| | | (#)Dim 23 Fév 2020 - 18:08 | |
| La voiture m’attend en bas du bâtiment, les voyants qui clignotent sur le trottoir mangé par la moitié des roues. Côté conducteur, Joseph qui tapote sur le volant avec impatience -à moins que ce ne soit de la nervosité. Il n’a pas de permis de conduire, mais il joue au chauffeur malgré tout. C’est un peu plus classe de se faire conduire à un rendez-vous d’affaires, d’une part, et d’autre, je suis incapable de mener cette boîte de conserve d’un point A à un point B sans renverser dix piétons sur mon passage et il y a mieux en terme de discrétion lorsque l’on prétend tremper dans l’illégalité. Vivement le jour où j’aurais de quoi rémunérer un vrai chauffeur qui me sourira en m’ouvrant la portière, à la place du brun avare en politesse qui tire une tête de six pieds de longs dès que je lui demande ce service. Je m’installe donc côté passager, attache ma ceinture -parce qu’être thug mais morte n’avance à rien- et signale que nous sommes prêts à y aller. "On va à la marina, je dois voir un fournisseur." dis-je, révélant enfin notre destination et le but de cette escapade. Si tous les membres de la Ruche savent comment le business tourne dans sa globalité, je reste aussi secrète que possible sur les détails, le qui et le comment qui font tourner la machine et dont personne d’autre que moi n’a besoin d’avoir. Qu’ils vendent et se remplissent les poches ; moi, je vois plus grand, j’ai une vengeance à mettre au point. Les chinois qui nous attendent au milieu des conteneurs nous prodiguent le fentanyl. Les détails de sa fabrication ne sont pas mon affaire. Je la prend, la transmets au chimiste, et par je ne sais quelle magie, le rat de laboratoire me livre des cachets, des gélules, de la poudre, des cristaux. Nous la vendons, récoltons les billets, et le cycle reprend. J’ai un blazer pour l’occasion, quelque chose qui ne me donne pas l’allure d’une fillette mais d’une jeune femme de confiance avec qui on peut faire affaire. Quand on veut se hisser à un certain statut, il faut savoir s’habiller selon ses prétentions. Mes profits m’ont permis de refaire ma garde-robe ; exit les shorts troués que je me traînais depuis dix ans et les t-shirts tachés par le café, la clope et la gerbe. C’est une nouvelle moi, en somme, prête à arracher au monde le respect qui lui est dû. La marina est à l’autre bout de la ville, alors nous avons un bout de temps devant nous. La radio crache les tubes du moment, et à peu près tout est bon à jeter. Le paysage, je le connais par coeur. J’ai grandi ici. J’ai parcouru chacune de ces rues. Parfois, j’ai dormi à même le bitume, au niveau des pieds des passants. J’y ai dérobé quelques portefeuilles. J’y ai vendu mon corps plus d’une fois. J’ai écrasé là ma dignité comme un énième mégot. S’il y a une chose que je sais, c’est qu’avec le chemin que j’emprunte désormais, plus rien ne me fera revenir à tout ceci. Je vais gravir les échelons ou mourir, mais il n’y a pas d’autre option. Mon regard se pose sur Joseph, concentré sur la route. Il y a la case prison, aussi. Je suppose que je pourrais m’en accommoder. "Tobias est toujours en un morceau, je suis fière de toi." dis-je au bout d’un moment, songeant à leur incident de la dernière fois. J’imagine qu’il n’est pas aisé pour lui d’être dans la même équipe que le Doherty, mais nous sommes dans le même bateau désormais, et il faut faire avec. Parfois, on ne choisit pas son coéquipier. Il faut malgré tout survivre ensemble. Joseph aurait pu claquer la porte de la Ruche suite à cela, mais il est resté. Tout ce qui le motive à faire partie de cette entreprise est un mystère, néanmoins je n’ai pas de temps à perdre à essayer de le comprendre. Pour avoir essayé une fois, je ne retenterai pas l’expérience. Il est là, et ce que j’en dis, c’est qu’au fond il apprécie plus la Ruche et tout cet univers illégal qu’il ne veut bien se l’avouer.
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| | | | (#)Jeu 27 Fév 2020 - 3:34 | |
| Elle lui a demandé de lui rendre ce service, il a dit « non », elle a dit « Jo », il a répété « non », elle a insisté (en disant « jo » mais un peu plus fort cette fois), il a ouvert les yeux gros comme des melons, l’a fixée intensément sans bouger, elle a froncé les sourcils, il a fait de même, puis il a marmonné « ok » avant de lever les yeux au ciel. Bon, il aurait pu se battre plus longtemps pour ne pas avoir à conduire cette fichue bagnole sur le lieu de rendez-vous jusqu’à présent inconnu mais il n’avait probablement pas le sens de la répartie quand elle lui a tendu la clef avant de lui « ordonner » d’aller préparer la voiture (ce n’était pas réellement un ordre, parce que Joseph ne la considère pas comme sa patronne, et il n’y a que ceux qui règnent qui peuvent donner des ordres. Un véritable chef > Lou. Point final.) Alors, le pas mou, l’enthousiasme perdu à des centaines de kilomètres de là, il monte derrière le volant et fait vibrer le moteur en attendant sa passagère – elle est peut-être occupée à invoquer des démons à l’aide des osselets de grenouilles (celles de la dernière fois, dans le bain). Ou alors elle fait comme la grande majorité des filles derrière un miroir. Elle se poudre, colore ses paupières, allonge ses cils… « Eh bah non. » le garçon marmonne quand Lou s’installe à ses côtés avant de faire claquer la portière. « T’as même pas pris la peine de te maquiller. » Il vérifie une deuxième fois son visage et hausse les épaules en reposant son dos contre le siège. "On va à la marina, je dois voir un fournisseur." Il s’agit bel et bien d’un boulot illégal, alors – quoiqu’il se doutait qu’ils ne se rendaient pas au Ikea pour refaire la déco de l’appartement des Doherty. Il attend plusieurs secondes, juste pour se divertir un peu, et pivote à nouveau la tête vers Lou avant de s’exclamer : « T’attends quoi pour installer Google Map ? » Puis un long sourire sarcastique étire ses lèvres alors qu’il appuie sur la pédale : « J’plaisante. Évidemment que j’suis le meilleur conducteur et que je sais comment me rendre là-bas sans me fier à une voix mécanique. » Pour une fois, ce ne sont pas des sottises qui s’échappent de ses lèvres. La ville de Brisbane, il la connait par cœur. Il a trop longtemps côtoyé ses rues noires de monde la journée et désertiques la nuit. Seul hic : il n’a pas le permis et il faut dire que ce petit détail l’empêche de rouler sereinement à travers le trafic. Pourtant, Lou est au courant pour ce petit manquement. À moins qu’elle l’utilise à son avantage : elle pourra fuir en courant lorsque Joseph fera semblant de chercher son permis dans son portefeuille pour le montrer à deux policiers au niveau de patience incomparable au taux de gras dans leur ventre. Il faut sauver la « patronne » après tout.
"Tobias est toujours en un morceau, je suis fière de toi." Il sent ses deux yeux de renard posés sur lui mais il garde son attention rivée vers la route. Les pneus crissent très légèrement sur le béton humide lorsque la voiture s’arrête à un feu rouge. « Tu ne devrais pas. J’suis de nouveau un criminel et j’ai décidé de bousiller ma deuxième chance pour me retrouver à côtoyer ce gamin sans cervelle. Je ne sais pas si c’était réellement worth it. » Il tapote le volant avec le bout de ses doigts et pivote la tête pour ancrer son regard à celui de la passagère. « Alors ? Tu penses que t’as réussi à atteindre ton but ? T’as créé un gang qui pourrait concurrencer les revenus du Club. T’as prouvé que t’es capable d’le faire. Mais t’as personne avec qui t’vanter. C’était pas ça, le but, au début ? De faire chier Mitchell ? Félicitations, Lou, t’as de l’argent maintenant, mais tu peux l’agiter devant les yeux d’personne. » il termine, la voix détachée puisque l’argent n’a jamais rien signifié pour lui et il ne pense qu’il représente beaucoup plus pour celle qui était alimentée par le plaisir de la vengeance. La lumière vire au vert et Joseph, absent, le réalise seulement lorsqu’un klaxon agressif lui percute les tympans. « C’est bon, p’tain, j’pas aveugle. » Il souffle en regardant le conducteur derrière lui par le rétroviseur. Visiblement, il n’est pas dans l’état le plus paisible. À vrai dire, depuis qu’Alfie lui a explosé entre les doigts, il peine à se concentrer sur la moindre tâche.
- Spoiler:
@Lou Aberline J'espère que ça ne paraissait pas trop que j'étais extrêmement fatiguée en écrivant.
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| | | | (#)Mar 24 Mar 2020 - 17:12 | |
| « T’as même pas pris la peine de te maquiller. » Quel est le fuck de cette remarque machiste et totalement gratuite. Interloquée, je toise Joseph de haut en bas, non sans un air de dégoût profond. On ne fait pas plus vomitif qu’un homme qui se croit en droit de prendre une femme de haut. Surtout lorsque la femme en question le paie grassement. “Ca s’appelle du nude, troll ignorant.” je rétorque, me trouvant presque trop généreuse de non seulement me retenir de lui casser le nez pour lui donner une leçon de politesse, mais d’en plus lui faire un cours de maquillage -quand ce dont il aurait réellement besoin serait un cours d’hygiène, mais c’est un autre débat. Sans épiloguer, je lui indique le lieu du rendez-vous d’aujourd’hui. L’objet de l’entrevue est une information que j’aurais pu me passer de lui donner, mais un type comme Joseph, qui a déjà été dans ce genre de magouilles, connaît assez bien le milieu pour comprendre de lui-même que nous n’allons pas jouer à cache-cache dans les conteneurs. « T’attends quoi pour installer Google Map ? » Est-ce qu’il aurait passé trop de temps derrière les barreaux au point de devenir aussi continuellement aimable qu’une porte de prison ou est-il vraiment curieux de savoir quelle sera l’issue de mon talon dans son entre-jambe ? “Je ressemble à ta secrétaire ?” je répond avec la même sympathie. « J’plaisante. Évidemment que j’suis le meilleur conducteur et que je sais comment me rendre là-bas sans me fier à une voix mécanique. » La tentation est bien trop grande, ce caquet a besoin d’être rabattu ; je dégaine bel et bien mon téléphone -tout neuf-, lance Maps et génère un itinéraire vers la marina. J’arque un sourcil narquois. “Le GPS dit trente-trois minutes. Impressionne-moi, Vin Diesel.” Il regagnera peut-être un peu de mon respect s’il met permet au moins de ne pas arriver en retard.
