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 My worst pains are words I cannot say

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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyJeu 20 Fév 2020 - 16:13




My worst pains are words I cannot say
En stationnant ma voiture devant la ferme de mes parents, mon père m’accueillit les bras ouverts et un sourire attendri au coin des lèvres malgré sa surprise. On ne me voyait pas souvent par ici, si bien que la première question qui suivit notre accolade traitait de la raison de cette visite inopinée. Si seulement je le savais ? Je me sentais perdu entre de nobles sentiments néanmoins interdits et la pression liée à une peur panique d’aimer à nouveau, la mauvaise fille, celle qui n’a rien à offrir. J’étais transi à l’idée de m’amouracher de cette blonde lumineuse, drôle à souhait, qui masse mon cœur d’un onguent apaisant pour ma peine. Pourtant, je ne pipai mot, parce que mon projet, celui qui consistait à chercher de quoi m’accrocher à la raison auprès de Sarah, n’était pas unique. A côté de ma relation malsaine avec Raelyn, il y avait Lola et cette envie de rendre la pareille à sa générosité. Ses grands yeux délavés et, quelques fois, embués, m’avaient touché et ému plus que de raisons. Derrière ses airs de femme se cache une petite fille, à l’instar de Sofia, qui a peur de raté sa vie, de passer à côté de ses rêves. Elle dissimule mal son trop-plein de sensibilité propre aux artistes qui, quelque fois, la cultive pour s’en inspirer. Et moi, parce que je lui suis reconnaissant de m’avoir trouvé et de s’être dévoilée en partie, moi qui cherche une bonne excuse pour m’éloigner de Brisbane et de ses dangers, je m’apprête à affronter mon passé, ici-même, à Kilcoy. « Tu as déjà vu Sarah ? » ajoute mon père, peu soucieux de me laisser rassembler mes esprits. Une heure et demi de route, ce n’est pas long. Mais sans musique et avec pour seule compagne la gamberge, c’est épuisant. « Je viens la voir justement, mais… j’avais besoin de passer du temps avec toi avant. » Je réclamai mon petit frère. Il était absent. Ma mère, a l’Eglise, ce qui ne me surprit qu’à moitié. Le vieil homme et moi étions seuls et je vidai mon sac, abstraction faite de l’objet de ma convoitise et de mon réel tourment. Je reconnus, dans son regard, ô combien il appréciait ma démarche. Offrir à une presque inconnue les bandes dessinées de Sofia, c’était signe que j’allais beaucoup mieux. Il me délivra tout de même un précieux conseil : ne pas parler de l’enveloppe à mon épouse (ou ex-épouse ? ), pas tout de suite, Captain est souffrant. La révérende le vit mal et moi aussi, j’ai un pincement au cœur à l’idée qu’il puisse nous quitter. Je n’en montre rien mais, quelques heures plus tard, face à la peine de mon ex-femme, je fus juste bon à la serrer dans mes bras sans lui parler de la possibilité d’un divorce. Ce sera pour demain, après une visite chez le vétérinaire. Je promis de l’accompagner avant de m’en retourner à ma vie parallèle, ma vie à Brisbane, le coffre chargé de trois boîte remplies d’albums, tantôt communs, tantôt plus rares.

J’avais pris soin de laisser un message à Lola pour l’avertir que j’avais quelque chose pour elle. Elle n’en fut que peu étonnée. J’avais pris de ses nouvelles, non pas souvent, mais régulièrement, histoire de maintenir le contact. Elle me donna rendez-vous devant la galerie d’art pour laquelle elle travaillait et, en arrivant sur les lieux, je me fis cette sempiternelle réflexion : que voit-il que je sois incapable d’apercevoir dans de la couleur étendue sur de la toile ? Que voient-ils tous ces gens qui entrent et ressortent avec enthousiasme de cet espèce de musée où tout est à vendre ? Curieux, je me risquai à pénétrer dans cet antre avec, sur les bras, un carton à encoche et quatre boissons chaudes. Je ne savais pas si elle aimait le café ou si elle préférait le thé, Lola. J’avais visé donc visé large. La cherchant des yeux, mon regard a été happé par un tableau aussi sombre que mes idées noirs. Ce qu’il représentait m’échappait, mais j’aurais juré qu’il dégageait une aura proche de mon sentiment général, proche de mon état depuis ces dernières années. Bien sûr, je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’il m’a remué, mais je mentirais si j’affirmais qu’il me laissait totalement indifférent. Il m’intriguait. C’était ça, le mot exact et, perdu dans ma contemplation, je n’ai ni entendu les pas résonnant derrière moi, ni cette voix délicate et familière qui m’interpella. J’en sursautai et je remerciai la chance d’avoir sur me fier à mes réflexes. Aurais-je consommé un verre de plus que le contenu des gobelets se serait répandu au sol. « C’est moins une. » ânonnais-je, désarçonné. Ma main glissa dans mes cheveux, à l’arrière de ma tête et mon visage se fendit d’un sourire coupable. Je l’étais. J’étais responsable d’un intérêt étonnant. « Je ne t’ai pas entendue, je… » J’ai pointé du doigt le tableau, mais à court de mots, je laissai tomber. « Enfin, peu importe. Je t’ai apporté du café et du thé. Je me suis dit qu’en visant large, je ferais mouche. Mais, je peux attendre dehors le temps que tu termines si tu veux. » Il n’était pas question que je lui cause un quelconque problème. « C’est sympa ici. Ça m’échappe, mais c’est sympa. » Qu’ajouter ? Je me sentais autant à ma place qu’un poisson d’eau douce barbotant dans une mer salée.




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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyJeu 20 Fév 2020 - 23:37

My worst pains are words I cannot say

Quand Lola était petite, elle rêvait que ses parents viennent lui lire des histoires. Elle préparait sur sa table de nuit une pile de ses contes préférés, qu'elle avait appris à connaître en regardant les images. Après le dîner, il lui arrivait de demander à sa mère, ou à son père, ou à son frère, ou à sa soeur, si quelqu'un voulait bien la border. C'était un stratagème bien réfléchi, car il y avait déjà plus de chances qu'ils acceptent un geste aussi bref que celui-là. Mais maman et papa étaient fatigués de leur journée, Patrick avait des devoirs, et Charlotte menait des projets secrets qu'elle ne partageait avec personne. Alors, Lola finissait par aller dans sa chambre et tourner les pages du livre en inventant à voix haute les dialogues des personnages. Elle imaginait ce qu'il y avait dans chaque lieu. Tiens, dans le château, là, il y avait probablement une grande pièce avec plein de bougies, et peut-être un cheval pouvait venir à l'intérieur pour boire de l'eau. Et dans cette grotte, où semblait vivre une créature à écailles qui crache du feu, peut-être que des lucioles brillaient la nuit, comme dans la forêt où elle était allée avec sa classe, une fois. Les récits étaient dépourvus de logique mais charmants, et ils auraient beaucoup plu à un psychothérapeute spécialisé dans l'enfance.

Lola n'avait pas l'habitude des pères qui démontraient de l'affection ou de l'amour envers leurs enfants. Elle avait donc été profondément secouée par sa brève rencontre avec Amos, où la moindre évocation de Sofia déformait son visage. Il y avait un dévouement chez lui qui tenait du sublime. Et Lola savait que ce n'était pas juste le deuil. Ce qu'elle avait découvert d'Amos dans la bande-dessinée, et qu'elle connaissait par coeur pour avoir appris à le dessiner et à l'écrire exactement comme Sofia le faisait, était déjà une figure parentale comme elle n'en avait jamais eue. Et soudain, il était là. Lola savait bien sûr qu'il était hors de question qu'ils jouent ensemble le jeu malsain du père revenu et de la fille ressuscitée. Mais sans tomber dans le morbide, dans le grotesque, ils pouvaient s'apporter une affection pure qu'on trouvait rarement dans le monde - ils étaient tous les deux bien placés pour le savoir. Lorsque Lola avait reçu un premier message d'Amos, elle avait pleuré. Pas eu les larmes aux yeux, ou vaguement reniflé : non, elle avait pleuré. Elle avait eu peur d'avoir fait une mauvaise impression. Elle avait eu peur qu'Amos n'ait pas envie de se confronter de nouveau à quelqu'un qui lui faisait penser à sa fille. Elle avait eu peur qu'Amos ait autre chose à foutre, franchement, que de revoir une gamine qui fait de la peinture mais ne la montre à personne. Et puis, il avait écrit, et maintenant ils se revoyaient.

Lola ne dit rien lorsqu'il entra dans la pièce et qu'il ne la vit pas tout de suite. Elle ne dit rien lorsqu'il vit un tableau et s'arrêta devant, lui qui ne comprenait rien à l'art, selon Sofia, et qui pourtant semblait ému : est-ce que le deuil lui avait ouvert une porte sur un monde jusque là inconnu ? Elle ne dit rien mais s'approcha de lui, infiniment soulagée qu'il soit là, et en même temps dans l'appréhension que Robin, Ginny ou Auden reviennent passer quelque chose qu'ils auraient oublié. Ils étaient tous partis, déjà, après une journée de travail. Et heureusement, parce que Lola n'était pas prête à se faire confronter les univers. Il lui fallait un peu de temps encore, un peu de temps pour se sentir comme un être humain complet dont les étoiles se connectent. Pour le moment, ses galaxies étaient éclatées, et ça la rassurait.

