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 Ceux qui souffrent, survivent. - Peter

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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyDim 23 Fév - 2:10


Dublin, Irlande, Hiver 2016.
Harvey a obtenu son diplôme d’ingénieur en mathématiques appliquées. Il prépare son doctorat à la célèbre académie de Trinity College, mais l’écriture de sa thèse s’avère très laborieuse à cause de ses activités extra scolaires. En colocation sur Waterloo Rd avec d'autres jeunes qu'il évite généralement, Harvey se perd de plus en plus et peine à raccrocher à la vie. C’est un soir d’hiver qu’il va faire la rencontre de @Peter Mulligan l'un de ses colocataires...
→ Ça n’avait pas pris bien longtemps pour que tout flambe et que tous les efforts amassés depuis plusieurs années s’effritent, puis tombent en poussière… Non, ça n’avait pas été si long, moins d’une décennie, à peine ; sept ans, pour être précis. Sept longues années à trainer ma carcasse vide dans les rues pavées de la capitale irlandaise à l’affût du moindre souffle d’air pour inhaler un peu de vie et insuffler un brin d’espoir dans mon corps meurtri, à la recherche d’un peu de répit jusqu’à la prochaine secousse, la prochaine beuverie, le prochain ring… La violence, profondément inscrite en moi depuis l’enfance, enracinée dans ma chair et mes os, avait croit avec le temps et, de petite fureur elle était devenue une rage innommable capable du pire et difficilement maîtrisable. Je me trouvais constamment à la bordure, oscillant comme un funambule sur un fil tendu, en équilibre précaire, et à chaque pas la menace de la chute me paralysait avec effroi. Car il y a des gouffres d’où on ne ressort pas indemne, et le précipice au-dessus duquel je tanguais en permanence était prêt à m’absorber et à me vider de toute chance de réussite. Voué à l’échec, je luttais pourtant et suivais avec grande difficulté un cursus scolaire compliqué qui me demandait une implication et un sérieux au-delà de ce que j’avais pu imaginer. J’aurai pu me contenter du simple diplôme d’ingénieur (pas si simple que ça d’ailleurs), mais poussé par l’enthousiasme de certains qui m’avaient fait miroiter une carrière d’exception, je souhaitais forcer ma chance jusqu’au doctorat et je me confrontais à la dure réalité de l’exercice – tout en me satisfaisant de voir mon visa d’étude prolongé car la peur de revenir au pays persistait en dépit des années. J’y croyais pourtant à ce nouveau départ, à la chance de refaire ma vie loin de l’Australie, loin de la terre de tous mes soucis, là où se trouvaient encore ma mère et mon frère tous deux enfermés dans un passé que je ne cessais de fuir. Je croyais, bêtement, irrationnellement, qu’en prenant l’avion et en m’installant à l’autre bout du globe, je me délestais du poids de mes problèmes et de mes souvenirs ; je croyais qu’il suffisait de fermer la porte sur le passé et d’en ouvrir une autre sur l’avenir pour ne plus être hanté par les traumatismes, relayés sans cesse par la mémoire du passé. La vérité, c’est qu’aujourd’hui encore je suis soumis à leur violence et à leur écrasante réalité. La fuite n’a pas réussi à les distancer, ils me rattrapent et m’emprisonnent dans leur brutalité que j’extériorise avec les poings dès que possible.


Ce soir ne fait pas exception : sous la pluie fine typique du pays, d’une démarche mal assurée je rentre sur Waterloo road. L’haleine corrompue du whisky m’enveloppe tout comme les effluves ferreux du sang séché imprégné sur la peau de mes phalanges blessées. La pluie ne lave pas tout, certaines traces sont trop profondément enlisées dans les plis de nos cicatrices si bien qu’elles font corps avec le reste : la souffrance, la colère et la honte, émotions subversives qui ne cessent de nous torturer.  Par quel miracle, je l’ignore, j’arrive à retrouver mon chemin et après un long moment passé à chercher mes clés (qui se trouvent dans ma poche, à leur place habituelle) en psalmodiant tout un tas de jurons plus ou moins gracieux, je pénètre dans la maison silencieuse. Mes colocataires sont absents ou dorment, peu importe car leur sort ne m’intéresse pas et l’unique raison pour laquelle je partage mon logement avec de sombres inconnus, c’est le prix des quittances de loyer à Dublin – pour le reste, je m’en fiche éperdument. La porte d’entrée claque derrière moi et je m’ébroue un instant, tel un grizzly à l’entrée de sa tanière, projetant sur le sol et les murs des gouttelettes de pluie. Ma vision est floue, peut-être est-ce dû à une droite bien placée car ma mâchoire est encore douloureuse, mais je ne me souviens plus vraiment des combats que j’ai mené. J’ai gagné, je crois. Je n’en suis définitivement pas sûr, et pour ce que ça change en réalité ! Je ne suis pas parieur, l’argent est une denrée trop rare pour que je la gaspille connement et j’en ai besoin. Pour payer les factures, pour entretenir Daisy que j’ai fait ramener jusqu’ici et qui dort tranquillement dans la cour – la pluie a tendance à la faire rouiller alors j’ai acheté une bâche pour la protéger plus efficacement, mais ça ne suffit pas toujours car l’humidité de l’Irlande ne lui plait pas. Quoiqu’il en soit, je suis bien amoché comme toujours et je n’ai pas besoin d’observer ma sale trogne dans une glace pour le savoir : ça me lance suffisamment pour ça. Une affreuse migraine cogne à mes tempes alors que je me débats avec ma veste trempée ; seulement je n’arrive qu’à heurter les murs tout en avançant et me blesser davantage alors je finis par renoncer. La veste descendue à moitié sur les épaules, je pose une large paume sur la rambarde de l’escalier et tente de calculer le nombre de marche qui s’élèvent devant moi. Y’en a un sacré tas ! Soupirant, lessivé, le cœur ensanglanté, la fatigue m’étreint avec douceur alors que j’entreprends la rude ascension avec une détermination moyenne, prête à flancher à tout moment. Comme un buffle je souffle en avançant péniblement, et brusquement ma conscience s’échappe pour observer la déchéance dans laquelle j’ai sombré ce soir. T’as l’air ridicule boy, à pas savoir foutre un pied d’vant l’autre. Pour sûr que t’as gagné ce soir, ou c’est c’que l’alcool t’fait croire. T’as l’air d’un sacré con, à t’battre comme un chien enragé, puis à t’traîner jusqu’à ton lit douillet comme un vieux débris. Ris, boy. Y’a plus qu’ça à faire. Ris, tant que tu l’peux encore. Ris, demain tu pleureras sur ton sort. Et un rire tonitruant s’élève dans la cage d’escalier, alors que, spectateur de mon propre destin, le stress s’évacue et la pression retombe. Mon torse est secoué par ces spasmes douloureux, loin des rires joyeux, il s’agit là d’un cri du désespoir avant tout…








Dernière édition par Harvey Hartwell le Mer 26 Fév - 21:26, édité 1 fois
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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyMar 25 Fév - 23:43



