En me dirigeant vers la nouvelle table, je ne cesse de ressasser les paroles du musicien. Il est adorable et le défi qu’il m’a lancé l’est tout autant. J’essaie de le suivre, me détendant au maximum en prenant place face à mon nouveau rencard qui, cette fois-ci, s’avère être une femme. Elle est jolie, mais semble plus vieille, plus assurée que moi. Pendant un instant, je crains même que la conversation ne prenne des tournures trop sérieuses. Je fige donc un moment, hésitante quant à la manière de l’aborder. Après tout, le maître du jeu, si je peux l’appeler ainsi, ne nous a donné aucun mode d’emploi. Devrais-je lui faire du rentre dedans tout de suite? Parce qu’elle est belle, ça ne fait aucun doute. Mais est-elle ici pour trouver l’amour ou simplement rencontrer de nouvelles personnes? Et même si c’était le cas, suis-je prête à agir comme une autre simplement pour gagner des points? Et, sur un tout autre registre, mais tout aussi capital, est-ce qu’on est supposés manger quelque chose? Merde, avec Zeppelin nous n’avons même pas pris la peine de commander à boire! Et maintenant, je réalise que je suis assoiffée. Je commence donc par-là, oubliant toutes formules de politesses, lorsque je vois la bouteille de vin rouge encore ouverte au centre de la table. Je jette un coup d’œil à la vignette, puis je laisse enfin quelques mots s’échapper d’entre mes lèvres : « Dis-moi, est-ce que c’est toi ou ton dernier rencard qui a si bon goût? » Je les envie un peu et maintenant, je me sens bête de ne pas avoir pensé à commander un en-cas avec mon ami. « Je peux? » J’ajoute en désignant la coupe vide qui se trouve à mes côtés, ignorant si elle ne souhaite pas conserver le contenu de la bouteille pour elle-seule.

Finalement, je ne lui laisse pas le temps de répondre. Je me sers un verre, rien qu’un petit pour commencer. Je le porte doucement à mes lèvres, savourant la délicatesse du liquide. « Bordel. C’est loin de ce que j’ai l’habitude de boire en soirée. » Je rigole, repensant justement au cocktail de la mort que nous avions l’habitude de concocter avec Zep. Un mélange d’alcools forts sans proportions exacts, sans rien d’autre qu’un peu de sirop de grenadine pour apaiser la brûlure. Cette boisson nous a souvent fait perdre la tête par le passé. Heureusement que ce vin est moins fort. Je me permets une seconde gorgée du bout des lèvres, réalisant au même moment que je ne me suis pas présentée. « Au fait, je m’appelle Erin et toi? » Simple et sobre, tout comme ma personne. Pour l’instant, du moins.

Elle a la tête qui tourne, elle a les joues presque aussi rosies que ses lèvres. Il est parti en laissant les vestiges de vin qui restait, les quelques bribes qu'ils ont tout sauf oubliées dans la bouteille qu'elle serait presque égoïste au point de reverser dans son verre en ignorant le monde entier Chloe. « Dis-moi, est-ce que c’est toi ou ton dernier rencard qui a si bon goût? » mais c'était avant qu'on lui assigne un nouveau visage, et d'office elle se redresse, tente d'avoir l'air un minimum solide. « Travail d'équipe. » à savoir, une bouteille venait d'elle, une autre de lui. Ils ont beaucoup trop bu et si elle était du genre moqueuse elle le repèrerait dans la salle à tituber. Pourtant elle est la chanceuse qui est restée assise à son siège, et clairement elle ne prévoit pas le quitter. « Je peux? »  son sourire est rassurant parce que c'est dans sa nature de partager. Ses doigts eux, se resserrent sur sa coupe à elle maintenant que la blonde se sert, que Cohen ajoute un « Fais comme chez toi. » chaleureux aidé par l'alcool qui fait doucement son effet.

« Bordel. C’est loin de ce que j’ai l’habitude de boire en soirée. » elle pouffe de rire, la gamine qui s'est exclamée l'aurait presque fait sursauter. Elle était perdue dans sa tête un brin Chloe, se replace sur sa chaise en allongeant son bras de façon à attirer l'attention d'un serveur. « Attends, ils doivent avoir une carte des cocktails, t'es pas obligé de forcer si tu préfères autre chose. » la soirée en soi avait déjà tout pour être potentiellement stressante pour quiconque venait ici avec l'intention de ne pas partir seul, grand bien lui en fasse si elle avait quelque chose de plus à son goût pour chatouiller ses papilles. « Au fait, je m’appelle Erin et toi? » le serveur passe, lui tend le menu, elle-même la faisant glisser vers Erin. « Chloe. » ça lui fait toujours drôle à la brune, de se présenter. Elle est du genre à l'éviter au possible, elle est du genre à garder son nom précieusement scellé. À croire que ce soir, elle brise de plus en plus les dizaines de chaînes qu'elle s'est imposées.