Lorsqu'elle vit les cinquante boissons (elle exagérait un peu, c'était son côté fantasque), elle eut un sourire de la taille de douze anneaux de Saturne. "Mais c'est trop gentil, merci beaucoup !" C'était sorti comme ça, sans qu'elle l'ait prévu, son côté spontané et joyeux, son côté labrador fou, qu'Amos n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer, et elle le regarda, interdite, avec un grand sourire figé, se disant qu'il n'en mènerait pas large si elle ne le prévenait pas un peu de qui elle était, de ses grands changements d'humeur, de ses extrêmes. N'empêche qu'elle était touchée de sa générosité, et qu'elle se rua sur le café et le thé. "J'adore les deux, justement, t'es bien tombé." Elle but une gorgée de chaque. C'était parfait. Elle les posa sur le comptoir, passa derrière le bureau, vérifia qu'aucun mail n'était arrivé, et éteignit l'ordinateur. "Je suis toute à toi." Elle regarda autour d'elle, perplexe, ce monde qui pour elle faisait entièrement sens, et pencha la tête vers la droite tout en le regardant : "Qu'est-ce qui t'échappe ?" Bah ça, Lola, le monde de l'art, les toiles, le sens profond de ce qui se fait, ou bien la technique, ou bien l'histoire de l'esthétique, ou tout à la fois. "Je t'apprendrai, si tu veux. Enfin, la théorie. La pratique, je ne l'enseigne que dans un cadre thérapeutique." Et certes, Amos en aurait besoin, mais ce n'était pas à Lola de le suivre dans cette structure-là. Elle pourrait lui recommander quelqu'un, un jour, en revanche, s'il en avait envie.

Elle avait du mal à ne pas tenir son rôle d'assistante joyeuse lorsqu'elle était là, à l'atelier, à ne pas être la professionnelle qui ne montre pas ses émotions, d'autant plus qu'elle travaillait avec des tumultueux et qu'il lui fallait rester droite dans ses bottes et pleine de sang-froid. Pour avoir une vraie conversation avec Amos, il allait falloir qu'elle accepte cette collision, qu'elle s'y fasse. Et il n'y avait qu'une seule façon de le faire : en rentrant dans le vif du sujet. "Est-ce que tu as ouvert l'enveloppe ?" demanda-t-elle en baissant les yeux. Cette question ne cadrait pas avec le lieu. Le deuil n'existait pas ici. Elle prit son sac, qui était déjà prêt, le café, le thé, et pointa d'un signe de tête la porte de la galerie. "Viens, on discute dehors, ici je n'y arriverai pas." Elle éteignit les lumières, le précéda à l'extérieur, et ferma à double tour la galerie. Il y avait un banc dans la rue, juste dehors, et elle y prit place avec lui, regardant les voitures passer, jetant un oeil à la couleur nuageuse du ciel, et elle sentit sa respiration reprendre un rythme normal. "Oui, ici, c'est mieux." Elle se tourna vers Amos, se demandant s'il comprendrait. "Toi aussi, tu compartimentes ta vie ? C'est une des façons dont je gère le deuil." Quoique, pas seulement le deuil. La vie en général. Le fait de ne se sentir à sa place nulle part. Le fait d'aimer tout mais de manquer de direction, d'appartenance. "Tu voulais peut-être visiter la galerie ?" demanda-t-elle soudain, relevant la tête en catastrophe vers lui. Dans son élan, elle faillit renverser ses boissons chaudes, mais les retint à temps, et reprit une gorgée de chaque - ce mélange était décidément parfait.

@Amos Taylor
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptySam 22 Fév 2020 - 22:28




My worst pains are words I cannot say
Ce n’était rien qu’un café et un thé, mais son sourire, ses remerciements et son enthousiasme me réchauffèrent le cœur qui en avait bien besoin. Ma matinée fut compliquée. Je vivais chaque rencontre avec Sarah comme une épreuve à cause de son regard mêlant commisération et reste d’affection selon le cas. Aujourd’hui, elle y avait ajouté de la colère et j’en demeurai interdit. Son comportement face au divorce m’échappait complètement. Un jour, elle le veut. Le lendemain, elle le refuse. Sa tête tournait au gré du vent de ses doutes tels les girouettes accrochées à la pointe du clocher des Églises. Elle tient lieu d’énigme, comme je le fus sans doute pour elle il n’y a pas si longtemps. Elle m’a perdu, dans tous les sens du terme d’ailleurs, mais je ne peux décemment lui en vouloir. Ce serait d’une injustice sans nom et avec précédent. Je me contentai de la saluer d’un signe de la main quand mon coffre engloutit les BD de Sofia destinées à Lola et je la vis pâlir d’effroi. J’étais sérieux, plus proche de celui que j’avais été d’antan. Elle le reconnut, l’homme résolu qui claqua sa portière. Elle le reconnut et il l’a tétanisée. Mon cœur était plus léger ces derniers temps. Je distillai autour de moi un peu de cette bienveillance que j’imaginais définitivement enterrée.

Cet après-midi-ci, elle s’est manifestée par quelques boissons chaudes et un cadeau, un qui a du sens, un qui – je l’espérais – ne retournerait pas trop le cœur sensible de la petite brune qui me rassure pour mes choix. Elle est drôle, Lola. Elle me rappelle ma propre fille quoique, cette vérité, je l’aie chassé rapidement pour des raisons obscures. Elles l’étaient autant que ce tableau qui attira mon œil et qui, après que la jeune femme ait récupéré ses affaires, s’écroua au cœur de notre conversation. « Oh. Je crains d’être ton élève le plus… » Dissipé ? Non ! Je sais écouter. Le moins doué ? J’approchais du but. Assidu ou appliqué ? Non plus. « Ou le moins…ouvert d’esprit ? » hasardais-je en grimaçant. L’art, dans toutes ces formes, est un véritable mystère pour moi, mais j’étais prêt à essayer puisque je pressens que ça me rapprochera de la passion de mon enfant, celle que j’avais manquée. « Comment ça se fait que tu t’es lancée là-dedans ? Dans des ateliers thérapeutiques ? » En quoi consistait-il d’ailleurs ? Distribuait-elle de la gouache et du papier aux participants et que vogue la galère ? Avait-elle débusqué quelques talents ? Que penserait-elle de ma curiosité si j’osais m’intéresser à ses activités ? Aura-t-elle l’impression que je m’immisce dans sa vie sans y être réellement invité ? Est-ce pour cette raison qu’elle nous préférait en dehors de la galerie ?

Elle ramassa son sac et j’ai fait fi de mes considérations. Dans le fond, cette méfiance signifie qu’elle est prudente. Dans cette ville où la pègre fait rage, ça lui sera bien plus profitable que l’audace inconséquente. Je l’ai donc suivie à l’extérieur et je me laissai guider sur un banc qu’elle avait sans doute étrenné ces belles journées d’été. Elle avait dû y lire un livre et s’émerveiller par le style d’un écrivain. Lire… peut-être que je devrais m’y mettre. Il paraît que c’est accessible à tous. Lire, à commencer par ce qui repose dans l’enveloppe que j’ai décachetée sans dévoiler le contenu. À présent, il fallait l’admettre sans la décevoir et ça m’a mis mal à l’aise. Je pris une gorgée de café pour y puiser du courage. J’ouvris la bouche une première fois, mais aucun mot n’eut le temps d’en sortir. Elle est bavarde, Lola. Elle passe du coq à l’âne parce qu’elle est authentique et spontanée. Elle n’est pas oppressante et c’est rafraîchissant, rassurant, réconfortant, même si le sujet qu’elle aborde n’est pas moins anodin. « Ouais. Je compartimente et je cloisonne aussi. » lui avouais-je tout net. « Donc, non. Si ça t’inquiète, je ne suis pas vexé. Tu sais, je crois que c’est normal dans le fond. La peine, ça se répand, un peu comme de l’eau. Ça s’engouffre partout, dans la moindre faille et la moindre fissure. » Et nous en avons tous. La mort de Sofia en était une parmi d’autres. La différence, c’est que cette brisure-là, elle est plus profonde que les autres, un peu trop pour moi. « J’ai ma vie ici, celle à Kilcoy. Je suis un Amos là-bas et un autre ici. Je suis le même, mais plus ou moins bavard et plus ou moins sympathique. » précisais-je en haussant les épaules.Avec elle, j’étais une version non pas revisitée, mais améliorée de celui que j’étais il y a encore quelques semaines.

Raelyn jouait son rôle dans cette petite résurrection, même si ça me déplaît de l’admettre, je me rends peu à peu face à cette évidence. « Et non, non, ça va. Je ne voulais pas visiter, enfin pas aujourd’hui. Une autre fois peut-être, pourquoi pas. » Puisqu’il est clair que nous nous reverrons dès que j’aurais trouvé le courage de parcourir la brève de vie que Sofia partagea avec son amie. « Et oui, je l’ai ouverte l’enveloppe. Je vais te mentir, c’est tout ce que j’ai fait pour le moment. Je n’en ai pas parlé à sa mère encore. C’est difficile pour moi parce que j’ai peur de ce que ça va remuer et j’ai aussi cette impression d’être un parent intrusif. Tu sais, celui qui va trouver le journal intime de sa fille et qui au lieu de le remettre en place, va l’ouvrir, tout lire, se vexer parce qu’elle le traite de vieux con. » Tous les ados ne l’écrivent pas en ces termes, mais tous l’ont pensé un jour ou l’autre. Je le sais. Je ne l’ai pas sautée, cette étape. « En fait, je voulais te voir parce que j’ai quelques jours pour toi. Un truc que j’aimerais bien t’offrir. Enfin, beaucoup de trucs. Si tu n’as pas de voiture, tu ne sauras jamais le transporter toute seule jusqu’à chez toi, mais je peux les stocker le temps de trouver une solution. » Ou la reconduire et les déposer sur le pas de sa porte, mais ce n’était pas à moi de soumettre cette hypothèse. « Je les ai laissées dans mon coffre. Ce sont ses comics. Je crois qu’il y en a auquel elle tenait vraiment beaucoup parce qu’ils sont filmés. » Soudainement nerveux, je sortis de ma poche un paquet de cigarettes. J’en tirai une que je n’allumai pas. « Tu permets ? » m’enquéris-je avec politesse en l’agitant sous son nez.