Ceux qui souffrent, survivent

Feat @Harvey Hartwell

◊ ◊ ◊

Ça faisait bizarre de se retrouver ici après tant d’années. Je savais que la maison avait changé puisqu’on avait dû l’aménager pour qu’elle puisse accueillir cinq étudiants tout en gardant une pièce de libre dans le cas où l’un de nous aurait besoin d’un pied à terre sur Dublin. Si les pièces ne ressemblaient plus à celles de mon enfance, les souvenirs, eux, restaient intacts dans ma mémoire.  Il ne m’avait pas fallu longtemps pour reprendre mes vieilles habitudes dans cette ville que je connaissais toujours comme ma poche. Un Uber était venu me chercher à l’aéroport de Dublin où j’avais quitté l’équipe de production pour me rendre dans ce qui, un jour, avait été mon chez moi. Le point positif de cette arrivée tardive c’est que je n’avais pas eu à faire la connaissance de ces étrangers qui habitaient sous mon toit. Trop fatigué pour faire preuve de politesse, mais malheureusement pas assez pour trouver le sommeil, j’avais déballé mes affaires dans cette chambre qui avait toujours été mienne. Je m’étais ensuite diriger vers la terrasse pour fumer une clope et apprécier la vue de cette ville natale illuminée par la lumière de la pleine lune. Dublin était synonyme d’abandon et d’adoption, de ces deux parties de ma vie qui ont toujours été en parfaite confrontation ; deux antonymes qui ont longtemps été sources de conflit intérieur. J’ai toujours trouvé ça drôle que ce soit les Mulligan qui aient décidé de m’adopter. Mulligan c’est aussi un terme en golf qui représente une deuxième chance d’effectuer une action, généralement après que la première chance se soit mal passée par poisse ou par simple erreur. Ça aurait fait rire mon géniteur, lui qui avait pour habitude de me rappeler que je n’étais qu’un accident de la vie, une simple erreur à ses yeux. J’ai jamais été un grand fan de ce sport, même si le terme se prête sacrément bien à la situation. Est-ce que vous vous êtes déjà posés un soir, sur le balcon de votre appartement, en vous demandant ce que d’autres personnes pouvaient bien faire au même moment ? Moi oui, souvent. J’ai toujours adoré imaginer la vie des gens, sûrement parce que j’ai souvent eu envie de m’évader étant gosse tout en sachant que c’était peine perdu alors je me suis mis à peaufiner la vie de parfait inconnus. Peut-être que c’était juste une façon de penser à autre chose d’un peu plus joyeux et qu’aujourd’hui c’est devenu une habitude, un jeu auquel il m’arrive de jouer pour passer le temps. Je sors mon téléphone et met un écouteur dans mon oreille avant d’appuyer sur play et de laisser David Bowie ambiancer ma soirée avec Heroes en fond sonore.

Ce soir, c’est à ma famille que je pense, je me demande si ma mère a passé la journée à faire des gâteaux pour la collecte de Noël et si mon paternel a réussi à avoir assez de dons pour les enfants de l’hôpital. J’essaye de deviner les deux objets que Abbie et Cadell ont bien pu offrir au service pédiatrique. Qu’est-ce qu’on peut bien donner à vingt ans ? Un ballon de rugby pour Cadell et peut-être même son maillot dédicacé par les joueurs de Brisbane Broncos quant à Abbie, je sais pas trop, des bouquins probablement. Pour ma part, j’ai pris soin de laisser ma vieille guitare ainsi qu’un starter pack avec du matériel de dessin pour rendre leurs journées un peu moins difficiles. Un bruit me fait sursauter, mes yeux fixent le buisson que je suis sûr d’avoir vu bouger. Je me lève et rentre rapidement dans la maison en fermant la baie vitrée derrière moi lorsque je vois un chien me reluquer à travers la le plexiglass. Je fais coulisser la baie et m’accroupie pour venir caresser la boule de poils qui, à en croire sa queue qui frétille, est enchantée à l’idée de se faire un nouveau copain avec qui passer la soirée. « Salut toi, toi aussi t’es seul ce soir ?» que je lui chuchote alors qu’il me fait valser en arrière venant nicher sa tête dans le creux de mon ventre pour réclamer des caresses. « Bon, tu peux rentrer mais ce sera notre petit secret, ok ? » Il me fixe, le regard dénué de sens et vient lécher ma mâchoire. « Ça va un peu trop vite entre nous… » Mes doigts viennent tâtonner son cou à la recherche d’un collier qu’il n’a pas l’air de posséder. « Bowie, je suis pas un mec facile tu sais. Je peux très bien t’inviter chez moi sans avoir d’arrières pensées » Je lui donne une tape amicale tandis que je sors un de mes post-it pour y écrire : Friendzoner un chien Ceux qui souffrent, survivent. - Peter 2705 .Un rapide coup d’œil à l’horloge avant de monter les escaliers accompagné de mon nouveau compagnon qui ne se fait pas prier pour prendre place dans ma chambre. Je referme la porte derrière nous et m’installe devant mon bureau pour répondre aux différents mails en attente et faire un skype avec Matt. « Attends, chut ! »  J’enlève un écouteur et tends l’oreille, mon index toujours posé sur mes lèvres « Mec, j’crois qu’il y a quelqu’un dans la maison ! » Et là, je suis plus certain d’avoir verrouillé la baie vitrée, un peu comme quand on est persuadé d’avoir laissé le gaz allumé. « Ok, tu restes là et si j’suis toujours pas revenu dans dix minutes t’appelles la police ! » Tu restes là, comme s’il pouvait passer à travers l’écran pour venir me rejoindre, quel couillon. Je me lève et prends mon skate tandis que je regarde Bowie qui n’a pas l’air de s’inquiéter plus que ça. « Tu veux pas grogner un coup pour lui faire peur ? » Je lève les yeux au ciels lorsque je le vois reposer sa tête sur le lit. « On peut vraiment compter que sur soi-même. »

Je m’avance doucement vers la porte brandissant ce qui me sert d’arme. Ça va aller, je lance un regard à Matt qui, visiblement, s’est découvert une passion pour la langue des signes. Ma main de libre vient extirper mon portable de la poche arrière de mon pantalon afin de chercher le son d’une alarme sur youtube. Tout ce que je trouve c’est le bruitage de l’alarme incendie, ça fera toujours l’affaire en cas de force majeure. « Qui va là ? » À croire que son identité changera la donne, ah c’est Jean-Pierre ton prénom ? Ouf, ça va me voilà rassurer. Je me retrouve avec la chanson d’inspecteur gadget ancrée dans la tête et c’est tout sauf la bande son que j’aurais imaginé pour les dernières secondes de ma triste vie. J’aurais plus vu quelque chose comme  Now we are free de Hans Zimmer ou Funeral de band of horses mais je me contenterais de ça parce que j’ai pas vraiment le choix. Ce que je vois n’a rien de terrifiant c’est simplement un mec, certainement un colocataire, qui tente désespérément de gravir les dernières marches. « J’ai toujours dit à mes parents qu’il fallait installer un monte-escalier à défaut de pouvoir mettre un escalator. » Je fais signe à mon meilleur ami qu’il peut quitter l’appel et que tout est sous contrôle puis je me retourne pour faire face à l’inconnu ouvrant les bras comme les gens font lorsqu’ils accueillent un nouveau venu. « Bienvenue à Poudlard, le seul endroit où tu verras un escalier bouger.» J’affiche un sourire mi triste, mi heureux. Triste pour lui mais heureux de finir la soirée avec une petite distraction à me mettre sous la dent. Non pas que Bowie soit de mauvaise compagnie, mais disons que je me lasse assez vite des monologues. « T’as l’air bien amoché, j’espère que c’est pas l’escalier qui t’a mis une raclée ? » Je descends les marches pour le rejoindre et attrape son bras pour le faire passer par-dessus mon épaule tandis que ma main vient le prendre par la taille pour l’aider à grimper les quelques marches qui nous séparent du premier étage. « T’inquiètes pas, on pourra toujours trouver une excuse pour te faire passer pour un mec badass, j’compte plus le nombre de fois où j’ai dû mentir sur l’histoire de mes cicatrices.» Je l’aide à se poser sur la dernière marche.« Et quand je pense que y’a des fous qui grimpent l’Everest par pur plaisir. Sérieux, t’y crois toi ? » Mes yeux bleus viennent détailler son visage qui n’est pas beau à voir.  « Bouge pas, j’arrive ! » Je redescends l’escalier qui mène au rez-de-chaussée et me dirige vers la cuisine pour sortir deux paquets de petits pois  du congélateur ainsi que deux bouteilles de bières du frigo. J’attrape deux cuillères au passage et remonte rapidement les escaliers pour venir le rejoindre. « Tiens, ça te fera du bien et puis ça t’évitera de gonfler comme tante Marge. » Je dépose les deux paquets de petits pois sur ses genoux avant de retourner dans ma chambre laissant la porte ouverte derrière moi.