« Vous aviez l'air de vous connaître déjà tous les deux, n'est-ce pas? » qu'elle reprend, une seconde plus tard, ayant remarqué les quelques coups d'oeil additionné des dizaines de phrases envolées qu'Erin avait partagés avec le garçon posté face à elle un peu plus tôt. Elle est curieuse, bien sûr qu'elle l'est. Si ça permet à la jeune femme de parler et de s'aérer la tête, elle, elle pourra doucement reprendre contenance en s'armant d'un verre d'eau - ou d'une nouvelle coupe.

Travail d’équipe, c’est un grand mot. J’ai l’impression que le véritable boulot a plutôt été de descendre les bouteilles, à voir le peu qu’il en reste. J’arrive néanmoins à m’en servir un verre et, malgré la surprise de la première gorgée, je réalise que ce n’est pas si mauvais. C’est même bon, même si j’ai l’impression que ça m’en prendra beaucoup trop pour que je me sente un peu pompette. J’en prends une autre gorgée dès que la brûlure s’estompe. Très rapidement, autrement dit. Au contraire de la vodka ou de la tequila, le vin ne laisse aucun goût désagréable après son passage. « À moins qu’on me laisse aller derrière le comptoir pour me servir ce dont j’ai envie, je ne crois pas que leur carte me conviendra. » Bon, après je ne suis pas difficile. Niveau alcool, je pourrais prendre à peu près tout et donc, justement, je ne vois pas l’intérêt de me commander un cocktail à 10$, alors que j’ai encore ce fond de bouteille. J’attrape néanmoins le menu qui traine, à la recherche d’un en-cas qui pourrait apaiser la faim qui me tiraille depuis un moment. Je n’ai pas le temps de lire la moindre phrase que la brune, qui s’appelle apparemment Chloé, enchaîne. Je lève les yeux, plongeant mon regard amusé dans le sien. Ça se voyait à ce point-là?

J’hoche la tête en souriant toujours, espérant qu’il s’amuse autant que moi maintenant que j’ai décidé de ne plus me prendre la tête. Finalement, je me doute que cette soirée ne mènera à rien romantiquement parlant. L’amour, c’est imprévu. C’est beau, magique. Ça ne se calcule pas. On le trouve toujours lorsqu’on s’y attend le moins, pas lorsqu’on court après lui comme un dératé. Moi, je n’ai plus rien à gagner dans cette soirée. Mais Zep, lui, il a une personne à embrasser. Et si je me fis à ce que je vois du coin de l’œil, je me doute qu’il n’embrassera pas le bon sommelier qui lui tient présentement compagnie. « Lui? C’est l’un de mes meilleurs amis. On a pratiquement grandis ensembles, en fait. Il est adorable et… Il embrasse merveilleusement bien. » En vrai, je n’en ai aucune idée. Le baiser que nous venons d’échanger était le premier, doux et sobre. Rien qui puisse me permettre de réellement juger. Dans le pire des cas, je demanderai des nouvelles à la brune, Chloé, après la soirée, si jamais elle tombe sur lui et qu’elle décide de vérifier la véracité de mes paroles. « Avec mon niveau de chance je risque de tomber sur mon grand frère au prochain rencard. » Ce serait le fond du baril, vraiment. Mais, à voir les placements douteux de l’organisateurs, ça ne me surprendrait pas. De ce que je crois entendre, il y aurait un malentendu quand à l’orientation sexuelle de Zep et… l’autre. À moins que Zep ait préféré resté discret par rapport à cet aspect de sa vie. En même temps, je ne l’ai jamais questionné à ce sujet.

"Hm... Pardon. Tu dois me trouver vachement ennuyante en comparaison à l'autre. Je te jure, je vous entendais rigoler de l'autre côté de la salle. » Ça donne autant envie de le rencontrer que le preview avec Zep me donne envie de prendre mes jambes à mon cou. Un mélange étrange que je balais de mes pensées, préférant attendre de me faire mon propre avis sur sa personne.