Au feu rouge, je taquine le brun à mon tour. Sa querelle avec Tobias a quelque chose de divertissant. Le hasard a voulu qu’ils se retrouvent tous les deux à la Ruche. J’organiserais volontiers des jeux à la manière des combats de gladiateurs afin qu’il n’en reste qu’un seul debout, mais j’attendrais que les rangs de gang soient plus gros avant de me permettre de jeter la vie d’un de mes dealers par la fenêtre. « Tu ne devrais pas. J’suis de nouveau un criminel et j’ai décidé de bousiller ma deuxième chance pour me retrouver à côtoyer ce gamin sans cervelle. Je ne sais pas si c’était réellement worth it. » Je lâche un petit rire, pleine d’ironie. “Jette un oeil à ton compte en banque pour te convaincre du contraire, ça aide.” A moins que son dédain vis-à-vis des billets verts ne soit pas à la hauteur de son orgueil. Auquel cas, il n’a rien d’autre à faire que continuer de prendre sur lui. L’attente m’inspirant une envie de nicotine, je baisse la vitre de ma portière et sort une cigarette. Tandis que je l’allume au bord de mes lèvres et en tire une première bouffée, j’écoute d’une oreille distraite le discours de Joseph. « Alors ? Tu penses que t’as réussi à atteindre ton but ? T’as créé un gang qui pourrait concurrencer les revenus du Club. T’as prouvé que t’es capable d’le faire. Mais t’as personne avec qui t’vanter. C’était pas ça, le but, au début ? De faire chier Mitchell ? Félicitations, Lou, t’as de l’argent maintenant, mais tu peux l’agiter devant les yeux d’personne. » Le but de son hostilité m’échappe et je ne comprends pas ce qu’il cherche à faire en me crachant ce genre de choses. Il ne me connaît pas. Il ne sait pas quel est mon véritable objectif. Et en faisant comme s’il avait la science infuse, il se ridiculise. “Ne parle pas comme si tu avais la moindre idée de ce que tu racontes, ça te donne seulement l’air plus stupide que tu ne l’es.” dis-je en soufflant la fumée contenue dans mes poumons. Ce n’est vraiment pas un malin, le Joseph. “On est encore loin de pouvoir concurrencer le Club. Ce n’est qu’un début.” Le début n’est même pas la partie la plus difficile. Trouver la came était un jeu d’enfant, recruter est simple, vendre encore plus. Les rangs grossissent, les revenus remplissent les livres de comptes, la machine se rode. La situation se corsera sensiblement le jour où la Ruche sera considérée comme une véritable menace par le Club ou tout autre gang qui n’apprécierait pas qu’on marche sur ses plates bandes. Mais ce sera aussi la preuve de notre succès. “Et le but n’a jamais été d’agiter de l’argent sous le nez de qui que ce soit.” Bien au contraire. Une fois que j’aurais repris ma vie en main, je compte bien faire profil bas. Économiser, ne pas faire de folies, ne pas me faire remarquer. Vivre un quotidien de jet setteur est le meilleur moyen de se griller vite et bien. Investir au point de garder le strict minimum pour soi, là est la bonne stratégie.
Le feu passe au vert. La voiture derrière nous s'impatiente plus vite qu’un gosse au rayon bonbons. Nous démarrons, et je reprends une bouffée de tabac nonchalamment. Joseph m’a l’air de bien se débrouiller pour quelqu’un qui n’a pas le permis. Je me demande s’il ne l’a jamais passé par flemme, ou par manque de moyens -ce qui ne serait plus un problème désormais. Je me demande surtout pourquoi il se donne tant de mal pour se montrer détestable envers moi, alors que je suis celle qui lui a filé un boulot. Je ne lui ai pourtant pas mis de flingue sur la tempe pour le forcer à accepter. “Pourquoi tu demandes ? j’interroge finalement par rapport à ses allégations. C’est quoi toutes ces questions ?”
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| | | | (#)Jeu 26 Mar 2020 - 4:21 | |
| Ce n’était qu’une pensée qu’il a dite à voix haute, sans prétention. Il avait constaté que son visage n’était pas couvert de couleurs alors qu’il s’attendait à la découvrir sous une nouvelle forme. Elle avait pris beaucoup de temps à faire on ne sait quoi dans le bâtiment tandis que lui avait attendu en chauffant le moteur déjà chaud de la bagnole. Il est donc surpris par le venin de Lou qui lui est directement envoyé dans le visage sans qu’il n’ait le temps de se protéger du revers de la main. “Ca s’appelle du nude, troll ignorant.” Il ouvre les yeux grands comme des melons en haussant les épaules, se dédouanant des accusations agressives. Elle n’est donc pas d’humeur, ce soir, mais ça n’empêchera pas Joseph de plaisanter parce qu’il risque rien, pas vrai ? Il a accepté son offre, vend de la marchandise pour elle sans intervenir autrement et disparait quand elle n’a pas envie de le voir – ou quand lui n’a pas envie de voir les membres de la Ruche qui lui rappellent qu’il n’est pas encore à sa place. « Pardon, princesse, je ne suis pas un professionnel de l’esthétisme. » Il répond donc avec un ton aussi sarcastique que son faciès, sans la regarder pour éviter de se prendre un second regard noir la soirée à peine entamée. Ne se privant pas de plaisanter à nouveau, il demande à sa passagère d’installer Google Map pour lui mais, encore une fois, le petit hamster hérisse des poils et sort ses palettes aiguisées en émettant une sorte de couinement aigu qui arrache une grimace au conducteur qui ferait mieux de laisser tomber son nez de clown. “Le GPS dit trente-trois minutes. Impressionne-moi, Vin Diesel.” Les roues avalent déjà le béton quand elle lui donne cette information et il hoche la tête, certain de pouvoir relever ce défi sans même appuyer trop fort sur la pédale de l’accélérateur. Les rues ne sont pas bondées à cette heure et c’est en sa faveur. « Il faut arrêter avec les références pop culturelles, par contre, je n’y connais rien. » il affirme tout de même à propos de ce Vin Diesel avec lequel Lou l’a comparé.
C’est au tour de la jeune femme de tenter l’humour mais, devant la sévérité cachée de ses propos, il ne peut que répondre trop sérieusement. En acceptant son offre de travailler pour elle, il n’a jamais signé un contrat qui lui indiquait qu’il devrait supporter des gamins dans les rangs. Joseph n’a jamais été un exemple de sagesse mais, à côté de Tobias, il gagne soudainement quelques points de maturité, par magie. “Jette un oeil à ton compte en banque pour te convaincre du contraire, ça aide.” S’il y a quelque chose que le petit animal n’a pas compris, c’est que ce n’est pas un argument à base de billets verts qui fera saliver Joseph. Il inspire doucement pour s’empêcher de rabattre Lou à coups d’argumentation inutile et il garde son attention sur la route, maintenant espoir qu’elle arrivera, un jour, à comprendre qu’on ne l’achète pas comme ça. Elle est comme n’importe quel enfant : elle doit apprendre sa leçon une étape à la fois, point a) à point b). La langue du conducteur se délie tandis qu’il se sent de plus en plus irrité par la simple conduite qui devrait pourtant le calmer. On aurait dit qu’il vient de réaliser qu’il ne se plaît pas dans la Ruche alors qu’il en est conscient depuis le premier jour. Il pensait avoir trouvé une bande de substitution mais les têtes dans les rangs sont loin de le faire sentir comme chez lui. Les manthas étaient unis, les abeilles de la ruche se fuient comme des petits moucherons solitaires, comme si personne n’avait envie d’être là. “Ne parle pas comme si tu avais la moindre idée de ce que tu racontes, ça te donne seulement l’air plus stupide que tu ne l’es.” L’odeur du tabac vient caresser ses narines et il s’y accroche pour se retenir de lui envoyer une énième boutade à base d’insultes dissimulées sous des faux sourires. “On est encore loin de pouvoir concurrencer le Club. Ce n’est qu’un début.” Il émet une sorte de « uh », réalisant qu’il a effectivement exagéré en prétendant que cette nouvelle organisation pourrait concurrencer l’énormité qu’est le Club. « M’ouais. Mais t’es en voie d’réussir. » De nouveaux travailleurs d’additionnent à la Ruche de semaine en semaine, rendant finalement Joseph dispensable. Peut-être est-ce une bonne nouvelle et une porte de sortie qu’il devra saisir bientôt avant de s’enfoncer plus profondément dans le contrat jamais signé. “Et le but n’a jamais été d’agiter de l’argent sous le nez de qui que ce soit.” Il lorgne la jeune femme en gardant fermement sa main droite autour du volant, l’autre bras ayant nonchalamment trouvé confort sur l’appui-coude relié à la portière. « Tu as voulu faire souffrir Mitchell en lui volant son business. Ne me dis pas que tu n’auras jamais l’intention de lui faire voir que tu peux faire mieux que lui, j’te croirais pas. » Il répond, impassible, déviant la voiture sur une route principale plus achalandée. « À quoi bon réussir si tu ne peux pas te vanter par après. » Le jeune homme ajoute en un soupir sceptique.
Un nouveau silence s’installe et c’est au plus grand bonheur de Joseph qui s’est rapidement perdu dans la contemplation de ses pensées imposantes. Le vrombissement de la voiture le berce et lui permet de réfléchir beaucoup trop – à son plus grand désarroi. Dans une situation comme la sienne, il vaut mieux s’occuper le plus possible pour ne pas laisser les souvenirs ronger le présent. Le parfum de tabac dans l’habitacle lui permet de s’accrocher un peu à la réalité, alors il le hume. « Pourquoi tu demandes ? C’est quoi toutes ces questions ? » Il la fait patienter quelques secondes (seulement parce qu’il le peut et parce que ça lui fait plaisir de la regarder dépendre de sa parole) et il tend sa main vers elle, quémandant une clope. Seulement quand il l’aura, il rouvrira la bouche – pour glisser le bâton de poison et pour répondre à sa question. « Tu m’as promis que j’pourrai venger mes potes. » Il commence, simplement, pour la laisser se remémorer leur discussion dans le bar. « Pourtant… Il tire une latte en gonflant ses poumons de fumée cancérigène. J’ai pas l’impression qu’ils sont en train de célébrer mon nom de là-haut. » Ou d’en bas, si l’Enfer existe réellement au même titre que le Paradis. « Je veux savoir ce qu’il s’est passé. Le nom des victimes… » Il marque une pause en se pinçant les lèvres, incertain de vouloir inclure son ancien chef dans la discussion, bien qu’il soit la seule identité dont il veut une véritable réponse. Il a l’impression qu’il le doit à Blake, lui qui est revenu se mettre en danger ici seulement pour retrouver Charles. « Notre chef, est-ce qu’il a été abattu ? » Il pose enfin ses deux yeux sur elle lorsqu’il le peut, la route stable et libre. Il guette sa réaction pour obtenir la vérité avant qu’elle ne la dise à voix haute.