(c) oxymort

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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyMer 26 Fév - 21:26


Dublin, Irlande, Hiver 2016
@Peter Mulligan  
- Qui va là ? Une voix s’élève à l’étage, je n’ai pas la force de répondre, encore moins celle de relever la tête pour observer ce qu’il se passe alors je me maudis intérieurement de faire autant de raffut. Faut que tu t’donnes en spectacle en plus de ça, à croire que t’aime bien être vu, boy. Et ce n’est pas faute d’essayer de me faire oublier constamment, de me fondre dans la masse, de passer inaperçu ; sauf que ce soir, je n’ai plus la force de faire semblant. J’ai tout donné sur le ring et j’ai laissé mes inhibitions s’endormir sous une couche épaisse d’alcool, aussi c’est un regard vitreux que je pose sur un de mes colocataires qui descend me rejoindre le plus naturellement du monde. – J’ai toujours dit à mes parents qu’il fallait installer un monte-escalier à défaut de pouvoir mettre un escalator. Il y a trop de mots dans cette phrase pour que j’arrive à la comprendre et à l’intégrer. Je me contente donc de le fixer, un sourire grimaçant sur les lèvres alors que je me maintiens comme je le peux à la rambarde de l’escalier, à moitié affalé dessus. Pitoyable, boy. – Bienvenue à Poudlard, le seul endroit où tu verras un escalier bouger. Je ne comprends pas la référence, j’ai l’impression d’être à côté de la plaque et surtout d’avoir basculé dans une autre dimension brusquement – comme si mon rire avait ouvert une brèche dans l’espace-temps et provoqué l’apparition de ce nouveau colocataire très chaleureux. – T’as l’air bien amoché, j’espère que c’est pas l’escalier qui t’a mis une raclée ? A court de mots, surpris qu’il s’adresse avec moi avec un naturel si déconcertant alors que tant d’autres fuient mon regard et évitent de m’approcher, je ne réponds pas, sidéré. Par contre, je souffle comme un buffle lorsqu’il passe son bras autour de ma taille pour m’aider à terminer mon ascension difficile. Peu habitué à ce qu’on me vienne en aide, fortement alcoolisé de surcroît, mes gestes sont hésitants et maladroits, si bien que je manque de l’entraîner vers une jolie chute qui aurait causée beaucoup de dégâts. Mais il reste bien campé sur ses jambes et je m’accroche fermement à lui en tanguant dangereusement jusqu’à la dernière marche où je finis par m’écrouler au sol. – T’inquiète pas, on pourra toujours trouver une excuse pour te faire passer pour un mec badass, j’compte plus le nombre de fois où j’ai dû mentir sur l’histoire de mes cicatrices. Et quand je pense que y’a des fous qui grimpent l’Everest par pur plaisir. Sérieux, t’y crois toi ? Il parle beaucoup… Et ça me fait sourire, car même si je ne comprends pas la moitié du charabia qu’il raconte, je comprends qu’il fait ça par compassion ou souci de bien faire – ce qui signifie que c’est un bon gars. De toute façon pour aider une pauvre tâche dans mon genre, salement amochée et complètement bourrée, faut être un genre de saint alors, pas étonnant qu’il soit aussi gentil. Je m’allonge sur le dos, une main posée sur mon ventre et l’autre sur mon visage tuméfié, un sourire idiot flottant sur mes lèvres…. Moi aussi, je mens sur mes cicatrices, j’évite de les montrer et je ne parle pas. Au fil du temps, je suis devenu complètement asocial et renfermé sur moi-même. Echanger quelques mots est pour moi un exercice particulièrement difficile, rendu compliqué par toutes ces années de repli sur soi. Je n’ai pas les codes, si tenté que je les ai eu un jour. Pourtant, je devrais essayer, au moins pour le remercier, alors j’articule d’une voix sourde et rauque, profondément grave. - Je… Merci. T’étais pas obligé. Non, il n’y a absolument rien qui l’oblige à m’aider et à me tendre la main : ni mon attitude revêche, ni mes fringues trempés, ni mes bleues et mes phalanges ensanglantées… Pourtant, c’est ce qu’il fait. – Bouge pas, j’arrive ! Je me redresse sur mes coudes pour le voir dévaler l’escalier au trot. Chacun de ses pas résonne bruyamment dans ma tête, comme un vulgaire tintamarre assourdissant et je m’ébroue un peu pour chasser cette sensation horrible qui m’assaille. Je me racle la gorge et finit par m’assoir, les jambes pendantes au-dessus des marches. Mes prunelles bleues se posent sur mes phalanges endolories et gonflées… Des flashs du combat me reviennent, la violence des coups était traumatisante, tout comme celle des cris autour. Je violente mon âme et me punis pour des fautes que je n’ai pas commises. Je pensais fuir toute cette barbarie en empruntant cette voie, en changeant de continent, d’hémisphère, en m’imposant des études lourdes et contraignantes ; mais l’inhumanité est partout. Et les fantômes du passé m’ont poursuivi, à travers les montagnes, à travers les océans, ils ne m’ont jamais quitté et aujourd’hui ils m’emprisonnent. Des larmes coulent de mes yeux, des larmes d’épuisement et de fatigue, des larmes de renoncement. – Tiens, ça te fera du bien et puis ça t’évitera de gonfler comme tante Marge. Deux paquets de petit pois congelés atterrissent sur mes genoux et me font sursauter. A nouveau, cette attention me touche. C’est plus que je ne mérite. Je renifle fortement pour ravaler les larmes qui voudraient dévaler mes joues par torrents, mais ce n’est pas possible. Tu t’es déjà trop donné en spectacle, boy. Qui est tante Marge ?

Brusquement délaissé par mon colocataire bienveillant, je ne résiste pas à jeter un coup d’œil en sa direction et lorsque je constate qu’il a laissé sa porte entrouverte, j’y vois comme une invitation. Suis-je prêt à franchir le seuil de cette porte ? Je me sens bête, mais surtout et avant tout, je me sens redevable. Et je sais que cette sensation ne s’en ira pas facilement. Pourtant, je suis du genre à tourner le dos à ceux qui me tendent la main, Lonnie le sait bien… Ah les voilà, les souvenirs amers, le cœur qui dégueule de regrets, la culpabilité et la honte qui ressortent et m’enfoncent de plus en plus dans ma douleur. Je ne veux pas y céder, je veux échapper à tout cela, à la douloureuse et cuisante souffrance de mes échecs qui me torture inlassablement. Alors, comme un désespéré, je traîne ma carcasse vide de tout et remplie de rien jusqu’à la porte de sa chambre et je me pose contre le chambranle, honteux. – C’est qui tante Marge ? Je demande, la voix grave et enrayée, ayant retenu ses derniers mots surtout. – T’es pas là depuis longtemps toi… Je constate alors que mes yeux se posent sur le chien qui, tout agité et heureux d’avoir de la compagnie, vient renifler mes jambes en remuant la queue. – J’crois pas que les proprios soient d’accord pour les animaux ici. Je ne résiste pas à flatter doucement le museau de l’animal qui m’arrache un sourire, suivi d’une grimace lorsqu’il heurte mes jambes et me bouscule. Je me laisse choir au sol pour lui offrir d’autres caresses tout en lâchant quelques soupirs plaintifs. – Mais j’avoue qu’il est particulièrement mignon celui-là… J’ai toujours eu un gros faible pour les chiens, ces animaux fidèles et loyaux. J’ai l’impression de les comprendre, ou de leur ressembler par moment. Mon regard triste se lève sur mon colocataire que je détaille un instant sans prononcer le moindre mot. T’es qui toi ? D’où tu viens comme ça, avec ta nonchalance et ta gentillesse ? Tu sais ce que ça provoque chez les gens ça ? Ça les attire car y’a un manque cruel de bonté dans ce putain de monde. – T’as une clope ? J’suis à sec et ça craint. Je ne me vois pas partir en expédition dans Dublin à cette heure-là pour acheter du tabac – je ne trouverais pas de toute façon, alors autant m’épargner cette peine. – T’es arrivé quand ici ? Faire comme si je n’avais pas la gueule en sang, la pommette gonflée et l’œil gauche tuméfié ; faire comme s’il n’y avait rien de plus normal que de tenir la jambe à un mec au beau milieu de la nuit ; faire comme si tous nos putains de problèmes n’existaient pas et parler, parler de tout, de rien pour échapper quelques instants à la misère et à la peine, et survivre ainsi...