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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyDim 23 Fév 2020 - 18:46

Amos dans la galerie.
Dans la galerie, il y avait Amos.
Amos se tenait dans la galerie.
Il était une fois une galerie, et à l'intérieur il y avait un homme qui s'appelait Amos.

Quand les émotions s'accumulent, le cerveau a tendance à disjoncter. Heureusement, l'humain a la faculté de rebondir, de broder, mais surtout, de créer. Et de voir Amos intrigué par une oeuvre d'art, ça avait tout de suite éveillé l'intérêt didactique de Lola : un élève ! un élève ! Quelqu'un qu'elle pourrait convertir à la suprématie de l'art lorsqu'il s'agit de canalyser toute émotion ou sentiment ou situation ou vision ou idée ou croyance. Cette perspective semblait moins convaincante à Amos, ceci dit, qui se justifiait d'avance. "Je crains alors de devoir être la professeur la plus persévérante et insistante de la planète." Elle hocha de la tête vigoureusement, car elle croyait profondément que plus on s'intéressait à un sujet, plus il nous semblait intéressant, par un effet boomerang qui se propageait autour de nous. Ce serait une épidémie de gens touchés par l'art. Peut-être que cela profiterait même aux ami(e)s d'Amos, qui sait ? Lola se fit la réflexion qu'elle n'avait aucune idée d'à quoi ressemblait son monde et qu'elle espérait bien le découvrir un jour. Pas qu'elle soit prête à partager le sien.

"J'ai toujours fait du dessin et de la peinture. Je voulais faire les beaux-arts, mais mes parents sont un peu..." Cons ? Old-school ? Conservateurs ? Fermés d'esprit ? De droite ? Capitalistes ? Intransigeants ? Réactionnaires ? Bourgeois ? Superficiels ? Matérialistes ? "Ils étaient inquiets, ils préféraient que je fasse quelque chose qui débouche vers un métier." Ce qui, dit comme ça, se comprend. Qui aimerait que son enfant fasse des études qui ne mènent à aucune voie professionnelle où on gagne de l'argent ? Le problème, avec les parents de Lola, c'est qu'ils espéraient que leurs enfants aient un statut, une fortune, pas juste de quoi vivre de façon heureuse et harmonieuse. "Ils voulaient que je fasse médecine. J'ai trouvé un compromis : la psychologie. Les émotions humaines, les trajets de chacun, ça m'a toujours semblé tellement incroyable." Elle se souvenait de la préparation des examens, où tout lui semblait fascinant. Rien ne tenait de la corvée, ce n'était pas fatigant de faire ses devoirs. "Et puis, j'ai voulu lier l'un à l'autre, et j'ai rencontré des gens qui m'ont parlé d'art thérapie, et j'ai proposé un atelier à l'hôpital psychiatrique, et de fil en aiguille..." Elle souriait, inspirée, comme à chaque fois qu'elle en parlait. Elle avait beau dire que c'était l'art, seulement l'art, elle n'était pas sûre de pouvoir vivre sans pratiquer la thérapie aussi.

D'ailleurs, elle se tourna vers Amos, avec un regard en coin, gênée de poser la question, mais s'enhardissant, car ce serait pour son bien et, avec un peu d'espoir, il ne le prendrait pas mal : "T'as déjà fait une thérapie, toi ?" Ca n'avait pas l'air d'avoir été trop son genre, pas qu'il y ait un genre, mais il avait l'air d'un autre monde, pas très à l'aise oralement avec ses émotions, ses sentiments, dans l'action plutôt que dans le récit de soi, l'introspection. Et pourtant, il parlait du cloisonnement, dehors sur le banc, avec une facilité qu'elle n'aurait pas crue possible. Il avait été honnête la première fois qu'ils s'étaient vus aussi, mais ça ne cessait de la surprendre. Elle le regardait avec de grands yeux ouverts, captant ses moindres expressions, intonations. Il ne ressemblait à personne qu'elle connaissait. "Kilcoy", répéta-t-elle, parce que la sonorité lui semblait amusante. "Tu m'as l'air assez sympathique avec moi, donc j'imagine que c'est avec les autres que t'es..." Méchant ? Dur ? Moins sympa ? Elle ne finirait pas sa phrase, et il comprendrait. "Tu as réussi à te faire des amis, à Brisbane ?" Ca devenait personnel très vite. Elle se dit que s'il lui rendait la pareille, elle en serait à balbutier, mais bon, fac de psycho. "Je ne t'ai pas demandé, mais comment va Sarah ?" Elle l'appelait par son prénom parce que Sofia lui en avait parlé mille fois et qu'elle ne voyait pas l'intérêt de feindre l'ignorance. "Vous êtes toujours..." Encore une fois, elle ne finit pas sa phrase. Ca allait finir par devenir une habitude, avec Amos. D'un autre côté, elle avait le sentiment que son cerveau tournait vite et bien. Et puis, ça lui donnait toujours l'opportunité de détourner la question en quelque chose de complètement farfelu s'il ne souhaitait pas répondre.

Le fameux journal intime des enfants. Lola eut un rire plein de ressentiment - elle avait la rancoeur qui durait, apparemment, parce que sa mère avait lu une page de son journal lorsqu'elle avait six ans, et que ça lui était resté. Mais elle voulut rassurer Amos : "Sofia comptait vous la faire lire. A toi et Sarah. Elle avait hâte de la finir pour vous l'envoyer." Et merde, les émotions qui remontaient, et rien à boire pour les assommer. Juste regarder le ciel, se concentrer sur le nuage qui passe, tiens il est joli le nuage, hein qu'il est joli le nuage. "Donc tu n'envahis pas sa vie privée. Elle voulait en faire son métier, peut-être. Enfin, elle y réfléchissait, en tout cas." Lola fit tourner son poignet pour se concentrer sur un élément physique, concret, corporel. Eviter à tout prix les images qui revenaient d'un coup, d'un seul. Elle regarda les yeux d'Amos et y trouva un peu du passé, un peu de Sofia, alors elle resta là, confortablement, en silence, et elle savait que ce n'était pas vrai, qu'il n'était pas Sofia, mais ce n'était pas grave, on a tous le droit à nos remèdes, et l'oeil bleu qui la fixait en retour en était un. Elle sourit, en se disant que sûrement il savait, que peut-être il savait, "Merci." Elle ne put s'empêcher de rire, comme si elle avait rechargé ses batteries, "J'aimerais bien pouvoir faire ça de temps en temps", que tu me laisses voir Sofia dans tes yeux, sans bouger, que t'attendes pendant que je la retrouve là.

"Un cadeau ?!" s'étonna Lola. Mais elle n'avait rien prévu pour lui. Ce n'était pas Noël. Ou un anniversaire. Ce n'était rien du tout. C'était une surprise, donc. Un geste de gratitude, peut-être ? Elle se demanda à toute vitesse ce que ça pouvait être, et les possibilités défilaient joyeusement dans son esprit, allant d'un porte-clé de Kilcoy à un chien (oui, ne me demandez pas, l'esprit de Lola fonctionne mystérieusement, moi je ne fais que vous raconter). Quand elle comprit qu'elle n'aurait pas accès au cadeau tout de suite, elle se mit à faire de petits bonds sur le banc, parce que maintenant elle voulait savoir quand même. C'était dans le coffre. Elle chercha des yeux la voiture. Laquelle de toutes était celle d'Amos ? Est-ce qu'une voiture ressemble à son propriétaire ? Il limita le suspense en lui révélant que c'était les comics de Sofia, et Lola en resta muette pour l'éternité. Ou pas. Mais il s'en fallut de peu. Elle tendit les mains. Dans un geste de : impossible d'attendre, de quoi parle-t-on, c'est LA bibliothèque de comics, elle les a touchés, elle les a lus, ça lui appartenait, ils sont tout près, ils sont où, il me les faut. Amos faisait un geste pour allumer une cigarette et Lola hocha frénétiquement de la tête, genre mais oui mais bien sûr mais ce n'est pas le sujet. Elle se leva, son thé et son café à la main. Termina le café d'une traite, décida de garder le thé pour soulager les émotions qu'il y aurait face aux comics. Jeta le café. "T'es garé où ?" Elle était prête à partir dans n'importe quelle direction en courant, peu importait.