@Lou Aberline |
| | | | (#)Sam 4 Avr 2020 - 23:43 | |
| Concurrencer le Club, cela prendra des années. Leur voler le marché de la came est la branche la plus simple dont la Ruche peut se prétendre substituer, mais le reste n’est pas encore en projet, et sur tous les autres terrains, ils continueront d’avoir la mainmise. On ne détrône pas la mafia en place depuis des décennies en un claquement de doigts. Mais je couperais la tête au sommet, et j’arracherais la couronne à son cadavre, quoi qu’il m’en coûte. La revanche est le but. « M’ouais. Mais t’es en voie d’réussir. » prétend Joseph. Lui qui crache bien volontiers sur la Ruche et ma gestion de celle-ci me paraît avoir pourtant foi en son potentiel. Toutes les contradictions du jeune homme ne cesseront sûrement jamais de me décontenancer. Je ne saurais dire s’il souhaite que je réussisse ou s’il s’en tamponne comme de sa première Pampers. « Tu as voulu faire souffrir Mitchell en lui volant son business. Ne me dis pas que tu n’auras jamais l’intention de lui faire voir que tu peux faire mieux que lui, j’te croirais pas. À quoi bon réussir si tu ne peux pas te vanter par après. » Certes, détrôner le Club est une perspective séduisante. Cependant, dès que Mitchell sera hors jeu, je compte bien me retirer de la partie à mon tour. Avec l’argent engrangé, je pourrais me ranger un moment et rester à l’ombre. La satisfaction d’être parvenue à me venger et mettre mes proches à l’abri de la folie meurtrière de cette vendetta vaut plus à mes yeux que le contrôle de ces rues. “Survivre.” je réponds alors en soufflant un nuage gris. “Faire profil bas, ça aide pas mal à ne pas se faire tuer ni finir en prison. J’ai réussi à éviter ces deux choses jusqu’à présent, et je compte bien continuer comme ça.” Et puis, je ne fais pas tout ceci pour moi. Je le fais pour ceux qui souffriront par ma faute si je ne le fais pas. Mon esprit ne doit pas s’embrouiller, ma tête doit rester sur mes épaules et mon sang froid. Tout dans cet univers peut faire perdre pieds. Mais seul l’objectif final compte. La vengeance est le moteur de bien des campagnes, et Joseph ne fait pas exception à la règle au final, bien qu’il avait prétendu le contraire lors de ma tentative de recrutement. « Tu m’as promis que j’pourrai venger mes potes. Pourtant… J’ai pas l’impression qu’ils sont en train de célébrer mon nom de là-haut. » qu’il me reproche après avoir eu une cigarette que je me retrouve à allumer au bord de ses lèvres avec mon briquet. Je souris. Cet enfant change d’avis comme de chemise, décidément. “C’est ça ce que tu veux ? Être un héros ? Qu’on chante tes louanges ?” je me moque gentiment, sans l’en blâmer pour autant. Je comprends cette volonté, et le feu que les questions sans réponses ou les injustices alimentent dans le fort intérieur. Cette impression de ne jamais être totalement débarrassé du sang sous ses semelles de chaussures. « Notre chef, est-ce qu’il a été abattu ? » Face à cette question, je demeure silencieuse un instant. Charles est un pion important de mon échiquier, un Joker dont je ne peux pas révéler tous les atouts. Si j’admets lui avoir mis la main dessus et le surveiller depuis quelques semaines, Joseph pourrait simplement vouloir le retrouver et disparaître avec lui, et il est hors de question que je perdre pareil avantage. Cependant, je songe aussi que la perspective de revoir l’ancien boss grâce à moi pourrait m’attirer un peu de sympathie et de loyauté de la part du brun. C’est cet espoir qui l’emporte sur le pragmatisme. “Non, Charles est parfaitement vivant.” je révèle avant de tirer une dernière fois sur ma cigarette et de la jeter à travers la vitre ouverte de la portière. “Je voulais te faire la surprise mais il fallait que tu ruines tout avec tes questions…” Mes épaules se haussent bien haut ; tant pis, hein.
Mais voilà que nous tournons une dernière fois à gauche, et la marina se dresse devant nous. Il ne reste plus qu’à trouver le lieu de rendez-vous précis, au pied d’un cargo commercial débordant de conteneurs multicolores. “Je croyais que la vengeance t’intéressait pas plus que l’argent.” dis-je tout en indiquant à Joseph de continuer tout droit sur les quais du port. Le Beijing est en plein déchargement. Trois hommes nous attendent en bas de la passerelle. Joseph se gare à quelques mètres. “Ecoute, je reprends en débouclant ma ceinture. Si c’est ce que tu veux, je ferais ce que je peux pour que tu l’obtiennes. Prends ça comme un signe de ma bonne foi.” D’un rapide coup d’oeil, je regarde l’heure sur mon téléphone portable histoire de m’assurer que nous sommes à l’heure ; il a battu Google Maps, au final. “Trente-et-une minute. Pas mal.” Un clin d’oeil et j’enclenche la poignée de la portière. Mes jambes se glissent hors du véhicule. “Reste ici et ouvre l’oeil.” j’ordonne, puis referme derrière moi et pars en direction des fournisseurs. Tout ce que j'espère c'est qu'en cas de pépin, Joseph n'aura pas en l'idée d'appliquer le code des pirates ; qui ne reste pas à sa place, reste sur place.
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| | | | (#)Dim 12 Avr 2020 - 1:59 | |
| Revoir un ancien membre des manthas avait chamboulé la presque stabilité nouvelle de Joseph. Certes, il ne s’était jamais senti comme chez lui en compagnie de Lou ou des autres ouvriers qui partagent la même tâche que lui mais il avait au moins l’impression de faire partie d’une équipe. Une équipe boiteuse, certes, mais une équipe. Pourtant, quand il l’a revu, Blake, il s’est senti transporté une dizaine d’années en arrière et la nostalgie avait pris le dessus sur la raison. Les manthas lui manquaient encore et, peu importe s’il pansait la plaie encore ouverte avec la Ruche ou avec les autres dealers, ça ne changeait absolument rien à son ressenti. Il avait seulement envie de trouver une machine à remonter le temps et disparaître à tout jamais de ce présent trop difficile pour un homme comme lui. Depuis sa libération, il n’a plus sa place à Brisbane et ce ne sont pas les sourires sarcastiques et les commentaires désagréables de Lou qui changeront quoi que ce soit. Malgré tout ce temps qu’il a passé avec elle, il n’arrive toujours pas à comprendre ses convictions et c’est visiblement réciproque. Le petit hamster n’arrive pas à comprendre que les motivations de Joseph sortent de la norme ou, alors, elle ne veut pas le croire. “Survivre. Faire profil bas, ça aide pas mal à ne pas se faire tuer ni finir en prison. J’ai réussi à éviter ces deux choses jusqu’à présent, et je compte bien continuer comme ça.” Elle ne pourra pas surfer sur ce miracle jusqu’à la fin de ses jours. Joseph faisait partie de ces gens rêveurs qui pensent pouvoir échapper des doigts des policiers seulement parce que ça n’arrive qu’aux autres. « Il est beau, ton rêve. » Il répond simplement sans pour autant élaborer son opinion, gardant les deux yeux sur la route pour éviter le regard noir de Lou qu’il attend depuis qu’il a rouvert la bouche. Il faut dire que Joseph est habituellement beaucoup plus amusant que ça mais jamais devant sa nouvelle « patronne » il n’a eu envie d’être de bonne compagnie. Il lutte sans arrêt sans savoir pourquoi. Malgré tout, il lui fait remarquer que sa part du marché n’a pas été respectée. Elle lui a promis une vengeance et il n’a rien obtenu de tout ça. Il n’aurait jamais serré sa main s’il ne pensait pas pouvoir venger sa famille d’une manière ou d’une autre. Joseph n’est pas violent et en aucun cas il ne pointerait un flingue en direction du crâne d’un ennemi : il laisserait plutôt les autres s’en charger et détournerait les yeux assez longtemps pour ne pas voir la coulée de sang gicler hors de la victime. “C’est ça ce que tu veux ? Être un héros ? Qu’on chante tes louanges ?” Pas dans ces mots, non. Ce que désire l’homme, c’est d’avoir de la valeur aux yeux de ceux qu’il pourrait suivre jusqu’au bout du monde sans se poser de questions. « On ne vit pas dans un monde où les héros sont acclamés. Les héros agissent en silence et n’attendent rien en retour. » Il se pince les lèvres, les yeux fixés sur la ligne d’horizon qui s’allonge sous les roues de la bagnole en mouvement. Il n’ajoute rien, préférant éviter de trop parler : il a la fâcheuse tendance à en dire trop quand on lui donne la parole. Tous les manthas se souviendraient de lui comme le jeune qui a trop d’affection à donner. Loin de lui l’envie de prouver à Lou qu’il n’a pas le portrait d’une brute comme il laisse prétendre.
Puis, la question qui trottait dans sa tête depuis le début de la soirée tombe. Le cas de Charles est posé sur la table et Joseph attend une réponse, nerveux. C’est seulement grâce à Blake s’il ose interroger Lou quant au massacre qui a eu lieu en décembre dernier. Sans lui, il n’aurait pas voulu réveiller des souvenirs inexistants. “Non, Charles est parfaitement vivant.” Le garçon peine à maintenir la voiture entre les tracés de lignes sur l’autoroute. Il serre le volant entre ses doigts, son cœur trop occupé à faire des saltos dans sa poitrine, et il observe le visage de Lou pour s’assurer qu’elle n’a pas décidé de rire de lui en lui fabriquant un mensonge de mauvais goût. “Je voulais te faire la surprise mais il fallait que tu ruines tout avec tes questions…” La nouvelle le heurte, visiblement. Bien qu’un doute plane encore dans son esprit, il décide de croire Lou en se convainquant que seulement Blake voulait revoir Charles. Il n’a rien à gagner, lui. Même s’il tente de rester détaché, il n’arrive pas à dissimuler son visage traduisant la surprise. Il compte sur la noirceur de la nuit pour le cacher bien qu’elle soit trahit par la lumière des lampadaires qui longent la route.
Comme prévu, la voiture arrive sur les lieux de l’échange à la bonne heure. D’autres hommes sont déjà sur place. “Je croyais que la vengeance t’intéressait pas plus que l’argent.” Doucement, il suit l’indication de Lou, engageant la voiture entre les conteneurs imposants qui parsèment les quais. Les cailloux craquent au passage des lourds pneus. « Je ne m’attendais pas à ce que tu aies autant de difficulté à me déchiffrer. Je suis un livre ouvert. » Il dit, ne répondant toujours pas à sa question. Une fois le moteur endormi, la jeune femme installée sur le côté passagers lui présente sa bonne foi et un gloussement soulève la poitrine de Joseph. Il passe sa main dans sa barbe et reste silencieux en secouant légèrement la tête en signe de négation. Elle ne peut pas comprendre. Du moins, pas ce soir. “Reste ici et ouvre l’oeil.” Soudainement, la tension se met à flotter dans l’habitacle. Par réflexe, Joseph scrute les mains des autres hommes, la main encore posée sur le volant, incapable de relâcher ce qui lui servira de bouée si jamais les choses tournent mal. La portière de Lou claque et quelques mèches des cheveux de Joseph sont bousculés par le passage de l’air chaud. Par la vitre baissée, il souffle sa dernière bouffée de tabac et laisse la cigarette grugée tomber sur les quais. Le clafoutis de la mer s’entend à cette distance.