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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyJeu 27 Fév - 10:42



Ceux qui souffrent, survivent

Feat @Harvey Hartwell

◊ ◊ ◊

C’est dans le reflet de l’écran noir de mon ordinateur que je l’observe s’avancer, il a l’air d’hésité avant de prendre place contre le chambranle de ma porte. Dos à lui, je scrute son reflet faire connaissance avec ce qui me sert de chambre. Je sais pas si c’est moi, mais il a l’air effrayé à l’idée d’y pénétrer. Il reste là, poser sur cette frontière entre le danger que peut représenter ma piaule et le couloir qu’il connait bien. J’ai envie de lui dire que je suis pas douanier, que j’ai pas l’intention de m’introduire dans sa vie pour fouiller dans son passé à la recherche de secrets qu’il ne voudrait pas dévoiler. J’aimerais le rassurer, lui dire que je viens en paix, mais je me retiens parce qu’il a l’air vulnérable et que je ne voudrais pas l’effrayer, le voir prendre la fuite. Bowie, quant à lui, n’a que faire de sa pudeur. Il fonce sur l’étranger qui, comme moi, tombe à la renverse sous le poids du chiot. Je les observe faire connaissance à travers l’écran, ça me fait sourire parce que c’est innocent et qu’avec lui il n’a pas l’air d’être aussi craintif. Je profite de cette distraction pour fermer le clapet de mon ordinateur portable et venir m’assoir contre le rebord de mon lit. Ni trop proche, ni trop loin. Je me souviens d’un de ces cours de psychologie sociale, celui sur la notion de proxémie. On y avait étudié les différents types de distances du grand Edward T. Hall, à l’œil nu je dirais que l’espace qui nous sépare est égal à « la distance sociale ». J’ai jamais été doué pour trouver le juste milieu, j’en ai toujours fait trop ou pas assez. À mes yeux, il n’y a rien de plus difficile que de savoir jauger, surtout pour quelqu’un d’entier comme moi. J’ai beau être musicien, j’ai toujours détesté le solfège parce qu’il fallait constamment se montrer juste et que, comme dans toutes mes relations, j’étais jamais dans les temps. Il n’a pas l’air de fuir, du moins pas pour le moment alors je reste là à le regarder sympathiser avec mon chien.

« C’est qui tante Marge ? » Je me mords la lèvre inférieure, outré par ce que je viens d’entendre. « Tu viens de quelle planète toi au juste ? » Les moldus… faut vraiment tout leur apprendre. Pas besoin d’être un choixpeau pour connaitre sa maison, à en juger par les courbes de son corps il a tout l’air d’un athlète qui en a sûrement dans la tête ; le visage tuméfié, les phalanges éclatées, pas de doute c’est bien l'un des descendants de Salazar Sepentard. J’attrape mon téléphone et lui montre une photo de cette tante satanique. « Harry Potter, ça te dit rien ? » Je cherche un éclair de lucidité dans son regard embué mais tout ce que je vois c’est une nuance de couleur entre le bleu de ses yeux et le rouge des petits vaisseaux dilatés par les larmes qu’il a pris temps de mal à vouloir cacher. Je lâche un soupir, désespéré par ses lacunes en cinématographie. « Bon, il va vraiment falloir revoir tes classiques. » Je lève mon bras pour attraper le rouleau qui se trouve sur mon lit et sort la superbe affiche à gratter que Cadell a eu la bonne idée de m’offrir pour Noël. « Tu comptes rester combien de temps sur Dublin ? » Mes mains viennent prendre appuie sur le parquet me levant pour venir coller le poster sur l’un des murs de ma chambre.   « Un film par soir ça devrait le faire, non ? » Un sourire vient prendre possession de mes lèvres tandis que mon regard se pose sur la liste des 100 films à voir avant de mourir. Les film sont juste un prétexte, parce que je les ai certainement déjà vu et que ça n’a pas l’air d’être sa tasse de thé. Néanmoins, ça me permettrait d’apprendre à le connaitre et ça fait toujours des soirées en moins qu’il passerait à se faire défoncer. Je regarde Bowie tenter de lui lécher le visage bien plus abimé que ce que j’avais pu voir dans la pénombre des escaliers. « Psht ! Il est pas de ce bord-là » La boule de poils s’arrête un instant pour me regarder avant de venir poser sa tête sur le torse de son nouveau copain. Je me penche pour venir fouiller dans ma valise - encore ouverte sur le sol - à la recherche de ma trousse premiers secours, celle que mon paternel a toujours eu l’habitude de me vendre comme étant « l’outil indispensable ». « Tadam ! » que je dis d’un ton un peu trop enthousiaste.  J’enlève ma veste de costard ainsi que ma cravate et retrousse les manches de ma chemise. Ce que je m’apprête à faire est risqué, mais je tente quand même parce que je sais qu’il faut un rien pour qu’une plaie puisse s’infecter et que je doute que la bave de mon chien possède des effets thérapeutiques sur les blessures du gars qui se tient non loin de moi. C’est un donc, un pas après l’autre que je passe d’une distance sociale à une distance personnelle venant m’assoir en tailleur devant la barrière de sa bulle invisible.

« Non, je viens à peine d’arriver et toi ? » J’ouvre un paquet de compresses stériles que j’imbibe de désinfectant. « Je peux ? »  Mon ton est hésitant, mais il ne bouge pas alors je prends cela pour un oui. « Ça risque de piquer un peu » dis-je après m’être racler la gorge, mes doigts viennent timidement se poser sur son menton que j’effleure pour lui faisant pencher la tête vers la droite.  « T’as de la chance, y’aura pas besoin de points. » je passe la compresse sur ce qui lui reste d’arcade, nettoyant le sang qui a eu le temps de coaguler. Dans quel bordel t’as bien pu te fourrer ? Ma main droite vient attraper une nouvelle compresse avec laquelle je finis d'essuyer le pourtour de son sourcil. « J’crois pas que les proprios soient d’accord pour les animaux ici » Sa phrase me décroche un sourire, je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas trahir mon identité tandis que mes doigts viennent décoller les sutures adhésives que je pose perpendiculairement sur son arcade sourcilière. « T’as déjà parlé avec les proprios ? Ils sont sympas ? » Ce serait drôle de le voir se plaindre de l’attitude de mes parents sans savoir que c’est à leur fils qu’il est en train de se confesser. Rares sont les gens qui n’apprécient pas les Mulligan même s’il m’est déjà arrivé de me faire insulter de « gosse de riche » ; « snobinard » ou « fils à papa ». Des petits surnoms dans la bouche de personnes qui ne voient que la partie émergée de l’iceberg sans se préoccuper de celle qui est enfouie sous l’océan.  « T’as une clope ? » Je profite de cette occasion pour me relever, jetant la petite mallette sur le lit après avoir sorti le paquet de cigarettes que j’avais laissé dans ma veste. « Tu sais que tu vas devoir faire le grand saut et entrer dans ma chambre pour pouvoir fumer ? » J’attrape une cigarette que je mets derrière mon oreille et lui tends mon paquet. « T’es déjà assez trempé comme ça, faudrait pas prendre le risque de déclencher l’alarme incendie. » Je ferme la porte derrière nous et me dirige vers la fenêtre que j’ouvre laissant l’air frais balayer la pudeur des premières rencontres, qui jusqu’ici, avait pris place entre les quatre murs de ma chambre d’adolescent. « Je te proposerais bien de venir prendre place sur le toit mais je doute que tu sois en mesure de marcher droit… » Je passe mes jambes par-dessus l’embrasure comme avait l’habitude de faire le môme de dix ans lorsque la peur d’être abandonné devenait trop intense et qu’il avait besoin d’évacuer son trop plein d’émotions. Mes mains viennent prendre appuie sur ses tuiles vieillies par le temps alors que je regarde le ciel étoilé à la recherche de la grande ours. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionné par les étoiles. Plus jeune, je venais souvent m’allonger ici, passant des heures à essayer de relier ces petits astres lumineux pour créer de nouvelles constellations qui m'étaient propres. Un jeu de points à relier version astronomie, ce même jeu que j’ai un jour décidé de me faire encrée sur le dos après avoir mis des jours à peaufiner le dessin qui se cacherait derrière ces points numérotés. « Je crois qu’on est assez proche pour en venir aux présentations, non ? » Je tourne mon visage dans sa direction allumant le bâton que mes lèvres retiennent prisonnier. « Peter, ravi de faire ta connaissance ! » Je laisse la fumée nauséabonde prendre possession de ma poitrine tandis que mon pouce vient frotter contre la molette du briquet pour faire apparaitre une flamme que je rapproche des lèvres de celui qui est encore un inconnu à mes yeux. « Ça t’arrive souvent de rentrer dans cet état ? »  Que je sache si je dois réapprovisionner la pharmacie pour lui et si un jour j’aurais l’occasion de voir ce qui se cache derrière les ecchymoses qui parsèment son visage.

