lorsqu'il l'appela par son prénom. Elle fut étonnamment surprise car elle n'a pas l'habitude que des clients l'appelle par son prénom. Si le client se sentait plus à l'aise comme ça, Lennon s'adaptait. Le plus important c'était que cette collaboration se passe bien, car le bouche à oreille pouvait ensuite faire son effet sur les affaires de la jeune femme. « Je peux vous fournir un devis avec le coût, un plan de la décoration, et chaque meuble et plantes qu'on posera ici, dès demain.  » Quand il s'agissait de son travail, Lennon était efficace. Il y a la Lennon du quotidien, et la Lennon du travail. Déterminée, pointilleuse et créative. Elle allait sans doute faire une nuit mais elle était non seulement passionnée et en plus, elle savait qu'elle devait tout donner avec ce contrat. Elle ne devait pas se louper parce qu'elle avait su choper un gros poisson, et il ne fallait pas qu'elle cède à la pression que celui-ci exerçait.

Après avoir tant parlé, une gorgée d'eau ne fut pas de refus en cette journée d'été. Ils se dirigèrent avec une pièce, grande et spacieuse. Campbell se tourna vers elle, et la regarda d'un air interrogateur. La question de son client la déconcerta un petit peu, mais elle ne laissait rien paraître. C'était un tantinet prétention comme question, non ? Ils étaient peut-être certes sur la même longueur d'ondes niveau décoration, mais Lennon découvre une facette un peu égocentrique chez client. Et au quotidien, elle détestait ça chez les gens. Elle analysa le futur bureau, puis son futur propriétaire. C'est vrai qu'elle n'avait pas pris le temps de le regarder, tellement prise par sa folie des décos. C'était un homme très soigné, très propre, et très charmant. Il sentait la grosse firme internationale, la richesse, les restos classes et les femmes. Il avait l'air aussi d'être convaincant et d'imposer son avis peu importe la situation. Dans son regard interrogateur, elle sentait du défi. Pour elle, cette question était un test. Un test pour savoir si elle était à la hauteur de créer un bureau à l'égal de Monsieur Chef d'Entreprise. Miss Warner saura-t-elle glorifier le patron à travers la déco de son bureau ? Seul le destin en a la réponse. Elle sentit une certaine fierté s'emparer d'elle. Pas la fierté de travailler pour un homme si puissant, non non mais la fierté de ne pas vouloir flatter, idolâtrer un homme si imbu de lui-même. Elle n'en avait pas envie. Il attendait quoi à travers cette question ? Qu'une énième "nana" entretienne son égo ? Le couvre d'adjectif glorifiant afin qu'il bombe un peu plus le torse ? Non, elle n'en avait pas envie, et ce n'était d'elle d'agir de la sorte. Mais il ne fallait pas qu'elle capoter son contrat non plus. On pourrait mettre un énorme portrait de ta tête derrière ton siège en cuir de caïman, pensait-elle fort. « Et bien, avec ce bureau, vous pouvez mettre un bureau déjà. Un siège en cuir vegan aussi, au moins on reste dans le thème de la responsabilité écologique.  » C'était plus fort qu'elle en fait. Elle venait de se faire une image de son client qu'elle détestait. Ce devait être le genre de type à draguer n'importe qu'elle femme afin d'obtenir ce qu'il voulait. Elle ne savait pas si c'était le cas à ct instant avec ses questions, elle ne voulait pas tirer de conclusions hâtives. Mais une chose est sûre, c'est qu'elle n'aimait pas les gens prétentieux, et que ce dernier faisait parti de cet espèce. Quel genre d'homme je suis à votre avis ? Cette question la fumait littéralement. Mais il s'attendait à quoi ? Elle était à deux doigts de faire preuve de sarcasme mais se retint pour le bien de son entreprise. « Et bien, vous êtes un homme avec de l'ambition, qui sait ce qui veut et qui pense à ses clients.  » Bref, clair, simple. Qu'il ne s'attende pas à ce qu'elle s'envoie dans un monologue de complaisance.

@Evan Campbell