« On prend l’argent en premier. » C’est la première phrase que Joseph perçoit en tendant l’oreille. Toujours occupé à sculpter la noirceur, il remarque un mouvement dans son angle mort et fronce les sourcils en se redressant dans son siège. Il s’agit de trois autres hommes que Lou ne peut pas apercevoir. Le premier réflexe de l’homme alerté est d’empoigner son téléphone pour envoyer des « jfjf » et des « xdu rwe » à sa partenaire pour seulement faire vibrer son appareil dans sa poche.
Dernière édition par Joseph Keegan le Sam 25 Avr 2020 - 3:42, édité 1 fois |
| | | | (#)Mar 21 Avr 2020 - 21:54 | |
| « Je ne m’attendais pas à ce que tu aies autant de difficulté à me déchiffrer. Je suis un livre ouvert. » La jeune femme ne sut déterminer si Joseph parlait sérieusement ou s’il s’agissait d’un énième sarcasme visant à la faire sentir stupide. A moins qu’il ne soit persuadé de ce qu’il prétendait, sans se rendre compte lui-même de l'agrégat de contradictions dont il était en réalité constitué -ce qui faisait de lui le plus stupide d’eux deux. Lou le dévisagea un instant. Est-ce qu’il ne se souvenait pas de la manière dont il l’avait envoyée paître le jour où elle l’avait approché pour le sortir de sa misère ? Aucun argument n’avait foi à ses yeux, ni l’argent, ni la vengeance, ni les dogmes antisociaux de la brune. S’il était une chose qu’elle pouvait admettre, c’était qu’elle n’avait pas su y faire avec lui ce jour-là -et tous les autres jours n’étaient pas plus glorieux. “C’est ça. Aussi ouvert que l’ancien testament.” Six cent pages de papier aussi fin que des feuilles à rouler, parfaitement insensé, extrême et indigeste ; voilà ce qui résumait bien Joseph, et rien d’autre. Sur ce, Lou l’abandonna à son poste dans la voiture. Sa tâche était simple ; rester éveillé, en alerte, et assurer ses arrières. Cependant, la jeune femme ne débordait pas de confiance en son chauffeur. Il était plus certain qu’il prenne la poudre d’escampette face à toute menace plutôt qu’il se jette dans la mêlée pour la sortir d’affaire. La loyauté était une chose difficile à acquérir au sein d’un groupe, et la petite caïd n’en était pas encore là avec Keegan. En cela, la soumission de Charles devait l’aider. Chaque chose en son temps.
Les émissaires chinois étaient au rendez-vous, comme à chaque fois. Ils étaient aussi froids et stoïques qu’on puisse l’imaginer dans les stéréotypes. Lou s’approcha d’eux avec sa valisette, autant en confiance qu’on puisse l’être ; les affaires étaient bonnes pour les deux partis jusqu’à présent et ses alliés d’Asie n’avaient pas eu à se plaindre des résultats des débuts de la Ruche. Ils gagnaient bien plus que ce que le fentanyl ne leur coûtait à produire et prélevaient une généreuse part du butin pour leur compte. « On prend l’argent en premier. » ils dictaient à l’australienne avec un anglais approximatif. Loin de s’offusquer du ton et de l’exigence, maintenant qu’elle avait pris l’habitude de ces transactions, Lou s’exécuta. “Bien sûr, fit-elle en leur adressant la valise. Il y a de quoi payer la livraison d’aujourd’hui, et vos quarante pour cent des ventes du mois dernier.” Le cash fut immédiatement envoyé à bord afin d’être recompté. Ses associés pouvaient cependant lui faire confiance ; les sommes correspondaient à leur accord au centime près depuis des mois. Elle les comptait elle-même à chaque fois, et bien qu'elle ne s'estimait pas particulièrement bonne en chiffres, elle savait pour sûr utiliser une calculatrice pour autre chose qu'inscrire boobs à l'envers. La jeune femme n’avait pas la moindre intention de ne pas honorer sa part du marché un jour prochain ; les bons comptes faisaient les bons amis. Elle fronça soudainement les sourcils, sentant son téléphone vibrer dans sa poche. Rapidement, elle y jeta un coup d’oeil pour n’y lire rien d’autre que les pitreries de Joseph lui envoyant des lettres au hasard. De loin, elle le foudroya d’un regard noir avant de ranger l’appareil et reprendre contenance devant les fournisseurs. “Dès que nous aurons réussi à recruter un bon comptable, nous procéderons par virement bancaire. Les transactions seront plus sûres.” Ces rencontres à ciel ouvert n’étaient sécuritaires ni pour eux, ni pour elle, et un flux massif d’argent en billets verts était toujours plus fragile qu’un procédé numérique. “Nous pouvons fournir un comptable.” assurèrent-ils immédiatement, ce qui eut immédiatement l’air de la plus grande fausse bonne idée qui soit aux yeux de Lou. Travailler avec les chinois était une opportunité pour laquelle elle était redevable, mais elle n’était pas prête à les laisser s’infiltrer à ce point dans la Ruche. Il était hors de questions qu’ils puissent la tenir à l’oeil et la contrôler à ce point. Elle ne se donnait pas tout ce mal pour être l’esclave de qui que ce soit. “C’est très généreux, mais je doute que mes hommes puissent faire confiance à un étranger et je ne veux pas instaurer de climat de méfiance dans les rangs.” Ils acquiescaient sans insister. L’offre serait toujours sur la table plus tard. Sa poche continuait de vibrer. Elle se jura d’éborgner et d’émasculer Joseph une fois de retour à la voiture. “Le contrat de franchise sera déjà d’une grande aide.” ajouta Lou afin d’adoucir le climat. Le montage financier nécessaire au blanchiment de l’argent était prêt depuis le départ, néanmoins la Ruche devait faire ses preuves avant que le pas ne soit franchi. Elle savait que ce jour était proche. Mais pas aussi proche que les coups de feu qui retentirent soudainement dans la marina et créèrent une panique générale instantanément.
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| | | | (#)Sam 25 Avr 2020 - 3:40 | |
| Ce n’était ni « gffs » ni « fdwfywf » que Joseph tentait de faire parvenir à Lou. Il tapait sur le clavier de son téléphone en gardant ses deux yeux inquiets rivés vers les ombres qui déformaient la noirceur et qui s’approchaient de Lou, petit animal prochainement encerclé par des fauves aux crocs acérés. Il ne pouvait pas sortir de la bagnole et hurler la mort pour attirer l’attention de tout le monde mais il savait que quelque chose clochait et qu’il n’avait pas le droit de rester assis derrière le volant à ne rien faire. Et puis, si sa patronne se retrouvait au sol, il payerait lui aussi le prix de l’inattention. Le problème c’est que, contrairement aux flics, les criminels ne plaquent pas le nez de leur ennemi contre le béton pour leur poser les menottes mais bien pour leur tirer une balle dans le crâne. Ils se trouvaient sur le lieu parfait pour détonner un canon sans qu’une oreille ne puisse se douter du malheur qui se passait sur les quais. Tous les ingrédients de la recette sont présents : Joseph sait immédiatement que les choses ne se dérouleront pas comme Lou espérait. Alors il continue, il envoie un énième message sans aucun sens et capte le regard de la jeune femme l’espace d’une seconde. Ses yeux sont noirs et il n’a pas le temps de lui mimer un avertissement qu’elle repose son attention sur ceux qui ont un plan qu’elle ne connait pas. Ils ne sont pas là pour récupérer l’argent et faire la bise à leur nouvelle collaboratrice. Ils sont là pour passer un message.
Sa technique ne fonctionne pas. Le téléphone vibre dans la poche de sa propriétaire mais cette dernière semble l’ignorer. Elle ne fait pas confiance à l’ancien testament qui tente désespérément de lui faire comprendre qu’elle n’est pas dans une position favorable. Elle continue d’étaler les formalités alors que l’autre clan lui propose de lui fournir un comptable, offre qu’elle refuse malignement. Si les choses semblent se passer comme prévu, les ombres derrière les caisses de métal s’agitant de plus en plus. Au bout de ce que Joseph perçoit comme un bras, la forme d’une arme se dessine et un premier coup de feu éclate dans la marina. C’est la poussée d’adrénaline dont l’ex taulard avait besoin pour passer à la prochaine étape. Laissant son instinct prendre possession de sa main, il vient violemment taper contre le klaxon qui retentit fortement et qui va se battre contre le son des vagues plus loin. Tous les hommes près de Lou se crispent et pivotent la tête vers la bagnole nouvellement agitée et c’est à ce moment que les formes étrangères se détachent de la noirceur. Bientôt, ce sont trois bouches de flingues qui se pointent en direction de Joseph, et deux vers Lou. « Sors de la voiture ! » Hurle l’un des porteurs d’arme, sur ses gardes. Malheureusement pour le conducteur, aucun plan ne s’était encore ficelé dans sa tête. On lui ordonne une deuxième fois de se montrer, les mains en l’air, ce qu’il fait enfin. Il reste toutefois derrière la portière ouverte, comme si cette dernière arriverait à le protéger en cas de fusillade – l’espoir fait vivre. « Amène-toi ! » Aboie un second qui lui désigne le chemin en direction de la seule femme sur les lieux. Joseph croise le regard de Lou, les yeux comme des melons, et seule une expression de peur étire son visage en une grimace : il n’a jamais été le courageux de la bande. Alors qu’il allait poser un premier pied devant l’autre, son attention s’attarde plus longuement sur le poignet d’un des hommes menaçants. Il fronce les sourcils en détaillant la forme d’un tatouage qu’il a déjà vu quelque part. Sa mémoire ne fait jamais défaut. Ces taches d’encre, il les a aperçus sur les lieux de son initiation sanglante. Ce clan, il le connait. « Attendez. » Il souffle alors avec une assurance nouvelle, comme si un éclair de génie avait traversé sa cervelle en compote. « J’pense pas que vous avez envie d’faire ça. » Il s’accroche au regard de tous et chacun et s’arrête sur celui qui semble le plus intrigué. Par réflexe, il analyse sa peau et trouve rapidement le même tatouage. Un gloussement incontrôlé soulève sa poitrine et il redresse les yeux, sûr de lui. Ce n’est pas un hasard. « Quinze ans pour vous reconstruire et vous ne vous attaquez qu’aux petites bandes inoffensives ? » Il n’ose pas regarder Lou : il sait qu’elle ne se gênerait pas pour l’insulter si on ne lui avait pas intimé le silence. « Oh, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas vous rappeler de moi. Inutile de creuser vos méninges. » il marmonne ensuite, les deux mains toujours levées devant lui. « J’étais trop jeune. » Agacé, l’un des criminels s’approche de lui et colle son arme contre sa tempe. « Mais qu’est-ce qu’il dit l’autre imbécile ? » C’est bien, on dirait que Lou s’exprime par lui. Sans broncher, Joseph éclaire sa lanterne : « Queensland, octobre 2003. La cervelle de vos hommes s’étend sur le sol du bar. Je ne savais pas qu’il y avait eu des survivants. » Quelques murmures sont partagés entre les têtes intriguées mais la garde ne baisse pas pour autant. « C’est encore mieux que je pensais. On a mis la main sur un mantha, les gars. » s’exclame l’un d’eux, hilare. « Ça nous fera plaisir d’étendre ta cervelle sur ce quai, alors. Ensuite, on s’occupera de ta petite amie. Elle n’est pas bien grande mais je suis certain qu’elle peut en prendre plus qu’elle ne prétend. » Un rire dégoutant fait vibrer ses cordes vocales et Joseph sent le flingue contre sa tempe se resserrer. « Les Ross ne sont pas morts. L’héritier de William est encore dans le coin. Si vous nous tuez, ils sauront où vous trouver. Quinze ans. C’est le nombre d’années que ça vous prendra pour sortir de votre tombe. » Le cœur agité, il pointe la valise que possédait Lou quelques minutes plus tôt. « Prenez l’argent et dégagez. Le compte est bon, ma patronne n’est pas une hypocrite, du moins, pas que je sache. » Beuglement : « LES MANTHAS N’EXISTENT PLUS, CRÉTIN. » D’apparence toujours aussi calme, Joseph pivote la tête vers celui qui vient de gentiment prendre la parole et répond en haussant les épaules : « Ah bon ? T’es certain de vouloir mettre ta vie entre les mains de ce ouï-dire ? Je ne suis pas mort, moi. » Quelques regards sont échangés. La moitié des hommes semble vouloir déguerpir, l’autre est un peu plus tenace. « Laissez-nous partir et on ne se verra plus jamais. » Il évite encore et toujours le regard de Lou, certain que son visage est couvert de lave qui lui sort par tous les orifices possibles. Il fait un premier pas vers l’arrière et l’invite à faire de même d’un signe de la main. La bouche du fusil se décolle enfin de sa peau trempée par la sueur et il agrippe le poignet de sa patronne sans lui demander son avis pour la guider ensuite vers la voiture. C’est seulement lorsqu’ils se retrouvent dans l’habitacle qu’un prochain coup de feu retentit. Le garçon n’a pas le temps de s’assurer que la balle n’a heurté personne qu’il appuie sur la pédale de gaz, élançant la voiture à reculons. Par chance, il n’heurte aucune caisse en métal avant d’avoir l’occasion de faire un tour entre celles-ci pour rapidement rejoindre une première rue. « Ça va ? » Il demande davantage par réflexe que par inquiétude alors que sa voiture s'élance sur l'autoroute comme si rien ne s'était passé.