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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptySam 29 Fév - 10:49


Dublin, Irlande, Hiver 2016
@Peter Mulligan  
- Tu viens de quelle planète toi au juste ? Parfois, je dois bien avouer que je me le demande, d’où je viens. Est-ce réellement de cet endroit tordu qu’on appelle Terre et sur lequel des milliers d’êtres humains suffoquent en continu dans leur coin sans se donner la peine de s’aider ou même de se regarder ? Je crois bien, oui. Je crois bien que je viens de là, malheureusement. Toutefois, il y a de rares exceptions où comme ce soir, je croise un individu pas comme les autres, une personne avec le cœur sur la main, une personne qui regarde là où les autres fuient si aisément. Ça te fait pas peur mon gars, ma gueule en sang, mes pommettes enflées, mes lèvres fendues et mon haleine alcoolisée ? – Harry Potter, ça te dit rien ? Du charabia, à nouveau et apparemment mon ignorance le déçoit grandement, mais il ne se laisse pas abattre, au contraire et déroule un poster sur le sol qui indiquent tous les films à visionner au moins une fois dans sa vie. Je souris, intrigué par l’objet étalé sur le sol, trouvant cette diversion bienvenue aussi et je me penche au-dessus pour lire les titres de films, cherchant ceux qui me sont connus. Je pose un gros doigt sale sur l’affiche de Fight Club en déclarant – Meilleur film de tous les temps. Conscient d’avoir la gueule qui reflète le film, j’ajoute – Pour le message anticonformiste. Pas pour les combats… Quoique nous combattons tous quelque chose, chez certains c’est juste plus évident que chez les autres… - Tu comptes rester combien de temps sur Dublin ? Un film par soir ça devrait le faire, non ? 100 films, 100 soirées en prévision alors qu’il ne me connait que depuis trente minutes. Son enthousiasme me fait sourire et m’attriste en même temps car je ne suis pas une personne à laquelle il faut s’attacher. Je me pince les lèvres, parcourt du regard le poster en pensant que j’aimerai pouvoir lui dire oui comme n’importe quel étudiant de cette terre, j’aimerai pouvoir être un autre parfois, sans démons, sans cette rage étouffante qui brûle mes veines à chaque instant, sans ses cauchemars qui hantent toutes mes nuits… Bang. Bang. La carabine se décharge en plein dans sa poitrine… Relevant le regard vers mon interlocuteur, je réponds simplement d’une voix bourrue  - Quelques années encore… Je risque de sauter quelques soirées. Loin de moi l’envie de le blesser alors qu’il se montre aussi avenant, mais je sais que c’est mieux ainsi. Tiens-toi loin de moi, tu n’en iras que mieux… J’suis pas un mec bien. Le chien m’assaille alors, souhaite me couvrir de léchouilles et je grogne un peu en le repoussant faiblement. Répondant à son maître, il arrête son léchage intempestif pour poser sa petite tête sur mon torse puant la sueur refroidie et dégueulasse et je fais une petite moue en lui gratouillant le sommet du crâne. – T’es trempé toi. Je constate. – J’espère que t’as pas pissé sur Daisy. Il ne manquerait plus que ça tiens ! Pour sûr, ça me foutrait en rogne mais ce ne serait pas la première fois que ça arriverait ! Les chiens ont la mauvaise et insupportable manie de pisser sur toutes les roues qu’ils croisent, si c’est pas malheureux ça !

– Tadam ! Je lève mon regard vers mon colocataire qui, plein de bonne volonté, a préparé la trousse de secours. Je ne peux m’empêcher de grimacer et de soupirer, mettant une sacrée mauvaise volonté à me faire soigner sans le repousser pour autant. Parce que ça fait du bien, pas vrai, qu’on prenne un peu soin de toi, boy. Avoue-le, ça fait du bien à tes os tous froids, ça réchauffe ta vieille carcasse endolorie, ça panse un peu tes blessures à vif… - Non, je viens à peine d’arriver et toi ? – Sept ans, environ… J’étudie à Trinity College, ingénierie, mathématiques appliquées. Des bribes de mots pour expliquer, pour donner un sens, pour garder contenance alors que tout part en vrille, que les études sont compliquées, pas données, que je galère un max mais que je m’accroche malgré tout comme un désespéré… - Je peux ? Mon regard accroche le sien, le défie un instant. C’est à tes risques et périls, j’ai envie de dire. Rien ne t’y oblige. Je n’en vaut pas la peine. J’ai survécu à pire. Il y a tellement de raisons pour que tu ne le fasses pas, et si peu pour que tu t’y appliques… Je te laisse libre de tes choix, mes désirs n’existent pas. – ça risque de piquer un peu. Petit rictus amusé au coin des lèvres, si ça pique tant mieux, c’est que ça marche. Mon regard ne cille pas, le fixe alors qu’il effleure mon visage amoché, puis j’abdique et penche légèrement la tête vers la droite, lui laissant tout le loisir de nettoyer la plaie séchée de mon arcade. – T’as de la chance, y’aura pas besoin de points. C’est sur un ton plein de renoncement que je lâche un – J’ai souvent de la chance. Je fais craquer mes phalanges endolories en me félicitant de n’avoir jamais eu le nez pété, ni de dents déchaussées jusqu’à présent. Pourtant je les amasse les combats, ils s’additionnent et avec eux, l’expérience peut-être. J’ai du mal à croire qu’un ange gardien veille sur moi en réalité. Habilement, je détourne la conversation en évoquant le chien trempé qui écrase toujours ma poitrine et renifle avec curiosité les produits décapants que mon nouveau colocataire utilise. – T’as déjà parlé avec les proprios ? Ils sont sympas ? J’hausse les épaules, mes contacts avec les propriétaires de l’endroit sont très cordiaux et très bref. Je me contente de payer mon loyer, en temps et en heures, d’échanger quelques vœux de bonne année à Noël et de demander des délais sur les surplus de charge de fin d’année. – Ils font pas chier en général. Tant que tu paies et que tu fous pas l’bordel. J’passe pas beaucoup de temps ici en fait… J’crois que je les ai croisé une ou deux fois en sept ans, ils ont l’air cools… Pas contraignants du moins, mais j’ai un joli CV d’étudiant et une autre gueule lorsque je ne sors pas d’un combat violent. Je suis donc plus convaincant en général. – Mais les chiens, ça fait des dégâts dans les baraques, surtout aussi jeunes… Je l’avertis, au cas où. On s’fait vite avoir car ils sont séduisant ces bêtes à poils, ils nous poussent à l’erreur malgré eux.