@Amos Taylor
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyLun 24 Fév 2020 - 16:50




My worst pains are words I cannot say
Ai-je été moi-même surpris de mon intérêt soudain pour cette toile aux couleurs sombres ? Assurément, oui ! Ai-je envie à plus de quarante ans, de m’intéresser à l’art sous cette forme, moi qui suis incapable d’allumer la radio ? Qui n’ait plus écouté un seul morceau de musique depuis la mort de Sofia ? Non ! Pourtant, un sourire ému sur les lèvres, j’acceptai la proposition de Lola sans que je n’en sois réellement étonné. Son enthousiasme est un baume sur mes plaies. Sa joie de vivre me rappelle qu’il y a du bon en ce monde si lui on prête l’oreille et, si je ne suis pas prêt à lui tendre la mienne, je ne le suis pas davantage à lui faire de la peine. J’ignore si un refus l’aurait véritablement affectée. Je mise cependant sur la prudence. Je le dis régulièrement, mais il est des risques qu’il ne vaut mieux pas prendre, surtout lorsque les intentions de l’autre sont bienveillantes. L’homme ne l’est que trop rarement. La société et son modèle l’ont vicié. Lola semble être passée entre les mailles du filet et je souhaitai, pour elle, qu’elle ne s’y prenne jamais les pieds. « ça marche. On fera ça à l’occasion. Quand tu voudras. » lui cédais-je sérieusement, mais sans gravité. La conversation est légère. Elle le reste malgré ma colle. Elle ne sait comment qualifier ses parents et, j’avoue, ça m’amuse. Nous sommes tous passé par là. Moi-même, malgré mon âge, j’ai tendance à voir ma mère comme une vieille emmerdeuse, ce que je regrette aussitôt que je l’ai sous les yeux. Elle vieillit, comme nous tous. Elle n’est pas plus éternelle que moi ou mon père. Mais que puis-je y faire si sa sempiternelle manie d’agiter sa Bible sous mon nez m’irrite ? Peut-être qu’un jour prochain, je finirai par en rire, un peu comme Lola qui cherche ses mots, certes, mais qui semble avoir pardonné à ses parents leur imperfection. Elle ambitionnait d’être artiste. Il la rêvait médecin. Elle a savamment mêlé les deux avec passion. Elle ne saurait la cacher. Son débit de paroles s’accélère un peu. Ses pupilles s’allument et brillent. Elle est fière et elle peut. Elle a fait de son art un médicament pour les âmes blessées et, de mon point de vue, ça force le respect. Elle doit certainement être plus efficace que les réunions des alcooliques anonymes. Je m’y étais présenté une fois, une fois seulement. J’étais ressorti avec la conviction d’être un imposteur. Mais est-ce que ça compte comme une thérapie ? Dois-je hocher de la tête à sa question ? « Tu sous-entends que j’ai l’air d’un type qui aurait dû commencer par là ? » la taquinais-je pour gagner du temps et parce que j’aime bien le rire de Lola. Il dissimule les mêmes variations que celui de Sofia.

Sofia… même dans la mort elle arrive à prendre soin de moi. Sans elle, je n’aurais pas rencontré cette douce enfant qui ne sait pas grand-chose de moi, mais qui ne se méfie pas. Elle va jusqu’à me trouver sympathique et, cette fois, je ris de bon cœur. « Mais, c’est parce que je peux l’être. Et je ne le suis pas avec tout le monde. Seulement avec les gens que je n’arrive pas à cerner. » Mitchell Strange, son frère, Raelyn (à une époque révolue). « Et ceux que je ne connais pas du tout. » Ceux à qui je ne vois et que je ne regarde pas. Ça faisait partie du processus de cloisonnement. Je n’ai plus de place dans ma vie pour l’étranger et l’imprévu. Elle, elle tenait lieu d’exception. Elle avait été si proche de ma fille que j’avais le sentiment de la connaître déjà. J’avais foi au jugement de ma naïve poupée. Elle s’était trompée de routes, mais elle n’en restait pas moins une belle personne qui sut s’entourer avant qu’elle ne croise la route de ses bourreaux. « Mon frère, son parrain, vit ici. Son ex-femme aussi. J’avais déjà de nombreux amis sur place quand j’ai décidé de m’installer. C’était nécessaire pour moi, de quitter Kilcoy. » Une question de survie, mais je ne le précisai pas. Je ne lui fournis aucune autre explication non plus. Elle saurait. Elle comprendrait. Elle ne pourrait me tenir rigueur de ne pas avoir achevé cette sentence, elle ne terminait qu’une phrase sur deux.

Lorsqu’il s’agissait de ma vie privée, elle prenait de l’élan et, au moment de sauter, elle freinait des deux pieds. Je prêtais ce trait à sa délicatesse, ce qui justifiait sans doute que je ne m’enferme pas dans des secrets de polichinelle. « Et oui… nous sommes toujours mariés, si c’était ta question. » Je lui adressai un clin d’œil malicieux. « Mais nous sommes séparés. Elle a longtemps voulu divorcé. Je ne voulais pas. Maintenant que je suis décidé. Elle ne veut plus. C’est une histoire compliquée, mais je ne la brusque pas. » Je ne le fais jamais, avec personne, sauf en cas de force majeure. « Mais, elle a l’air d’aller plutôt bien. Elle voudra sans doute te rencontrer. Je te laisserai le choix de décider si ça te ferait plaisir ou non. » Une part de moi n’avait aucune envie de partager avec mon épouse ce bout de femme aussi rafraîchissant. Sauf que je ne suis pas de nature égoïste. Je n’avais à prendre de décision pour nul autre que moi. Cette forme de respect, oppressant, avait contribué à retenir mon geste devant l’enveloppe remise plus tôt par cette joyeuse interlocutrice. Transi d’inquiétude, convaincu que lire serait trahir la mémoire de la défunte, je fus heureux qu’elle me rassure. J’irai peut-être plus volontiers. J’y songe en tout cas, en silence, les yeux rivés sur ma voisine, mon café brûlant à la main. J’ignore ce qui motiva ses remerciements, son éclat de rire, ni même sa référence par rapport à sa dernière remarque. Qu’à cela ne tienne, j’ai haussé les épaules et j’ai murmuré : « de rien ». Dans le fond, je crois que j’avais compris. C’était simplement plus facile de jouer les imbéciles, aussi facile que de lui promettre un cadeau et de le lui décrire.

Je n’ai pas allumé ma cigarette pour maintenir le suspens à son comble. J’avais à cœur d’éteindre le feu désagréable qui me consume et, à aucun moment, je n’imaginai que Lola se montrerait aussi impatiente. Etait-ce un problème ? Au contraire. Son attitude me confirmait que c’était une bonne idée de lui confier les précieux de Sofia, de partager avec elle des souvenirs qui, pour moi, évoquent peu, mais qui semblent si important pour cette jeune femme. Moi, qui ai eu peur que ça soit un véritable crève-cœur, je suis doublement rassuré qu’elle soit ravie et qu’elle m’évite un long discours pour la convaincre qu’elle aurait beau faire, ma décision était prise. «  Un peu plus loin. Dans la rue parallèle. » répliquais-je entraîné par son mouvement. Comme elle, je me suis levé. J’ai écrasé mon mégot sur le banc et je l’ai inondé dans le marc de café vide de mon gobelet. Je trouverai bien une poubelle en chemin. « Allons-y. » Sur la route, je lui rapportai que Sarah était au courant, que je n’avais pas agi dans son dos. « Elle m’a assuré qu’en effet, tu en aurais plus de soin que nous. Il traîne dans sa chambre. Ceci étant, et je dois dire que je suis d’accord avec elle, j’aimerais que… si tu n’en as plus envie, s’ils sont pénibles pour toi pour une raison ou pour une autre. » Ton deuil inachevé. « De nous les rendre. On préfère les voir poussiéreux ou à toi que dans les mains de n’importe qui d’autres. » ça allait sans dire, mais je me sentis soulagé d’avoir exprimé cette requête. J’ouvris le coffre sur son trésor un peu plus léger. « Voilà… tout est à toi. » Suis-je ému ? Bien sûr. L’ai-je caché ? Aussi efficacement que possible.
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyLun 24 Fév 2020 - 21:26

Lola rougit, car oui, tout à fait, elle sous-entendait que ça ferait du bien à Amos d'aller en thérapie, et en même temps, pour qui se prenait-elle ? Avait-elle perdu un enfant ? Savait-elle ce que c'était de se réveiller le matin et de retrouver cette sensation, cette réalité, cette vérité ? Non, donc elle pouvait suggérer la thérapie, en parler légèrement, mais certainement pas donner des conseils sages et avisés à quelqu'un qui traversait l'enfer. Elle fut rassurée, cependant, qu'Amos le prenne sur un ton taquin et ne s'offusque pas ; elle aurait détesté une confrontation entre eux, une dispute, ça l'aurait terrassée. Elle le connaissait depuis peu, mais elle avait la profonde conviction que s'ils faisaient attention, ils pourraient continuer à se côtoyer, dans la bienveillance, avec une forme de prudence aussi, au fil du temps, au fil de la guérison et de la récupération. Ils seraient comme deux vétérans qui s'observent marcher de mieux en mieux au cours de la rééducation des parties blessées du corps. Ils seraient beaux et fiers et entiers un jour. Pas aujourd'hui, mais un jour.

Déjà, c'était rassurant qu'Amos parle d'autant de gens, ceux qu'il ne cernait pas (était-ce une étincelle dans ses yeux ? à qui avait-il pensé ?), ses amis, son ex-femme, tout dans une forme de sérénité, d'apaisement. Il aurait pu complètement s'isoler, ne parler à aucun être humain. Il aurait pu se noyer beaucoup plus qu'il ne le faisait dans des addictions diverses et variées, dans des formes d'auto-destruction que Lola avait beaucoup vues dans son travail à l'hôpital psychiatrique. Il aurait pu complètement renoncer, se laisser abattre, s'allonger sur des rails et attendre que le trail passe, mais il était là, debout, relativement sobre d'après ce qu'elle pouvait voir, et en tout cas pas défoncé ou sur le point de mourir. Lola s'en émerveilla tout autant que la première fois qu'elle l'avait vu, et éprouva beaucoup d'admiration envers lui. Elle avait envie de lui poser mille questions sur comment il faisait au quotidien, comment il gérait, ce qui le faisait tenir. Mais l'interrogatoire attendrait. Une chose à la fois.