Dernière édition par Joseph Keegan le Mer 6 Mai 2020 - 18:38, édité 1 fois |
| | | | (#)Mer 6 Mai 2020 - 16:51 | |
| La seconde suivante, la bouche de deux pistolets menaçaient de lui coller un baiser de bonne nuit bien fumant sur le front. Joseph était rapatrié vers sa cheffe, lui-même sous le joug d’un calibre impatient. Les chinois avaient pris la fuite avec leur valisette à travers les box métalliques de la marina, hors de la vue de tous. Les assaillants n’étaient pas là pour eux ; il étaient là pour elle, pour Jo, pour ce que la Ruche représentait. Une concurrence déplaisante, un gang de trop dans le paysage de Brisbane. Une menace à tuer dans l’oeuf. Lou ne reconnut aucun des hommes qui les visaient, ce qui ne fut pas le cas de son chauffeur, et avant qu’elle ne puisse articuler quoi que ce soit afin de marchander leur liberté, ce fut Joseph qui prit la parole -et cela lui suffit à commencer à prier pour qu’il ne dise ou ne fasse rien de stupide. Elle scrutait l’échange avec stoïcisme, hésitant à craindre les mines déconfites des attaquants plus que le culot du brun. S’il continuait de les narguer, il allait bien finir par les faire tuer. Le gang adverse parut bien heureux d’avoir mis la main sur un ancien Mantha, une rancoeur tenace flottait entre les lignes. Mais lorsque Joseph se mit à clamer haut et fort que Charles était toujours en vie lui aussi, alors un nouveau regard noir se posa sur sa jugulaire palpitante ; celui de Lou, folle de rage de voir son secret si durement acquis être hurlé à la rue comme la Une d’un journal de l’entre-deux-guerres. Et elle se fichait bien que cela puisse être l’argument qui lui sauverait la vie ; c’étaient des semaines de travail qu’il offrait sur un plateau d’argent aux premiers ahuris avec un pétoire à la main. Elle l’étranglerait de ses propres mains ou lui couperais la langue si elle le pouvait, mais une fois encore, prise entre les coups de feu, elle ne put que courir jusqu’à la voiture et laisser Joseph mettre les gaz.
Lou ne vérifia qu’elle n’était pas blessée qu’une fois la marina derrière eux. Son coeur battait dans ses tempes et faisait trembler ses phalanges. Sa respiration décadente s’approfondissait non sans mal. Elle avait pourtant l’habitude de craindre pour sa vie. Elle avait cependant oublié le son tonitruant des balles propulsées d’une pression sur la gâchette. Il lui semblait entendre leur écho au fond de ses oreilles, sous le larsen strident. Puis elle reprit son souffle et retrouva peu à peu un rythme cardiaque normal tandis que la scène se rejouait au ralenti sous ses paupières. La voix de Joseph lui fit l’effet d’une craie grinçante sur un tableau en ardoise. Elle rouvrit les yeux pour lui jeter à nouveau ce regard noir. Oh, elle avait retrouvé son souffle, bien assez pour s'époumoner sur lui à en faire trembler l’habitacle de la voiture. “Ca va ? CA VA ? Tu viens de lâcher des milliers de dollars à un gang adverse, t’as divulgué une information secrète à propos de Charles comme si de rien n’était, j’ai pas pu récupérer la livraison, et tu oses me demander si ça va ?!” Il était du business, il savait dans quelle panade la jeune femme se retrouvait désormais. Jamais ses fournisseurs n’allaient accepter cette embuscade comme excuse pour le manque à gagner. Elle allait devoir réunir à la même somme à nouveau et leur livrer selon leurs délais -et leur bateau n’allait pas rester à quai pour toujours. Et elle ne pouvait pas se permettre de leur déplaire si tôt dans leur partenariat, d’être en dette envers eux ou de les mettre en colère. La perspective de ce problème à résoudre éclipsait de loin le fait qu’elle devait sûrement sa vie à son chauffeur. “Je te savais stupide, Keegan, mais alors là tu bats tous les records. Si les Mantha étaient uniquement constitués d’abrutis et de lâches dans ton genre alors y’a rien d’étonnant à ce que vous soyez une espèce en voie d'extinction.” Tout en fulminant de plus belle, elle s’empara de son paquet de cigarettes pour se calmer les nerfs. Ses doigts moites étaient incapables d’en saisir une, et lorsqu’elle donna un coup sec sur le cul du carton, c’en fut une dizaine qui s’échappèrent sur ses genoux. Elle lança violemment le reste sur le tableau de bord.
“Arrête-toi là.” ordonna-t-elle de retour dans les rues de la ville. Les encombrants devaient passer le lendemain, songea-t-elle, car les trottoirs étaient jonchés de vieux mobilier démodé ou cassé. Une aubaine. “ARRÊTE-TOI LA JE TE DIS.” La voiture pila. Lou s’en expulsa dans un grand claquement de portière. Son blaser déboutonné, elle s’en déshabilla et le jeta par terre furieusement. Elle retira également ses chaussures, ces foutus talons qui auraient pu lui coûter une cheville si elle avait trébuché en courant pour se mettre à l’abri. Elle remonta les manches de son chemisier, observant l’électroménager des années quatre-vingt, les jouets abandonnés par des gosses capricieux, les matelas troués. Son dévolu se jeta sur une chaise en bois, dénuée d’assise ; elle s’empara du dossier et la leva bien haut au-dessus de sa tête pour mieux l’abattre sur un vieux frigo dans un grand “bam” qui résonnait bien fort -et dont tout le monde se fichait. Et elle frappa, une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à ce que la chaise éclate en morceaux, lâchant des cris de frustration et de rage qui évacuait son corps. C'était pour ces salauds qui lui avaient collé un flingue sur la tempe et qui auraient pu réussir en un claquant de doigts ce que Mitchell fut incapable de faire pendant trois ans ; c'était pour l'argent envolé, tout le travail fourni pour strictement rien ; c'était pour l'once de doute qui l'avait gagnée, cette voix lui murmurant qu'elle n'était pas à la hauteur, qu'elle n'y arriverait pas, alors qu'il était bien trop tard pour douter. La transpiration collait son chemisier à son dos. De ce qui lui restait dans les mains, elle frappa le bitume, entre une, deux, trois fois de toutes ses forces et de ce mélange de colère, de peur et d’adrénaline qui faisaient le moteur de ses gestes. Elle devait prendre cet événement, non pas pour douter d'elle-même, mais pour se motiver à continuer. Elle n'avait pas qu'un ennemi, ce n'était plus que son duel contre Mitchell. Elle devait écraser tous les autres avant d'arriver à lui, elle devait les détruire, les éliminer, les traquer comme des rats. Tous. Autant. Qu'ils. Etaient. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'elle. Jusqu'à ce qu'il ne reste que le Club à faire brûler.
La chaise était devenue une pile de bois bonne pour le feu. Mieux valait cela que de semer les dents de Joseph sur le bord de la chaussée. Défoulée, les idées claires, Lou récupéra ses chaussures au bord du trottoir, jeta sa veste encrassée sur la banquette arrière, et reprit place dans la voiture où elle s’alluma une cigarette tombée dans le porte-gobelet. "Désolée, je le pensais pas." elle grommela au sujet de ses propos sur les Mantha, le filtre serré entre ses dents. Beaucoup étaient morts, et ce n'était pas en manquant de respect à ceux-ci qu'elle attirerait la sympathie de Joseph. Ils étaient ses amis, elle ne l'oubliait pas. En revanche, elle le trouvait bel et bien abruti, mais elle se garda bien de le dire. Il pouvait bien comprendre que les mots avaient dépassé sa pensée sur le coup de l'émotion -mais elle se doutait également que cela serait surestimer les capacités émotionnelles du brun. “J’ai besoin d’un verre.” conclut-elle. "Conduis."
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| | | | (#)Ven 15 Mai 2020 - 1:34 | |
| Les dés ont été lancés et il ne restait plus qu’au hasard de décider de la suite des choses. Ce n’est pas la première fois que Joseph se trouve dans une embuscade : seulement quelques jours après son arrivée chez les manthas, il a été confronté à ce genre d’hostilité – il paraît que ça avait fait partie de son initiation même si les autres garçons avaient déjà trempé son visage dans l’alcool puis la drogue, deux poisons qui n’avaient jamais agis sur son cerveau auparavant. S’il avait appris une chose ce jour-là, c’est que le monde criminel ressemble à une jungle dans laquelle le plus fort des gorilles frappe au premier. Ce soir, Joseph ne pouvait pas laisser les autres primates tirer une première balle : il savait qu’il devait lancer la première miette à ces pigeons pour gagner la bataille. Heureusement pour lui, sa mémoire ne l’a jamais lâché et, s’il n’a pas opté pour la bonne stratégie en évoquant Charles, il a toutefois réussi à sauver sa peau et celle d’une personne qu’il aurait pu laisser sur le bord du trottoir s’il n’était pas né avec la loyauté coulant dans ses veines. Le garçon n’abandonne personne même lorsqu’il n’est plus lucide. C’est bien pour cette raison qu’il a été le seul manthas à choper des années derrière les barreaux : il a toujours pensé valoir moins que ceux qui lui ont offert un toit et de quoi remplir son maigre ventre.