- Tu sais que tu vas devoir faire le grand saut et entrer dans ma chambre pour pouvoir fumer ? T’es déjà assez trempé comme ça, faudrait pas prendre le risque de déclencher l’alarme incendie ? Je passe ma main sur mon arcade soignée, constate qu’il a posé quelques strips pour tenir la plaie fermée et je me relève en m’appuyant contre le chambranle de la porte, le corps fatigué et douloureux. A tous les coups, je vais manger froid pendant une bonne semaine vu la raclée que j’ai dû me prendre. C’est flou, je ne me souviens pas vraiment de ce qu’il s’est passé sur le ring. C’est flou, mais mon ventre et mon flanc se sont imprégnés de ce dont ma mémoire ne se rappelle pas. – Je te proposerais bien de venir prendre place sur le toit mais je doute que tu sois en mesure de marcher droit… Je l’observe passer ses jambes par-dessus l’embrasure et grogne en avançant, glissant une clope entre mes lèvres fendues et sèches. – Merci pour … ça. Je dis en montrant mon arcade, reconnaissant. T’étais pas obligé, mais tu l’as fait… Péniblement, j’avance jusqu’à la fenêtre et me pose à côté de lui, réduisant considérablement l’espace entre nous. Cette proximité n’est pas dérangeante, elle ne me gêne pas, je l’apprécie même. Je l’avertis brusquement, en désignant du doigts ses jambes pendantes dans le vide. – T’sais que c’est dangereux ce que tu fais là ? C’est glissant, avec la pluie en plus… On a tous le goût du risque inscrit en nous, c’est ça ? Je lève mon regard pâle vers le ciel étoilé trop blasé par la vie pour apprécier réellement la vue, pourtant unique et spéciale. – Je crois qu’on est proches pour en venir aux présentations, non ? Peter, ravi de faire ta connaissance ! Je plisse le regard, m’approche vers la flamme du briquet qui vacille sous la brise et la pluie pour allumer la cancéreuse pendue à mes lippes, et après une longue aspiration de fumée noirâtre, je souffle en appréciant le bien-être provoqué par l’inhalation de nicotine. Moi c’est Harvey mais j’préfère Hart. Parce que c’est comme ça que je survis, avec ce surnom, celui du combattant, celui qui ne s’avoue pas vaincu, pas encore. – ça t’arrive souvent de rentrer dans cet état ? C’est drôle, mais je sentais venir la question depuis un moment déjà. Alors je souris, bêtement et tourne mon visage vers lui, vers Peter. Je le détaille un instant du regard et décide d’être franc. Parce qu’il n’avait aucune raison de m’aider ce soir, mais il l’a fait. Alors, il mérite au moins la vérité. – Plus souvent que tu l’imagines, ouais. Je tire sur ma clope sans le quitter du regard. Ça te fait quoi de savoir ça, hein ? Ça t’intrigue ? Ça te désespère ? C’est plutôt désespérant à vrai dire, pitoyable même. – On survit tous comme on peut. Que j’ajoute, comme si cela pouvait donner une raison valable à mes activités nocturnes, comme si cela pouvait les justifier. Elles ne sont pas justifiables, elles ne vont pas valables. Illégales, destructrices, mauvaises, plutôt. – Et toi, Peter, ça t’arrive souvent de soigner les types que tu connais pas et que tu trouves à moitié bourré dans les escaliers de ta coloc ? Chacun son passe-temps on dira, le fait est que ce soir on en est là. A regarder les étoiles, partager une clope et un brin de discussion avec l’illusion qu’on est bel et bien vivants… Mais on est en train de crever, pas vrai ? Tu crèves toi aussi Peter ou t’en as pas encore l’impression ? Prie, pour ne jamais en avoir l’impression. On n’est pas tous obligés de crever dans la souffrance après tout…




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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyLun 2 Mar - 4:30



Ceux qui souffrent, survivent

Feat @Harvey Hartwell

◊ ◊ ◊


« T’sais que c’est dangereux ce que tu fais là ? C’est glissant, avec la pluie en plus… » je lâche un doux rire alors que je me tourne pour le regarder. « T’sais que c’est dangereux de se battre ? C’est glissant, avec le sang en plus… » Je lève un sourcil et lui dévoile un de mes plus beaux sourires narquois. Il est là, à s’inquiéter de ce qui pourrait bien m’arriver alors que c’est plutôt moi qui devrait me faire du souci pour lui. Et je m’en fais, comment ne pas s'en faire face à ce visage que je viens de soigner. C’est pas les blessures que j’viens de panser qui me font peur mais celles qui sont à l’intérieur de lui et que je ne peux pas voir. Celles, que ce soir, il a du mal à camoufler et dont les perles séchées sur ses joues ont fini par  démasquer. Je range mon briquet dans la poche de mon pantalon et porte la cigarette à mes lèvres inspirant une nouvelle bouffée de cette fumée nocive pour mes poumons, mais bien trop précieuse à mon organisme qui se trouve bien trop souvent sous pression. « Moi c’est Harvey mais j’préfère Hart. » Hart ce sera. Mes yeux viennent se poser sur ses phalanges ensanglantées alors que  je repense à ce qu’il a pu dire sur fight club et ça me fait sourire. Il aura beau dire que c’est uniquement pour le message anticonformiste, on sait tous les deux que ce choix n’est pas anodin. + 10 points pour Serpentard. J’ai toujours adoré ce film, peut-être parce que je me suis toujours un peu reconnu en Jack. Non pas pour son trouble de la personnalité, mais plus pour sa façon de penser.  Parce que ce personnage est fan de meubles Ikea mais que, comme moi, il a le cerveau en pièces détachés. Je me remémore cette scène, celle où le protagoniste se rend au meeting pour personnes mourantes et que Terri, l’animatrice, lui propose de faire un exercice de méditation dirigée dans lequel il doit fermer les yeux pour accéder à ce qu'elle nomme "la caverne intérieure". Qu’est-ce qui peut bien se cacher dans ta caverne ? Je le regarde sans rien dire me demandant ce qui peut bien le pousser à se battre. Qu’est-ce qui s’est cassé en toi pour que tu puisses avoir envie de casser des gueules en retour ? Ou peut-être que c’est bien plus compliqué que ça, peut-être qu’il prend un certain plaisir à se faire tabasser ? Peut-être que c’est la seule façon qu’il a trouvé pour se punir ? Oui, mais de quoi ? Je repense à la relation de Jack et Tyler en me disant qu’il pourrait bien devenir mon ami à usage unique. Je crois que ça pourrait lui convenir, il a pas l’air d’être fan des contrats à durée indéterminé et laisse apercevoir une préférence pour les CDD. Y’a qu’à voir la réaction qu’il a eu lorsque j’ai eu le malheur de lui proposer de passer ses soirées à mater des films en ma compagnie. « Je risque de sauter quelques soirées. » Touché, mais fort heureusement, il m’en faut bien plus pour couler, Harvey. Si y’a bien un truc que j’ai appris durant mon enfance c’est qu’il faut savoir se contenter de ce qu’on nous donne, transformer un rien en quelque chose qui peut compter. Je me lève doucement, manquant de glisser et de taper la gueule contre les tuiles endommagées par les traces du passé. « T’as raison, c’est que ça glisse par ici. » Je ris nerveusement sentant mon cœur tambouriner dans ma poitrine. Mes mains viennent prendre appui sur l’embrasure de la fenêtre à laquelle je m’accroche pour remonter et passer mes jambes de l'autre côté.Sauvé ;  Je secoue mes cheveux, laissant quelques gouttes parcourir le long de mon faciès. « Heureusement que je suis pas tombé, ce serait con de mourir alors que mon petit doigt me dit que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre sur toi.»  