"Je la rencontrerai si elle le souhaite. Et pareil pour les éventuelles tantes, cousines, grand-mères et amies d'école primaire. J'ai conscience d'être porteuse de souvenirs, d'une mémoire, et je comprends que ça puisse aider." Et c'était dur pour Lola de s'engager à tout cela, car rien dans cette histoire n'était simple, que raconter les dernières années de Sofia encore et encore serait probablement l'enfer, mais ce serait aussi beau, ce serait comme la faire vivre et revivre, encore et encore, ce serait comme souffler des bulles de savon multicolores dans le vent, elle y serait partout et elle y serait joyeuse et avec un futur prometteur. Et même si ce futur n'existait plus, ses proches méritaient d'y accéder, à cette potentialité, à ce moment où il avait été là. Oui, Lola rencontrerait toute personne qui le souhaitait, et cela, elle en aurait été incapable avant de voir la force d'Amos, et avant de trouver en lui une affection profonde qui se confirmait de minute en minute.

Une affection qui ne fit qu'augmenter avec la promesse de ce cadeau si extraordinaire qu'Amos et Sarah lui faisaient : la collection de comics de Sofia. Quel honneur. Lola se retenait de ne pas porter Amos jusqu'à la voiture pour qu'il aille plus vite, pour qu'il ouvre le coffre, pour que - Lola resta muette devant le coffre ouvert. Tout était là. Elle se pencha immédiatement. Elle avait entendu la promesse que lui avait demandée Amos, la même qu'elle lui avait demandée elle aussi au moment de lui donner l'enveloppe, "Je les garderai pour toujours", répondit-elle, "et si pour une raison ou pour une autre je déménage, je pars au Japon, et c'est un tout petit studio, alors je les laisserai chez toi pendant un moment, et puis quand j'aurai une plus grande maison, je les récupérerai." Probable qu'elle vive au Japon, de toute façon, mais il comprendrait le sens général de la chose. Et de voir les comics assourdissait le reste du monde, de toute façon, et elle ne disait plus grand-chose qui fasse sens, parce que tout ce qu'elle voulait, c'était rentrer chez elle et se mettre à lire. Elle se retourna vers Amos et lui fit un câlin. Tant pis pour les contacts physiques qu'elle abhorrait. Tant pis pour le fait qu'elle le connaisse mal. Tant pis pour les expressions d'émotion spontanée qui n'étaient pas socialement acceptables. Tant pis, tant pis, tant pis. Le câlin fut aussi bref qu'intense, et elle s'éloigna d'un pas, le regarda de haut en bas, "Je suis vraiment contente de t'avoir appelé".

Et déjà, son cerveau redémarrait, et elle comptait qu'il y avait une dizaine de minutes de voiture entre la galerie et chez elle, et elle but son thé, qui s'était rafraîchi, et elle se demanda si sa chambre était rangée, même si très clairement elle ne comptait pas inviter Amos à la visiter, d'autant plus qu'Auden était probablement à la maison, et qu'il regarderait d'un mauvais oeil la visite d'un inconnu de l'âge d'Amos dans la maison, et puis deux mâles alpha au même endroit ça risquait de faire des étincelles, bref Lola parcourut plusieurs alternatives possibles dans son cerveau, avant de revenir au présent et de planter ses yeux dans ceux d'Amos. "Tu peux me raccompagner chez moi s'il-te-plaît ? Mais je ne pourrai pas te faire visiter. Mais on peut discuter dans la voiture, et je monterai après. C'est juste que les comics -" sont lourds, et qu'elle avait envie de commencer à lire, et qu'elle sentait une envie pressante de se retrouver seule avec l'enfance et l'adolescence de Sofia, sous sa couette, en sécurité et au chaud, à analyser et décortiquer chaque page de ce trésor de collection.

Heureusement, Amos accepta, et ils montèrent dans la voiture. Lola renifla, et il y avait une vague odeur lointaine d'alcool, mais elle fit semblant qu'elle ne remarquait rien, puis se ravisa. "Amos, je suis désolée de poser la question, mais comme tu l'as remarqué, je ne suis pas très forte à me retenir de demander ce qui dérange...", elle grimaça, il n'avait pas encore démarré donc c'était le dernier moment pour le questionner là-dessus, et ce serait horrible, mais il n'y avait pas de façon de l'éviter, "tu n'as pas bu aujourd'hui ?" Elle plissa le nez, les yeux, la bouche, elle voulait se cacher et disparaître, c'était atroce de demander ça à quelqu'un, mais elle comptait vivre longtemps, et - Elle s'obligea à respirer. De l'oxygène dans le corps, voilà, c'est bien. "Aucun jugement dans les deux cas, hein, c'est juste que j'ai très peur en voiture depuis longtemps", vrai, "et que j'ai déjà été dans un accident lié à l'alcool", vrai, "et ça n'a pas forcément de rapport avec toi", faux, "mais c'est vrai que je comprendrais complètement si tu buvais souvent", trop loin, trop loin, alerte. Lola baissa la tête et ouvrit la portière pour sortir de la voiture. Elle dépassait les limites, elle se laissait avoir par ses émotions, elle n'était pas polie ou aimable, et heureusement qu'ils étaient encore garés et n'avaient pas encore bougé. "Tu préfères probablement garder les comics", lâcha-t-elle depuis le trottoir, abattue, désolée.

@Amos Taylor
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyJeu 27 Fév 2020 - 1:46




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Elle est sage, Lola. Elle est réfléchie également. Si j’élude une question – celle de la thérapie était un exemple notoire – elle n’insiste pas. Elle ne s’appesantit pas en regard oppressant ou attendrissant dans l’espoir que j’abreuve sa curiosité d’aveu dont j’aurais honte. Je suis aussi fort qu’il y paraît. Dans mon torse, mon cœur trébuche souvent. Ma tête vagabonde régulièrement vers des souvenirs insoutenables. Quelques soirs, je suis à peine capable de fermer les yeux de peur que les images les plus féroces qui accompagnent la mort de mon enfant m’assaillent jusqu’à ce que je plonge dans la folie. L’alcool est rapidement devenu un exutoire. À une époque, je les mélangeais au somnifère et le résultat était détonant. J’oubliais tout, mon prénom y compris. Je me sentais lourd. Ma poitrine était écrasée par l’angoisse, mais ma médication m’assommait assez pour que j’arrive à l’ignorer. C’était le sort que je réservais à mon prochain : l’indifférence. Je ne me mêlais que rarement aux Hommes pour me protéger de leur pitié. Ma solitude ? J’en avais fait une amie. Je me sentais à l’abri même si je provoquais ma chute. Je n’ai pas seulement perdu mon enfant, j’ai craché sur tout ce que j’avais de beau dans ma vie. Pourtant, l’idée de me confier à un psychologue quelconque me rebutait. J’estimais que nul n’aurait pu adoucir ma peine, personne, rien, si ce n’est le temps qui passe. C’est long cependant. C’est long et ça n’enlève rien à ce qu’elle me manque toujours, comme au premier jour. Mais, je marche, j’avance, je tiens debout, même si parfois je titube. J’arrive à sourire, à rire avec Raelyn, ce qui était assez inédit pour que je m’en tracasse, sans que la culpabilité ne m’écrase. Je parle, je discute et je me lie à une enfant pour ce qu’elle ressemble à ma gamine et ce qu’elle m’apporte en bons souvenirs.  « Tu m’aides, en effet. » admis-je non pour l’effrayer ou pour déposer sur ses épaules un fardeau qu’elle ne saura porter. Elle n’aurait pas les reins et, quand bien même, je serais honteux de me délester à son profit. « Mais, je ne veux pas t’accabler, tu sais. » Au contraire, j’aspirais à lui servir de béquilles moi aussi. Les Comics de ma fille, sa mère et moi n’avons pas décidé de les lui offrit pour qu’elle nous en soit redevable ou pour ranimer ses doutes, ses peurs et son mal. Nous espérions que le cadeau l’aiderait à terminer son deuil ou de rendre sa perte plus douce. Pas de piège donc. Pas de manipulation pour écrouer son existence à la mienne ou à la nôtre. Juste le geste gratuit de parents aimants qui veillent à ce que survive la mémoire de leur bébé.  

Heureux que Lola apprécie la démarche, je cède à son enthousiasme et je me lance dans la course jusqu’à ma voiture. Elle est pressée, la petite. Elle me rappelle Sofia aux portes d’un parc d’attractions. Elle prenait de l’avance, jetait un regard par-dessus son épaule, revenait vers nous et nous houspillait afin que nous accélérions le pas. Elle m’amusait, la jeune artiste et, tandis que j’ouvre le couvre sur les cartons pleins, alors que je soumettais à sa raison mes conditions, elle me promit, comme moi quelques jours auparavant, qu’elle ne s’en séparerait jamais. « Et si tu pars en Chine, en Italie ou ailleurs, c’est avec plaisir que je les garderai en transi et que je te les rendrai dès ton retour. » conclus-je d’un clin d’œil et quelque peu mal à l’aise et réellement surpris par son accolade. Elle fut courte, brève. J’eus à peine le temps de libérer mes mains qu’elle était déjà partie. Moi, je lui ai souri, sincèrement, alors qu’elle avouait ne rien regretter. « Et je suis ravi que tu l’aies fait. » répliquais-je convaincu de lui avoir soufflé auparavant, à une autre occasion. Quand elle quitta mon bateau peut-être ? Je n’en étais plus certain et dans l’absolu, ça n’avait que peu d’importance. Je me demandais déjà ce qui la poussa à préciser que, si j’étais autorisé à la ramener, je ne serais pas invité à monter. Avais-je l’air de quelqu’un d’intrusif ? De malappris ? Est-ce que je la mets mal à l’aise ? Ai-je le droit de poser la question ? Oui ! Évidemment que c’était légitime. Le non-dit ne nous apporterait rien d’autre que des malentendus et des quiproquos regrettables. « Il n’y a pas de mal, Lola. Tu n’es même pas obligé de rester avec moi dans la voiture pour discuter, même si j’aime bien discuter avec toi. » Je ne me justifie pas, je l’éclaire, je désamorce la bombe du quiproquo. « Je peux les monter jusqu’à ta porte et m’en aller comme je suis venu. » J’avançai d’un pas puisqu’un mouvement tend à attirer l’attention et que j’avais besoin que la sienne se détourne de mon coffre. « Je ne veux pas que tu sois mal à l’aise avec moi. Ou que tu te sentes obligée à quoi que ce soit. » La messe était dite. Rien de grave sous le soleil. Parfait. J’étais rassuré. Il ne me restait plus qu’à accepter.