“Ca va ? CA VA ? Tu viens de lâcher des milliers de dollars à un gang adverse, t’as divulgué une information secrète à propos de Charles comme si de rien n’était, j’ai pas pu récupérer la livraison, et tu oses me demander si ça va ?!” La surprise le fait déraper et les pneus de la voiture soulèvent les graviers qui longent l’autoroute. Il reprend rapidement le contrôle de l’engin en serrant ses doigts autour du volant, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. Il s’attendait à tout sauf des réprimandes, à vrai dire. Et, sous le choc, il est incapable de dire quoi que ce soit. Le petit chien conduit avec la queue entre les jambes et l’incompréhension dans les idées. Il pensait que la vie de Lou aurait valu plus que ces informations qu’il a balancées et cet argent qu’elle a perdu. Comment peut-elle lui en vouloir d’avoir agi sans que le chronomètre ne soit dans son camp ? “Je te savais stupide, Keegan, mais alors là tu bats tous les records. Si les Mantha étaient uniquement constitués d’abrutis et de lâches dans ton genre alors y’a rien d’étonnant à ce que vous soyez une espèce en voie d'extinction.” Il a l’impression d’entendre la voix du club. Celle qui a toujours réduit les manthas à de simples pions facilement exécutables. Ça l’enrage, mais il ne laisse rien paraître. C’est facile pour lui de n’afficher que l’impassibilité, il a trop souvent dû se cacher derrière des faux sourires pour ne pas dévoiler sa vulnérabilité. Il n’est qu’un homme, et, comme tous les autres, la vue de la bouche d’un flingue le tétanise comme aujourd’hui les insultes de Lou bandent ses muscles. Il a envie de taper, de transformer ce volant en vulgaire morceau de plastique inutile mais il arrive à canaliser sa colère dans le bleu de ses yeux assombris. Et puis, il n’a pas perdu la raison, contrairement à Lou : s’il s’agite, il les condamne tous les deux à un stupide accident de la route. Quel tragique destin pour des hors la loi qui viennent de survivre à l’attaque d’une meute de loups. C’est donc en silence qu’il reprend le chemin de la Ruche, rapidement réveillé par un ordre insensé de sa patronne. “Arrête-toi là.” Il la regarde une seconde et repose ses yeux sur la route. Ses neurones ont probablement surchauffé. Il n’y a aucune bonne raison pour s’arrêter dans ce quartier résidentiel aussi banal. “ARRÊTE-TOI LA JE TE DIS.” Encouragé par son incitation, il appuie fortement sur la pédale du frein en espérant secrètement que le buste de Lou soit propulsé contre le tableau de bord : malheureusement, elle arrive à garder son équilibre et s’extirpe hors de la voiture comme si cette dernière était en feu. Il ne lui accorde pas le moindre regard jusqu’à ce qu’un vacarme assourdissant s’élève dans le silence de la ville. On dirait bien qu’elle a trouvé un moyen de se défouler et ce sont de pauvres meubles usagés qui écopent sans le mériter. Exaspéré, Joseph passe sa main dans ses cheveux, réalisant seulement maintenant que son front est encore couvert de sueur malgré la température agréable dans l’habitacle. Il aurait probablement lui aussi besoin de casser quelques électroménagers mais il se doute que le dernier morceau de bois dans la main de Lou aurait des chances de rencontrer sa tempe. Il ne vaut mieux pas approcher le petit animal en colère, les chances de survie seraient moindres. Il s’est déjà sauvé la peau du cul une fois, ce soir, c’est bien assez pour le reste de la semaine.
Il aurait probablement aimé qu’elle disparaisse dans les encombres et qu’il ne l’entende plus jamais lui souffler des ordres ou des injures. Ça lui aurait au moins donné une bonne raison de tout abandonner cette histoire à laquelle il ne s’est pas attaché. Mais, évidemment, la jeune femme revient au bercail et ne se retient pas de faire savoir sa présence en claquant la portière derrière elle après avoir repris sa place sur le siège du côté passager. Malgré sa petite taille, il n’arrive pas à se faire discret, le petit hamster. Rapidement, probablement pour occuper ses mains, elle glisse une clope allumée entre ses lèvres alors que Joseph l’observe d’un œil las. "Désolée, je le pensais pas." Le gloussement s’échappe de ses lèvres sans qu’il ne puisse le contrôler. Il faut dire qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle s’excuse aussi rapidement. Il pensait devoir attendre des semaines avant qu’elle ne réalise qu’elle a perdu toute sa tête. Il faut croire qu’il y a du bon à se battre contre des meubles abandonnés sur le bord de la route. « Um hum. » il marmonne, incapable de déjà tourner la page. Elle ne mérite pas qu’il oublie ces atrocités qu’elle lui a balancées alors qu’il venait à peine de lui sauver la vie. L’aventure ne se terminera pas par la confection de bracelets de l’amitié. “J’ai besoin d’un verre.” Oh, moi aussi, qu’il pense en passant sa main dans sa barbe négligée, loin de se douter que leur prochaine destination puisse se trouver entre une toilette crade et des gens complètement bourrés. "Conduis." Le nouvel ordre lui tord les vertèbres mais il retient ses pensées derrière des lèvres pincées. Ce n’est pas le moment de lui rappeler qu’il n’est pas le petit chien mignon qu’elle peut traîner dans son sac à main. Il a bien vu qu’elle pouvait transformer une chaise en feu de la joie. Alors, en silence, il retire son pied de la pédale du frein et la bagnole se remet à gober le béton.
Ce n’est que cinq minutes plus tard qu’il arrête le moteur dans une rue animée malgré l’heure tardive. Quelques gens déjà chauds contournent les espaces de parking pour rejoindre un bar non loin de là. L’ambiance est à la festivité, mais pas le cœur de Joseph. « Tiens, on y est. » Il souffle sèchement sans détacher sa ceinture. « Y’a un dépanneur ou un bar, à toi de choisir comment t’as envie de te bourrer. Fais gaffe à ne pas trop boire, quand même, je ne voudrais pas que t'oublies que je t'ai sauvé la vie. » Il ajoute en désignant les deux établissements qui se font face dans la rue. « T’as qu’à m’appeler si un mec chelou avec un tatouage de corbeau sur le poignet essaye d’te faire des avances. Si on te laisse tranquille, y’a un bus qui passe à toutes les heures au coin de la rue. Ça coûte trois dollars et vingt-cing cents. » Là, c’était sa façon subtile de lui dire qu’il ne viendra pas de son plein gré avec elle si c’est ce qu’elle avait en tête. Il lui en veut et ce n’est pas de sitôt qu’il recroisera son regard comme si rien ne s’était passé. Il pense mériter plus qu’une simple excuse sur un ton plein de reproches : elle le lui doit bien, il l’a conduit là où elle désirait sans lui rappeler que ce n’est pas son boulot de répondre à ses moindres exigences.
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| | | | (#)Ven 22 Mai 2020 - 23:57 | |
| Un verre leur ferait du bien à tous les deux. Lou s’imaginait déjà aligner les shots de tequila, mordre des citrons à la pelle et se crisper, revivifiée, à chaque lapée de sel. C’était son remontant, son whisky-cigare underground. Elle en avait besoin pour se remettre de ses émotions et effacer le bang assourdissant des pistolets qui résonnait encore entre ses deux oreilles. C’était la perspective d’une bonne cuite qui gardait son moral au beau fixe durant les quelques minutes de voiture qui séparaient le théâtre de sa crise de nerfs et le premier bar fréquentable du coin. Joseph s’arrêta en face, muet comme une carpe, visiblement renfrogné et toujours aussi vexé. Elle soupira, roulant des yeux dans ses orbites avec exagération ; le brun se faisait catégorique, il ne l’accompagnerait pas dans sa virée alcoolisée, et ce n’était pas négociable. Elle qui espérait qu’ils n’étaient qu’à une bouteille de tequila d’écart d’être les meilleurs amis du monde. Tandis qu’elle l’écoutait argumenter avec la maturité d’un enfant de seize ans, le regard de Lou glissait du dépanneur au bar et inversement. Il semblait y avoir pas mal de bikers dans le coin. Y serait-elle en sécurité ? Oh, elle ne s’inquiétait pas pour ça. On oubliait bien trop souvent que c’était les autres qui n’étaient pas en sécurité autour d’elle. Joseph l’avait invitée fort explicitement à quitter la voiture depuis une poignée de secondes désormais, et l'australienne n’avait pas bougé d’un pouce. Elle fixait encore le garage. Derrière ses yeux verts, les rouages de son esprit tournaient à plein régime. Elle n’allait pas noyer cet échec dans l’alcool, non. Elle n’allait pas se contenter de briser une chaise sur le bitume. Les salauds du gang adverse, ceux qui les avaient attaqués, devaient apprendre, au même titre que tout le monde, que c’était elle, le danger, qu’elle n’avait pas peur, et qu’elle ne se laisserait pas intimider. “Tu viens de me donner une idée.” souffla-t-elle, les pièces du puzzle de son plan s’assemblant les uns aux autres. D’un mouvement vif, Lou se tourna vers Joseph, accoudée au dossier du siège passager. “Tu connaissais ces types, hein ?” Il avait reconnu le tatouage, ils avaient une histoire en commun, tout ceci avait été assez clair durant leur altercation. Et si les Mantha avaient su où mettre la main sur ces types une première fois, il pouvait le refaire. Les habitudes avaient bien la vie bien trop dure. “Tu sais où on peut les trouver ? S’ils ont un QG, un rade qu’ils préfèrent, un local ?” Peu importait, tant que cela leur appartenait et détenait une certaine symbolique. La planque de leur came, la maison de leur chef, ou simplement un bar de prédilection. Quelque chose qui ferait passer le message sans la moindre équivoque. “On entre là-dedans, reprit Lou en pointant le dépanneur de son index déterminé, on emprunte un ou deux jerricans d’essence, et on va leur faire leur fête.” Brisbane allait connaître un grand feu de joie. Avec de la chance, ils tomberaient sur l’endroit où leur chère trésorerie avait été emportée et ils récupéreraient le butin sous leur nez, juste avant de les transformer en barbecue. Lou se fichait bien qu’il y ait des innocents blessés dans l’affaire, bien qu’elle ne le souhaitait pas. Dans leur domaine, le respect s’arrachait souvent par la crainte, et elle n’avait pas la moindre intention de laisser croire qui que ce soit que l’on pouvait la prendre en embuscade et la voler sans en faire les frais. Elle récupérerait son argent avec les intérêts, c’était dit. “On va pas les laisser s’en tirer comme ça, Jo.” insista-t-elle. Qu’il soit en colère contre elle, soit. Il pouvait bien continuer de lui en vouloir pour des paroles en l’air, et malgré tout l’aider. Ils étaient deux à avoir été mis en joue, deux à mériter de se venger. “On doit marquer le coup. S’ils ne savent pas encore qu’il ne faut pas nous chercher, après ce soir, ils vont s’en souvenir.” Et après eux, ils s’en prendraient à tous ceux qui auraient la mauvaise idée de les sous-estimer, jusqu’au jour où le Club sera le dernier sur la liste. Alors, ils se vengeraient à nouveau, tous les deux. |