« Lui? C’est l’un de mes meilleurs amis. On a pratiquement grandis ensembles, en fait. Il est adorable et… Il embrasse merveilleusement bien. » un fin sourire qui se dessine sur les lèvres de Chloe. « Alors pourquoi est-ce que tu ne l'embrasses pas, en ce moment? » habituellement, elle n'aurait pas été si joueuse, habituellement, elle n'aurait pas insisté. Mais les filtres partaient au fil des verres qu'elle avait cumulés, et si sa remarque lancée avec toute la douceur du monde provoquait un rapprochement entre les deux, elle n'en serait que rassurée. Au final, si Erin le mentionne ainsi, si elle en parle comme un souvenir, c'est qu'elle a l'intérêt de réitérer.

Le vin qui descend, la soirée qui se déroule un peu mieux maintenant que Cohen a lâchement laissé l'alcool parler à sa place. « Avec mon niveau de chance je risque de tomber sur mon grand frère au prochain rencard. » elle pouffe la brune, le hasard avait parfois de drôles de façons de placer ses cartes. « Ou sur une troisième bouteille. » son épaule qu'elle hausse, sa mine qui s'amuse. Si la jeune femme devant elle savait prendre le tout avec un grain de légèreté autant qu'elle le montrait, la soirée n'était pas plus perdue qu'une autre. « Hm... Pardon. Tu dois me trouver vachement ennuyante en comparaison à l'autre. Je te jure, je vous entendais rigoler de l'autre côté de la salle. »

« Du tout, je compare pas. » on lui a appris à ne rien mélanger Chloe, on lui a appris à être celle qui fait la part des choses. Et elle est honnête, elle profite de chaque seconde aussi. « Il est - différent. Et c'est tout à son honneur. » elle avait toujours aimé les gens quoi sortaient des cadres Chloe, elle appréciait les modèles qui n'en avaient aucun. « Mais si tu y tiens, tu me peux me dire le truc le moins ennuyant que tu as fait récemment. » son sourcil se hausse, son sourire renchérit, elle relance Chloe, elle propose une façon de retirer la pression des épaules de la blonde installée face à elle aussi.

Moi qui pensais pouvoir oublier ce baiser et ne plus jamais y penser, c’était complètement raté. Faut dire, j’étais celle qui avait ramené le sujet sur la table, aussi. J’avais couru après et maintenant, je me retrouvais prisonnière d’une conversation qui me rendait mal-à-l’aise. Par réflexe, mon regard commença à se perdre dans la salle, à la recherche d’une roue de secours, qu’il s’agisse de mon frère ou de Zep. Je murmure un simple : « Parce que… » en réponse à sa question, sans plus d’explication. Je me sens comme une gamine de trois ans à qui on demande pourquoi les oiseaux volent. Parce que c’est comme ça et qu’on y peut rien. Les oiseaux volent, parce qu’ils volent. Je ne suis pas entrain d’embrasser Zep, parce que c’est Zep. C’est comme ça, un point c’est tout. C’est simple. Pourtant, je sens le rouge me monter au visage. Préférant la facilité aux explications compliquées, je me contente de blâmer ce vin que je ne cesse de siroté depuis mon arrivée à cette table. Le ventre vide qui plus est! Mon frère serait vachement fier s’il me voyait aller. « Ça, ce ne serait pas de refus! » Troisième rencard, seconde bouteille. D’une certaine façon, on pourrait simplement dire que je ne fais que rattraper mon retard, non?

Une énième gorgée coule le long de ma gorge, vidant complètement le verre que je m’étais servi. Eh merde. La quantité, aussi petite soit-elle, a tout de même suffit à me délier la langue, si bien que je m’excuse pour ma nullité. 10/10 pour la confiance en soi, bravo Erin. « Eh bien, j’ai hâte de le rencontrer, alors. » J’aime le différent, moi aussi. J’en tombe souvent amoureuse, toujours impressionnée par la façon qu’a l’humanité de sans cesse me surprendre. « Et… La chose la plus dingue que j’aie fait, c’est probablement de me laisser embrasser par mon meilleur ami. Ah non, c’est de venir ici, en fait! » Pas du tout. Si mon frère croit que je suis l’enfant parfaite, toujours sage et si douce, il se trompe complètement. Je suis gentille, oui, mais j’ai fait mon lot de bêtises dans ma vie, toujours dans le plus grand des secrets pour ne pas décevoir personne. Il y a eu ces soirées à picoler à l’université, principalement suite au décès de mon époux, qui se sont terminés dieu seul sait comment. Ah! « J'ai adopté un cochon, aussi. Enfin, un cochon-miniature. Elle s'appelle Victoria et elle habite avec nous. » Je me souviens encore de la tête qu'a tiré Elias lorsque je suis revenue de l'université avec l'animal. Ça, c'est beaucoup plus marrant à raconter qu'une quelconque soirée de débauche.