Je m’apprêtais à tourner la clé de contact dans le démarreur lorsque Lola m’interrompit. Il avait suffi qu’elle me hèle pour que j’arrête mon geste et, heurté par son hésitation, j’ai déposé ma main vide sur mon genou et je l’invitai à poursuivre d’un signe de tête encourageant. Je m’attendais à tout et, surtout, à quelque chose qui serait susceptible de me déplaire étant donné sa mine contrite et ses grimaces. L’avantage de sa transparence et de mon amour pour le poker, c’est que je dissimulai efficacement que je n’étais pas blessé, mais désarçonné d’avoir été percé à jour. Est-ce lié à mon odeur ? Je fais attention cependant. Je n’ai pas l’air d’un clochard. Je prends soin de moi, pas à l'excès, mais comme il faut. Alors, quoi ? Qu’est-ce qui l’a mise sur la piste ? Ma descente sur mon bateau ? La vitesse à laquelle je me resservis et engloutis mes verres ? Mon regard devenait-il vitreux ? J’avais bu évidemment et, détestant l’hypothèse où je lui mens éhontément, j’ai soupiré. « Tout le monde juge, Lola. » remarquais-je sans animosité. J’étais surtout désolé à l’idée de la décevoir. Je n’avais pas envie d’induire de la méfiance en elle. « Regarde, tu le fais déjà, mais ce n’est pas grave. Et détends-toi, je comprends, je ne suis pas fâché. » Je n’aurais pas apprécié que Lola mésestime nos conseils en prenant le risque de s’aventurer en voiture avec un presque inconnu qui a tout d’un alcoolique. Je ne classais pas dans cette catégorie de gens. J’avais un problème avec le whisky, mais je fonctionne. Je réfléchis et j’agis. J’ai conduit jusqu’ici sans jamais mordre sur la ligne blanche qui sépare les bandes de circulation sur l’autoroute. « Tu as bien fait de me poser la question. Tu sais ce qu’on va faire ? » ponctuais-je d’un hochement de la tête. « Je vais appeler un taxi. On va charger le coffre. Je te les dépose, je te les monte et… puis…. » Quoi ? On ira boire un verre ? Je n’oserais plus. Je laisse le silence s’installer. J’ai ouvert la vitre de la voiture pour qu'un peu d'air frais s'infiltre dans l'habitacle. J’ai le sentiment d’étouffer. « Je ne suis pas alcoolique, Lola. » me justifiais-je, honteux, devant cette enfant bienveillante qui semble réellement s’inquiéter pour moi. « Je bois parce que…. » Je n’ai pas le choix ? On l’a toujours ! «…parce que c’était ça ou arrêter d’essayer de m’en sortir. » Ça ou me laisser crever. Ça ou me pendre.






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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyJeu 27 Fév 2020 - 20:37

Elle l'avait dit. Face à un homme qui avait tout perdu, Lola aurait pu fermer les yeux. Elle aurait pu ignorer les douze indices qu'elle avait eus déjà de l'alcoolisme d'Amos, dont les mains qui tremblaient parfois, sa descente d'alcool, le fait qu'il arrivait à dormir sans médicaments prescrits par un psychiatre malgré une détresse évidente, une odeur très légère dans la voiture. Elle aurait pu faire semblant, puisqu'après tout ils n'étaient rien l'un pour l'autre, rien de plus que deux inconnus qu'une morte réunissait. Mais Sofia était plus qu'une connaissance pour Lola. Elle avait été comme une petite soeur, une cousine, un membre éloigné de la famille dont on se sent plus proche que n'importe qui d'autre, une amie, une confidente, un oeil critique, une élève, une disciple, une fenêtre sur un ailleurs, un espoir, un idéal, un optimisme. Sofia avait été toutes les couleurs de l'arc-en-ciel pour Lola, et maintenant qu'elle se retrouvait face à son père, à cet homme qui avait perdu bien plus qu'elle, qui s'était perdu lui, elle ne pouvait pas faire semblant que tout allait bien, elle ne pouvait pas devenir co-dépendante, elle avait lu tous les livres sur le sujet et ne pouvait pas en faire partie. Bien sûr, elle aurait pu juste demander à prendre un taxi depuis le début, ou refuser les comics, ou les apporter dans la galerie et demander plus tard à Auden de la raccompagner avec les comics. Il y aurait mille façons autres qu'aborder le sujet.

Le truc, avec Lola, c'était que les sujets dont il ne fallait pas parler, elle les ressortait toujours, sans cesse. C'était peut-être une maladie, une pathologie, ou peut-être juste la conséquence de grandir dans le silence et le déni, la mélancolie des dialogues qu'on étouffe, des douleurs qu'on médicamente. Alors, elle l'avait dit, et c'était trop tard, c'était là, ça changeait tout. Une fois qu'on parlait d'addiction, il n'y avait plus de retour en arrière, on ne pouvait plus se voiler la face ou prétendre qu'on parlait d'autre chose, on était là et on savait. Et c'était difficile de faire des blagues sur quelqu'un qui s'auto-détruit parce qu'il a perdu sa fille. Lola aurait pu essayer, elle était également très forte dans tout ce qui touche à l'humour pas si politiquement correct que ça. Mais elle n'en avait pas envie, elle n'en avait pas la force, et elle avait terriblement peur de perdre un homme qu'elle venait de rencontrer et qu'il lui semblait important de garder dans sa vie, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas. Pourtant, elle savait que si Amos avait à choisir entre l'alcool et elle, il la ferait disparaître de sa vie plus vite qu'une bourrasque claque une fenêtre. Elle avait le choix entre le protéger lui ou se protéger elle, et elle le choisit lui, car sa vocation avait toujours été d'aider, et rien ne changerait cela, pas même l'intuition qu'ils pouvaient s'apporter beaucoup l'un à l'autre.

Alors, lorsqu'Amos essaya de changer de sujet, en proposant une solution - les addicts sont pleins de solutions alternatives -, Lola ne répondit rien. Elle attendit en silence qu'il fasse le tour, qu'il revienne, qu'il parle du vrai thème. Et il le fit. Il nia être alcoolique, et elle baissa la tête avec un sourire d'une tristesse infinie, regardant ses pieds, une mèche tombant sur le côté de son visage, avec une envie de disparaître plutôt que de dire les mots qui allaient sortir par eux-mêmes, parce qu'elle était incapable de s'en empêcher. Elle le laissa terminer cependant. Elle eut ce respect-là. De l'entendre dire que c'était ça ou mourir. Et elle comprenait tellement. Et elle comprenait aussi que l'alcool à cette dose-là était une mort-en-vie, était une lente agonie, une coupure des sens, de l'intellect, une entrave à l'existence telle qu'elle peut être, une dérélicition du corps, comme un choix de se punir, un choix de s'annuler, de ne plus faire partie des sensations si fortes qu'on éprouve chaque jour, de l'angoisse avant de dormir, des sanglots qui ne cessent pas, de cette sensation qu'on ne peut plus respirer tellement la douleur est présente. Lola savait tout ça pour l'avoir vu de près, et elle ne parlerait pas de sa propre histoire, parce que ça n'avait pas lieu d'être, mais elle n'arrêterait pas d'insister non plus. Et ils étaient là, dans la voiture, et elle se faisait petite, mais elle sentait la voix grandir en elle, et bientôt, ça y est, elle parlait, et qui allait l'en empêcher ? Peut-être qu'il lui demanderait de descendre. De toute façon, c'était trop tard. Les choses seraient dites. Et c'était soit mieux, soit pire, mais ça changeait tout.

"Il y a des réunions Alcooliques Anonymes dans l'hôpital où je travaille. J'y suis allée quelques fois, à une époque où je pensais en avoir besoin. J'ai réalisé que je n'avais pas d'addiction à proprement parler, juste un besoin de connecter à un groupe. Mais j'ai entendu leurs témoignages. Certains ont vécu des choses comme toi. D'autres pas du tout. Ils disent tous des phrases comme la tienne. Comme le fait que c'était ça ou pire. Ils disent tous que c'était ça qu'ils croyaient pendant que l'addiction les tenait. Que l'addiction les protégeait. Et je crois que c'est vrai. Je crois que l'addiction protège d'un million de choses. Je crois que c'est déjà difficile de vivre dans un monde aussi bouleversant que le nôtre, aussi terrifiant et aussi injuste. Je crois que ça ne veut pas dire qu'on devrait y renoncer. Si tu veux, je peux aller avec toi à une réunion. Tu peux écouter, tu n'es pas obligé de partager. Tu peux voir si ça te fait du bien, si tu comprends ce qu'ils disent. En revanche, il faudrait y aller le matin, parce que tu n'as pas le droit d'avoir bu quand t'es là-bas, ce n'est pas juste pour les autres, ils le sentent, c'est comme un sixième sens. On peut y aller une seule fois, et tu peux me dire ce que t'en penses."

Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse. Il n'y avait pas de façon de se sortir de cette conversation sans passer par trente-six nuances de malaise et de honte, des deux côtés. Lola était une étrangère pour Amos. Amos était un étranger pour Lola. Et pourtant, ils étaient en train d'avoir une des discussions les plus intimes qu'on puisse avoir avec quelqu'un : celle des mécanismes de défense, celles où on pose les cartes sur la table et on se dit que oui, on a mis des remparts entre nous et le monde, parce que le monde a essayé de nous détruire, et qu'on veut juste survivre, on ne veut même pas gagner, il n'est pas question de triomphe ou d'échec, on veut juste être là, un peu plus longtemps, et on n'est pas sûrs de comment. Bien sûr, Amos n'était pas allongé par terre, à tendre une main pour qu'on lui donne de la monnaie, de la monnaie qu'il échangerait contre une petite bouteille de whisky. Bien sûr, il était fonctionnel et maintenant sa vie par les deux bouts, par un bout, par suffisamment de bouts. Bien sûr, il s'en sortait à peu près, et c'était d'autant plus admirable qu'il aurait pu, effectivement, juste se pendre. Mais à peu près, ce n'était pas assez, parce qu'il méritait d'aller bien, il méritait d'être heureux, il méritait de ressentir chaque sensation, car après la peine allait venir l'incroyable gratitude de tout ce qu'il restait. Et cela n'était accessible que pleinement en maîtrise de ses facultés et sensations. Lola se dit que si Sofia avait été là, elles auraient fait une intervention ensemble, et ç'aurait été complètement différent. Lola se dit que si Sofia avait été là, elles n'auraient pas eu besoin de faire une intervention, parce qu'Amos n'aurait pas eu besoin de la bouteille pour tenir. Lola se dit que si Sofia avait été là, elle se serait moquée d'elle d'essayer à ce point d'aider des gens qui ne lui avaient rien demandé, comme le jour de la machine à café, comme le jour où elles s'étaient rencontrées.

@Amos Taylor
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyDim 1 Mar 2020 - 19:31




My worst pains are words I cannot say
Au départ, j’ai fait mine de ne pas comprendre ce que Lola était en train de faire. J’ai essayé d’ignorer les tenants et les aboutissants de sa question pour m’éviter toute forme de remise en question. Qu’aurait-elle eu à m’apporter, l’introspection ? Une prise soudaine de confiance ? Une envie subite d’aller mieux ? L’acceptation de mon état de ma pathologie ? Je me suis rendu aux alcooliques anonymes. Je me suis mélangé à ces hommes et à ces femmes qui ont tout perdu, sont que leur inconscience avait poussé à commettre des actes ignominieux ou dont ils ont honte. Je ne les ai pas écoutés jusqu’au bout. Je pense même les avoir toisé et méprisé intérieurement, estimant que moi… moi je suis au-dessus de leur addiction puisque la mienne, ce sont les jeux d’argents, les cartes à proprement parlé. Le Whisky, c’est mon partenaire, celui qui tient loin de moi les insomnies et les angoisses. Il m’aide à fonctionner, à avancer et à réfléchir. Ne serait-il pas tout le contraire si, comme elle le prétend, l’alcool était un danger pour moi-même et pour les autres ? Ne me rendrait-il pas malade, réellement ? Mes réflexes en seraient amoindris, je m’humilierais en public et j’en passe. Manquerais-je de dignité ? Est-ce ce qui mit Lola sur cette piste ? Est-ce pour cette raison qu’elle n’entend rien à ma remarque ? Qu’au contraire, elle s’obstine à me prêter les mêmes besoins qu’à ceux qui foulent le sol des Eglises ou d’autres organisations laïques pour puiser dans le malheur des autres de quoi se motiver à ne pas arroser notre vie d’un quelconque tord-boyaux ? Suis-je pitoyable et pathétique à ce point ? Je ne saurais dire si je suis vexé parce qui ressemble à de l’entêtement ou touchée parce qu’elle s’inquiète pour moi. En revanche, je sais que ses mots me heurtent plus que de raison. Est-ce parce qu’elle sème au milieu de ces mots quelques confidences ? Pourquoi le fait elle, d’ailleurs ? Est-ce pour me pousser à ne pas me braquer ? A accepter son invitation ? A réaliser ? Cherche-t-elle à me déculpabiliser ? Une fois encore, je suis perdu. Je la regarder, les yeux ronds, respirant profondément l’air qui me vient de la fenêtre ouverte, sans trouver quoi que ce soit d’intelligent à lui répondre. « Lola, je… » tentais-je en vain. Je bredouille. Mes mains moites frottent mon visage. J’ai le sentiment d’étouffer, d’être acculer au bord du falaise. Derrière moi, c’est le vide. Devant moi, cette jeune femme déterminée que je n’ai aucune envie de blesser alors qu’elle m’assomme à coup d’audace. « Ce n’est pas pour moi. Je t’assure. Je… » Nouvelle tentative de défense. Elle tombe à plat elle aussi, parce que j’ai beau me boucher les oreilles en geste invisible, je me reconnais dans son discours et ça m’effraie.

Moi, je ne cherche pas à me connecter à un groupe, mais à m’en isoler. Je ne vise pas le suicide lent et indolent en m’abreuvant d’alcool parfois si fort qu’il est aussi agressif que de l’éther. Je me protège, au même tire de ceux qui lui rapporta leur histoire. Je me protège, mais je ne renonce pas. Je me bats encore. J’ai ramassé mes armes pour mener à bien ma vengeance, pour laver l’honneur de Sofia, pour qu’elle repose en paix et que je puisse m’endormir en m’adressant à son souvenir sans plus avoir honte d’avoir été un père imparfait. Est-ce avouable devant cette jeune femme ? Pourrais-je lui faire perdre son temps en acceptant qu’elle m’accompagne à une réunion où j’ai l’intime conviction d’être un intrus ? Ne me sentirais-je pas outragement coupable de lui donner un versant de ma croix pour qu’elle m’aide à la porter ? Ses épaules sont trop faibles. Elle pense s’en sortir malgré son deuil. Elle croit être assez forte pour me soutenir à bout de bras, mais d’autres s’y sont cassés les dents avant elle, d’autres qui ont signé pour ça. « Je n’ai pas ma place là-bas. Je sais que tu as déjà dû entendre des tas de gars comme moi qui disent ne pas être alcoolique, mais qui dans le fond, le sont vraiment. » Je ne suis pas persuadé que ma remarque soit très cohérente, mais qu’à cela ne tienne, je poursuis. « Mais, je t’assure, je ne suis pas comme eux. » J’ai néanmoins évité de lui faire l’affront de prétendre que j’arrête quand je veux. « Je sais que je bois beaucoup, mais ce n’est pas une addiction comme tu l’entends. Je ne fais rien de dégueulasse ou d’inconscient. » Sauf mettre sa vie en danger, ai-je songé soudainement mal à l’aise.  « Je n’aurais pas dû te proposer te ramener avec les BD, c’est vrai, mais… »Que suis-je en train de faire exactement ? Me justifier ? Et depuis quand ? J’ai ce genre de pratique en horreur. Je n’ai que rarement rendu de compte à Sarah. Je n’en rends pas à Raelyn qui, pourtant, est celle qui, de part notre relation, semblerait la plus prompte à en recevoir. Même Olivia, ma seule amie qu’il me reste, ne s’est jamais risquée à me poser une question sur mon emploi du temps, mes sentiments et leur force, ma robustesse ou ma fragilité.

Dès lors, pourquoi l’accepter d’une gamine, alors ? Parce qu’elle ressemble à Sofia ? Parce qu’elle l’a bien connue ? Parce que son sourire me rappelle le sien et que sa joie de vivre souffle sur mon existence un vent nouveau ? Celui de croire encore que l’Homme n’est pas qu’une ordure égoïste, vile, sans âme, qui détruit tout sur son passage au profit de ses intérêts ? « Est-ce que je te fais pitié, Lola ? » ai-je fini par demander, passant du coq à l’âne. « Parce que si c’est ça, tu devrais t’épargner ça. J’ai vécu des moments très difficiles. » Où je n’étais plus qu’un déchet. « Mais, je suis là. Je bosse, je m’occupe et si elle est toujours là. » Plus que jamais. « Si je souffre encore. » A quoi bon le cacher ? « Je ne suis pas à plaindre et tu n’as pas à t’inquiéter. Si j’étais alcoolique, je le saurais et j’agirais. Et dans ce cas-là, je ne manquerai pas de vérifier si ton invitation tient toujours.» lui affirmais-je, la rassurant d’un sourire que j’ai souhaité aussi agréable que possible. La discussion était plus ou moins close. Peut-être ne se contenterait-elle pas de cette explication, Lola. Elle avait l’air têtu, mais je n’aurais juré de rien. « Comment veux-tu qu’on s’organise pour les BD ? » J’ai volontairement détourné la conversation pour nous ramener à ce qui comptait vraiment aujourd’hui. Je ne regrettais toujours pas mon choix cependant. Elle était à elle et, si sur l’heure, je me sens agacé, je ne lui en voudrai pas. Pas le moins du monde.