| | | | (#)Mer 27 Mai 2020 - 6:16 | |
| Il a merdé, elle a merdé. Ils sont tous les deux de jolies merdes à bord d’une voiture trouée par les coups de feu perdus. Ils ne devraient pas se trimbaler en ville mais c’est exactement ce qu’a réclamé Lou en ordonnant à son conducteur de la soirée de s’arrêter en plein milieu de la ville pour se noyer dans l’alcool. Il n’a pas envie de l’accompagner dans son escapade pour deux raisons. La première : ils ne sont pas en sécurité ici, n’importe quel regard attentif pourrait remarquer leurs airs louches. La seconde : Lou a été une véritable truie et ses mots ne méritent pas d’être oubliés si rapidement. C’est donc naturellement qu’il lui propose d’aller boire sans lui en lui proposant deux options : le bar et le dépanneur. Impatients, les doigts de Joseph se mettent à tambouriner contre le volant alors que Lou réfléchit un peu trop longtemps à l’offre. Il n’a qu’une envie : fuir les lieux et disparaître pendant une semaine dans une vieille cave sale pour qu’on l’oublie. Mais sa patronne a une toute autre nouvelle idée qu’elle s’empresse de lui partager. Les sourcils froncés, le garçon écoute sa stupidité en la dévisageant constamment, incapable de déterminer si elle plaisante ou si sa cervelle a vraiment été touchée par une balle et qu’il faut tout de suite l’amener à l’hôpital – ou dans un asile, au choix. “Tu sais où on peut les trouver ? S’ils ont un QG, un rade qu’ils préfèrent, un local ?” L’image du bar en plein milieu du désert se projette immédiatement derrière ses paupières mais il ne tire pas un mot. Cet endroit est probablement désertique depuis le passage des manthas au début des années 2000. Le nombre de cadavres qui ont été retrouvés par les policiers ne pouvaient pas se compter sur les doigts de deux mains : et puis, de toute façon, cette baraque en bois a probablement été démolie dès le départ des flics qui ont découvert pour seule évidence des centaines de balles dans les murs, dans les comptoirs et dans les carcasses en décomposition. “On entre là-dedans on emprunte un ou deux jerricans d’essence, et on va leur faire leur fête.” Joseph pourrait l’arrêter tout de suite et l’informer de la vérité : il ne sait pas où trouver ces gens marqués par un corbeau. Il ne les avait pas vus depuis le massacre et n’avait jamais cherché à envoyer des fleurs aux rescapés de la bande. Ça s’appelle l’instinct de survie, ce que Lou ne semble pas posséder. Mais, malgré tout, il ne peut s’empêcher d’écouter ses mauvais plans peu ficelés en se pinçant les lèvres pour contenir son rire sarcastique. “On doit marquer le coup. S’ils ne savent pas encore qu’il ne faut pas nous chercher, après ce soir, ils vont s’en souvenir.” Reposant son attention vers l’avant, il soupire clairement avant de s’emparer de la clef de la voiture pour couper le moteur. Sans un mot, il sort de la voiture en faisant signe à Lou d’attendre son retour. À pas rapides, il se dirige vers le dépanneur, les yeux agités et les sens à l’affut du moindre son (même si les changes de représailles immédiates soit extrêmement faibles). Il pénètre dans les lieux plutôt déserts et salue d’un signe de la tête le caissier qui s’ennuie derrière son comptoir, occupé à transformer les reçus d’achats en prouesses d’origami. Joseph s’empare de la première bouteille d’alcool qu’il trouve, une bouteille assez grande, ceci dit, et il fait son achat sans parler de la pluie et du beau temps.
À peine quelques minutes plus tard, il rejoint la jeune femme dans la bagnole en claquant la portière derrière lui. Une fois la clé glissée dans le contact, un bip sonore retenti et Joseph pose la bouteille d’alcool sur les cuisses de Lou sans lui demander son avis. « Ne pose pas de questions. » Il souffle avant-même qu’elle ne l’interroge sur la raison de ses agissements. Le moteur gronde à nouveau et la voiture s’élance, contournant le parking, puis le bar dans lequel la fête fait vibrer les murs et soulève la poussière des tapis. Il conduit jusqu’au petit pont de pierres inactif depuis plusieurs décennies. Il le sait désertique parce qu’il considère que cet espace qu’il occupe a été sa véritable première maison. Il en a passé, des nuits, à l’abris de la pluie sous cette arche immobile.
Ils sont près des bois quand la voiture se tait à nouveau. À leur droite, la banlieue signale sa présence par les quelques lumières qui illuminent les maisons des oiseaux de nuit. À leur gauche, c’est la noirceur qui avale les paysages forestiers. Il ne s’attend pas à ce que Lou se taise et le suive là où il n’y a aucune lumière alors il se tourne vers elle avant qu’elle ne l’interroge. « Faut que j’te montre un truc. Ça va peut-être t’aider. » L’aider à quoi ? À se venger ? À prendre le contrôle des opérations illégales de la ville ? À grimper sur le podium ? Il n’a pas l’intention de lui donner la réponse. Alors, insistant, il lui demande d’amener l’alcool avec elle et il s’empare de son téléphone pour éclairer son chemin, refermant la portière derrière lui. « Tu peux déjà commencer à boire si t'as peur du noir. » Devant les premiers arbres qui ne délimitent aucune entrée, un mince sourire soulève la commissure de ses lèvres et il fait signe à sa patronne de le suivre, enjambant les première feuilles mortes qui jonchent le tapis de terre. Il n’y a aucun sentir qui les attend : la nature a repris ses droits depuis trop longtemps.
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| | | | (#)Sam 6 Juin 2020 - 22:17 | |
| Etait-ce l’influence des Doherty que l’on pouvait deviner sur la jeune femme et ses plans incendiaires, ou était-ce son naturel destructeur qui refaisait surface ? Ses dernières crises les plus mémorables remontaient à sa cure de désintoxication et son nouveau cercle n’avait pas encore connaissance de la démesure de la violence dont elle était capable. La colère de Lou, personne n’y croyait ne prime abord, et beaucoup riaient à la simple idée de la voir rougir et taper du pied comme une enfant à qui on refuse un paquet de bonbons. C’était si mal la connaître qu’elle riait souvent la dernière, juste après avoir brisé un doigt, un bras, une jambe, arraché une oreille, un ongle, un bout de scalp. Ses années au Club avaient laissé le champ libre à l’animal. Elle assistait les tortures d’indics avec enthousiasme, ravie de se tenir simplement dans la pièce. La femme-enfant que tous voyaient en elle était la façade à laquelle il était plus facile de s’arrêter. Mais lorsqu’elle souhaitait faire du mal à quelqu’un, elle ne plaisantait jamais. Se venger de leurs assaillants de la marina était donc particulièrement sérieux pour elle, et elle espérait de tout coeur que Joseph soit de son côté, aussi enthousiaste qu’elle à l’idée d’envoyer ce gang aux oubliettes pour la seconde fois. Il ne répondit pas, rien d’autre qu’un soupir. Dubitative, Lou l’observa quitter la voiture, entrer dans la boutique -peut-être pour appliquer son plan- et ressortir avec de l’alcool -ce qui signifiait que non, il n’y aurait pas de feu de joie. Déçue, la jeune femme attrapa la vodka bon marché lâchée sur ses cuisses et marmonna, la moue renfrognée ; “C’est toi qui donne les ordres maintenant ?”
Pourtant Lou s’exécuta et n’ouvrit pas la bouche du reste du trajet, trop occupée à mariner dans sa frustration et le souvenir de cette valisette d’argent qu’elle ne reverrait jamais. Son regard tourné vers les rues de Brisbane n’observe en réalité rien d’autre que les nuances de bleu et d’or du paysage nocturne et urbain. Le reste n’est qu’un tas de formes floues qui dansent sur fond d’écho de tirs de pistolet. Lorsque le moteur se coupe, elle sursaute légèrement. De nuit, difficile de dire où ils se trouvaient, mais Lou songeaient qu’ils étaient probablement du côté de Mount Coot-Tha. Toujours silencieuse, elle quitta le véhicule et suivit Joseph à la lisière des arbres. Dans le fond, il ne lui semblait pas avoir le choix, à moins de se résigner à commander un Uber. Le cirque pseudo-mystérieux du brun lui fit lever les yeux au ciel ; elle voulait bien se taire et se laisser conduire dieu savait où, mais qu’il lui épargne le numéro de l’incompris ténébreux. “Si tu comptes me faire gambader là-dedans, ce qui m’aiderait c’est une paire de pompes.” qu’elle le railla avec pragmatisme. Car les escarpins qu’elle avait aux pieds n’étaient pas plus adaptés à un chemin de forêt qu’à une course pour la vie sous les balles ennemies. Comme d’habitude, Joseph n’en avait pas grand chose à cirer. “Je vais me gêner.” qu’elle acquiesça alors au sujet de l’alcool, commençant déjà à dévisser le bouchon de la bouteille. La vodka lui tiendra chaud et, au pire, si elle se foulait la cheville à cause de l’autre idiot, cela ferait également office d’anesthésie. Ce fut donc en grommelant que Lou daigna faire ses premiers pas entre les feuilles et les arbres. Elle porta la vodka à ses lèvres et but goulûment. Une partie d’elle se fichait royalement de ce que Joseph voulait lui montrer et elle doutait que cela l’aiderait en quoi que ce soit. De l’autre, elle espérait que si le jeune homme se donnait la peine de se montrer aussi théâtral, alors la chose au bout du chemin devait peut-être valoir le coup. Plus que d’aller faire brûler ceux qui avaient osé les mettre en joue tout à l’heure ? Elle en doutait. “J’espère que ton plan consiste pas à me buter dans les bois parce que j’estime que je mérite une exécution bien plus stylée que ça.” fit-elle au bout de dix minutes de marche, trois ou quatre gorgées de vodka, un caillou dans sa chaussure et son impatience déjà mise à rude épreuve. Ce ne fut qu’au bout de tout ce temps, et se plaignant intérieurement que ce bois était aussi sombre que l’intérieur du crâne de Joseph, qu’elle réalisa qu’elle pouvait activer la lampe de son téléphone histoire de voir où elle marchait. Et la lumière fut.