La clope toujours au bec, je plisse les yeux et m’installe à mon bureau. J’attrape une feuille de papier Canson sur laquelle la pointe de mon crayon commence à dessiner l’ébauche d’un rectangle que je peaufine rapidement, m’arrêtant par moment pour cendrer dans une des cases de ma vieille palette à peinture.  «C’est qui Daisy ? La colocataire super sexy ? » Je me mords le bout de la langue, bien trop concentré par le découpage que je suis en train d'effectuer. « Tiens, c’est ton pass ciné pour l’année. Tu pourras l’utiliser comme bon te semble.» J’ai jamais été doué en math mais je sais que 365 jours – 100 jours ça fait toujours 265 jours de marge et c’est pas rien. « T’as plus l’air de sombrer que de survivre. » Mes yeux viennent rencontrer les siens, parce que c’est vrai et qu’il faut bien que quelqu'un ait le culot de lui mettre la vérité sous le nez. Parce que c’est con de voir un étudiant en ingénierie gâcher sa vie et que j’ai toujours détesté l’injustice. Il m'est difficile de comprendre les choses lorsque je n'y trouve aucun sens. Je me suis souvent retrouvé dans des situations délicates à casser la chute de blagues qui, à mes yeux, étaient dénuées de toute cohérence. Et voilà que je me retrouve à partager ma chambre avec le paradoxe incarné. « J’ai souvent de la chance. » Sérieux ? À quel moment c’est être chanceux que d’avoir le corps tellement amoché qu’il en est difficile de faire deux pas sans tituber ? À quel moment c’est être chanceux que de se retrouver la gueule totalement déformée ? Il est tellement tuméfié, qu’il s’en retrouverait presque grippé. Je suis presque certain qu’il ne pourrait même pas passer les portes de l’aéroport  avec son passeport biométrique. Alors, oui, à quel moment t’es chanceux ? Les gens chanceux gagnent au loto et sont heureux.« Et toi, Peter, ça t’arrive souvent de soigner les types que tu connais pas et que tu trouves à moitié bourré dans les escaliers de ta coloc ? » Faut croire que je tiens ça de mon père, je range le bordel que j’ai pu foutre sur mon bureau et écrase le mégot de cigarette sur la palette. « Non, soigner c’est le job de mon paternel. Moi, j’aide que ceux qui sont complètement bourré, j’ai jamais été fan des personnes qui ont le don de faire les choses qu’à moitié. » J’attrape un crayon et une feuille, puis je commence à poser quelques mots sur le papier. « Bon, va falloir instaurer des règles de la coloc club. » Je mordille le crayon, me grattant l’arrière de la tête à la recherche d'idées qui pourraient fonctionner pour nous deux. « Règle n°1 : Tout ce qui se dit dans la coloc, reste dans la coloc.» Mes yeux viennent scanner son visage pour y trouver un éventuel accord. « À ton tour !»  Je lui tends un autre crayon et ouvre le tiroir de mon bureau pour sortir le casque encore branché à mon ipod.  

Je lui passe mon portable ainsi que des écouteurs que je lui mets dans ses oreilles avant de chercher Oh My God by Ida Maria sur spotify. « Bon je doute que tu puisses danser dans ton état, mais voilà. »Je fais de même avec mon casque et positionne mes pouces sur nos deux appareils de façon à pouvoir appuyer sur play au même moment. « Find a cure, find a cure for my life » Les yeux fermés, je me laisse bercer par la musique ne pouvant m’empêcher de sautiller bougeant la tête de tous les côtés. Y’a rien de mieux, rien de plus libérateur que de lâcher prise alors je sors de ma zone de confort et je danse. Deux de mes doigts viennent passer devant mes yeux bleus azur imitant ce pas de danse que j’ai vu des milliers de fois dans de nombreux films des années 90. J’attrape la bouteille de bière que j’avais abandonné sur l’une des étagères et en bois une gorgée. « Put a smile, put a smile on my face » Je me mords la lèvre inférieure lorsqu’il y a le solo de batterie mélangé à celui de la guitare, me laissant aller à du air guitare à défaut de pouvoir en jouer au risque de réveiller les voisins. Je défie quiconque de rester immobile face à cette chanson, c’est limite impossible et j’ai l’impression de m’être transformé en happy feet. Alors je bouge, plane, tourne et danse comme si ce jour était le dernier, comme si j’étais vraiment tombé du toit et que j’avais rembobiner la bande de cette soirée pour faire des choses que je n’aurais jamais osé faire avant. « Oh my god » J’imite la chanteuse lorsqu’elle gueule dans mes oreilles offrant un playback du feu de dieu à celui qui est bien trop occupé à regarder la feuille que je viens de lui donner. « Tu vois ce qui est cool quand on fait ça, c’est qu’on peut se confier sans prendre le risque d’être entendu » que je chuchote.  « Je peux, par exemple, te dire que mes parents sont les proprios de cette baraque ou alors que j’ai un sacré problème avec l’alcool. »Les dernières notes de batteries retentissent dans mes oreilles et je bouge les jambes de plus en plus vite imitant un Usain Bolt qui ferait du sur place. Mon doigt en guise de baguette imaginaire vient sonner la dernière note de cymbale et j'ôte mon casque que je laisse tomber sur ma nuque. Je m'effondre sur le lit, la respiration haletante tandis que mes mains viennent se poser sur mon torse. Je sais pas si c’est moi ou le lit qui tangue mais le plafond bouge et ça me fait sourire comme un gamin. À croire que les étoiles phosphorescentes, encore collées au plafond, sont aussi euphoriques que moi et qu’elles ne peuvent plus s’arrêter de danser. « Tu peux rajouter la règle qui dit qu’il faut toujours trouver un moyen d’évacuer la pression après une dure journée. Ne jamais se coucher fâché sur l’oreiller ! » dis-je alors que je me redresse sur mes avants bras pour le regarder. Il a l’air perdu, perplexe et je me dis qu’au fond, nous aussi, on s’est sûrement rencontré à un moment étrange de notre existence.

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Message(#)Ceux qui souffrent, survivent. - Peter EmptyDim 8 Mar - 20:04