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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyDim 1 Mar 2020 - 22:33

Un épuisement s'empara de Lola, qui allait bien au-delà de quelques nuits au sommeil léger, des altercations récentes chez les McGrath-Williams, de ses doutes et questionnements amoureux, de ses tentatives ratées de peindre récemment. C'était une fatigue qui vous mouillait jusqu'aux os, qui vous prenait et vous berçait pour vous endormir où que vous soyez, tel un narcoleptique. Lola ressentait le contre-coup de l'empathie immense qu'elle avait mis pour se mettre sur la fréquence d'Amos et recevoir la gigantesque vague de ses tourments. Elle avait ouvert les vannes pour apprendre à le connaître, pour l'aider, lui tendre la main, et elle en payait maintenant les conséquences. Pourtant, s'il avait été question de revenir en arrière, elle aurait dit exactement les mêmes mots. Elle ne s'en voulait pas d'être honnête ; elle savait qu'elle ne pouvait pas agir autrement, que ce n'était pas dans son code de comportement, son éthique. Au-delà de l'aspect légal de non-assistance à personne en danger, il y avait surtout le sentiment d'avoir été mise au monde pour sauver son entourage, et Amos était devenu une partie de son entourage beaucoup plus vite qu'elle ne l'aurait cru. C'était une évidence, pourtant, et ce n'était pas prêt de s'estomper, quelle que soit sa réponse.

Tandis qu'il se débattait sur la légitimité linguistique d'être un alcoolique ou pas, sur son appartenance à un groupe d'anonymes ou pas, sur le fondement des propos de Lola, elle ne disait rien. Elle n'avait plus rien à dire sur le sujet. Il l'avait entendue, elle le voyait, car elle scrutait son visage et y observait mille traces des émotions et questions qui le traversaient. Le message était passé, et il n'y avait rien à rajouter. En revanche, lorsqu'il employa le mot de pitié, Lola sentit une étrange colère l'envahir, celle d'être mal comprise, mal vue, et ses sourcils se froncèrent automatiquement, mais elle attendit qu'Amos termine avant de répondre. "La pitié est la sensibilité aux souffrances d'autrui." Elle ne put réprimer un sourire car elle venait de lui sortir la définition littérale du mot, comme si cela expliquait tout. "Pardon, mes restes de fac de psycho." Elle secoua la tête, car elle voulait qu'il comprenne. "On l'utilise péjorativement comme si c'était une insulte. Mais ce n'est pas une attaque d'éprouver de la pitié." Elle se retenait d'utiliser des gros mots, comme si c'était une figure paternelle quoi qu'il arrive, comme si avoir enfanté Sofia faisait d'Amos un père au sens large. "Ca veut juste dire être capable de ressentir la souffrance de l'autre et vouloir qu'il aille mieux. Ca veut juste dire que toi et moi, et toi encore plus que moi, on a vécu quelque chose d'insoutenable, d'interdit, d'impossible, qui ne se réparera jamais, et qu'on doit se serrer les coudes, parce que personne ne comprend, et que personne n'a à comprendre, et que je ne souhaite à personne de comprendre." Ah, se dit-elle, elle était énervée parce qu'elle sentait qu'il l'excluait de ce rôle, que sous couvert de vouloir la protéger, il l'éloignait, et c'était insupportable, c'était injuste, elle n'avait parlé que pour son bien.

"Pardon, je me suis emportée." Lola baissa les yeux. "Pour la BD, je vais prendre le carton et appeler un taxi. J'ai besoin d'être seule, un peu. Je suis désolée." Lola se força à regarder Amos dans les yeux, car elle ne voulait pas le laisser avec le sentiment qu'ils ne se reverraient pas, qu'il la dégoûtait, qu'elle voulait couper les ponts. Car c'était tout le contraire qui était vrai, justement. "Si tu le souhaites aussi, ça me ferait plaisir qu'on se revoie bientôt. Donne-moi un peu de temps ? Je t'écrirai un texto. Je n'aime pas trop passer des appels. Je t'écris un texto, et si tu ne me réponds pas, je comprendrai que tu ne veux plus me voir." Elle ne comprendrait pas du tout et elle lui en voudrait pendant longtemps, mais avec le temps, elle parviendrait à le pardonner, elle le savait. Il n'avait aucune responsabilité envers elle. Il pouvait disparaître. Ca ne regardait que lui. Elle ferma les yeux, reprit son souffle, et conclut : "C'est vraiment important pour moi qu'on continue à se voir." Parce que la vérité était importante aussi, sa vérité à elle, et ce serait peut-être la dernière opportunité qu'elle avait de le lui dire.

Lola descendit de la voiture, prit le carton de BD, et marcha de retour vers la galerie - où elle ferait une pause café et biscuits avant de repartir vers chez elle. Elle avait besoin d'être seule, besoin de faire le point. De se recentrer pour mieux redémarrer.

@Amos Taylor
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Message(#)My worst pains are words I cannot say EmptyMar 3 Mar 2020 - 0:07




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Et malgré son sourire, je ressens toute sa peine provoquée par mon déni et par ce mot qui, à mon sens, est plus proche de l’insulte que de la clémence. Pourtant, à aucun moment, je n’eus le sentiment que son but avait quitté le dernier au profit du premier. Dès lors, je reste interdit face à sa réaction nerveuse et spontanée, celle qui l’oblige à réciter les définitions d’un syllabus. Est-ce que je suis pour elle ? Un cas d’école ? Une pauvre âme à sauver de l’autodestruction ? D’instinct, je me serais volontiers rencogné contre mon siège. Or, je l’écoute avec une abnégation sans borne. Je bois ses paroles parce qu’elles ne sont pas seulement teintées de contrariété, elles sont également jalonnées de vérités. Quoiqu’elle soit différente, cette douleur provoquée par la mort de Sofia nous a heurté tous les deux. Elle est tangible, presque concrète. Je tendrais la main qu’elle me happerait tant cet échange est brusque et violent, autant pour Lola que pour moi. J’ai envie de lui dire qu’à aucun moment je n’ai voulu cracher dans la main qu’elle me tend si gentiment. J’aimerais trouver la force de la rassurer et de la bercer de l’illusion qu’elle se trompe, que je vais bien ou bien mieux, que j’avance la tête haute, que j’ai retrouvé tout mon panache et que jamais, en me regardant dans le miroir, je ne me déteste d’avoir été un père lâche. Je souhaiterais être capable de lui mentir pour gommer l’image de moi et en peindre une plus belle. Sauf que c’est impossible. J’ai manqué de tact et de délicatesse. J’ai oublié que la fragilité de cette jeune adulte est éloquente, que ses gestes, ses questions, son côté imprévisible qui la rend si touchante et qui m’ébranle, trahissent cette empathie qui, au terme, la rendra malheureuse. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Ma confiance en moi s’est étiolé année après année. Parfois, lorsque je suis seul, j’aimerais me laisser aller à pleurer mon bébé dans l’espoir que décharger mes émotions me sera profitable, mais je suis tari. Je suis vidé de tout espoir parce qu’il m’a été arraché avec vigueur. C’est triste à dire, mais cette scène au cours de laquelle je suis plus muet qu’une pierre tombale, me rappelle pourquoi je reste à l’écart des autres, mes proches y compris. Je me souviens des raisons qui, trop souvent, je rêve de m’isoler loin des Hommes. Je ne me méfie pas tant de leur pitié que de ma toxicité. Car, c’est ce que je suis. Je mens à quiconque m’approche, moi le premier. Je nourris des projets machiavel et, à chaque fois que j’approche de mon dessein, je vends mon âme au diable. Est-il bon d’entraîner cette délicate demoiselle dans ma chute vertigineuse ? Je ne suis pas encore tombé, mais tôt ou tard, ça arrivera.

Ne devrais-je pas la garder à bonne distance de mes échecs de peur que mon mal ne déteigne sur elle ? Ne vais-je pas la briser si, d’aventures, je l’autorise à s’inquiéter pour moi ? Si j’alimente son besoin de me secourir ? « Se serrer les coudes, Lola, c’est t’empêcher de te battre plus que moi, pour moi. » ai-je confessé plus librement que je n’aurais dû. C’est pourtant net dans ma tête. Je ne suis pas certain d’avoir envie d’être tiré des sables mouvants dans lesquels je m’enfonce, pas si elle doit en payer le prix et se briser les reins de s’y être essayé. Dès lors, suis-je égoïste d’être sensible à ses aveux ? Et ses excuses ? Dois-je les accepter ? « Tu n’as pas à être désolée ou à me demander pardon. C’est souvent l’effet que je fais autour de moi. » ai-je ponctué d’un sourire que j’ai désiré rassurant et encourageant. « Ne te mets pas martel en tête. Tu as été honnête et personne ne devrait se sentir mal à l’aise de l’être. » J’étais, par ailleurs, intimement convaincu que cette culpabilité déplacée contribue à rendre ce monde complètement fou. Elle le dérègle, tout simplement. « Prends le temps qu’il le faut et sois sûre que je te répondrai. » Une fois encore, mes lèvres se sont fendues dans un semblant de sourire, mais j’ai douté de son efficacité. « Tu me feras un compte-rendu de tes lectures, d’accord ? » ai-je proposé en référence à mon cadeau, celui qui lui revenait de droit. « Parce que c’est important pour moi aussi. » Parce que tu lui ressembles, parce que je la retrouve à travers toit, parce que ta présence m’est salutaire, même quand tu t’immisces dans ma vie privée et que tu t’emploies à nommer mes addictions, ai-je pensé sans mot dire. C’est malsain. J’en suis conscient. Nous sommes proches du transfert qui, tôt ou tard, nous oppressera. « Essaie de ne pas trop te tracasser et de passer une bonne journée. » ai-je conclus tandis qu’elle sortait de la voiture, me laissant seule avec mes questions et mes douloureuses remises en question. Une autre épreuve m’attendait aujourd’hui. Mais, je l’affronterai plus tard, après quelques verres, après m’être convaincu que permettre à Raelyn de soigner mes plaies était plus sain que tout le reste, que tout ce qui fait ma vie d’aujourd’hui.



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