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| | | | (#)Mer 10 Juin 2020 - 5:25 | |
| Il aime prendre les rênes. C’est bien la première fois depuis qu’il a accepté de signer le foutu contrat de Lou qu’il arrive à prendre le contrôle sur la situation. Et, même s’il craint le lieu où il amène sa patronne, ça l’amuse un peu de jouer les mecs mystérieux. Il joue avec elle, la conduit là où elle ne pourra pas prévoir la suite et, enfin, elle semble refléter sa propre taille. Elle ne peut plus lui hurler dessus sans raison – même si elle en a probablement envie en vue de l’expression de colère plaquée sur son visage depuis le début du trajet. À vrai dire, Joseph ne saurait dire où se faufilent les pensées de la jeune femme qui broie l’air et il préfère ne pas savoir. Il a bien vu ce qu’elle pouvait faire subir à de pauvres meubles innocents. C’est donc rassuré qu’il accueille le silence qui accompagne la balade en voiture et, ce, jusqu’à ce que cette dernière se gare près d’une forêt plongée dans la noirceur. “Si tu comptes me faire gambader là-dedans, ce qui m’aiderait c’est une paire de pompes.” Très peu préoccupé, il hausse un sourcil en baissant les yeux à la hauteur de ses pieds, réalisant pour l’énième fois qu’elle ne s’est pas équipé de la meilleure paire de chaussure pour se lancer dans une telle aventure ce soir. « Tu comptais draguer des mecs ou quoi ? » Il demande, l’air las, très peu inquiet pour elle : Lou saura se faufiler à travers les racines, elle est une grande fille – certes, elle se trimbale avec tout un tas de troubles caractériels mais ses jambes semblent bien fonctionner. L’éclaireur guide l’éclairée. La forêt lui est familière et c’est à la vue de chaque arbre qu’il se souvient de leur écorce. S’il y a bien quelque chose qui ne bouge pas malgré les années, ce sont les forêts qu’aucun humain n’ose pénétrer. C’est la même nostalgie qui submerge ses tripes alors que l’odeur des eucalyptus se colle à ses narines et alors que les feuilles mortes et les branches craquent à son passage. À plusieurs reprises, il s’assure que Lou ne s’est pas faite avaler par la noirceur en se tournant vers elle, l’éclairant de son téléphone. Il lui propose rapidement d’entamer la bouteille d’alcool si ça peut l’aider à oublier la raison de sa présence ici, ce qu’elle fait sans demander son reste. Joseph, quant à lui, préfère ne pas s’abreuver si tôt, conscient qu’il n’arrivera jamais à retrouver son chemin si son cerveau se noie dans la vodka. “J’espère que ton plan consiste pas à me buter dans les bois parce que j’estime que je mérite une exécution bien plus stylée que ça.” La voix de Lou le surprend presque. Il commençait à apprécier un peu trop le silence. La ville était désormais trop loin pour déranger la flore. Il a bien été obligé de s’enfoncer aussi loin dans la forêt le jour où il est venu ici la première fois. « J’ai prévu quelque chose de plus théâtral pour ta mort, ne t’inquiète pas. Il y aura du public. Et pas que des koalas ou des perruches. » Il répond sur un ton toujours aussi sarcastique, ne ralentissant pas le pas, conscient que son petit jeu a assez duré. Pourtant, il sait qu’ils sont très près du but. Perplexe, le garçon s’arrête et observe les alentours avec la lampe torche improvisée. Il scrute longuement la solitude qui les entoure pour finalement s’exclamer : « Ah ! » en trouvant enfin ce qu’il cherchait. Là, autour d’un mince tronc, un morceau de tissu a été enroulé pour marquer la route. Il a bruni et s’est effiloché mais il est toujours là et c’est le plus important. Comme s’il avait oublié la raison de sa venue, Joseph se pince les lèvres en sentant son cœur se serrer. Il expire doucement et entreprend les derniers pas en direction d’une petite montagne de pierres à l’allure fabriquée. Ce n’est pas la nature qui a pris soin de placer les rochers ainsi : c’est bien Joseph, plusieurs années plus tôt, les joues couvertes de larmes qu’il a préféré cacher.
Il s’approche de la structure, le pas beaucoup plus lent qu’avant, et il s’agenouille devant celle-ci enfin de la débarrasser de quelques feuilles mortes qui s’y sont logé. Pendant un moment, il oublie la présence de Lou juste derrière lui. Il a besoin de quelques secondes pour affronter les mauvais souvenirs qui se fracassent contre sa mémoire. Un souvenir qu’il aurait aimé jeter à la mer. Il n’est pas un criminel, Joseph. Il n’a pas l’étoffe de tous ces gens qui tiennent fermement un flingue entre leur main. On lui a appris à contenir ses larmes, car il est un homme et seule sa sœur a le droit de laisser ses émotions parler. Mais, les leçons, elles sont toujours entrées par l’une de ses oreilles avant de sortir par l’autre. « Oh. » Il lance, lorsque le pied de Lou fait craquer une branche derrière lui, lui rappelant sa présence. Il se recule légèrement pour permettre à sa compagnie d’observer la pierre tombale artisanale. Il reste toutefois au sol, préférant la douceur de la terre contre ses genoux à la froide obscurité. « Tu l’as connu. » Il commence ainsi, soulevant sa main pour quémander la bouteille de vodka dont il a soudainement besoin. « C’est toi qui a traîné sa carcasse avant que je la traîne à mon tour ici. » Elle n’a jamais porté ce traître dans son cœur. Il a joué les malins et a récolté les coups. Il ne s’attend pas à ce que Lou verse une larme avec lui, au contraire. Elle pourrait lui pisser dessus, ça lui serait égal. Mike a été le plus détesté de tous mais Joseph n’a jamais réussi à comprendre. Il est bien celui qui voit le bien dans les yeux de tout le monde et qui donne toujours une seconde chance. Ce que son ami n’a pas eu après avoir fait la pire connerie de sa vie. « Tu peux penser c’que tu veux mais il est la preuve que la pire des conneries qu’un Homme peut faire est de penser que rien ne le fera tomber. Il est tombé vachement bas, ce jour-là, hein. » Il souffle en désignant le sol du menton, portant la bouteille à sa bouche pour couvrir sa langue d’un voile amer.
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| | | | (#)Sam 4 Juil 2020 - 0:08 | |
| Strictement rien n’allait dans cette journée et par dessus le marché fallait-il qu’elle crapahute dans les bois. Dix minutes dans le feuillage et elle en avait marre. Marre de cette forêt, marre de Joseph et ses airs énigmatiques, marre de ces talons qui lui ruinaient les pieds, marre de ne voir qu’à peine où elle marchait et de ne pas savoir où ils allaient. Derrière son cynisme enjoué, l’agacement était réel. Tout ce que Lou souhaitait, à cet instant, c’était de se téléporter chez elle, dans un bain -parce qu’elle ne se payait pas un appartement avec une baignoire pour s’encombrer de la moindre considération écologique au fait de s’accorder plusieurs bains par semaine. Alors que l’australienne commençait à croire que les choses allaient en empirant en ajoutant à la liste de ses malheurs un égarement au milieu des arbres, Joseph passa à côté d’un tronc assez remarquable pour qu’il lâche une exclamation. Elle avait rarement vu quelqu’un d’aussi enthousiaste d’être passé près d’un arbre en particulier. En le frôlant à son tour, la jeune femme nota le bout de tissu enroulé autour ; alors ils n’étaient peut-être pas complètement perdus et la police n’aurait pas à retrouver leurs cadavres grignotés par les asticots dans trois jours. Bizarrement, elle se sentait soulagée ; y avait-il des chances pour que son acolyte sache bel et bien ce qu’il faisait ? C’est un peu plus en confiance qu’elle poursuivit le chemin, emboîtant le pas du brun avec grand soin. Son téléphone fermement tenu entre ses doigts lui signalaient plusieurs sms de la part de Finnley qui se demandait quand est-ce qu’elle rentrerait. Mieux valait qu’elle ne promette rien ; il lui pardonnait toujours ses absences au bout du compte.
Enfin, ils y étaient. Pour Lou, ce n’était que plus arbres, de feuilles, et de toiles d’araignées invisibles dans l’obscurité. Pour Joseph, qui s’agenouilla sur la terre meuble, cela paraissait être bien plus que cela. De sa lampe improvisée, elle inspectait les alentours, jusqu’à ce qu’elle remarque l’amas de pierres. Rien ne lui permettait de comprendre pourquoi elle avait été traînée ici, mais elle demeurait silencieuse, et sans un mot, elle confia la vodka à Joseph qui demandait la bouteille. Face aux confessions du brun, elle fronça les sourcils. De quelle carcasse parlait-il ? Qui pouvait-elle connaître qu’elle lui aurais remis ? Cela lui prit bien du temps avant de relier tous les points entre eux, faire le lien. C’était le Mantha qui avait tenté de s’introduire au Club. C’était ce sale chien profiteur et misogyne qui l’avait prise pour une écervelée manipulable. Non, elle ne verserait pas de larmes pour lui. Elle n’aurait pas non plus l’hypocrisie de prétendre qu’elle regrettait son geste. Elle ne l’avait pas tué, mais elle l’avait blessé au moins autant qu’il avait égratigné son orgueil en la mettant face à sa naïveté. Il avait échoué là où, quelques mois plus tard, un membre de la police réussirait. Se souvenir de lui, c’était aussi se rappeler que la leçon n’avait pas été apprise dès la première fois. Lou soupira, les bras croisés afin d’intérioriser ses frustrations. Elle ne savait pas ce que Joseph attendait d’elle, ce qu’elle était supposée dire, alors que tout ce qui lui venait à l’esprit c’était l’envie de cracher sur le monticule de pierres. Elle voyait que la disparition de cet homme le touchait, Joseph, et elle était égoïste, mais pas sans coeur. “C’était quoi déjà son nom ? Pike ? Clark ?” demanda-t-elle, faisant mine de s’y intéresser, ne sachant pas comment compatir autrement. Elle ne se souvenait plus, elle l’avait effacé de sa mémoire. Ce n’était pas important. C’était quelqu’un qui méritait qu’on l’oublie. Joseph, lui, voyait son existence, et son sort, comme elle ne savait quelle morale capillotractée. Une histoire à la Icare, sur les hommes sans peurs aux ambitions déraisonnables qui tombent de haut. Avec elle, le type s’était clairement brûlé les ailes. “Et si le destin le veut bien, Mitchell subira le même sort.” rétorqua-t-elle, incapable de voir qui que ce soit d’autre à la place du mort dans ce rectangle de terre pour s’être senti invincible au sommet de sa tour -encore moins elle-même. Elle, elle était capable du sacrifice pour que cela arrive à son Némésis. Cela faisait trois ans qu’elle lui survivait, et si cela l’avait convaincue d’une chose, c’était qu’elle était la mieux placée pour se mettre en travers de la route du magnat du business de l’illégalité. La seule chose qu’elle pouvait envier au mort à ses pieds, ou au futur cadavre de Strange, c’était les regrets qu’ils inspireraient. Et elle, qui viendrait pleurer sur sa tombe ? Qui lui prendrait le soin d’aligner quelques pierres ? “Vous étiez proches ?” demanda finalement Lou, s’asseyant par terre à son tour. L’expression sur le visage de Joseph disait que oui, mais elle se demandait à quel point il pouvait la tenir responsable du décès d’un ami cher. Et s’il ne souhaitait pas partager son souvenir avec elle, l’apprenti Nostradamus pouvait toujours lui réciter une nouvelle prophétie.
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