Dublin, Irlande, Hiver 2016
@Peter Mulligan  
- T’sais que c’est dangereux de se battre ? C’est glissant, avec le sang en plus… Il ne manque pas d’humour noir, Peter et c’est un trait de caractère que j’apprécie énormément en général, alors mes lèvres s’étirent en un franc sourire, miroir du sien un peu plus narquois. Je sais que mon mode de vie n’est pas compréhensible pour la plupart des honnêtes gens, qu’il n’y a que les loubards et les désespérés qui pourraient envisager de passer leurs soirées à défoncer des gueules ou à parier sur des âmes meurtries désireuses d’en finir, je sais qu’on se dit que c’est dommage de se livrer à une telle bassesse, d’abandonner la bataille en quelque sorte pour la livrer autrement, d’une manière plus brutale, plus sanglante. Je racle ma gorge, me penche par-dessus la fenêtre et crache un peu de salive et de sang dans la rue en contre-bas avant de confirmer. – Apparemment, on aime vivre dangereusement. Je ne vais pas expliquer les raisons qui me conduisent à défoncer des gueules ponctuellement, je ne vais pas m’épancher sur ce que je ressens, d’autant plus que l’alcool annihile totalement la plupart de mes sens, je vais simplement me contenter de fumer et de savourer ce répit, cette chaleur humaine qu’il m’offre par sa présence au beau milieu de la nuit. Le regard tourné vers les étoiles, les yeux légèrement plissés pour éviter la fumée de cigarette, je laisse mes pensées vagabonder jusqu’au bout du monde, à Brisbane en Australie et me demande ce qu’est en train de faire Lonnie… Chasse ses pensées, boy, elles te font douloureusement souffrir. C’est fou ce besoin constant d’échapper à la douleur, pour lui courir après dès qu’elle s’en va… T’es con, boy. Il bouge, Peter, tente de se lever et maladroitement sa chaussure glisse sur les tuiles mouillées. Je râle, laisse échapper un – Putain  en posant ma main sur son avant-bras. Pas sûr d’avoir la force nécessaire pour le tirer à l’intérieur s’il vient à pendre dans le vide, mais tant qu’il n’a pas les deux pieds à l’intérieur de sa piaule, je ne le lâche pas. – T’as raison, c’est que ça glisse par ici. Heureusement que je suis pas tombé, ce serait con de mourir alors que mon petit doigt me dit que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre sur toi. Je le gratifie d’un regard méfiant tout en le relâchant et en soufflant ma fumée à l’extérieur. – T’es ambitieux… Peut-être un peu trop d’ailleurs, car il n’y a pas grand-chose à apprendre sur moi. Ça ne t’apportera rien, tu sais, des emmerdes dans le meilleur des cas – ou le pire, ça dépend du point de vue. – C’est qui Daisy ? La colocataire super sexy ? Je pouffe bêtement en l’entendant, plutôt soulagé de pouvoir changer de conversation. – Ouais, on peut dire ça… Avec des jantes qui rouillent sous la flotte du coin. Faudrait que j’lui trouve un garage, mais les loyers sont dingues dans cette ville… Ça me préoccupe énormément, l’entretien de Daisy. Il faut savoir qu’elle est sûrement la seule constance dans ma vie, depuis que je l’ai rafistolé au garage du vieux Franck, je ne la quitte plus. Je me suis même fait chier à la faire vivre en Irlande, c’est pour dire à quel point je n’ai pas envie de m’en séparer. Je n’avais pas prévu qu’ici, la pluie est quotidienne et que ma bécane souffrirait davantage que moi du temps morne et gris irlandais. – C’est ma bécane, dans la cour, au cas où tu te demanderais quelle colocataire j’ai envie de foutre au garage… Avec un petit regard malicieux, j’écrase ma clope et ferme la fenêtre avant d’aller m’assoir sur le bord de son lit. Peter me tend une petite carte qu’il vient de découper minutieusement. Je la saisis entre mes doigts calleux et sales et l’observe. – Tiens, c’est ton pass ciné pour l’année. Tu pourras l’utiliser comme bon te semble. Je souris, amusé par l’attention et peu habitué à avoir ce genre d’objet entre les mains. Je range la carte dans ma poche intérieure, gardant le sourire aux lèvres jusqu’à ce qu’il ne me dise. – T’as plus l’air de sombrer que de survivre. Mon regard bleu vient se poser dans le sien et je le fixe, perdant dans la foulée mon air enjoué. Ouais, et alors ? Ça te fait quoi à toi qui vient à peine de me rencontrer hein ? T’essaye de faire quoi ? De provoquer une illumination ? Tu crois que j’suis pas au courant de mon état déplorable, que je fais ça pour m’amuser, pour passer le temps ? Mais tu ne peux pas savoir… Je détourne le regard, blessé et peu désireux de faire appel à la colère qui me consume plus qu’elle ne m’aide et j’hausse les épaules. – Crois c’que tu veux… J’ai pas de comptes à te rendre, pas d’explications à te donner et surtout, je n’ai pas la force ce soir de parler… L’abattement me guette et s’abat lourdement sur mes épaules, je laisse un soupire s’échapper de mes lippes entrouvertes avant de lui demander si ça lui prend souvent d’aider les gens bourrés comme moi, d’aider ceux qui n’attirent personne, ceux qui devraient disparaître de la surface de la terre… Ceux qui sont en train de crever. – Non, soigner c’est le job de mon paternel. Moi, j’aide que ceux qui sont complètement bourrés, j’ai jamais été fan des personnes qui ont le don de faire les choses qu’à moitié. Ah. Pourquoi cette information me laisse pantois ? Tu es un drôle d’individu, Peter, si sûr de toi, si prompt à l’affirmation. Que caches-tu, toi aussi, hein ? Cette assurance un peu trop affirmée me laisse à penser que tu ne l’as pas tant que ça, assuré… Au fond, on est tous les mêmes je crois… On se cache pour éviter de trop s’faire mal, on se cache en espérant que ça fonctionne, que ça passe, on se cache parce qu’on sait qu’on risque d’avoir mal sinon. T’as peur d’avoir mal, Peter, c’est ça ? Est-ce que c’est pour ça que tu veux instaurer des règles saugrenues que je ne retiendrais pas de toute évidence ? Est-ce que ça t’aide à contenir ton mal-être les règles ? Est-ce que ça te rassure ? J’ai le cerveau en bouillis ce soir, et toutes ces réflexions me donnent le tournis. – Règle n°1 : Tout ce qui se dit dans la coloc, reste dans la coloc. A ton tour ! Je me saisis du crayon qu’il me tend et le fait tourner entre mes doigts, peu enclin à écrire quoi que ce soit. Pourtant, avant que je ne me risque à l’exercice, le voilà qui me tend son portable et des écouteurs. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas trop le but de la manœuvre mais me laisse guider malgré tout. – Bon je doute que tu puisses danser dans ton état, mais voilà. Danser ? Il est sérieux ? Je vais de surprise en surprise ce soir, avec lui. Je suis vraiment tombé sur un énergumène très particulier pour le coup ! L’impensable se produit alors et je cherche là, hébété, en train d’halluciner sur le comportement de ce nouveau colocataire, un sourire étirant mes lèvres, autant stupéfait qu’épaté et surpris. Je l’observe lâcher prise, danser comme s’il était seul dans la pièce, comme s’il n’y avait plus que la musique qui comptait et tout à coup, ça me frappe : c’est son exutoire à lui, la musique et la danse. Bien plus sécurisé que d’aller péter des gueules dans des hangars mal famés, je dois bien l’avouer. Impressionnant ce que l’être humain est capable de développer pour garder la tête hors de l’eau. Alors, tu souffres toi aussi, c’est ça ? C’est ce que tu veux me dire, Peter en dansant devant moi ? T’as besoin de t’oublier quelque part, t’as besoin de te replier dans le noir, t’as besoin de zapper tout ce qu’il y a autour de toi… La musique, ça t’aide. Je comprends ce que tu fais, ouais… Je comprends. Je vois ses lèvres bouger, je comprends qu’il parle mais je ne l’entends pas car la musique résonne encore dans mes oreilles. Je souris, intrigué et n’essaie même pas de lire sur ses lèvres. Je crois que je respecte un petit peu trop sa façon d’évacuer la souffrance pour l’en empêcher. Il s’écroule sur le lit, Peter, à la fin de la chanson et je me décale légèrement pour le laisser s’y étaler de tout son long à son aise. – Tu peux rajouter la règle qui dit qu’il faut toujours trouver un moyen d’évacuer la pression après une dure journée. Ne jamais se coucher fâché sur l’oreiller ! Je pouffe, enlève les écouteurs et pose son téléphone sur son torse en déclarant – J’aime pas les règles. Je les suis pas en général, j’aime pas me sentir limité… Alors… Je me tords les lèvres, réfléchit quelques instants (ce qui me demande presque un effort surhumain) et déclare – Règle n°2 : il n’y a pas de règles dans la coloc, ça évitera les déceptions futures… Ou pas, cela reste à voir. Je lève mon regard blasé et cerné de noir vers lui, un léger sourire provocateur au coin des lèvres. J’ai pas envie d’être rassurant moi, Peter, va falloir t’y faire. Ou pas, tu peux toujours me renvoyer dans ma piaule, et je suis sûr que tu commences à y penser, non ? – Allez, crache le morceau, t’as besoin d’évacuer quoi hein ? T’es pas content car t’as atterri ici et t’avais pas envie de finir dans ce trou ? T’es vénère contre la vie ? Contre tes darons ? Ou alors tu sors d’une rupture ? De quoi souffrent les gens, hein ? Je trace un trait sur sa liste de règle à peine entamé et pose le bout de papier et le crayon sur son torse, à côté du portable. C’est quoi qui te fait souffrir, hein ? Mon regard triste se pose sur le chien, couché dans un coin de la pièce. Il a l’air serein, apaisé… Il n’a pas l’air de souffrir… Je me demande bien ce que ça fait, de ne pas souffrir. Je ne le saurais sûrement qu’en mourant…


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